1 Evolution de l’avifaune en Dyle : un espoir ? par Marc Walravens La vallée de la Dyle entre Wavre et Leuven est une zone naturelle unique en Brabant et relativement bien préservée. Le fond de la vallée, quasiment non bâti, est traversé de peu de routes et la rivière y coule librement, parmi des milieux semi-naturels riches et variés. Cette richesse et diversité augmentent encore en y associant les zones non urbanisées des plateaux voisins et des vallées adjacentes : zones humides (étangs, marais, prairies et bois alluviaux), forêts et bois variés, zones agricoles ouvertes, grands parcs privés et même quelques reliques de bruyères. Un tel maillage écologique recèle une belle biodiversité, notamment au niveau de l’avifaune. « Vogels in het Dijleland » (HENS, 2000), rapporte 271 espèces d’oiseaux observées dans la partie flamande de la région de la Dyle1, dont 109 nicheuses. S’y ajoutent 25 espèces exotiques échappées de captivité ou introduites par l’homme, dont 7 se reproduisent. L’avifaune dans la partie wallonne arbore une richesse comparable : l’ « Avifaune des Oiseaux nicheurs (DEVILLERS de Belgique » & al., 1988) renseigne environ 107 espèces nicheuses2. Globalement, en Belgique comme ailleurs, la richesse de l’avifaune et sa diversité sont de plus en plus menacées et le nombre disparaissent d’espèces de qui régions entières ou dont les effectifs régressent de façon alarmante sont légions (cf. Figure 1). La nature en Dyle étant plutôt bien préservée et faisant même l’objet de soins particuliers pour y maintenir et y développer la biodiversité, il est légitime de se demander comment y évolue l’avifaune ? Figure 1 Evolution des populations d’oiseaux commun dans l’Union Européenne (http://ec.europa.eu/environment/indicators/pdf/leaflet_env_indic_2009.pdf) L’inventaire mené de 2001 à 2005 dans le cadre du nouvel atlas des oiseaux nicheurs de Wallonie est optimiste, puisqu’il a permis de recenser 113 1 Le nombre d’espèces varie légèrement selon la nomenclature utilisées, certaines espèces étant parfois considérées comme sous-espèces. 2 Sur base des carrés Hamme-Mille, Chaumont-Gistoux et Wavre. Inventaire réalisé principalement de 1973 à 1977. 2 espèces nicheuses dans la partie wallonne de la Dyle. L’analyse détaillée des résultats est pourtant bien moins réjouissante car si le nombre d’espèces est resté stable, nombre d’entre elles sont au bord de l’extinction. En fait, la réponse des oiseaux à la situation environnementale actuelle est très différente selon les groupes d’espèces envisagés. Comme mentionné dans le graphe à la figure 1, les régressions les plus alarmantes ces dernières années concernent les oiseaux des milieux agricoles ouverts (champs, cultures, pâtures) : alouettes, pipits, bruants, moineaux et linottes se font de plus en plus rares ou ont déjà disparu. A titre d’exemple, le Pipit farlouse, petit passereau inféodé aux prairies et bords de chemin herbeux était estimé à plus de 125 couples nicheurs sur 80 km² en 1977. En 2005, à peine 3 couples ont été retrouvés. Par contre, la population de la Bergeronnette printanière, une espèce proche, semble stable. En fait, la bergeronnette s’est adaptée à son nouvel environnement et niche aujourd’hui en cultures de céréales, parfois de betteraves, alors que ce n’est pas le cas du pipit, qui a disparu avec les pâtures et les herbes folles. Si pour cette espèce la régression est générale sur toute la zone étudiée, pour d’autres, comme le Bruant proyer ou l’Alouette des champs, le recul est variable selon les endroits. Ainsi, le plateau agricole situé à l’est de Gottechain est le dernier bastion du Bruant proyer dans la région et conserve une belle population d’Alouettes (14 couples au km²), alors que sur le plateau de Bossut tout proche, le bruant a disparu et l’alouette y est rare. Il est probable que cela tient en grande partie aux conditions de culture locales (pesticides, jachères, tournières, bords de chemins etc.) Un deuxième groupe d’oiseaux en forte régression est constitué de migrateurs au long cours, hivernant généralement en Afrique, souvent au sud du Sahara. Ces espèces se rencontrent tant dans des milieux ouverts (Tarier pâtre), que boisés (Pouillot siffleur, Pipit des arbres, Rougequeue à front blanc) ou humides (Rousserolle turdoïde, Locustelle luscinoïde). Certaines d’entre elles étaient encore bien représentées en 1977 mais toutes ont (quasi) disparu aujourd’hui. Pour la première fois, en 2009, aucun territoire de nidification n’a pu être confirmé pour le Loriot, ni pour la Tourterelle des bois, et la population du Coucou gris se réduit à une peau de chagrin et désormais limitée aux milieux les plus favorables dans le fond de la vallée de la Dyle. La plupart de ces espèces migratrices ne parviennent plus à faire face à la détérioration ou disparition de leurs milieux de nidification en Europe, d’hivernage en Afrique et aux agressions qu’elles subissent pendant les migrations. Les causes de régression sont parfois plus spécifiques ou inconnues. Ainsi, le Rossignol, hivernant en Afrique méridionale, est désormais éteint en Dyle, alors que sa cousine la Gorgebleue, qui passe la mauvaise saison dans le Figure 2 Gorgebleue à miroir blanc (Aquarelle M. Walravens) 3 nord-est du continent africain, fut en augmentation à la fin du 20e siècle et semble actuellement stable. Pourtant les milieux occupés par le Rossignol il y a 15 ans à peine n’ont apparemment pas évolué. En fait, certaines détériorations du milieu nous sont à peine perceptibles : une évolution subtile des espèces végétales peut amener des bouleversements dans l’entomofaune et, quasiment sans que nous ne nous en rendions compte, la disparition des sources de nourriture pour telle ou telle espèce spécialisée. D’une façon générale d’ailleurs, la spécialisation des espèces s’accroît en période de reproduction et les modifications du milieu, aussi futiles soient elles, n’en sont que plus dramatiques. C’est probablement pour cette raison que le Tarier des prés a disparu et que le Tarier pâtre ne parvient pas à reconstituer ses effectifs, malgré la restauration de prairies de fauches. Heureusement, tout le tableau n’est pas aussi noir. D’une façon générale, certaines populations d’anatidés ainsi que les rapaces se portent relativement bien. Grâce à la protection dont ces derniers bénéficient désormais, les populations d’oiseaux de proie, décimées pendant des décennies, ont pu en partie se reconstituer au cours de ces 30 dernières années. Ainsi, alors que la population de la Buse variable était estimée entre 1 et 5 couples sur 80 km² en 1977, l’inventaire de 2005 l’estime à une quinzaine de couples. Faucons hobereaux, Eperviers et Autours sont des nicheurs bien établis et depuis quelques années, le Faucon pèlerin est vu de plus en plus régulièrement en dispersion postnuptiale et un couple non nicheur est même établi à Leuven. Petite ombre au tableau, le Busard des roseaux, rapace migrateur nichant dans de vastes roselières, se reproduisait en Dyle dans les années septante, mais n’y niche plus aujourd’hui. Par contre le Busard cendré, un oiseau rare, autrefois nicheur sporadique (1943, 1956), fréquente annuellement les grandes plaines agricoles et niche en très petit nombre dans les champs de céréales. En 2000, un couple s’est reproduit à Beauvechain. Les populations nicheuses et hivernantes d’anatidés sont typiquement tributaires de la qualité de l’eau et de zones de quiétude. Il est par exemple remarquable de constater que seulement 0 à 2 couples de fuligules se reproduisent à l’étang de Pécrot, où vit une importante population de poissons fouisseurs : ceux-ci, par leur mode de vie, rendent l’eau trouble et empêchent le développement d’une faune et d’une flore aquatiques favorables à la biodiversité. Par contre, au marais de Laurensart, à la végétation plus variée et à l’eau plus limpide, ce ne sont pas moins d’une vingtaine de couples de Fuligules morillons et une douzaine de Fuligules milouins qui nichent avec succès. S’il fallait encore démontrer l’importance de la qualité de l’eau sur la biodiversité, l’exemple du Grootbroek à Sint-Agatha-Rode est sans équivoque : cette ancienne pisciculture, rachetée il y a quelques années par la Région 4 flamande, a été vidangée au printemps 2005 pour en éliminer la population de poissons fouisseurs. Alors qu’à peine l’un ou l’autre couple de Fuligule morillon ou de Grèbe huppé s’y reproduisait, l’avifaune aquatique explose dès 2006 : Grèbes huppés et castagneux, Canards colvert et chipeaux, Fuligules milouins et morillons s’y reproduisent en quantité et même un couple de Sarcelles d’été y mène à bien une nichée. Dès l’hiver suivant, des Cygnes de Bewick passent la mauvaise saison sur le site, ce qui n’était plus arrivé depuis près de 20 ans. En dehors de la période de nidification, les populations d’oiseau d’eau sont également Figure 3 Tadorne de Belon (Aquarelle M. Walravens) nettement plus nombreuses depuis la mise en réserve et la gestion appropriée des étangs en région flamande. La Dyle constitue à nouveau une zone d’hivernage importante en Belgique et majeure en Brabant : centaines de Canards chipeaux, souchets, de Sarcelles d’hiver et de Fuligules milouins et morillons et dizaines de Canards siffleurs, pilets et de Tadornes de Belon. Il est par ailleurs intéressant de noter que, depuis que le lâcher de Canards colverts à des fins cygénétiques n’est quasi plus pratiquée, cette espèce n’est plus dominante et est même régulièrement surpassée en nombre par le Canard chipeau. L’évolution des populations d’oiseaux d’eau n’est effectivement pas uniquement liée à la qualité de l’eau et à l’absence de dérangement : il y a également une extension ou un déplacement de certaines populations orientales d’anatidés vers nos contrées. Ainsi, le Fuligule morillon, qui n’était qu’un migrateur de printemps en Dyle dans les années 60, s’est établi comme nicheur vers 1977 et est désormais devenu une espèce « banale ». Il en est de même du Canard chipeau. Les ambitieuses mesures environnementales prises en faveur de certaines zones humides en Europe et la protection dont bénéficient désormais la plupart des grands échassiers portent leur fruit. Ainsi, le Héron cendré est à nouveau un nicheur bien représenté dans notre région 5 et la Grande Aigrette, autrefois visiteur exceptionnel, est désormais un hôte régulier tout au long de l’année avec une présence croissante à chaque migration (60 ex au dortoir de Neerijse en octobre 2009 !). L’observation de ces espèces, tout comme celle régulière du Butor étoilé (jusque 4 ex visibles en bordure du même plan d’eau) ou celle irrégulière des Cigognes blanches et noires, des Hérons pourprés et garde bœufs, de la Spatule blanche, de l’Aigrette garzette et même de l’Ibis falcinelle témoignent de l’attractivité des zones humides de la vallée sur ces grands migrateurs. Le réchauffement du climat est de plus en plus évoqué comme l’une des causes de l’évolution de l’avifaune, notamment par le biais de la modification de la flore, des populations d’insectes qui en dépendent, et donc de la nourriture disponible pour quantité d’oiseaux. Peut-être fautil voir là une des causes de la disparition du Pipit farlouse ou de la Pie-Grièche grise ou de l’apparition de la mystérieuse Bouscarle de Cetti, cette fauvette aquatique méridionale sédentaire apparue fin des années septantes, puis disparue suite à une succession d’hivers froids avant de refaire un retour en force il y a quelques années. Des modèles mathématiques complexes ont été utilisés pour simuler l’évolution de l’avifaune européenne suite au réchauffement global probable du climat. Ce ne sont là que des simulations, mais le bouleversement de l’avifaune serait considérable au cours du siècle à venir : apparition ou retour comme nicheur d’espèces auxquelles nous rêvons parfois comme le Guêpier d’Europe, la Huppe fasciée, le Merle de roches ou le Pipit rousseline et disparitions d’espèces plus communes comme la Locustelle tachetée, le Pouillot fitis ou la Mésange boréale (HUNTLEY & al., 2007). On ne pourrait clôturer ce bref aperçu sur l’ évolution de l’avifaune de la Dyle sans évoquer le cas des oiseaux exotiques échappés ou volontairement introduits et qui se reproduisent désormais librement. Le cas de la Perruche à collier reste actuellement assez circonscrit (Pécrot, Néthen et Hamme-Mille) et a probablement peu d’impact sur l’avifaune locale. Par contre deux grandes espèces d’anatidés, la Bernache du Canada et l’Ouette d’Egypte ont développé des populations importantes (dortoirs de respectivement plus de 500 et près de 100 ex) qui ont probablement un impact négatif pour les espèces indigènes : dérangement pendant la nidification, eutrophisation des eaux (dortoirs). En conclusion, le bilan de l’évolution de l’avifaune dans la région de la Dyle est plutôt en demiteinte : si le nombre d’espèces nicheuses et observées est relativement stable et si les effectifs de certaines d’entre elles progressent (certains anatidés, grands échassiers, rapaces), de nombreuses espèces, principalement celles des milieux agricoles ouverts et les migrateurs au long cours sont au bord de l’extinction ou ont déjà disparu. 6 La conservation de zones semi-naturelles importantes et d’un maillage écologique de qualité dans nos régions est une condition nécessaire mais malheureusement insuffisante pour assurer la survie de certaines espèces. Seule une politique de protection globale du milieu, chez nous, sur les routes de migration et dans les sites d’hivernage pourrait enrayer la raréfaction des migrateurs et leur disparition à plus ou moins court terme. Dans un monde de globalisation à outrance où le principe de l’offre et de la demande fait la loi du marché, le consommateur peut en fait faire changer bien des choses en adoptant un comportement citoyen responsable et respectueux des richesses naturelles. Adapter nos habitudes de consommation en tenant compte de notre empreinte écologique et du commerce équitable, en parler sans gêne autour de soi et sensibiliser les jeunes générations sont autant de gestes à la portée de la plupart d’entre nous qui, mis bout à bout, peuvent avoir un impact considérable pour enrayer la dégradation de la biodiversité. Le temps presse : cela fait déjà des années que la sonnette d’alarme a été tirée ! Les progrès réalisés dans la protection légale des oiseaux depuis des décennies et ceux plus récents dans la protection, la restauration ou la recréation de milieux aquatiques devraient nous inciter à mettre les résultats obtenus en évidence et à féliciter ceux qui en sont les acteurs. Un changement fondamental de la politique agricole et une évolution en douceur du métier d’agriculteur pour qu’il soit aussi un acteur clé dans le maintien et le développement de zones semi-naturelles variées et de qualité constituent un défi de taille pour les années à venir. La survie de nombreuses espèces en dépend. Bibliographie Figure 4 Hypolaïs ictérine, une espèce en forte régression (Aquarelle M. Walravens) 7 DEVILLERS P., ROGGEMAN W., TRICOT J., DEL MARMOL P. KERWIJN K., JACOB J.-P. & ANSELIN A. Eds. (1988). Atlas des oiseaux nicheurs de Belgique. Institut Royal des Sciences Naturelles de Belgique, Bruxelles HUNTLEY B., GREEN R.E., COLLINGHAM Y.C. & WILLIS S.G. (2007). A climatic atlas of European breeding birds. Durham University, The RSPB & Lynx Editions, Barcelona HENS M. (red.) (2000). Vogels in het Dijleland. De Vrienden van Heverleebos en Meerdaalwoud i.s.m. De Wielewaal afdeling Leuven, Leuven.