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MONTÉE DU TOTALITARISME ISL AMIS TE
par Ilios Yannakakis*
L’échec du processus constitutionnaliste
et des socialismes arabes. Le cas de l’Égypte.
Q
UE SE PASSE-IL DANS LES PROFONDEURS
sociologiques et anthropologiques du
Moyen-Orient pour que des manifestations d’extrême violence aient aliéné des
populations entières en les enfermant psychologiquement et idéologiquement
dans un univers à part et en les coupant du monde moderne, pluraliste et tolérant?
Cette régression n’annihile-t-elle pas la créativité des élites intellectuelles et n’abaisset-elle pas le niveau général du savoir par des censures d’un autre âge? Ne génère-t-elle
pas de sanglants conflits interreligieux et ethniques et n’alimente-t-elle pas des passions collectives meurtrières, voire l’infernale spirale du terrorisme?
Répondre à toutes ces questions n’est pas notre propos. Néanmoins elles s’inscrivent
en toile de fond de l’évolution des pays du Moyen-Orient. Elles sous-tendent l’échec du
parlementarisme libéral instauré au moment de leur indépendance.
Par son système constitutionnel parlementaire, l’Égypte, indépendante depuis
1922, semblait destinée à devenir le modèle des nouvelles nations d’Orient. Mais cinquante ans plus tard elle allait donner l’exemple le plus patent du discrédit dans
lequel ce système a sombré.
Réformes et idée constitutionnaliste en Égypte
Par sa situation géographique et son histoire, l’Égypte a toujours occupé une place à
part au Moyen-Orient. Bien qu’elle fût liée par des liens de vassalité à l’empire ottoman, elle jouissait d’une indépendance effective vis-à-vis de la Porte. Au début du
XIXe siècle, sous la forte impulsion de Mohammed Ali Pacha, l’Égypte s’éveilla.
Fondateur de la dynastie qui devait rester au pouvoir jusqu’à la révolution de Nasser
* Ilios YANNAKAKIS est historien, universitaire.
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en 1952, Mohammed Ali accomplit une œuvre réformatrice qui porta ses fruits: grâce
à lui, l’Égypte a pris conscience d’elle-même, de ses ressources, de sa richesse et s’est
ouverte au progrès et à l’Europe. Sous le règne de ses descendants, en particulier celui
du Khédive Ismaïl (1863-1879), le « réveil » de l’Égypte s’accentua. Le Khédive décréta
l’arabe langue officielle de l’administration, procéda à de grands travaux d’infrastructure – chemins de fer, canaux, ponts – qui accélérèrent l’industrialisation du
pays. Il fonda la Bibliothèque nationale et le Musée d’Antiquités égyptiennes. Un
nouvel urbanisme, marqué par l’influence haussmannienne, transforma et modernisa Alexandrie et Le Caire. Des dizaines de milliers d’étrangers de condition modeste
affluèrent dans le pays, devenu leur « America, America » où ils trouvèrent accueil et
opportunités de travail.
Durant la seconde moitié du XIXe siècle, le nationalisme égyptien, embryonnaire
jusque-là, prit son essor et se distingua nettement du nationalisme arabe, lequel s’enracinait dans les provinces asiatiques de l’Empire turc en réaction d’abord à l’absolutisme hamidien (du sultan Abdul-Hamid II) et après la révolution de 1908, à la dictature des Jeunes Turcs.
C’est à cette époque qu’en Égypte une nouvelle classe sociale émerge et supplante
peu à peu l’ancienne aristocratie locale, circassienne et turque. Composée d’avocats,
d’écrivains, de médecins, d’ingénieurs, de militaires, de journalistes, de professeurs,
d’intellectuels, elle aspirait à jouer un rôle décisif dans la vie politique. Un bouillonnement d’idées agitait ces nouvelles couches sociales et donnait à l’Égypte son caractère
particulier. Au contact de la pensée occidentale, des leaders nationalistes de souche
égyptienne, qu’une génération séparait de leur origine rurale, impulsèrent au mouvement nationaliste l’idée constitutionnaliste. Pour eux, la Constitution ancrait et légitimait l’indépendance nationale; le mot de « watan » prit le sens de « patrie », tandis
que le mot « oumma » acquit celui de « nation ». C’est parmi cette génération que se
développa un mouvement libéral et constitutionnel, doublé d’un mouvement nationaliste avec lequel il s’identifiait ou tendait à s’identifier. L’École de droit français, fondée en 1886, dont nombre d’avocats et de juristes égyptiens sortirent diplômés, ne fut
pas étrangère à la diffusion du constitutionnalisme.
Dans les dernières années du XIXe siècle vinrent s’installer en Égypte des théoriciens de l’arabisme – des Libanais ou des Syriens, le plus souvent des chrétiens,
fuyant l’absolutisme du Sultan. Ils préparèrent les esprits à une conception nouvelle
du monde oriental. À la notion de religion jusqu’alors prépondérante, ils s’efforcèrent de substituer celle de « race », empruntée à l’Occident. Pour eux, le passé
musulman s’effaçait devant le passé arabe. Ils rénovèrent la langue arabe en l’adaptant à la civilisation moderne et suscitèrent une renaissance de la culture arabe. Mais
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les nationalistes égyptiens ne nourrissaient aucune sympathie pour les aspirations
nationales des premiers défenseurs de l’arabisme. L’Égypte ne se sentait pas arabe.
Elle avait même si peu conscience de l’être que, dès la fin de la première guerre mondiale, au moment où elle obtenait son indépendance, certains de ses hommes de lettres accordaient un intérêt plus grand au lointain passé égyptien, en se demandant si
l’Égypte deviendrait « pharaonique » ou resterait musulmane. Un grand intellectuel
comme Taha Hussein affirmait que l’intelligence égyptienne, tout en étant musulmane, procédait de la civilisation gréco-latine. Futur ministre de l’Éducation nationale, il tenta d’introduire l’étude du grec et du latin à côté de celle de l’arabe dans les
écoles. Mais ce mouvement intellectuel resta superficiel et n’exerça aucune influence
sur les masses. Pour les leaders nationalistes, dont la figure éminente était Saad
Zaghloul, l’Islam était consubstantiel au mouvement pour l’indépendance nationale.
L’indépendance de l’Égypte
Bonaparte avait révélé à l’Occident l’importance stratégique de l’Égypte; elle s’accrut
encore avec l’ouverture du Canal de Suez en 1869: désormais, « la route des Indes »
traversait son territoire. L’Égypte devenait un enjeu capital pour la Grande-Bretagne
qui l’occupa en 1882. La présence britannique, qui devait être provisoire, se transforma à la faveur de la Première Guerre mondiale en protectorat (1914-1922).
L’occupation britannique contribua dans une large mesure à stimuler une conscience
nationale qui ne cessera plus dès lors de s’affirmer.
Deux grands problèmes, liés l’un à l’autre, se posaient au mouvement
nationaliste: celui de l’absolutisme khédivial face à une nation qui voulait être souveraine, et celui de l’évacuation des troupes étrangères et de l’indépendance.
À ses débuts, c’est-à-dire à la fin de la Première Guerre mondiale, le Wafd –dont
la traduction est « délégation de la nation »– n’est pas un parti. Sous la conduite de
son chef Saad Zaghloul, il s’identifiait à la Nation et demandait la suppression du
protectorat britannique et l’indépendance de la vallée du Nil, d’Alexandrie à
Khartoum. Les Britanniques déportèrent Saad Zaghloul et trois autres dirigeants de
la délégation du Wafd à Malte. L’Égypte se souleva, des manifestations monstres
embrasèrent les villes. La Grande-Bretagne céda et les leaders furent libérés. Mais la
pression populaire ne faiblit pas. Par la « Déclaration à l’Égypte » présentée au sultan
Fouad, le 22 février 1922, la Grande-Bretagne mit fin au protectorat. L’Égypte fut
proclamée indépendante mais cette indépendance restait limitée : les Britanniques
prenaient en charge la sécurité des communications, la défense du pays contre toute
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agression étrangère, la protection des intérêts étrangers et celle des minorités, le
condominium sur le Soudan.
Promulguée le 19 avril 1923, la Constitution égyptienne, inspirée de la
Constitution belge, consacrait le principe de la souveraineté de la Nation et celui de
la responsabilité ministérielle devant un Parlement composé de deux Chambres. Le
sultan Fouad prit le titre de roi. La constitution stipulait que l’Islam était la religion
d’État. Pour l’essentiel, la Constitution de 1923 était conforme aux principes démocratiques des grands pays européens. Le rescrit royal de 1923 établissant le régime
constitutionnel de l’État égyptien précisait que «… la possession d’un régime constitutionnel semblable aux régimes constitutionnels les plus modernes et les plus perfectionnés » devait assurer « au peuple égyptien le bonheur et le progrès et lui faire
valoir les bienfaits dont jouissaient les peuples libres et civilisés ». Devenue indépendante, l’Égypte se trouvait devant deux problèmes à résoudre: faire l’expérience d’un
régime parlementaire et fixer les modalités d’une indépendance encore illusoire.
L’histoire parlementaire de l’Égypte, jusqu’à la mort du roi Fouad Ier (28 avril
1936) et la signature du traité anglo-égyptien (26 août 1936) est jalonnée par une
suite ininterrompue de crises intérieures dues autant aux interventions du souverain
dans la vie politique du pays qu’à celles de la Grande-Bretagne. Chacune de ces crises
opposa la nation égyptienne, représentée par le Wafd, au pouvoir royal et à l’occupant
britannique.
Le roi Fouad, souverain autoritaire, profita des moindres circonstances pour restreindre les prérogatives de la Constitution et écarter le Wafd du pouvoir. Mais toute
nouvelle consultation électorale ramenait le Wafd au pouvoir, accentuant ainsi les
conflits avec le Palais. En 1930, la Constitution de 1923 fut abrogée, une nouvelle
constitution promulguée. À son tour, elle fut abrogée en 1935, et celle de 1923 rétablie. Ces crises successives affaiblirent l’autorité du Parlement et furent à l’origine de
manifestations, de bagarres, d’actes de violence de la part de foules incontrôlées.
Par ailleurs, le Wafd, devenu un grand parti populaire, portait en lui les germes de sa
désintégration. Ses membres, coptes et musulmans, issus des classes les plus diverses
–grands propriétaires terriens, fellahs, petits artisans, ouvriers, étudiants– représentaient une multitude de tendances opposées. Dépourvu de cohésion, il lui était malaisé
de prendre des décisions quand il accédait au pouvoir. De l’entrée en vigueur du régime
parlementaire (1924) à la mort du roi Fouad, il gouverna au total moins de deux ans
seulement. Parmi ses membres, des scissions se dessinèrent, de nouveaux partis se formèrent, comme le parti libéral-constitutionnel, émanation d’une bourgeoisie modérée,
défenseur résolu de la constitution, le parti saadiste, qui jugeait le Wafd trop hésitant en
politique et le parti de l’Union, parti de « ministres » sans appui populaire.
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Le Wafd possédait son organisation de jeunesse – les Chemises bleues – accusée
d’être favorable à l’athéisme par les « Chemises vertes » de Ahmed Hussein, attirées,
elles, par le fascisme italien et prenant la défense de l’islam. La Confrérie des Frères
musulmans, née en 1928, était encore faiblement structurée. Elle monta en puissance
après avoir essaimé en Syrie et en Palestine où elle participa à l’insurrection de 1936.
Mais elle ne jouera un rôle important dans la vie politique égyptienne qu’après la
Seconde Guerre mondiale.
Les hauts-commissaires britanniques ne se prononçaient ouvertement ni pour le
Palais ni pour le Wafd. Ils suivaient avec attention les différentes péripéties, prêts à
intervenir dès que la politique adoptée par l’un ou l’autre des principaux antagonistes
semblait menacer les positions de leur pays. La politique britannique se greffait sur la
politique locale: elle arrêtait, modifiait, précipitait le cours des événements, offrant
un soutien occulte au Wafd ou au Palais. Ces interventions –et les crises qu’elles provoquaient– eurent pour conséquence de donner au mouvement nationaliste égyptien
un caractère manifestement xénophobe.
Peu à peu, le régime parlementaire égyptien, en subissant une suite ininterrompue
de crises dues aux interventions du Souverain et de la Grande-Bretagne dans la vie
politique, se discréditait aux yeux des élites et de la population.
Le tournant de 1936
Le Wafd revenu au pouvoir en 1936, signe le 26 août le Traité anglo-égyptien confirmant l’indépendance de l’Égypte en mettant fin à l’occupation militaire, mais entérinant le stationnement des troupes britanniques sur le territoire et le contrôle du
Canal de Suez. Ce traité faisait de l’Égypte un « État client » de la Grande-Bretagne,
lié à elle par une alliance dont aucune disposition ne limitait la durée. La conférence
de Montreux (1937) abrogea définitivement le système capitulaire avec transfert des
compétences des tribunaux mixtes aux tribunaux égyptiens. En cette même année,
l’Égypte entrait à la SDN.
En juillet 1937, à sa majorité, le roi Farouk Ier qui avait succédé à son père le roi
Fouad, prit possession de ses pouvoirs constitutionnels, Il tenta d’imposer un serment islamique à son investiture mais le gouvernement wafdiste s’y opposa au nom
de la Constitution. Le conflit qui opposait traditionnellement le Palais au Wafd se
doublait désormais d’une rivalité de prestige, car la population était en faveur du
jeune roi au détriment des wafdistes.
En 1938, se tint au Caire un « Congrès interparlementaire arabe et musulman pour
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la Palestine ». Signe des temps: à la veille de la guerre, les élites politiques abandonnèrent « l’égyptianisme isolationniste » d’autrefois et s’engagèrent dans la défense de l’arabisme et de l’Islam. L’Égypte hésitait encore entre une politique arabe et une autre plus
vaste, orientale et musulmane. Mais le rêve de prendre la tête du monde arabe comme
le souhaitaient manifestement les Égyptiens convaincus qu’une union arabe renforcerait la puissance et le prestige international de l’Égypte, semblait dorénavant réalisable.
Le nationalisme égyptien mutait en un nationalisme égypto-arabe, sinon pan-arabe.
Les nationalistes de Syrie et d’Irak se tournaient désormais vers l’Égypte.
Par ailleurs, à la suite du traité de 1936, l’armée égyptienne dont les effectifs
avaient sensiblement augmenté, recruta dans ses écoles d’officiers une nouvelle génération éduquée, issue de la classe moyenne ou d’origine sociale modeste. Politisés,
anti-britanniques, sensibles aux mouvements populaires, ils formaient déjà une
opposition, faible encore, à la Cour et à la classe politique traditionnelle.
L’Égypte ne prit pas part à la guerre, mais devant l’avance italo-allemande en
Libye, son territoire devint le dernier rempart de la Grande-Bretagne au MoyenOrient. La victoire des forces de l’empire britannique et de quelques unités alliées sur
le front d’El Alamein, éloigna définitivement le danger de l’Afrika Korps de Rommel.
Le sentiment anti-anglais avait cependant nourri les sympathies pronazies, restées
vives jusqu’à la fin de la guerre, d’une grande partie de la population égyptienne.
Le 25 mars 1945, la Ligue arabe fut fondée à Alexandrie par l’Égypte, l’Arabie
saoudite, l’Irak, la Jordanie, le Liban, la Syrie et le Yémen du Nord comme une Union
de la Nation arabe, dans le respect de l’indépendance de chacun de ses membres. Ce
projet s’opposait à celui des Britanniques de Fédération des États Arabes sous leur
égide. Par son prestige et son poids politique, l’Égypte prenait la tête des pays arabes.
La fin du parlementarisme libéral
Dès 1946, des manifestations éclatèrent pour exiger l’évacuation des troupes anglaises. En 1947, une manifestation d’étudiants dans le cadre d’une alliance éphémère des
Frères musulmans, de la jeunesse wafdiste radicalisée, des jeunes du parti socialiste
(de droite), et des communistes (ultra-minoritaires) rejoints par des élèves du secondaire et des ouvriers en grève, envahit les rues du Caire pour réclamer l’évacuation
des troupes anglaises du Canal. Cette manifestation fut durement réprimée par les
autorités, mais elle constitua un tournant dans la mobilisation de la population en
faveur d’une politique radicale antianglaise.
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Les événements consécutifs à la guerre de 1948-1949 contre Israël, marqués par la
défaite des armées arabes et le traumatisme ressenti par la nouvelle génération de
nationalistes radicaux, l’incendie du Caire, le coup d’État des Officiers libres, sont
assez connus pour qu’ils ne soient pas mentionnés en détail. Avec l’arrivée de Gamal
Abdel Nasser au pouvoir, le nationalisme égyptien qui, par ses luttes, avait obtenu en
1922 l’indépendance du pays et introduit l’esprit constitutionnaliste et le parlementarisme libéral, finit sa trajectoire historique, emporté par des événements qui allaient
modifier la carte du Moyen-Orient. Avec la mort de ce nationalisme, disparut aussi la
génération d’hommes politiques qui, par leurs compromissions avec le Palais et les
Britanniques, avaient faussé le fonctionnement normal du système parlementaire.
Une nouvelle page de l’histoire contemporaine de l’Égypte s’ouvrait avec le socialisme
militaire nassérien.
Aux yeux des Officiers libres, le Palais et les partis politiques étaient responsables
de la défaite et de l’humiliation subie par le peuple égyptien. L’étaient aussi à leurs
yeux le système parlementaire libéral, les partis politiques corrompus, la classe des
possédants (en particulier les grands propriétaires fonciers), l’impérialisme enfin. En
somme, un substrat d’idéologie qui, en quelques années, prenait forme et allait se
structurer autour de quelques principes fondamentaux. En politique intérieure :
maintien de l’islam comme religion d’État, nationalisation de l’économie, liquidation
systématique des oppositions (par exemple répression contre les Frères musulmans et
les communistes). En politique extérieure: lutte sans merci contre Israël et volonté de
présenter en face de l’État d’Israël menaçant un front uni et cohérent, rapprochement
avec les pays socialistes et l’URSS, panarabisme, lutte contre l’impérialisme et le colonialisme de l’Occident.
Le nassérisme inaugure un système de parti unique avec ses courroies de transmission dans la population, une économie dirigée et le maintien d’une force militaire
importante sur le pied de guerre.
Cependant le socialisme nassérien – le socialisme militaire – se heurtait dans la
pratique à la mentalité égyptienne, réfractaire à tout embrigadement idéologique et à
tout esprit guerrier en dépit des slogans propagandistes déversés quotidiennement
par les médias.
Le rapprochement avec le camp socialiste se fit par étapes après que l’URSS ait
changé de politique au Moyen-Orient en se tournant vers les pays arabes plutôt que
vers Israël. L’URSS et les pays de l’Est furent les pourvoyeurs quasi exclusifs d’armements les plus divers, mais les milliers d’experts envoyés dans le pays ne furent que
dans de rares cas acceptés par la population, tant ils paraissaient des « parents
pauvres » vivant dans leurs enclaves. L’incompatibilité d’un « socialisme » soviétique
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avec les structures sociales et les mentalités égyptiennes a entravé les tentatives de
Moscou de s’implanter en Égypte.
Les défaites militaires subies sur le front du Sinaï, les expéditions militaires au
Yémen et à Oman, la dislocation de la République arabe unie formée avec la Syrie,
l’échec d’une politique panarabe fondée sur un « nassérisme » confus et déclamatoire
sapèrent la position de l’Égypte aux yeux du monde arabe et au niveau international.
Le nassérisme fut l’ultime tentative de créer une « oumma », la nation panarabe, sous
la férule du plus prestigieux pays du Moyen-Orient. Il buta sur les nationalismes irréductibles des pays arabes, ce qui précipita sa défaite politico-idéologique. À la mort de
Nasser, le « socialisme militaire » qu’il avait initié sombra dans une crise sociale et
économique, aggravée par l’explosion démographique du pays.
C’est au cours des années soixante que la courbe démographique dans tous les
pays arabes a connu une rapide croissance, en particulier en Égypte. L’exode rural
s’amplifia, les grandes villes se ruralisèrent aggravant la crise d’identité des populations
immigrés mal intégrées dans le monde urbain surpeuplé. L’échec du « socialisme militaire », laissait ainsi un espace libre qui a été comblé par l’intégrisme islamique.
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