Article scientifique
Les steppes arides du nord de l’Afrique
Ahmed Aïdoud
1
Édouard Le Floc’h
2
Henry Noël Le Houérou
3
1
rue des Poiriers,
35160 Breteil
2
216, Fount del Mazet,
34830 Clapiers
3
327, rue A.L. de Jussieu,
34090 Montpellier
Résumé
Les steppes du nord de l’Afrique, situées entre les isohyètes annuelles de 100 à
400 mm, couvrent plus de 63 millions d’hectares d’une végétation basse et clairse-
mée, soumise à une exploitation humaine très ancienne. La vocation historique des
steppes était l’élevage extensif d’ovins, de caprins et de dromadaires complété par la
culture itinérante des céréales. Cette situation a perduré pendant les temps histori-
ques jusqu’à la seconde moitié du XX
e
siècle. Actuellement, le constat majeur est celui
d’une diminution de la superficie de ces steppes et de leur dégradation parfois
extrême. Il en ressort que la production pastorale dans ces parcours a globalement
été marquée par un déclin significatif surtout au cours des cinq dernières décennies.
Des changements particulièrement rapides et intenses se sont opérés dans ces milieux
sous la pression des besoins croissants des populations (la population humaine a
triplé en moins de cinquante ans pour les cinq pays du nord de l’Afrique et s’est
multipliée par neuf au cours du siècle), besoins qui sont à l’origine de l’extension des
cultures, des changements de politique de gestion et donc des usages et pratiques
d’élevage, le tout aggravé par des sécheresses périodiques plus ou moins sévères et
prolongées. Il est parfois délicat, et cependant important, de distinguer les tendances
à long terme des fluctuations interannuelles réversibles. La confusion de ces deux
notions alimente un débat mal engagé du fait de la rareté à la fois de données fiables
sur les états préexistants et de suivis à long terme. Les travaux de ce type (description,
études de fonctionnement), en nette progression, conduisent à mieux cerner la
productivité et les potentialités pastorales compte tenu des variations interannuelles.
L’objectif de ce travail a été de dresser les grandes lignes de l’état actuel des milieux
steppiques, de leur dynamique non seulement en fonction de leur physionomie
(steppes à graminées pérennes, à ligneux bas, etc.), de leur biodiversité, de leur
productivité, etc. mais également en fonction de l’état du cheptel (performances et
populations) et de l’impact des changements d’usage de ces espaces et de ces
ressources. Sont également abordés les remèdes identifiés (mise en défens, pâturage
différé, opérations de restauration, réhabilitation, agroforesterie et sylvopastora-
lisme...). Si l’exploitation, parfois anarchique, des ressources steppiques, a entraîné
de profondes modifications des milieux, il ne faut cependant pas généraliser le
constat de désertisation. Certains types de steppes maintiennent un niveau de
résilience suffisant pour permettre leur restauration par la simple gestion raisonnée. Il
s’avère important de considérer des approches hiérarchisées et engageant des
spécialistes des diverses disciplines concernées (écologie, hydrologie, pastoralisme,
élevage, agronomie, socio-économie, etc.).
Mots clés : zone aride, écologie, élevage, pastoralisme, végétation, désertisation,
steppe.
Abstract
The arid steppe rangelands of Northern Africa
The steppes of Northern Africa, located between the annual isohyets of 100 and
400mm, cover some 630,000 km
2
between the Atlantic Ocean and the Red Sea.
They are made of a low and sparse vegetation of perennial of sub-shrubs and,
occasionally, a perennial grass (esparto). The natural land use has been for centuries
the nomadic grazing of sheep, goats and dromedaries, together with the shifting
cultivation of cereals. This land use model worked out throughout the historical times
Sécheresse 2006 ; 17 (1-2) : 19-30
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until the mid-XXth century in a globally stable society. At present, the main fact is the
shrinking of the steppe areas and their occasionally extreme degradation. The
consequence is that pastoral production from these rangelands has been characte-
rised by a significant decline over the past five decades. Particularly quick and
intense shifts took place under the growing pressure of population growth, which
trebled over the past half-century in the five North African countries and increased
ninefold over the century. This population growth generated the expansion of
cultivated land and a shift in land management practices which are exacerbated by
the impact of more or less severe periodic droughts. It is, however, difficult to
distinguish the long term trends from the temporary impact of interannual fluctuations
that are revertible. The confusion between these two concepts fuels the debate. This
debate is unclear because of the scant and often unreliable baseline data sources on
preexisting situations and for long-term evolutions follow-up. Such data sources
(vegetation description, functioning analyses, historical statistical figures, etc.) are on
the increase. They lead to a more reliable assessment of the biodiversity and potential
productivity of these ecosystems, under the prevalent interannual climatic variability.
The objective of the present chapter is to indicate the main lines of the present
situation in the steppe environments, of their biodiversity, productivity and dynamics
but also of livestock performance and of the overall impact of the incurring changes
on geographic space, environment and people. We also identify possible remedies
to the situation: exclosures, deferred grazing, restoration operations, rehabilitation,
agroforestry and sylvopastoralism, etc. If the sometimes anarchic utilization of steppe
resources leads to profound changes in the environment, one should not, however,
overgeneralize the established facts of progressing desertization. Some types of
steppe keep a good enough level of resilience that makes their rehabilitation feasible
under a rational management. It proves it is important to consider a hierarchical
approach involving specialists from the various disciplines concerned (ecology,
hydrology, agronomy, pastoralism, livestock husbandry, socio-economy, etc.).
Key words: arid zone, ecology, livestock, pastoralism, vegetation, desertization,
steppe.
L
es steppes du Nord de l’Afrique,
situées entre les isohyètes moyennes
annuelles 100 et 400 mm évoquent
toujours de grandes étendues de plus de
60 millions d’hectares, couvertes d’une
végétation basse et clairsemée [1, 2].
Réduites à une bande littorale plus ou
moins étroite en Égypte et en Libye, ces
steppes prennent leur extension au
Maghreb (Tunisie, Algérie et Maroc). Elles
ont été soumises à une exploitation
humaine plurimillénaire, sous forme de
pratiques diverses variant en intensité en
fonction du niveau d’aridité climatique, de
la densité de population et de l’histoire
locale des usages.
La vocation historique des steppes, depuis
le
VII
e
siècle [3], est le pastoralisme, dont
les pratiques, assez voisines à travers toute
la région, ont été probablement uniformi-
sées par les tribus venues du Proche-
Orient, notamment les Béni Hillal au
XI
e-
siècle. À travers cette « bédouinisation »
[4], les pratiques, notamment l’élevage
extensif d’ovins et de caprins et les cultures
itinérantes, étaient réglées par le mode de
vie nomade (nécessité d’une économie
d’échanges et d’exploiter des ressources
dispersées dans le temps et l’espace). Ce
mode de vie obéissait à des règles strictes
dictées par les fluctuations du climat dont
dépendait pratiquement la totalité des res-
sources pastorales et vivrières. Une telle
régulation, somme toute naturelle, s’est
perpétuée jusqu’à aujourd’hui mais en
s’atténuant nettement au cours de la
seconde moitié du
XX
e
siècle.
À travers la littérature récente traduisant
l’état actuel des connaissances, le princi-
pal constat est celui de la réduction en
superficie des steppes et la dégradation
jusqu’à l’extrême de la végétation et du sol
[5-11]. Les descriptions des steppes
d’aujourd’hui sont parfois très alarmantes,
constituant une des préoccupations majeu-
res dans l’ensemble des pays. Le phéno-
mène de dégradation des parcours steppi-
ques n’est pas récent et a été rapporté
depuis plus d’un siècle [12-15]. Au cours
des quatre dernières décennies, ces
milieux semblent avoir subi des change-
ments particulièrement rapides et intenses,
mais cette période a été également mar-
quée par des sécheresses récurrentes, plus
ou moins graves selon les régions. Les
changements profonds des politiques de
gestion adoptées ainsi que des usages et
pratiques d’élevage ont certainement
modifié les niveaux des impacts anthropo-
zoïques sur la végétation et les milieux
[16, 17]. Les besoins de populations en
constant accroissement ont aggravé la
« saturation des parcours » [18] sur des
surfaces pastorales en constante régres-
sion suite à l’extension des cultures et à
une plus forte pression pastorale directe
ou indirecte [16, 19, 20]. C’est dire le
dynamisme élevé des milieux et des phyto-
cénoses en perpétuel changement dont
l’évaluation de l’état actuel ne peut se
suffire d’un « arrêt sur image ». Il s’agit
d’extraire les tendances à long terme en
les distinguant des fluctuations naturelles
plus ou moins réversibles. La confusion de
ces deux notions est souvent reprochée
aux nombreux écrits récents par trop alar-
mistes alimentant un débat persistant sur la
réalité même des changements [21, 22]. Il
s’agit également de se référer aux diagno-
ses confirmées des états préexistants afin
d’évaluer les changements et leurs causes.
Depuis une cinquantaine d’années, les
steppes du nord de l’Afrique ont bénéficié
d’une quantité impressionnante de tra-
vaux. La biogéographie, la phytoécologie
et l’inventaire des ressources ont fourni des
connaissances de grande valeur à travers
l’ensemble du nord de l’Afrique [1,
23-26]. Ces travaux ont été le plus souvent
accompagnés de cartographies des res-
sources végétales et pastorales. Souvent,
hélas, les échelles utilisées permettaient
plus la localisation des ressources que leur
aménagement [27-29] ; la finalité des tra-
vaux dépendait du secteur et des objectifs,
dans un monde où les forces directrices en
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interaction sont d’une extrême complexité.
Des travaux, moins nombreux, consacrés
au fonctionnement (notamment au niveau
de la production primaire) ont conduit à
mieux cerner la productivité et les potentia-
lités pastorales en tenant compte des
variations interannuelles [30-34]. Des
recherches récentes ont proposé et expéri-
menté des approches pour la conservation
ou la restauration de ces espaces dans une
optique de durabilité [20, 35, 36].
La pression anthropique croissante et les
changements rapides ont fait ressortir
l’intérêt et la nécessité du suivi à long
terme dans le cadre de programmes inter-
nationaux Mab/Unesco [37] et de l’inté-
gration de la sociologie, de l’économie et
de l’hydrologie. Cette nécessaire interdis-
ciplinarité ressentie et tant recherchée n’a
eu que peu d’applications effectives en
raison non seulement d’insuffisances
objectives d’intégration méthodologiques
et d’échelles spatio-temporelles et de
moyens mais également de difficiles liens
entre les institutions et les secteurs concer-
nés [38, 39].
Partant de cette problématique d’évalua-
tion des ressources végétales et animales
dans les steppes du nord de l’Afrique,
l’objectif de ce travail est de dresser les
grandes lignes de l’état actuel des milieux
steppiques en insistant sur leur dynami-
que. On s’appuiera pour ce faire sur les
synthèses régionales et sur quelques étu-
des de cas.
Aperçu général
Les steppes couvrent, dans les cinq pays
du Machrek africain au Maghreb, (de
l’Égypte au Maroc), des situations variées
qu’il est possible de résumer comme suit :
les plus étendues sont les steppes dites
« de plaines », qu’elles soient Hautes Plai-
nes, allant de la dépression du Hodna en
Algérie à l’Oriental marocain, ou Basses
Plaines tunisiennes ;
les steppes de piémonts des montagnes
des chaînes atlasiques du Maghreb ou des
collines au voisinage de ces montagnes ;
celles, plus limitées, de la frange littorale
de la Jeffara (Tunisie, Libye), de la Marma-
rique (Égypte) et du Sud-Ouest marocain
[2].
Dans les deux premiers ensembles oroto-
pographiques et géomorphologiques, il
convient de distinguer les situations éda-
phiques de glacis à sol squelettique sur
croûte, souvent héritées du quaternaire
ancien, des situations plus ou moins
dépressionnaires à sol profonds affectées
au quaternaire moyen à récent [14, 40,
41].
Le climat, de ces zones, est méditerranéen
aride
1
[2]. La pluie est l’élément climatique
prépondérant et la délimitation des zones
climatiques peut être valablement fondée
sur la moyenne pluviométrique annuelle
(P en mm/an). La variabilité interannuelle
des pluies, qui constitue également un fac-
teur primordial pour le fonctionnement des
systèmes arides, peut être approchée par
le coefficient de variation de P (de 30 à
60 % pour la zone aride stricto sensu).
Ainsi, les zones arides du nord de
l’Afrique occupent plus de 60 millions
d’hectares (tableau 1)
.
La partie correspondant aux parcours pas-
toraux occuperait de 33 à 48 des 63 mil-
lions d’hectares de la zone aride.
Les parcours steppiques ont été longtemps
voués au pastoralisme associé à une
céréaliculture de subsistance plus ou
moins itinérante. Dans les Hautes Plaines,
selon un adage bédouin, les parcours
s’étendent depuis la ligne de semoule (khet
e’smid en arabe) ou aire d’extension géné-
ralisée de la céréaliculture au nord à la
ligne de palmes (khet e’djerid) au sud.
Cette délimitation, surtout dictée par les
usages, correspond au moins dans sa par-
tie sud à celle de l’étage aride [2] avec,
comme indicateur, l’apparition du palmier
dattier des oasis. En limite nord de la
steppe, la céréaliculture, quoique n’étant
rentable qu’à partir de 400 mm de
pluie/an, est souvent pratiquée jusqu’à
300 voire moins de 200 mm/an.
Outre la pluviosité, la moyenne des tempé-
ratures minimales du mois le plus froid (m)
est un paramètre permettant de caractéri-
ser le bioclimat et par suite le type d’usage
des terres. Ce paramètre est très utile
comme indicateur des potentialités de
croissance de plantes (introduites et culti-
vées), dans les zones arides du nord de
l’Afrique [42]. Ainsi, la culture de l’olivier,
dominante arboricole dans la région
côtière du golfe de Gabès, nécessite une
valeur de « m » supérieure à+2°C[2].
Cela permet de comprendre la différence
d’usage entre les parcours steppiques des
Basses Plaines tunisiennes et ceux des
Hautes Plaines steppiques algéro-
marocaines.
Les parcours steppiques
Il s’agit majoritairement de formations
steppiques arides dont il est difficile de
dresser un état actuel exhaustif et précis
faute de données suffisantes et compte
tenu de la diversité des situations et des
déterminants d’une région à l’autre. Les
valeurs « moyennes » actuelles sont rap-
portées dans le tableau 2
.
Les types de parcours
et leur dynamique actuelle
La typologie des parcours steppiques peut,
valablement, être calquée sur les types
1
Sont données ici les caractéristiques essentiel-
les ; pour plus de détail consulter les synthèses
climatiques du nord de l’Afrique (2, 42).
Tableau II.Parcours steppiques arides (100<P<400mm/an) du nord de l’Afrique (en millions
d’hectares).
Zone aride Zone steppique
potentielle Parcours
Algérie 21,6 20 13
Égypte 3,0 3 1
Libye 19,3 19 12
Maroc 12,0 11 9
Tunisie 6,9 7 5
Total 62,8 60 40
Tableau I.Répartition des zones arides du nord de l’Afrique (en millions d’hectares) [2].
Bioclimat Subhumide et
humide Aride (stricto sensu) Total aride Per-aride
Pmm/an > 400 300-400 200-300 100-200 100-400 50-100
Algérie 18,1 5,9 7,0 8,7 21,6 (34 %) 38,6
Égypte 0 0 0 3,0 3,0 (05 %) 3,0
Libye 0,5 1,3 4,2 13,8 19,3 (30 %) 15,3
Maroc 19,7 3,8 4,4 3,8 12,0 (19 %) 7,0
Tunisie 3,7 1,3 2,8 2,8 6,9 (11 %) 5,4
Total 42,0 12,3 18,4 32,1 62,8 (100 %) 69,3
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physionomiques définis par des végétaux
pérennes spontanés dominants qui demeu-
rent des indicateurs écologiques et d’usa-
ges. Sont ainsi distinguées [1, 2] :
les steppes graminéennes ;
Les steppes arbrissélées ;
Les steppes crassulescentes ;
les steppes succulentes.
Steppes graminéennes
Ces steppes sont dominées par des grami-
nées pérennes cespiteuses telles que
l’alfa
2
(Stipa tenacissima), le sparte
(Lygeum spartum) et certaines autres moins
sociables comme le drinn (Stipagrostis
pungens), le zouaï (Stipa lagascae,
S. barbata ou S. parviflora) et le n’djem
(Cynodon dactylon).
La graminée la plus symbolique de ces
steppes
3
est l’alfa (Stipa tenacissima), qui
se développait en général sur des sols peu
profonds et bien drainés. N’ayant, suite à
son éradication, persisté que sur les hauts
de glacis de raccordement aux djebels, ce
type de steppe est en voie de disparition
dans ses faciès de plaine où l’alfa ne se
régénère plus [2, 43]. Dans une steppe en
bon état (nappe alfatière), l’alfa peut
représenter plus de 90 % de la phyto-
masse. La touffe d’alfa a une taille
moyenne de 0,5 à 1 m et sa biomasse
aérienne, dans une nappe de densité
moyenne, est de l’ordre de 5
à10tMS
4
/ha. Il convient de préciser
que la partie verte ne représente en
moyenne que 20 % de la phytomasse.
Pour une biomasse de 1 000 kg MS/ha
la productivité nette aérienne moyenne est
de 410 ± 110 kg MS/ha/an [33]. Dans
la steppe, l’alfa ne se reproduit quasiment
que par voie végétative. La touffe croît
lentement et se creuse au centre formant
une couronne qui se fractionne dans le
temps pour donner de nouvelles touffes. La
touffe d’alfa forme une butte où le sol est
plus riche en matière organique et en
particules fines permettant une plus
grande rétention d’eau et une plus grande
richesse en éléments biogènes [44, 45]
que dans l’espace interstitiel. Au plan pas-
toral, seules les pousses récentes et les
inflorescences (bôss) de l’alfa sont
consommées ; elles étaient souvent récol-
tées et vendues comme fourrage. Les lim-
bes ne sont utilisés traditionnellement
qu’en accompagnement de l’appoint four-
rager en période d’agnelage.
La régression de cette espèce a été consta-
tée pour toute son aire nord-africaine [19,
24, 43]. Ces steppes qui couvraient un
peu plus de 8 millions d’hectares dans les
années 1950 [24], ne couvriraient plus
que trois millions d’hectares [2]. La régres-
sion la plus forte est sans doute celle enre-
gistrée dans le Sud oranais où, en moins
de dix ans, la quasi-totalité des nappes de
plaines a disparu, soit près d’un million
d’hectares (figure 1)
. Outre le pâturage,
l’exploitation principale a été,
depuis 1862, la cueillette à des fins
industrielles qui, déjà en 1887, était
considérée comme inadaptée [46]
.
Même pratiquée manuellement, celle-ci a,
certainement, été préjudiciable à la repro-
duction de la ressource, la quantité exploi-
table étant établie par rapport à la bio-
masse verte sur pied et non sur la
productivité biologique réelle. Cette
exploitation a beaucoup régressé dès les
années 1970 et n’existe pratiquement
plus suite à la disparition quasi totale des
nappes exploitables en plaine. D’un point
de vue dynamique, les conditions qui ont
présidé à la genèse des sols alfatiers step-
piques n’existent plus [41] ce qui justifie le
qualificatif de « fossile » parfois attribué à
ces steppes [47, 48]. Les steppes d’alfa
ont néanmoins réussi à traverser des siè-
cles, voire des millénaires, d’aléas climati-
ques, d’exploitation par l’homme et ses
troupeaux.
Une autre steppe graminéenne bien repré-
sentée au Maghreb est celle dominée par
le sparte (Lygeum spartum) qui présente
une amplitude écologique plus large [2,
49] que celle de l’alfa. L’espèce, considé-
rée comme gypsophile obligatoire dans le
Centre-Sud tunisien [50], peut également
cohabiter avec des halophytes. Dans les
Hautes Plaines où elle peut constituer
d’importantes ressources, elle est surtout
liée aux voiles sableux dont l’expansion a
été très nette durant les dernières décen-
nies [51]. Lorsque le sparte est dominant
(glacis encroûté et ensablé à sol profond),
sa biomasse atteint de 600 à 900 kg
MS/ha et sa productivité 260 ± 120 kg
MS/ha/an [52]. Sur glacis à croûte cal-
caire et à la faveur des ensablements, le
sparte s’est étendu, durant les dernières
décennies, aux dépens souvent des autres
espèces pérennes dominantes et surtout de
l’alfa. Il est alors le plus souvent accompa-
gné de ligneux bas des genres Artemisia,
Salsola,Thymelaea. Dans cette situation,
le sparte occupe généralement des voiles
sableux de 15 à 20 cm de profondeur
[53] et sa biomasse est nettement plus
faible que celle de l’alfa (moins de
500 kg MS/ha pour un couvert végétal
de 10 à 20 % [52]).
Parmi les autres steppes graminéennes,
citons celle à drinn (Stipagrostis pungens)
qui occupe les accumulations et placages
sableux mobiles en rupture de pente en
bordure d’oueds, chotts, etc. Psammophile
et fixatrice des sables, cette espèce s’ins-
talle également sur les glacis dès que
l’accumulation sableuse devient supé-
rieure à 50 cm mais n’atteint cependant
pas une forme aussi sociale que le sparte
ou l’alfa. L’installation du drinn a été
observée suite à la destruction de l’alfa et
à de fortes accumulations de sable dans le
site de Rogassa du Sud oranais [43].
Steppes arbrissélées
Ces steppes sont structurées par des arbris-
seaux ou sous-arbrisseaux tels que les
armoises (Artemisia herba-alba = Seriphi-
dium herba-album,A. campestris,A. mono-
sperma), l’arfej (Rhanterium suaveolens), le
rem’t (Hammada scoparia) et le baguel
(Hammada schmittiana), le chobrog
(Noaea mucronata), des hélianthèmes
(Helianthemum hirtum, H. lipii, H. virgatum,
H. cinereum), l’ajrem (Anabasis sp.), le serr
(Atractylis serratuloides,A. phaeolepis...).
2
Les noms vernaculaires varient souvent d’une
région à l’autre.
3
Stipa du russe step = steppe.
4
MS : matière sèche.
0,0
1,0
2,0
3,0
1860 1880 1900 1920 1940 1960 1980 2000
106 ha
Figure 1
.
Évolution estimée des steppes d’alfa (en millions d’hectares) dans les Hautes Plaines
(versants exclus) du Sud oranais (Algérie) [43].
22 Sécheresse vol. 17, n° 1-2, janvier-juin 2006
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La plupart de ces steppes peuvent se pré-
senter en formations pures ou mixtes
(mosaïques). Dans de nombreux cas, au
moins dans sa partie nord de notre dition
(aride moyen à supérieur), les steppes sont
considérées comme issues de formations
arborées ou arbustives ayant persisté dans
certains cas jusqu’au début du
XX
e
siècle.
Ainsi, des ligneux hauts peuvent être mêlés
à ces steppes (ou les ponctuer) :
des arbustes dont les plus répandus : le
sedder ou sedra (Ziziphus lotus), le r’tem
(Retama raetam et R. sphaerocarpa), le
talha (Acacia tortilis subsp raddiana), le
tarfa (Tamarix sp.) ;
des arbres à l’état de relique de forma-
tions forestières maintenant disparues ou
en forte régression comme les pins (Pinus
halepensis)etmêmedesAcacia...
La steppe à armoise blanche (Artemisia
herba-alba) est la plus commune de ce
type de formations. Elle couvrait, en Algé-
rie [54], en faciès purs relativement homo-
gènes, une surface évaluée à
10,5.10
6
hectares [23]. Le couvert végé-
tal d’une telle steppe en bon état est sou-
vent supérieur à 30 %, dont 20 à 25 %
pour l’armoise seule. Cette steppe, qui a
été décrite comme caractérisant les sols
lourds des dépressions d’où elle a été
progressivement éliminée par la mise en
culture, semble être devenue typique des
sols limono-sableux des glacis à croûte
calcaire [51]. Malgré son exceptionnelle
résistance à la sécheresse et au pâturage
[55, 56], elle est désormais en forte
régression. De même, dans les situations
où elle subsiste, son couvert a beaucoup
baissé et la contribution de l’armoise a
nettement régressé au profit de celle
d’autres espèces moins appréciées du
bétail : Atractylis serratuloides,Anabasis
sp., Noaea mucronata,Hammada sp. et,
localement, Salsola vermiculata. Le cou-
vert végétal des pérennes est alors de
l’ordre de 5 à 10 %. De même, le sparte
apparaît chaque fois que la surface est
ensablée. Les espèces citées, et notam-
ment N. mucronata, peuvent, former des
faciès presque purs, lorsque l’armoise a
complètement disparu. Dans la zone la
plus aride, entre les isohyètes annuelles
de 100 et 200 mm de pluie, c’est la
steppe à Hammada scoparia qui lui fait
suite.
Sur sols sableux, se développent les step-
pes à armoise champêtre (Artemisia cam-
pestris subsp. glutinosa) qui forme souvent
des faciès postculturaux.
Sous l’isohyète annuelle de 200 mm, la
steppe à Hammada schmittiana, se déve-
loppe sur sables grossiers. Sous ces
mêmes conditions climatiques, dans les
steppes sur sables, les jachères et les for-
mations postculturales évoluent vers la
steppe à Rhanterium suaveolens.
L’ensemble des liens dynamiques qui
expliquent les passages entre les différents
types de steppes, sur sols squelettiques ou
sols profonds plus ou moins sableux, a été
détaillé par Le Houérou pour l’ensemble
du Nord de l’Afrique [1, 57].
Les changements peuvent être relativement
progressifs, en particulier lorsqu’ils sont
liés au pâturage qui permet, pour un
temps, le maintien d’une partie plus ou
moins importante des plantes pérennes. La
dégradation peut être très lente, se tradui-
sant par des changements seulement per-
ceptibles sur le très long terme. C’est ce
qui a marqué au Maghreb, à l’échelle du
siècle, le passage des steppes d’alfa vers
d’autres formations comme celles à
armoise blanche ou à sparte en Tunisie
[15], en Algérie [51, 58-60], et au Maroc.
Cependant, les changements peuvent être
parfois rapides et détectables en moins
d’une décennie sur la végétation [61] et
sur le sol [62].
Steppes crassulescentes
et les steppes succulentes
Les autres types de steppes, d’extension
plus restreintes dans le contexte climatique
considéré, sont les steppes crassulescentes
à base de salsolacées halophiles (bordu-
res de sebkhas) et les steppes succulentes
à glycophytes charnus (zones côtières à
forte humidité atmosphérique au Maroc
atlantique et littoral de la mer Rouge en
Égypte) [1].
Biodiversité
En considérant la composition et la
richesse spécifiques, en tant qu’acceptions
classiques de la diversité, outre les espè-
ces pérennes souvent minoritaires, le cor-
tège floristique est composé de thérophy-
tes et de « petites vivaces ». Ces deux
derniers types biologiques sont regroupés
sous les vocables d’« éphémères » ou
d’arido-passives [63, 64] en raison de
leur dormance physiologique estivale.
Cette catégorie, la plus abondante, est
déterminante pour la composition et la
diversité spécifique des steppes arides.
Les études phytosociologiques menées
dans les milieux steppiques ont défini des
phytocénoses dont la composition était
significativement individualisée et relative-
ment stable selon les types de milieux et de
steppes [14, 15]. La dégradation actuelle
s’accompagne de la disparition de nom-
breuses espèces caractéristiques de grou-
pements et de l’arrivée d’espèces plus ou
moins ubiquistes, qui, de ce fait, expli-
quent l’homogénéisation progressive des
cortèges floristiques des steppes et leur
banalisation [35, 61, 65, 66].
Les pérennes étant en régression, les éphé-
mères tendent, au plan fonctionnel, à
dominer et à rythmer la production pri-
maire selon les aléas climatiques intersai-
sonniers ou interannuels. Certaines espè-
ces n’apparaissent que très rarement car
nécessitant une pluviosité et des conditions
particulières pour s’exprimer
5
[52, 67,
68]. L’observation à long terme permet
ainsi de valider la composition floristique
totale qui, souvent ne peut être appréhen-
dée en une seule observation [52]. De
même, elle permet de vérifier les hypothè-
ses dynamiques. Les schémas dynamiques
développés à partir des liens de contiguïté
entre les groupements végétaux ont mon-
tré une tendance à l’augmentation de la
richesse en thérophytes qui semble être un
corollaire à la dégradation et à la déserti-
fication ou, en d’autres termes, une straté-
gie d’adaptation vis-à-vis d’une baisse du
couvert végétal et des ressources édaphi-
ques, notamment de la réserve en eau utile
[69]. Cet accroissement des thérophytes a
été mis en évidence notamment au Maroc
[65], dans les Hautes Plaines algériennes
[51, 60] et en Tunisie aride [66]. De toute
manière, le taux de thérophytes dans les
communautés, augmente naturellement
avec l’aridité.
La diversité concerne aussi les habitats.
Dans le Sud oranais, un suivi à long terme
d’un site permanent a montré que la des-
truction d’une espèce pérenne (ex. : l’alfa)
a entraîné, en quelques années, l’extinc-
tion locale d’espèces, comme Atractylis
phaeolepis,Bromus squarrosus,Xeranthe-
mum inapertum ou Sedum sediforme, rat-
tachées aux steppes arborées et matorrals
[51]. Pour ces espèces, la touffe d’alfa
constituait un habitat indispensable [52] et
leur disparition s’est opérée parallèlement
à l’installation d’espèces synanthropes
6
augmentant, pour un temps, la richesse
locale dans une situation qualifiée d’inter-
médiaire [61]. De nombreux exemples
montrent que les changements de compo-
sition et la baisse de diversité résultent de
changements opérés dans l’habitat, et sur-
tout dans et à la surface du sol, en général
suite à une baisse du niveau trophique. En
moins de 10 ans, le long d’un gradient de
pression pastorale, la perte de biodiver-
sité s’est accompagnée d’une réduction du
couvert des pérennes (- 57 %), de la
matière organique (- 23 à - 63 %) et des
argiles et limons fins (- 28 à - 87 %) selon
les niveaux des prélèvements [45].
Ces paramètres édaphiques d’habitat
n’expliquent pas toutes les dimensions de
5
C’est le cas de Catapodium tenellum poacée
qui n’a été relevée dans la steppe d’armoise
quunefoistousles5à10ans.Cetteespèceest
par ailleurs une caractéristique des pelouses
pionnières des landes bretonnes.
6
Préféré à « mauvaise herbe » qualifiant les
espèces invasives de façon générale liées aux
diverses activités humaines [65].
Sécheresse vol. 17, n° 1-2, janvier-juin 2006 23
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