ri Biblfoth&quehistorique Payot DU même auteur Pour sortir de ka violence, Paris, Éditions ouvrières, 1983. En collaboration avec Christian Mellon et Jean-Marie Muller, La Dissuasion civile, Paris, Fondation pour les études de Défense nationale, 1985. Jacques Semelin Sans armes face à Hitler La résistance civile en Europe 1939-1943 . I i i j I I ' , .1 Préface de Jean-Pierre Azéma INTRODUCTION UN NOUVEAU, REGARD SUR LA « RÉSISTANCE )) L'image populaire de la résistance au nazisme est celle de la violence insurrectionnelle. Or, il exista aussi une résistance sans armes. Cet essai présente les principaux cas d'opposition non armée dans lesquels des milliers, voire des dizaines de milliers de personnes ont été impliquées. Il s'agit surtout de grèves, de manifestations, de protestations d'Églises, de cours de justice, dlorganismes éducatifs, médicaux ou culturels, ainsi que de mouvements de désobéissance au Service du travail obligatoire. On y trouve bien entendu les principales actions menées pour assister et sauver des juifs. Cependant, en raison de la spécificité du génocide, cette question fait l'objet d'un traitement à part. De tels cas sont surtout apparus en France, en Belgique, au Luxembourg, aux Pays-Bas, au Danemark et en Norvège, mais aussi en Pologne, en Tchécoslovaquie ou en Bulgarie. Ce livre, qui ne prétend pas à I'exhaustivité, réunit de nombreux récits de ces formes particulières de résistance, souvent mal connues du public et sur lesquelles peu de travaux ont été publiés en langue française Mais cette étude n'a pas été motivée par la seule curiositk historique. Elle est née d'une interrogation plus profonde, de nature éthique et stratégique, sur les capacités des sociétés à résister sans armes à une agression (occupation militaire ou pouvoir totalitaire). Depuis plusieurs années, cette question m'a conduit à explorer les conditions d'efficacité de l'action dite u non violente D face à l'oppression et à la tyrannie. Ja'i eu notamment la possibilité '. 1. Une grande partie de cette recherche a CtC effectute dans le cadre d'un doctorat en histoire, dirigt par le professeur Jean-Paul Charnay (directeur du Centre d'Ctudes et de recherches sur les suattgies et les conflits) et soutenu en 1986 A l'université de Paris-IV (Sorbo~e). Introduction l l 16lSans armes face à Hitler d'approfondir cette recherche à travers un dialogue avec des militaires de haut rang, que ce soit dans le cadre de la Fondation pour les études de défense nationale (FEDN) du Secrétariat général de la défense nationale (SGDN) ou de l'École de guerre '. L'un des fruits de cette réflexion a été un ouvrage élaborant la notion de dissuasion civile » comme complément à la défense militaire de la France Ce nouvel essai s'inscrit dans cette ligne de recherche. J'ai voulu tester » certaines hypothèses concernant a l'action non violente n sur le terrain qui lui est le moins favorable : ce1 i de la brutalité extrême - celle du nazisme - l'une des formes les plus horribles de la violence dans l'histoire de l'humanité. Pour cela, je me suis engagé dans un travail d'historien, qui s'est orienté dans trois directions. Tout d'abord une interprétation générale des phénomènes étudiés à travers le concept de résistance civile. La notion a d'action non violente », en effet, ne semble pas pertinente dans le contexte de la Seconde Guerre mondiale. L'une des caractéristiques fondamentales de la Résistance au nazisme est la forte imbrication entre moyens de lutte armés et non armés. La résistance non armée fut, dans la grande majorité des cas, adoptée faute de mieux, c'est-à-dire faute de posséder des armes, ce qui demeura le principal et ultime dessein de ceux qui tentaient de s'opposer B l'ordre allemand. Aussi ai-je cherché un concept plus neutre et plus approprié que celui a d'action non violente qu'il vaut mieux réserver aux cas où existe une référence explicite A une philosophie ou une stratégie non violente. J'ai donc suggéré celui de a résistance civile u, définie comme le processus spontané de lune de la société civile par des moyens non armés, soit A travers la mobilisation de ses principales institutions, soit B travers la mobilisation de ses populations, ou bien grâce A l'action des deux A la fois. On objectera cependant qu'il ne parait pas suffisant de définir la résistance civile uniquement par ses moyens. Sous l'occupation allemande, si des individus et des groupes ont eu effectivement recours A des formes d'actions pacifiques, celles-ci étaient en réa- ', '. Y ., 2. La FEDN est une fondation de droit privt visant 1 promouvoir la recherche en matitre de dtfense et de strattgie. Elle publie de nombreux ouvrages et la revue Straligiquc. 3. Le SGDN est un organisme officiel dont le principale mission est de rassem- bler l'information et de prtparer les dossiers traitant de la dtfense, que ce soit dans ses aspects militaires ou civils, pour le Premier Ministre et le Conseil de Dtfense. 4. L'École de guerre, au sein de l'École militaire, a pour principal objet in formation de ieunes officiers de 1'Armte de terre 1 des fonctions d'encadtement de rang supérieur. 5. Christian ON, Jean-Marie MUI~ER,Jacques S m , La Dissuasion civile, Fondation pour les ttudcs de dtfense nationale, Paris, 1985. lit6 au service des buts de la guerre ou du combat paramilitair (par exemple : l'action de renseignement, le soutien des popula tions aux maquis, etc.). Ces actions de résistance civile, combinée A la lutte armée, mériteraient une étude d'ensemble mais elles n constituent pas l'objet de ce travail. Je me suis attaché ici iî l'exa men des actions de résistance civile plus u autonomes P, c'est-Mir1 celles qui étaient orientées vers des objectifs proprement a civils N Par exemple : le maintien de l'indépendance de diverses institu tions en dehors du contrôle du pouvoir occupant, la protection di personnes pourchassées. Ce choix explique pourquoi l'étude port4 principalement sur la période 1939-1943, celie ob les forme, d'opposition armées sont encore peu développées. En second lieu, l'objectif de ce travail est de proposer unc u grille d'analyse de l'ensemble des cas de résistance civile ains sélectionnés. Mon projet est ainsi de comprendre pourquoi et corn ment des hommes et des femmes peuvent accepter de s'engage] dans un combat sans armes alors qu'ils font face iî un adversairî surarmé dépouvu de tout sens moral. Cela m'a conduit A procédei B diverses approches comparatives. Toute comparaison est dis cutable, du fait même que l'on a extrait certains événements de leur contexte. Ainsi, compte tenu de la grande diversité des histoires de chaque pays occupé et de leurs statuts d'occupation, le risque existe toujours d'énoncer des affirmations trop générales, qui s'appliquent mal B chaque cas particulier. Je pense cependanl avoir établi la pertinence de quelques concepts clés comme ceux de u légitimité B, de a cohésion sociale m, d'a opinion .,qui constituent la charpente de cet ouvrage. A travers eux, les fondements du combat sans armes deviennent plus compréhensibles. Je souhaite présenter ainsi un autre regard sur la a Résistance Certains des éléments de réflexion présentés ici, qui font parfois intervenir des grilles d'analyse psychologique ou sociologique, offrent d'autre part des outils pour mieux interpréter diverses formes de u résistances civiles B contemporaines, que ce soit en Pologne, aux Philippines ou en Chine. En ce sens, cet essai reléve plus de la sociologie historique ou de la science politique que de la discipline historique proprement dite. A moins qu'il ne réponde au souhait émis par Stanley Hoffmann, qui appelle l'historien A une tâche fort difficile: a Il lui faudra s'aventurer non seulement dans les domaines déjA bien connus des politistes et des sociologues mais dans ceux, controversés, des psychologues. Vaste programme 6!. Cene recherche pose enfin un probléme plus général : la société . .. 6. Stanley HO-, jours, Paris, L'HÜtoiw dtwfre de 1940. dans La France de 1939 à nar - .Le Éd. du Seuil, 1985, p. 33. 20 1Sans armes face à Hitler et peut garder des points stratégiques de toute importance, mais surtout, elle possède les plus grandes ressources d'organisation, matérielles et spirituelles, qu'il y ait au monde, réunies dans une même main 2. » Mais il y eut Stalingrad et la formidable poussée de la machine de guerre américaine. Qui peut dire ce que serait devenue l'Europe sans la farouche obstination de l'Angleterre à continuer seule le combat jusqu'en 1941 et la mobilisation progressive des États-Unis à ses côtés? Il est bien difficile d'y répondre, d'autant que les vues allemandes en la matière n'ont pas été vraiment kclaircies. Nombre d'auteurs soulignent en effet que Berlin ne semble jamais avoir élaboré un projet sérieux visant ?i construire un véritable ordre européen, politique, économique et social. Toutefois, la conduite des Allemands à l'égard des peuples conquis donne malgré tout une idée de ce qui les attendait si l'Allemagne avait gagné la guerre. Les objectifs fondamentaux Rappelons quelques éléments clés de cette politique etrangère de l'Allemagne envers les nations européennes. Il n'est pas nécessaire de décrire le cours des événements militaires ni même les interprétations globales du phénomène nazi toujours en débat 3. En revanche, puisque cette étude vise à interpréter le rôle de certaines formes particulières de résistance contre l'occupant, il est indispensable de rappeler quels fwent les objectifs de celui-ci ?i l'égard des pays occupés. Quelle était d'abord la volonté du nouveau maître de l'Europe, Adolf Hitler? On sait que l'État nazi ne fut pas un bloc monolithique, mais un système assez chaotique où des décisions majeures étaient souvent la résultante des pressions les plus diverses, sans qu'il y eût forcément planification ou ordre clair provenant du sommet. Mais il est non moins certain que le chef du Troisième Reich garda toujours la haute main sur deux des domaines qui l'intéressaient au plus haut point : la conduite de la guerre et celle de la politique étrangère. Or, il semble n'avoir 2. CitC par PR. . . 97-98. Pascal ORY,La Francr allemande, Paris, Gallimard-Julliard, 1977, - 3. Durant ces dernitres années, une polCmique entre historiens s'est dCveloppée en Allemagne B propos de la vCritable nature. du rCgime nazi et de la singularitC du gCnocide juif. Voir : D m n r lJh>jtoireLes documents dans la m t r o w s e sur k singulariii de ktmninarion des juifs par le rigime nazi, Paris, Éditions du Cerf, 1988. Les traits fondamentaux de la domination nazie / 2: jamais clairement précisé ses vues sur les bases politiques et écono miques de son empire. La premitre de ses préoccupations fut tou jours de gagner la guerre qu'il avait lui-même déclenchée. Li question des fondements de cette Europe nouvelle passait ai second plan. a L'objectif immédiat de Hitler, écrit Gordon Wright c'était la victoire par les armes, non la réorganisation de 1'Europc soumise selon un plan préétabli B Au sein des pays conquis, il lui importait d'abord d'assurer l'ordre et la sécurité et de mettre sui pied des formules pragmatiques d'occupation qui gênent le moins possible la poursuite des efforts de guerre. Cela impliquait, le cas échéant, de s'appuyer sur l'aide des administrations locales, que ce soit pour la gestion des affaires civiles ou la répression d'éventuels mouvements d'opposition. Une fois la guerre gagnée, viendrait alors le temps de la consolidation des fruits de la conquête. Ces orientations étaient-elles un choix tactique délibéré, qui incitait le Fiihrer a dissimuler ses plans de l'après-guerre, ou furent-elles la conséquence de sa passion pour la stratégie militaire? Sans doute y avait-il des deux. Mais l'image qui reste de Hitler est sans conteste d'abord celle du chef de guerre, doté d'indéniables talents, plus que celle du gestionnaire planificateur de ses conquêtes. Il sut faire les bons choix pour reconstruire une armée allemande en la dotant de la technologie la plus moderne. Il excella a mystifier ses adversaires et A galvaniser son peuple et ses soldats par le magnétisme de sa voix. En outre, en matière de stratégie, il eut un don de prévision et d'improvisation qui le conduisit des victoires militaires rapides. Ainsi que l'a montré Arnold Toynbee 5, ce qui domine chez Hitler, c'est sa volonté de puissance, laquelle s'exprime avant tout dans sa volonté de conquête, les buts de guerre étant définis avec flexibilité. Certains pensent cependant que Mein Kampf, en dépit de sa phraséologie, définit un cadre d'actions et de revendications dont le futur Fiihrer ne s'est jamais départi. Mein Kampf réclamait pour l'Allemagne une extension vers l'Est, surtout vers l'Ukraine et les pays Baltes mais peut-être au-dela. Hitler y affirmait la nécessité de briser la puissance militaire de la France mais n'y exprimait pas le désir d'une expansion territoriale a l'Ouest. Il ne semblait pas vouloir relever le défi de la puissance coloniale et maritime britannique. Son idée était qu'un Reich, maître de l'Europe de l'Est, considérée comme une zone potentielle de N colonisation n, ferait '. 4. Gordon WRIGHT, L'Europe en guerre (1939-1945),traduction, Paris, Armand Colin, 1971, p. 98. 5. Arnold Tom=, Hirlefs Eu*> Survey of Inremarional 4ffairsJ Londres, Toynbee Editors, 1954. 22 1Sans armes face à Hitler Les traits fondamentaux de la domination nazie / 23 de l'Allemagne une puissance mondiale. Mais ce qui frappe dans ce texte et dans bien d'autres déclarations de Hitler, c'est la place qu'il réserve dans son argumentation a u questions raciales. C'est là une autre clé de compréhension de la politique nazie sur le plan national et international : des considérations raciales tiennent un rôle de premier plan en matière de politique étrangère au point qu'elles contribuent à en déterminer les grandes lignes. Le fondement de cette politique fut la vision mégalomaniaque de la nation allemande, a peuple d'Aryens P, issu de la lignée de la a race des Seigneurs P. A ce titre, le peuple allemand, naturellement vigoureux et dominateur, se devait de revendiquer un a espace vital B :le Lebensraum, terme rituel dans le vocabulaire nazi. Dans l'esprit de Hitler, l'Europe de l'Est constituait ce territoire de prédilection, ce Lebensraum. Cela signifiait que ces terres devaient être colonisées. au sens nazi du terme, c'est-A-dire vidées de leurs populations puis a germanisées P. Ainsi, depuis 1935, un bureau de la a Race et du Peuplement B avait été créé au sein de l'organisation SS. En octobre 1939, Hitler y adjoignit un a commissariat d'État au renforcement de la germanité * que duigea Himmler. Cet office eut la charge de a nettoyer * les régions conquises puis de les a repeupler B. Cette a germanisation P n'était pas conçue dans le sens traditionnel du processus par lequel le colon impose sa culture au colonisé. a Notre tâche à l'Est, disait Himmler en 1942, ne consiste pas à germaniser au sens ancien du mot, c'est-à-dire à imposer la langue et les lois allemandes à la population, mais à faire en sorte que seules des personnes de pur sang germanique habitent l'Est P Certains peuples, comme les Scandinaves, perçus comme racialement proches du peuple germanique, n'étaient pas visés par le processus de colonisation. A leur égard, il s'agissait davantage d'entreprendre leur rééducation. Mais d'autres, et en premier lieu le peuple russe, étaient appelés à l'asservissement. Ainsi, c'est en 1941, en même temps que l'attaque contre l'Union soviétique, que se développa une campagne de propagande visant à qualifier les habitants de i'Est européen de a sous-hommes (Untermenschen), mot jusqu'alors peu utilisé. L'autre theme fondamental du racisme nazi, tout aussi obsessionnel et délirant, fut celui de la a contamination B de l'Europe par la a juiverie internationale W . Les juifs furent présentés comme les responsables de tous les maux de l'Allemagne vaincue des années vingt. La propagande nazie développa A leur égard des images animalières, laissant entendre qu'il fallait couper toute 6. Citt par Alexander D u , German Rule in Russia 1957, p. 279. (1941-1945), Londres, relation avec ces êtres dangereux et contagieux. Avant la guerre, les autorités nazies se contentèrent de dépouiller et de bannir les juifs. Certes, dès janvier 1939, Hitler avait déclaré au Reichstag que a si la finance juive internationale réussissait à plonger encore une fois les nations dans une guerre mondiale, il en résulterait [...] l'oblitération de la race juive en Europe »,mais bien peu d'observateurs avaient pris cette déclaration au sérieux. A la faveur de la guerre, cette menace, publiquement affichée, devint réalité. L'extermination systématique des juifs de l'Est commença vers la fin de juillet 1941, à l'occasion de la campagne de Russie. En janvier 1942, une réunion interministérielle, tenue dans le faubourg berlinois de Wannsee, programmait I'extermination des juifs d'autres pays, en particulier ceux de l'Europe occidentale. Au cours de l'automne 1941, des exécutions de masse à la mitrailleuse avaient déjh été commises par des commandos spéciaux, qui avançaient derrière les armées allemandes en marche vers Moscou. Des fourgons à gaz fonctionnaient h Chelmno, en Pologne, à la fin de 1941 et la construction dans ce même pays de quatre grands centres d'extermination (Belzec, Maïdanek, Sobibor et Treblinka) était déjà engagée. En 1942, un camp de concentration, Auschwitz, fut également converti en centre d'extermination. La barbarie des hommes a accompagné bien des guerres. Mais, après celle-ci, on éprouva le besoin de créer, pour dénommer ce qui venait de se passer, un nouveau mot, aussi nouveau que le phénomène qu'il désigne : ce fut celui de ginocide Certains s'irritent de la volonté de réserver une place à pan à I'extermination des juifs européens. Il est vrai que bien d'autres personnes disparurent dans les camps nazis : des Tziganes, des homosexuels, des Slaves et, en fin de compte, des hommes de toutes sortes de nationalités. Mais il reste que la base de ce processus exterminatoire, ce qui lui a donné sa dynamique, ce fut l'antisémitisme nazi. La caractéristique fondamentale du nazisme, son trait sui generis, réside dans cette planification industrielle de l'élimination de catégories particulières de populations civiles, principalement juives. A cet égard, le génocide doit occuper une place centrale dans l'interprétation de la politique nazie envers les nations tombées sous son influence. Mais la guerre avait aussi ses impératifs économiques et, compte tenu de l'ampleur des forces en présence, il fallait exploiter au maximum les ressources industrielles des pays occupés, pour contrebalancer celles des Alliés. Les Allemands conçurent ce ' 7. Citt par Gordon WRIGHT,L'Europe en guerre (1939-1945), W. cil., p. 113. 8. Le mot a ttt crCC par le juriste Raphael L m .L'un de ses premiers articles h ce sujet est Le gtnocide 8 daas le Revue i n t m t i d e & droit phiol, 1946,no 10. 26 1 Sans armes face h Hitler France, l'Allemagne reprit A la Belgique deux petits districts (Eupen et Malmédy) qui lui avaient été confisqués lors du traité de Versailles. De même, Berlin imposa un statut d'annexion au grand-duché de Luxembourg, à l'Alsace et à une grande partie de la Lorraine. En 1941, après la chute de la Yougoslavie, l'Allemagne s'appropria les deux tiers de la Slovénie et prolongea ses frontières aux abords de la mer Adriatique. Après le déclenchement de la guerre contre I'URSS, la partie de la Pologne anciennement sous contrôle soviétique (une partie de l'Ukraine, de la Lituanie et de la Biélorussie) fut automatiquement rattachée à l'Allemagne. Hitler laissa entrevoir la possibilité d'autres annexions. Mais il n'en fit rien. Sans doute était-ce là une menace destinée à faire pression sur ses sujets, mais il est aussi probable qu'il gardait en tête divers projets en la matière, qu'il se réservait de mettre à exécution, une fois la guerre gagnée. Le deuxième mode de domination politique fut celui, beaucoup plus fréquent, de I'administration directe, militaire ou civile, des territoires conquis. Toutefois, le terme u administration B, utilisé ici par divers historiens, peut prêter h confusion. En effet, il ne signifie pas que les autorités occupantes avaient les moyens à elles seules d'administrer le pays. Bien au contraire, si un certain nombre de fonctionnaires allemands vinrent alors sur place, ce fut pour commander directement les divers services de I'adrninistration nationale composée, elle, d'agents du pays lui-même. Ce second cas a donc moins une signification administrative que politique. Il décrit diverses situations en Europe où les Allemands dirigèrent les sociétés occupées sans intermédiaire politique national, soit que celui-ci ait été défaillant, soit qu'ils n'en aient pas voulu. Ainsi, du fait du départ pour Londres du roi de Norvège, Haakon VII, et de son gouvernement, Berlin créa un commissariat du Reich, sous l'autorité de Joseph Terboven, pour diriger l'administration norvégienne dans laquelle furent nommés nombre de sympathisants pro-nazis. Un scénario assez semblable se produisit aux Pays-Bas avec la fuite h Londres de la reine Wilhelmine et de son gouvernement. Une équipe de secretaires d'État néerlandais qui, A la différence de la Norvège, étaient cependant reconnus par leur gouvernement en exil, restèrent sur place. Ils furent dirigés par un administrateur civil, un nazi d'origine autrichienne, le docteur Arthur Seyss-Inquart. En Belgique, le gouvernement se réfugia en France puis en Angleterre et dénonça la position du roi Léopold III qui s'était constitué prisonnier. Des haut fonctionnaires belges, les .:secrétaires généraux B, administrèrent le pays sous la tutelle d'un militaire allemand, le général von Falkenhausen. En Les traits fondamentaux de la domination nazie 1 27 France, les deux tiers du territoire, constituant ce qu'on a appelé la ((zoneoccupée furent également régis par I'administration militaire allemande. En outre, les deux départements du Nord et du Pas-de-Calais, considérés comme zone stratégique de première importance, tant du point de vue militaire qu'industriel, furent isolés du reste du pays et placés sous la dépendance de I'administration militaire de Bruxelles. A l'Est, après la Pologne, la partie qui n'avait été annexée ni par l'Allemagne ni par l'Union soviétique fut admidstrée par un militaire nazi de sinistre réputation, le général Hans Frank. Ce territoire reçut le nom de Gouvernement général des territoires polonais occupés puis, en 1940, l'appellation abrégée de N Gouvernement général m. L'invasion de I'URSS élargit considérablement le champ de I'administration allemande. Deux énormes commissariats dirigés par des civils y furent créés : l'Ukraine et I'Ostland (comprenant les Etats baltes et la Biélorussie). Berlin tenta d'en établir deux autres : la Moscovie (englobant le gros de la Russie d'Europe au nord de l'Ukraine) et le Caucase. Mais, ni l'un ni l'autre ne prirent corps du fait de la résistance soviétique. En réalité, I'administration civile allemande en Union soviétique resta assez formelle car, même dans I'Ostland et I'Ukraine, il demeura d'importantes zones de combats jusqu'à la fin de la présence allemande. La troisième forme de la domination nazie, assez fréquente également, fut celle de la mise en tutelle des nations conquises à travers le maintien d'une autonomie plus ou moins fictive de leur appareil d'État. En ce cas, un gouvernement national m, composé d'hommes politiques reconnus ou de sympathisants pro-nazis, parut continuer à avoir en charge les affaires de son propre pays. En effet, non seulement un tel gouvernement avait la responsabilité de I'administration civile mais, en même temps, il pouvait être considéré comme une structure politique représentative de la nation soumise. En somme, au lieu d'être en contact direct avec les populations, les autorités allemandes entendaient agir sur elles par l'intermédiaire d'un gouvernement u national N disposé h collaborer. Dans de telles conditions, la marge d'initiative de celui-ci était fort limitée et, de toute façon, des troupes allemandes étaient stationnées dans le pays. Avant le déclenchement de la guerre, Hitler avait déjà expérimenté cette formule en Tchtcoslovaquie. Après les accords de Munich, qui consacraient le démantèlement d'un État tchécoslovaque indépendant, le pays fut divisé en deux par Berlin. La partie occidentale devint le protectorat de BohêmeMoravie dont le gouvernement ,, n'eut guère de responsabilités. En revanche, la partie orientale fut convertie en un État vassal à )> . 28 / Sans armes face (i Les traits fondamentaux de la domination nazie 125 Hitler pan entiere, dirigé par un prélat catholique, monseigneur Tiso, disposant d'une armée et d'une représentation diplomatique auprès des pays de l'Axe. En France, l'Allemagne bénéficia en la personne du maréchal Pétain, grande figure nationale, d'une personnalité de premier plan disposée à entrer dans le jeu de la collaboration. Mais Berlin prit la précaution de limiter l'autorité du gouvernement de Vichy à la partie sud du pays, dite .:zone libre Au Danemark, le roi Christian X, contrairement à son homologue norvégien, n'avait pas voulu s'exiler à l'étranger. Comme, du côté allemand, on souhaitait maintenir dans ce pays une certaine façade démocratique, le gouvernement resta en place jusqu'à la crise d'août 1943. Au sud de l'Europe, dans la Yougoslavie démembrée, s'établirent trois régimes fantoches de types divers. Un grand État nouveau de Croatie avec, à sa tête, le fasciste croate Ante Pavelic, fut placé en théorie sous tutelle italienne. Un tout petit État serbe fut confié à un vieux militaire analogue au maréchal Pétain, le général Milan NediC, et le petit district du Montenegro fut dirigé par un conseil de pro-fascistes locaux. Quant à la Grèce, elle connut aussi des gouvernements collaborateurs servant de façade à la présence allemande et italienne. Enfin, l'influence nazie en Europe s'exerça à travers l'ensemble des États indépendants qui se déclarèrent alliés de l'Allemagne. En apparence, ceux-ci pouvaient sembler à égalité avec elle mais, dans les faits, ils furent des États satellites du Reich. Ainsi, la Roumanie et la Hongrie réussirent à sauvegarder pour quelque temps une souveraineté nationale fragile, en se faisant les auxiliaires armés de Hitler. La Bulgarie se déclara également alliée de l'Memagne de même que la Finlande, qui abandonna ainsi son précédent statut de pays neutre. Quant à l'Italie, elle était en théorie le partenaire privilégié de l'Allemagne pour la domination de l'Europe. Mais Mussolini n'avait pas les moyens de tenir ce rang. Ses échecs militaires ne pouvaient que lui enlever ses illusions. En fait, les Italiens étaient tributaires de l'Allemagne pour les fournitures de guerre et la sécurité de la péninsule. Le mythe de I'indépendance italienne se déchira en 1943 avec la chute du Duce et* l'invasion du pays par les armees allemandes. Mais, avant cette date, l'Italie n'était plus qu'un État satellite plutôt encombrant. Les expressions politiques de la collaboration pour gérer l'ensemble des territoires tombés sous sa coupe en quel. ques mois. C'est pourquoi il &ait naturel que Berlin cherchât 1 s'appuyer sur les structures locales des pays occupés et, en toui premier lieu, sur l'appareil administratif des États. Au reste, la convention internationale de La Haye de 1907 stipulait que, en cas d'occupation, l'administration du pays occupé devait être placée sous les ordres des autorités occupantes. Dans l'esprit de cette convention, certains pays avaient adopté des dispositions particulières. Ainsi, en 1937, en Belgique, les employés des chemins de fer et de la Compagnie électrique avaient reçu un a Livret de mobilisation civile B qui leur enjoignait, en cas d'invasion étrangère, de n'opposer aucune résistance et de continuer à exécuter leur service avec conscience professionnelle et loyauté envers l'occupant. Les Allemands ne pouvaient pas souhaiter meilleure préparation psychologique et technique des fonctionnaires à se mettre h leur service. Mais, en général, ils purent obtenir beaucoup plus que cette * simple. collaboration administrative. Ce qu'on a appelé précisément la collaboration B est un processus complexe dans lequel l'occupé s'est impliqué politiquement à côté de l'occupant. Après Stanley Hoffmann, on ddfinit classiquement plusieurs formes de collaboration Tout d'abord, la collaboration d'État, tactique ou stratégique décidée au plus haut niveau du pouvoir, qui s'est voulue une façon de défendre les intérêts nationaux du pays vaincu. Eiie doit êue nettement distinguée du collaborationnisme qui est, lui, un choix idéologique consistant à militer politiquement pour la cause de l'occupant dont on admire le système; ce qui ne signifie pas qu'une telle attitude n'ait pas d'auues desseins. Car collaborer, ce fut aussi un moyen de promotion sociale pour des opportunistes en mal de reconnaissance ou une bonne manière de faire des profits à travers une collaboration économique, parfois bien avantageuse. Pour un plus grand nombre, ce fut encore un état d'esprit, une façon de se montrer u réaliste N, de chercher à use faire bien voir des maîtres du moment. Un point capital doit être soulevé : pour .:collaborer B, il faut être deux. Lorsqu'on oublie de rappeler cette simple vérité, on entretient en effet de graves malentendus ou de profondes erreurs d'interprétation sur la nature des rapports occupants-occupés. Ainsi, la collaboration d'État ne fut pas toujours acceptée par Hitler. Des historiens polonais insistent par exemple sur le fait qu'il est à l'honneur de leur peuple de ne pas avoir connu de gou- L'Allemagne, pays le plus peupl6 d'Europe, ne disposait pas cependant d'un personnel compétent suffisamment nombreux 1969. Ü. *. . 9. Stanley HOPPMAW, Vichy a la collaboration m, Prcuw, juillet-septembre 32 /Sans armes face à Hitler Les traits fondamentaux de la domination nazie 1 33 partisans idéologiques déclarés, En 1942, le commissaire du Reich, Terboven, se résolut en effet à faire appel au chef du parti national-socialiste norvégien, Nasjonal Samling, le commandant Vidkun Quisling. Ancien ministre de la Défense de 1931 à 1933 et grand admirateur de l'Allemagne, son nom est resté comme le symbole de la collaboration inconditionnelle avec les nazis. Quisling rêvait de construire en Norvège un État corporatiste sur le modèle fasciste au sein de l'empire germanique mais avec de fortes bases nationalistes; ce qui n'était pas pour plaire à Hitler. Pourtant, sans véritable solution politique pour la Norvtge, celui-ci accepta de le nommer en 1942 a ministre-président * à côté du commissaire du Reich. En réalité, cette promotion tant attendue par Quisling ne changea pas grand-chose à la répartition du pouvoir, qui restait toujours dans les mains de Terboven. Elle ne fit en fait qu'accroître l'hostilité de la population A l'égard du régime et N l'expérience Quisling » fut un fiasco politique pour I'occupant et pour lui-même '1. i I i i ! ! 1 Les logiques de la collaboration d'État: une comparaison entre le Danemark et la France dire que Hitler entendait u collaborer m avec eux? Cenainement non. Son but fut toujours d'obtenir le maximum d'avantages de ceux qu'il avait vaincus, non de leur proposer une sorte de partenariat. En ce sens, la notion de u collaboration m est équivoque. Elle sous-entend une certaine réciprocité qui n'a jamais existé dans l'esprit du FUhrer. Celui-ci ne s'est d'ailleurs pas privé, quand cela l'arrangeait, d'entretenir un tel u malentendu m pour duper ses interlocuteurs. En réalité, la notion de a collaboration B n'est pas venue du côtC de l'occupant mais de celui de l'occupé. Elle pan du principe que, dans une situation aussi grave qu'une occupation étrangère, pour éviter le pire, mieux vaut engager une politique de concession et de coopération plutôt qu'un processus de rupture et de résistance. La collaboration d'État s'est entièrement fondée sur ce paradoxe: composer avec l'ennemi, et même servir ses buts, revient en de telles circonstances B protéger ses intérêts nationaux fondamentaux. Dans le cadre de l'~c&~ationnazie, le Danemark a eu recours à une telle stratégie. Ce petit pays n'était pas en mesure de résister militairement B l'invasion nazie et il décida de ne pas livrer . . bataille. Après une période de flottement, le gouvernement choisit -.de rester en place, tout en protestant vigoureusement contre la violation de la neutralité danoise. Le mémorandum allemand, présenté le 9 avril 1940 par von Renthefink, justifiait l'occupation pour des raisons de sécurité du Reich et, en même temps, affirmait que la présence des forces allemandes était le moyen de faire respecter la neutralité du Danemark. En outre, Berlin déclarait ne pas vouloir mettre en cause l'intégrité territoriale et Iyindépendance politique du pays. Ainsi, l'État danois pouvait conserver ses principales prérogatives : son propre gouvernement, son parlement (Rigsdag) et son armée. Ce mémorandum servit de document de référence pour toute la piriode de l'occupation. Dans la hiérarchie raciale des nazis, les Danois étaient des membres de fait de la confrérie aryenne. C'est pourquoi ils pouvaient bénéficier d'un régime de faveur, l'objectif Ctant de les convaincre à moyen terme des vertus de l'idéologie nationale-socialiste. Mais, court terme; il était avantageux pour Berlin de préserver, sous son contrôle, un régime de type démocratique. La démocratie danoise était un bonargument de propagande à opposer à tous ceux qui dénonceraient les horreurs commises en Europe de l'Est. L'équipe social-démocrate au pouvoir, dirigée avant I'occupation par Thorwald Stauning, se transforma en un gouvernement d'union nationale avec l'adjonction des représentants des deux ~ Du point de vue des objectifs généraux de la politique hitlérienne, cet échec enregistré en Norvège montre que la tactique consistant à ne pas placer au pouvoir les partis pro-nazis était tout à fait fondée. Si le but était d'abord d'assurer le maintien de l'ordre et la paix publique au sein des sociétés conquises, tout en exploitant au maximum leurs ressources économiques, Hitler n'avait aucun intérêt à mettre à la tête des États ses partisans déclarés, dont les mouvements étaient trop minoritaires. Il lui fallait davantage rechercher l'appui de personnages plus neutres, soit des hommes politiques représentatifs des opinions nationales quand ceux-ci estimaient qu'il fallait faire preuve de u réalisme pour sauver leur propre nation, soit des technocrates, qui pensaient que leur devoir &ait de rester à leur poste pour continuer à servir l'gtat et à dtfendre les intérêts de leur pays. De fait, Berlin obtint souvent le concours de notables reconnus appartenant généralement à des courants de la droite conservatrice et nationaliste et celui de hauts fonctionnaires dont la compétence était nécessaire au bon fonctionnement des administrations. Ce faisant, peut-on 11. A propos des mouvements collaborauonnistes, on consultera I'excellent ouvrage collectif, Who Were the Facists?, ed. by Stein Ulgelvick LANSEN,Universitetforlagei, Bergen, Oslo, Tromst, 1981. 8 Les traits fondamentaux de la domination nazie 1 35 34 /Sans armes face à Hitler plus grands partis d'opposition. Ensemble, les membres de l'équipe gouvernementale représentaient 95% de la population. Le parti pro-nazi (DNSAP), insignifiant, animé par le docteur Clausen, était tenu à l'écart. La politique de ce gouvernement, en grande partie inspirée Par son ministre des Affaires étrangères, Munch, fut de prendre, pour ainsi dire, a au pied de la lettre D le mémorandum allemand, avec ses exigences mais aussi ses promesses. Tout d'abord, les Danois estimaient que la renonciation à la défense armée de leur territoire ne pouvait être assimilée à une défaite. Du reste, comme il n'y avait pas eu de déclaration de guerre, on ne pouvait parler de capitulation. L'occupation était un fait accompli fort regrettable. Mais, désormais, il s'agissait de trouver les modalités d'un a arrangement * entre États. Ainsi, la Wehrmacht devait prendre en charge la sécurité du pays, mais pour en assurer la neutralité. En somme, pour le gouvernement danois, l'occupation était assurément une nouvelle donne qui impliquait certaines concessions de la part de a l'occupé u mais aussi des devoirs de la part de a l'occupant 'B. En faisant comme si n celui-ci allait respecter ses promesses, le gouvernement danois cherchait clairement à limiter les dégâts provoqués par une situation qui lui était particulièrement défavorable. Par son maintien en fonction, il voulait constituer une sorte d'écran entre les nazis et la population. Sa simple présence était un obstacle A la formation d'un gouvernement fantoche de collaborationnistes ou à la prise de contrôle directe du pays par Berlin. Son but était de préserver le système démocratique et la culture danoise, d'éviter au pays trop de souffrances. Et, au fond, la décision de ne pas engager l'armée danoise dans un combat perdu d'avance avait t t t le premier acte de cette politique de protection du pays. Dans les jours suivant l'invasion, les dirigeants danois firent cette déclaration : a Le gouvernement a agi avec la conviction honnête d'avoir par là sauvé le pays d'un sort plus cruel. Nous continuerons A nous efforcer de protéger le pays et son peuple contre le désastre de la guerre et nous comptons sur la coopération de la population '2. * Nul doute qu'A ce moment-là, la population soutenait la position gouvernementale qui avait aussi la faveur du roi Christian X. En revanche, à l'étranger, en particulier en Grande-Bretagne et aux États-unis, où l'on pouvait entendre dire a se coucher comme un Danois B, cette politique ne fut pas très bien comprise. En apparence, il est vrai que Copenhague semblait faire le jeu Q 12. Citt par Jorgen Hamm,Le Mouwmmr de la rkistonce &no& 1945), Copenhague, nùnisttre des Affaira ttrangtreq 1970, p. 5. (1939- ' de l'Allemagne. Le roi et son gouvernement étaient restés sur place, contrairement à d'autres, et le fait pouvait être interprété comme une forme de légitimation de a l'ordre nouveau ». De plus, la ligne choisie par les Danois n'était pas facile à mettre en œuvre. Elle supposait un habile et complexe dosage entre d'inévitables concessions et des manifestations de fermeté. Le nouveau Premier ministre, Eric Scavenius, fut le principal maître d'œuvre de cette difficile entreprise, au cours de laquelle il manifesta d'indéniables talents de négociateur. Il servit souvent d'intermédiaire entre le gouvernement danois et les autoritts allemandes, dont il avait su gagner une confiance relative. Face aux pressions de Berlin, la tactique habituelle de Copenhague était de chercher à discuter, à gagner du temps, à retarder l'exécution des ordres et, finalement, à céder sur des points qui ne paraissaient pas essentiels. En gros, cette ligne conduisit à une sorte de N clivage n non rigide entre politique internationale et politique intérieure : le Danemark aligna sa diplomatie sur celle de l'Allemagne, mais réussit à se protéger, jugqu'à un certain point, contre les ingérences de Berlin dans ses affaires intérieures. Scavenius trouva dans le nouveau plénipotentiaire du Reich, Werner Best, arrivé à Copenhague fin octobre 1942, alors qu'une crise se faisait menaçante, un interlocuteur compréhensif. Membre de la dynastie SS, Best, collaborateur de Reinhard Heydrich, faisait partie d'un groupe d'intellectuels nazis qui estimaient que I'Allemagne devait avant tout gagner la guerre. Une fois ce but atteint, elle pourrait se consacrer à l'éducation idéologique des populations. Mais pour l'heure, il fallait surtout les convaincre de collaborer et, à cene fin, des mesures répressives trop brutales seraient contre-productives. Best entendait ainsi agir avec prudence, ce qui faisait bien l'affaire du gouvernement danois. Il insista même auprès de Berlin pour organiser des élections législatives au Rigsdag dont l'effet de propagande lui semblait assuré. Celles-ci, qui eurent lieu le 23 mars 1943, furent les seules à être organisées dans l'Europe allemande. Elles consacrèrent l'attachement du peuple danois au principe parlementaire (89% de votants) et sa confiance dans les partis traditionnels au gouvernement (94% des voix s'étant portées sur eux), ce qui confirmait l'insignifiance des groupes pronazis. II est difficile d'évaluer si la collaboration d'État à la danoise fut véritablement payante pour le pays, d'autant qu'il faut aussi prendre en compte la crise majeure d'août 1943, qui sera évoquée plus loin. Le bilan de l'activité du gouvernement fait ressortir des actes caractérisés de collaboration d'État, mais aussi des gestes 36 1Sans ames face d Hitler Les traits fondamentaux de la domination nazie 1 37 d'opposition manifeste ou détournée. D'un côté, à travers des déclarations officielles, le Danemark a exprimé son souhait de collaborer à la construction d'une Europe germanique. II a rompu ses relations diplomatiques avec l'URSS et les États-Unis, rejoint le pacte anti-Komintern, reconnu plusieurs États satellites du Reich. En outre, les relations économiques avec Berlin furent très importantes, notamment dans le domaine des exportations agricoles vers l'Allemagne. En matière de politique intérieure, il finit par céder sur un point important : la mise hors la loi des communistes, décision inconstitutionnelle pourtant votée par le Parlement. De l'autre côté, le gouvernement réussit ?I maintenir un assez bon niveau de vie économique de la population et à préserver une certaine autonomie politique bien que les Allemands eussent exigé, des octobre 1940, le départ d'un ministre conservateur, Christmas Moller '3, puis de ministres sociaux-démocrates. Copenhague parvint plus ou moins à différer la livraison de matériels militaires et se montra intraitable sur la question de la déportation des juifs. Le bilan semble ainsi en demi-teinte, mais il ne tourne pas vraiment à la défaveur des autorités danoises '4. L'autre grande tentative de collaboration d'État fut celle du régime du maréchal Pétain en France. Cependant, les méthodes et les résultats obtenus par le gouvernement de Vichy semblent bien différents de ceux de son homologue danois. Certes, la France représentait pour l'Allemagne un enjeu autrement plus important que le petit Danemark. Berlin avait de bonnes raisons de se montrer beaucoup plus intransigeant à l'égard des Français. Mais, cela pris en compte, les tactiques utilisées de pan et d'autre envers l'occupant ne se ressemblent pas : c'est u l'esprit B de la coliaboration qui n'est pas le même. Après leur victoire-éclair de mai-juin 1940, les Allemands fixèrent à la France des conditions très dures, dans le cadre d'un armistice signé le 22 juin et entré en vigueur le 25. Hitler semblait faire preuve de clémence en laissant dans la partie sud du pays un gouvernement a légal w disposant d'une autonomie politique; sans doute voulait-il en finir au plus vite avec la guerre à l'Ouest et empêcher la flotte française de rejoindre des ports étrangers. Mais, sur le fond, le pays était littéralement ligoté par les exigences du 13. Celui-ci deviendra prCsident du Conseil de la LibenC, constinié A en septembre 1943. Londres 14.-11n'existe pas en langue française d'ouvrage de référence sur l'occupation allemande au Danemark. On se reportera B Eridi THOMSEN, Dcwrche Bc1araungspolirik in Danemark (1940-1945)' Dusseldorf, Benelsmann, Universitatverlag, 1971, et B Richard PETROW, The Bitter Yeats The Invasion and Occupation of Dmmark and Nonwy Vlpd 1940-May 1945)' New York, Moaow, 1974. Führer. Dans son esprit, la France n'avait pas à être polonisée W ; certes, les Français étaient une N race de dégénérés ., mais ils n'étaient pas des Untemenschen. Hitler voulait plutôt emporter une victoire définitive sur la France, l'empêcher de relever son armée, exploiter à fond son économie mais non exterminer son peuple. Les clauses draconiennes de l'armistice lui donnaient à cette fin des atouts maîtres. Berlin prenait le contrôle direct de la plupart des centres économiques et industriels du pays. Chaque jour, la France devait être rançonnée de 400 millions de francs au titre des a frais d'entretien des armées d'occupation L'Allemagne gardait la main sur 1 600 000 prisonniers de guerre, lesquels constituaient un excellent réservoir d'otages dans d'éventuels marchandages politiques. En outre, le Reich se donnait des gages territoriaux. En août 1940, il annexait trois départements de l'est et mettait en place une u zone interdite rn au nord d'une ligne qui allait de la Somme au Jura, laquelle comprenait encore une u zone rattachée B des départements du Nord et du Pas-de-Calais qui dépendaient de l'administration militaire de Bruxelles. Quant au gouvernement français, Berlin attendait de lui une aide limitée mais cependant indispensable : la remise en marche de I'économie, l'administration des affaires civiles et le maintien de l'ordre. A cet égard, l'article 3 de la convention d'armistice, dans lequel apparaît pour la premiére fois le mot a collaborer n (zusammenar beiten), est assez significatif : a Le gouvernement français invitera immédiatement toutes les autorités et les services administratifs du territoire occupé à se conformer aux réglementations des autorités allemandes et à collaborer avec ces dernières d'une manière correcte. n C'était déjà beaucoup. Mais le problème est que les choses allèrent bien au-del8 : Vichy fut plus qu'une simple administration. En effet, par souci de a réalisme n, le maréchal Pétain, symbole du redressement militaire français au cours de la Première Guerre mondiale, appelé à la tête du gouvernement par Paul Reynaud, président du Conseil, souhaita engager la France dans un processus de collaboration politique avec l'Allemagne. Celui-ci n'était aucunement séduit par l'idéologie nazie mais il estimait que l'Memagne avait dhormais acquis un avantage durable en Europe et qu'elle devait logiquement gagner la guerre. Mieux valait donc chercher à s'entendre avec elle. Or, dans cette Europe u nouvelle B, la France serait bien placée pour devenir le premier partenaire du Reich. En particulier, sa puissance coloniale et navale lui donnait des atouts. Mais il failait aussi songer 8 reconstruire la France moralement et politiquement pour réparer les erreurs commises (( 1). - - 38 1 Sans armes face à Hitler Les traits fondamentaux de la domination nazie 1 39 sous la IIIcRépublique. Pétain jugeait indispensable le redressement moral et politique du pays à partir des valeurs traditionnelles de l'idéologie conservatrice et autoritaire. Le 10 juillet 1940, il obtint les pleins pouvoirs et le régime de la IIIeRépublique fut suspendu. Alors commença le temps de la Révolution nationale » sous l'œil de I'occupant. La collaboration d'État à la française se doublait ainsi d'une volonté de u régénération B intérieure et l'on ne peut comprendre l'une sans l'autre. En octobre 1940, la poignée de main entre Hitler et Pétain symbolisa cette a ère nouvelle B des relations franco-allemandes. Le 30 octobre, le vieux maréchal prononçait à la radio un discours qui fit sensation : a C'est dans .l'honneur et pour maintenir l'unité française, une unité de dix siècles, dans le cadre d'une activité constructive du nouvel ordre européen, que j'entre aujourd'hui dans la voie de la collaboration [...]. Cette politique est la mienne [...]. C'est moi seul que l'Histoire jugera '5. B Selon différentes variantes, les gouvernements successifs de Vichy, nouveau siège officiel de SNÉtat français B, œuvrèrent h ce u rapprochement » franco-allemand. Avec l'arrivée au gouvernement de l'amiral François-Xavier Darlan, en février 1941, la France s'engagea dans la collaboration militaire et renforça une collaboration économique déjh bien avancée. Une activité diplomatique importante fut déployée dans la perspective d'un a traité de paix B avec i'Allemagne, qui aurait réservé A la France une place de choix dans le nouvel empire européen. En juin 1941, débuta la collaboration policière et judiciaire, l'État français acceptant la création de a Sections spéciales B pour juger les terroristes B et tous les ennemis de l'intérieur. Avec le retour au pouvoir de Pierre Laval, en avril 1942, le gouvernement de Vichy ne fut plus qu'une simple marionnette dans les mains de Berlin pour ne devenir qu'une fiction, après l'invasion de la zone Sud, en novembre 1942. Laval se prononçait pour la victoire de l'Allemagne contre le bolchevisme n et son équipe s'attacha A continuer h répondre aux exigences allemandes de plus en plus sévères. L'État français s'engageait dans la chasse aux juifs, organisait le transfert de plusieurs centaines de milliers de travailleurs en Allemagne, renforçait les modalités de la coilaboration économique et industrielle. Après-guerre, certains ont cherché A défendre la thèse que, si la politique des dirigeants vichyssois ne fut pas exempte de certaines erreurs, leur choix de rester au pouvoir fut fondamentalement bon pour les intérêts français. Le maintien d'un gouvernement cherN : - N 15. Citt par Jean-Pierre AzBhilr, De Munich d la Libérarian, Paris, 6d. du Seuil, 1979, p. 110. * chant à négocier avec l'occupant aurait été le seul moyen d'éviter le pire, par exemple la « polonisation B) du pays. Selon une formule répandue, Pétain était le bouclier B de la France et de Gaulle son épée B. Mais, plus de quarante ans après ces événements, la thèse ne résiste pas aux investigations historiques récentes. Loin des querelles françaises, un chercheur américain, Robert Paxton, a proposé une étude qui a considérablement renouvelé la connaissance du dossier '6. En dépouillant les archives allemandes, il a dressé un bilan accablant contre Vichy '7. Vichy a exactement répondu aux attentes de Hitler en assurant la gestion administrative du pays; la prise en charge de celle-ci par les Allemands était en effet très difficile, compte tenu de la complexité de la société française. L'apport de Vichy a été important dans le domaine de la répression (déportation des juifs, chasse aux résistants), ce qui évita pendant longtemps à l'occupant de s'en mêler directement. Quant au bilan économique, il est affligeant. Paxton montre comment la politique de Vichy, exécutée par des technocrates souvent brillants, a facilité l'exploitation du pays dans tous les domaines industriel, agricole, monétaire faisant de la France la principale a vache à lait D du Reich. Mais le plus grave est que, en demeurant en poste, en édictant de surcroît de nouvelles lois sous la tutelle demande, le gouvernement français a commis une faute impardonnable : il a légitimé l'occupation du pays et rendu illégitime la résistance à l'occupant. L'autre grande originalité du travail de Paxton est qu'il montre, documents à l'appui, que Hitler, sauf en de très courtes périodes, ne fut jamais demandeur d'une collaboration française sur le plan politique. Mis à part les intrigues à Paris de l'ambassadeur Otto Abetz, les Allemands ne voyaient pas d'intérêt particulier à répondre à l'offre française maintes fois réitérée. C'est donc Vichy qui a proposé ses services, allant au-devant des attentes de l'occupant, dans l'espoir d'obtenir des contreparties politiques qui ne venaient pas. A cet égard, il est intéressant de faire le rapprochement avec la politique de la collaboration d'État à la danoise. Car, autant le gouvernement de Copenhague paraît sur la défensive, ne faisant des concessions que lorsqu'il s'y sent acculé, autant le gouvernement de Vichy est dans le registre d'une stratégie offensive. Dans ses débuts, l'attitude du général Weygand, lorsqu'il déclarait : 16. Robert O. PAXTON, La 1973. i France de Vichy (1940-1944), Paris, Bd. du Seuil, 17. ii ne faut toutefois pas omettre de mentionner les travaux prtcurscurs de Eberhard JACREL, La France dans I'Europc de Hitler, Paris, Fayard, 1%8, et de Henri M i c m Vichy, o n d e 1940, Paris, Robert Laffont, 1966. Les traits fondamentau de la domination nazie 141 40 /Sans armes face d Hitler L'Armistice, rien que l'Armistice .,pourrait être assimilée à la position du gouvernement danois, qui revenait en quelque sorte à dire : « Le mémorandum, rien que le mémorandum. Mais par la suite, Laval prit une direction bien différente : pour se ménager une bonne place dans l'Europe nouvelle, il fallait selon lui aller de l'avant, faire des propositions, prendre des initiatives pour témoigner de sa bonne foi et de sa loyauté. Ainsi, la première logique - défensive - de la collaboration d'État tend à immobiliser les rapports occupants-occupés à leur point de départ. Elle est statique, à l'image d'une bataille dans un camp retranché. La seconde logique - offensive - de la collaboration d'État tend à transformer les mêmes rapports. Elle induit une dynamique de fuite en avant. C'est un engrenage infernal : plus I'occupé s'avance, plus I'occupant se dérobe et plus, à la longue, I'occupé « s'enfonce * dans les mailles du filet de I'occupant, comme étouffé par son emprise. C'est la seconde victoire de I'occupant : après son succès militaire, il obtient l'aliénation politique de I'occupé. Une fois lancée, il est difficile de rompre cette logique a aspirante ».Dans le cas de Vichy, peut-être celle-ci aurait-elle pu être rompue, du moins freinée, si ce régime avait vraiment cherché à défendre les intérêts français. On peut en effet imaginer que, dans une telle situation, les dirigeants d'un pays finissent par prendre conscience de leurs erreurs et décident de faire machine arrière. Mais, à la différence de son homologue danois, Vichy n'était pas un gouvernement d'union nationale mais celui d'une classe politique qui avait une revanche B prendre contre le Front populaire, une classe où l'on disait volontiers: u Plutôt Hitler que le Front populaire. » A la faveur de I'occupation, les dirigeants de Vichy entendaient régler des comptes avec leur a ennemi intérieur B. Vichy mena d'abord une guerre franco-française B. Au lieu de se présenter unie face à l'occupant, la France étala ses divisions, celles de ses conflits politiques d'avant-guerre et qui remontaient à l'affaire Dreyfus 'O. Le conflit patriotique avec 1'AUemagne s'est ainsi doublé d'un affrontement interne aux allures de guerre civile. Le régime de Vichy, sous couvert de défendre les intérêts vitaux de la nation contre une puissance étrangère, était en réalité une façon d'en terminer avec la démocratie et d'instaurer un régime autoritaire. Cela inspire deux réflexions finales. Premièrement, on peut discuter les avantages et les inconvénients d'une stratégie de collaboa . 18. Cf.L'intCressant dossier de la rrme Vingtihnr Sikh, La gucrra franfofrançaises a, no 5, man 1985. ration d'8tat. Par nature, elle implique un a jeu B constant d'âpres négociations qui exige une forte cohésion de I'occupé. Elle nc peut prétendre à une quelconque efficacité que si le pays est pr& fondkment uni derrière un gouvernement d'union nationale. Dans le cas contraire, la collaboration d'8tat est une forme de suicide politique parce que le pouvoir occupant ne peut tirer qu'avantages des divisions de I'occupé. C'est pourquoi, au regard de l'Histoire et des intérêts respectifs de leur pays, la position du gouvernement danois peut se justifier tandis que celle du gouvernement français n'est pas justifiable. La seconde remarque tient à la nature des rapport occupantsoccupés. L'ampleur de la collaboration avec Hitler a fait que, dans divers pays, la présence interne ou la pression extérieure de Berlin n'a pas nécessairement suscité des réflexes traditionnels de résistance nationale contre l'ingérence d'une puissance Ctrangère. En ce sens, le cas de la France n'est pas particulier. Ainsi, chez les trois alliés secondaires de l'Axe Roumanie, Hongrie, Bulgarie les gouvernements d'avant-guerre s'étaient déjà fortement rapprochés de l'Allemagne. Sauf tout B la fin en Hongrie, il fut inutile de mettre au pouvoir des nazis locaux. En Grèce, se succédèrent de 1941 à 1944 une strie de Premiers ministres qui, comme Laval, se persuadaient qu'ils amortissaient les rigueurs de I'occupation. Quant à la petite Serbie, dirigée par le général Milan NediC, elle fut une pâle copie de la France de Vichy. Le patriotisme bien intentionné de NediC n'offrait qu'une médiocre garantie devant les exigences allemandes. Sans doute, par esprit de réalisme, nombre de dirigeants européens estimèrent qu'il valait mieux composer avec 1'8tat le plus puissant du continent. Mais il est vrai aussi que l'avènement du régime nazi en 1933 avait suscité ici et là l'admiration et que, par conséquent, les visées expansionnistes de l'Allemagne ne se heurtèrent pas partout à un environnement défavorable. Sans avoir des collaborateurs à tout crin, Hitler eut des u amis W . C'est pourquoi la domination nazie en Europe est si particulière. Bien souvent, il n'y a pas, d'un côté, les a méchants * occupants et, de l'autre, des a bons occupés. Leurs rapports sont toujours complexes et ambigus, certainement pas manichéens. Dès lors, comment s'étonner que la résistance ait été aussi faible, du moins B ses débuts? - I - . CHAPITRE II QUELLE * RESISTANCE» ? La n Résistance * contre le nazisme est devenue I'un des archétypes modernes de la violence libératrice. Elle est I'un des mythes fondateurs de nos sociétés européennes; elle incarne le recours légitime à la force armte pour une cause juste : le combat pour la démocratie. Ceux qui l'animèrent sont dépeints comme des héros aventureux et guerriers défiant dans Sombre l'inacceptable tyrannie. On cultive leur mtmoire et ils sont montrés en exemple aux jeunes générations. Une sorte de mythologie du u résistant s'est ainsi créée, que le cinéma ou la littérature ont contribué à entretenir, et dont Jean-Pierre Azéma dtcrit bien les contours : La mémoire collective retient géndralement du résistant une image confuse où s'entremêlent l'agent secret, le justicier ou le hors-laloi qui tiennent de l'acteur de western, du chevalier sans peur et sans reproche, faisant sauter, mitraillette au poing, un nombre incalculable d'usines et de trains. Certes, il y eut bien des tpisodes étonnants, voire rocambolesques, mais ils étaient l'exception Certes, le combat par les armes de divers groupes et mouvements fut I'un des traits majeurs de la résistance européenne au nazisme et il n'est pas question de mettre en cause la bravoure de ceux qui s'y sont engagés. C'est la représentation que l'on se fait aujourd'hui du phénomène de la résistance qui est simplificatrice, sinon caricaturale. A cet égard, on observe un décalage, bien souvent déploré par les chercheurs, entre la complexité de la réalité, dont ils s'attachent 2 décrire les multiples facettes, et son souvenir dans la mémoire collective. Phénomène bien connu des historiens que cette reconstruction )) (1 '. )B 1. Jean-Pierre Adma, De Munich d la Libérorion (1938-1944), op. c h , p. 169. 44 /Sans anna face à Hitler Quelle «Résisrance »? / 45 du fait historique. Par-delh les faits, il y a l'idée qu'on s'en fait, la manière dont on les parle n ou les écrit. Toutes sortes de facteurs contribuent h les distordre. Les premiers, et non les moindres, sont politiques. La façon d'écrire l'Histoire est un enjeu de première importance. A travers la manière de rendre compte de leur conduite passée, les pouvoirs justifient dans le présent l'autorité qu'ils entendent conserver ou conquérir. Se donner le a beau rôle n, c'est appeler les peuples h vous être éternellement reconnaissants de ce que vous avez fait pour eux. La manière dont certains ont écrit i'histoire de la u Résistance n n'échappe pas h ce penchant. Ainsi, pour ce qui est de la France, Henri Michel a dénombré quatre u lectures politiques * : la gaulliste, la communiste, celle de la résistance intérieure de la première heure et celle des militaires de l'armée de l'Armistice A l'Est, on chantera u le glorieux combat des masses populaires contre la tyrannie fasciste B. A l'ouest, on célébrera a le courageux sursaut de l'unité nationale pour la Patrie en danger B. L'histoire officielle, ses oublis *, le vocabulaire qui la raconte, varient selon les régimes et les époques. Elle est plus le reflet de l'état d'esprit présent d'une collectivité A l'égard de son passé que la description de ce qui s'est réellement passé 3, Mais, si les éléments constitutifs de la mémoire collective sont soumis variations, il en est un qui, lui, est permanent : la place de la violence. Toute collectivité. a besoin de mythes fondateurs. Ceux-ci se confondent généralement avec des imageries de la violence salvatrice. La violence est perçue comme fondatrice. La mythologie de la Résistance P tient entièrement dans cette représentation. Sans doute les nations européennes veulent-elles se persuader qu'elles ont pu se libérer par elles-mêmes de l'horreur dans laquelle elles avaient sombré. L'Europe n'a certainement pas fini de régler ses comptes avec son passé, surtout lorsque celui-ci se nomme u génocide m. Certes, on ne peut pas placer toutes les nations du vieux continent sur le même plan. Si le nazisme s'est d'abord développé en Allemagne, l'idéologie hitlérienne a rallié bien des esprits A travers le continent europken. C'est pourquoi ce douloureux passé n'est pas seulement le problème de l'Allemagne mais celui de l'Europe dans son ensemble. Et il est vital pour les peuples européens d'entretenir l'image de leur u sursaut n, de leur ressaisissement, lesquels s'incarnent bien dans celle d'une violence liMratrice jaillissant de leur propre sein afin de terrasser, par euxmêmes, le mal dont ils ont été atteints. La a Résistance * incarne le mythe de la renaissance par la violence. Tout mythe exprime une reconstruction de la réalité. Dans ce cas, il est une manière de raconter l'Histoire pour lui demander pardon. Ce n'est évidemment là qu'une interprétation parmi d'autres de la mémoire collective de cette tragique période de l'histoire européenne. Mais qui peut dire que cette mémoire commune affecte seulement l'âme des peuples et non pas aussi celle des historiens de profession ? Bien qu'il s'efforce de se détacher de tout jugement de valeur pour a saisir m au mieux le fait qu'il étudie, I'historien travaille aussi avec la mentalité de son temps et ses schémas de représentation du monde. a La violence est le " moteur " de l'Histoire *, ditsn. Vrai ou faux, ce jugement conduit souvent h minimiser la part des formes civiles d'opposition au profit de l'étude de leurs formes armées. Certes, I'historien peut être spontanément attiré par le u spectaculaire n, par ce qui s'est vu, ce qui a a fait du bruit n, bref, par ce qui a laissé des traces. Or, les formes civiles de résistance, si elles peuvent parfois revêtir aussi des aspects voyants, sont souvent plus discrètes et moins facilement saisissables. Mais ne sont-elles pas, quelquefois, une traduction plus authentique de i'état d'esprit profond d'une collectivité? On touche ici la fascinante question de la visibilitk des faits en histoire, de la place que celle-ci doit prendre dans leur interprétation. Or, précisément, parce que les actions armées sont souvent dans le registre du spectaculaire, l'historien n'a-t-il pas pour penchant de les étudier en priorité davantage que les actions plus discrètes parce que non armées ? '. 2. Henri MICHEL, Bibliographie critique de la RCrutoncc, Paris, I.P.N., 1964. 3. Dans cette ligne de recherche, Henry Rousso a analysé les différentes façons dont les Français se souviennent. du gouvernement collaborateur de Vichy, depuis 1944: Henry Rousse, Le Syndrome de Vichy (1944-1987)' Paris, Éd. du Seuil, 1987. Quelle « histoire » de la « Résistance » ? - La u Résistance * est en réalité un phénomène très complexe qui supporte mal les cadres d'interprétation trop rigides. Qui approfondit le sujet s'aperçoit vite qu'on ne peut guère parler de La résistance en général mais plus justement de formes d'oppositions intérieures diversifiées selon les pays et les régions. L'examen de la bibliographie permet de dégager trois étapes successives de son appréhension qui sont comme trois modes de lecture du phénomène. La première est celle qui tend h montrer que la résistance fut un a m i imoortant aux ~uissancesalliées dans la perspective de leur 8 .. .... A... .. -- - . -. -. .. . . ..,- .-. - - . -.., - .-. . .. .. . ... . . -- . . -. 48 /Sans armes face à Hitler Quelle « RRFistance »? / 49 çais comme Étienne Dejonghe sur le département du Nord ou Pierre Laborie sur le département du Lot s'intéressent il l'étude de l'évolution de I'opinion. En introduction A son étude, Pierre Laborie précise que celle-ci est née du u souci d'une vision d'ensemble : l'étude de l'opinion suppose une approche globale de l'histoire et elle délaisse intentionnellement le plan apparent et spectaculaire de l'action de quelques dirigeants pour s'intéresser ?i l'état d'esprit de la population m Bien que la résistance allemande au régime nazi soit d'une nature très différente de celles que l'occupation a suscitées, il est intéressant de souligner que de nouvelles recherches sur celle-ci se développent également dans cette perspective en République fédérale. A cet égard, Klaus Jurgen Müller distingue trois étapes de l'historiographie allemande 9. La première, dans les années cinquante, s'est consacrée à I'étude des formes de résistance morale, comme celle des jeunes étudiants de Munich de a La Rose blanche. 'O. Puis, dans les années soixante, on s'est davantage penché sur les tentatives de rtsistance militaire, notamment les diverses tentatives d'assassinat de Hitler; le livre de Peter Hoffmann est sans doute un bon exemple de ces travaux ". Ensuite sont apparues des études très importantes sur les communistes, les sociaux-démocrates et diverses couches de la population qui ont montré que le concept allemand de résistance, Widerstand, assez limitatif, devait être conçu dans un sens beaucoup plus large, celui de Resistenz. L'idée est en effet qu'il ne convient plus vraiment d'analyser des formes a partielles d'opposition morale, politique, militaire ou autres - mais la façon dont l'ensemble du corps social - la société civile - réagit contre l'agression dont elle est l'objet. C'est ainsi que, depuis 1973, l'Institut d'histoire contemporaine de Munich s'est engagé dans un vaste programme de recherches visant à étudier les diverses expressions de résistance, individuelle, de groupe ou de masse, de la population bavaroise 12. ' - - 6. É t i e ~ eDEJoNG~~~, Le Nord isolk : occupation et opinion (mai 1940 mai 1942) .,Revue d'histoire modme et contemporaine, janvier-man 1979. 7. Pierre ESR RIE, Résirtanu, vichysrois et autru. L'tudurion de l'opinion er d u c a p a n m u dam le d t p o n n m t du Lor m m 1939 sr 1944, Paris, Presses du CNRS, 1980. 8. ~ b i d . ,p. 2. 9. Klaut Jurgen M W -La résistance demande au régime nazi. Historiographie en RCpublique fCdCrale 8, Vingrihnr Silcle, no 109, juillet-aoilt 1986, pp. 91-106. 10. -1nge La Rore blanche, naduaion, Paris, Éd. de Minuit, 1955. La Résistance ailmuinde marre Hirlm, traduction, Paris, 11. Peter HOPFMANN, Bdand, 1984. Eike FROHLICH, et al, B a y m in Der NZ-Zd, 6 volumes, 12. Martin BROSUT, Munich, Oldenburg, 1977-1983. Ainsi que le note Klaus Jurgen MUer, selon une telle ligne d'interprétation il est possible a de parvenu un panorama plus large des attitudes : actions directes telles que grèves ou agitation iilégale, fabrication et distribution de tracts ou encore désobéissance civile sous des formes divers- et variées, refus de collaborer et efforts pour préserver la cohérence de communautés d'opinion 13. En somme, en empruntant une analogie il la biologie, on peut dire que la société civile est appréhendée ici comme une sorte interne ou de cellule vivante. Selon la nature de l'agression externe dont elle est victime, on observe l'évolution de ses mécanismes de défense. Si elle est l'objet d'un dtrtglement interne, saura-t-elle rétablir par elle-même ses propres mécanismes de régulation ? Si un corps étranger la pénètre, saura-t-elle produire des a anticorps P capables de le digérer ou de l'expulser? Pour répondre à ces questions, il importe d'étudier le comportement de chaque partie, de chaque fonction du corps cellulaire face A l'agression et d'examiner si celui-1s disposait au départ de mécanismes immunitaires contre celle-ci. - - La rksistance civile: une forme de rhistance au nazisme Dans le cadre de cette approche globale, j'utiliserai la notion de résistance civile D pour décrire les phénomènes d'opposition collective analysés dans cet essai. Quoique peu usitée, l'expression n'est pas totalement nouvelle. On la trouve chez l'historien danois Jorgen Haesuup, qui recourt cependant plus volontiers aux expressions de a résistance passive * ou de a désobéissance civile B " et chez l'historien français François Bédarida, qui distingue a résistance civile *, a résistance armée. et a résistance humanitaire B 15. Je souhaite introduire la notion de résistance civile m pour désigner le processus spontant de lutte de la sociktk civile par des moyens non armh contre l'agression dont cette socit?tt? est victime. Cette défuiition géntrale appelle des explications u . 13. a la us J. w.e n MW La résinance demande au rtgime nazi *, C% p. 100. 14. Jorgen HABTRUP, Eumpuin Rcrisranu Movnnmu (1939-1945) :A m p l c t r Hisimy, Mcckier Publishimg, Westpott C.T., 1981. RCsiswce passive et DCsI Missance civile sont les titra donnés A deux chapitres de cet ouvrap. 15. François B ~ A Résistance , au fascisme, au nazisme et au militarisme japonais jusqu'en 1945 communicationau 1 6 Congrés international des dences historiques, Stuttgan (1985), pp. 22-23 (document IHTP). - . ., inad uo!snjuo:, ap a3inos a u n .suarCouc sas e i ! q q ~ ? i uo puenb sp~n%!qmsaqeua3 ap aidwaxa sed luepuada3 isa,u a a l y 3 ameis!sp n ap uoyou el 'a!zeu uoyednmo,l ap autaiuo:, a3 suea .salei!des suoynqxa sap ai!oA 'uop -euod?p ap sainsau Sap ied s?uuoyxxes s!oped iuainj a q i %ap sqej sa? p s e d ap aylenb an? i!e~nodau !nb ai3e un in3 iaioqel -103 ap iasnjai 'a!zeu uoyednmo,~snos .a?nbs!i la ayi3e sail apni - p e aun lei?ua%ua a%?a era3 '?i!p?i ua yeiy .ayau!,l ianbo~? inad aqeiuoloA i!eiiai a3 la !inassal%e,lap auqisds np iuaurauuoy -3uoj ne uoyedp!iied es iaiyai e pioqe,p ais!suo3 uo!iei?doo3 -uou el anbynd assnej i!ej q inoi sed isa,u alla .ab!ie%?u doil isa uo!ie~g!u%!s es 'a a~!sseda3ueis!s?i n ap uo!lou el e lueno .a?uxie aiinl el ap anb!%ol el ins sed asodai au !nb u o y x aun ai!ei!l!ur-uou ap i!oAe inad anb a3 a!u a anb!%oloq3dsd auan%n ap a q u r iour a? .!urauua,l ap sadnon sa1 la suoyepdod sa1 ins 'ai?% -uosuaur iuabnos 'a~!sensiad uoy3e,l ied s p n s uos i a i y e iues!s ailana el e uoddns un aururos anSuos iuauraqep isa ai?!uraid e l .i!ua~uo3iuass!eied au aiine,l !u aun,l !u s!eyiy aqssed a3uei -s!sp N ap no anb!loloq3Asd anan%n ap suo!ssaidxa sa1 siaAeii si!n?p ai? s!ojied iuo !nb sau?urou?qd Sap iau%!s?p inod uoyou allamou aun e ipno3ai ap yyyn,l ins ia%oiialu!,s inad uo .uoyei?doo3-uou ap a!%yens aun uops 'seq al ied ia ineq al ied y p o s el ap anb!nale!p uoyes!l!qow aun iua!lrai al!p a3uei -s!s?i q ap ai?1duro3 ainly el anb ai!p inad uo 'a!io?qi ua yety .aiine,l no aun,l os 'suo!suaur!p sa3 ap aiine,l ia aun,] ilos eiarl -non uo 'saypnla sanb!ioqq suoyeni!s saiuai?g!p sa] uops 'a3uei -s!sp ap ~ O I O Aaun,p s?ur!ue suoyepdod la sadnod sa1 ias!u -e%ioy iuesp I!eAen iual un,p anb anieu inad au ap!3 ameisyi el 'uoneni!s allai aun suea .lauuo!ininsu! n e a q ne aiuell!ej?p ail? inad uoy3e,p ~ I O I O A aua3 'sasiayp suos!ei Sap inod s!eW y i p o s el ap saw!i!%~lsuoyrupy sa] ied aiin1 9 e uoyei!3u!,1 ap iailnsp inad a1!~!3 a3uns!sy el ap a q n d o d uo!suauI!p el 'se3 sap inall!au al suea .alqesuadspu! uoddns un anne,l ? auuop salues -odwos xnap sap aunDeq3 .na 'ap!:, a~uessgqos?pap suoyje sap 'suoyeisaj!uew sap 'saqi% sap siaben e alduraxa ied iueur!idxa,s 'aseq el e suonelndod sap apnuods uoyes!yqour el ap aujurouaqd al aisnoDai apuojas e? .uo!u!do,p simino:, la si?ipu!,p sadnoa sia,up sap spu!isuo3 siueiuas?idai anb iuei ua 'suoyeposse sa1 'sieqpuds sa1 'sas!l%g sa1 'sged sa1 ia 'awn!%y anbngod 1!0hn0d np siueiuas?idai anb iuei ua (uonens!u!urpe uos la iuaurauia~no% al) 919!30s el iuaini3niis !nb suoynqisu! sap anbgpads uo!izie,l as!i?ime:, aipuaid e? .ai!elndod ia allauuo!iniysu! :aiuesoduro~ alqnop aun iuauraleiy?l apassod al!^^ ax~eis!s?i el '!su!v (( .saiuai?jj!p san saur?ur-salia sanb!%ol sap ins iuasodai ai!8iyp ieqwo3 la ap43 a3ueis!s?i 'saiuai?~ -j!p iuei? uo!i3e1p sapoyly sinal 'anb ias!qid e iuauralnas puai ela3 -a!ued iuaururap!ra iuoj ua SI! :p?pos el ap sioqap ua N iua!os s a q e i p sa1 ~ anb sed ag!u%!s au ela3 -ai!ei!l!ur uo!iniysu!,l ap uoyniysu!,l auru103 a+i!p iequro3 np !3! an%u!is!p as a p p aweis!s?i e l xnap sap uos!eu!qwo3 aun ied no 'suo!iepdod sas ap uo!iesyqour el siarlen i!os 'suo!ini!isu! saledpupd sas ap lequo3 al siaAen q i!os 'aur?ur-alla ied i a i s y i y a p p ?i?pos el ap ppede3 el i!i39p 11 'a3ueis!sp ap aia!p!ued aurioj aiia3 ap sinaue sap amieu el ai!nsua au%!s9p u apy3 * ap jyeqgenb a? y!in3as apuea snld aun 3aAe i!ed ap ialle luepuada3 i!eiAap !nb asuodp ap 91r~!%!i au!eua3 aun anuour apuo3as el anb s!puei '?i!l!%eij aAyelai es ia ?i!l!qFaU es ied as!qime3 as a i a y -aid el anb ailnsp ua 11 aadpyue uoyeni!s aun siaAua aryuat, -?id isa asuapp el anb s!pwi 'ai~!ppur! uoyeni!s aun e aspeai sino!noi isa axms!sp el anb anbgdur! ela3 s!eW -uoyeu!%ew!,p arurnod?p adpupd ied qos asuaj9p ap anb!i!lod aun'nb sed iuaur -wap!q ag@s au ela3 .nuaAe,l ap uoyedpyue isa asuapp el anb s!puei iuaspd ne uoyeidepe isa a~~eis!s?i e? y ! r \ y e p ap la uoyes!~oidur!,p ued apuelal aun a3ueis!sy ap se3 sa1 suep auop e A 11 .anqid 919 sed e,u !nb uoneni!s aun v uo!i3ep ua iuaura~!ssaa -oid iuaninsuo3 as !nb sanb!muAp sauaurouagd sap e anb!ldde,s amis!sp ap uoyou e? .a3ueis!sp el ap se3 al sed isa,u !nb a3 'uoy -eiedpid aun a 8 ~ asuajap a el 'aw?ur adpupd uos suea .asuaj3p ia a x ~ e i s y anua i a~uaigj!p el ins iaqsu! aano ua inej 'JI .saienb3pe snld iualquras a a~ues!?qos~p * ap no a ajuap!ss!p. ap suopou sa1 'allanp!~!pu! iuauraind u o p e aun,p aipe3 al suila . i u a u r a ~ n 3 a ~aw!idxa,s o~ aila !s anb allai iuaur!eu iuayap au alla,nb inno!e i n q 1! ' a m -dru aun ied suop ainq3p a3ueis!qi el !S 'aipmabpe,13a~euoya -uoijuo3 ap ia uopqdoo3-uou ap a p p e l aprupe aun ins apuoj as 11 massalale,l ap uoyeu!wop sl v i a p p sed au ap puoloa el ied a s p p e m as a3ueis!sp ap a m , T 'airdm uo !onb y a3 ap aqep san a?p! aun i!oAe i u a u r a i ~ 3 ~sues u * UON * :anp ap a x o j el iamon pioqe'p isa,3 'iais!s~~?uauraay3all03 aur!idxa,s snjai ap j m o l o ~aun s~anbsa~ n d saus sap v a!oAuai a 3 u n s y i ap auriai a? .uo!ie3g!u%!s es iuass!lq!ejje ua iour a3 ap - saaiel don - suoy -!uy?p sau!eua3 ( a3ueis!s?i iour al !onbinod 'pioqe,p inoi s!eW 'al!rlp a3ueisyi el ap gti -3alqo sap la suabu sap ' s ~ n a i ~sap o ainisu el ins sanaiuaqldwo3 ,* Quelle 52 l Sam armes face à Hitler Rksistance » ? / 53 provenir du fait que la résistance des peuples occupés entre 1939 et 1945 s'est exprimée par le recours à la lutte armée. Certes, l'ampleur et l'intensité des formes armées de l'opposition intérieure ont fortement varié selon les régions et les pays. Il n'en demeure pas moins que le recours aux armes par des populations civiles a constitué I'une des formes majeures du combat résistant, I'un des traits caractéristiques de la Seconde Guerre mondiale. Par conséquent, le concept de .:résistance civile n ne peut être pertinent pour désigner ces formes d'action dans lesquelles des civils prennent les armes. La résistance civile désigne exclusivement tous les modes d'opposition à l'occupant etlou à ses forces coiiaboratrices qui s'exercèrent sans armes : les résistances économique, juridique, enseignante, religieuse, médicale, etc... Si l'expression n'apparaît guère en tant que teiie au cours de l'occupation nazie en Europe, certains éléments en évoquent directement ou indirectement la signification. Ainsi, en France, I'un des premiers mouvements de résistance de la zone occupée eut pour nom Organisation civile et militaire (OCM). En Pologne où le mot .:résistance. n'a jamais été utilisé, la notion apparaît un peu plus clairement ii-. --.. travers la création d'une Direction de la dkfense civile (Obrona Cyvilna) regroupant notamment les activités clandestines de la presse, de l'enseignement et de la justice. En Norvège, la résistance fut divisée en deux branches: I'une, militaire (Milorg), l'autre, civile (Sivorg). Quant à la Belgique, elle reconnut aprèsguerre, dans un sens assez restrictif, un statut du .:résistant civil n en faveur de personnes ayant notamment eu des responsabilités dans la presse clandestine ". Ces références historiques permettent ainsi d'identifier une résistance civile mettant en œuvre des moyens non armés et de la distinguer de celle qui repose sur les moyens armés, par exemple, ceux des maquis en France ou de la guérilla en Yougoslavie. Mais il ne faut pas perdre de vue que, dans la pratique, la résistance civile a été très souvent imbriquée avec diverses formes d'actions militaires ou paramilitaires. Sans vouloir jouer sur le paradoxe, on peut repérer, non pas les différences, mais les similitudes entre résistance civile et guérilla. Elles résultent toutes deux de l'action de populations civiles et ressortissent au domaine mal défini de ce qu'il est convenu d'appeler les .:stratégies indirectes. 'O. C'est pourquoi divers auteurs ont pu montrer que la résistance civile de l'Europe occupée fut en fait un complément de la lutte armée. Ainsi, la création d'un journal clandestin servait-elle souvent de base A l'édification d'un mouvement de résistance qui se dotait ensuite d'une .:branche armée n. Par conséquent, il est bien difficile de séparer artificiellement du contexte même de sa gestation telle ou teiie forme de résistance. En outre, avec le temps et I'évolution de la guerre, les rapports occupant-occupé se sont u durcis ., cette radicalisation du conflit faisant évoluer la résistance vers des modes d'expression de plus en plus violents 19. Dans cette perspective, pour certains auteurs, la résistance civile est tellement a complémentaire qu'elle est à peine mentionnée ou bien totalement insérée dans le cadre de la lutte armée. Ainsi, A travers les écrits d'Henri Michel, transparaît l'idée que le résistant armé serait une sorte de .:chevalier moderne servi par des a pages n sans armes 20. Mais la rCsistance civile n'a pas toujours été un simple complément A la lutte armée. Pour respecter la complexité des faits, il faut en distinguer deux formes fondamentales en fonction de la nature différente de leurs objectifs. La première consiste en un recours à des moyens non armés pour favoriser ou renforcer le combat armé. On peut faire entrer dans cette catégorie le rôle de civils dans la collecte du renseignement pour les états-majors militaires, l'aide des populations aux maquis, le support des grèves des cheminots pour ralentir le mouvement des forces ennemies. En somme, cette forme de résistance civile, intégrée ou combinée au combat militaire ou paramilitaire, est au service des buts de la guerre. Elle paraît intéressante à étudier pour elle-même car son rôle n'a pas été suffisamment mis en lumière. Certaines études, comme celles déjà mentionnées, commencent toutefois à s'y atteler. Le second type de résistance civile consiste en un recours A des formes de mobilisation et de non-coopération sociales afin de défendre, cette fois-ci, des objectifs civils. Elle se développe en dehors de toute logique militaire et, A ce titre, paraît assez autonome. Elle n'a pas pour finalité la destruction ou la paralysie des troupes ennemies mais le maintien de l'intégrité de la société civile, la cohésion des groupes sociaux qui la composent, la défense des libertés fondamentales, le respect des droits de la personne, des acquis sociaux et politiques. On peut regrouper dans 17. Arrêt6 du rCgent en date du 31 janvier 1948 promulguant le starnt du rCystant civil 18. A ce sujet, on peut se rapporter B Anden BOSERUPet Andrew MACK,War wirhour Weapons, Nonviolencc in Nariond D&ue, New York, Schoken Books, 1974, chapitre 4, The analogy with guerilla warfare 8 , pp. 68-81. 19. Cene conception de la * r6sistance civile. comme cornplCrnent B la lune armte uansparaît B la lecture de nombreux ouvrages, par exemple dans celui de Marcel R m , Rtrurancc civile et r&irronce militaire, Lyon, fid. L'Hermès, 1984. 20. Consulter par exemple, Henri MIML, Histoire de la RLIiSrance m France, .. 8 . . Paris, P.U.F., 1980. 54 /Sans ames face à Hitler cette deuxibme catégorie l'action de diverses instances politiques ou juridiques visant à faire valoir leur légitimité en dépit de la présence de la puissance occupante; celle d'Eglises, de syndicats ouvriers et d'organismes professionnels défiant les autorités de diverses façons et, plus généralement, celle de populations qui tentent de s'organiser localement pour porter assistance & des personnes persécutées. Cette seconde forme de résistance civile autonome est proche de ce qu'on appelle la u résistance non violente *. Ce terme n'est cependant pas adéquat car cette forme de résistance a étd souvent choisie faute de mieux, c'est-&-dire faute de posséder des armes, ce qui demeurait l'ultime et principal dessein de la plupart des combattants de l'ordre allemand. Mais une telle situation a en même temps créé les conditions favorables & I'apparition de méthodes d'action non armée parfois t r h originales qui, en certaines circonstances, ont su défier l'occupant et ses collaborateurs. Cette résistance civile autonome recouvre donc des pratiques spontanées et pragmatiques sans affirmation d'un refus de la violence comme principe stratdgique. C'est par nécessité qu'elle ne recourt pas à la violence physique et pratique la noncoopération. C'est à elle seule que cet ouvrage est consacré C H A P III ~ LES ARCANES DE LA NON-COOPERATION ''. ! I 21. Pour comaive la mtthode de sélection d a cas de résistance civile analysés ici, se reporter en fin d'ouvrage B l'annexe, Éltments de mtthodologie B. Dans la suite du texte, j'utiliserai par convention l'expression de rtsistance civile. pour dtsigner se forme autonome. Il y a la résistance d'avant Stalingrad et celle d'après Stalingrad. La première grande défaite des armées allemandes, en février 1943, introduit un changement fondamental dans les esprits. Certes, il n'est gutre possible de comprendre la résistance ou la passivité des peuples envers I'occupant nazi sans prendre en compte l'histoire des mentalités des groupes sociaux et celle des équilibres politiques des sociétés europkennes d'avant-guerre. De même est-il classique d'affirmer que la gtographie et le niveau de développement des pays occupés ont fortement conditionné les formes de leurs résistances intérieures : la guérilla s'est surtout développée dans les régions montagneuses, tandis que la résistance civile s'est surtout propagée dans les grandes zones de concentrations urbaines et industrielles. De ce fait, nous seront amenés à évoquer très souvent les pays de l'Europe occidentale ou scandinave et très peu ceux des Balkans. Mais ce qui donne sa dynamique & la résistance européenne, ce qui fme son cadre général d'évolution, ce sont les péripéties proprement militaires du conflit. Avant 1943, le réalisme n'est pas du côté de ceux qui s'opposent à Hitler : l'Europe semble allemande et pour longtemps. L'avenir paraît nazi. Résister, c'est alors vouloir rétablir l'ordre ancien des choses, celui des valeurs de I'avantguerre. La dynamique générale de la résistance est celle de I'autoconservation. Elle commence par un refus; résister, c'est d'abord ne pas se résigner. Au printemps 1943, l'espoir d'en finir un jour avec le nazisme devient bien réel. Le rapport des forces militaires sur le terrain a changé. Certes, en 1941, l'entrée en guerre, aux côtés de l'Angleterre, de l'Union soviétique puis des États-unis avait été un tour-