REVUE MÉDICALE SUISSE
WWW.REVMED.CH
10 février 2016
322
avancée thérapeutique
ZIKA UNE ÉQUATION PHYSIOPATHOLOGIQUE
ET ÉPIDÉMIOLOGIQUE À NOMBREUSES INCONNUES
Nous avons vu, il y a peu,1 ce qu’il pou-
vait en être des nouvelles inquiétudes in-
hérentes à la propagation rapide du virus
Zika sur le continent américain. L’OMS
vient de décréter qu’il s’agissait là d’une
« urgence sanitaire mondiale ». C’est là une
bonne occasion de compléter ce tableau
d’actualité avec des interrogations problé-
matiques quant à la physiopathologie de
cette infection virale et à la réalité chiffrée
des conséquences tenues depuis quelques
semaines pour acquises.
En 2015, un groupe franco-thaïlandais
était pour la première fois parvenu à dé-
crire comment ce virus infectait l’homme
suite à une piqûre de moustique puis de
quelle manière il se propageait dans l’or-
ganisme infecté. Publié dans Journal of
Virology,2 ce travail avait été mené par des
chercheurs de l’Institut de recherches pour
le développement (IRD), de l’Inserm, de
l’Ins titut Pasteur et leurs partenaires thaï-
landais (Mahidol University, Bangkok ;
Prince of Songkla University, Songkla).
On savait que le virus Zika était trans-
mis par les moustiques Aedes aegypti et
Aedes albopictus. « Lorsque l’insecte pique
un humain, sa pièce buccale tâtonne à la
recherche d’un vaisseau sanguin, résument
les chercheurs. Ce faisant, elle dépose des
particules virales dans l’épiderme et le
derme de la victime. » Pour simuler en la-
boratoire l’infection, ils ont inoculé un iso-
lat du virus Zika (collecté lors de l’épidémie
2013 en Polynésie française) à trois types
de cellules de peau humaine : les kératino-
cytes (qui se trouvent dans l’épiderme),
les fibroblastes et les cellules dendritiques
(situées dans le derme). On sait que ces
der nières sont des cellules immunitaires
qui jouent un rôle-clé dans la fabrication
des anticorps spécifiques.
En soixante-douze heures, la totalité
des fibroblastes étaient infectés, les autres
cellules étant également touchées, notam-
ment les kératinocytes. L’imagerie électro-
nique a montré que pour se
répliquer, ce virus a recours à
l’autophagie : un mécanisme
qui consiste en la dégra dation
partielle du cytoplas me par la
cellule elle-même. Ce phéno-
mène entraîne à terme une
apoptose cellulaire (mort par
éclatement favorisant la dis-
sémination du pathogène).
L’équipe avait aussi identifié
le récepteur cellulaire qui per met l’en trée
du virus dans les fibroblastes : la protéine
« AXL ». L’efficacité des anticorps con tre
cette protéine a été vérifiée, de même que
celle de petits ARNsilencing – qui « étei-
gnent » les gènes-cibles. « L’ensemble de ces
travaux (une première quant à la biologie
du virus Zika) ouvre des pistes pour l’iden-
tification de cibles thérapeutiques et l’éla-
boration d’un traitement, aujour d’hui
inexistant » écrivions-nous alors dans
ces colonnes.3
Aujourd’hui, l’accent est mis par
l’OMS sur les risques de malforma-
tions fœtales qui résulteraient de la
contamination virale de la femme
enceinte. La principale malformation
serait une microcéphalie, volume du
crâne plus petit que celui des indivi-
dus de même âge et de même sexe.
Diag nostiquer une « microcéphalie
fœtale » suppose que l’on puisse me-
surer in utero le périmètre crânien
en échographie. La crois sance de ce
périmètre étant liée au développe-
ment cérébral, la mi cro céphalie s’ac-
compagne souvent de troubles neu-
rologi ques graves et irréversibles.
Plusieurs infections survenant en
cours de grossesse sont connues pour
causer ce type de malformation : cel-
les à cytomégalovirus, la varicel le, la ru-
béole, la toxoplasmo se ou encore l’her pès.
En toute rigueur, après la confirmation de
l’infection à partir d’une prise de sang ma-
ternelle, la preuve de transmission au fœ-
tus se fait à partir d’une recherche du virus
dans le liquide amniotique (amniocen-
tèse). Dans le cas du virus Zika, il n’existe
actuellement pas de données permettant
de définir chez une femme enceinte les
conditions les plus propices à la réalisation
d’une amniocentèse.
Pour l’heure, les autorités sanitaires
sont dans un profond embarras : si l’exis-
tence de ce risque semble vraisemblable,
elle n’est pas pour autant
scientifiquement établie. Le
« lien de causalité » entre l’in-
fection ma ternelle et la malfor-
mation crâ nienne du nouveau-
né n’est pas indiscutablement
démontré. Cette dé mons tra-
tion demandera encore diffé-
rents tra vaux menés à partir
d’outils virologiques sophisti-
qués. A dire vrai, les éléments
de preu ves ne sont aujourd’hui apportés
que par cette nouvelle discipline émer-
gente qu’est l’« épidémiologie spatio-tem-
porelle », pour reprendre la formule du Pr
Eric Caumes, chef du Service des maladies
infectieuses dans le groupe hospitalier
Pitié-Salpêtrière (Paris). Il s’agit là d’une
forme de modélisa tion permettant d’ana-
lyser les dynami ques et les risques épidé-
miques en l’absence de confirmations mo-
léculaires. « C’est ce type d’approche qui,
par exem ple, avait permis de comprendre
l’origine népalaise de l’épidémie de choléra
qui, en 2010, sévissait en Haïti » explique
le Pr Caumes.
Jusqu’à fin octobre 2015, le virus Zika
n’avait pas été décrit comme responsable
de microcéphalies ou d’autres anomalies
congénitales. Mais les épidémies n’avaient
jusqu’alors concerné que des territoires
faiblement peuplés comme en Micronésie.
Fin octobre 2015, le ministère de la Santé
brésilien faisait état de 54 cas de micro-
céphalie chez des nouveau-nés, dans plu-
sieurs hôpitaux publics et privés du nord-
est du pays. Rapidement d’autres cas de
malformations congénitales neurologiques
ont été rapportés dans d’autres Etats bré-
siliens où circule le virus Zika. Soit au total
2782 cas suspectés ou confirmés (dont 40
décès) notifiés pour l’essentiel dans les
JEANYVES NAU
jeanyvesnau@gmailcom
IL FAUT DÉSOR
MAIS COMPOSER
AVEC UNE AUTRE
INCONNUE
CELLE DU RISQUE
DE TRAMSISSION
SEXUELLE DU
VIRUS
D.R.
34_35.indd 322 08.02.16 11:38
ActuAlité
WWWREVMEDCH
 février 
323
Etats du Nord-Est du pays.
Les spécialistes rapportent aussi des
cas de malformations rares (dysfonction-
nement néonatal du tronc cérébral) chez
des nouveau-nés après une épidémie de
Zika en Polynésie française, d’octobre 2013
à avril 2014. Des enquêtes ont encore mon-
tré, à la même période, une augmentation
du nombre des malformations cérébrales
ayant conduit à des interruptions médicales
de grossesse. D’autres arguments existent
qui plaident en faveur de cette hypothèse.
« Comment aller plus loin dans la dé-
monstration d’un lien de causalité ? Pour
des raisons évidentes, on ne pourra jamais
ici aller jusqu’à vérifier les règles du pos-
tulat de Koch et faire l’expérience de l’in-
fection expérimentale, explique le Pr Alain
Goudeau, responsable du Service de bacté-
riologie-virologie du CHU de Tours. L’his-
toire montre que des éléments épidémio-
logiques suffisent. Comme dans le cas de
la rubéole. L’isolement du virus dans les
tissus fœtaux n’a été qu’un élément com-
plémentaire pour affirmer la grande dan-
gerosité du virus chez la femme enceinte.
Il me semble qu’avec Zika nous ne sommes
pas loin de ce niveau de preuve. »
A l’inverse, des scientifiques estiment,
dans la revue britannique Nature,4 que les
chiffres avancés pourraient n’être que la
résultante d’une plus grande attention por-
tée au phénomène. Il faut en outre désor-
mais composer avec une autre inconnue,
celle du risque de transmission sexuelle
du virus. Or, méconnaître cette cause pos-
sible de transmission pourrait contribuer
à passer à côté d’un diagnostic potentielle-
ment grave, compte-tenu du risque poten-
tiel de microcéphalie et de celui, bien éta-
bli, de syndrome de Guillain-Barré chez
l’adulte. « Si la transmission sexuelle se con-
firme, alors il faudra que tous les méde-
cins (…) soient particulièrement vigilants
devant l’apparition de syndromes pseudo-
grippaux associés ou non à des conjoncti-
vites dans les suites de rapports sexuels
avec des personnes malades ou non ayant
fréquenté des régions endémiques, écrit le
Dr Isabelle Catala sur le site Medscape. Il
restera, enfin, à analyser ce qu’il en est du
risque de transmission par voie sanguine.
1 Nau JY Lépidémie américaine de Zika ou la médecine
face à la religionRev Med Suisse 
2 Hamel R Dejarnac O Wichit S et al Biology of zika
virus infection in human skin cells J Virol 

3 Nau JY Les systèmes nerveux et lymphatique
communiquent Le virus zika livre ses mystères Rev
Med Suisse 
4 Butler D Zika virus Brazil’s surge in smallheaded
babies questioned by report Nature  janvier 
PatiñoBarbosa AM Medina I GilRestrepo AF Rodriguez
Morales AJ Zika Another sexually transmitted infection?
Sex Transm Infect 
AMIS CONFRONTÉS
À LA MORT  LÀ
COMME AILLEURS IL
N’Y A PAS LA
BONNE RÉPONSE
MAIS PLUSIEURS
CHOIX ET CHEMINS
Au-delà de la septantaine, les
nouvelles qui parviennent de
contemporains font souvent
état de maladie, de perte de
compétence physique ou co-
gnitive, de décès. Ainsi lors
des échanges au moment des
Fêtes. Lettre d’un confrère
américain : « Pas de grands
voyages cette année. On a
diagnostiqué chez Tom une
leucémie myéloïde aiguë
(LMA). Comme il est trop
âgé pour envisager une greffe
de moelle, des semaines de
chimio. Il est en rémission
mais, au plan des chiffres, la
LMA raccourcit l’espérance
de vie ». Tom lui-même :
« Aureste, cette maladie m’a
ouvert des possibilités nou-
velles. J’ai mis sur informa-
tique 2400 dias d’enseigne-
ment, j’ai aussi bien avancé
dans l’écriture de l’histoire de
ma vie. Dans les interventions
que je fais encore devant des
étudiants, j’utilise ma nou-
velle expertise quant aux pré-
occupations de fin de vie ».
J’ai perdu il y a trois mois un
très bon ami, depuis notre
jeunesse. Après un arrêt car-
diaque dont il réchappe il y a
quatre ans,il a développé une
myélofibrose qui tourne en
leucémie. Il a toujours gardé
un vrai tonus, une bonne voix
au téléphone. Alors qu’un
épuisement multisystémique
annonçait la fin (pour un mé-
decin, lui ne l’était pas), de
l’hôpital il a envoyé sa famille
à leur semaine de montagne
automnale habituelle et est
mort quelques heures plus
tard. Famille très unie. De
nos conversations (avant et
après), il me paraît que le
malade comme ses proches
n’ont guère parlé de la sépa-
ration – si ce n’est en formu-
lant l’espoir de faire encore
un bout de chemin ensemble.
En ce moment, les proches
tiennent le coup. Plus loin-
tain : mort vers 1980 d’un
parent emporté par la mala-
die de Charcot (SLA). « A la
française » (pourrait-on dire,
en toute courtoisie), chape
de silence vis-à-vis du malade
jusqu’à la fin, ce qui nous a
perturbés ma femme et moi –
mais nous étions loin et
incer tains quant à notre légi-
timité à tenter de convaincre
l’entourage qu’il faudrait qu’il
sache, entre autres pour
pren dre congé de son épouse
et d’enfants ados. Après le
décès, on trouve des notes
indiquant qu’il avait cons-
cien ce du pronostic et de
l’« omerta ».
Je crois au caractère très
souhaitable de prendre
congé et de créer toutes
conditions qui le permettent
dans la sérénité et des circons-
tances adéquates (autant que
faisable). Chance de renouer
des dialogues interrompus,
faire un bilan, susciter une
réconciliation. Je ne suis pas
membre d’Exit et encore
moins intervenant Exit, et il
ne s’agit en rien ici d’en faire
la promotion, mais je note
que des témoignages lus et
entendus font penser que de
tels échanges peuvent dans
ce cas être induits par le fait
qu’un délai ultime est fixé.
J’ai beaucoup participé à des
débats traitant de secret mé-
dical. Par exemple : que faire
dans la situation du jeune
chef d’entreprise et père de
famille, porteur d’un cancer
de mauvais pronostic et qui
ne veut pas qu’on inquiète
ses proches. C’est son droit
strict, le médecin / l’équipe ne
saurait « mieux savoir ». Reste
que la question se pose des
conversations qu’on peut
souhaiter avec lui. On aurait
envie que, à la catastrophe
humaine, ne s’ajoute pas une
catastrophe matérielle (qui
sera aussi familiale) si des
délais, des incertitudes ou
l’inaction faisaient que l’en-
treprise disparaisse dans les
pires conditions (réflexion
utilitariste, mais n’est-elle pas
pertinente ?). Mais le message
alors est qu‘il est condamné…
Même difficulté si, pour
amoindrir le choc d’une sépa-
ration « sans qu’on se soit
parlé », on parle explicite-
ment de prendre congé. Diffi-
cile. Les situations vécues
montrent à mon sens que,
dans ces questions comme
toujours (ou presque tou-
jours) en médecine, il n’y a
pas une seule bonne manière
de faire. Aux soignants d’éva-
luer en partenariat avec les
patients, et leurs proches
chaque fois que c’est pos-
sible, les voies qu’on peut
suivre.
carte blanche
Dr Jean Martin
La Ruelle 6
1026 Echandens
CC BY Carsten Tolkmit
34_35.indd 323 08.02.16 11:38
1 / 2 100%
La catégorie de ce document est-elle correcte?
Merci pour votre participation!

Faire une suggestion

Avez-vous trouvé des erreurs dans linterface ou les textes ? Ou savez-vous comment améliorer linterface utilisateur de StudyLib ? Nhésitez pas à envoyer vos suggestions. Cest très important pour nous !