austral (7 138 cas rapportés entre le 28 mars 2005 et le
8 janvier 2006, soit un taux d’attaque d’environ 9,5/1 000
habitants) [2]. Depuis janvier 2006, on estime que 173 000
personnes ont été infectées. Toute l’île est maintenant tou-
chée, à l’exception des zones de haute altitude. Au total
186 000 personnes auraient été infectées, pour une popula-
tion totale de 750 000 habitants [3]. En parallèle, dès fin
mars 2005, les îles Seychelles, Maurice et Mayotte ont été
également touchées par l’épidémie de virus Chik et il y a
une augmentation des cas depuis janvier 2006. Madagascar
connaît aussi une circulation active du virus.
Sur l’île de la Réunion, on pense que la transmission du
virus Chik est assurée principalement par Ae. albopictus
qui s’y est répandu grâce à sa grande plasticité écologique
puisqu’il colonise indifféremment les zones urbaines et
sylvatiques, les gîtes artificiels et naturels. Le rôle véritable
joué par Ae. albopictus reste toutefois encore débattu.
Comme Ae. aegypti, cette espèce possède des œufs dura-
bles supportant la dessiccation, propriété qui est à l’origine
de son succès actuel puisqu’elle a réussi à s’implanter en
Amérique du Nord et du Sud, en Afrique et dans le sud de
l’Europe dont la France. En laboratoire, Ae. albopictus est
décrit comme plus réceptif au virus Chik qu’Ae.aegypti et
cela est d’autant plus prononcé vis-à-vis du génotype asia-
tique. Pourtant, Ae. albopictus est considéré comme le vec-
teur secondaire de Chik après Ae. aegypti en Asie. Si
l’homme est l’hôte vertébré amplificateur principal et pro-
bablement unique du virus Chik à l’île de la Réunion, alors
l’intensité du contact homme-vecteur pourrait avoir favo-
risé la transmission du pathogène par Ae. albopictus. Si
cela s’avère être la réalité, la lutte antivectorielle ciblée
pourrait avoir un effet significatif dans le contrôle de l’épi-
démie. Il a été montré que les populations d’Ae. albopictus
de l’Océan indien (La Réunion, Madagascar) avaient une
compétence supérieure pour les virus de la dengue que
celles du Sud-Est asiatique. Il est donc indispensable de
vérifier si le même schéma se reproduit pour le virus Chik et
d’évaluer en parallèle la capacité vectorielle de ce mousti-
que (figure 1).
Habituellement, les manifestations cliniques de l’infection
par le virus Chik se résument à une forte fièvre, des mani-
festations cutanées et, surtout, des douleurs articulaires
intenses invalidantes et persistantes. À côté de ces formes
classiques de la maladie, ont été décrites à La Réunion, des
formes graves ayant nécessité une hospitalisation prolon-
gée, et qui n’avaient pas été rapportées jusqu’ici, comme
des méningoencéphalites (20 cas dont 10 chez les nouveau-
nés), des atteintes cardiaques et péricardiaques, des hépati-
tes fulminantes (5 cas) et des dermites sévères. Plusieurs
cas de méningoencéphalite ou de syndromes algiques sévè-
res chez des nouveau-nés ont été associés à une possible
transmission materno-fœtale du virus.
Plus de 90 certificats de décès mentionnant « Chikungu-
nya » comme cause immédiate ou associée du décès ont été
enregistrés. Ces décès ont concerné pour l’essentiel des
sujets âgés (moyenne d’âge 78 ans) et fragilisés par des
pathologies associées, mais aussi deux enfants en bonne
santé. Les données de mortalité sont en cours d’analyse par
l’InVS afin de préciser l’implication du virus. S’il apparais-
sait que le virus est le seul responsable de certaines formes
graves, il conviendra de rechercher s’il n’a pas acquis un
pouvoir pathogène accru. Il reste possible cependant que
ces formes n’aient jamais été détectées par le passé en
raison de l’attention insuffisante portée à la maladie. La
co-infection par d’autres arboviroses circulantes doit bien
sûr être prise en compte dans la sévérité de la maladie.
Certaines complications pourraient aussi avoir une origine
médicamenteuse (paracétamol...)
Préalablement décrites lors de précédentes épidémies à virus
Chik en Afrique et en Asie [4]
, la persistance et la réappari-
tion des douleurs articulaires ont été rapportées chez de
nombreux patients depuis le début de l’épidémie sur l’île de
la Réunion. Un tel phénomène pourrait avoir des origines
variées : une auto-immunité développée en réponse à l’in-
fection virale ou la persistance du virus Chik dans certains
tissus cibles, comme pour d’autres alphavirus neurotropes
qui sont hébergés dans le système nerveux central. Alterna-
tivement, on peut évoquer la possibilité de ré-infestations
par le virus, mais cette hypothèse contredit la notion géné-
ralement admise d’une immunité protectrice durable suc-
cédant à toute infection arbovirale. Ces questions devraient
trouver des réponses rapides ; l’étude des malades et la
mise au point d’un modèle animal sensible à l’infection par
le virus Chik apparaissent comme des priorités. De plus, la
transmission mère-enfant du virus Chik s’étant avérée pos-
sible, il sera indispensable d’évaluer la capacité du virus
Chik à traverser la barrière placentaire et les conséquences
sur le développement du fœtus. Enfin, il sera également
important d’évaluer l’importance de l’infection par
d’autres arboviroses sur la sévérité de la maladie.
L’ampleur de l’épidémie sur l’île de La Réunion est telle
que l’on peut s’interroger sur les facteurs qui l’ont facilitée.
L’évaluation de la compétence et la capacité vectorielle des
moustiques vecteurs sont prioritaires. Aussi, force est de
constater que l’on connaît mal la pathogénicité du virus
Chik, ainsi que les chaînes de transmission au sein de son
écosystème. D’un point de vue virologique et épidémiolo-
gique, il faut envisager la possibilité que des variants du
virus Chik dotés d’un pouvoir pathogène accru pour
l’homme commencent à émerger. De tels variants pour-
raient également s’être adaptés pour une meilleure effica-
cité de transmission par Ae. albopictus. L’analyse des
séquences génomiques d’isolats viraux obtenus séquentiel-
lement au cours de l’épidémie, ainsi que la comparaison
avec des souches isolées d’épidémies plus anciennes en
Éditorial
Virologie, Vol. 10, n° 1, janvier-février 2006
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