ri
Biblfoth&que historique Payot
DU
même
auteur
Jacques Semelin
Pour sortir de ka violence, Paris, Éditions ouvrières,
1983.
Sans armes
face
à
Hitler
En collaboration avec Christian Mellon et Jean-Marie Muller,
La
Dissuasion civile, Paris, Fondation pour les études de Défense
La résistance civile en Europe
nationale,
1985.
1939-1943
i
.I
i
j
I
I.
'1
,
Préface de Jean-Pierre Azéma
INTRODUCTION
UN NOUVEAU, REGARD SUR
LA
«
RÉSISTANCE
))
L'image populaire de la résistance au nazisme est celle de la vio-
lence insurrectionnelle. Or, il exista aussi une résistance sans
armes. Cet essai présente les principaux cas d'opposition non
armée dans lesquels des milliers, voire des dizaines de milliers de
personnes ont été impliquées. Il s'agit surtout de grèves, de mani-
festations, de protestations d'Églises, de cours de justice, dlorga-
nismes éducatifs, médicaux ou culturels, ainsi que de mouvements
de désobéissance au Service du travail obligatoire. On y trouve
bien entendu les principales actions menées pour assister et sauver
des juifs. Cependant, en raison de la spécificité du génocide, cette
question fait l'objet d'un traitement
à
part. De tels cas sont surtout
apparus en France, en Belgique, au Luxembourg, aux Pays-Bas,
au Danemark et en Norvège, mais aussi en Pologne, en Tchécos-
lovaquie ou en Bulgarie. Ce livre, qui ne prétend pas
à
I'exhausti-
vité, réunit de nombreux récits de ces formes particulières de résis-
tance, souvent mal connues du public et sur lesquelles peu de
travaux ont été publiés en langue française
'.
Mais cette étude n'a pas été motivée par la seule curiositk histo-
rique. Elle est née d'une interrogation plus profonde, de nature
éthique et stratégique, sur les capacités des sociétés
à
résister sans
armes
à
une agression (occupation militaire ou pouvoir totalitaire).
Depuis plusieurs années, cette question m'a conduit
à
explorer les
conditions d'efficacité de l'action dite
u
non violente
D
face
à
l'oppression et
à
la tyrannie. J'ai eu notamment la possibilité
1.
Une grande partie de cette recherche a
CtC
effectute dans le cadre d'un docto-
rat en histoire, dirigt par le professeur Jean-Paul Charnay (directeur du Centre
d'Ctudes et de recherches sur les suattgies et les conflits) et soutenu en
1986
A
l'université de Paris-IV (Sorbo~e).
Introduction
l
l
16lSans armes face
à
Hitler
d'approfondir cette recherche
à
travers un dialogue avec des mili-
taires de haut rang, que ce soit dans le cadre de la Fondation pour
les études de défense nationale (FEDN)
',
du Secrétariat général
de la défense nationale (SGDN) ou de l'École de guerre
'.
L'un
des fruits de cette réflexion a été un ouvrage élaborant la notion de
dissuasion civile
»
comme complément
à
la défense militaire de
la France
'.
Ce nouvel essai s'inscrit dans cette ligne de recherche. J'ai voulu
tester
»
certaines hypothèses concernant
a
l'action non violente
n
sur le terrain qui lui est le moins favorable
:
ce1 i de la brutalité
Y
extrême
-
celle du nazisme
-
l'une des formes les plus horribles de
la violence dans l'histoire de l'humanité. Pour cela, je me suis
engagé dans un travail d'historien, qui s'est orienté dans trois
directions. Tout d'abord une interprétation générale des phéno-
mènes étudiés
à
travers le concept de résistance civile. La notion
a
d'action non violente
»,
en effet, ne semble pas pertinente dans le
contexte de la Seconde Guerre mondiale. L'une des caractéris-
tiques fondamentales de la Résistance au nazisme est la forte
imbrication entre moyens de lutte armés et non armés. La résis-
tance non armée fut, dans la grande majorité des cas, adoptée faute
de mieux, c'est-à-dire faute de posséder des armes, ce qui demeura
le principal et ultime dessein de ceux qui tentaient de s'opposer
B
l'ordre allemand. Aussi ai-je cherché un concept plus neutre et
plus approprié que celui
a
d'action non violente
.,
qu'il vaut mieux
réserver aux cas où existe une référence explicite
A
une philo-
sophie ou une stratégie non violente. J'ai donc suggéré celui de
a
résistance civile
u,
définie comme le processus spontané de lune
de la société civile par des moyens non armés, soit
A
travers la
mobilisation de ses principales institutions, soit
B
travers la mobili-
sation de ses populations, ou bien grâce
A
l'action des deux
A
la
fois. On objectera cependant qu'il ne parait pas suffisant de définir
la résistance civile uniquement par ses moyens. Sous l'occupation
allemande, si des individus et des groupes ont eu effectivement
recours
A
des formes d'actions pacifiques, celles-ci étaient en réa-
2.
La
FEDN
est
une fondation de droit privt visant
1
promouvoir
la
recherche
en matitre de dtfense et de strattgie. Elle publie de nombreux ouvrages
et
la revue
Straligiquc.
3.
Le SGDN
est
un organisme officiel dont
le
principale mission
est
de rassem-
bler l'information et de prtparer les dossiers traitant de
la
dtfense, que ce soit
dans
ses aspects militaires ou civils,
pour
le Premier Ministre et le Conseil de Dtfense.
4.
L'École de guerre, au sein de l'École militaire, a
pour
principal objet
in
for-
mation de ieunes officiers de 1'Armte de terre
1
des fonctions d'encadtement de
rang supérieur.
5.
Christian
ON,
Jean-Marie
MUI~ER,
Jacques
Sm,
La
Dissuasion
civile,
Fondation pour les ttudcs de dtfense nationale,
Paris,
1985.
lit6 au service des buts de la guerre ou du combat paramilitair
(par exemple
:
l'action de renseignement, le soutien des popula
tions aux maquis, etc.). Ces actions de résistance civile, combinée
A
la lutte armée, mériteraient une étude d'ensemble mais elles n
constituent pas l'objet de ce travail. Je me suis attaché ici
l'exa
men des actions de résistance civile plus
u
autonomes
P,
c'est-Mir1
celles qui étaient orientées vers des objectifs proprement
a
civils
N
Par exemple
:
le maintien de l'indépendance de diverses institu
tions en dehors du contrôle du pouvoir occupant, la protection di
personnes pourchassées. Ce choix explique pourquoi l'étude port4
principalement sur la période 1939-1943, celie ob les forme,
d'opposition armées sont encore peu développées.
En second lieu, l'objectif de ce travail est de proposer unc
u
grille d'analyse de l'ensemble des cas de résistance civile ains
sélectionnés. Mon projet est ainsi de comprendre pourquoi et
corn
ment des hommes et des femmes peuvent accepter de s'engage]
dans
un
combat sans armes alors qu'ils font face
un
adversairî
surarmé dépouvu de tout sens moral. Cela m'a conduit
A
procédei
B
diverses approches comparatives. Toute comparaison est dis
cutable, du fait même que l'on
a
extrait
.
certains événements de
leur contexte. Ainsi, compte tenu de la grande diversité des his-
toires de chaque pays occupé et de leurs statuts d'occupation, le
risque existe toujours d'énoncer des affirmations trop générales,
qui s'appliquent mal
B
chaque cas particulier. Je pense cependanl
avoir établi la pertinence de quelques concepts clés comme ceux
de
u
légitimité
B,
de
a
cohésion sociale
m,
d'a opinion
.,
qui consti-
tuent la charpente de cet ouvrage.
A
travers eux, les fondements
du combat sans armes deviennent plus compréhensibles. Je sou-
haite présenter ainsi un autre regard sur la
a
Résistance
..
Certains
des éléments de réflexion présentés ici, qui font parfois intervenir
des grilles d'analyse psychologique ou sociologique, offrent d'autre
part des outils pour mieux interpréter diverses formes de
u
résis-
tances civiles
B
contemporaines, que ce soit en Pologne, aux Phi-
lippines ou en Chine. En ce sens, cet essai reléve plus de la socio-
logie historique ou de la science politique que de la discipline
historique proprement dite.
A
moins qu'il ne réponde au souhait
émis par Stanley Hoffmann, qui appelle l'historien
A
une tâche
fort difficile:
a
Il lui faudra s'aventurer non seulement dans les
domaines déjA bien connus des politistes et des sociologues mais
dans ceux, controversés, des psychologues. Vaste programme
6!.
Cene recherche pose enfin un probléme plus général
:
la société
6.
Stanley
HO-,
.Le
dtwfre de
1940.
dans
La
France
de
1939
à
nar
jours,
Paris,
L'HÜtoiw
-
Éd. du
Seuil, 1985,
p.
33.
20
1
Sans armes face
à
Hitler
et peut garder des points stratégiques de toute importance, mais
surtout, elle possède les plus grandes ressources d'organisation,
matérielles et spirituelles, qu'il y ait au monde, réunies dans une
même main
2.
»
Mais il y eut Stalingrad et la formidable poussée de la machine
de guerre américaine. Qui peut dire ce que serait devenue
l'Europe sans la farouche obstination de l'Angleterre
à
continuer
seule le combat jusqu'en
1941
et la mobilisation progressive des
États-Unis
à
ses côtés? Il est bien difficile d'y répondre, d'autant
que les vues allemandes en la matière n'ont pas été vraiment
kclaircies. Nombre d'auteurs soulignent en effet que Berlin ne
semble jamais avoir élaboré un projet sérieux visant
?i
construire
un véritable ordre européen, politique, économique et social. Tou-
tefois, la conduite des Allemands
à
l'égard des peuples conquis
donne malgré tout une idée de ce qui les attendait si l'Allemagne
avait gagné la guerre.
Les objectifs fondamentaux
Rappelons quelques éléments clés de cette politique etrangère
de l'Allemagne envers les nations européennes. Il n'est pas néces-
saire de décrire le cours des événements militaires ni même les
interprétations globales du phénomène nazi toujours en débat
3.
En revanche, puisque cette étude vise
à
interpréter le rôle de cer-
taines formes particulières de résistance contre l'occupant, il est
indispensable de rappeler quels fwent les objectifs de celui-ci
?i
l'égard des pays occupés.
Quelle était d'abord la volonté du nouveau maître de l'Europe,
Adolf Hitler? On sait que l'État nazi ne fut pas un bloc mono-
lithique, mais un système assez chaotique des décisions
majeures étaient souvent la résultante des pressions les plus
diverses, sans qu'il y eût forcément planification ou ordre clair
provenant du sommet. Mais il est non moins certain que le chef du
Troisième Reich garda toujours la haute main sur deux des
domaines qui l'intéressaient au plus haut point
:
la conduite de la
guerre et celle de la politique étrangère. Or, il semble n'avoir
2.
CitC
par
Pascal
ORY,
La Francr allemande,
Paris, Gallimard-Julliard, 1977,
PR.
97-98.
. .
3.
Durant
ces
dernitres années,
une
polCmique entre
historiens
s'est
dCveloppée
en
Allemagne
B
propos
de
la
-
vCritable
nature.
du
rCgime
nazi
et
de
la
singularitC
du
gCnocide
juif.
Voir
:
Dmnr lJh>jtoire Les documents dans la mtrowse sur
k
singulariii de ktmninarion des juifs par le rigime nazi,
Paris,
Éditions
du
Cerf,
1988.
Les
traits fondamentaux de la domination nazie
/
2:
jamais clairement précisé ses vues sur les bases politiques et écono
miques de son empire. La premitre de ses préoccupations fut tou
jours de gagner la guerre qu'il avait lui-même déclenchée. Li
question des fondements de cette Europe nouvelle passait ai
second plan.
a
L'objectif immédiat de Hitler, écrit Gordon Wright
c'était la victoire par les armes, non la réorganisation de 1'Europc
soumise selon un plan préétabli
'.
B
Au sein des pays conquis, il lui
importait d'abord d'assurer l'ordre et la sécurité et de mettre sui
pied des formules pragmatiques d'occupation qui gênent le moins
possible la poursuite des efforts de guerre. Cela impliquait, le cas
échéant, de s'appuyer sur l'aide des administrations locales, que ce
soit pour la gestion des affaires civiles ou la répression d'éventuels
mouvements d'opposition. Une fois la guerre gagnée, viendrait
alors le temps de la consolidation des fruits de la conquête.
Ces orientations étaient-elles un choix tactique délibéré, qui
incitait le Fiihrer
a
dissimuler ses plans de l'après-guerre, ou
furent-elles la conséquence de sa passion pour la stratégie mili-
taire? Sans doute y avait-il des deux. Mais l'image qui reste de
Hitler est sans conteste d'abord celle du chef de guerre, doté
d'indéniables talents, plus que celle du gestionnaire planificateur
de ses conquêtes. Il sut faire les bons choix pour reconstruire une
armée allemande en la dotant de la technologie la plus moderne. Il
excella
a
mystifier ses adversaires et
A
galvaniser son peuple et ses
soldats par le magnétisme de sa voix. En outre, en matière de stra-
tégie, il eut un don de prévision et d'improvisation qui le conduisit
des victoires militaires rapides. Ainsi que l'a montré Arnold
Toynbee
5,
ce qui domine chez Hitler, c'est sa volonté de puis-
sance, laquelle s'exprime avant tout dans sa volonté de conquête,
les buts de guerre étant définis avec flexibilité.
Certains pensent cependant que
Mein Kampf,
en dépit de sa
phraséologie, définit un cadre d'actions et de revendications dont
le futur Fiihrer ne s'est jamais départi.
Mein Kampf
réclamait pour
l'Allemagne une extension vers l'Est, surtout vers l'Ukraine et les
pays Baltes mais peut-être au-dela. Hitler y affirmait la nécessité
de briser la puissance militaire de la France mais n'y exprimait pas
le désir d'une expansion territoriale
a
l'Ouest. Il ne semblait pas
vouloir relever le défi de la puissance coloniale et maritime britan-
nique. Son idée était qu'un Reich, maître de l'Europe de l'Est,
considérée comme une zone potentielle de
N
colonisation
n,
ferait
4.
Gordon
WRIGHT,
L'Europe
en
guerre
(1939-1945), traduction, Paris, Armand
Colin, 1971, p. 98.
5. Arnold
Tom=,
Hirlefs Eu*> Survey of Inremarional 4ffairsJ
Londres,
Toynbee
Editors,
1954.
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