en 1952, Mohammed Ali accomplit une œuvre réformatrice qui porta ses fruits: grâce
à lui, l’Égypte a pris conscience d’elle-même, de ses ressources, de sa richesse et s’est
ouverte au progrès et à l’Europe. Sous le règne de ses descendants, en particulier celui
du Khédive Ismaïl (1863-1879), le « réveil » de l’Égypte s’accentua. Le Khédive décréta
l’arabe langue officielle de l’administration, procéda à de grands travaux d’infra-
structure – chemins de fer, canaux, ponts – qui accélérèrent l’industrialisation du
pays. Il fonda la Bibliothèque nationale et le Musée d’Antiquités égyptiennes. Un
nouvel urbanisme, marqué par l’influence haussmannienne, transforma et moder-
nisa Alexandrie et Le Caire. Des dizaines de milliers d’étrangers de condition modeste
affluèrent dans le pays, devenu leur « America, America » où ils trouvèrent accueil et
opportunités de travail.
Durant la seconde moitié du XIXesiècle, le nationalisme égyptien, embryonnaire
jusque-là, prit son essor et se distingua nettement du nationalisme arabe, lequel s’en-
racinait dans les provinces asiatiques de l’Empire turc en réaction d’abord à l’absolu-
tisme hamidien (du sultan Abdul-Hamid II) et après la révolution de 1908, à la dicta-
ture des Jeunes Turcs.
C’est à cette époque qu’en Égypte une nouvelle classe sociale émerge et supplante
peu à peu l’ancienne aristocratie locale, circassienne et turque. Composée d’avocats,
d’écrivains, de médecins, d’ingénieurs, de militaires, de journalistes, de professeurs,
d’intellectuels, elle aspirait à jouer un rôle décisif dans la vie politique. Un bouillonne-
ment d’idées agitait ces nouvelles couches sociales et donnait à l’Égypte son caractère
particulier. Au contact de la pensée occidentale, des leaders nationalistes de souche
égyptienne, qu’une génération séparait de leur origine rurale, impulsèrent au mouve-
ment nationaliste l’idée constitutionnaliste. Pour eux, la Constitution ancrait et légiti-
mait l’indépendance nationale; le mot de « watan » prit le sens de « patrie », tandis
que le mot « oumma » acquit celui de « nation ». C’est parmi cette génération que se
développa un mouvement libéral et constitutionnel, doublé d’un mouvement natio-
naliste avec lequel il s’identifiait ou tendait à s’identifier. L’École de droit français, fon-
dée en 1886, dont nombre d’avocats et de juristes égyptiens sortirent diplômés, ne fut
pas étrangère à la diffusion du constitutionnalisme.
Dans les dernières années du XIXesiècle vinrent s’installer en Égypte des théori-
ciens de l’arabisme – des Libanais ou des Syriens, le plus souvent des chrétiens,
fuyant l’absolutisme du Sultan. Ils préparèrent les esprits à une conception nouvelle
du monde oriental. À la notion de religion jusqu’alors prépondérante, ils s’efforcè-
rent de substituer celle de « race », empruntée à l’Occident. Pour eux, le passé
musulman s’effaçait devant le passé arabe. Ils rénovèrent la langue arabe en l’adap-
tant à la civilisation moderne et suscitèrent une renaissance de la culture arabe. Mais
HISTOIRE &LIBERTÉ
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ÉTÉ-AUTOMNE 2007