Violence et Islam
Adonis,
Entretiens avec Houria Abdelouahed
Seuil, 2015, 187p.
Qui est Adonis1? Selon la quatrième de couverture, c’ est un poète arabe, né en Syrie. Au Seuil sont
publiés les 3 volumes de son œuvre poétique al-Kitâb2.
Houria Abdelhouaed3, psychanalyste, enseigne à l' université de Paris Diderot. Elle a publié entre
autres « Figures du féminin en islam » (PUF, 2012).
En quatrième de couverture encore, Adonis plante le sujet du livre : « j’ai découvert que toute notre
histoire était falsifiée, fabriquée de toutes pièces et que ceux qui avaient créé la civilisation arabe
et sa grandeur furent bannis, condamnés, rejetés, emprisonnés voire crucifiés. Il faut relire cette
civilisation et la revoir autrement : avec un nouveau regard et avec une nouvelle humanité ». (voir
encore A163).
Le style est celui d’une conversation dans laquelle les deux interlocuteurs se renvoient sans cesse la
balle. Il ne faut donc pas s’attendre à de longs développements savamment argumentés. Mais
beaucoup de phrases « font mouche » !Parfois des répétitions !
Mes premiers mots, quand j’ai quitté ce livre : « diagnostic sévère ! ». Je ne suis pas musulman,
mais je porte aussi le fardeau d’une histoire, d’une actualité violentes, je ne peux qu’écouter,
essayer de comprendre. Je ne comprends pas.
Un printemps sans hirondelles.
Adonis, comment expliquer l’échec du printemps arabe ? (H11).
Au début, le soulèvement arabe laissait penser à un éveil… mais cette révolution était
confessionnelle, tribale et non civique, musulmane et non arabe.
L’erreur serait que les individus écrasés par le pouvoir politique, n’ont pas pu œuvrer dans le sens
d’un véritable changement et n’ont pas pu penser la complexité inhérente à tout changement (H12).
Une révolution qui bascule dans l’obscurantisme n’a rien d’une véritable révolution. C’est une
catastrophe (14). Sempiternellement, on spécule sur le pouvoir et sur le calife de Dieu dans l’oubli
total des droits des citoyens.
1 Pages référencées (A...)
2 Dans Wikipedia, on trouve cette présentation et ce poème d’Adonis (nom d’emprunt) né en Syrie. « al-Kitâb est un
voyage à travers l’histoire arabe, depuis la fondation du califat après la mort du prophète au VII° siècle (de l’ère chrétienne) jusqu’à la moitié
du X° siècle. Voyage qui renouvelle la traversée de Dante dans La Divine comédie. Toutefois, contrairement à Dante, Adonis opte pour une
description non du paradis et de l’enfer célestes, mais de l’enfer d’ici bas. Enfer où l’Arabe vivait, réfléchissait et écrivait.
Pour son odyssée, Adonis choisit al-Mutanabbî - le plus grand poète arabe - et tente de relater dans Le Livre-traversée, toute chose sur les
Arabes en résonance d’une part avec les livres dits sacrés, de l’autre avec une vision mallarméenne. » (Houriya Abdelouahed)
« Afin que je demeure étranger, lointain,
des paroles m’amenèrent vers leur demeure
De l’élixir de leur plantes m’abreuvèrent
Un temps-assis
tel un enfant sur mes genoux, afin de lire ce que trace
l’horizon
sur des cahiers volés
aux fissures du ciel. »
Adonis
3 Pages référencées (H…) et en italiques.
Analysé à un premier niveau, l’islam est basé sur 3 points essentiels :
1. le prophète Mahomet est le sceau des prophètes
2. les vérités transmises sont par conséquent les vérités ultimes.
3. l’individu ou le croyant n’a rien à ajouter ni à modifier.
Immutabilité (A17).
Dire que le calife est le représentant de Dieu sur terre serait une manière de dire qu’il est Dieu sur
terre (A18).
S’il y a un avenir, il est dans le passé. D’où la répétition… N’oublions pas que des innovateurs ont
toujours existé dans le monde arabe et musulman.
Ils ont toujours été combattus par le pouvoir politique(H19)… Nous avons le devoir de repenser les
fondements de notre religion : les femmes, l’esclavage, l’adoption, la filiation…
La Mésopotamie reste le berceau de la civilisation. On détruit l’humain mais aussi tous les vestiges
d’avant l’islam(H21). Sa destruction est en cours. Le résultat du printemps arabe s’annonce comme
une faillite absolue (A21).
La nécessité d’une relecture : histoire et identité.
« ...je relisais l’histoire d’une manière différente. Les universitaires m’ont accusé d’être un chiite
qui déformait l’histoire des Arabes, travaillant à partir de mon « hostilité envers les sunnites »
(A27).
L’islam,puisqu’il est né parfait, combat tout ce qui lui était antérieur et tout ce qui est venu après.
« Tout » désigne : philosophie, art, pensée, créativité, vision du monde etc. Dans l’esprit
traditionnel, il faut être suiveur et non pas questionnant. Il faut imiter le parfait de l’Histoire (A29).
L’individu naît arabo-musulman ou musulman. Et au sein de cet arabo-musulman, il est sunnite, pas
chiite ou chiite, pas sunnite. L’histoire arabe est une perpétuelle guerre(A30). L’individu vit dans
une société qui le réduit à une appartenance (A37).
L’islam que prône le fondamentalisme est une religion sans culture. En outre les Arabes ignorent
leur corpus et leurs sources (A34). Il n’ y a pas de culture arabe créatrice qui participe au
changement du monde(A35).
La mystique ? Il ne faut pas oublier que la mystique a toujours été marginalisée au sein de la culture
musulmane. Comme la philosophie.
La peur ? Peut-on avoir du génie dans une société où l’on boit la peur en même temps que le lait,
où la pensée est constamment condamnée, où l’on court le risque d’être banni4, voire persécuté, dès
que l’on commence à essayer d’interroger notre corpus ou notre héritage?(H36).
L’Islam a besoin d’être repensé(H40).
Repenser les fondements.
Nous allons réfléchir sur les fondements de notre religion, ses principes et sa vision du monde.
C’est plus que nécessaire aujourd’hui.
D’abord, la violence est un phénomène commun aux trois monothéismes. Néanmoins, la violence
dans la Bible est liée à l’histoire d’un peuple qui a connu la servitude et l’exil. Dans le
christianisme, la violence va de pair avec la fondation de l’Église.En revanche, en islam, la violence
est particulièrement celle du conquérant (A48).
4 Voir à ce sujet l’émission d’ARTE + 7 intitulée « les Musulmans d’Europe , Allemagne, France, Belgique,
Espagne)» en deux volets.Comment vivent aujourd’hui les musulmans du Vieux Continent ? Enquête en
compagnie de la journaliste Nazan Gökdemir et du politologue Hamed Abdel-Samad. A mon avis, très beau et très
bon.
Un sujet tabou, à savoir la violence dans le texte fondateur (H48).
C’est un texte particulièrement violent. J’ai compté 80 verset sur la géhenne… Nous trouvons 66
versets qui évoquent le paradis…. Le kufr (mécréance) est ses dérivés figurent dans 518 versets, le
supplice et ses dérivés font l’objet de plus de 370 versets. Sur 3000 versets, 518 portent sur le
châtiment. L’enfer est mentionné 80 fois(A47).
Or nous ne trouvons pas un seul verset qui invite à la réflexion ou un verset sur les bénéfices ou les
avantages de la raison au sens de l’esprit créatif (A48).
« Ne laisse sur la terre aucun habitant qui soit au nombre des incrédules5 ». Le musulman qui lit ce
verset est invité à exercer le djihad pour réaliser ce souhait à combattre la « mécréance » avec tous
les moyens dont il dispose(A51).
Quant à ceux qui ont été incrédules et qui se sont égarés, Dieu ne leur pardonnera pas.. »6 A57.
« Leurs tuniques seront faites avec du goudron ; le feu couvrira leurs visages »7
L’image est terrifiante. La peau brûle, tombe, on la ramasse, on la remet sur le corps et elle grille,
elle retombe, regrille et ainsi de suite….(H53). La peau désigne pourtant le premier contact du
bébé avec sa mère. Et les caresses de la mère sur la peau du bébé.
Le tout avec la musicalité de la langue, comme un chant ou un hymne à la vie. Celui qui ne lit pas
l’arabe ne perçoit pas ce décalage entre la beauté de la langue et l’atrocité de l’image du supplice
(H54).
La religion n’était qu’un moyen pour l’exercice du pouvoir. Et l’argent a toujours servi les intérêts
des gouvernements, du pouvoir(A62).
Du moment où l’Histoire devient sacrée, nous n’avons pas la possibilité d’étudier la personne de
Mahomet comme nous le faisons avec les autres prophètes du monothéisme (A65).
L’Histoire est crée aussi par Dieu et le prophète. Elle n’est pas écrite par les musulmans. Par
conséquent, elle devient divine(A66).
Dans la culture salafiste..., le moi n’est pas un véritable champ pour se mouvoir et déployer sa
créativité. Le moi se dissout dans la communauté... Et il est demandé à la conscience de l’individu
de jouer un seul rôle : suivre le texte divin. L’individu devient le prisonnier du Texte . La
dissolution de son moi, dans la Oumma, la communauté(A71).
Hannah Arendt écrivait : « pas de pensée sans liberté »(H72).
Daech, aujourd’hui (H74).
C’est l’incarnation de la violence du passé. Nul progrès car le progrès a déjà eu lieu.
Cette violence du passé n’a pas été pensée et reste enkystée... et ceci revient sous cette forme (de
violence) afin de questionner ce qui n’a pas bénéficié d’un véritable travail de pensée(H75.)
Comme si l’homme n’était pas un être de culture.
La nature est par définition le lieu de la pluralité. Mais cette nature est absente de la vision
islamique focalisée exclusivement sur l’idée de l’unité absolue. Puisque la beauté demeure celle de
l’Un et de sa Parole, la connaissance ne vient pas de la nature, mais de l’Un qui sait tout et qui est
la source de toute connaissance. C’est la Révélation qui détient le savoir et la connaissance.
... la parole devient uniquement celle de Dieu ou de la Révélation. D’où l’importance du fiqh(la
jurisprudence) qui a transformé le monde en paroles. Le fiqh a anéanti les droits de l’individu par le
recours à l’idée du licite et de l’illicite, délimitant l’idée même de liberté et traçant les conditions
pour la reconnaissance… la vie elle-même se trouve réduite à un monde de prohibitions et
d’interdits (A76,77).
5 Coran 71:26.
6 Coran 4 :168-169.
7 Coran 14:50.
La femme(H78).
Politiquement parlant, l’univers est une féminité….
Le corpus arabe garde précieusement le nom des femmes rebelles ou prisonnières (H78).
… des figures révolutionnaires comme les femmes que tu as évoquées : Aïcha, Fâtima, Râbi’a, et
surtout Sajâh. Elle a exigé une dot inouïe : que le mariage la libère de la religion et du poids de la
tradition. « Notre mariage n’a rien à voir avec la religion ! » (A79).
Il existe une grande affinité entre la poésie et la féminité. L’islam a combattu les deux. Il a
transformé la sexualité et islamisé la féminité (A82).
Le texte dit : « vos femmes sont pour vous un champ de labour(harth) : allez à votre champ comme
vous voudrez ! »(H82).
Et pour renforcer cette supériorité de l’homme, la religion a fait de la femme le symbole du péché.
(A83).
C’est ainsi depuis l’ancien testament. L’Islam n’ a pas inauguré mais a renoué avec le texte
biblique (H83).
Il a déformé tous les rapports. Le seul restant est celui du maître et de l’esclave (A84). Même le
féminin de l’homme est condamné (H86).
C’est un phénomène affligeant. L’homme arabe n’habite pas sa terre. Il n’est pas dans son histoire .
Il n’est ni en Europe, ni en Asie, ni en Océanie. Il vit au ciel. Tous les Arabes musulmans vivent au
ciel. On dirait qu’ils n’ont rien à voir avec la terre ou avec l’histoire(A89).
La liberté est une notion qui n’existe pas dans le Texte, ni dans le contexte islamique(A90).
Réfléchir sur le voile comme un tissu qui couvre le corps de la femme nous empêche de reprendre
ces très beaux textes de la mystique qui définissent le mot comme voile de la chose. Le voile se voit
ainsi réduit à une acception pauvre, voire vulgaire,...(H94).
L’homme arabe tente de créer sa modernité sans y parvenir. Il vit au sein d’une société qui produit
plus de religieux que d’intellectuels. Il naît et grandit dans une culture qui souffre de l’absence de
liberté... et j’ajoute : toute société qui croit détenir la vérité absolue produit de l’ignorance. Cette
dernière non seulement occupe la place de la science et du savoir mais se transforme en une révolte
perpétuelle contre le savoir et la science(A103).
Il faut une révolte intérieure au nom de la liberté, pour la liberté, pour la pensée et le dialogue
démocratique avec l’autre. Il faut accepter l’autre dans sa différence. Ceci n’est possible que sur la
base de la création d’une société laïque (A106).
Au-delà des intérêts économiques et géopolitiques, le pulsionnel.
« Au sein de cet univers musulman, il y a la mystique, la philosophie, la littérature.. » (H110).
Comme nous l’avons mentionné, la violence est intrinsèquement liée à la naissance de l’islam. Il est
né en tant que pouvoir. Aujourd’hui , politiquement et économiquement, les Arabes ont la
possibilité d’acheter le monde grâce à leur gaz et leur pétrole(A113).
Mais… dans la Maladie de l’islam, Meddeb parle aussi d’un islam beau et vrai (A110)
Au sein de cet univers musulman, il y a la mystique, la philosophie, la littérature...(H110).
Nous cherchons un islam vrai et grand afin de nous protéger de la violence (A111).
Supposons que Daech remporte une victoire sur le plan politique ou stratégique, que peut-il donner
sur le plan intellectuel ou scientifique?(A114).
Hormis le chaos, je ne vois pas. Dans les régions conquises par l’état islamique en Irak, l’école est
suspendue en attendant d’inventer un programme scolaire conforme aux données de la religion
(H114).
Il faut inventer une nouvelle lecture qui sépare ce qui est politique, culturel, social d’avec la
croyance religieuse de chacun. La religion devrait être une affaire individuelle(A119).
J’avais envie de déconstruire cette culture religieuse , de relancer la pensée et la langue. Mais si
l’on me demandait aujourd’hui : « qu’est-ce que tu peux donner entant que musulman ? », je
dirais : « je ne pourrai rien donner en tant que musulman » (A124).
Tu aimes le Christ !(H124)
Comme j’aime Ibn’Arabî,Niffarî, Abû Nûwas, ...comme j’aime la poésie et la créativité. Le Christ
était un poète (A124).
L’Occident : passionnément , à la folie.
En Europe, la société a vieilli. Elle est fatiguée,...(A127). L’Occident a toujours aidé au maintien
des cultures dans le monde arabe (H128). Oui, absolument. L’Occident ne cherche plus la culture,
la lumière, l’avenir, le progrès. Il cherche l’argent(A128).
L’Occident institutionnel n’a rien à voir avec les grands créateurs arabes ni avec les aspirations de
la gauche arabe, ni avec le séparation entre l’État et la religion.Aujourd’hui , l’Occident soutient les
fondamentalistes.
Donc, les aspirations des Arabes et de leurs mouvements de gauche sont attaqués et par le
wahhabisme et par l’Occident qui a toujours veillé sur les régimes de dictature.
Deux forces gigantesques se sont dressées contre une gauche arabe(A130).
Art, mythe, religion.
L’islam a tué la poésie. Cet assassinat, en fait, est celui de la subjectivité, de l’éprouvé de l’individu,
de son expérience de vie au profit de la croyance commune, celle de la Oumma (la communauté).
L’islam a refusé que la poésie fût une connaissance et une recherche de la vérité….Car c’est la
poésie qui dit la vérité(A138).
Le Coran. On peut citer :
« Quant aux poètes :
ils sont suivis par ceux qui s’égarent.
Ne les vois-tu pas ?
Ils divaguent dans chaque vallée »8.
La poésie entre la langue et le précepte.
Être moderne dans le contexte arabe, c’est d’abord créer une rupture avec ce qui a été dit.
La poésie de la nahda (la renaissance) reste une imitation et une répétition du passé (A146).
La langue arabe est un jaillissement, dis-tu.
Parce qu’elle est naturelle, elle est par ce fait universelle. Universelle et humaine. Elle est mythique
aussi car née naturellement. En effet, c’est un jaillissement.
De la terre ?
De l’homme, de l’humain, de la terre et des choses du cosmos. Aussi est-elle universelle..Le poème
jaillissait comme une source. Il était comme le vent, comme la lumière ou le mouvement du désert,
comme une plante ou un palmier(A149).
Aujourd’hui,..j’ai dépassé les idéologies. L’homme demeure mon problème et c’est l’univers lui-
même qui est ma cause…. Je dirais : tant que l’être humain n’est pas libre sur cette terre,
l’humanité n’est pas libre. Un Français n’est pas libre, politiquement parlant, si un Palestinien est
prisonnier ou sans liberté (A154).
8 Coran 26:224.
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