Europe Utopie ou Réalité? cg L'Harmattan, 2005 ISBN: 2-7475-8699-5 EAN:9782747586993 Pierre PIGNOT Europe Utopie ou Réalité? L'Harmattan 5-7, rue de l'École-Polytechnique 75005 Paris FRANCE L'Harmattan Konyvesbolt 1053 Budapest L'Harmattan Italia Via Degli Misti, 15 Kossuth L. u. 14-16 HONGRIE 10124 Torino ITALIE Biologie, Ecologie, Agronomie Collection dirigée par Richard Moreau professeur honoraire à l'Université de Paris XIL correspondant national de l'Académie d'Agriculture de France Cette collection rassemble des synthèses, qui font le point des connaissances sur des situations ou des problèmes précis, des études approfondies exposant des hypothèses ou des enjeux autour de questions nouvelles ou cruciales pour l'avenir des milieux naturels et de I'homme, et des monographies. Elle est ouverte à tous les domaines des Sciences naturelles et de la Vie. Déjà parus Pierre DE FELICE, L'image de la terre: les satellites d'observation, 2005. André NEVEU, Les grandes heures de l'agriculture mondiale, 2005. Philippe PREVOST (Sous la direction de), Agronomes et territoires, 2005. Claude MONNIER, L'agriculture française en proie à l'écologisme, 2005. Arnaud MAUL, Approche évolutionniste de la sexualité humaine, 2005. Laurent HERZ, Dictionnaire des animaux et des civilisations, 2004. Michel DUPUY, Les cheminements de l'écologie en Europe, 2004. René MONET, Environnement, l 'hypothèque démographique, 2004. Ignace PITfET, Paysan dans la tourmente.Pour une économiesolidaire,2004. Ibrahim NAHAL, La désertification dans le monde. Causes - Processus Conséquences - Lutte, 2004. Paul CAZA VUS, La mémoire et les oublis, Tome I, Psychologie, 2004 Paul CAZA YUS, La mémoire et les oublis, Tome II, Pathologie et psychopathologie, 2004. PREVOST Philippe, Une terre à cultiver, 2004. LÉONARD Jean-Pierre, Forêt vivante ou désert boisé, 2004. DU MESNIL DU BUISSON François, Penser la recherche scientifique: l'exemple de la physiologie animale, 2003. MERIAUX Suzanne, Science et poésie. Deux voies de la connaissance, 2003. LE GAL René, Pour comprendre la génétique. La mouche dans les petits pois, 2003. ROQUES Nathalie, Dormir avec son bébé, 2003. BERNARD-WEIL Elie, Stratégies paradoxales en bio-médecine et sciences humaines, 2002. GUERIN Jean-Louis, Jardin d'alliances pour le XXlè siècle, 2002. VINCENT Louis-Marie, NIBART Gilles, L'identité du vivant ou une autre logique du vivant, 2002. HUET Maurice, Quel climat, quelle santé ?, 2002. ROQUES Nathalie, Au sein du monde. Une observation critique de la conception moderne de l'allaitement maternel en France, 2001. ROBIN Nicolas, Clônes, avez-vous donc une âme ?, 2001. Entre l'utopie et la réalité, je choisis l'utopie. Sicco Mansholt La crise C'est cette Europe réelle, encore confuse, indéterminée, fragile, Europe prosaïque qu'il nous faut rejoindre, non comme on s'exile dans un nouveau royaume, mais comme un champ nouveau offert à nos ambitions, ouvert à nos ambitions et aussi à nos rêves de Français Jean-Louis Bourlange Le diable est-il européen? Il y a trouvé une Europe centrale constituant comme au Moyen Age un laboratoire ouvert, diversifié, créateur pour un vaste univers sans limite vers l'Est, et se développant à partir de l'Ouest. Selon ses propres termes, une véritable « utopie» européenne. Jacques Le Goff Citant le Hongrois Gabor Glanitczay L'Europe est-elle née au Moyen Age? Avaut-propos Comment l'Europe reçut-elle ce nom? Les érudits ne sont pas tous du même avis. Pour les poètes, ce nom vient de Zeus. Ayant enlevé Europe, la fille d'Agénor et de Théléphassa, il eut d'elle trois fils, Minos, Sarpedon et Rhadamante. Pour l'honorer, Zeus donna son nom à cette partie du monde. Pour les historiens, tel Apollodore, c'est Europs, fils d'Aglaé qui régna sur Sicyone et donna son nom à l'Europe. Hérodote, par contre, avoue son ignorance alors que pour certains ce nom viendrait des ancêtres des Phéniciens qui, arrivant des rivages ensoleillés de l'Est méditerranéen et abordant ces contrées plus à l'Ouest, furent frappés par la couleur de la peau des habitants. Dans leur langage, ils nommèrent ur appa ces régions, ce qui, latinisé, devint Europa et voudrait dire «peau blanche ». Toujours est-il que Pline le Jeune, au premier siècle avant Jésus-Christ, utilise cette dénomination: Je parlerai d'abord de l'Europe, qui a engendré le peuple vainqueur de toutes les nations, écrit-il. Il parle, bien entendu, du peuple romain. À partir de César, l'Empire romain étendit sa puissance du Sud de l'Ecosse au-delà du Rhin où les peuples germains s'entre déchiraient et réclamaient la protection des armées romaines dans lesquelles ils combattaient bien souvent. Puis, quittant leur pays où elles guerroyaient sans cesse les unes contre les autres, les tribus germaniques pénétrèrent en Gaule. Après une période de troubles mettant fin à la Pax Romana, Constantin, devenu Empereur et converti au christianisme, quitta Rome où sévissait le paganisme et établit le siège de l'Empire à Byzance, sur les rives du Bosphore. La ville allait devenir Constantinople, la «Rome orientale ». En Occident, depuis l'incursion des «Barbares », l'Empire s'écroule. Les Ostrogoths prennent à Rome la place laissée libre. Au siècle suivant, ce sont les Lombards qui occupent la ville. Mais leurs différends avec le Pape amène celui-ci à rechercher l'appui des Francs. C'est alors que l'Empire d'Orient va prendre ses distances avec la papauté à la suite de l'excommunication par les Papes Grégoire III et Léon III de l'Empereur romain habitant Byzance. Ainsi apparaissent les Empires d'Orient, puis d'Occident avec Charlemagne. La rupture définitive interviendra en 1054 avec le schisme d'Orient qui sépare encore aujourd'hui les deux églises. Alors que l'Empire d'Orient décline à la suite des incursions arabes et ottomanes - et même franques un peu plus tard à l'époque des croisades - l'Empire d'Occident est à son apogée avec Charlemagne dont le pouvoir s'étend de la Bavière aux régions en deçà des Pyrénées et couvre donc la majeure partie de l'Europe. Mais, comme ses prédécesseurs, c'est par l'épéel qu'il s'est imposé tout en s'appuyant sur la papauté pour, finalement, recevoir à Rome la couronne impériale des mains mêmes du Pape en l'an 800. Les disputes de ses successeurs devaient mettre fin à cette première tentative d'unification de l'Europe. Depuis, le Royaume franc ne cesse de renforcer son indépendance. Les papes ayant besoin d'un bras séculier pour maintenir leur pouvoir sur les territoires pontificaux, ils s'allient avec les maîtres de l'Italie qu'ils couronnent 1 L'Europe est-elle née au Moyen Age? Ed. du Seuil, Jacques Le Goff, p.47. 10 empereurs. Ainsi renaîtra le Saint Empire germanique. Il connut deux périodes de gloire. Ce fut après l'ascension de la maison de Bourgogne, à commencer par le duc de Charolais, devenu Charles le Téméraire, qui passa sa vie à guerroyer contre son suzerain, Louis XI. Par suite d'alliances matrimoniales, son petit-fils, Charles-Quint, se trouva roi d'Espagne et à la tête du Saint Empire germanique. La victoire de Pavie et la capture du Roi de France, François 1er,lui permirent d'espérer la réalisation de son rêve: l'unification de l'Europe continentale en ajoutant l'Italie à son Empire. Son chancelier, Gattinara, ne lui avait-il pas prédit: Sire, puisque Dieu vous a conféré cette grâce immense de vous élever, par-dessus tous les rois et princes de la chrétienté, à une puissance que jusqu'ici n'a possédée que votre prédécesseur Charlemagne, vous êtes sur la voie de la monarchie universelle, vous allez réunir toute la chrétienté sous une même tutelle? 1 À cette époque, la Grande- Bretagne prend ses distances avec le continent. La volonté d'Henri VIII de répudier sa femme, Catherine d'Aragon, et d'épouser Anne Boleyn - d'où son procès avec le Vatican - conduira à la création de l'église anglicane et contribuera à éloigner un peu plus l'Angleterre du continent. Une nouvelle occasion d'unification se présenta lors de l'insurrection des Gantois, las de payer les dépenses de guerre. François 1er offre, en effet, à Charles-Quint qui séjourne en Espagne, le passage par son royaume pour porter secours à la régente des Pays-Bas, Elisabeth de Hongrie. L'empereur songe alors à des alliances matrimoniales entre les deux familles régnantes et à la constitution de royaumes intimement liés formant un 1 Histoire des Habsbourg, Henry Bogdan, Ed. Perrin p. 118. Il condominium auquel le Portugal et l'Angleterre seraient associés. Mais le roi de France, refusant de voir se dresser de nouveaux grands feudataires contre le royaume, ne songe qu'au Milanais. Pendant ce temps, à la suite de Calvin puis de Luther, une nouvelle église apparaît. C'est la fin de la puissance universelle de l'église de Rome. Les Principautés allemandes, soutenues par le roi de France, se divisent et revendiquent leur indépendance, les unes vis-à-vis de Rome, les autres de l'Empereur. La tentative de CharlesQuint, soutenue par les annes, de créer une Europe regroupée sous l'autorité d'un condominium familial échouera donc. Ses deux fils, Philippe l'Espagnol, et Ferdinand l'Autrichien, règneront sur deux empires séparés. Les Principautés allemandes prendront de plus en plus d'indépendance et, finalement, en 1806, l'empereur François II renoncera solennellement à la couronne du Saint Empire de nationalité germanique. Le «siècle des Lumières» vit naître, au XVIII ème siècle, une nouvelle philosophie basée sur le rationalisme, sur la croyance dans le progrès et sur l'avenir de I'homme dans la tolérance et la liberté. Pour ces intellectuels de l'époque, le moment était venu de rompre avec le passé et d'envisager l'avenir sous l'auspice de dirigeants faisant confiance aux savants et aux philosophes: les despotes éclairés. D'Alembert, Diderot, Voltaire furent les invités de Catherine II de Russie, de Frédéric de Prusse. Ils influencèrent Marie- Thérèse d'Autriche et son fils, l'empereur Joseph II. Ce courant de pensée devait conduire en France à la Révolution. Devenus extrémistes et prosélytes, les révolutionnaires portèrent la guerre en Europe. D'abord contenus, ils devaient l'emporter grâce à de jeunes généraux, sortis bien souvent du peuple, qui se révélèrent de prestigieux meneurs d'hommes. Panni eux, un jeune Corse devait faire carrière! C'est ainsi qu'avec 12 l'arrivée au pouvoir en France de Napoléon Bonaparte on devait assister à une nouvelle tentative de construction européenne, encore une fois par les armes. Entré à 9 ans au collège d'Autun, il ne devait y rester que quelques mois, le temps d'y recevoir le surnom de « potache» que lui donnèrent ses condisciples: « Pailleau-nez », rappelant sa façon de prononcer son nom: Napoléoné ! Sa carrière, sous la Révolution, fut fulgurante et le mena de l'Italie à l'Egypte. Sa destinée aurait pu s'arrêter là. Mais devant les discordes des Assemblées, il entra en politique et ce fut le 18 Brumaire. Le voilà 1erConsul. Il demande la paix aux grandes puissances. L'Autriche hésite, l'Angleterre refuse. C'est donc la guerre qui reprend et ce sont les victoires de Marengo et de Hohenlinden. La paix de Lunéville, suivie de celle d'Amiens, donne un certain répit à l'Europe. La France étend son territoire en Italie et au Nord, jusqu'aux rives du Rhin. Cependant, le 23 mai 1803, la flotte britannique arraisonne tous les bateaux marchands français, et c'est de nouveau la guerre. Songeant d'abord à envahir les îles, Bonaparte abandonne le projet, décrète le blocus continental. Entre-temps, il se fait couronner Empereur. Devant le Pape Pie VII qu'il a fait venir de force à Paris, il se coiffe de la couronne de Charlemagne apportée de Rome par Kellermann. Une nouvelle Europe continentale prend corps! Une coalition est formée, conduite par l'Angleterre. Celle-ci deviendra, après l'instauration du «blocus continental », l'ennemie irréductible et obligera l'Empereur à reprendre les armes. Suivent une série de victoires et de défaites qui le conduisent aux portes de Moscou d'où il doit ramener les survivants de la Grande Armée, et par-delà les Pyrénées où ses généraux sont vaincus à Victoria par le général Wellington. 13 Ce sera la fin de l'épopée napoléonienne. L'Europe dont il rêvait ne se fera pas. Malgré un retour fulgurant de l'île d'Elbe! où les coalisés l'avaient exilé, il échouera. Waterloo mettra un terme à cette dernière tentative guerrière menée par un homme exceptionnel, mais qui n'a pas su s'arrêter à temps ni comprendre la réalité des aspirations nationales. Ce n'est que 150 ans plus tard qu'une nouvelle tentative, celle-là toute pacifique, sera tentée par quelques hommes, à la foi réalistes et imaginatifs. Dans un ouvrage précédent2, j'ai tenté de relater la période enthousiasmante de cette construction. Puis celle des différents élargissements qui, s'éloignant des principes qui guidèrent les « Pères fondateurs », avaient déjà par deux fois affaibli l'édifice, faute d'avoir réalisé en temps voulu la nécessaire réforme des Institutions. Cette construction, toujours inachevée, fonctionne cependant, apportant 60 ans de paix entre ses membres, sans qu'il soit encore possible de dire si cette tentative, se fragilisant en s'élargissant, sera durable. À l'époque où l'on ne parle que de «développement durable» l'Union européenne se trouve aujourd'hui confrontée à un défi sans précédent, doublant presque le nombre des pays participants. Arrivera-t-elle, dans une ultime tentative, à modifier ses structures afin de pouvoir fonctionner durablement? y aura-t-il un terme à cette fuite en avant? Est-ce raisonnable de s'agrandir sans «approfondissement », au risque de perdre son âme ? L'Europe sera-t-elle une utopie ou une réalité? Quelle sera sa place dans ce monde dont les Etats-Unis d'Amérique s'érigent en unique gendarme? Ces derniers 1 Les vingt jours, Jean Tulard, Edition Fayard. 2 Les Anglais confrontés à la politique L' Harmattan. 14 agricole commune, Edition accepteront-ils la montée en puissance d'une Europe digne de son économie, se dotant d'une politique étrangère et de défense indépendante? Accepteront-ils les règles internationales instituées au lendemain du dernier grand conflit qui ruina l'Europe? Ce sont les questions qui se posent aujourd'hui, au cours de cette période troublée, inquiétante, mais aussi passionnante, et auxquelles je tenterai d'apporter quelques réponses dans cet essai. 15 S'imaginer que le bonheur est à jamais derrière nous, soutenir que le progrès est une illusion, voir l'avenir comme une menace constitue un des signes les plus sûrs de sénilité. Jean d'Ormesson Chapitre I La troisième tentative d'approfondissement Un nouvel ordre s'instaure Par deux fois déjà, la Communauté européenne a tenté d'adapter ses structures avant d'accueillir en son sein d'autres pays afin d'assurer le bon fonctionnement d'une mécanique administrative mise en place à l'époque d'une Communauté à Six. Les responsables politiques de l'époque avaient décidé « d'approfondir avant d'élargir». Par deux fois, l'exercice s'était soldé par un échec. Les élargissements successifs, faisant passer la Communauté de six pays à neuf, puis de dix à treize et encore de treize à quinze, se sont réalisés sans changement de structure. Deux Conférences intergouvernementales convoquées à cet effet s'étaient conclues par un échec. Toutefois, de «Communauté », nous sommes devenus « Union». Mais l'habit ne fait pas le moine! Le manque de cohésion devient évident, particulièrement pour toute question touchant à la politique étrangère. La guerre de G. w. Bush devait démontrer la fragilité de cette Union. La chute du mur de Berlin, en 1990, avait bouleversé l'échiquier mondial. Les pays absorbés par l'URSS à la fin de la Deuxième Guerre mondiale, avec, il faut bien le dire, la bénédiction de Roosevelt et l'accord de Yalta, sont désormais assoiffés de liberté et veulent immédiatement s'intégrer dans les organisations du monde libre. Pour eux, elles représentent un nouvel eldorado. Ils posent donc leur candidature à l'OTAN, le grand protecteur, et à l'Union européenne, source de richesses. Très tôt, l'Union propose à ces pays un cadre pour des relations bilatérales. Dix de ceux-ci vont, entre 1993 et 1995, signer ces accords d'Association. Ceux-ci couvrent les secteurs de la coopération, de l'industrie, les transports, l'environnement et les douanes. L'idée est alors d'arriver progressivement à un libre-échange. Ces accords sont considérés comme une préparation à une éventuelle adhésion à l'Union. On analysera plus en détailla marche de ces pays vers l'intégration à l'Union. Mais l'Union elle-même a bien changé depuis qu'elle porte ce nom qui lui fut attribué en 1992 par le traité de Maastricht. Deux ans plus tard, une négociation internationale se terminait par l'accord de Marrakech. La mondialisation faisait son apparition. Le traité de Marrakech (avril 1994) prévoit, en effet, l'instauration d'un marché plus libre avec diminution progressive et significative des droits de douane, des entraves non- tarifaires, ainsi que l'abolition des subventions à l'exportation. Seuls les secteurs de la culture et des services ont été écartés, provisoirement, des négociations. De plus l'Union a engagé avec un très grand nombre de pays des négociations d'accords commerciaux devant conduire au libre-échange: En Amérique, c'est avec le Mercosur. 18 En Afrique, c'est avec le Maghreb, l'Egypte et l'Afrique du Sud. Au Proche-Orient, c'est avec Israël et l'Autorité Palestinienne, la Jordanie, le Liban. En Europe centrale, c'est avec les pays candidats mais aussi avec certains pays de la CEI. En Asie, c'est avec certains membres de l'ASEAN. La liste est longue. Tous ces accords accroissent les échanges et ouvrent toujours davantage l'Union au commerce, parfois très agressif, de ces pays où les coûts de main-d'œuvre et les conditions de production sont bien loin des normes en vigueur dans l'Union. La globalisation (que certains nomment souvent la mondialisation) est une réalité qui fragilise des pans entiers de nos industries et de notre agriculture. C'est l'apparition du grand commerce triomphant. Les pays de la «vieille Europe », comme certains Américains se plaisent à la désigner désormais, ne sont pas habitués à de tels changements. Les délocalisations de production, les fermetures d'usines ayant fait partie du paysage depuis des générations bousculent les populations qui ne voient plus très clair dans cette construction européenne et dans ces élargissements dont on leur vante tant les mérites. S'il devait y avoir, dans l'Union actuelle, des élections pour accepter les futurs traités d'adhésion, on s'exposerait à bien des surprises. Les peuples, se rappelant la théorie des vases communicants, pensent que l'élévation du niveau de vie chez les uns conduira à l'abaissement de celui des autres, donc du leur. L'Europe que l'on propose ainsi aux populations leur paraît plus une utopie qu'une réalité prometteuse. L'ultralibéralisme fait peur. Le peuple a besoin de repaires pour reprendre confiance en l'avenir. Essayons d'y voir clair. 19 L'Union déstabilisée Le traité de Marrakech en 1994 qui clôtura les négociations de l'Uruguay round ainsi que les nombreux accords bilatéraux firent entrer l'Union dans un processus de globalisation des échanges par un abaissement du tarif douanier commun et par un abandon de la politique agricole commune, style Mansholt. Certains secteurs, tels que la culture et les services, restaient, cependant, à l'écart de cette négociation. Le nouveau cycle de négociations, ouvert à Doha, a l'ambition d'aller plus loin, de couvrir des secteurs plus vastes (services, culture, environnement) et, de plus, de parachever l'ouverture des marchés. Plusieurs dirigeants européens, reprenant le leitmotiv cher à certains économistes 1 - on analysera leur document plus en détail plus loin -, ne cessent de préconiser la fin de la plus ancienne et pratiquement la seule politique commune européenne, la Politique agricole commune. Ainsi seraient dégagés des fonds budgétaires plus utilement employés pour l'avenir de l'Union. Ils permettraient de stimuler des actions de recherches, d'éducation post-universitaires. Pour eux, il est scandaleux que 45 % du budget communautaire soient encore destinés au soutien d'une agriculture incapable de produire moins cher que ses concurrents. Ces économistes oublient trois choses essentielles: - Tous les pays du monde interviennent pour soutenir leur agriculture. L'accroissement de 70 % du budget agricole américain en 2002 en est un bel exemple. Les régimes de monopole à l'exportation de l'Australie, de la Nouvelle-Zélande en sont un autre. 1 Lire à ce sujet le rapport Sapir Agenda for a growing Europe, Juillet 2003, commandé par le Président Prodi à un groupe d'économistes « de haut niveau ». 20