Des coups pour "apprendre à être un homme"
Né en Algérie en 1977, Ludovic-Mohamed est le deuxième garçon d’une famille de trois
enfants. Alors qu’il est âgé de trois ans, ses parents quittent Alger pour s’installer en
région parisienne. La famille ne reviendra au pays que pour les vacances, puis le temps
d’une année dans le chaos algérien des années 1990. Ludovic-Mohamed est un enfant
timide, efféminé. "Je suis entre les deux : un peu fille, un peu garçon", réalise-t-il à l’âge
de 8 ans.
Mais ni son père, "un voyou macho", ni son grand frère ne
l’entendent de cette oreille. "J’ai passé mon enfance avec un
père qui me disait que je n’étais qu’une 'femmelette, une
gonzesse, un pleurnichard'", témoigne le jeune homme. Pour
lui apprendre "à être un homme", son frère aîné le passe
régulièrement à tabac, allant jusqu’à lui casser le nez. "Il
avait honte de son frère ‘malade’", affirme Ludovic-Mohamed
dans son livre.
En quête d’identité, l’adolescent se plonge dans la religion.
Pris en charge par un groupe de salafistes en Algérie, il
apprend par cœur - en arabe - une partie du Coran, prie cinq
fois par jour, observe strictement les enseignements de ses
maîtres. Là aussi, ses manières considérées comme trop
efféminées finissent par déranger ses "frères", qui l’écartent
de leur communauté. Nous sommes alors en 1995, l’Algérie
s’embourbe dans la guerre civile. Le 30 janvier, un camion
bourré d’explosifs dévaste le centre d’Alger. Quarante-deux
personnes perdent la vie. L’attentat est revendiqué par le Groupe islamiste armé, le GIA.
Désert spirituel
"Ce jour là, […] je sens remuer jusqu’à mes tripes de savoir que j’ai, ne serait-ce que de
très loin, quelque chose à voir avec ces gens-là", décrit Ludovic-Mohamed. L’attentat et
son exclusion de la confrérie des salafistes algérois signent "le début d’un très long
désert spirituel, […] quinze ans durant lesquels [il] rejettera violemment l’islam". À 21
ans, il avoue son homosexualité à sa famille. Sa mère en reste inconsolable plusieurs
mois, mais son père, celui-là même qui, pendant de longues années, n’avait pas adressé
la parole à un fils qu’il n’estimait pas assez viril, lui répond : "C’est comme ça, je
comprends, il faut accepter". Une main tendue, enfin bienveillante. À cette époque,
Ludovic-Mohamed est séropositif depuis deux ans.
Malgré sa rupture avec les salafistes, la soif de spiritualité couve au fond de son âme. Le
jeune homme se tourne un temps vers le bouddhisme. "Mais je me suis rendu compte
que la misogynie et l’homophobie sont partout les mêmes", commente le jeune homme,
le regard droit derrière ses lunettes cerclées. Petit à petit, l’islam s’impose de nouveau à
lui. "J’ai recommencé peu à peu à prier, puis je suis allée une première fois faire un
pèlerinage à La Mecque, aux sources de l’islam, pour me réapproprier ma religion,
raconte-t-il. J’ai redécouvert une paix intérieure qui m’avait quittée depuis l’enfance".