Psychologie de l`islamisme

publicité
Félix Savarel
PSYCHOLOGIE DE
L’ISLAMISME
Archétypes, problématiques
et quelques propositions de solutions
1
Argumentaire
Dans La psychologie de l'islamisme, la relation homme femme est abordée d'emblée, elle qui
n'est vraiment facile dans aucune culture. Chez les musulmans, il y a un certain nombre
d'archétypes religieux spécifiques qui cherchent à la réguler, et qui parfois l'aident, et parfois la
compliquent. De son côté, l'islamisme radical manifeste une violence politico-religieuse qui n'est
pas sans rapport avec des conflits psychologiques commençant au niveau de la famille, et se
structurant autour de certaines pathologies préférentielles. Félix Savarel, qui a travaillé comme
thérapeute dans le Maghreb et qui fait des recherches depuis une trentaine d’années sur la
psychologie religieuse, relie de façon convaincante les vieux archétypes sacrificiels par exemple
de l'animisme et de l'Ancien Testament avec l'actualité brûlante de cette sorte de sacrifices
humains que sont les attentats terroristes. En associant psychologie et histoire, ce livre analyse en
profondeur les évolutions psychiques, sociales et politiques qui agitent le monde musulman et qui
refont surface aussi dans le soulèvement du Printemps arabe. Trop souvent, les discussions
autour de l’islam tournent en rond : islam contre christianisme, ou islam contre matérialisme
scientiste. Ce livre ouvre une troisième voie en développant une psychologie ouverte à
l’expérience religieuse, voire spirituelle, mais qui ne perd pas son sens critique. Il se pose par
exemple la question du lien entre paranoïa sectaire et dépression, ou encore la notion de violence
religieuse comme une addiction. Il ne se contente pas de diagnostiquer, mais émet aussi des
propositions thérapeutiques simples, basées sur une compréhension psychologique approfondie
des phénomènes. Beaucoup d’études sur l’islamisme sont très détaillées du point de vue
sociologique et politique, mais pauvres du point de vue de la compréhension psychologique. Ce
livre bien documenté (avec presque 500 notes, il ferait plus de 700 pages en format papier)
rétablit l’équilibre, et va dan le sens d’une pluridisciplinarité nécessaire. Il reflète aussi l’avis de
beaucoup de psys sur la question, qui cependant, par crainte de réactions passionnelles, évitent de
dire ce qu’ils pensent. Il s’agit d’un ouvrage qui est écrit avec une grande conscience
professionnelle et qui ne se laisse pas impressionner par la ‘langue de bois’ fréquente dans ce
domaine du politico-religieux. Même s’il n’a pas réponse à tout, il a l’immense intérêt de poser
de vraies questions.
Félix Savarel a été relié pendant plus de vingt ans à l’Université en France et à l’étranger, et est
maintenant chercheur indépendant. Il s’est spécialisé depuis une trentaine d’années dans la
psychologie religieuse en général, et dans ses déviations pathologiques. Il n’est en lien avec
aucune organisation politique, religieuse ou gouvernementale. Du point de vue personnel, il croit
en une spiritualité au-delà des religions. Ce livre n’a été financé que par son travail en tant que
thérapeute, et s’il fait partie d’un groupe, c’est celui des gens de bon sens. Cependant, son bon
sens est aidé et étayé part une trentaine d’anées de recherchse dans le domaine de la psychologie
religieuse, et une expérience de plus d’un an de thérapeute dans un pays du Maghreb.
3
5
Sommaire
Introduction
Première partie
: Psychodynamique des croyances
islamiques
1 - L'amour, les aléas de la relation homme-femme
et le fondamentalisme.
2 - Dépression et obsession
3 - Comprendre la paranoïa
4 - Délires systématisés et islamisme
5 – Psychose et réalité dans le radicalisme musulman
6 - La question de la loi au centre de la paranoïa
7 - Le moralisme en tant que pseudo justification de la violence.
8 - L’obsession du retour à la charia est-elle une addiction ?
9- Martyre et idolâtrie du sacrifice humain
10 - Identités religieuses et violence
Deuxième partie : En
suivant le fil de la psychologie dans le
tissu de l’histoire
11 - La réalité du jihâd -continuité et évolutions
12 – L’idéologie islamiste dans les invasions de l’Inde
13 - Psychologie d'une idéologie totalitaire
14 - Les origines de l'islam revisitées
15 – Quelques éléments d’analyse psychologique du Coran
16 - La personnalité de Mahomet est-elle un modèle pour les islamistes?
17 - Les liens complexes de l'islam modéré avec celui qui ne l'est pas.
7
Troisième partie : Quelques
remèdes
18 - Que faire ?
Conclusion
INTRODUCTION
Le moment est venu d'écrire un ouvrage sur la psychologie de l'islamisme : trop de gens se
posent des questions à ce sujet, et les réponses de bon sens fondées sur des interprétations de
psychologie populaire, même si elles ne sont pas fausses, ne suffisent pas. Des réponses peuvent
être données en se fondant sur les connaissances modernes à propos de l’analyse psychologique
associée à des connaissances sociales et historiques. La rencontre de l'islam et des sciences
humaines est inéluctable, si ce n'était pas le présent auteur qui avait écrit cet ouvrage, quelqu'un
d'autre l'aurait fait à sa place tôt ou tard. Non seulement l'heure est à la psychologie, mais aussi à
la psychohistoire. Nous en reparlerons par la suite. Il m’a semblé important de réfléchir d’abord
sur le contexte de conflit, en particulier chrétien-musulman dans lequel s’inscrit l’islamisme, la
relation entre l’identité religieuse et la violence et la réalité de la guerre sainte en islam, celle-ci
étant trop souvent l’objet de démentis, voire d’un négationnisme attristant. Pour la majorité des
8
lecteurs qui ne sont pas professionnels comme je le suis de la santé mentale, les chapitres sur la
dépression et sur la compréhension de la paranoïa seront également fort utiles pour suivre la suite
de l’ouvrage. Pour appliquer ces notions, je me suis souvenu de mon expérience d’un séjour de
plus d’un an au Maghreb où j’ai pu voir en consultation cinq ou six mille patients et essayer de
soulager leur souffrance psychique. J’ai aussi participé là-bas pendant quelques temps aux
pratiques d’une confrérie soufie réputée libérale, j’en reparlerai. Après mon expérience au
Maghreb, j'aurais pu étudier et écrire plus pour essayer de clarifier les spécificités
psychologiques des maghrébins dans leur pays même, mais mon orientation a évolué, et je me
suis occupé d'autres sujets, donc je ne l’ai pas fait. Par ailleurs, je ne fais pas non plus de grands
développement dan ce sens-là dans le présent ouvrage, j'ai suffisamment de matière sur la
psychologie de l'islamisme elle-même, on ne peut pas développer tous les sujets à la fois.
Après avoir écrit le manuscrit de ce livre, je l’ai laissé reposé pendant environ quatre ans. Il y
a dedans beaucoup de remises en questions profondes de croyances religieuses partagées par un
certain nombre de gens, et il ne s’agit pas donc de les effectuer à la légère. Il faut qu’il y ait de
vraies raisons pour le faire. Quand je l’ai repris, je n’ai guère éliminé de réflexions, elles m’ont
toujours parues justes et importantes à partager, j’ai en fait surtout complété certains chapitres et
rajouté le chapitre 8 sur l’interprétation de l’attachemennt à la charia comme une addiction. Le
développement des évènements dans le monde musulman, l’enlisement de la guerre en
Afghanistan, les fragilités de la démocratie pakistanaise, les tensions qui ne vont pas en
s’améliorant entre Israël et l’Iran, et bien sûr le Printemps arabe m’ont confirmé l’intérêt de
rendre accessible cet ouvrage au grand public, pour lui donner les outils de compréhension
qu’offre une psychologie moderne et engagée sur ces questions. Les risques de guerre sainte
nucléaire au Moyen-orient donnent une urgence à toutes ces réflexions. On a parfois l’impressin
consternatnte que des populations entières sont pralaysées dans leurs croyances et préféreront
dériver dans la violence, déclencher toute une série de guerres plutôt que d’oser remettre en
question le mélange de foi et de superstitions auxquels ils s’identifient complètement. C’est
comme une anesthésie quasi générale, et il s’agit bien sûr d’un problème psychologique autant
que collectif et historique.
On attend de la psychologie qu’elle opère la synthèse humaine de problèmes complexes,
qu’elle éclaire les mécanismes de déviation en jeu quand surviennent des comportements
pathologiques, et qu’elle donne des pistes de thérapie. C’est ce travail en substance humaniste qui
est tenté dans cet ouvrage. On a beaucoup dit, et non sans raison, que l’internet avait favorisé le
mouvement démocratique en Afrique du nord et au Moyen-orient. J’ai donc décidé d’utiliser moi
aussi cette voie de communication, me disant que la pensée, tel un pigeon voyageur, volerait plus
vite et plus loin par les câbles et les ondes que ces oiseaux de papier que sont les ouvrages des
éditeurs. Cependant, le présent travail reste un livre au sens classique du terme, avec ses
développements progressifs et ses nombreuses références à d’autres recherches et publications. Je
suis revenu volontairement plusieurs fois sur des points importants pour la compréhension de la
psychologie de l’islamisme, en essayant d’en montrer à chaque fois de nouvelles facettes et
ramifications.
Ce que je crois
Je ne suis pas en faveur des positions extrêmes, que ce soit en politique ou en religion. C’est
pour cela d’ailleurs que je n’hésite pas à parler dans ce livre de la psychopathologie de
l’islamisme radical, et on verra que j’ai une longue liste d’arguments cohérents dans ce sens. Je
crois aussi que la population d’origine musulmane en Europe a une chance de découvrir une
laïcité fonctionnelle et le côté finalement pratique et confortable de limiter ses croyances
9
religieuses à la sphère privée. Je ne crois pas que le développement d’un islam politique en
Europe doive être encouragé, il ne fera que créer une longue liste de faux problèmes, dont nous
avons déjà eu un échantillon jusqu’ici. L’islam a un dossier chargé d’un passé d’intolérance,
voire de totalitarime. Même si ce dernier n’a pas été politique au sens strict du terme, il a été
psychologique, et dans l’islamisme cette tendance continue de façon modérée ou radicale. Il y a
donc besoin d’une véritable éducation à la laïcité, en particulier chez le tiers environ des
musulmans qui pratiquent encore régulièrement, dont parmi eux les jeunes, qui pourraient être
plus tentés par la régression psychologique dans un islamisme radical.
Je ne pense pas qu’il y ait une grande vague islamiste qui puisse conquérir l’Occident, bien que
certain groupes musulman en rêvent : en effet, ils n’ont tout simplement pas le pouvoir pour cela.
Par contre, ils peuvent créer toutes sortes de faux problèmes, il s’agit donc d’être vigilant sur la
réalité et même sur le symboles de la laïcité, puisque l’islamisme se répand beaucoup par la
suggestion de symboles, puis par leur imposition des que les rapports de force le permettent.
Dans ce sens aussi, il faut que les politiques et les intellectuelles augmentent la pression sur les
musulmans d’Europ pour qu’ils désavouent collectivement et sans aucune ambiguité la loi
condamnant à mort ceux qui veulent se ‘déconvertir’ de l’islam. En effet, il s’agit de la loi
religieuse la plus psychotique qui n’ait jamais été édictée. Elle n’a pas de place dans un monde
civilisé.
De façon génénrale, je crois qu’il est très important de développer la capacité d’introspection
et de regard psychologique critique vis-à-vis de sa propre croyance. Celui-ci doit inclure la
remise en cause profonde de l’histoire des origines de l’islam que permettent les recherches
historiques et exégétiques critiques. Les prêcheurs répètent que la foi apporte le salut, mais la
modernité dit en contrepoint que le doute est salutaire. Le contenu du présent ouvrage donnera
beaucoup de matériel en quelque sorte pédagogique dans ce sens. Cette attitude d’esprit est très
nouvelle pour la plupart des immigrants qui arrivent de pays musulman traditionnels, mais il
s’agit d’un réel cadeau de bienvenue que l’Europe peut leur offrir à leur arrivée. Avec ce bagage,
ils pourront mieux s’intégrer à la vie politique du continent dans sa forme actuelle, et s’occuper
utilement avec leurs concitoyens à résoudre la liste des « vrais problèmes » qui est bien longue.
De mon point de vue personnel, je crois que l’être humain est appelé à faire l’expérience de
l’Absolu, c’est sa vocation profonde, mais pour moi, la religion suprême est la non-violence, les
croyances se situent bien en dessous de ce niveau. Si elles aident dans ce sens, elles doivent être
encouragées, si elles vont en sens inverse, elles doivent être déconstruites pour bien mettre en
évidence les mécanismes de la pathologie de violence qui les anime.
Du point de vue politique, je ne m’identifie ni à la droite ni à la gauche. Comme je l’ai dit, je
me méfie simplement des idées extrémistes. Je me reconnais dans la réponse de Camus à Sartre
quand celui-ci, qui avait des sympathies claires pour les dictatures soviétiques et maoïstes, lui
reprochait que certaines de ses idées avaient été récupérées par la droite : « On ne décide pas de
la vérité d’une idée selon qu’elle est de droite ou de gauche, et encore moins selon ce que la
droite ou la gauche décide d’en faire »1. Cela va de soi pour de bons esprits, mais ira encore
mieux si on le rappelle. Cet ouvrage va paraître au début de la campagne présidentielle de 2013
en France. J’invite le lecteur à faire un sérieux effort pour porter son regard au-delà de la mêlée.
Le problème de la violence et de l’autoritarisme de l’islamisme est relié au monothéisme qu’il
caricature en quelque sorte. Il s’agit donc d’un problème fort ancien qui ne dépend guère des
prochaines élections, que cela soit clair.
Je parle ici non pas comme un observateur, mais comme un psychothérapeute engagé : je vois
des pathologies dont il faut sortir, le plus tôt sera le mieux, et des guérisons qu’il faut obtenir.
J’explique comment et pourquoi. En un mot, je mets la main à la pâte. Par aillerus, de façon
10
personnelle, je crois que l’être humain est appelé à faire l’expérience de l’Absolu, c’est sa
vocation profonde, mais pour moi, la religion suprême est la non-violence, les croyances se
situent bien en dessous de ce niveau. Si elles aident dans ce sens, elles doivent être encouragées,
si elles vont en sens inverse, elles doivent être déconstruites pour bien mettre en évidence les
mécanismes de la pathologie qui les anime.
J’ai donné mon manuscrit à lire à une réalisatrice de télévision française d’origine
maghrébine. Elle avait eu à souffrir dans son enfance du comportement de ses parents à cause de
leur version rigide et étroite de l’islam, et avait pris ses distances par rapport à cette religion.
Après avoir achevé la lecture du texte, elle m’a fait un joli compliment, remarquant que ce livre
était important car il était cinquante ans en avance sur notre époque. Par ailleurs, le manuscrit a
aussi été lu par une psychanalyste qui a dans sa clientèle des membres d’une confrérie soufie en
France, qu’ils soient d’origine maghrébine ou métropolitaine. Elle était d’accord avec mon
analyse qui confirmait sa longue expérience clinique, et attendait la sortie de ce livre pour le faire
circuler dans les milieux intéressés et concernés.
Il y a un grand vent de libération qui souffle dans le mode arabo-musulman. Il est important
qu’il ne soit pas éphémère et qu’il ne retombe pas dans l’ornière du radicalisme. Puisse cet
ouvrage être une contribution dans ce sens. Comme le disait Churchill : « Il faut prendre
l’évènement par la main avant d’être saisi par lui à la gorge ». Bien sûr, la question de la
récupération intégriste se pose, bien qu’il y ait de nombreux facteurs qui militent contre.
Souvenons de ce que dit Jean-Marie Muller, peut-être le meilleur spécialiste français de la nonviolence qui travaille depuis 40 ans sur le sujet : « L’intégrisme religieux est un des vecteurs les
plus puissants de la violence…. Les tueurs religieux sont parmi les plus furieux, les plus
meurtriers et les moins repentants. »2
On trouvera dans ce livre une sorte de « logiciel anti-virus » : Le virus de la paranoïa religieuse
investit et infecte notre système psychique de façon souvent discrète voire insidieuse, et on a
besoin d’hommes de l’art pour nous envoyer des messages d’alertes au bon moment, pour faire
apparaître des fenêtres rouges pleines de points d’exclamation… Grâce à l’internet, je peux
partager ce logiciel avec le plus grand nombre, comme une sorte de shareware ou de freeware
destiné à améliorer la santé mentale et religieuse de notre planète, il ne reste qu’à souhaiter qu’il
soit utilisé à bon escient et diffusé et traduit là où il pourra être utile.
Il est important de savoir écouter d’autres points de vue que celui des croyances de son
enfance s’ils ont une base raisonnable. Ici, je peux livrer un témoignage personnel. J’étais
catholique pratiquant et assez engagé jusqu’à l’âge de 20 ans environ. Après, j’ai eu connaissance
de textes qui parlait de la violence de Jésus dans l’Apocalypse. Cela dérangeait ma croyance, et
j’ai donc plus ou moins inconsciemment évité de me plonger dedans. Mais finalement, je me suis
dit que c’était une peur, et donc que ce n’était pas juste. Je les ai lu attentivement, j’ai vu qu’ils
étaient très bien argumentés et documentés, qu’ils avaient donc probablement raison. J’ai de ce
fait modifié l’image quelque peu naïve que j’avais eu du Christ jusqu’ici, et maintenant je me
sens en fait bien mieux, car plus en accord avec moi-même et avec la réalité des choses. Voilà
toute l’affaire dite simplement, ce que j’ai pu faire en tant que catholique de naissance, pourquoi
un musulman ou une musulmane de naissance ne pourrait pas le faire ? Il ou elle sont des êtres
humains comme moi et comme nous le sommes tous, nous ne sommes pas fondamentalement
différents les uns des autres.
Par ailleurs, on peut ne pas être d’accord avec toutes les idées de ce livre, mais l’honnêteté
intellectuelle veut qu’il ne faille pas le critiquer avant de l’avoir lu en entier. Bien sûr, si on le
trouve perturbant pour la sécurité de ses propres croyances, rien n’oblige à le lire, mais à ce
moment-là il ne faut pas le rejeter et pousser les autres à le faire. On retomberait alors dans le
11
niveau intellectuel et spirituel plutôt bas de l’ayatollah Khomeiny en fin de vie qui a signé sa
fatwa contre les Versets sataniques de Rushdie immmédiatement après avoir entendu dire à la
télévision qu’il se moquait du Prophète. Il n’avait pas ouvert le livre que de toutes façons il
n’avait pas en sa possession. Des comportements comme cela, bien que fréquents, ont de quoi
dégoûter le grand public et les gens sensés de la religion en général, et de l’islam en particulier.
Avant tout, commençons par distinguer la tradition religieuse au sens positif du terme,
méritant d’être respectée en tant que telle de ce qu'on appelle de façons diverses intégrisme,
fondamentalisme ou islamisme, des mouvements qui posent question non seulement aux sociétés
et gouvernements, mais aussi aux spécialistes de santé mentale par leurs écarts mêmes. Ils
demandent une analyse rigoureuse.
Quelques définitions à propos de l’islamisme et de la tradition religieuse
Chez les sunnites on distingue entre les mouvements religieux, c'est-à-dire le salafisme, et les
mouvements nationalistes, c'est-à-dire le panarabisme. On peut faire une différence aussi entre
l'islamisme idéologique, qui touche surtout des villes, et le néofondamentalisme qui atteint plutôt
les campagnes et qui se contente de demander un retour à la charia. Olivier Roy discute ces
points dans ses livres, par exemple dernier en date de 2007 Le croissant et le chaos3. Ceci dit,
dans le langage des politiques et des médias, toutes ces notions sont souvent confondues, ce qui
peut causer des problèmes, car les leaders parlent beaucoup de faire la guerre, mais mieux
vaudrait être clair pour savoir contre quel ennemi.
On définit aussi la mouvance d'Al-Qaida comme radicalisme subversif, et le régime saoudien
comme un fondamentalisme préventif. La dynastie des Saoud cherche plutôt à empêcher qu'à
provoquer une révolution. Quant au régime iranien actuel, on peut le désigner sous le terme de
révolution institutionnalisée. On pourrait observer qu’il représente dan son fonctionnement une
dictature militaire banale, sauf qu’elle est recouverte d’un vernis religieux. Il faut distinguer de
plus les néofondamentalistes, comme le parti de l'AKP qui est actuellement au pouvoir en
Turquie, des terroristes islamiques : ceux-ci peuvent être divisés en deux groupes, ceux dont les
attentats sont liés à une politique territoriale et à un programme précis, comme le Hamas par
exemple, et ceux qui sont déterritorialisés, mondialisés avec des demandes en fait très vagues du
genre 'le retour du califat' : on retrouve là la nébuleuse d'al Qaida. Théoriquement, il est difficile
de négocier avec le second, alors que cela est possible avec le premier. Cependant, si l'on
comprend le fonctionnement de la paranoïa, et le terrorisme en relève selon toute probabilité, il
faut savoir que céder devant des paranoïaques modérés risque d'aggraver les choses plutôt que de
les améliorer. En effet, le propre de la revendication psychotique est le « toujours plus ».
Il ne faut pas confondre aussi nationalisme arabe et islamisme : au début, ils se chevauchaient,
puis il y a eu des conflits de pouvoir et Nasser par exemple a fait enfermer les Frères musulmans
et exécuter leur fondateur Hassan el-Banna. Les Frères restent autorisés en Jordanie, mais ont été
exterminé en Syrie par Assad (entre 10 et 25,000 personnes tuées en 1980 dans la ville de Hama).
Le takfirisme est un mouvement diffus dans le monde musulman, takafir signifiant « celui qui
excommunie». Ses zélotes traitent d'apostat tous les musulmans qui ne sont pas d'accord avec
leur version d'islamistes radicaux, et donc les condamnent à mort, puisque c'est la peine prévue
dans le droit musulman pour l'abandon de la Foi. Ils visent principalement les gouvernants qui,
sous la pression de l'Occident, et sans doute leur propre bon sens, refusent d'appliquer la charia.
On pourrait dire qu'il s'agit de la forme maligne de l'islamisme, où cet organisme qu'est la société
musulmane se met à s'autodétruire de l'intérieur par une sorte de processus cancéreux. On trouve
parmi ces takfiristes l'Égyptien Ayman Al-Zawahiri, le dirigeant ouzbek Tahir Yaldeshiv et
12
Cheikh Eissa, tous membres de l'état-major d'al Qaida. La doctrine s'est développée en Irak, ce
qui explique que le militant Al-Zarkaoui ait attaqué quasi indifféremment les Américains et les
chiites, comme les deux faces d'un même démon. Il est probable que ce soit des islamiste inspirés
par cette doctrine messianique qui aient assassiné Benazir Bhutto le 27 décembre 2007, car en
tant que leader politique revenant d’Occident et femme en plus, elle correspondait bien au profil
de « l’autre » diabolisé dans son essence même. Ils avaient auparavant perpétré un attentat massif
sur le convoi et la foule qui la raccompagnait de l’aéroport Benazir lorsqu’elle retournait de son
exil le 18 octobre de la même année. 165 personnes ont été tuées, 600 blessées, cela a été
l’attentat terroriste le pus grand de l’histoire du Pakistan, qui pourtant n’en manque pas4. Il est
vrai que Benazir présentait déjà deux « vices » qui passaient difficilement avec les Talibans, être
femme et avoir vécu pendant des années en Occident.
Un auteur comme Jean-Pierre fait une distinction « radicale » entre le jihadisme violent,
insensé et tout mauvais, et un islamisme politique modéré qui lui serait tout bon, sans danger et
juste l’expression spontanée et bien naturelle d’une identité religieuse. Cette distinction parait
trop simple et « trop belle pour être honnête », si l’on peut dire. Elle fait de plus trop écho à la
propagande islamiste calculée pour rassurer les occidentaux et pouvoir continuer à faire leur
prosélytisme et leur conquête du pouvoir tranquillement. Bien qu’on puisse apprendre beaucoup à
lire le livre récent de Filiu La Révolution arabe – Dix leçons sur le soulèvement démocratique5 ,
sa distinction entre islamisme tout bon et jihadisme tout mauvais est trop élémentaire et demande
à être prise avec un grain de sel. Je crois de mon côté au modèle médical et psychothérapique où
l’on décrit une forme typique d’un syndrome et ensuite on envisage une petite série de variations,
ce qu’on appelle les formes cliniques. Cela permet de s’y repérer dans une abondance parfois
confuse de signes et d’observations. Cela ne veut pas dire qu’ on « essentialise » l’islamisme,
comprendre n’est pas « essentialiser ». Il ne faut pas non plus que cette interdiction
d’ « essentialiser » devienne un nouveau tabou, un nouvel interdit qui remplacerait celui plutôt
démodé du blasphème et viserait comme lui à empêcher des remises en question de fond.
On peut mettre son point de vue en contrepoint avec la perception générale du public mondial.
On a fait une enquête dans 42 pays différents en demandant quels étaient les pays où la vie était
la pire. De façon intéressante, ce sont les trois pays qui sont les plus impliqués dans l’islamisme,
l’Iran, le Pakistan et l’Afghanistan qui sont décrits comme les pires, l’Irak avec ses confilts
sunnites-shiites n’étant guère en meilleure position dans le classement. Malgré cette impopularité
au niveau planétaire, beaucoup de groupes musulmans s’obstinent à voir le retour à la charia
comme la porte du Paradis, d’où le slogan plutôt simpliste de Ikhmwans, des Frères musulmans
en Egypte ou ailleurs : « L’islam, c’est la solution ». Il n’est pas déplacé de parler d’un
phénomène d’addiction, tout le chapitre 8 sera consacré à ce rapprochement qui s’avère signifiant
jusque dans le détail. De plus, il est important de distinguer le pragmatisme politique, où l’on est
plus préoccupé du comportement d’un pays que par ce qu’il croit, d’une réflexion plus
approfondie sur les espoirs de transition de pays plutôt fixistes vers la modernité et la laïcité.
C’est alors que l’approche psychologique prend toute sa valeur.
Quelques réflexions supplémentaires maintenant sur l'usage des termes et leurs définitions :
- le mot islamisme, curieusement, a souvent été employé à la place d'islam jusqu'à l'époque
d'Ernest Renan.6 On le mettait ainsi sur le même pied que le christianisme, ce qui évidemment de
nos jours ne serait pas très flatteur pour ce dernier vu le sens violent et bigot qu’a souvent pris le
terme islamisme. Ce glissement de sens est en lui-même révélateur : quel est le rapport entre un
islam modéré et un islamisme extrémiste ? C'est une question importante à laquelle nous
consacrerons l'avant-dernier chapitre de cet ouvrage.
13
- Le mot 'fondamentalisme' a été crée vers 1900 pour désigner les protestants qui désiraient un
retour complet à la Bible. Dans l'histoire de l'islam, il se réfère au départ à l'Égypte du XIXe
siècle, où un certain Mohamed Abduh, pour développer une réponse à l'occidentalisation qui soit
pourvue de certains éléments de modernisation tout en étant en rapport avec les éléments
fondamentaux de l'islam, a développé un mouvement qui est devenu le salafisme, littéralement le
mouvement des gens pieux. Celui-ci a évolué et s'est durci dans les années 20 avec la création des
Frères musulmans, qui ont inspiré les mouvements intégristes actuels, non sans bien sûr un
certain nombre d'évolutions. Il y a une différence entre l'islamisme, y compris dans sa forme
révolutionnaire, qui cherche à instituer un état complet fondé sur l'islam, et qui a donc des
revendications plus fortes que juste l'application de la charia dans le domaine juridique, et le
jihadisme délocalisé qui est un phénomène individuel où le sujet se sont relié à une Oumma
virtuelle.
- Le terme 'intégrisme' évoque pour les Français d'abord le mouvement de Mgr Lefèvre. Dans le
contexte de l'islam, il est devenu pratiquement synonyme d'extrémisme, et ainsi directement lié
au terrorisme. En fait, la plupart de ces mots sont devenus interchangeables dans le langage
courant, ce n'est pas seulement la faute d'un usage assez lâche des vocables, mais la
responsabilité en est aussi à la situation elle-même, car elle est confuse, avec beaucoup de
chevauchements entre les différentes notions.
La langue française nous fait un clin d'oeil en faisant commencer les mots 'intégrisme' et
'intolérant' par les trois mêmes lettres. En effet, on pourrait dire que l'intégrisme ne tolère ni les
autre dans leurs religions diverses et variées, ni l'autre dans la même religion. Le fidèle intégriste
veut définir sa propre version de la religion, ce qui le met en conflit avec sa communauté et la
société des nations au sens large. 'Intègre' signifie ce qui n'est pas touché, ce qui reste pur, mais
on pourrait aussi comprendre "ce qui n'est pas 'toucheur' " c'est-à-dire ce qui ne réussit pas à
toucher la Réalité spirituelle, officiellement parce que le sujet l'estime trop sacrée, mais en fait
par ce qu'il ne peut ou ne veut pas être en contact avec elle, de toute façon il n'arrive pas à
l'atteindre. Pour entrer dans le vif du sujet de ce livre sur la psychologie de l'islamisme, on peut
dire que l'intégriste dans sa volonté que rien ne soit touché, que rien ne bouge même d'un
millimètre, exprime un fonds de personnalité obsessionnelle. C'est en effet une sorte de jeu
masochiste des sujets atteints de cette névrose de se créer des petites lois punitives du genre : « Si
je change la place de ce pot de fleurs sur la commode, même d’une distance infime, de grands
malheurs vont m'arriver, je vais être damné, le monde va être instantanément annihilé, etc. » Les
règles morales sont utilisées en fait comme ces règles de bois des instituteurs d’antan pour taper
sur les doigts et faire très mal. En résumé, on pourrait dire que les intégristes sont à la fois
intouchés par une réalité spirituelle authentique et intouchable, en ce sens que leur psychorigidité
les met spontanément en marge du monde moderne.
Certains spécialistes des sciences politiques distinguent le totalitarisme de l'absolutisme, mais
cette nuance ne me semble pas si importante pour comprendre l'islamisme. Par contre, celle entre
totalitarisme et autoritarisme a sa valeur : dans le second cas, il s'agit juste d'une force brute pour
forcer l'obéissance alors que dans le premier, l'idéologie totalitaire demande, en plus de la
soumission, d'être aimé en tant que telle. On en arrive alors évidemment assez près de la notion
de religion paternaliste quand elle se met à dévier dans la violence.
Un terme important dans la tradition de l'islam est devenu fondamental pour les intégristes,
c'est al-bid'a, ‘l'innovation blâmable’ : sa condamnation sans appel est la cote de maille
intellectuelle et juridique de l'intégrisme, et il faut reconnaître que les mailles en sont bien
serrées. Pour pénétrer plus profondément dans l'inconscient linguistique arabe, on pourrait
rapprocher ce terme d' al-buda, l'idole. On peut dire que ces deux notions sont les bêtes noires de
14
l'islamisme réunies presque en un seul mot. Simplement y penser avec une once de sympathie
suffit à être foudroyé par Allah, c'est là qu'on retrouve un fonctionnement typiquement
obsessionnel. Évidemment, cela peut amener à se poser une question simple : est-ce que cette
fuite apeurée le plus loin possible de l'innovation, bi'da, ne revient pas paradoxalement à en faire
une idole, buda, et en pratique à déifier un immobilisme figé?
Une image qui m'est souvent passée par l'esprit en préparant ce livre, c'est que
fondamentalisme radical est comme un trou noir absorbant tout, détruisant tout, et ne laissait
s'échapper aucun rayon de lumière. Par ailleurs, le fondamentalisme repose en bonne partie sur la
personnalisation de la religion autour d'un prophète ou d'un sauveur exclusif : cette
individualisation pourrait paraître une force à première vue, et peut effectivement aider des
débutants à développer grâce à la dévotion un certain niveau de concentration, mais elle agit
surtout sur le plan politique ou idéologique, pour favoriser la centralisation d'un impérialisme.
Dans ce sens, il faut reconnaître que cette personnalisation mène à des conflits indéfinis.
L'histoire en a été témoin, et l'époque actuelle n'est pas sans en avoir sa dose. Nous n’hésiterons
pas dans cet ouvrage à faire des allers-retours fréquents entre ces deux pôles du passé et du
présent, car dans la logique archétypale du psychisme, les deux sont en interaction constante
grâce à cette courroie de transmission qu’est la croyance. Il ne s’agit pas de confusion des
époques, mais d’essayer de cerner des constantes et des structures de fonctionnement psychique
comme elles apparaissent.
Le vrai sens de la religion est simple, et il peut tenir en deux définitions : "Etre dans le bien,
faire le bien". ou "Ne pas faire aux autres ce qu'on ne voudrait pas qu'on vous fasse à vous
même". Tout le reste ne représente que des commentaires.
Pour rendre ces questions plus claires, nous pouvons surtout mettre en avant ce point : on peut
distinguer un traditionalisme pratiqué avec amour envers le leg du savoir religieux et spirituel,
des expériences de vie qui sont venues des anciens, et le fondamentalisme qui lui consiste en une
manière d'imposer sa propre version de la religion au monde en général, non sans conflit, voire
non sans haine. C'est une double polarité qu’il ne faudra pas perdre de vue dans les discussions au
fil de cet ouvrage. La question du monothéisme des origines et de son effet l’intensification de
l’intolérance religieuse a été bien analysée par l’égyptologue Assman dans son livre Le prix du
monthéisme paru récemment.7 L’auteur qui est un spécialiste de l’époque de Moïse soutient cette
idée depuis déjà 20 ans, et il a redigé ce nouvel ouvrage pour répondre aux critiques, et pour au
fond faire savoir qu’il persiste et signe.
Les religions traditionnelles apportent une vision holiste du monde englobant tous les aspects
de la vie. Toute la question est de savoir dans quelle mesure elle l'impose par la force et de façon
exclusiviste, ou bien si elles peuvent s'accommoder de la différence. De plus, si cette holisme de
base est relativisé et bien compris, il a de bonnes chances de rester paisible. Mais par contre c'est
le prosélytisme qui, en se donnant pour mission de conquérir le monde sans hésiter devant des
moyens non-éthiques, va vers une violence de façon quasi inévitable. Un troisième facteur de
différenciation et d'évaluation éthique en quelque sorte des diverses formes religieuses est de voir
comment un système de croyance majoritaire opprime les minorités et les sectes différentes : en
cela, le dossier de l'hindouisme et du bouddhisme aussi est bien meilleur que le christianisme et
l'islam, même s'il n'est pas parfait.
Le printemps arabe entre enthousiasme et récupération : quelques éléments de prudence.
Beaucoup d’observateurs, y compris des bons connaisseurs du monde arabe, étaient très
enthousiastes à propos du soulèvement arabe : dans le feu des évènements, ils ont célébré la
15
première révolution du monde arabe où l’islam n’était pas la question.8, 9 . Ils avaient certes des
arguments sérieux dans ce sens, et nous verrons les principaux dans la section suivante.
Cependant, ils semblent bien avoir fait une erreur de proportion dans l’évaluation des forces en
présence, et le résultat des élections tunisiennes et égyptiennes sont venus comme une douche
froide pour calmer leur enthousiasme trop précoce : ce sont les islamistes qui sont passés, il
semble que les électeurs aiment aller de Charybde en Scylla, et n’ayant plus de dictateur
paternaliste au-dessus d’eux préfèrent se réfugier à l’abri du « parapluie » de la charia, sans doute
pour éviter que le ciel ne leur tombe sur la tête, comme le craignaient aussi nos ancêtre les
Gaulois. On est donc dans une situation quelque peu comique ou beaucoup de spécialistes ont, en
quelque sorte, pris leurs désirs pour des réalités, et où au contraire la méfiance de l’homme de la
rue vis-à-vis de la récupération islamiste s’est avérée plus exacte. Essayer de s’auto-convaincre
que bien sûr, il s’agit d’islamistes modérés et qu’il n’y a rien à craindre pour l’avenir a un peu un
air de « prix de consolation ». Il est vrai que le vote de la loi sur la parité complète des sexes en
Tunisie a été soutenu par Rachid Ghannouchi et son parti de l’Ennhada, le nouveau parti
islamiste au pouvoir, dont le nom signifie « Renaissance » : mais renaissance de quoi ? Ce n’est
pas clair. Dans ce sens, un auteur, Antoine Vitkine, avait clairement prévu ce type d’évolution
dans son roman prospectif La tentation de la défaite10 écrit en 2005 et qui s’étend de 2006 à
2012. Il n’a pas eu beaucoup d’écho car il dérangeait des idées toutes faites, mais c’était quand
même lui qui voyait clair et avait raison à proposde s développements tels qu’ils se sont passés
réellement.
Lors de la fondation du Pakistan en 1947, l’enthousiasme des masses musulmanes était au
maximum, on ne voulait pas voir le million et demi de morts inutiles de la Partition traumatique
du sous-continent, l’important était ceci : enfin les fidèles d’Allah allaient être tranquilles chez
eux pour appliquer le Coran à la société et le Paradis d’Allah allait descendre sur terre. Le résultat
est bien sûr très différent, après toutes sortes de convulsions internes, le pays a une démocratie
très fragile qui doit sa survie beaucoup au fait d’être soutenu à bout de bras par l’apport des
finances américaines, et le spectre de Talibans nucléarisés est malheureusement d’actualité. Le
développement économique est très handicapé, et la seule institution qui marche vraiment bien
est l’armée, ce qui n’est pas bon signe. Les minorités sont de moins en moins protégées de la
violence sunnite majoritaire, toujours en recherche de boucs émissaires pour éviter de se remettre
en question. Le tragi-comique de la situation, c’est que le pays a mis plus d’un demi-siècle de
réflexions, débats, prières, prédications, coups d’états, assassinats et guerres extérieures pour en
arriver là.
L’Iran a suivi comme on le sait un schéma analogue. Même de bons intellectuels comme
Michel Foucault se sont complètement trompés dans leur évaluation de la Révolution
khomeyniste. Il annonçait le paradis d’un peuple libéré du joug occidental, et en pratique on a
une dictature militaire banale avec un vernis religieux, et un encouragement à l’islamisme radical
et à sa violence de par le monde.Nous avons mentionné cette enquête effectuée sur 42 pays, donc
offrant plutôt un bon reflet de l’opinion mondiale, on a posé la question simple et directe : « Pour
vous, quels sont les pays les pires où vous n’aimeriez vraiment pas vivre ? » En tête de liste de ce
hit-parade peu glorieux sont venus le Pakistan et l’Iran, justement ces pays qui avaient éveillé
l’immense espoir dans les masses, un espoir quelque peu messianiste, de faire descendre le
paradis d’Allah sur terre. Si on remonte plus loin dans l’histoire, on a le précédent souvent cité
d’Hitler qui est arrivé au pouvoir sur la vague d’un mouvement populaire, et qui ensuite s’y est
accroché de façon plutôt barbare, avant de laisser un pays et une Europe en ruines. Je sais que la
comparaison n’est pas flatteuse et irrite beaucoup les islamophiles, mais la sagesse est de suivre
une voie du juste milieu dans son analyse et de constater que ce pôle du problème est là, les
16
risques de récupération, même s’il n’y a pas que lui et qu’il faut pouvoir évaluer son importance
en quelque sorte quantitative dans le tableau d’ensemble.
La situation en Egypte n’est pas non plus aussi démocratique qu’on aurait pu l’espérer au
lendemain du départ de Moubarak. En bref, l’armé a manipulé la Révolution pour rester au
pouuvoir coomme elle l’et depuis le renversement de la monarxchie en 1952. Il y a encore 11000
prisonniers politiques du mouvement de l’indépendance qui ont été mis derrière les barreaux par
la junte de généraux et qui sont en train de passer progressivement devant des tribunaux
militaires. L’un deux est Nabil, un blogueur qui a osé dire sur le Net que l’armée continuait à
torturer les prisonniers, même après la chute du vieux dictateur octogénaire. Il a été emprisonné,
a commencé une grève de la faim protestataire à la manière gandhienne, et le tribunal militaire l’a
envoyé en psychiatrie. Cela rappelle les méthodes staliniennes, car il fallait bien sûr être
complètement fou pour ne pas reconnaître que le Petit Père des peuples était la solution pour la
Russie ex-sainte… Les nouveaux partis islamistes se créent, s’inscrivent en grand nombre, pour
ne pas dire en pagaille, pour les prochaines élections, et ceux qui ont une aspiration laïque et
raisonnable pour la gestion politique des nations n’ont guère de quoi s’en réjouir.
Des centaines de milliers d’auditeurs se sont rassemblés le 18 février 2011 au Caire, pour
écouter le cheikh Qardaoui revenu d’un long exil au Qatar11. Il a 84 ans et ses prêches télévisés
ont beaucoup de succès. Un de ses chevaux de bataille est la lutte contre Israël, on doit sans doute
sous-entendre sa destruction finale si une « bonne » occasion pour cela se présente. Il faisait parti
du millier d’islamistes exilés par Moubarak qui reviennent au pays pour prêcher la bonne parole
des Frères musulmans. Cela pourrait faire penser au retour de l’ayatollah Khomeiny de
Neauphle-le-Château à Téhéran au début de la Révolution. Le vieux religieux, qui aurait sans
doute été bien mieux dans une maison de retraite, n’avait en fait pas dit son dernier mot, ni sa
dernière fatwa.
Un groupe de 18 mouvements soufis semble prêt de former un nouveau parti politique en
Egypte. Leur approche est en général plus tolérante que celle de l’islam légaliste. Cependant, ils
sont d’accord sur tous les points principaux de leur programme avec la mosquée d’al-Azhar qui
représente le conservatisme officiel, et avec l’armée12. Il n’y a pas guère à attendre de
changements révolutionnaires de leur part, mais plutôt la réédition d’un conservatisme assis – les
critiques diraient rassis ou ranci. Par contre un mouvement laïc d’opposition aux Ikhwans, au
Frères musulmans, a appelé à une « seconde Révolution » avec une manifestation de dizaine de
milliers de personnes sur la place Tahrir au Caire le 25 mai 2011. C’est beaucoup moins,
malheureusement, que les centaines de milliers d’auditeurs du Cheikh Youssef al-Qaraoui, mais
c’est un début.
Sur cette place, les manifestants avaient eu l’astuce de remplacer le slogan ultra-simpliste des
Frères musulmans : « L’islam c’est la solution » par « La Tunisie, c’est la solution ». Cela
paraissait une révolution dans l’histoire des mouvements d’opposition arabes, qui avaient été
régulièrement détournés par les islamistes. Cependant, quelques mois plus tard, on a appris, ô
surprise, que la Tunisie avait voté islamiste : maintenant donc, où est la solution ?
Le mouvement du Printemps arabe a éveillé une vague d’enthousiasme pour le changement
dans les pays d’islam, et nous allons voir dans la section suivante ses nombreux aspects positifs.
Cependant, la mentalité totalitaire islamiste reste le danger sous des formes variées, à témoin un
de leurs slogans qui n’est pas fait pour rassurer sur l’avenir les forces de la laïcité : « Islamiser la
modernité »…
Ces hirondelles qui pourraient sans doute faire le printemps : les espoirs des révolutions
arabes.
17
On trouve dans le soulèvement arabe une liste certainement assez longue de points positifs et
allant réellement vers une liberté plus grande. Nous alolnsmaintenant les évoquer. Ces points
semblent assez difficile à récupérer à long terme par les islamistes, surtout radicaux, plus ou
moins dépassés par le changement. Parmi ceux-ci, l’internet et la diffusion d’informations réelles
en temps réel a certainement joué un grand rôle. Voici ce qu’en dit Tahar Ben Jelloun dans son
livre publié en mai 2011 L’étincelle-révolution dans les pays arabes13 :
Cette violence libératrice ne sera pas contenue par la répression. Elle est vive et créatrice. Elle est
portée par une nouvelle génération de jeunes, dont certains ont vécu à l’étranger et ont,
contrairement à leurs parents, ouvert les fenêtres qui donnent sur le monde. Ils ont vu comment
d’autres jeunes vivaient, ils ont vu combien la liberté est synonyme de vie. Comme dans un rêve,
ils ont entrevu qu’ils avaient eux aussi la possibilité de vivre mieux, d’en finir avec les dictatures,
de retrouver un peu de dignité. Comment ? Par quels outils ? Par le simple fait de communiquer,
d’échanger des idées, des projets. Le monde est immense mais il est désormais à porté de main (de
clic). Le temps n’avance plus à la même vitesse depuis que l’information peut se diffuser
quasiment en temps réel. »
Sur le site Bambuser par exemple, il y avait, pendant les évènements d’Egypte, dix milles
vidéos amateur par jour qui documentaient en direct la violence de la police d’Etat14. Difficile de
contrôler l’information dans ce contexte-là, et le métier de dictateur n’est plus aussi aisé qu’il
était dans le bon vieux temps ! Dans ce sens, on peut relever que 60 millions d’internautes
communiquent en arabe, ils utilisent en général le wasat, l’Arabe Moderne Standard (AMS). Plus
de 100 millions d’arabes ont moins de 25 ans, la plupart sont très frustrés car ils ne trouvent pas
de travail du tout, ou pas d’emplois qui soient au niveau de leurs diplômes. Un mal entraînant un
autre, n’ayant pas de salaire fixe, ils ne peuvent se marier, et souffrent de façon chronique du
« Syndrome de Tanguy », ils ne peuvent s’en aller de chez papa-maman. Au moins, cependant,
ils ont le temps de fonctionner avec l’internet et cela les met en phase avec le monde, et pas
seulement avec cette vision du monde filtrée par l’imam de la mosquée du coin de la rue formé à
l’école coranique depuis la petite enfance. En fait, ils apprennent à sourire de son étroitesse
d’esprit, et à la prendre non pas avec un grain de sel, mais avec une « cuiller à café de sel ».
Il est important de noter un signe certain de maturation de la conscience démocratique : « La
caractéristique de ces soulèvements arabes a été l’absence de leaders, za’im et guides, gâ’id…. Il
ne s’agit plus de remplacer un leader (discrédité) par un leader (rédempteur), il s’agit de se
débarrasser du leader une fois pour toute…Ils veulent un gouvernement responsable et
transparent. » 15 Cette tendance va dans le sens de la guérison de la paranoïa en politique : selon
elle, on s’identifie à un leader fort qui combat l’Ennemi du peuple, lui aussi très individualisé. On
retombe alors dans l’infantilisme monothéiste du Grand Dieu contre le Grand Satan avec un
monde clivé entre bien et mal et toute la violence qui s’ensuit régulièrement. Ces conceptions
sont finalement manichéennes, mais elles se trouvent véhiculées aussi par le monothéisme
habituel et quotidien. Celui-ci n’a, en fait, pas abandonné le manichéisme malgré des
condamnations superficielles, car il en avait trop besoin politiquement.
Un autre signe de maturation des mouvements d’indépendance a été leur mixité dès le départ.
Le clivage psychologique tendant à faire croire que seuls les hommes pouvaient changer la
société se désagrège. On réalise que la notion de « frère » n’a de sens que par rapport à celle de
« soeur » : mieux vaut tard que jamais. Cet équilibre des sexes contribue probablement
grandement à la non-violence des mouvements.
18
Jean-Pierre Filiu évite, dans ses analyses du Printemps arabe, de parler de l’islamisme avec un
I majuscule, mais sépare toutes sortes de tendances, en soulignant comment la plupart des
groupes de cette mouvance ont été pris au dépourvu :
La seule chose commune aux divers islamistes arabes est d’avoir été pris de court par le
soulèvement démocratique, car celui-ci ne correspondait ni à leurs calculs à court terme, ni à leur
vision de l’avenir. La chute des autocrates les dépouille de leur position hégémonique au sein de
l’opposition. C’est un monde nouveau et ouvert, où s’effondrent aussi les cloisons mentales d’une
avant-garde autoproclamée et persécutée….Les islamistes doivent choisir de s’adapter ou
disparaître après des décennies où ils n’ont eu qu’une posture, s’opposer, et il s’agit bien d’une
révolution dans la révolution ; 16
Cependant, après quelque temps, le soutien au mouvement apporté par les jihâdistes purs et
durs de la mouvance d’al-Qaida n’est guère rassurant. L’un d’eux, Shanqiti, a émis une fatwa en
faveur des rebelles, saluant « ce moment décisif dans l’histoire du monde musulman… un
tremblement de terre plus important que les attaques du 11 septembre ». Les volontés de
récupération sont clairement présentes, toute la question est de savoir quel est leur pouvoir réel, et
en face de cela, quelle est la fragilité mentale des enthousiastes du soulèvement par rapport à ces
manoeuvres
Certainement, un facteur qui peut faire dérailler le besoin de liberté et le faire chuter dans la
violence chronique est le facteur confessionnel : « Chaque groupe, mû par la logique binaire
(« avec nous ou contre nous ») qui sous-tend les conflits internes à chaque pays, se perçoit
comme une minorité persécutée, même quand elle se trouve être une majorité complètement
dotée d’armes et de territoires »17. Cela est typique de l’attitude paranoïaque, la grande
pourvoyeuse de mauvaise politique et de mauvaise religion devant l’Eternel. En fait, je ne sais
s’il faut dire « devant l’Eternel », car la référence à l’Eternel à tout bout de champ, typique des
musulmans pieux et des islamistes, pourrait aussi être en elle-même un symptôme de toutepuissance mégalomane…
Finissons par deux faits qui vont dans le sens du dépassement des tensions confessionnelles et
du clivage psychotique qu’elles engendrent : « Un rappeur du groupe « Knights » arbore un Tshirt où il affirme qu’il est à la fois sunnite, shiite, et soufi, un plaidoyer audacieux pour la
tolérance en ces temps d’exclusion confessionnelle »18 Cependant, cela aurait été mieux du point
de vue de la tolérance inclusive s’il avait pu ajouter « Je suis chrétien, juif, polythéiste,
bouddhiste et agnostique ». Probablement il n’y avait pas assez de place sur son T-shirt égyptien,
on ne peut tout demander en même temps, au moins il a eu l’intérêt de faire un premier pas dans
le bon sens. Un second point positif et vraiment symbolique était le mot que répétaient, souvent
de façon incantatoire, les manifestants qui campaient sur la place Tahrir au Caire : silmiya,
silmiya. signifiant ‘pacifique, pacifique’. Ils ont pu ainsi désamorcer l’agressivité de l’armée qui
s’est rangée de leur côté. On retrouve dans silmiya la même racine que le mot ‘islam’, mais ce
terme est en général peu utilisé dans les manifestations où l’on préfère plutôt les slogans violents
et allant dans le sens du choc frontal pour galvaniser la colère des masses. Penser à dégager
silmiya comme l’essence de l’islam et finalement de l’être humain, est une bonne idée, on l’a
attendue longtemps, mais mieux vaut tard que jamais.
La méthodologie de ce livre : la psychopathologie au renfort de la sociologie et de l'histoire
des religions
19
La nécessité de l’époque actuelle, c’est la psychohistoire et la psychopolitique. Il s’agit de
discerner clairement comment des psychopathologies collectives, en particulier dépression et
paranoïa sont à l’origine des grands désastres politiques et humains comme les guerres
d’agression et les génocides, mais aussi interviennent pour voiler l’esprit des peuples et des
dirigeants quand il s’agit de faire des choix positifs à long terme. Par exemple, Robert Robins, un
professeur de sciences politiques, et Jerrold Post, un professeur de psychiatrie et de psychologie
politique à l’Université George Washington, se sont associés pour écrire aux Etats-Unis le
premier ouvrage du genre à ma connaissance, centré sur la question des rapports plutôt intimes de
la paranoïa et de la mauvaise politique.19 Il s’agit d’un ouvrage dont l’idée de base est simple
mais traitée avec profondeur en 350 pages. On devrait le conseiller non seulement aux étudiants
en sciences politiques, histoire et psychologie, mais aussi aux personnes qui sont dans la carrière
politique ou religieuse, dans le cadre d’une sorte de formation continue comme celle qui s’est
mise en place pour les médecins. En effet, ils sont particulièrement exposés à une dérive
paranoïaque discrète mais réelle dans l’exercice de leur profession.
Il y a d’autres études de psychohistoire : ce genre de travail a été abordé par exemple dans le
livre Même les paranoïaques ont des ennemis paru en 1995 à Londres,20 avec comme coauteur RJ
Lifton qui a écrit The protean Self : Human Resilience in the Age of Fragmentation. Nous avons
encore un autre livre de Vanok D Volkan qui a écrit une "pychobiographie" de Nixon et encore
un autre La lignée du sang : de la fierté au terrorisme ethnique21. En fait, des biographes éclairés
qui vont profondément dans la psychologie de la personnalité historique qu’ils étudient font déjà
de la psychohistoire sans le savoir. Me revient en mémoire à l’instant par exemple la biographie
de Laurent le Magnifique par l’académicien Marcel Brion.
Le psychanalyste français Fethi Benslama est l’un des rares, nous l’avons signalé, à avoir
approfondi dans ses étude un point de vue critique de psychologie à propos de l'islam, Il a produit
et Déclaration
deux livres chez Flammarion, Psychanalyse à l'épreuve de l'islam,22
23
d'insoumission à l'usage des musulmans et de ceux qui ne le sont pas.
Il s'agit en fait d'une question de vrai respect : émettre une critique fondée veut dire
implicitement qu'on estime que l'autre a la capacité intellectuelle, et surtout émotionnelle et
spirituelle pour la recevoir. Si par contre on évite toute remise en question, cela signifie
aucontraire qu'on trouve que l'autre est trop obtus, réactionnel, voire psychorigide pour pouvoir
même la considérer. Dans ce livre, je critique l’islamisme, mais je donne aussi dans l’avant
dernier chapitre des éléments de comparaison et de différence avec le fondamentalisme chrétien,
en particulier l’évangélisme. Ainsi je renvoie dos à dos les deux plus grandes idéologies
religieuses conquérantes de l’histoire, en posant en particulier la question de la mégalomanie
devant leur désir d’hégémonie politico-religieuse : il est présenté comme naturel et normal par les
prédicateurs. Il le considèrent comme des plus sains, pour ne pas dire des plus saints, mais l’est-il
pour autant réellement ? Ne faut-il pas se souvenir ici d’un adage central de la psychiatrie quand
il s’agit de comprendre les psychoses : « On délire dans le domaine de son désir » ? Nous y
reviendrons.
Quand il y a un risque fort d'accidents ou de conflits graves, il est préférable d'en parler
d'avance : mieux vaut prévenir que guérir. Ce n’est pas faire preuve d’intolérance que de crier
« attention !’ à quelqu’un sur un trottoir qu’on voit en train d’arriver vers une bouche d’égout
ouverte qu’il ne regarde pas. Par ailleurs, protester vigoureusement est aussi pour un auteur une
façon de transmettre une énergie d'éveil aux lecteurs.
Dans le présent ouvrage, je réunis des connaissances d'exégèse, de théologie, de
métaphysique, d'histoire, de sociologie, de sciences politiques,de psychologie spirituelle, de
20
psychopathologie pour comprendre d'où vient et où va ce phénomène de la violence religieuse
qui est une plaie pour la vraie religion et pour une humanité heureuse, en me focalisant sur
l’islamisme.
Certains fidèles naïfs influencés ar exemple par l’Orient pourront objecter : "Le Bouddha était
tolérant, il ne faut donc pas critiquer les autres religions". C'est vrai que Sakyamuni avait une
vision large des possibilités religieuses offertes à l'être humain, mais il demandait de juger non
pas sur la croyance, mais selon les actes et comportements qui représentent en quelque sorte les
résultats de sa foi, et si ceux-ci n'étaient pas bons, il n'hésitait pas à qualifier la croyance de départ
de stupide. On peut raisonnablement penser qu'il aurait utilisé ce qualificatif pour l'islamisme, qui
pousse à la guerre d'agression pour répandre ses croyances. On peut déjà signaler que
juridiquement, les guerres de défense sont légitimes, mais des attaques pures et simples ne le sont
pas, même sous le prétexte fumeux de conversion, c’est-à-dire de répandre des convictions ou
superstitions sectaires. Ceci est stupide du point de vue des conséquences psycho-spirituelles à
long terme également : les descendants de ceux qui ont été convertis par la violence seront euxmêmes violents, et le trauma de naissance se transmettra de génération en génération, de façon
quasi génétique, constituant ainsi une lignée de psychopathologie transgénérationnelle. Une
guerre religieuse d’agression représente un délire de toute puissance avec passage à l'acte
paranoïaque et risque d’enkystement à long terme. Plus tôt l’humanité réalisera cela en
profondeur, meilleur ce sera.
La plus grande preuve de respect envers l'autre, c'est de l'estimer capable d'entendre des
choses vraies, et pour cela il faut avoir soi-même la capacité d'aller au-delà de la langue de bois
idéologique ou du discours politiquement correct. On devient ainsi comme l'enfant du conte,
quand les tailleurs avaient trompé l'empereur : il y voyait très mal, mais voulait quand même
absolument choisir ses vêtements, et en plus il était capricieux : excédés, ses tailleurs ont décidé
de lui jouer un tour : ils ont fait semblant de lui présenter le tissu, de le tailler, ensuite de le lui
offrir sous forme de vêtement : l'empereur ne s’est rendu compte de rien et s'est laissé faire, a mis
le vêtement inexistant puis est sorti en grande pompe dans la ville. Toute la population était au
courant de la farce des tailleurs, mais bien sûr personne n'osait rien dire, à part un petit enfant qui
tout d'un coup s'est exclamé : "Mais l'empereur est tout nu !".
Il faut se souvenir que la société musulmane se protège de la critique par le moyen de la loi
du blasphème. Quand la communauté vire à l’intégrisme, toute remise en question est assimilée
au blasphème et "donc" passible de mort. Il n'y a certes pas lieu d'étendre la juridiction de ce
genre de charia tristement tribale à l’Occident démocratique du troisième millénaire, bien qu’un
sondage de juillet 2006 révèle que 23% des musulmans d’Angleterre entretiennent précisément
ce rêve. Nous reviendrons à cette question du blasphème à différents endroits de ce livre, en
particulier quand nous nous mettrons à étudier la personnalité de Mohamed.
Que ce soit le bouddhisme ancien ou la globalisation moderne, les deux conceptions soulignent
notre interdépendance : comme le disait Yasmin Alibhai-Brown, journaliste d'Angleterre :
"L'idée de notre société comme un simple pacte de non-interférence entre les groupes non
seulement est fausse, mais elle est de plus impossible. Nous sommes tous impliqués les uns avec
les autres." Ainsi, les défauts de l’islamisme retentissent sur la société en général, et celle-ci a
donc le droit d’intervenir, ne serait-ce déjà que pour lui poser des questions sur les raisons de
certains de ses comportements.
Chaque religion a son type de déviation pathologique la plus fréquente : dans l'hindouisme,
l'obsession de la pureté physique parmi les brahmines, chez les bouddhistes la dépression avec la
focalisation sur la souffrance pour ceux qui n'arrivent pas à trouver 'la voie en dehors de la
souffrance', avec le catholicisme, la culpabilité, avec le judaïsme, le légalisme qui pousse à une
21
fixation disproportionnée sur les textes, et avec le monothéisme prosélyte en général, la paranoïa
qui amène les fidèles à croire que seul leur dieu existe et que par conséquent les autres dieux, et
en fait les autres cultures, ne sont que néant. Le problème pour les croyants en un Dieu unique
ainsi que pour les victimes de leurs agressions pieuses, c'est que la dépression et l'obsession ne
sont pas batailleuses, alors que la paranoïa l'est. Si maintenant on voulait discerner les qualités
prédominantes de chaque religion, on pourrait peut-être dire, évidemment de façon très
schématique : pour le bouddhisme, la clarté intérieure, pour l'hindouisme, la richesse des
approches concrètes de l'amour divin, pour le christianisme, la capacité de passer de la foi aux
oeuvres, pour le judaïsme, la faculté de se réjouir malgré tous les ennuis et persécutions qui vous
accablent... et pour l'islam, l'intensité de la croyance et de la dévotion. Je dois témoigner qu'en
tant que thérapeute ayant vu dans un pays musulman francophone quand j’y travaillais environ
cinq ou six mille patients, j'ai été beaucoup aidé dans mes tentatives de thérapie de leur troubles
psychiques par leur adhésion à peu près générale à des interdits religieux forts par exemple à
propos du suicide ou de la consommation d'alcool. A l’opposé, ce type de problème est fréquent
chez les patients français, qui pour la grande majorité sont complètement déchristianisés.
C'est une preuve de maturité intellectuelle, émotionnelle et surtout spirituelle d'être capable
de lire des textes avec lesquels on risque de ne pas d'accord et en fait, c'est ce que j'ai fait moimême pour préparer cet ouvrage. Il faut bien distinguer le quotient intellectuel, le quotient
émotionnel et le quotient spirituel : quand on se met à parler de sujets religieux, on est d'habitude
beaucoup plus sur la longueur d'onde du quotient émotionnel. Si l'on est réaliste, on peut dire que
les activistes religieux en restent là et au fond, ne développent guère leur « QS », leur quotient
spirituel.
Les fondements de la modernité reposent sur la Révolution française, qui consistait en grande
partie en une révolte contre une religion totalitaire. Ce genre d'idéologie religieuse n'est plus de
mise avec notre époque contemporaine. De plus, du point de vue spirituel, la vraie justesse n'est
pas de tout accepter, mais de rendre les êtres humains responsables non pas tant de leurs
croyances, que déjà et surtout de leurs actes. L’éthique moderne va dans ce sens. Avec cette
question de l’existence de la volonté d’un Dieu personnel à propos d'un être humain, volonté qui
s'oppose à son libre-arbitre, nous arrivons dangereusement près d'un problème qui a tourmenté
l'islam depuis son origine, la prédestination, et sa contradiction évidente avec la notion de librearbitre humain.
La violence du monothéisme commence à être prise au sérieux et considérée comme un
problème central même dans des milieux universitaires qui pourtant sont souvent plutôt
conservateurs. Tout récemment, est par exemple paru un ouvrage collectif publié par les Presses
Universitaires de Strasbourg : Dieu est-il violent? par M.Arnold et J.M. Prieur. Il s'agissait d'un
colloque franco-allemand. Il est bon que ces deux nations très chrétiennes qui ont déclenché les
deux grandes guerres mondiales du XXe siècle se posent la question du lien entre leur propre
violence et leur conception de Dieu. Mieux vaut tard que jamais. Dans le même sens, Edgar
Morin a publié un petit livre sur Culture et barbarie européenne, envisageant l'histoire récente du
XXe siècle.24 Même le Pape Benoît XVI a invité à une réflexion sur le rapport entre religion,
raison et violence dans son discours de Ratisbonne en Allemagne en été 2006. Le résultat n’en a
pas été un dialogue, mais un accroissement de violence sous forme d’une levée de boucliers de la
part de l’islam, une fois de plus depuis 14 siècles. Nous analyserons en détail dans cet ouvrage le
fonctionnement des thèmes persécutoires et les compulsions de répétition auxquelles ils donnent
lieu.
De son côté, Jean Mouttapa a écrit un éditorial enflammé dans les colonnes de sa chronique
dans Le Monde des religions25 qui s'intitulait : "Où sont passés les intellectuels musulmans?" :
22
"Mais en Europe, mais en France ! Qu'est-ce qui empêche nos penseurs musulmans de s'exprimer
haut et fort en tant que penseurs affranchis ? Qui leur défend de se dégager définitivement,
comme le prône Meddeb (dans son excellent livre La maladie de l'islam) d'une prétendue
solidarité communautaire comprise comme "instinct, réflexe, principe de survie et d'être" ...et de
faire une analyse critique de l'idéologie de la victimisation? La peur de blesser les "siens" et la
peur de faire le jeu des "autres" n'ont plus lieu d'être si l'on croit vraiment à une citoyenneté
républicaine qui libère des carcans claniques"
Il faut considérer les intellectuels qui arrivent en Europe des états musulmans où il n'y a guère
de liberté de penser à propos de la religion, comme des réfugiés traumatisés par une idéologie
totalitaire. Il leur faudra plusieurs années, peut-être même une ou deux générations pour s'en
remettre, et le rôle des penseurs européens est de les aider dans cette sorte de thérapie après état
de choc, pour éviter en particulier qu'ils ne restent paralysés par une névrose post-traumatique.
Un fait important qu’il ne faut pas perdre de vue, c’est que certaines études ont montré ceci : les
musulmans pratiquants régulièrement à la mosquée en France ne dépassent pas 15 % de
l’ensemble de la population d’origine musulmane. Quand on rentre dans le détail, les chiffres
sont plus complexes, mais l’orientation générale, c’est que les sujets d’origine musulmane
montrent une laïcisation assez forte, avec une faiblesse de la pratique de la prière et de la
fréquentation de la mosquée chez les jeunes, même si le suivi du ramadan par sentiment
identitaire probablement est assez fort chez eux. Chez les jeunes, à la fois la pratique de l’islam et
celle de l’islam baissent, simplement le processus est plus rapide chez les chrétiens. Un
commentateur de l’étude de l’Ifop de 2009 explique ceci :
En effet, nous découvrons dans cette étude de l’Ifop que ce qui progresse le plus fortement n’est
pas la pratique religieuse, mais l’identification à l’islam. Quant aux pratiques, les plus assidus
restent, de loin, les personnes plus âgées, même si les jeunes les rattrapent sur certaines
expressions religieuses fortement socialisées et identitaires (le ramadan), alors qu’ils sont à la
traîne dans la piété individuelle (l’accomplissement des prières quotidiennes). Alors qu’ils étaient
37% à se dire croyants et pratiquants en 1989, ils ne sont plus que 33% vingt ans plus tard. Le
nombre des musulmans se déclarant athée régresse également. Ce qui progresse en revanche, c’est
le mainstream: la catégorie «d’origine musulmane» passe de 20 à 25%....
En raison de l'effondrement de la pratique religieuse catholique, l'islam présente bien sûr un taux
plus élevé: 5% des catholiques disent aller à l'église une fois par mois, tandis que la fréquentation
au moins mensuelle de la mosquée atteint 23% chez les musulmans.
Il faut faire remarquer que la pratique religieuse n’est pas pour autant inscrite dans une
dynamique de protestation sociale et politique. En effet, elle reste un «truc de vieux»: alors que
28% des jeunes (18-24 ans) déclarent prier au moins une fois par jour, les quadragénaires sont
35% à le déclarer et les plus de 55 ans 64%. La prière demeure donc pour l’instant une pratique
motivée par des questions plus existentielles (la mort) que politiques (la protestation sociale).26
Voici ce que dit un autre analyste :
La religion musulmane en France, mais au-delà en Europe suit l’évolution de la plupart des autres
religions comme le montrent les recherches de Danièle Hervieu-Léger (2001), elle est entrée dans
la modernité religieuse. Le fait religieux dans nos sociétés contemporaines n’est plus un fait
collectif mais s’exprime au travers du prisme de l’individualisme contemporain et de la promotion
du libre arbitre. Autrement dit la religion ne s’appréhende plus comme une norme imposée de
l’extérieur, comme un automatisme hérité par filiation mais bien comme une expérience
23
personnelle, un cheminement singulier, un choix individuel. On est passé d’une religion subie à
une religion choisie et ce quelle que soit la religion considérée.27
Les 80 ou 85% de sujets d’origine musulmane qui ne vont plus à la mosquée régulièrement le
font car ils sentent intuitivement que cela ne les aidait pas, ou les mettrait même dans des
complications inutiles et des problèmes dont ils n’ont plus besoin. Quand au 15 ou 20% qui y
vont toujours, ils sentent pour la plupart qu’il y a une sérieuse difficulté avec les intégristes, et
que les excès de ceux-ci nuisent à leur réputation et au fond à leur pratique. .
Les points faibles de la critique de l’islamisme d’un point de vue interne au monothéisme
Le christianisme a en fait peur d'entreprendre une critique en profondeur de l'islamisme, car il
pressent qu'il a les mêmes défauts de fonctionnement que lui, l'exclusivisme en particulier, et
qu'il risque donc de scier la branche sur lequel il est assis. Moyennant quoi, l'idéologie
musulmane intégriste progresse sous de multiples formes en Occident, bien qu’il y ait des
opinions fort différentes sur l’étendue et la gravité du phénomène.
On trouve maintenant une petite série de livres récents et très intéressants qui osent enfin
regarder en face la question de la violence et monothéisme. Celui de Jean Soler par exemple,
Violence et monothéisme 28est incontournable. Agrégé de lettres classiques, il a été attaché
culturel à deux reprises quatre ans à Tel-Aviv, puis aussi à Téhéran du temps de Khomeiny. Il
s’est plongé dans l’histoire antique d’Israël pour la débarrasser de maintes légendes et analyser en
profondeur le rapport de l’Ancien Testament avec la violence. Il en a montré les conséquences
pour le christianisme, l’islam et les totalitarismes du XXe siècle. Jan Assmann quant à lui est un
égyptologue allemand, qui remet à l’honneur les valeurs du paganisme égyptien et antique après
plus de deux millénaires de désinformation monothéiste. Un de ses derniers livres est aussi
intitulé Violence et monothéisme, et le précédent Le prix du monothéisme29 a remporté un prix
européen de l’essai. L’ouvrage de Jacques Pous, La tentation totalitaire30, très bien documenté,
est en quelque sorte au départ la confession d’un ancien moine et missionnaire qui a réfléchi en
profondeur sur les limites et inconvénients du prosélytisme. C’est le résultat de plus de 20 ans de
réflexions approfondies. Dernier sorti, le travail important de Jean-Pierre Castel Le déni de la
violence monothéiste31 qui mets les points sur les i et sait discuter son sujet avec une
argumentation et une documentation serré (plus de 900 notes !) aborde cette question du déni,
voire du négationnisme monothéiste.
En réfléchissant sur la question de la violence en islam, et aussi dans le christianisme, on peut
vous faire le reproche de tomber dans "la géopolitique culturaliste" et "d'essentialiser" une
religion, c’est-à-dire de la caricaturer et de la réduire à certains traits : cependant, à partir de
banalités pieuses du genre "partout, il y a des extrémistes et des modérés", on veut mettre dans le
même sac islam et christianisme d'un côté qui ont un chacun comme nous venons de le voir une
"facture" d’au moins plusieurs dizaines de millions de morts pour leur expansion, et de l'autre
l'hindouisme et le bouddhisme qui ne sont jamais tombé dans des guerres d'inspiration religieuse
même si comme toutes les civilisations, ils ont eu à gérer la violence habituelle des sociétés. Le
bouddhisme n'a pas su se défendre contre les invasions musulmanes et a donc été rayé de la carte
dans en Inde, l'hindouisme a résisté à ce qui n'était ni plus ni moins une invasion militaire,
culturelle et religieuse et c'est pourquoi actuellement il y a encore environ 85% d'hindous en
Inde. Toutes les religions ne sont pas équivalentes entre celles qui agressent, celles qui se
défendent ou celles qui, comme le bouddhisme face à l’islam, n’ont guère su se défendre mais on
su aller voir ailleurs.
24
Derrière la crainte d'essentialiser l’islam, on peut discerner une triple défense :
- celle des chrétiens qui sentent, comme nous l’avons mentionné, combien ils sont proches
des musulmans dans des modes de fonctionnement essentiels, le Dieu unique,
l'Intermédiaire unique, le Livre unique, la communauté supposée unique dan l’imaginaire
collectif malgré les innombrables divisions et schismes de la réalité et les 30000 Eglises
différentes recensées actuellement... Devant le recul considérable de la pratique
monothéiste en Europe, les chrétiens préfèrent s'allier aux musulmans plutôt que se battre
ouvertement avec. Quand on regarde la sociologie des pratiques religieuses réelles, les
deux religions sont en fait en minorité, aucune n'a la possibilité d'écraser l'autre, et
chacune a peur d'être éliminée par les forces de la laïcité et de la modernité, elles
concluent donc un pacte de circonstances qui durera ce qu'il durera.
- La critique marxiste, ceux-ci évitant de critiquer et d’‘essentialiser’ l’islam à cause de
deux a priori, le premier étant idéologique : de toute façon, ils ne croient pas que la
religion ait une quelconque essence, elle n’est à leurs yeux qu’un sous-produit des
conditions économiques et sociales. Le second a priori est stratégique. Avec
l’enrichissement en Occident, le prolétariat a tendance à disparaître, et la gauche essaie
d’en retrouver un autre avec la population musulmane immigrée qui, il faut le reconnaître,
n’a pas toujours la vie facile pour toutes sortes de raisons. De plus, bien qu’un tiers des
musulmans dans le monde vivent dans des pays où ils sont minoritaires, ils n’ont guère
développé de réflexion théologique et culturelle pour vraiment intégrer ce fait, car
historiquement l’islam a été le plus souvent majoritaire. Cela est cause de frustration
exactement proportionnelle au refus de s’adapter à la nouvelle situation, et crée une
source de mécontentement quasi-inépuisable. Ce sentiment de fond est alors facilement
récupérée par des partis qui visent à la révolution contre le ‘système’. En bref, il n’y a pas
besoin de remettre en question les croyances des islamistes, il est plus utile
stratégiquement de les enrôler dans le mouvement de lutte générale.
- La critique intellectualiste aura tendance à dire : « Tout est très complexe, on ne peut rien
dire de précis en général. Il faut attendre de nouvelles recherches (et de nouveaux
crédits…) pour arriver à une conclusion, la religion n'est qu'une variante sociologique
parmi d'autres, on peut en changer à sa guise. »
Par opposition à cela, le travail du psychologue religieux est d'identifier des archétypes et
d'expliquer comment les croyances de base influent la vision du monde et les comportements
concrets, d’une façon qu’il est en fait difficile à changer en profondeur. Même s'il ne faut pas
tomber dans le simplisme et accepter différentes possibilités – surtout quand on parle d'une
population si vaste que les musulmans– on peut établir des sous-groupes et des tendances
générales, comme des gènes identiques en biologie peuvent avoir des manifestations dominantes
ou récessives. Malgré cela, on saura qu’il s'agit quand même du même gène. Nous avons déjà
mentionné également la méthode habituelle de médecine et de psychopathologie qui amène à
décrire d’abord la forme typique d’une maladie, et ensuite différentes formes cliniques. Cela
permet d’organiser le matériel des observations de façon pratique et cohérente.
On pourrait rapprocher en fait cette controverse de celle de l'inné et de l’acquis en psychologie.
Certains observateurs, par a priori idéologique, veulent dénier tout rôle de « l'inné » dans le
fonctionnement du psychisme humain, alors qu'en fait, il existe et représente une partie des
causes : de même la religion de départ, dans la mesure où elle a été intégrée sincèrement et
surtout depuis la naissance, représente un conditionnement tellement profond qu'on peut le
rapprochent des gènes. On ne peut la considérer comme juste une variable de plus dans un
25
tableau de statistiques, comme sa nourriture préférée ou son hobby. Elle est vécue par ses fidèles
pour peu qu’ils soient sincères comme en rapport avec l’essentiel. Pourquoi ne pas accepter cela
comme une donnée de départ, quitte à garder pour la suite l'étude sociologique et statistique de la
manière dont ces croyances sont suivies. Celle-ci est effectivement fort variable, et beaucoup
statistiquement en Europe ont abandonné l’idée que la religion était pour eux essentielle.
Cependant, ce n’est pas le cas dans d’autres parties du monde.
En conclusion de ces réflexions, le proverbe : "Il ne faut pas jeter le bébé avec l'eau du
bain" me revient à l'esprit. Je dois reconnaître que je n'ai rien contre la religion au sens honnête
du terme, c'est-à-dire celle qui n'utilise pas des slogans métaphysiques simplistes et coupants
comme des sabres pour se tailler des empires. Le lecteur trouvera une argumentation plus
détaillée en faveur de ce point de vue dans la suite de cet ouvrage, et verra par lui-même
comment est menée au fil de pages l’opération délicate qui consiste à établir la fine ligne de
démarcation entre ‘le bébé’ et ‘l’eau du bain’…
Si un point faible de la critique de l’islamisme à partir d’une autre branche du monothéisme est
souvent qu’elle est trop timide, elle peut parfois prendre des formes terriblement violentes. Cela a
été le cas de Behring Breivik, qui en attentat dans le centre d’Oslo le 22 juillet 2011 et en un autre
juste après sur l’île d’Utöya en Norvège a fait périr 77 personnes, en 3 heures dont de nombreux
enfants d’une colonie de vacances qui campaient sur l’île. Il s’agissait d’un paranoïaque vrai de
vrai de 32 ans, l’expertise psychiatrique de fin novembre 2011 l’a reconnu : il était tellement
convaincu d’être dans le Vérité absolue qu’il a appelé de son téléphone la police juste après le
massacre pour leur dire qu’il les attendait, comme s’il espérait recevoir des félicitations de leur
part pour son exploit au service du Dieu des chrétiens et avoir fait respecter par la force sa propre
définition de la loi. Cependnt, sa référence typiquement bigote au catholicisme et à sa dévotion
est certainement très embarrassante pour les autres croyants.
L’idée de Breivik était de défendre les traditions du christianisme et de l’Europe contre la
concurrence islamiste. Nous citons une étude effectuée par Jean-François Mayer32 quelques jours
après l’attentat grâce aux textes de Breivik qui étaient postés sur l’internet. Il conclu qu’il ne
s’agissait pas d’un fondamentaliste chrétien puisqu’il n’était pas obsédé par le retour aux
écritures, mais par contre, coui, d’un terroriste chrétien, ce qui est très embarrassant pour la
communauté des fidèles de Jésus. Voici quelques unes des citations de Breivik que se définissait
aussi comme nouveau chevalier du temple, donc là encore de tradition chrétienne et monothéiste.
Non seulement cela, mais dans un acte de dévotion dont le Vatican se serait bien passé, il
exprime son mamour du Pape et prêche pour le retours des Eglises protestantes dans le sein de la
Sainte Eglise catholique :
Dans une discussion sur le site Document.no comme dans son manifeste, il prône le retour des
protestants au giron catholique: "Il faudrait faire des efforts pour faciliter la déconstruction de
l'Eglise protestante, dont les membres devraient revenir au catholicisme. L'Eglise protestante a eu
un rôle important, mais ses buts originaux ont été accomplis et ont contribué à la réforme de
l'Eglise catholique aussi. L'Europe devrait avoir une Eglise unie conduite par un Pape juste et non
suicidaire, prêt à se battre pour la sécurité de ses sujets, spécialement par rapport aux atrocités
islamiques."
(p. 1405 renvoi au pages du document internet avec les écrits de Breivik)
Breivik consacre six pages à expliquer que la Bible justifie l'autodéfense (puisque, à
ses yeux, ses actes relèvent de l'autodéfense): mais les nombreux versets bibliques cités ne
sont pas le fruit d'une étude personnelle des Saintes Ecritures, il a simplement repris ces
informations sur quelques sites (pp. 1329-1335)
26
. "En tant que chrétien culturel, je crois que le christianisme est essentiel pour des
raisons culturelles. Après tout, le christianisme est l . "En tant que chrétien culturel, je
crois que le christianisme est essentiel pour des raisons culturelles. Après tout, le
christianisme est la seule plateforme culturelle qui peut unir tous les Européens, qui sera
nécessaire dans la période à venir durant la troisième expulsion des musulmans."
(p. 1362)
Le christianisme est la seule plateforme culturelle qui peut unir tous les Européens, qui
sera nécessaire dans la période à venir durant la troisième expulsion des musulmans."
(p. 1362)
Et voici le bouquet, si je puis dire, ses conseils de piété pour se prpépare au passage à l’acte
héroïque – rappelons qu’il s’agissait de tirer à la mitraillette sur un camping d’adolescents en
vacance. Ces conseils ne sont pas sans rappeler ceux d’al Qaida, il étudiait d’ailleurs le savoirfaire des sites jihâdistes. :
« "Il n'y a pas de honte à prier dans les minutes avant votre mort. Je vous recommande fortement,
avant l'opération, d'aller dans une église et d'y participer à l'Eucharistie (Sainte Communion /
Cène du Seigneur). Comme nous le savons, ce rituel représente le dernier repas que Jésus-Christ a
partagé avec ses disciples avant son arrestation et finalement sa crucifixion. Vous devriez aussi
résoudre tout problème que vous pourriez avoir avec Dieu et demander le pardon de vos péchés
passés. Finalement, demandez-lui de préparer l'arrivée d'un martyr de l'Eglise. Un athée endurci
peut penser que cela est ridicule, mais croyez-moi quand je le dis: vous serez très heureux de
l'avoir fait quand vous réaliserez que vous pouvez mourir après avoir lancé votre opération. "
(p. 1346)
Faut-il conclure en disant « Amen », ou, en langue vernaculaire, « ainsi-soit-il »?
Je ne sais pas s’il l’a vraiment fait avant d’aller massacrer les 70 enfants de la colonie de
vacances, mais si c’et le cas , c’est encore plus embarrassant pour les catholiques. Si son
inspiration avait été une croyance orientale, les medias auraient répété en boucle qu’il était un
robot d’une secte dangereuse, mais que dire de ce bon catholique qui conseille d’aller communier
à la Sainte Messe quand on se trouve sans doute proche de la mort ?
Le passage à l’acte de Breivik a donné lieu à des débats enflammés, mais finalement les deux
psychiatres qui ont rendu leur expertise fin novembre 2011 ontestiment qu’il s’agissait d’un cas
psychiatrique. Avant même ces résultats, mon impression est qu’il s’agit d’un grand paranoïaque,
mais cela ne veut pas dire qu’il ne doive pas être tenu pour responsable de ses actes jusqu’à un
certain point, c’est une question de défense de la société. Nous reviendrrons dans le chapître La
parnaoïa et la loi sur cette question délicate. Avec ses débats après l’attentat, on a eu une fois de
plus le spectacle affligeant du choc des paranoïas, celle de Brevik en miroir de celle des
islamistes, et toutes sortes de parties de l’opinion essayant de jouer des coudes pour se présenter
comme les plus grandes victimes du monde, et de marquer ainsi quelques points dans l’arène
politique. La paranoïa appelle la paranoïa en un cycle sans fin, Brevik étudiait les sites jihâdistes
pour leur rendre la monnaie de leur pièce, et cela nous ramène à la question de fond : comment
contenir efficacement des délirants agressifs sans basculer soi-même dans un comportement
psychotique en miroir. Les psychiatres et psychothérapeutes qui travaillent avec des cas lourds
par exemple en hôpital ont une certaine expérience de cela, qui peut servir au reste de la société
pour combattre l’extrémisme religieux. Nous en reparlerons en différents endroits de ce livre.
27
Compassion médicale et psychohistoire
Je sais qu’on peut faire une double critique à ce livre : a) En montrant les structures
psychopathologiques associées au développement de l’islamisme, on manque de compassion
envers le ‘patient’ qu’on met brutalement devant le diagnostic de la maladie dont il souffre. Peutêtre sera incapable de supporter ce genre d’étiquette, et s’enfoncera-t-il dans la dépression. b) En
remettant en cause cet islamisme, les musulmans vont comprendre que l’islam lui-même est
attaqué, et vont réagir de la manière persécutée qui leur est fréquente en tant que groupe, et donc
retomber dans la vieille ornière victimisation à la place d’apprendre quelque chose de nouveau.
Cependant, il y a toutes sortes de liens évidents entre psychopathologie individuelle et
collective. Cette dernière est la combinaison déjà de la somme des pathologies individuelles, avec
en plus un effet émergent de masse qu’il appartient aux psychologues ou psychiatres qui
s’intéressent à ces questions-là de bien circonscrire. Freud allait dans ce sens : « Si nous
admettons la conservation des traces mnésiques, inconscientes ou préconscientes dans l’héritage
archaïque, nous avons jeté un pont au-dessus du fossé qui sépare la psychologie individuelle de
la psychologie des masses, et nous pouvons traiter les peuples comme l’individu névrosé ».
Evidemment, il s’agit d’un instrument à manier avec délicatesse et sans tomber dans le
simplisme. Erich Fromm par exemple a ce type de rapprochement avec son ouvrage S’échapper
de la liberté.33
Nous pouvons distinguer sur deux points la situation de ce livre par rapport à celle d’une
thérapie individuelle :
- En psychothérapie ou psychanalyse, on prend son temps, la cure peut durer des années, car on
fait attention à ce que le patient puisse comprendre par lui-même l’origine de ses troubles et la
manière de s’en sortir. Dans le cas d’un livre, il faut dire ce qu’on à dire dans le cadre d’un texte
que le sujet lira en quelques heures. On peut quand même rapprocher les deux cas de figure en
faisant remarquer ceci : même si le lecteur découvre en un temps bref le ‘diagnostic’ de ce dont il
souffre, il aura peut-être besoin de prendre des années pour l’assimiler et se transformer dans son
psychisme et son comportement.
- En psychohistoire, un certain type de silence peut équivaloir à de la lâcheté. La véritable
compassion consiste au contraire à démonter clairement les mécanismes psychopathologiques
pour que tout le monde puisse les comprendre. En faisant ainsi, on prouve aussi sa sympathie
pour les victimes, on s’intéresse à la pathologie d’idéologies totalitaires qui oppriment des
peuples entiers, qui ont fait des dizaines de millions de morts et qui risquent d’en faire encore
bien plus. Appelons un chat un chat : l’islamisme radical fait partie de ces idéologies, qu’on les
appelle totalitaires, totalisantes ou autoritaires. Avoir de la ‘compassion’ envers une telle doctrine
reviendrait à de la faiblesse, voire à une démission vis-à-vis de la mémoire des morts provoquées
par cette idéologie. Au contraire, en montrant que des gens ont été persécutés injustement, on
contribue à sauver la vie de nombre de leurs enfants toujours menacés par la destructivité d’une
doctrine radicale révolutionnaire de plus qui afflige l’humanité immature.
Il est important de désamorcer la dangerosité des islamistes – réelle même si elle a aussi ses
limites - en démystifiant les mécanismes de leur emprise sur l’esprit des gens, y compris chez
certains Occidentaux. La première compassion est pour la victime de la délinquance, ensuite pour
le délinquant dans la mesure où il veut changer, mais il n’y a pas lieu d’en avoir pour la
délinquance elle-même. Evidemment, certains intellectuels pensent être à la mode en éprouvant
de la sympathie pour les islamistes radicaux et en voulant tout expliquer de ce qui leur arrivent
par des facteurs extérieurs à eux, en arrivent à les excuser plus ou moins. Ce livre montrera de
multiples façons et à de nombreux niveaux de fonctionnement psychologique comment leur
28
comportement vient d’abord de leur intérieur à eux. Ils se font en fait souvent piéger par des
rationalisations secondaires construites comme un cocon autour du noyau dur d’un
fonctionnement paranoïaque.
Ceci dit, en tant que thérapeute, et déjà et surtout en tant qu’être humain, on doit montrer de la
compassion envers les personnes : si j’avais un intégriste qui venait me consulter car il est
déprimé ou qu’il commence à réaliser qu’il souffre de paranoïa, je m’en occuperai de mon mieux
comme je le fais pour les autres patients. A l’inverse, si un musulman apparemment modéré se
sent une telle sympathie envers les islamistes purs et durs qu’il prend sur lui de façon personnelle
toute critique émise à leur égard, il devrait revenir à lui-même, faire son examen de conscience et
se demander pourquoi il s’identifie en fait à une telle pathologie de la psychorigidité.
Il faut distinguer la pitié de la vraie compassion : la première est sentimentale, du type de la
personne émotionnelle qui se met la main sur les yeux en disant : "Que cela est terrible, je ne
peux pas voir toute cette souffrance !" La compassion, elle est efficace, elle voit le vrai problème
comme un médecin effectue un diagnostic correct, et agit pour aider réellement. Ceci est aussi
valable pour la compassion du thérapeute : il voit quand une personne ou un groupe donné
s'enfonce dans la dépression ou le délire, le dit clairement en expliquant ses mécanismes et
préconise des moyens pour s'en sortir. La compassion authentique est inséparable de la vérité.
Les diplomates ou les politiciens conscients de leur responsabilité ont un devoir quelque peu
différent, celui de ne pas rajouter d’huile sur le feu de tensions déjà existantes. Pour cela, ils
pourront être amenés à passer sous un silence prudent un certain nombre de points litigieux sans
pour autant tomber dans le mensonge.
Il est nécessaire de faire la différence entre polémique et psychopathologie : certes, dans les
deux cas, on montre ce qui ne va pas dans un système de pensée et de pratiques de l’autre, mais
dans le premier, on en reste là, alors que dans le second, on établit un diagnostic et on en déduit
une thérapeutique : il y a donc un effet positif à long terme, même si le processus peut paraître
douloureux à ceux qui sont analysés de cette façon. Il y a des moments de vérité dans la vie, qui
peuvent venir d'une expérience intérieure forte, de la rencontre d'une personne ou de la lecture
d'un livre vraiment nouveau et qui rappelle l'essentiel. À ce moment-là, on est devant un vrai
choix : réellement changer - ou bien jouer à l'autruche et continuer pareil qu'avant, comme si rien
ne s’était jamais passé, par exemple à reporter toute la responsabilité de ses propres maux sur les
autres, y compris sur ceux qui peuvent vous aider psychologiquement.
Prenons l’exemple d’un expert psychiatre qui doit évaluer un patient paranoïaque dangereux. Si
par une compassion mal placée, il déclare à la justice et à la société que celui-ci ne créera pas de
problèmes, mais que pourtant quelques jours plus tard il assassine cinq personnes, on peut dire
que l’expert est responsable. C’était à lui de voir venir le problème et d’avertir, comment peut-on
demander au grand public qui n’a jamais étudié la psychopathologie de retrouver son chemin
dans les méandres du mental de ce genre de cas ?
Les conséquences impensables d’un confit nucléaire entre Israël et l’Iran
Nous nous appuierons pour cette section sur une étude d’Anthony Cordesmann rapportée par
un spécialiste américain de la situation au Moyen-orient qui suit de près les évènements depuis
uine trentaine d’année34.
Anthony Cordesman, un spécialiste de stratégie au International Center for Strategic Studies
situé à Washington, a estimé les conséquences si Téhéran obtient l’arme nucléaire et qu’un
conflit avec Israël s'ensuit. Fondé sur son rapport qui vient de paraître, un zrticle est paru l'Iran,
29
Israël, et la guerre nucléaire. On s'attend, écrit Martin Walker, de United Press International, à
entre 16 millions et 28 millions de morts iraniens dans les 21 jours, et entre 200 000 et 800 000
morts israéliens dans les mêmes délais. Le total des décès au-delà de 21 jours pourrait augmenter
et être beaucoup plus élevé, en fonction de la préparation du pays pour la défense civile et des
établissements de santé publique, où Israël a un grand avantage. Il est théoriquement possible que
l'état d'Israël, avec son économie et sa société organisée pourrait simplement survivre à un tel
coup presque mortel. L'Iran ne pourrait pas survivre comme une société organisée. "Pour les
Iraniens, la récupération ne serait pas possible dans le sens normal du terme ", remarque
Cordesman. La différence dans le nombre de morts est en grande partie parce qu'on estime
qu’Israël a plus d'armes nucléaires de rendement beaucoup plus élevé (certaines de 1 mégatonne),
et Israël déploie une formule avancée d’un système antimissile Arrow en plus de ses batteries
Patriot. Moins de missiles iraniens pourront passer au travers.
Pourquoi de telles disparités dans les nombres? En raison des différences de rendement. La
plus grande bombe que l'Iran devrait avoir est de 100 kilotonnes, ce qui peut infliger des brûlures
du troisième degré dans un cercle de 12km de diamètre. Israël a des bombes de une mégatonne
qui peuvent infliger des brûlures au troisième degré à 35 km. En outre, les retombées d'un
rayonnement de l’explosion en hauteur d'une telle bombe d’une mégatonne a le pouvoir de tuer
des personnes qui ne sont pas abritées jusqu'à 130 km dans les 18 heures car le panache de
rayonnement dérivera poussé par les vents. Ainsi, la Jordanie, selon le sens du vent, risque de
souffrir gravement des retombées radioactives d’une frappe iranienne sur Tel-Aviv. Cordesman
en tant que chercheur suppose que l'Iran, avec moins de 30 ogives nucléaires dans la période
d’après 2010, n’aurait pour but que les principaux centres de population de Tel-Aviv et Haïfa,
alors qu'Israël sera beaucoup plus efficace avec plus de 200 ogives nucléaires et des systèmes
balistiques avancés, y compris des missiles de croisière lancés à partir de ses sous-marins
Dolphin 3. L'hypothèse est qu'Israël viserait en priorité en Iran les centres de développement
nucléaire de Téhéran, Natanz, Ardekan, Saghand, Gashin, Bouchir, Aral, Ispahan et Lashkar
A'bad. Israël également ciblera de façon probable les principaux centres de population de
Téhéran, de Tabriz, Qasvin, Ispahan, Chirâz, Yazd, Kerman, Qom, Ahwaz et Kermanshah.
Cordesman dans son étude souligne que la ville de Téhéran, avec une population de 15
millions de personnes rien que dans sa zone urbaine, est un "bassin topographiques où les
montagnes servent de réflecteurs nucléaires idéaux et se transformera en un terrain de massacre à
grande échelle." En outre, Cordesman s'attend à ce qu’ Israël ait besoin de conserver une
« capacité de réserve de frappe » afin de garantir qu' « aucun autre pouvoir ne puisse tirer parti de
la frappe iranienne » et cible donc des "voisins arabes en position clé" comme la Syrie, l'Égypte,
et les états du Golfe en particulier. Israël aurait diverses options, y compris une frappe nucléaire
limitée sur la région habitée principalement par la minorité Alaouite d'où vient la dynastie au
pouvoir des Assad. Une attaque israélienne à grande échelle contre la Syrie pourrait tuer jusqu'à
18 millions de personnes en 21 jours; la récupération de la Syrie en tant que pays ne serait plus
possible. Une attaque syrienne avec tous ses moyens supposés de guerre chimique et biologique
pourrait tuer jusqu'à 800 000 Israéliens, mais la société israélienne s’en remettrait. Une attaque
israélienne sur l'Égypte viserait probablement des frappes sur les principaux centres de
population du Caire, d’Alexandrie, de Damiette, de Port Saïd, de Suez, de Louxor et d’Assouan.
Cordesman ne donne pas de chiffres précis ici, mais ils seraient certainement de l’ordre de
dizaines de millions. Israël serait également amené à détruire le Canal de Suez et presque
certainement à détruire le barrage d'Assouan, déclenchant des inondations monstrueuses avec les
eaux du Nil qui balaieront des décombres encore fumant. Cela signifierait la fin de l'Égypte,
comme une société fonctionnelle. Notre spécialiste de stratégie répertorie également les puits de
30
pétrole, les raffineries et les ports le long du Golfe qui pourrait être aussi des objectifs dans le cas
d'une riposte de masse nucléaire par un Israël convaincu qu'on a cherché à lui porter un coup
potentiellement mortel. Même limité la région, un tel échange nucléaire pourrait ne pas être une
Apocalypse pour la race humaine, mais en serait certainement une pour l'économie mondiale.
Walker conclut que l'analyse de Cordesman énonce "la fin de la civilisation de la Perse, très
probablement la fin de la civilisation égyptienne, et la fin de l'âge du pétrole. Cela signifie aussi
la fin de la mondialisation et de l'extraordinaire croissance dans le commerce mondial et la
prospérité. Celle-ci permet actuellement à des centaines de millions de Chinois et d'Indiens et
d’habitants d'autres pays de s’extraire de la pauvreté."
Voici maintenant quelques réflexions sur ce rapport d’un spécialiste qui suit de près a question
depuis une trentaine d’années:
(1) Les projections dans l’avenir de Cordesman poursuivent les travaux de personnes privées de
mise à la disposition du public de ce qui est habituellement le domaine exclusif des services de
renseignements. Pour un autre exemple concernant le programme nucléaire iranien voir le travail
de Whitney Raas et Austin Long, comme je l'ai résumé dans Jets israéliens zen face des
minibombes nucléaires iraniennes."
(2) Si les estimations de Cordesman sont exactes, elles contredisent toutes les hypothèses
menaçantes d’Ali Akbar Hashemi Rafsanjani, l'ex-président d’Iran qui prétendait déjà en 2001 et
avant Amedinejad que la bombe islamique iranienne « lancée sur Israël n’en laisserait rien
subsister alors que les armes nucléaires d’Israël n’infligeraient que des dégâts mineurs au monde
musulman »
Cet article bien documenté montre en fait que Rafsandjani et en fait ses successeurs
fonctionnent toujours selon la logique archaïque du bouc émissaire, où le groupe qui est en
majorité numérique écrasante, en l’occurrence l’islam, « s’offre » régulièrement un massacre
d’une minorité, parfois les juifs, parfois les chrétiens, parfois les hindous ou bouddhistes, pour
résoudre ses propres tensions internes – pour quelques temps seulement avant de recommencer
lors de la crisse suivante. Cependant, avec la puissance des armes nucléaires en jeu, la logique
s’est tout simplement inversée, et il ne semble pas que les dirigeants iraniens ni les idéologues de
masse islamistes, en particulier ceux animés d’un délire apocalyptiques, n’aient enregistrés la
nouvelle donne, d’où le risque clair qu’ils fassent de grosses erreurs. Ce livre développe en détail
la mécanique psychique eAt religieuse qui peut ainsi déformer la réalité et mener à des erreurs de
perception graves.
En conclusion, certains reprochent à une critique un tant soit peu en profondeur de
l’islamisme d’être de l’alarmisme, voire de relever d’un trouble psychologique. Certes, il y a des
cas où ça peut l’être, cependant, le trouble de beaucoup le plus fréquent est la passivité et le
manque de réaction et de remises en question en face de perspectives aussi graves. Cela peut
venir d’une dépression, c’est ce qu’exprime Antoine Vitkine à sa manière quand il a donné
comme titre à l’un de ses livres La tentation de la défaite, qui aborde justement ce manque de
réactivité. Pour les croyants, cela peut être une iincapacité profonde à remettre en cause ce que
leur clergé leur présente comme la volonté de Dieu par exemple « l’inévitabilité » de 25 millions
de « martyrs » pour « glorifier Son Nom ». Il s’agit d’un déni psychotique de la réalité, et si une
guerre sainte nucléaire a lieu effectivement, il émergera alors que le trouble psychiatrique
collectif le plus meurtrier de l’histoire de l’humanité aura été justement cette anesthésie, ce qu’on
pourrait appeler cette « décérébration dévotionnelle »
31
Les réticences des intellectuels à prendre en compte le facteur religieux
Les penseurs actuels sont encore grandement influencés, consciemment ou inconsciemment,
par le réductionnisme marxiste qui voudrait que tous les conflits soient explicables par des
intérêts économiques. Ils sous-estiment les forces des croyances et de leurs déviations
psychopathologiques. Ces dernières ont leur propre élan, leur logique spécifique d’ordre
psychique et peuvent fort bien se répandre de façon épidémique. C'est pour cela que des pays qui
auraient rationnellement tout intérêt à s'arranger entre eux en tant que voisins pour la santé de
leurs économies, passent des dizaines d'années, voire des siècles à la limite du conflit, et de temps
à autre basculent de façon ruineuse dans une guerre ouverte.
Du point de vue du psychologue, on peut remarquer que les analystes sociopolitiques
travaillent au niveau des 'rationalisations secondaires', à ce niveau-là ils peuvent certes trouver
des causes intéressantes, sociales, économiques, etc. que les sujets eux-mêmes donnent comme
l’origine de tous leurs maux – mais seulement apparemment. Cependant, ils n'ont pas la
formation de psychopathologie qui leur permettrait de voir en face le noyau délirant de paranoïa
par exemple qui est le centre et le moteur de bien des comportements. C'est pourtant en faisant
entrer en jeu cette dimension psychique supérieure qu'on aura une appréhension complète des
phénomènes, c'est le travail qui nous retiendra dans ce livre. Il faut comprendre que la paranoïa
s’entoure régulièrement de rationalisations secondaires pour se protéger, comme le ver à soi de
son cocon.
Il y a tout un ensemble de raisons pour lesquelles les analystes occidentaux ont du mal à faire
rentrer les facteurs religieux et psychologiques dans leurs équations :
- Déjà, ils ne sont pas formés à cela. Même s'ils ont quelques notions du rapport général entre
géopolitique et religions, et ils n'ont guère d'intuitions sur les rapports intimes entre la croyance,
la psychopathologie, et les passages à l'acte violents, ou alors sur pourquoi les gens ordinaires
peuvent avoir besoin pressant de s'intégrer dans un système religieux totalitaire.
- L'interprétation des phénomènes socio-historiques par des facteurs religieux semble régressive
en ce début du troisième millénaire : "Pour l'esprit occidental moderne, il n'est pas concevable
que des hommes puissent se battre et mourir.... sur des différends en religion ; c’est trop
stupide ; il doit y avoir d'autres raisons "authentiques", économiques en particulier, sous le voile
religieux. "1 Certes, les gens sensés désirent a priori que le non-sens des guerres de religion soit
définitivement dépassé, mais ma vieille expérience de la psychopathologie m’amène à dire qu’il
n’est pas juste de se laisser aller au « délire dans le sens du désir », et que la réalité est donc
souvent différente de ce qu’on souhaiterait qu’elle soit.
- Une religion comme l'islam, où le sens communautaire est fort, peut inspirer des décisions
contraires aux intérêts économiques. Par exemple, les millions de musulmans indiens qui sont
partis au moment de la Partition pour le Pakistan n'étaient pas motivés par des intérêts
économiques, ils y ont plutôt beaucoup perdu, mais certainement ils étaient poussés par l'idéal de
vivre dans un pays inspiré directement par un islam dominant qui leur était annoncé comme une
préfiguration du paradis d’Allah.
- Même si l'islam n'est pas totalitaire au sens des sciences politiques dans chaque pays musulman,
on peut dire que sa doctrine est totalisante, et elle influe le politique. Il y a aussi tout un monde de
fatwas qui s’étend comme un filet sur tous les détails de la vie quotidienne : ce sont elles qui
assurent un grand pouvoir des clercs sur l'esprit des gens. Pour bien comprendre ces processus, il
1
Lewis Bernard, cité par Pipe Daniel Islam and Political Power, 1983, et 2001 pour l'édition indienne à Voice of
India, p.5.
32
est plus important d'avoir une formation en psychologie qu'en sciences politiques. Toutes ses
pratiques qui rendent le sujet dépendant jour après jour peuvent être raisonnablement considérées
comme des formes de totalitarisme psychologique, plus discret que son équivalent physique mais
plus efficace aussi à long terme pour opérer une « bonne » soumission des sujets croyants.
Il est classique par exemple de mettre en avant la question des ressources pétrolières pour
expliquer l'animosité, depuis le début du régime khomeyniste, entre les États-Unis et l'Iran.
Certes, elles existent, mais tous les pays du monde, y compris la France, l'Inde et la Chine, sont
intéressés par le pétrole iranien; cela n'empêche que le choc le plus important a lieu avec les
États-Unis. Ne serait-ce pas fondamentalement parce que les deux pays sont fondamentalistes,
convaincus d'êtres les représentants, les voix de Dieu sur terre, les peuples élus : n'y a-t-il donc
pas derrière tout ce conflit – pour une beaucoup plus grande part qu'on ne pense – un choc des
complexes de supériorité, voire des mégalomanies religieuses? Est-ce que ces travers
psychologiques collectifs doivent mériter le nom de civilisation ?
Dans mes recherches pour écrire ce livre, je n'ai trouvé qu'un auteur, Jacques Semelin, qui ait
bénéficié d’une double formation, à la fois en psychologie et en sciences politiques. D'ailleurs, il
s'est spécialisé dans un domaine où les connaissances de psychopathologie sont fort importantes,
celui de ces crises de violence extrême que sont les massacres et les génocides. Il incrimine
comme facteur causal important la psychose temporaire. Sinon, parmi les nombreux spécialistes
politiques, religieux, sociologiques de l'islamisme, l'approche psychodynamique n'est que
faiblement représentée, à l’exception des travaux de Fethi Benslama que nous aurons l’occasion
de discuter ci-dessous. Néanmoins, sans faire de grands discours, nous pouvons dire qu'un travail
interdisciplinaire sera nécessaire, au moins déjà à l'intersection des sciences politiques,
religieuses et de la psychologie. Les approches habituelles éclairent chacune une part de la réalité
et de la vérité, cependant, la dimension spécifique de psychopathologie collective religieuse avec
ses notion d'épidémies qui peuvent être éminemment destructrices, peut contribuer à comprendre
les phénomènes en profondeur – au-delà des aléas socio-économiques qui de toutes façons seront
toujours présents.
Certes, le dogme avec ses points de métaphysique ne conditionne en général pas directement
le comportement, mais par contre la coutume, les habitudes socioreligieuses le font de façon
puissante et statistiquement significative. Cependant, ceci est partiellement changé lors de
l'immigration, il faut donc reconsidérer dans son cas toutes ces questions avec un regard neuf. Le
lien avec l'histoire religieuse d'une civilisation prend en compte la "présence dans le présent de
cette autre présence qu'est le passé" selon la belle expression de Darius Shayegan dans son livre
La lumière vient de l'Occident.35
Il y a problème de fond, quand des soi-disant spécialistes parlent de problème des religions
sans aucune expérience personnelle dans ce domaine. On a l'impression d'un sourd de naissance
qui écrit un livre sur la sociologie de la musique : effectivement, en lisant d'autres auteurs et des
enquêtes sur le sujet, il pourra raconter certaines choses intéressantes, cela pourra même paraître
cohérent du point de vue étroit de sa spécialité, mais que saura-t-il du plaisir qu'il y a écouter de
la bonne musique ; ou encore de la souffrance qu'il y a pour un mélomane averti à devoir en
endurer des séries de fausse notes ?
Probablement, un certain nombre d'idées émises dans ce livre ne seront pas acceptables aux
traditionalistes. Cependant, on peut parler d'un effet dripping down, comme en économie. Si la
couche supérieure d'une société s'enrichit, on peut espérer que cela servira de moteur au
développement des couches plus faibles. Si les fidèles de base ne peuvent accepter certaines des
critiques de fond présentes dans ce livre, il y aura des intellectuels d'origine musulmane qui en
comprendront cependant l'intérêt et les traduiront en des termes plus acceptables et atténués
33
adaptés au public des conservateurs. C'est souvent comme cela que les idées finissent par faire
évoluer des croyances religieuses qui semblaient inamovibles.
Cela m'a fait sourire de voir certains sympathisants officels du dialogue interreligieux qui, à
la lecture du manuscrit de ce livre, devenaient soudain paralysées et justement tout à fait
incapables de dialoguer. Ils fermaient les portes de la communication, parfois de façon plutôt
violente. Ils comprenaient sans doute que j'en savais trop, et que j'avais trop réfléchi pour que
leurs arguments plutôt banals puissent m"impressionner. Je suis pour le dialogue interreligieux, il
faut qu’il existe, mais pas au prix de la réalité des choses.
Edward Said et l’orientalisme
Si l'on suit la logique d’Edward Saïd à propos de l'orientalisme dans son livre sur le sujet qui
date déjà de 197836, il n'y aurait que les Arabes qui pourraient comprendre les Arabes et parler
d'eux-mêmes. Il va trop loin, et il a été critiqué pour cela. Certainement, il a raison de souligner
les nombreux préjugés colonialistes et le complexe de supériorité chrétien qui ont animé
beaucoup d'orientalistes du XIXe et XXe siècle. Il a raison de souligner aussi de ne pas s'arrêter
aux données matérielles pour connaître une zone, mais de lire sa production littéraire, afin de
pénétrer dans les zones subtiles de sa psychologie. Par ailleurs, il cite Nietzsche : « Les vérités
sont des illusions dont on a oublié qu'elles le sont. » Cela paraît brillant, mais risque de tomber
dans le relativisme. Si on prend cette pensée au pied de la lettre, une action saine devient difficile.
C'est peut-être le problème du postmodernisme, qui réfléchit beaucoup au point d'en avoir
semble-t-il une paralysie des mains combinée avec une hypertrophie de la tête. À mon avis, Said
va aussi trop loin quand il dit : « Comprendre l'autre, c'est le manipuler » ou « délimiter un objet
comme l'Orient ou l'arabe est déjà un acte de violence » Il y a par exemple un certain nombre de
grands penseurs occidentaux qui ont réfléchi sur ce qui définit l'Occident, il n'y a pas de violence
à cela, c'est un travail de l'esprit humain d'essayer de trouver des notions générales justes sans
pour autant devenir partial ou recourir à des clichés.
Si la critique de l'islam ne peut être faite par les Occidentaux à cause de leur attitude
colonialiste, elle ne peut pas l'être non plus par les hindous à cause au contraire de leur passé de
colonisés par les empereurs mongols et autres musulmans, ni par les bouddhistes qui ont été
chassés de leurs territoires ancestraux par les vagues successives d’invasions islamiques. Elle est
donc impossible sur un flanc comme sur l'autre du monde musulman, et ce ne sont pas les
animistes d’Afrique ou les chamanes de Sibérie qui vont produire des remises en cause
cohérentes du point de vue universitaire. N'est-ce pas une attitude quelque peu facile tendant à se
réfugier dans une sorte de toute-puissance irréfragable? C'est peut-être dans ce sens que
l'Orientalisme a eu du succès auprès des islamistes, car il laissait entendre que les Occidentaux ne
comprenaient rien à l'islam, et donc n'avaient pas droit à la parole sur ce sujet. Cela a embarrassé
Saïd qui ne cesse de réfléchir, c’est une de ses grandes qualités, et il s'est donc démarqué de cette
interprétation dans sa postface de 1994 à L’orientalisme.
Il se défend aussi brièvement d'une remise en question plus personnelle du genre : «Vous avez
de telles conceptions sur l'orientalisme car vous n'avez pas eu la vie facile ni au Moyen-Orient, ni
aux États-Unis en tant que réfugié palestinien. Cette situation pas facile vous a poussé dans la
victimisation ou la théorie du complot. » Il n'est pas d'accord avec cela. Une autre manière habile
de geler dès le départ toute critique de l'islam, ou même d'un autre sujet qu'on ne veut pas
discuter en profondeur, est de recourir au prétexte scientifique :« Il s'agit d'un problème très
complexe, multifactoriel, qui nécessitera des années d'études de détail et de nouveaux crédits
avant de pouvoir en dire quoi que ce soit. » Certes, on s'attend d'un spécialiste qu'il puisse passer
son temps à analyser nombre de différences et de détails, mais il doit aussi être capable de faire
34
une synthèse et de parler de son sujet en des termes simples et accessibles un public plus large, en
le faisant ainsi profiter de ses lumières. Certains auteurs, comme Irshad Manji, reprochent à Saïd,
par la culpabilisation intense qu'il a provoquée chez les Occidentaux quelques peu naïfs et peu
avertis des mécanismes psychologiques de la persécution, d'avoir gelé toute une génération de
chercheurs universitaires en ce qui concerne une possibilité de pensée critique à propos de la
Palestine.
Said est arrivé comme étudiant aux États-Unis en pleine guerre froide, en provenance d’un
pays musulman allié avec l'Union soviétique. La paranoïa du Mc Carthisme n'était pas révolue
depuis si longtemps, et il reconnaît lui-même qu'il a souffert de cette situation. Même si cela lui a
provoqué une certaine paranoïa en miroir, elle n'a pas été sans un certain intérêt, celui de faire
ressortir des vérités sur les préjugés de l’orientalisme, même si elles n’étaient pas agréables ni à
dire ni à entendre. À ce propos, il est intéressant de voir qu'il a pu trouver un petit éditeur pour
publier en Israël en hébreu son livre sur la Palestine, mais par contre que tous les éditeurs arabes
qui ont pensé à prendre cet ouvrage lui ont demandé de faire auparavant des coupures ou des
corrections, ce qu'il a refusé, et donc les lumières de ses réflexions sont restées voilées pour la
masse de ses compatriotes. Dommage, car comme il le signale à juste titre : «Le rôle de
l'intellectuel, c'est déjà de se prémunir des oblitérations du passé, des réécritures de l'histoire par
le pouvoir. » 37
On peut reprocher à une étude de psychologie de l'islamisme qui mène par sa logique à des
remises en question profonde de remporter des sympathies dans les courants de droite. En fait, si
on va jusqu’à l’extrême-droite, on se trouve devant une sorte de paranoïa en miroir de celle de
l’islamisme, le cas de Breivik dont nous venons de parler en a été un exemple tragique sous
forme de terrorisme chrétien. L’intérêt du présent livre, c’est justement de réfléchir de façon
indépendante et non politique à la question de l’islamisme grâce à la psychologie. C’est sans
doute la meilleure façon pour éviter que le fascisme islamique ne trouve en face de lui pour
s’opposer à sa progression qu’une forme de néofascisme occidental. Ce serait très triste. C’est ce
que je pense, même si je n’aurai pas le temps de le répéter tout au long du livre.
De mon côté, je peux dire que j'ai passé plusieurs années de ma vie à vivre en Orient dans un
village pour mes recherches, en dehors de tout projet colonialiste ou missionnaire je précise. Je
parlais la langue locale, et je la parle toujours quand j'en ai l'occasion; pour en revenir à Said, je
ne pense pas rentrer dans le cadre de sa critique qui vise au fond surtout les orientalistes de salon
ou les agents de l'expansion coloniale, post-coloniale ou missionnaire. Je ne suis salarié ni par
une université, ni par une Eglise, ni par une compagnie multinationale. Je trouve d'autres moyens
pour gagner ma vie... honnêtement !
La critique de l’islamisme en particulier sous sa forme radicale doit sortir de la logique
binaire : ou bien on aime les musulmans et on s’abstient de toute critique, ou on les remet en
cause sur certains points et cela signifierait qu’on travaille à leur élimination dans les plus bref
délais. Ce clivage qui empoisonne souvent les débats et les rend passionnels est déjà en soi un
symptôme important de paranoïa. Cela est particulièrement important quand on aborde la remise
en question psychologique du Prophète. La « levée de bouclier sincère » à ce sujet des masses est
trop belle pour être honnête. Elle révèle de façon claire un fonctionnement de psychose
collective. Les intellectuels musulmans de naissance risquent d’ailleurs la mort s’ils se lancent
sur le sujet de la remise en cause de Mohamed. Un dicton moyen-oriental met d’ailleurs en
garde : « Moque-toi d’Allah tant que tu veux, mais jamais du Prophète ! » Si ce n’est pas
l’assassinat physique dont ils seront victimes, ce sera celui culturel avec leur œuvre qui sera
censurée et mise au ban. C’et pour cela que sur ce sujet en particulier, les musulmans qui font
effort pour pouvoir penser librement ont besoin de l’aide consistante et à long terme de la pensée
35
objective de l’Occident, et pourquoi pas, de celle de l’Inde et de la Chine taoïste et bouddhiste
aussi.
En novembre 2011, les bureaux de Charlie-Hebdo qui publiait des caricatures sur la Sunna ont
été brûlés. Les islamistes n’ont ni humour, ni amour, et ils terrorisent par ce qu’ils sont quelque
part terrorisés. Un autre épisode pour montrer la gravité du problème de cette question du
blasphème et les violations des droits de l’homme régulière qu’il entraîne : en 2010 au Pakistan,
les Talibans venaient d’assassiner le ministre des minorités, un chrétien. Son « crime » avait été
d’oser suggérer qu’il fallait changer la loi sur le blasphème, interdisant à quiconque, même nonmusulman, d’effectuer une critique du Prophète, isvar ninda. Il s’agit bien sûr de la clé de voûte
du totalitarisme islamique, donnant un vernis pseudo-légal à leur délire intime de toute puissance.
On a pu se poser la question de la sincérité du gouvernement à propos de la réforme de cette loi
grâce à deux indices. Déjà, il n’avait pas procuré de protection au ministre. Les assassins sont
donc arrivés en mobylette devant sa porte dans un quartier chic d’Islamabad, l’ont exécuté quand
il sortait le matin pour aller au travail et sont repartis tranquillement sur leur pétrolette avec la
satisfaction du travail accompli, vite fait bien fait. Le second indice est aussi intéressant. Le
Ministre de l’Intérieur pakistanais, sentant le mécontentement international, a été présenter ses
condoléances à la famille. Cependant, il a aussi senti la vague de sympathie populaire en faveur
de cet assassinat pour « venger l’honneur du Prophète » et a déclaré en sortant de la maison de la
victime : « Notre ministre des minorités n’a jamais critiqué le Prophète. D’ailleurs, si quelqu’un
dans le pays ose critiquer le Prophète, je serai prêt à l’exécuter de mes propres mains ». Si même
le Ministre de l’Intérieur chargé de la protection de la population et du respect des droits de
l’homme dit cela, cela signifie que le cancer de l’intégrisme a pénétré profondément le pays, qu’il
a en quelque sort métastasé jusque dans son squelette. Pourtant, le gouvernement se définit
comme islamiste modéré. Modéré –tant qu’on ne critique pas le Prophète. Modéré – tant qu’on ne
remet pas en cause leur toute-puissance.
Une compréhension erronée de ce qu’est la non-violence peut aussi mener à éviter de voir les
faits en face : les jaïns par exemple aiment bien l’image du singe qui se couvre les yeux, les
oreilles et la bouche avec les deux mains, et qui et supposé ne pas voir le mal, ne pas l’entendre et
ne pas en parler. De plus, l’idéal du sage est souvent présenté comme celui qui ne fait peur à
aucun être vivant. Cependant, il faut comprendre qu’il y a là un risque de politique de l’autruche.
Il existe toute sortes de personnes qui sont nuisibles, y compris dans les milieux religieux, et le
mieux pour elles est finalement qu’elles aient peur de ceux ou celles qui sont dans le juste et
possèdent une force intérieure. C’est ainsi qu’elles seront disciplinées, comme l’est le voleur par
sa peur du gendarme.
Un thérapeute dans la cité
La notion de droit d’ingérence qui s’est développée depuis plusieurs dizaines d’années
représente un progrès certain vers une société globale équilibrée. Cependant, on ne doit pas se
contenter de prévenir la violence au niveau physique, mais on doit aussi contrer celle survenant
au niveau psychologique. Pour cela, on devrait développer un nouvelle notion, celle de
l’ingérence sur le plan des croyances idéologico-religieuses qui mènent régulièrement à la
violence. On ne peut tout simplement plus laisser faire. C’est la pression des intellectuels et du
public qui peut créer une ingérence décisive dans ce monde religieux qui essaie de se présenter
au-dessus des lois et des interventions extérieures, et qui pourra stopper toutes sortes de processus
destructifs.Il s’agit de stopper « l’immunité sacrée » que se sont auto-arrogés les religieux. Ce
36
travail a progressé vis-à-vis de la pédophilie du clergé catholique, mais il devrait s’appliquer aux
sources de la violence religieuse en général.
On peut considérer que le Un est source de toute force; cependant, les islamistes le
pervertissent et aboutissent à assassiner des innocents en grand nombre au nom de cet Un: quel
est le mécanisme psychologique précis de cette perversion ? Répondre à cette question sera un
des fils directeurs de ce livre. La notion du Un de la métaphysique se trouve en fait reliée dans la
psyché musulmane à l'impérialisme arabe, persan, et ensuite ottoman et mongol. Ceci est
tellement le cas que j'aurais envie de pouvoir parler "d'Un-périalisme'... Soulignons un
mécanisme psycho-politico-religieux très simple à comprendre : la confession d'un Dieu qu'on
croit unique amène à rejeter comme inexistantes les autres divinités des peuplades avoisinantes.
Or, il se trouve que les déesses mères sont souvent les protectrices de la terre des tribus ou
peuplades qui les adorent. C’est dans ce sens que même maintenant on parle de terre-mère, et que
le Anglais expriment la notion de patrie par le terme motherland. En déniant l'existence même
des déesses, on dénie le droit de leurs fidèles à la terre, et donc on peut en toute bonne conscience
envahir leur territoire et les massacrer ou réduire en esclavage. On ne fait qu' « exécuter » au sens
fort du terme son devoir fi sabil illah, 'dans la voie d'Allah', une expression coranique fréquente
qui désigne à la fois la glorification du nom de Dieu et la guerre sainte. Nous reviendrons sur
cette question en fait fondamentale dans la section Tuer la Mère du chapitre Délires systématisés
et islamisme.
Le Coran non seulement exhorte les musulmans à combattre (2 190), mais leur assure que
mourir pour ce but n'est qu'apparent (3 169) et que leurs actions de martyrs ne seront pas oubliées
(47 4). De plus, on trouve beaucoup de versets qui encouragent également les fidèles à faire des
largesses pour soutenir les finances de la guerre sainte. À tel point que le mot sabil, 'voie', a
acquis le sens d'oeuvres charitables, et même plus précisément par exemple de ces fontaines
ayant été offertes au public par des bienfaiteurs. Sabil illah peut être aussi un terme pour désigner
la lutte politique, c'est déjà tout un programme de la considérer donc a priori comme une guerre
sainte. N'y aurait-il pas là le germe de la manière dont actuellement la politique irakienne, et
malheureusement dans d’autres pays du Moyen-Orient se gère à coup d'attentats, reflets de ce que
les terroristes vivent comme une guerre sainte entre communauté qui ‘s’entre-maudissent’?38
Quand pour écrire ce livre je me suis plongé dans les études en français sur l'islam, l'islamisme
et le contre islamisme, je me suis aperçu que la situation était tellement compliquée, pour ne pas
dire emmêlée, que cela m'a fait sourire : dans l'analyse des sociologues de la politique, des
extrêmes gauches s'allient avec les extrêmes droites pour soutenir l'anti-sionisme de l'islamisme,
mais pas son antisémitisme dans certains cas, on est en fait devant un tel mélange et
recomposition des tendances que même l'adage bien connu, "les ennemis de mes ennemis sont
mes amis" ne fonctionne plus....C’est là qu’une prise d’appui à la fois sur le bon sens et les
analyses subtiles de la psychologie peut beaucoup aider! Les chefs religieux tournent en rond, les
leaders politiques aussi, la société a besoin d'une approche renouvelée des problèmes pour se
rendre compte d'où vient la violence, et de situer le point au-delà duquel les fidèles dérivent dans
le délire. Certes, la psychothérapie n'est pas la physique ou les mathématiques, il ne s’agit pas
d’une science exacte mais une science humaine, cependant, depuis un bon siècle qu'elle travaille
sur son sujet, elle est capable d'expliquer beaucoup de processus de façon solide et surtout de
faire des synthèses. On ne trouvera pas dans ce livre de recettes toutes faites pour résoudre les
troubles des jeunes des banlieues, ou de suggestions pas si subtiles indiquant pour qui voter aux
prochaines élections. Par contre, il y aura beaucoup d'éléments de réflexion et de rapprochement
entre des domaines de connaissance en général séparés.
37
Dans les groupes musulmans, y compris soufis réputés libéraux, il y a une pression des frères
de la confrérie souvent indirecte, mais quand assez forte pour prendre l'initiation dans leur
groupe, et dans le même mouvement se convertir à l'islam. Ce qu'ils omettent régulièrement de
dire, c'est que sur trois écoles juridiques de l'islam sur quatre, le fait de vouloir se « déconvertir »
de l'islam est passible de mort. C’est typiquement un mensonge par omission, et à propos d’un
sujet grave. Cela ne donne guère envie de continuer avec eux.
Il est intéressant de voir que le Courrier international a fait récemment tout un numéro sur la
violence religieuse, qui est assez épais et regroupe une centaine d'articles tirés de la presse
internationale. C'est certes une bonne idée de parler de ce problème important, mais j'ai remarqué
qu'il n'y avait pas du tout d’analyse psychologique du problème, tout était politique,
sociologiques ou religieux. Superficiellement, on pourrait attribuer ce manque au fait que le
politologues ou sociologue n'ont aucune formation en psychopathologie. Cependant, plus
profondément, il faut aussi savoir que personne dans les milieux du pouvoir n'a trop envie qu'on
remette en question ses choix politiques ou religieux avec l’instrument de la psychopathologie
appliquée, car cela nuirait à son influence et scierait la branche sur laquelle il est assis.
Ethique de la critique
Une objection qu'on entend souvent si l'on critique certains aspects de l'islam, c'est qu'elle a
donné lieu à une grande civilisation, et que donc ce serait prétentieux d'oser lui faire des
reproches. C'est le moment de se rappeler le mot de Lévi-Strauss : « Dire qu'une société
fonctionne est un truisme, mais dire que tout dans une société fonctionne, c'est une absurdité. » 39
On pourra faire remarquer de plus que la notion qu'il soit prohibé de critiquer certains aspects de
la religion de l'autre ne correspond qu'apparemment et superficiellement à du respect : ce qui est
sous-entendu, c'est soit qu'on est complètement indifférent à lui, soit qu'on le considère comme
un tigre dans sa cage ; à ce moment-là, on craint d'y pénétrer de peur d'être déchiqueté...
Il semble bien y avoir un défaitisme de départ pour les critiques ou réformistes moderne à se
fonder sur le postulat que le Coran et les hadiths représentent de toute façon la parole de Dieu.
Est-ce que ce n'est pas finalement rentrer précisément dans l’engrenage que souhaitent les
intégristes ? Ne vont-ils pas regarder en souriant sous cape le petit show d'interprétations
réformatrices et à la fin vous dire : « Puisque vous croyez si bien que la parole de Dieu est la
vérité, faites comme nous, suivez-la à la lettre, sinon vous méritez d'être châtié avec la dernière
sévérité, puisque c’est la Parole même de Dieu. » N'est-ce pas toute l'histoire de l'inefficacité des
réformes en islam ? La critique n’a-t-elle pas intérêt à être d'emblée plus radicale ? C’est
probablement une forme de relativisme culturel que de se dispenser de s’engager dans une
réflexion jusqu’à ses conclusions. Elie Barnevi explique à ce propos, dans son ouvrage Les
religions meurtrières : « Le relativisme culturel n'est pas mauvais en soi. Il a permis de voir
l'homme derrière l'étranger, plutôt que l'étranger derrière l'homme, autrement dit de concevoir
l'humanité. Mais là où il a parfois conduit au relativisme moral, il a été destructeur des systèmes
de défense immunitaire. Et cela, c'est une catastrophe. » 40 La volonté de dialogue ne doit pas
masquer une peur de voir les problèmes en face. Régis Debray vient de publier Un mythe
contemporain : le dialogue des civilisations 41 Il pose à ce propos une question plutôt directe : «
Marx disait que la religion était l'opium du peuple, est-ce que le dialogue entre civilisations sera
l'opium des élites ? » Certes, Paul Tillich disait de son coté : « Le dialogue avec l'autre est
d'abord un dialogue avec soi ». Nous avons par exemple les germes de la violence en nous, il faut
s’en souvenir.
38
Pour ceux qui auraient tendance à interpréter mon analyse psychologique de l'islamisme
comme une sorte de persécution d'occidental et de chrétien contre l'ensemble du monde
musulman, je pourrais dire tout simplement que je lirai moi-même avec intérêt par exemple un
livre bien documenté sur la psychopathologie des évangélistes américains, ou même des
catholiques français, y compris s'il s'agit d'un ouvrage écrit par un psychologue ou un psychiatre
d'origine musulmane. Si cela apporte des éléments sérieux de réflexion, même au prix de remettre
en question certains passages des écritures au point de doctrine, pourquoi pas ?
Le paradoxe parmi les membres d’un certain milieu, c'est qu'avec eux, on doit prendre toutes
sortes de précautions pour distinguer islam modéré et islamisme, fondamentalisme
révolutionnaire et islamisme politique, etc, mais par contre le terme islamophobe est utilisé sans
discrimination: c'est comme si tout à coup, la faculté normale de pensée se transformait en
étiquetage principalement émotionnel, et ce n'est pas bon pour clarifier la discussion. Ne nous y
trompons pas non plus: le tabou interdisant la critique du Prophète est la clé de voûte du
fondamentalisme. Ce que je dis ci-dessous est bien argumenté psychologiquement
historiquement, il s'agit d'un point de vue qui doit être lu avec l'ouverture d'esprit consistant à se
dire a priori : « Et si c'était vrai ? » Pour continuer à propos de ‘l’étiquetage’, il est plutôt triste de
voir un label fréquent apposé à ceux qui remettent en cause le système de pensée monothéiste, en
particulier de l'islam, comme étant des individus faisant partie de l'extrême-droite ou étant des
fascistes de la pire espèce. Cela traduit plutôt une pauvreté intellectuelle, et un fonctionnement
politique émotionnel. Dans la Bible, les « ennemis de Dieu » sont quasiment systématiquement
présentés comme des débauchés, ou des fils de Satan directement. Sachant que ces qualificatifs
feraient rire le public aujourd'hui, on trouve d'autres étiquettes à coller qui paraissent plus
modernes. Au fond donc, l'habitude du rejet a priori de la critique est fort ancien, c'est une
tradition bien établie, et ne nous faisons pas d’illusion, c’est peut-être même ce qu'il y a de plus
établi dans la tradition. Ce livre est en fait écrit pour ceux, musulmans ou non, qui estime que le
terme « tradition » peut signifier beaucoup plus et beaucoup mieux que « pathologie
transgénérationnelle ».
En accusant toute critique un peu profonde de l'islam de l'essentialiser, ses défenseurs se
mettent eux-mêmes au-dessus de toute critique, et finalement essentialisent ceux qui s'efforcent
de développer une vision en profondeur des choses. S’ « auto-essentialiser » est au fond une
forme banale de paranoïa. C'est là le paradoxe, et pour bien faire, on devrait examiner au cas par
cas jusqu'à quel point cette attitude est reliée de leur part à ce type de fonctionnement à bas bruit
et par contamination. Voici ce que disait l'un des principaux spécialistes de l'islam français,
Maxime Rodinson, à propos des islamophiles :
« Ils sont parfois regroupés en association, souvent utiles, mais développant aussi les
phénomènes intellectuels associés à toute activité militante. Parmi ceux-ci, on relèvera des
constantes universelles très difficilement évitables : l'absolutisation et l’essentialisation des siens – absolument et perpétuellement « bons » – comme des adversaires et même des autres en général
– absolument et perpétuellement « mauvais ». En ceci, ils ressemblent aux groupes marxistes.
L'idéologisation de la réaction à la critique procède comme l'idéalisation de cette même critique :
par focalisation et extrapolation. On aboutit vite à de purs délires. Sont particulièrement
remarquables l'apologétique systématique et le fantasme de la conspiration maléfique
universelle... Le fantasme de la conspiration naît inévitablement, de la compétition et de la lutte.
C'est une forme collective de la paranoïa... Les attaques réelles sont insérées dans un système
interprétatif qui prend souvent des dimensions fantastiques. Tout système de ce genre a pour effet
d'effacer toute trace de responsabilité, de provoquer l'oubli des initiatives de l'attaqué lui-même,
qui ont été aussi des attaques ou en tout cas des mouvements (justifié ou non) de nature à
39
provoquer l'hostilité. La bonne conscience totale résulte de ce mécanisme et c'est une mauvaise
conseillère... Toute critique, même minime et partielle, toute relativisation de ce qui appartient à
l'univers islamique sera devenu insupportable et surtout inspiré par la haine, le mépris, la volonté
de nuire. Même si ces phénomènes peuvent exister chez les ennemis des musulmans et ailleurs, ce
n'est pas une excuse pour tomber dans le même travers... Ce sont là des procédés universels pour
décourager toute critique et constituer un tabou envers des collectivités ou une doctrine. Tous
ceux qui ont considéré d'un peu près l'univers stalinien ont reconnu des configurations
familières… Maintenons d'abord qu'aucun tabou n'est admissible. Il importe donc de ne pas céder
au chantage permanent et visant à décourager l'étude et éventuellement la critique de quelques
catégories, quelques groupements humains que ce soit, quels que soient leurs mérites, leurs
malheurs, où les attaques injustifiés qu'ils subissent. C'est valable pour le monde de l'islam comme
pour toute autre formation. »42
Voilà un avertissement sérieux et clair aux « islamophiles passionnels » provenant de rien
moins que d’un des plus grands islamologue français : il a l’air d’avoir eu sa dose de ce genre de
comportements de la part des croyants ou convertis, et ce qu’il décrit est le fonctionnement de
base de la paranoïa même si, sans doute par gentillesse, il évite d’employer directement le terme.
On sent le ton de l’expérience vécue dans ces réflexions au ton peut-être un peu paternaliste, mais
qui sont sages et capables de faire réellement du bien à ceux qui savent les entendre. La frontière
entre islamophilie et « islamisto-philie » est malheureusement poreuse et floue. C’est comme si la
paranoïa qui était en germe chez les premiers donnait la plante complète chez les seconds. D’où
nécessité de vigilance, y compris chez les islamophiles : qu’ils s’observent eux-mêmes et qu’ils
se méfient des glissement progressifs – moins du désir que du délire de persécution et de toutepuissance.
. Dans ce livre, je ne parle pas en tant que chef politique ou religieux, dont le devoir réel est
d'encourager les fidèles modérées contre les extrémistes et d’atténuer les tensions avec les autres
communautés. Je cherche des explications non seulement de la violence terroriste, mais de toutes
ces violences au quotidien dans l'islam conservateur ordinaire, j'examine aussi les ressorts
psychologiques des ambitions absolutistes de l'idéologie islamique. Finalement, ce sont des
comportements d’êtres humains, et leur cause a en dernière analyse son origine dans l'esprit. En
tant que psychologue, n'étant pas leader religieux ou politique, on peut s'offrir ce luxe : dire tout
haut cbien des choses qui se pensent tout bas.
Le déni de la violence dans le monothéisme : pensée positive ou fonctionnement
psychotique ?
Sur ce sujet, nous allons largement laisser la parole à Jean-Pierre Castel. Après la parution de
son livre en fin 2010 sur un domaine plutôt tabou, Le déni de la violence monothéiste43, il est
devenu un auteur de référence sur la question. Il a mené principalement une carrière d’ingénieur
des mines, mais s’est passionné pour l’anthropologie et les sciences religieuses. Sa formation
dans les sciences exactes lui a donné la saine habitude d’avoir les pieds sur terre et d’appeler un
chat un chat. L’idée-germe de son livre a été une constatation simple : le christianisme parle tout
le temps d’amour, l’islam de paix, c’et même dans l’étymologie de son nom, mais ces deux
religions monothéistes ont été de loin les plus meurtrières de l’histoire de l’humanité. Voilà qui
est pour le moins paradoxal. C’est pour expliquer le pourquoi, le comment et le futur de cette
contradiction majeure que Castel s’est lancé dans cet ouvrage qui pourra ouvrir les yeux à
beaucoup de lecteurs. Il est bien documenté avec plus de neuf cent notes en tout. Il apporte un
souffle rafraîchissant dans ces études de religions où la langue de bois est souvent de mise. Dans
40
de nombreux cas, la peur de critiquer est habilement camouflée derrière la masse des détails,
certes intéressants mais qui évitent de poser les vraies questions, et ce probablement par crainte.
Certaines des citations de Castel ci-dessous seront aussi extraites d’un de ses textes non
encore publié. Il étudie les résistances certaines du christianisme et de l’islam au progrès
scientifique, ce phénomène a été beaucoup plus important que pour les autres religions. C’est
pour ces deux dernières confessions par exemple que la question du créationnisme se pose.
Laissons la parole à Castel, ses idées sont claires et parlent d’elles-mêmes :
« Depuis trente siècles l'homme occidental reste fasciné par la majesté du dieu de Moïse et par la
puissance simplificatrice de la vérité unique. Flatté dans son orgueil par son statut "à l'image de
Dieu", admiratif de la force épique de l'Ancien Testament, attaché par un sentiment affectif,
spirituel, esthétique aux Psaumes, à Job, au Cantique des Cantiques, il préfère se retrancher
derrière les tabous, les pieux mensonges et les interprétations fallacieuses pour ne pas voir la
réalité de la violence lovée au coeur du monothéisme…
Or l'attitude actuelle la plus répandue, tant dans le clergé chrétien que chez les représentants
du judaïsme et dans l'intelligentsia laïque, est le déni de cette violence, au profit d'une apologie
sans nuances de la tradition judéo-chrétienne, considérée, même par un grand pourfendeur des
religions comme Freud, comme l'apothéose de l'esprit humain. La violence religieuse et
l'intolérance sont au mieux considérées comme des survivances résiduelles d'une histoire révolue,
comme des prétextes derrière lesquels se dissimulent les seuls enjeux réels que sont la politique et
le fanatisme. L’invention du monothéisme a fait émerger une catégorie de vérité inconnue jusque
là : la vérité révélée qui, émanant d'un dieu tout-puissant, personnel et jaloux, est nécessairement
unique, absolue, universelle, non révisable. La prétention à détenir une telle vérité constitue la
cause racine de la violence monothéiste. Cette dernière se distingue de la violence en général en
ce qu'elle réagit au libre arbitre d'autrui. Exclusive et défensive dans le judaïsme biblique, avec
pour moteur l'obsession de la pureté, elle est devenue inclusive et offensive dans le christianisme
et l'islam, avec pour moteurs le prosélytisme et le dogmatisme.
Au titre des interdépendances aujourd'hui reconnues entre religions, cultures et langues, on
peut reconnaître une correspondance entre cette catégorie de vérité exclusive et indiscutable et le
goût pour l'absolu, pour les extrêmes, qui caractérisait la culture hébraïque de l'époque biblique,
et qui se manifestait, dans la langue hébraïque, par une conception polarisée et disjointe des
contraires : l'un des pôles représente le pur, le bien, l'idéal qu'il faut préserver, l'autre l'impur, le
mal, la souillure qu'il faut éliminer à tout prix.
Par contraste, Athènes a légué à l'Occident son goût du relatif, de l'équilibre, de la mesure. Les
contraires, comme le jour et la nuit, y sont plus complémentaires que polarisés, les transitions de
l'un à l'autre sont graduelles. Pour les Grecs l'idéal est le milieu, lieu du dépassement de
l'opposition entre les contraires, tandis que les extrêmes représentent l'hubris, qu'il faut éviter, qui
irrite les dieux.
De telles attitudes soi-disant objectives mais correspondant en fait à une politique de
l’autruche ne font qu'alimenter le déni. La levée de ce déni est pourtant une clé nécessaire, sinon
suffisante, pour promouvoir la tolérance, anticiper les foyers de violence présents et à venir,
comprendre l'origine de ces violences, voire aussi imaginer un chemin de développement durable,
développer le respect de la femme, rétablir l'équilibre entre la réalisation de soi et le
développement du lien avec autrui.
Les écritures monothéistes sont-elles violentes ?
41
Certes, comme la plupart des textes sacrés, les Ecritures monothéistes sont polysémiques, et
contiennent des contradictions : ainsi de l'amour et de l'exclusivisme, de la non-violence et de la
violence. Mais ce n'est pas parce qu'ils contiennent l'un que l'autre s'en trouve abrogé. L'ordre de
brûler les idoles, c'est-à-dire les dieux des autres, ne se retrouve d'ailleurs dans aucun grand texte
sacré d'aucune autre religion.
Certains, comme on l'a vu, prétendent que la violence ne provient pas du texte, par lui-même
polysémique, mais de l'interprétation fautive que certains hommes en font, voire de son
instrumentalisation pour justifier une violence trop humaine, rien qu'humaine.
L'argument est
spécieux dans la mesure où bien évidemment ce n'est qu'à travers les hommes que la violence des
textes peut s'exprimer. Mais, l'exclusivisme de la vérité révélée, le caractère jaloux et justicier de
son dieu, l'origine réputée divine de ses textes sacrés, inhibent l'esprit critique et constituent des
ferments de violence évidents. Or la démythification, la désacralisation des textes ne peut pas
relever de l'Etat, elle nécessiterait l'initiative des autorités religieuses elles-mêmes : nous en
sommes encore loin ! De plus, faisons remarquer que les textes religieux offrent sans doute des
possibilités d'exégèse à l'infini ; mais aussi subtiles, non-violentes et généreuses soient-elles, les
exégèses passent, la lettre reste.
Toute foi contient une dimension mystique, ineffable, qui relève de la "certitude du coeur".
Un texte ne peut toucher le coeur que par l'intermédiaire des mots, de l'intellect. L'essence même
de l'intellect, la condition de son épanouissement, c'est la liberté de penser, le questionnement, le
doute, l'esprit critique. La "certitude du coeur" et la "liberté de l'esprit" se déploient ainsi selon
deux registres différents, non pas indépendants mais irréductibles l'un à l'autre. Vouloir atteindre
la première en enfermant la seconde dans une vérité inscrite dans un texte relève de l'injonction
paradoxale, propice à provoquer des comportements schizophrènes ou paranoïaques, susceptibles
de dégénérer en violence.
Quelle est la singularité du monothéisme par rapport aux autres religions ? Remarquons
d’abord que la spécificité du monothéisme abrahamique est rarement mise en évidence dans toute
sa réalité et toutes ses conséquences. Avec sa vérité révélée exclusive, sa négation même de
l'existence des autres dieux, son dieu personnel, jaloux et autoritaire, sa prétention à détenir la clé
unique et universelle du salut, il diffère foncièrement des autres religions. Il se singularise en
décrétant fausses toutes les autres religions, et en sanctionnant quiconque adore un autre dieu : la
Bible hébraïque condamne à l'anathème l'adorateur d'une idole, Jésus exclut du salut ceux qui ne
croient pas en Lui, le Coran stipule que "l’adoration d’idole n’est pas pardonnable"(4 :48). Le
Dieu monothéiste nie l'existence des autres dieux, euphémisme pour dire qu'il les a éliminés; il
veille à ce que sa créature, faite à son image, le suive dans cet ostracisme.
Que la relation de causalité entre l'intolérance, intrinsèque au monothéisme, et les violences
de l'histoire ne soit que rarement directe, univoque, relève de l'évidence. Tout acte humain obéit à
une combinaison complexe de motivations. Cela n'exclut pas pour autant l'existence d'une
responsabilité du texte biblique dans les violences religieuses.
La graine du totalitarisme
Le concept de vérité unique, la perspective messianique, ainsi que la fusion des dimensions
mythologique, éthique et législative dans un texte figé ad æternam, constituent sans doute
l'essence même d'une pensée totalitaire : le totalitarisme est le système politique des régimes à
parti unique, n'admettant aucune opposition organisée, dans lequel l'État tend à contrôler la
totalité des activités de la société, s'immisçant, contrairement à une simple dictature, jusque dans
la sphère privée des familles et des citoyens, et tentant non pas de limiter les possibilités de
pensée, d'expression, de création, de recherche et de réunion, mais de les contrôler aussi
42
étroitement que possible, en imposant à tous les citoyens l'adhésion à une idéologie obligatoire,
hors de laquelle ils sont considérés comme ennemis de la communauté." Cette définition
s'applique parfaitement, mutatis mutandis, au monothéisme prosélyte et exclusif du christianisme
et de l’islam. En réalité, la prétention à détenir une vérité universelle, unique voie du salut, définit
une marque de fabrique, que reprendront les totalitarismes du XXème siècle
La thèse de la filiation des totalitarismes par rapport au monothéisme biblique est
naturellement contestée par l'Eglise, qui attribue leur violence à l'absence de transcendance
divine, à l'athéisme hérité des Lumières. Les atrocités commises n'ont pourtant pas tant résulté de
l'athéisme de ces régimes, sinon les démocraties laïques devraient connaître les mêmes dérives
(rappelons d'ailleurs que, encore à la fin du XIXème siècle, l'Eglise condamnait la démocratie et
la laïcité !)
que de leur prétention à la vérité unique et au messianisme, deux legs du
monothéisme. Jacques Pous illustre cette paternité en qualifiant les religions abrahamiques de
totalitarismes de la transcendance et les idéologies totalitaires de totalitarismes de l'immanence44.
Jacques Pous affirme : "La tentation et le risque totalitaire [...] ne sont pas apparus, comme on
l'a tant de fois affirmé, avec la mort de Dieu, mais bien avec son invention. L'origine du
totalitarisme ne serait donc pas à chercher dans le fait que l'on a substitué la Nation, la Race ou
l'Histoire à Dieu, mais plutôt dans la tentative de faire de la Nation, de la Race ou de l'Histoire
des hypostases de celui-ci. Cela va dans le sens de cette réflexion de Mgr. Lustiger: "Marx a
pensé une utopie postchrétienne issue d’un christianisme laïcisé, une terrifiante chrétienté sans
Christ ni Evangile".45
Le monothéisme comme frein de l’évolution scientifique
Il y a une tendance chez certains intellectuels chrétiens à essayer de faire un rapport entre la
« distinction mosaïque » entre le Dieu créateur et les créatures, et d’autre part entre l’objet
scientifique et son observateur. Jean-Pierre Castel, en tant qu’ingénieur de formation et de métier,
n’est pas du tout d’accord, il y voit une tentative maladroite de propagande.
« La conception du monde monothéiste n'est pas spécialement rationnelle, elle est simple,
voire simpliste, et si elle condamne la magie, c'est uniquement pour en laisser le monopole à Dieu
et ses représentants: Prophètes, Christ, Saints. D'autre part, la Chine, l'Inde et le Japon avaient
développé, en particulier dans le domaine des mathématiques, une démarche scientifique
autonome dès l'Antiquité, ce qui n'a jamais été le cas du monde hébreu : les mondes chrétien et
musulman n'ont fait que récupérer et éventuellement développer l'héritage grec, quand ils ne
l'ont pas détruit, sans le moindre apport du monde hébreu ou arabe antérieurs. En Inde, Aryabhata
avait découvert l’héliocentrisme en 499 avant JC, et en Grèce Aristarque de Samos au second
siècle après JC. Même s’ils n’ont pas été suivis au niveau des croyances populaires, leur
trouvaille était là. Il a fallu 14 siècles de plus au christianisme pour redécouvrir laborieusement ce
fait scientifique.
La ‘distinction mosaïque’ de séparation du Créateur et de la créature est une croyance parmi
d’autres, elle n’a au fond rien à voir avec les principes de non-contradiction et justement de noncroyance qui sont à la base des sciences. La fusion dans la transcendance est aussi peu rationnelle
que l’est celle dans l’immanence, pour cela, les épistémologhues qui connaissent leur métier
renverront dos à dos monothéistes et polythéistes. (Ajoutons que la croyance en une âme séparée
après la mort fige la notion d’ego, joliment déguisée sous le nom de ‘personne’, et à travers cette
fixation favorise la violence à différents niveaux, car celle-ci est inspirée au fond par l’ego
personnel ou sectaire : à méditer !).
Les violences religieuses semblent au cours de l'histoire avoir été plus fréquentes et plus
sanglantes dans le monde monothéiste qu'ailleurs. La cause en apparaît l'exclusivisme de la vérité
43
révélée, une spécificité qui distingue le monothéisme abrahamique des autres religions, et qui se
caractérise par une "tentation totalitaire", illustrée par la question posée par Gandhi, simple et
transparente comme une eau de source : "Comment celui qui prétend détenir la vérité absolue
peut-il vraiment dialoguer ?".
Ce cas emblématique de la persécution de la science par l’Eglise dans le cadre général de la
violence monothéiste, pourra-t-il légitimer les discussions sur la question et ouvrir celle-ci à la
recherche historique et anthropologique ? Quoiqu'il en soit, puissent les voix courageuses qui
s'élèvent pour remettre en question la sacralisation des textes, parfois au sein même de ces
religions, trouver la pédagogie et la force de persuasion nécessaires.
Le pourquoi du déni monothéiste
L'affirmation d'une violence spécifique au monothéisme provoque deux types de réactions très
tranchées : une minorité la considère comme une évidence, une majorité comme une attaque
gratuite d'institutions éminemment respectables, basée sur une thèse historique indémontrable,
qui prétend établir un lien de causalité entre la divinisation d'un texte et certaines violences de
l'histoire. Cette majorité s'abrite derrière l'argument selon lequel, au sein d'un conflit quelconque,
le partage des responsabilités entre l'identitaire, le politique, la religion et les autres intérêts divers
relève du subjectif.
De fait peu d'historiens reconnus se sont engagés dans cette voie. Pourtant la multiplication
depuis la fin du XXème siècle des conflits qualifiés de religieux, dans lesquels le monothéisme
semble toujours impliqué, tendrait à montrer que la question n'est pas futile.
Les violences religieuses semblent au cours de l'histoire avoir été plus fréquentes et plus
sanglantes dans le monde monothéiste qu'ailleurs. Cependant, on doit probablement tenir compte
de la difficulté à définir précisément une violence "religieuse", à identifier, différencier et
hiérarchiser les motivations des protagonistes, à distinguer entre persécution, guerre de religion et
ethnocide, par ailleurs le manque de données fiables sur les destructions et sur le nombre de
victimes, enfin la grande diversité de situations, de zones géographiques et culturelles si diverses,
d'époques. On peut néanmoins s'étonner de l'absence d'ouvrages de synthèse sur ces questions.
Athènes et Jérusalem
Les religions polythéistes tendaient toutes à mettre l'une de leurs divinités en tête : Zeus chez
les Grecs, Amon-Rê chez les Egyptiens, El chez les Cananéens, etc. La particularité du
monothéisme biblique15 ne fut pas tant l'unicité de son dieu que l'interdiction d'honorer d'autres
dieux : le deuxième commandement stipule "Tu n'auras pas d'autres dieux devant ma face", ces
autres dieux sont disqualifiés sous le nom d'idoles, l'ordre est donné de les détruire. La racine
de la violence monothéiste gît dans le concept premier, commun aux trois religions du Livre, d'un
dieu jaloux : c'est le rejet des autres dieux, qu'ils soient considérés inférieurs, comme dans le
monothéisme "jaloux", ou faux, comme dans le monothéisme "radical", qui porte en lui la charge
de violence du monothéisme ; cette jalousie, ce rejet prendront, au temps du judaïsme biblique, le
visage de la condamnation de l'idolâtrie, puis, au temps du christianisme et de l'islam, celui du
combat contre les hérésies. La jalousie, la condamnation de l'idolâtrie, et "l'Alliance contre les
Nations", conclue entre Yahvé et son peuple relèvent de la même origine : il s'agit toujours d'une
forme de rejet de l'altérité. En termes girardiens, d'une violence mimétique ? Cependant, il existe
une interprétation non-violente de ce commandement de détruire les idoles : il n'exhorterait pas à
une violence envers autrui, il appellerait seulement le croyant à combattre "ses propres idoles
44
intérieures". Une telle interprétation relève sans doute d'une grande spiritualité, mais se concilie
mal avec des passages dont le sens littéral ne souffre pourtant aucune ambiguïté :
"Tu n'imiteras point ces peuples dans leur conduite, mais tu les détruiras, et tu briseras leurs
statues"(Exode 23 :24), "vous renverserez leurs autels, vous briserez leurs statues, et vous abattrez
leurs idoles" (Exode 34 :13), "vous chasserez devant vous tous les habitants du pays, vous
détruirez toutes leurs idoles de pierre, vous détruirez toutes leurs images de
fonte, et vous détruirez tous leurs hauts lieux" (Nombres 33 :52)"Vous renverserez leurs autels,
vous briserez leurs statues, vous abattrez leurs idoles, et vous brûlerez au feu leurs images
taillées"(Deutéronome 7 :5). "Vous brûlerez au feu les images taillées de leurs dieux. "
(Deutéronome 7 :25). "Tout le peuple du pays entra dans la maison de Baal, et ils la démolirent ;
ils brisèrent entièrement ses autels et ses images, et ils tuèrent devant les autels Matthan, prêtre de
Baal" (Rois 11 :18). "Si ton frère, le fils de ton père ou fils de ta mère, ton fils, ta fille, l’épouse
qui repose sur ton sein, ou le compagnon qui est un autre toi-même, cherche dans le secret à te
séduire en disant : « allons servir d'autres dieux », que tes pères ni toi n'avaient connus parmi les
dieux des peuples proches ou lointains qui vous entourent, d’une extrémité de la terre à l'autre, tu
ne l'approuveras pas, tu ne l’écouteras pas, ton oeil sera sans pitié, tu ne l'épargneras pas et tu ne
cacheras pas sa faute. Oui, tu devras le tuer, ta main sera la première contre lui pour le mettre à
mort, et la main de tout le peuple continuera l'exécution. Tu le lapideras jusqu'à ce que mort
s'ensuive… » (Dt 6-11)”.
(Ces citations sont extraites du Pentateuque, qui est la partie de l’Ancien testament centrale
pour les musulmans. Ces textes restent pour eux des références et guides de conduite, et se
retournent contre l’Etat d’Israël lui-même, par exemple avec l’obsession on ne peut plus actuelle
d’Ahmedinejad, des Hizbollah et du Hamas de « rayer de la carte » cette nation. Ils sont
malheureusement d’une actualité brûlante, alors qu’on préfèrerait de loin les voir relégués à la
salle des fossiles du Muséum d’Histoire naturelle)
Dès lors que des textes comme ceux-ci représentent manifestement une violence envers autrui,
nier ce sens premier pour le remplacer par une interprétation au deuxième ou troisième degré qui
soit non-violente, constitue l'exemple même du déni face à une vérité qui dérange, attitude qui
relève sans doute d'un mécanisme psychologique voisin de celui évoqué dans la phrase de
Raymond Aron citée en exergue de ce livre sur le déni de la violence monthéiste : "Je l'ai su,
mais je ne l'ai pas cru. Et parce que je ne l'ai pas cru, je ne l'ai pas su"?
Sang purificateur et martyre
Saint Paul confirme le rôle purificateur du sang : "Selon la Loi, presque tout est purifié par le
sang, et sans effusion de sang, il n'y a pas de rémission". Il semble bien que Yahvé lui-même
préfère les sacrifices sanglants :
"Le temps passa et il advint que Caïn présenta des produits du sol en offrande
à Yahvé, et qu'Abel, de son côté, offrit des premiers-nés de son troupeau, et
même de leur graisse. Or Yahvé agréa Abel et son offrande. Mais il n'agréa pas
Caïn et son offrande, et Caïn en fut très irrité et eut le visage abattu." (Gen 4, 3-5).
(Le texte parle de lui-même : Le Dieu de la Bible a le goût du sang, tout comme le Dieu des
terroristes. Nous sommes loin ici du végétarianisme et de la non-violence envers les animaux du
45
jaïnisme, du bouddhisme et du vishnouïsme. Pour ceux-ci, un dieu qui aime le sang relève plus
du tigre ou de l’oiseau de proie que du divin).
L'exaltation des martyrs, perpétuée tout au long de l'histoire du christianisme, hérite de cette
symbolique du sang. Quant aux terroristes, leur figure tutélaire est sans doute le personnage
biblique de Samson, qui fit s'écrouler sur les Philistins idolâtres leur propre temple. Martyrs et
terroristes sont fascinés par la violence et par le sacrifice, au point de s'y livrer eux-mêmes, dans
le respect d'autrui chez les premiers, dans le non respect chez les seconds. Encore de nos jours on
ne peut que constater combien cette symbolique archaïque du sang conserve un impact
psychologique autrement plus puissant qu'un message de non-violence ou de responsabilité
individuelle.
A la fin de son livre sur identité et violence Amartya Sen46, Prix Nobel d’économie pour ses
travaux sur la pauvreté et bengali d’origine, met ainsi en garde contre "le déni de pluralité en
matière d'identité" et "la catégorisation univoque", qui ne font qu'alimenter la politisation de la
religion "Cette illusion d'une identité univoque reçoit le soutien désastreux d'intellectuels
hautement respectables, et au demeurant fort bien intentionnés". On peut remarquer que la
tendance évidente du prosélytisme monothéiste est justement d’aller dans le sens de la monoidentité, en essentialisant le fait d’être un fidèle du Dieu unique, et, revers de la médaille et ombre
de la manœuvre, en faisant croire aux croyants naïfs qu’ils seront instantanément réduit en
poussière s’ils osent abandonner ‘le Dieu de leur pères’…C’est une manière d’essentialiser ce qui
n’est qu’une croyance pour intensifier son emprise totalisante sur l’esprit des gens.
‘Monothéisme’ commence par ‘mono-‘ comme le terme « mono-identité », les deux notions sont
intriquées dans ce qu’on pourrait appeler de façon plus générale un monoidéisme…
Prosélytisme chrétien ou musulman et Anathème hébraïque
L'anathème est le massacre sur ordre de Yahvé d'un groupe, constitué le plus souvent
d'étrangers, mais aussi éventuellement d'Hébreux pratiquant l'idolâtrie. Ce qui conduit de
nombreux auteurs à proposer une correspondance entre l'anathème hébraïque et les violences
perpétrées au nom du prosélytisme et du dogmatisme chrétien ou islamique. Si l'anathème n'est
pas qualifié explicitement par les Hébreux de sacrifice – les sacrifices conformes à la Loi se
déroulent au Temple, et portent sur des animaux –, il en présente néanmoins toutes les
caractéristiques : une effusion de sang sur ordre de Yahvé dans un but de purification, ou, en
termes girardiens, le meurtre d'étrangers pour maintenir la violence (l'impur) à distance du
groupe. Rappelons que dans la théorie girardienne du sacrifice, l'étranger constitue le bouc
émissaire idéal.
Par extension on est donc fondé à considérer les violences du prosélytisme chrétien ou
islamique comme sacrificielles. Dans le cas du terrorisme islamique, ce sont en fait les
musulmans qui en sont les victimes principales : c’est ce qu’explique Claude Moisy, ex-Président
de l'AFP, : "Le terrorisme islamique est d'abord une affaire intérieure du monde musulman
L'obsession occidentale de la guerre contre le terrorisme tend à faire oublier que, depuis la
destruction du World Trade Center, les attentats islamiques dans les pays de l'Alliance atlantique
se sont comptés sur les doigts de la main alors qu'ils ont été innombrables dans les pays
musulmans. Depuis 2001, les victimes du terrorisme islamique ont sans doute été cent fois plus
nombreuses dans les pays musulmans que dans les pays occidentaux, ne serait-ce qu'à travers les
attentats réciproques entre chiites et sunnites. Tous les pays musulmans sont, à des degrés divers,
agités de tensions provenant de mouvements intégristes". (Soyons clairs ; ce n’est pas parce que
la masse des croyants musulmans est assez régulièrement victime du terrorisme qu’elle n’a
aucune responsabilité dans son déclenchement. Le jihadisme et le takafirisme (traiter de kafir,
46
d’infidèle, tout musulman non fondamentaliste) sont les véritables Golems de l’islam. Ils
risquent de l’handicaper considérablement, surtout avec le risque de la ‘démocratisation’ de
l’arme nucléaire dans les milieux jihadistes, et la popularisation des délires apocalyptiques
collectifs chez les croyants de base. Jean-Pierre Filiu a écrit un ouvrage important et récent sur ce
sujet préoccupant des hallucinations de fin du monde quand on s’intéresse au rapport violence et
religion comme dans le présent ouvrage.47)
Voici en conclusion ce que m’a écrit Jean-Pierre Castel a propos de son travail de pionnier :
« J’ai en fait eu l’impression d’enfoncer des portes qui auraient dû être ouvertes mais que je n’ai
pas trouvées, vues, ouvertes : sans doute était-ce par insuffisance de recherche bibliographique ?
Par exemple je reste très étonné de la maigre bibliographie (Marc Augé, Jean Soler, Jacques
Pous, peut-être Hume) sur la question « vérité révélée et violence ». Et une des dernières notes du
livre de Castel montre qu’il est conscient de l’ampleur de la tâche qu’il a entreprise, et que le
combat pour que les monothéistes puissent regarder en face leur violence passée, présente et
future continue : « Les sciences du psychisme nous enseignent que la dénonciation du déni ne
suffit malheureusement pas à guérir la psychose du déni ! »
L'islamisme, religion ou idéologie ?
Je pense que pour parler de cette question délicate, et il faut éviter de tomber dans deux
écueils : celui de l'intransigeance, qui se base sur l'équation simpliste islam = islamisme, et celui
de la mollesse cotonneuse et béate, qui affirme envers et contre tout que l'islam n'a rien à voir
avec l'islamisme, sa violence n'est due par exemple qu'à des défauts de grammaire dans la
traduction du Coran, et que tout ira bien si on produit une énième traduction du texte révisée et
expurgée, qu’on revient au message d'amour du Prophète et qu’on les gouvernements riches
« lâchent » quelques millions d’euros à ceux qui s’agitent. On pourrait reprocher à ce type
d’attitude apparemment bonhomme de tomber en fait dans le déni psychotique de la réalité.
Pendant les années 90, il y avait un certain nombre de spécialistes du jihad et de l'islamisme
politique qui expliquaient qu'il ne s'agissait que d'un épiphénomène, qui le répétaient même au
risque de s’égosiller. Par exemple, la révolution iranienne était censée s'estomper naturellement
par des réformes, et ne garder plus qu'une coquille, c'est-à-dire par exemple le code de tenue
vestimentaire des femmes. En fait, ils se sont trompés. Le problème continue d'augmenter parce
que certaines causes demeurent : du point de vue politique, l'absence d'une opposition
démocratique crédible autre que l'islamisme, mais aussi du point de vue psychologique, la
structure psychique, voire mystique, qui fait que le recours à la paranoïa politico-religieuse vient
trop facilement comme une "solution" en quelque sorte magique des problèmes.
Soulignons d’emblée l'ineptie de l'argument quantitatif : ‘Une religion qui compte un milliard
de fidèles ne peut que détenir la Vérité absolue’. Comme on pourrait le remarquer de façon
impertinente, à ce compte-là, la religion du monde la meilleure et la plus vraie serait celle de
Satan. En effet, c’est bien Lui qu’adorent la majorité de la population quand elle est fascinée par
le sexe primaire, l'argent, le mensonge, le fanatisme et la violence. De manière générale, la
grégarité n'a jamais été connue pour favoriser l'intelligence. Quand l'ésotérisme devient de
l'exotérisme, le message se voit dilué dans la masse, et la quantité remplace la qualité. Si de plus
on regarde la façon dont l'islam, peut-être encore plus que le christianisme, s’est répandu
principalement par des guerres d’expansion, on se dit que les musulmans actuels ne devrait pas
être fiers de leur nombre, mais plutôt en avoir honte. C'est d'ailleurs le sentiment que m’a
exprimé un ami iranien d'origine qui s’est exilé aux Etats-Unis à cause de la Révolution
47
khomeyniste et a été ensuite fonctionnaire des Nations Unies à Genève. Quand il a étudié
l'histoire et pris connaissance de la violence des invasions médiévales en Inde, il m'a confié qu'il
avait eu plutôt honte d'être persan. C’est intéressant de voir qu’au fond des iraniens eux-mêmes
sont capables de parfois s’exclamer : « Comment peut-on être persan ? »…Cela prouve qu’ils
réfléchissent.
Disons tout d’abord qu'on peut critiquer une idéologie sans rejeter certaines des réalisations
positives qui sont apparues à son époque. Il est clair qu'il y a eu de grands savants ou écrivains
dans des pays qui vivaient sous la coupe de l'islam, mais cela n'empêche pas que celui-ci a eu un
fonctionnement autoritaire, voire à certaines périodes dictatorial. Ce n'est pas pour autant aussi
qu'il faut suivre les penseurs pieux qui sauteront sur la conclusion que c'est à cause de l'islam que
certains intellectuels illustres d’origine musulmane ont été grands. On peut sans doute considérer
d'une façon plus perspicace qu'ils l'ont été malgré lui, malgré la fermeture d'esprit du Prophète
aux arts, à la musique, à la poésie, à la littérature et à la science aussi qui n'existe pratiquement
pas dans la perspective du Coran et des hadîths. En un mot, tout ce qui pouvait ressembler à une
pensée libre était vu avec suspicion, et les mystiques ou scientifiques qui ont réussi à s'extraire de
l'obscurantisme ambiant l'ont fait à la force de leurs propres poignets, et non pas avec la
bénédiction des mollahs ni des textes sacrés, c’est le fait majeur qu’il faut retenir. On ne devrait
pas essayer de faire de prosélytisme sur ces notions d’histoire, cela n’aide pas.
Ce qu’on peut remarquer pour être complet, c’est que certains sultans ont été moins fermés
que d’autre. Mais là encore, il ne s’agit pas de tomber dans le mythe d’un âge d’or de la
rationalité en islam : soyons réalistes, Al Mamun qui a encouragé au début du VIII e siècle à
Bagdad les Mut’azilites, les supposés rationalistes, à interpréter de façon plus libre le Coran
n’aurait certainement pas apprécié que ces savants se mettent à étudier avec zèle et dévotion les
Oupanishads ou le Tao-te-king. Il les aurait probablement coupés en morceau. Il avait une
tolérance pour la philosophie grecque car la religion correspondante était morte, et ne pouvait
donc remettre en cause la toute-puissance islamique. De plus, en bon Commandeur des croyants,
il n’a pu s’empêcher de persécuter voir mettre à mort l’école des Hanbalites qui ne partageaient
pas ses opinions théologiques.
De même, les gens s’extasient facilement devant Akbar, l’empereur du nord de l’Inde qui a
essayé de lancer une religion universelle. Cependant, quand il a attaqué et conquis la citadelle de
Chittaur au Rajasthan en 1568, les femmes rajpoutes ont préféré pratiquer le jauhar [lit : jivan
hara, ‘la prise de vie’], c’est-à-dire se livrer aux flammes plutôt que d’être violées par la
soldatesque musulmane au soir de la bataille, puisque c’était l’attitude bien connue des ‘esclaves
d’Allah’ même au service d’un empereur qui paraissait éclairé et au-delà des différences
religieuses. N’aurait-il pas été facile pour Akbar, leur commandeur incontesté de garantir la vie
sauve pour les gens encerclés, et le non-viol pour les femmes ? Le maharaja Udai Singh II à
réussi à percer le siège et à établir sa capitale à Udaipur. Néanmoins, au soir de la bataille et de
l’extermination ordonnée par le grand Moghol qui s’en est suivie, 20000 hindous étaient morts, y
compris nombre de femmes et probablement d’enfants. De nos jours où le sens de la justice se
développe, Akbar aurait été jugé par une cour internationale et pendu haut et court – ou au moins
enfermé à perpétuité si le tribunal par principe ne dispensait pas de peine de mort. Il est certes
vrai qu’Akbar était le plus tolérant des Moghols, mais moghol quand même.
L'interdiction de toute critique de la personne de Mohamed revient à celle de tout examen
raisonnable de l'islam, puisque le premier personnifie et incarne en quelque sorte le second. Du
point de vue anthropologique, il s'agit typiquement d'un tabou autour d'un totem qui est
Mahomet, du point de vue politique, d’un totalitarisme, et du point de vue psychologique, d'une
résistance : et les psychothérapeutes le savent bien, c'est en général en allant voir derrière les
48
résistances qu'on trouve la clé des problèmes ; mais ce n'est pas si facile, pour prendre une image,
nous pourrions dire que cet enfant qu'est l'ego fera toutes sortes de caprices et de cirque avant
qu'on parvienne à lui retirer l'écharde dans la peau qui lui fait mal.
André Servier a écrit en 1924 la psychologie de l'islam48. Il y insiste en fait plutôt sur
l'histoire que sur la psychologie au sens moderne du terme avec l'apport des connaissances de
psychopathologie. Il développe un certain nombre d’intuitions importantes, bien qu'en général
sévères pour cette civilisation. On peut aussi lui reprocher d'avoir un point de vue du colonisateur
sans culpabilité, cherchant principalement comment intégrer avec le minimum d’effort et de
douleur les populations indigènes musulmanes à l'empire français. On peut remarquer aussi que
son anti islamisme s'accompagne d'antisémitisme, ce qui était une tendance plutôt dangereuse à
cette époque vu les évènements qui se préparaient. Cependant, le soupçon de racisme ne doit pas
être une étiquette pour écarter a priori la pensée de quelqu'un qui a essayé sincèrement de
réfléchir sur ce qui forme la colonne vertébrale psychologique d'une culture et d'une religion.
Il faut reconnaître par exemple que ses idées principales ont été plutôt prophétiques, dès
1924, il avait bien prévu l'alliance du communisme et du nationalisme arabe, et de
l'internationalisation du wahhabisme pour stimuler l'opposition à l'Occident, ainsi que l'influence
possible de la Turquie pour le développement de la laïcité comme un modèle pour les autres pays
musulmans. Cette dernière question reste ouverte et en débat actuellement. Sa critique du fixisme
et de la paralysie apportée par la loi coranique demeure globalement valable, et le fait que cet
immobilisme se rapproche psychologiquement d'un goût de mort est une observation difficile à
écarter d'un revers de main, même si on peut et doit la nuancer.
Ceux qui voudraient éviter la critique des diverses dictatures des pays musulmans sous
prétexte il ne faut pas essentialiser l'islam, et que l'âme de celui-ci vibre chez les grands poètes
soufis, devraient réfléchir sur la comparaison suivante : supposez qu'à l'époque de Staline ait vécu
en Occident un grand admirateur de St Séraphim de Sarov et de la mystique des staretz au XIXe
siècle. Est-ce que cela aurait été juste qu'à cause de cela, il ferme les yeux et refuse de critiquer
les 30 millions de morts qu'a provoqué le dictateur en union soviétique même, sans compter les
20 millions de plus qui ont péri dans une guerre mondiale qu'il a largement contribué à aggraver ?
Est-ce qu'il faudrait mettre le tabou sur les études cherchant comprendre pourquoi Staline a été
rendue possible par l'histoire de la Russie qui l'a précédé ? Est-ce qu'il n'y a pas eu un lien entre
l'autoritarisme chronique des tsars, ainsi que l'intolérance de l'Eglise orthodoxe sachant aussi que
Staline avait été un ancien séminariste ? On doit pouvoir appliquer le même genre de méthodes
d’investigations de psychohistoire pour comprendre ce qui se passe dans les pays musulmans
vivant sous des dictatures ou déchirés par des guerres civiles, malgré le message de leurs saints.
Ce serait erroné de dire que l’islam est la cause de tout, mais tout aussi erroné de dire qu’il n’est
la cause de rien. Les musulmans eux même insistent régulièrement sur le fait que leur religion
doit avoir un rôle en politique. Pourquoi n’en aurait-elle qu’un bon et jamais de mauvais ? Ce
serait de la naïveté pieusse que de le croire.
On pourrait comparer les religions à ce petit parc qu’on installe autour d’un enfant qui
apprend à marcher : cela évite que le bébé aille se promener n’importe où et qu'il lui arrive des
accidents ; mais ce n'est pas sa vraie nature de rester à vie dans le parc, et ce ne serait pas sain de
lui demander de sacrifier son existence pour son parc ou de lui demander d'aller agresser, voire
assassiner celui qui menacerait de remplacer celui-ci par un autre enclos d'une couleur différente.
Face au fondamentalisme, les vrais intellectuels doivent être capables de réagir en posant des
questions fondamentales, et en ayant une vision stratégique à long terme plutôt que des vues
tactiques à court terme, comme c’est malheureusement le cas avec nombre de politiciens. Comme
49
nous l’avons dit, il ne s’agit pas de rejeter les études de détails qui ont leur valeur à leur niveau et
font toucher du doigt la complexité du problème, ni d’ « essentialiser » une religion, mais de
chercher à comprendre en profondeur ses déviations pathologiques. Comme le dit le proverbe, un
homme averti en vaut deux, et on pourrait prolonger cette maxime de sagesse en faisant
remarquer qu’un croyant averti en vaut cent.
Le monothéisme entre totalisant et totalitaire
On reproche au catholicisme d'avoir été une idéologie totalitaire jusqu'à la Révolution, et
depuis lors, d’être au moins une idéologie totalisante. Le même reproche est valable pour l'islam.
La question est de savoir si les soulèvements du printemps 2011 seront assez stable pour assurer
cette transition qui est un pas dans la bonne direction. L’Inde a bien réalisé cela, en refusant par
exemple à l’islam l’appellation de dharma, un terme qui a, avant même le sens de religion, celui
de ‘loi juste fondamentale’. Le jaïnisme et le bouddhisme sont considérés par les hindous comme
des dharmas, le catholicisme aussi en général, car on appelle le pape dharmaguru, mais la région
des musulmans est un phénomène à part qui leur appartient en propre, et donc on l’appelle en
hindi majahab, c'est-à-dire le mot arabe pour désigner leur façon propre de pratiquer le culte.
Comme il n’y avait pas d'équivalent dans la culture indienne à cette idéologie de l'islam, dont
l'exclusivisme leur était et leur est toujours incompréhensible, les hindous lui ont gardé son nom
étranger.
On pourrait établir un parallèle entre la globalisation islamiste radicale et l'internationale
communiste. Qui se ressemble s'assemble, deux idéologies totalitaires et violentes se retrouvent,
la Révolution va main dans la main avec la Révélation. La planète entière doit s’y soumettre –
pour son bien évidemment. Par contre, il faut faire une différence entre ce genre de mouvements
et l’altermondialisme. En effet, on peut considérer que celui-ci est animé de nombreuses valeurs
positives, il y a, disons-le simplement, de l'amour dans ce mouvement. Quand l’islamisme radical
essaie par une manoeuvre stratégique de faire semblant d’épouser ses causes pour le noyauter et
l’infiltrer avec ses conceptions violentes, on a le droit de parler de perversion
Je ne critiquerai pas Mahomet comme l’a fait Voltaire en tant que menteur ou au moins un
manipulateur : à mon avis et d’après la manière dont les textes le présente, il croyait sincèrement
être l'envoyé de Dieu pour le présent et pour un avenir indéfini. Évidemment, les psychologues
qui ne croient pas à cette prétention, pourront évoquer cette hubris des Grecs, cette démesure qui
finit toujours par être châtiée par les dieux. Certes, les musulmans répondront que la prétention
du Christ à être le Fils de Dieu mériterait encore plus la qualification d’hubris, mais un juge
objectif et extérieur à cette vieille querelle dira que ce n'est pas parce qu'on voit un défaut chez
l'autre qu’on doit s'empresser de l’imiter en miroir... De plus, on pourrait faire remarquer que
l'islamisme radical est à la fois l’ombre et la honte du monothéisme ; on ne peut s'empêcher alors
de penser en observant les choses de l’extérieur : "Dire qu'après trois mille ans d'évolution et de
soi-disant progrès continu, ils en sont arrivés là !"
Des spécialistes en sciences politiques des pays musulmans comme Olivier Roy et Gilles
Kepel n’hésitent pas à évoquer l'échec de l'islam politique.49 Cette notion est remise en cause,
mais cependant, on peut considérer que le prix élevé sous forme de libertés civiques écrasées et
de nombre de morts par lequel l’islamisme radical est arrivé au pouvoir ou cherche à s’y
maintenir à tout prix, est signe d’un échec fondamental du projet politique. D’une façon parallèle
et du point de vue de la psychopathologie, je me demande s'il ne faut pas parler maintenant de
l'échec de l'islamisme psychologique : il s'agit au fond d’une adhésion à une idéologie autoritaire
50
rentrant régulièrement en conflit avec les valeurs de la modernité, et donc poussant ceux qui y
croient sincèrement à développer une sorte de double personnalité. On peut avoir un succès
quantitatif aux élections, mais être en même temps en situation d’échec psychologique, c’est un
paradoxe à bien comprendre. Est-ce que ce problème de fond est réellement contrebalancé par les
points positifs de la pratique de l’islam, c'est-à-dire à certain niveau de relaxation à l'occasion de
la prière quotidienne, la satisfaction, voire dans certains cas l’exaltation de faire partie d'un
mouvement de masse et une moralité un peu meilleure que la moyenne, bien qu’entachée de
violence envers les femmes et de sectarisme sous de multiples aspects ? Certaines personnes
diront ‘Peu importe, c’est la foi qui sauve !’ Peut-être, mais si cette même foi appelle
répétitivement à des formes de guerres saintes plus ou moins bien déguisées, de quel salut
s’agit-il ? Quelle est alors la meilleure possibilité qui reste pour les gens qui savent garder leur
bon sens, être sauvé par la foi ou être sauvé de la foi ?
Pour poursuivre cette réflexion, posons-nous plus profondément la question du sens du tabou :
- Déjà, du point de vue de la psychothérapie, le tabou correspond à une résistance centrale, et
c'est justement de la possibilité de la vaincre que dépend le succès de la cure.
- Deuxièmement, et plus précisément du point de vue d'un délire en secteur, le tabou représente
en quelque sorte le noyau dur de ce "secteur". Il est donc très important de faire comprendre au
patient son rôle dans la pathologie. Bien sûr il vous dira : "Docteur, vous pouvez me critiquer sur
tout, mais vraiment pas sur ça, sinon je casse la maison !" C'est justement à cause de cette attitude
qu'il souffre de paranoïa.
-Troisièmement, c’est une évidence que nous avons déjà mentionnée, du point de vue politique,
l'interdiction de toute critique est un signe évident de totalitarisme, en particulier le dictateur luimême est automatiquement considéré au-delà de la critique. Et peut-être plus encore, s'il s'agit
d'une dynastie dictatoriale, le fondateur de la dynastie devient quasiment divinisé, le seul
représentant autorisé de Dieu sur terre.
Ces trois points s'appliquent directement à l'islamisme et à sa tentative de faire interdire
légalement toute critique contre le Prophète. Que des dévots qui n’ont guère étudié les sciences
humaines, et les différentes religions fonctionnent avec de forts tabous, pourquoi pas, si cela les
aide à mener une vie morale ; mais un intellectuel est justement là pour voir au-delà des tabous,
sinon peut-il mériter le nom d’intellectuel ?
Au fond, on pourrait considérer que les traditions religieuses sont comme des villes où
d’innombrables personnes ont vécu. L’eau qui en sort est polluée jusqu’à un certain point, et il est
prudent de mettre entre elles et notre esprit qui a soif de connaissances une « station d’épuration
des eaux traditionnelles », c’est-à-dire en pratique une bonne dose de discernement.
Pour résumer ces diverses réflexions, nous pourrions rappeler, comme nous l’avons déjà
mentionné, que l'islamisme radical correspond à l'ombre de l'islam, au sens jungien du terme :
apprendre à regarder son ombre en face fait partie intégrante d'une psychothérapie saine, y
compris dans le domaine religieux. Par exemple, les musulmans pieux commencent chaque acte
par la formule Bismillah ar rahman ar rahim ' Au nom de Dieu, le Clément, le Miséricordieux'.
Par ailleurs, ce n'est pas un secret que parmi les principales religions, c'est pour toutes sortes de
raisons globalement l'islam qui a la conception de Dieu la plus violente. Pour expliquer
psychologiquement cette contradiction qui n'est qu'apparente; on peut recourir au phénomène de
l'ombre : on pense beaucoup de temps à dénier extérieurement et face aux autres les pulsions
qu'on veut ne veut pas regarder en face à l'intérieur de soi-même.
Dans la version officielle des monothéistes sur leurs origines, toute une partie du peuple
aurait trahi leur guide suprême, Moïse, en adorant le Veau d’or. Cependant, nous pouvons déjà
noter qu’Aaron, le frère même de Moïse, avait dit au peuple : « Demain, nous allons adorer
51
Yahvé sous forme du veau d’or ». Le conflit n’était donc pas sur la nature du Dieu unique, mais
sur la liturgie, la manière dont on devait lui rendre un culte. Finalement, Moïse a trompé la
confiance que lui avaient faite jusqu’ici les 3.500 Juifs qui l’avaient suivi hors d’Egypte et
avaient tout abandonné pour le suivre. Il les a tout bonnement fait massacrer. Des deux, du chef
ou de toute cette partie du peuple, qui a été le plus traître ? Voilà la vraie question à se poser.
Il faut aussi faire remarquer un point qui inverse en fait la perspective des origines, et qui a été
bien mis en avant par Jean Soler50. Josuas vers les années 630 avant JC était roi d’un des premiers
royaumes indépendants d’Israël, à Jérusalem, au sud. Au nord était le second royaume juif, la
Samarie. Ils venaient d’introduire une nouveauté dans leur deux temples de pèlerinage : adorer
Yahvé sous forme d’un taurillon d’or. En fait, la plupart des cultes païens n’avaient pas de statues
à l’époque, mais ils commençaient juste à s’y mettre. Josuas ne voulait pas de ce changement, et
a donc fait un massacre de ses compatriotes. Pour donner plus d’ampleur à l’évènement, il a
secondairement été attribué à la personne mythique de Moïse. Il est donc clair que dès le début, le
monothéisme s’est construit sur un spasme intégriste, un refus du changement et une obligation
de respecter les habitudes anciennes sous peine de mort. C’est le contraire de la Légende dorée
officielle qui fait croire à un grand progrès par rapport à un supposé obscurantisme ambiant. De
plus, cela doit nous rendre prudents quand certains espèrent que l’intégrisme monothéiste va se
calmer tout seul et que la passion pour la face du Dieu unique et jaloux va être remplacée en
l’espace de quelques mois par la démocratisation de Facebook dans les pays traditionalistes. Ce
n’est pas si simple.
Pour conclure ces réflexions préalables….
J’aimerais, au moment de conclure cette introduction et avant de débuter le livre lui-même,
souligner encore quelques points importants : déjà, la meilleure porte de sortie pour dépasser
l'intégrisme est en fait "en haut de l'escalier", elle s’ouvre sur la terrasse et le ciel, et c'est la
spiritualité. C'est ce que ne manquent pas de souligner nombre de personnalités. Par exemple, le
président de l'Inde à la fin des années 2010, Abdul Kalam d'origine musulmane, allait dans ce
sens. Son itinéraire personnel l’avait ouvert aux valeurs de l’hindouisme, et finalement à dépasser
les religions dans son expérience intérieurs et ses messages à la nation. .
On peut poser une question importante dans ce livre où nous ferons souvent la navette entre le
passé de l'islam et son présent : peut-on tenir pour responsable les musulmans d'aujourd'hui des
excès de leurs pères ? À cela, je ferai une réponse de Normand, oui et non : si les fidèles
d'aujourd'hui, et en particulier leurs imams et leurs intellectuels ont le courage de reconnaître les
erreurs du passé, d'en analyser les causes dans l'idéologie sous-jacente et de les exposer
clairement sans rechercher à les couvrir par des justifications branlantes, à ce moment-là ils
pourront se décharger de la responsabilité d'un dossier historique plutôt chargé; mais si par
contre, ils s'obstinent à dire que l'époque de la grande violence militaire, politique et religieuse de
l'islam impérialiste était un âge d'or, qu'il n'y a rien à critiquer là-dedans et que le rêve suprême
serait de le reconstituer, à ce moment-là, on pourra les tenir pour responsables des fautes du passé
et les mettre sous surveillance de peur qu'ils ne les reproduisent à la première occasion.
Ceci s'applique aussi par exemple à la Turquie par rapport à son passé assez récent de
génocide de 1915 en Arménie, un crime contre l'humanité on un million et demi d’Arméniens ont
péri auquel il faut ajouter 600.000 Chaldéens et 200.000 Maronites quelques années plus tard, et
l'expulsion une dizaine années plus tard encore de 2 millions de chrétiens en échange des
musulmans qui vivaient en Grèce. Il s’agissait pourtant de chrétiens qui demeuraient pourtant sur
52
le sol du pays bien avant que les Turcs, et même les musulmans ne l'occupent. Jusqu’ici, cette
reconnaissance officielle de responsabilité n'est pas venue de la part du gouvernement d'Ankara.
Les écrivains actuels qui ont le courage de parler du génocide en tant que tel sont toujours
passibles de dix ans de prison. Cela est typique du fonctionnement d'une idéologie totalisante, la
justification a posteriori est inséparable de la conception de la religion et du jihâd : ‘Il s’agissait
d’une guerre pour exterminer les infidèles, et donc elle était fondamentalement justifiée, point
final’. Si les islamistes turcs avaient la conscience tranquille, pourquoi condamneraient-ils à dix
ans de prison quiconque veut réfléchir sur cette page sombre de leur histoire ? C’est aussi simple
que cela.
En écrivant ce livre, j'ai présent aussi à l'esprit un groupe important, sans doute déjà
quantitativement, mais surtout qualitativement : les immigrés originaires des pays musulmans qui
ne se reconnaissent plus dans l'islam, et veulent aller vers d'autres expériences de vie et de
spiritualité. Ils trouveront explicité ci-dessous en langage psychologique probablement beaucoup
de ces traits qui les ont perturbés dans la religion de leur origine et pourront mieux comprendre ce
pourquoi ils ont été gênés. Ce livre aura pour eux un effet déculpabilisant, ce qui est important
pour la santé psychique de la population. J'écris aussi pour un certain nombre de jeunes qui
peuvent être tentés par le fondamentalisme, ou pour leur entourage, afin qu'ils saisissent bien la
psychologie qui est en jeu. Une vraie compréhension est la réelle solution des problèmes
psychiques, religieux et psychologiues. Ces jeunes pourront en particulier se rendre compte que
le néo-fondamentalisme fait le grand écart entre un group local restreint et une Oumma soi-disant
universelle : celle-ci n'existe en fait que sur l'internet et dans l'imagination fertile de certains
fidèles, et le dit grand écart ne mènera à long terme qu’à des déchirures musculaires profondes et
douloureuses.
J'aurai beaucoup appris en rédigeant ce livre. J'espère que ce sera le cas également des
lecteurs qui en prendront connaissance. On dit parfois que c'est la connaissance qui libère. Pour
soulager du carcan du fondamentalisme les épaules de l'esprit, il faut donc de la connaissance :
certainement pas celle des madrasas avec leur endoctrinement lié à un conditionnement
mécanique de la mémorisation du Coran, ou celle des oulémas qui accumulent leur vie durant des
jurisprudences sans guère d'intérêt. Il faut une connaissance critique basée aussi sur une
expérience plus subtil, et qui permette de situer le Coran et l'islam dans un contexte religieux,
historique, social et surtout psychologique et mystique plus large. Ce savoir permettra non
seulement de séparer le mythe de la réalité, mais aussi de distinguer ce qui est sain par rapport à
une réelle psychopathologie sous un vague déguisement religieux. Ce sont ces connaissances de
psychologie de la croyance ouverte au spirituel qui pourront faire avancer les choses, surtout si
elles sont enseignées suffisamment tôt dans la vie, par exemple à des adolescents et adolescentes.
Nous y reviendrons dans le chapitre de conclusion consacré aux remèdes qui peuvent être
apportés au fondamentalisme du point de vue de la psychologie.
Je tenais à remercier à la fin de cette introduction les amis qui ont relu ce manuscrit. Il y a eu
en particulier trois Iraniens en exil, qui se sont trouvé être tous les trois médecins. L'un deux était
ami de Louis Massignon et élève d'Henri Corbin. Il y a eu aussi une réalisatrice de film à la
télévision et journaliste, de parents algériens et née en France. Tous ces amis avaient pris une
certaine distance vis-à-vis de l'islam, mais en avaient une bonne connaissance. Leurs suggestions
m'ont été précieuses, dans l'ensemble ils estimaient que ce que je disais devait être dit, ils m'ont
cependant m'ont suggéré d'atténuer certains points, ce que dans l'ensemble j'ai fait. J'ai aussi
montré le manuscrit à plusieurs amis psys, qui ont apprécié la précision de la documentation et
des analyses diagnostiques. Ils étaient contents que ce qu'ils sentaient intuitivement mais ne
prenaient souvent pas la peine d’expliciter puisse être exprimé par un des leurs clairement en noir
53
sur blanc.
54
Première partie
PSYCHODYNAMIQUE DES CROYANCES
ISLAMIQUES
55
CH 1
L'AMOUR, LES ALÉAS DE LA RELATION HOMMEFEMME
ET LE FONDAMENTALISME.
"Ton visage chaste a réduit en miette les idoles"51
Cette petite phrase est extraite d'un poème qui semble être de la bonne mystique. Cependant,
il y a un léger problème : il a été composé par un membre d'al-Qaeda à la gloire d'un de ses
compagnons qui s'est suicidé dans l'attentat contre l'ambassade des Etats-Unis à Nairobi en 1998.
C'est une attaque qui, combinée à une autre simultanée, a tué plus de deux cent civils et blessé
mille autres qui n'avaient rien à voir ni avec l'Amérique ni avec Ben Laden. On peut discerner
rien que dans ces quelques mots toute la violence d'une sexualité mal vécue et du ‘retour du
refoulé’. Pour les fondamentalistes du monothéisme de la Bible, les idolâtres sont nécessairement
dans la luxure et dans la débauche, alors qu'eux-mêmes sont dans la pureté absolue, ce qui leur
donne le droit « moral » d’exterminer les adorateurs d'idoles. Nous sommes ici au centre même
des vraies raisons de la violence du monothéisme exclusif. Nous avons vu que le polythéisme de
l’époque n’associait pas exclusivisme religieux et violence, et cela le rendait au bout du compte
globalement moins violent52. D'où la justification mystico-pathologique de l'attentat, par un
mécanisme paranoïaque en fait des plus banals.
Dans toutes les cultures, la relation homme - femme constitue un noeud psychologique
central. Cependant, le fondamentalisme, en voulant apporter des solutions, aggrave souvent les
problèmes en y ajoutant sa marque spécifique. Les perturbations à ce niveau sont en fait en lien
avec toutes sortes d'autres troubles du comportement, y compris bien sûr la violence religieuse.
Ce que nous allons dire dans ce chapitre peut avoir son important pour les immigrés venant de
pays d'origine musulmane : ils ne peuvent pas rester complètement hermétiques à la culture
française environnante, y compris dans le domaine des relations affectives familiales. Leur
position entre deux est à la fois une tension et une richesse. Ils doivent certainement essayer de
comprendre les différences de conception de leur culture d'origine et de l'environnement français,
et discerner les bons et mauvais côtés de chacune afin de pouvoir développer des rapports
heureux entre hommes et femmes. Ils peuvent être équilibrés sans avoir pour cela besoin de se
réfugier derrière les barrières faussement sécurisantes de conservatisme, voir du
fondamentalisme. De plus, un avantage important de voir certains mécanismes
psychopathologiques des fondamentalistes expliqués – comme la rigidité et les idées de toutepuissance par exemple – c'est que par effet de miroir, on peut les discerner en germe chez soi et
éviter qu'ils ne se développent tant qu'ils sont encore faciles à contrôler.
Si l’on décide de parler de sexualité dans l’islamisme, il vaut mieux parler "sexualités" au
pluriel pour ne pas tomber dans le simplisme et les clichés. Il y a tellement de personnes qui ont
été dans la mouvance islamique depuis tant de siècles, mouvance incluse elle-même dans la
civilisation de l’islam en général, qu'on trouvera nécessairement une grande variété de cas
individuels. Cependant on peut y discerner certaines grandes lignes dessinant des formes
typiques, c'est là le rôle de la psychologie, comme nous l'avons déjà mentionné. Après on peut
passer à la description des ‘formes cliniques’ isolant des sous-groupes particuliers. Ce type
d’analyse n’est pas spécifique à l’islam, il est évident que le catholicisme, le judaïsme, le
bouddhisme ont une influence sur la manière dont leurs fidèles gèrent leur sexualité.
Signalons déjà que Baker cite le cas significatif d'une femme qui a fait partie d'un groupe
terroriste, où son compagnon était actif. Elle indique bien le lien entre terrorisme, sexualité et
violence. A son avis, si les hommes jeunes qui étaient le plus souvent impliqués dans ce genre
d'action retrouvaient une sexualité normale, ils perdraient leur fascination pour le passage à l'acte
violent. Bien que le groupe en cause n’était pas dans la mouvance de l’islamisme, cette réflexion
semble bien applicable à celui-ci.
Les termes violence, vie et bios qui signifie vie en grec comme dans ‘biologie’ sont de la
même racine. Ceci nous amène tout d'abord à rappeler certaines bases physiologiques.
Quelques réalités biologiques
La testostérone, l’hormone mâle, est à la fois responsable de l'accroissement de la masse, et
donc de la force musculaire ainsi que de la violence, qui elle-même voile le discernement de
l'esprit : pour résumer cette double action hormonale de façon imagée, nous pourrions dire que
plus cette hormone augmente le volume des muscles, plus elle « diminue » celui de la matière
grise...Je ne veux pas dire que les mâles soient "bien mal" partis, mais ils doivent certainement
faire attention. Je suis intervenu à certains moments comme thérapeute dans une prison française.
Les assistants sociaux avec lesquels je collaborais m’ont expliqué que parmi les 800 détenus
hommes incarcérés dans le centre pénitentiaire, 70% étaient là pour agressions sexuelles. Au
niveau mondial, 90% des gens en prison sont des hommes, et ce sont eux qui effectuent 95% des
crimes vioents, et 99% des agressions sexuelles. Les chiffres sont éloquents en eux-mêmes pour
montrer le lien entre sexualité de l’homme et violence. On ne sera pas étonnant dans ce contexte
que le monothéisme exclusif qui a supprimé la Déesse soit dès le départ empreint de violence.
On pourrait raisonnablement considérer que les sujets atteints de paranoïa religieuse
bénéficieraient considérablement, pour réduire leur violence, d'un traitement antitestostérone à
long terme, quelque part comme les violeurs à répétition, évidemment la question délicate serait
de comment déterminer qui souffre d’une paranoïa religieuse suffisamment grave pour mériter
d’être traitée : cela pourrait être le rôle d’un comité mixte d’experts avec des représentants de
grands et petits mouvements religieux, de juges, de psychiatres, d’un représentant des droits de
l’homme et d’un anthropologue connaissant la culture d’où viennent les sujets s’il s’agit
d’étrangers. Je parle de représentants de petits mouvements religieux afin que ce genre de
comités ne soit pas colonisés, comme c’est souvent le cas, par des monothéistes, en particulier
57
par des chrétiens et musulmans qui se ‘partagent le gâteau’, puisque les juifs sont
quantitativement très minoritaires.
Le rapport entre viol et violence, entre désir sexuel et colère est bien reconnu par la
psychologie traditionnelle comme par la psychananlyse. Pour dire les choses comme elles sont et
sans tabou, le droit à tuer que s'arroge l'intégriste lui est aussi indispensable qu’un pénis bien
érigé l'est au violeur ordinaire. C’est son instrument de travail. Ainsi va la vie. Dans les deux cas
probablement, le cerveau est intoxiqué par les 'neurotransmetteurs de la toute-puissance', qu'on
les appelle dopamine ou PEA (Phényl-Ethyl-Amine, une sorte d'amphétamine naturellement
produite par les neurones) et il est évidemment imbibé de testostérone. On peut rappeler à propos
de cet effet stimulant de la classe des amphétamines sur les sentiments de toute-puissance le fait
suivant : Hitler a développé une accoutumance à l’amphétamine de 1937 jusqu’à la fin de ses
jours en 1945, c’est-à-dire durant toute cette période où il a été particulièrement virulent et
destructif53. Qu’une substance de la même classe soit aussi impliquée dans l’excitation sexuelle
donne à réfléchir. La fureur de vivre serait-elle proche de la fureur de tuer ? Et où va l’amour
dans tout ça ? Soyons vigilants.
Où il est question de stylos, de vraie religion et de tours qu'on abat.
Juergensmeyer, un des meilleurs spécialistes américains de la violence religieuse, a été
s'entretenir avec un des principaux responsables du premier attentat contre les tours du World
Trade Center. Il l'a rencontré dans la prison où il purge une peine à perpétuité. Celui-ci lui a
affirmé : "En Occident, vous n'avez aucune idée de la vraie religion, vous êtes comme des stylos
sans encre". Sans pousser trop loin l’interprétation, on peut discerner un archétype phallique sous
cette image et l'absence "d'encre" devient alors un signe d’anéjaculation lors de l'orgasme, et
donc d’impuissance. Les attentats sont donc là pour donner une 'leçon de puissance' à l'Occident,
et lui 'prouver' ainsi que l’islam du terroriste est le plus fort et le plus viril : simple…et réellement
meurtrier.
II est important de remarquer du point de vue symbolique qu'il n'y avait eu que six mois qui se
sont écoulés entre la destruction des deux statues historiques des Bouddhas debout de Bamyan en
Afganisthan et celle des tours jumelles de New-York le 11 septembre 2001. Dans les deux cas, on
peut dire qu'il s'agissait de symboles du ressentiment de l'impuissant qui s'acharne à détruire la
puissance de l'autre, historique et religieuse dans le cas du Bouddha, économique et politique
dans le cas des tours. De façon plus précise, on peut discerner l'homosexualité du paranoïaque qui
ressort sous forme d'agression de la virilité de l'autre et de volonté de revanche. Cela fait penser
à l'animosité destructive chronique des islamistes contre les shivalingams (les représentations
ithyphalliques de Shiva) depuis la destruction de celui de Somnath au Goujarat il y a un
millénaire aux tentatives d'attentats actuels contre les pèlerins allant vénérer celui d'Amarnath au Jammu près du Cachemire. Chaque année, il y a plusieurs tentatives d'actes terroristes contre
ces ‘adorateurs du shivalingam’, la plupart sont heureusement déjouées par la police, mais
l’intention destructrice n’en est pas moins là. Nous pouvons retrouver là un thème très archaïque
dans la culture de la guerre préhistorique, c'est celui de la castration de l'ennemi. Pour la
psychiatrie moderne, nous sommes dans le registre de la psychose.
Pour l'analyse psychologique, les idées de fin du monde sont à peu près communes au
christianisme et à l'islam. Au Jour du Jugement, les croyants iront au Paradis et les incroyants
seront consignés aux flammes de l'Enfer. On a en parallèle la toute-puissance du "juste " et
l'annihilation du "pécheur ". Que celle-ci donne un sentiment de toute-puissance, c'est évident, on
peut donc le rapprocher de l'orgasme, les choses se compliquent quand on en arrive au
58
correspondant fantasmatique de l'annihilation de l'autre en tant qu'autre. Est-ce que ce ne serait
pas l'orgasme du violeur qui après son passage à l'acte tue sa victime ? La question est posée, que
chacun trouve sa réponse en son âme et conscience.
Si l'on pense que mon interprétation est trop sévère, il faut se souvenir que c'est mon devoir de
spécialiste de la santé mentale de prévenir la société de l'émergence de délires avant qu'il ne mène
à des passages à l'acte massif. Mieux vaut prévenir que guérir. Si l'on prend par exemple la
destruction de Bamiyan en mars 2001, on peut y voir chez les agresseurs l'invasion d'un
ressentiment contre des symboles d'un pouvoir qui les dépassait, y compris par son côté de
puissance virile, voire phallique sous-jacente. Si j'avais suggéré cela à l'époque, beaucoup de gens
m'auraient répliqué : "C'est vous qui délirez : ayez un minimum de respect pour les croyance
traditionnelles de ces braves bigots qui veulent avant tout restaurer la Vertu et détruire le Vice
dans leur malheureux pays ravagé par la guerre ! Respectez ces bons sauvages !" Pourtant, six
mois plus tard, par exactement le même fantasme, un passage à l'acte encore bien plus violent
s'est réalisé avec la destruction le 11 septembre des tours sur les rives de l'Hudson,et là cela n’a
pas été que des pierres qui ont sauté, mais environ trois mille personnes. Cependant, au niveau
symbolique, les deux violences étaient les mêmes, c’est pour cela qu’il faut faire attention aux
symboles.
Il faut se souvenir que les groupes de terroristes sont souvent des groupes d'hommes jeunes
avec des idées très conservatrices sur les femmes. Soit ils les évitent complètement, soit ils
veulent qu'elles restent à la maison. Il y a un aspect de réaction au progrès du pouvoir des
femmes dans cette "tétanie conservatrice" qui les paralyse. Du point de vue de la
psychopathologie, on pourrait considérer l'intégrisme comme un fétichisme à thème religieux : le
détail le plus anodin se met à prendre une importance considérable et est investi d'une énergie
émotionnelle-passionnelle, comme le hijab par exemple; celui-ci, beaucoup plus que voiler
physiquement le visage de la femme, voile la raison de l’homme, et l'on bascule sur la pente
glissante pouvant mener à la psychose intégriste. Le fondamentalisme fait régner sa terreur en
imposant des symboles, il est donc logique que ceux qui ne souhaitent pas qu’il se répande
sachent lutter aussi au niveau des symboles, c’est une attitude pragmatique en attendant de
trouver mieux.
Il est vrai que dans les tensions entre groupes, la sexualité des autres est souvent l'objet de
clichés. En fait, la manière de procéder en psychologie et de dégager certains traits cohérents non
pas pour dire qu'ils sont absolus, mais statistiquement significatifs. En clarifiant ceci, on parvient
à des conclusions provisoires, qui ont leur valeur si on sait se méfier des généralisations hâtives.
L'important est de ne pas voiler les problèmes sous les prétextes habituels : « C'est une question
très délicate, complexe, multifactorielles, il faudra de nombreuses autres études pour pouvoir
commencer à dire quelque chose... », moyennant quoi on ne dit rien, alors que la société vous fait
confiance, justement en tant que spécialiste, pour dire quelque chose, tout simplement..
Pour continuer sur le thème de la jalousie homosexuelle liée à la paranoïa, on peut citer
l’assassinat vers mai 2006 en Irak de deux joueurs de l’équipe national de tennis d’Irak avec leur
entraîneur. Quand le journal qui annonçait la nouvelle s’est demandé pourquoi ces crimes, il a
rapporté qu’on pensait que c’était parce que les joueurs étaient en short. Cela a dû créer des
associations mentales homosexuelles dans le cerveau alourdi de paranoïa des sbires d’al-Qaida et
cela a donc suffit au passage à l’acte. Beaucoup plus qu’on ne le pense, quand on les comprend,
les mécanismes psychopathologiques sont très simples, voir très bêtes. Cependant, ils sont bien
là, et on doit donc en tenir compte.
Nous avons déjà vu un autre exemple de jalousie passionnelle qui se mêle au terrorisme. Cela
s’est passé au Cachemire au printemps 2006. Il y avait eu un scandale sexuel où des hauts
59
fonctionnaires du gouvernement indiens, certains hindous, certains musulmans, allaient voir une
prostituée mineure qui se trouvait être musulmane. Les militants en ont profité pour prendre le
côté de la morale contre ‘ces hindous qui venaient violer nos filles’ (alors qu’eux-mêmes sont
aussi connus pour avoir violées nombre de filles ou femmes hindoues durant les 18 ans de guerre
dans la région). Ils en ont profité pour terroriser la population musulmane en menaçant d’attaquer
toute jeune fille qui serait surprise avec un téléphone portable en dehors de chez elle : car
évidemment, portable signifie liberté qui signifie prostitution qui signifie coucher avec l’ennemi
de l’autre religion qui signifie punition bien méritée, voire menace de mort…Ainsi va la paranoïa
perverse inextricablement emmêlé avec l’ego religieux exacerbé.
On peut dire qu'il y a trois domaines où l'influence occidentale n'a pu pénétrer la culture
musulmane : les droits de la femme, le goût pour la science et l'intérêt pour la musique ; comme
l’explique un spécialiste de l’islam « En vertu de la charia et de la tradition, trois catégories de
personnes ne bénéficiaient pas du principe musulman général d'égalité juridique et religieuse : les
incroyants, les esclaves et les femmes. Sur un point important, la femme était assurément la plus
mal lotie. L'esclave pouvait être affranchi par son maître ; l'incroyant pouvait, à tout moment,
devenir croyant et mettre ainsi fin à son statut d'infériorité par un simple acte de volonté ; seule la
femme était vouée à rester éternellement en cette qualité – du moins le croyait-on à l'époque. » 54
Voilà qui est sévère pour l’islam en général, mais assez réaliste. Un des premiers réformateurs en
Turquie à avoir parlé des droits de la femme était Namik Kemal en 1867. Au début, il disait que
l'infériorité de celle-ci et sa mise à l'écart de la vie économique et intellectuelle était une «
hémiplégie sociale ». Cependant, l'évolution de sa carrière politique ultérieure l'amena à changer
de priorité, comme beaucoup d'autres réformateurs par la suite.
Du point de vue psychologique, il n'est pas interdit de voir un certain lien de cause à effet
entre la servitude dans laquelle les femmes sont tenues en islam et la servitude de la population
par rapport à des dictatures et une métaphysique théocratique de la Toute-puissance. Il est
possible qu'on observe une sorte d'effet domino ascendant : si la femme réussit à se libérer, à la
fois la dictature et la théologie théocratique s'effondreront à plus ou moins long terme comme des
archaïsmes. C'est justement ce que sentent les mollahs, et c'est peut-être bien pour cela que brider
la gente féminine a toujours été pour eux une obsession, voire une raison d'être. Quand on
développe la compréhension des mécanismes du psychisme, on s’aperçoit que rien n’est par
hasard. C’est en ce sens que la psychologie est une science, même si son domaine est l’humain et
qu’il faut donc s’attendre à ce qu’elle n’utilise pas les mêmes méthodes que la physique ou la
chimie.
Afin d’être équitable, il faut reconnaître que la virilité conquérante est la tentation non
seulement des impérialistes arabes, turcs ou persans, mais aussi des Occidentaux lors de la
colonisation ou même après : Edward Saïd remarque : « Comme je l'ai dit plus haut à propos de
Flaubert, l'association entre l'Orient et le sexe est remarquablement persistante. Le Moyen-Orient
résiste, comme le ferait n'importe quel vierge, mais l'érudit mâle gagne la récompense en ouvrant
brutalement, en pénétrant le noeud gordien, bien que ce soit une « tâche éprouvante ». Le résultat
de la victoire sur la modestie virginale est « l'harmonie » ; ce n'est d'aucune manière la
coexistence d'égaux. » Le même auteur relève aussi une contradiction dans des clichés fréquents
à propos des arabes : « D'une part, un Arabe est trop fécond (parce qu'il est hyper sexué) et
d'autres part il ressemble à une poupée passive qui n'est pas fonctionnelle. » 55 En réalité, quand
les choses se passent mal et qu'il y a souffrance psychologique, on se trouve toujours devant deux
choix : soit réagir de façon maniaque, hypersexuelle avec projection de l'agressivité vers l'autre
sous forme de paranoïa sthénique, ou alors sous forme dépressive, avec retournement de
l'agressivité vers soi, dévalorisation intense et finalement paranoïa sensitive, centrée sur l'idée
60
victimaire. Ce sont des réactions psychologiques générales de l'être humain, mais on peut
raisonnablement estimer que la première est plus fréquente chez les islamistes radicaux, et la
seconde chez les conservateurs seulement nostalgiques d'un âge d'or qu'ils savent révolu.
De manière générale, on dit que « l’herbe est toujours plus verte ailleurs ». Ainsi en va-t-il des
fantasmes sexuels, qui se libèrent à l’étranger, par exemple en voyage quand on n’est plus
contenu par les règles et responsabilités du milieu d’origine et des relations à long terme. Les
Français fantasment sur les petites anglaises et vice-versa – je ne veux quand même pas dire ‘vice
inversé’ – ils rêvent de suédoises voluptueuses ou d’italiennes passionnées, les occidentaux sont
fascinés par le Moyen-orient sensuel, les musulmans par l’Occident débauché qu’ils aiment bien
cependant « voyeuriser » à travers des vidéos croustillantes, la télévision et maintenant
l’internet…la liste est long de cette « l’herbe qui est plus verte ailleurs ». Si la terreur est la
perversion du désir, il est compréhensible que la globalisation de la première aille de pair avec
celle du second.
La naissance de l’islam et les misères de la Mère.
Allât dans le sémitisme arabe d’avant l’islam a d’abord été la mère d’Allah, puis son épouse.
On peut parler au fond du meurtre d’Allât par Allah grâce à son ‘bras terrestre’, Mahomet : en
effet, dès que celui-ci a conquis le pouvoir à la Mecque, il s’est empressé de faire détruire le
temple et la statue d’Allât en l’accusant d’être une idole. Au même moment, il installait la Pierre
noire de la Kaaba en quelque sorte comme l’idole centralisée et unique de l’islam. Ce passage à
l’acte a créé une mutilation archétypale du couple divin dont les effets déséquilibrants et
psychologiquement pathogènes se sont répandus comme une épidémie et se prolongent jusqu’à
nos jours. Ceci est une appréciation réaliste, laïque, en quelque sorte médicale des choses, même
si les religieux ne l’apprécieront pas car elle remet en question la mécanique même de leur
pouvoir.
Mahomet semble avoir été tenté de prier les déesses, on le voit dans la sourate 53, v.18, 19,
20 :Ainsi a-t-il contemplé les plus grands signes de son Rabb. Avez-vous vu Al-Lât et Al-‘Uza et
Manât, la troisième, l’autre ? et deux versets auraient été expurgés Elles sont des déesses
sublimes, dont l’intercession est à implorer. Au moment où il les aurait prononcés, les auditeurs,
y compris les musulmans, se seraient prosternés. Cependant, l’Ange Gabriel aurait révélé plus
tard que les versets incriminés venaient non d’Allah, mais de Satan56. C’est parce que Salman
Rushdie est allé déterrer cette vieille histoire que Khomeiny agonisant l’a maudit et condamné à
mort avant de s’éteindre lui-même peu après, et que les musulmans du monde entier ont été
atteints d’une première pandémie de paranoïa aiguë. Comme on le dit familièrement, « mettre le
doigt où ça fait mal » provoque de vives réactions, et pour l’islam, la question de l’absence de
Mère divine est source de troubles psychiques, d’autant plus dangereuse qu’elle est refoulée
profondément dans l’inconscient par un conditionnement acquis de terreur. Elle est comme une
hémorragie interne dont on voit les symptômes à la pâleur du visage par exemple mais dont
souvent on a du mal à identifier l’origine.
Comme le fait comprendre le psychanalyste Benslama dans sa Déclaration d’insoumision à
l’usage des musulmans et de ceux qui ne le sont pas : « L’oppression des femmes ne dégrade pas
seulement ‘la femme’, mais organise aussi dans l’ensemble de la société l’inégalité, la haine de
l’altérité, la violence, ordonnées par le pouvoir mâle. »57 Il va même plus loin : « Préconiser des
demi-mesures (autres que l’égalité pleine des sexes) et des reformes de transition ne fera que
prolonger l’agonie du patriarcat et la psychopathologie politique qui en est la conséquence dans
les sociétés islamiques actuelles. »58 Bien pensé et bien dit.
61
Certes, l’archétype maternel affleure en fait à la surface dans le Coran. Celui-ci s’ouvre par la
prière inaugurale que les musulmans répètent au moins cinq fois par jour Bismillah ar-rahmân
ar-rahîm, adjectifs que Chouraqui traduit respectivement par ‘le Matriciant’ et ‘le Matriciel’. La
racine commune est donc la Matrice, c’est-à-dire la Mère divine qui a engendré l’Univers. Ils
s’agit des deux noms d’Allah les plus fréquents dans le Coran ; d’où un réflexion simple qu’on
pourrait faire : « Chassez la Mère, elle revient au galop »… Par ailleurs, le terme ‘Créateur’ dans
le Coran est fâtir, évoquant dans l’hébreu de la Tora péter (=fatîr) réhém, c’est-à-dire le fendeur,
l’ouvreur de la Matrice. Le Prophète a dit de plus en une formule qui a aidé les musulmans à
développer le respect dans la famille Le Paradis est au pied des mères. Certes, mais à condition
du point de vue de l’Envoyé d’Allah qu’elles ne soient pas divines : si c’est le cas, elles auront au
contraire vite fait d’être expédiées en enfer… Nous nous intéressons dans ce chapitre au lien
entre sexualité et délire de toute-puissance, en particulier machiste. Un verset bien connu du
Coran nous met dans le vif du sujet : Vos femmes sont pour vous comme un labour. Allez à votre
labour comme vous le voulez !(Co 2 223) S’il y avait un verset du Coran à abroger pour civiliser
l’islam, en particulier dans sa sexualité, ce serait bien celui-là. Ailleurs il est dit : Votre Maître
préfèrerait-il pour vous des filles et prendrait-il pour Messager des femelles ? Vous diriez une
énormité ! (Co 16 40). Ce verset semble bien interdire à la femme tout espoir de position élevée
dans la hiérarchie spirituelle. A-t-on encore besoin de tous ces tabous tribaux en ce début de
troisième millénaire ?
Il y a à mon sens un mouvement commun entre la destruction d’Allât par Mahomet et son
extermination des 800 prisonniers juifs sans défense, de la tribu des Bénou Qorazim, sur la place
du marché de Médine. Rappelons qu’Ali, le préféré du Prophète et le fondateur du shiisme, en a
exécuté 400 de ses propres mains, rappelant ainsi le « fait d’arme », ou plus simplement le méfait
d’Elie qui après le sacrifice du Mont Carmel a égorgé 400 prophètes de Baal de ses propres mains
aussi. Les noms mêmes Ali et Elie sont pratiquement identiques, ce qui montre bien l’association
intime – et perverse – qu’a fait la tradition musulmane, en particulier shiite, entre les deux
massacres. C’était ce même Ali qui a eu la formule bien connue : « Les femmes sont un mal
nécessaire ». La religion juive a été la mère de l’islam, Allât de son côté était la Mère divine,
dans les deux cas donc il y eu une rupture violente et destructrice d’avec les valeurs maternelles.
Ainsi, dans mon intuition de thérapeute, la violence des terroristes islamiques et toutes sortes
d’autres fléaux de l’islam sont les suites directe de ces archétypes pathologiques. La société
globalisée est aussi notre mère, nous sommes issus de ses entrailles qu’on le veuille ou non,
vouloir l’attaquer à coups de bombes est un acte de délinquance sérieux du point de vue
juridique, et un passage à l’acte psychotique du point de vue clinique. Un enfant digne de ce nom
a certes le droit de chercher à améliorer des défauts qu’il constate chez sa mère, mais la nature
des moyens employés est importante du point de vue éthique.
Donnons un exemple assez récent montrant comment l’obsession de pureté islamique peut
en un instant virer à la psychose : « En mars 2002 en Arabie Saoudite, suivre strictement les
règles de ‘décence’ vestimentaire a signifié que les filles n’ont pu s’échapper d’un incendie de
l’école avant d’avoir mis leur vêtement couvrant tout le corps, l’abaya. D’après le reportage de la
presse gouvernementale saoudienne elle-même, 15 écolières moururent et des douzaines ont eu
des blessures quand la police religieuse les a forcées à retourner dans le bâtiment en flamme pour
récupérer leurs abayas, qui sont littéralement devenus des sacs pour cadavres59. » Les faits
parlent d’eux-mêmes, il serait plutôt pervers d’essayer de les excuser par un sacro-saint
relativisme culturel, ou une interdiction a priori « d’essentialiser » l’islam qui ressemble fort à la
loi anti-blasphème vaguement modernisée, mais tout aussi aveugle dans sa tentative d’étouffer
dans l’œuf toute remise en question un tant soit peu intelligente et profonde.
62
Cet épisode des écolières consignées aux flammes par le respect obscurantiste de la charia est
d'autant plus embarrassant pour l'islam qu'il s'est déroulé près de La Mecque, son coeur religieux
et le symbole même de sa pureté. De plus, réflexion faite, cette histoire, déjà triste au plan
concret, a aussi à un second niveau une force de symbole : nous avons vu qu’il y en France
environ 85 % d'immigrés d'origine musulmane qui ne vont plus régulièrement à la mosquée, car
probablement ils se rendent compte intuitivement que cela ne fait pas de bien à leur psychisme.
Cependant, on cherche à les repousser dans "l'école en flammes" en les faisant être représentée
par des imams, ou encore on les rejette vers des textes sacrés archaïsants en leur faisant croire
qu'avec l'ijtihad, l’interprétation, le vinaigre de l'anachronisme deviendra comme par un coup de
baguette magique le sirop de rose de la modernité, et que tout ira bien. L'espoir fait vivre.
Cependant, moyennant cela, ils risquent fort en fait d'être brûlés vifs : c'est-à-dire en l'occurrence
d’avoir leur bon sens réduit en cendre et de devenir des sortes de têtes brûlées de
fondamentalistes. Mettre le voile du dogmatisme sur le beau visage de la raison est un acte plutôt
triste. Quel honneur y a-t-il à cela ? Il faut réaliser que les interprétations de textes sacrés ont des
limites certaines, et que parfois elles sont tellement tirées par les cheveux que seul celui ou celle
qui les a inventées risque d’y croire un tant soit peu. Elles risquent de rester comme de jolies
fleurs sur le chemin du bulldozer fondamentaliste. Cependant, je ne veux pas décourager ces
tentatives qui ont leur utilité. Mieux vaut une interprétation lénifiante des textes, même un peu
artificielle, que leur compréhension et récupération violente. Entre deux maux, on choisit le
moindre.
Du point de vue psychologique, il est intéressant de noter que l’islam a enkysté dans les
hadîths une phobie du chien, interdisant par exemple de la caresser et déconseillant d’en avoir
chez soi. Certes, cela pouvait avoir un sens d’hygiène à une époque où il n’y avait guère de
vétérinaires et où beaucoup de ces animaux devaient avoir la gale ou les poux. Ceci dit, les
choses se compliquent quand on voit que les chiens noirs, un thème de phobie bien connu en
psychiatrie, sont régulièrement associés à trois ‘choses’ : le diable, les juifs et les femmes.60
Sachant que ces pauvres femmes sont régulièrement vêtues de noir, n’est-il pas naturel, voire
automatique, pour un pieux musulman d’avoir une phobie des ‘chiennes noires’ ? Ceci est fort de
café, me direz-vous ! Cependant, en tant que psychothérapeute s’intéressant à l’inconscient des
personnes et des communautés, on débusque fréquemment des archétypes et des pathologies qui
sont effectivement « fortes de café », c’est notre métier.
On dit souvent dans les pays musulmans : « L’honneur de la femme est une affaire
d’homme ». Cela évoque bien sûr pour le psychologue le délire passionnel de jalousie, mais dans
le cas du radicalisme islamique, il est légalisé-sacralisé sous forme de code d’honneur clanique,
asabiyya, ce qui le rend plus virulent. La femme devient un objet d’échange entre clans, non
seulement de façon paisible lors des alliances, mais de façon violente dans les vendettas où elle
peut être violée ou tuée en tant que ‘paiement d’une amende’. Entre le monde musulman
traditionnel où elle est l’objet des jalousies claniques et l’Occident de consommation où elle
devient vite un objet sexuel, la femme du début du XXIe siècle a du mal à ce qu’on la laisse
tranquille pour qu’elle puisse simplement être ce qu’elle est. Les choses les plus simples sont
souvent les plus compliquées.
Citons un fait plutôt accablant :d’après l’OMS, l’infibulation pratiquée dans 28 pays
musulmans de par le monde fait périr deux millions de femmes par an61. Autant de morts inutiles.
Comme dirait La Palisse, deux millions par an, ce n’est pas rien. En discutant donc la sexualité
islamique, nous ne faisons pas œuvre d’abstraction mathématique, mais faisons plutôt un travail
de soin dans le service des urgence psychiatriques de la planète.
63
Le rôle de la psychopathologie des profondeurs est de faire comprendre les lois de cause et
conséquences sur le plan subtil. Réfléchissons par exemple sur ce fait que nous avons déjà
mentionné : n’est-ce pas parce que les hommes islamistes traitent souvent leurs femmes comme
des esclaves qu’ils ne peuvent se considérer eux-mêmes pour mieux que des « esclaves d’Allah »
et que l’accès de leurs communautés à une vraie démocratie reste si problématique ? Comme le
propose Benslama, ne faudrait-il pas parler d’égaliberté, tellement les deux notions d’égalité, en
particulier entre les sexes, et de liberté sont indissociables ? Un des signes de maturation
démocratique dans les soulèvements du Printemps arabe a été la participation des femmes à peu
près à égalité. Pourvu que ça dure.
Il y a un point sur lequel je reconnais que les islamistes ont raison à propos de l’effet
corrupteur de l’Occident. Pour dire qu’une jeune femme est aguichante, on dit parfois de nos
jours qu’elle est ‘olé-olé’. Le terme ‘olé’ en espagnol vient en fait de l’arabe Allah, et il n’est
donc guère respectueux de désigner une séductrice ordinaire du terme ‘Allah-Allah’. D’un point
de vue psychologique plus profond, cela est un indice de plus qui met en évidence le lien entre
passion sexuelle et passion religieuse, chacune pouvant dévier vers la paranoïa si les choses ne se
passent pas bien pour une raison ou une autre. Nous y reviendrons en détail dans le chapitre 8 sur
charia et addiction.
Haideh Moghissi a publié assez récemment un livre dans la très savante maison d’édition
Oxford University Press sur le féminisme et le fondamentalisme islamique.62 Elle met bien en
évidence une alliance bizarre entre intégristes et postmodernistes. Normalement, les premiers
évoluent dans un monde de certitudes à la limite de la paranoïa, et les seconds dans une
atmosphère de doute à la limite de la dépression. Pourtant, les deux se rencontrent pour dénier le
combat normal pour leurs droits aux femmes vivant en pays musulmans, qu’elles soient croyantes
ou non croyantes. Leurs arguments communs sont le relativisme culturel, selon lequel on ne
pourrait rien dire sur des valeurs de droits de l’homme, ou de la femme, universels, et donc qu’il
faut laisser à chaque gouvernement, dictateur ou théocrate faire ce qu’il veut. Le grand ennemi
étant de toute façon l’Occident et la modernité, tout est bon pour le combattre, même la
régression de l’intégrisme. Cependant, ce qui pour les postmodernes n’est qu’un jeu intellectuel
de salon à propos de libertés qui leur sont de toutes façons acquises, représente pour les femmes
vivant sous l’oppression de la charia une question de dignité fondamentale, et même parfois de
vie ou de mort. Cette différence est à bien méditer.
Ce qui peut pousser les personnes du sexe faible vivant en pays musulman à soutenir le
fondamentalisme tient à des causes variées. Cela peut être un pur mensonge pour essayer de se
protéger et survire, cela peut aussi être une ruse pour prendre les intégristes au propre piège de
leurs argumentations coraniques, il est possible d’y discerner également une ambition pour être
du coté du pouvoir, ou enfin, à ne pas sous-estimer, un lien au masochisme : on en arrive dans ce
dernier cas au syndrome de Stockholm, où les victimes femmes d’une prise d’otage se mettent à
aimer leurs agresseurs hommes et à soutenir leur idéologie. Il s’agit en quelque sorte d’une
réédition de l’enlèvement des Sabines aux origines de Rome. Pour des musulmanes vivant en
Occident, il peut s’ajouter à ces causes le snobisme, ou l’anticonformisme, sous forme d’une
revendication naïve d’identité sans guère réaliser les souffrances que cette identité même cause à
leurs sœurs d’un certain nombre de pays musulmans qui ne sont pas protégées par ces droits de la
démocratie qui leur sont automatiquement acquis à elles, par le fait de vivre en Occident.
Moghissi explique fermement, pour résumer un de ses développements critiques à propos de la
validité fragile du ‘féminisme islamique’ et de l’ijtihad, l’interprétation : « Aucune quantité de
contorsions ne pourra réconcilier les instructions et injonctions du Coran (et de la charia) à
propos des droits et des obligations des femmes avec l’idée de l’égalité des sexes. » 63 Voilà qui
64
et clair et qui a le pouvoir de mettre le mental interprétatif au repos….au moins pour quelques
temps.
J'ai un ami qui a recherché sur une édition électronique du Coran les mots « amour, aimer, »
et leurs dérivés. Leur fréquence dans le texte est en réalité très faible. Ceux qui ne me croient pas
peuvent simplement se souvenir de leur propre lecture du Coran, ou vérifier eux-mêmes avec une
version sur ordinateur. Est-ce que cette observation simple de carence ne serait pas reliée à bien
des souffrances psychologiques des musulmans dans la relation homme-femme ? C'est une
possibilité qu'on ne peut exclure d'un revers de main. Si un texte se définit fortement comme
normatif, il doit d'une manière ou d'une autre influencer le mental de ceux qui y ajoutent foi, il
s'agit d'un principe psychologique facile à comprendre. Cela n’exclue pas des variations
individuelles selon les pays et les groupes sociologiques, mais ce seront des variations malgré
tout sur un thème de départ.
Lutte pour la Terre-Mère et délire de jalousie
« La terre est une femme, on ne peut pas la partager.» C'est ce que disent les prêcheurs ou
leaders palestiniens quand ils veulent exciter la vindicte populaire et l’orienter vers la destruction
d’Isaraël. Ils jouent dangereusement sur la paranoïa d'un délire de jalousie. Un responsable
religieux musulman plus sage que les autres, lors de la rencontre imams-rabbins de 2005 à
Bruxelles, a bien senti cela et a cherché à rétablir l'équilibre en faisant remarquer avec bon
simplicité que la terre est aussi une mère, elle peut donc donner également à chacun de ses
enfants. Retour au bon sens. De fait, le partage de la terre correspond à la base même de la vie
sociale, et la répartition des femmes aussi : ceci se produit quand l'humanité se développe au-delà
de la horde primitive, où le plus violent gardait le maximum de femmes pour lui, ce qui
correspondait au fond à un comportement de roitelet dans une tribu de sauvages.
Quand on y pense, cet argument de "la femme qu'on ne peut pas partager" faire sourire venant
des musulmans : en effet, les femmes, elles, doivent partager : beaucoup d'hommes sont morts au
jihâd comme martyrs de l'islam, et les femmes qui restent doivent se partager un mari, et
deviennent finalement aussi "martyrs" de l'idéologie militaire-totalitaire, par une sorte de
contagion mortifère que trop souvent on associe à la religion. En fait, l’honnêteté doit nous
amener à rappeler que Mohamed lui-même n'était pas vraiment un exemple de partage : il avait
neuf femmes en même temps, et en avait épousé au moins 21 durant toute sa vie. Les musulmans
modernes devraient être capable de prendre être recul critique par rapport à ce genre de mythes
qui ne font pas de bien à personne.
Comme nous l'avons signalé, la jalousie fait partie des délires passionnels : en effet, quelle
autre passion que celle-ci peut conduire le plus sûrement au délire? En associant intimement
‘terre’ et ‘jalousie’, les leaders ou prêcheurs palestiniens poussent toute une population en
direction de la psychose. En ce sens, les jeunes palestiniens non mariés qui se suicident
pourraient évoquer ces paranoïaques qui sont mus par leur délire de jalousie et vont tuer le rival
qui leur a pris leur femme, ici en l'occurrence leur terre, quoi qu'il advienne à lui-même : mort
immédiate, peine capitale, ou prison à vie...Si les fondamentalistes sont tellement
«ressentimentaux » vis-à-vis de l'Occident, c'est sans doute de façon non négligeable à cause
d'une jalousie au sens le plus directement sexuel du terme. Les Américains et les Occidentaux en
général sont censés avoir plein de « bon temps » avec le sexe, ce dont se sentent en pratique plus
ou moins privée les musulmans traditionnels avec leur système de mariages arrangés ainsi que
leur dépendance aux parents et une vie de famille très rangée et surveillée. On sait par ailleurs
que la jalousie, quand elle s'étend en réseau, devient une forme clinique de paranoïa.
65
On peut dire que la Terre sainte est une idole au sens négatif du terme : elle a besoin qu’on lui
offre des victimes humaines régulièrement. Cette vérité toute crue est embarrassant pour les
monothéistes qui, dans leurs guerres de conquête, ont massacré tant de gens pour faire savoir au
monde qu'eux, ils n'adoraient plus d'idoles. A propos de la terre comme objet de divinisation, on
peut remarquer que dans les campagnes de l'Inde, il n'y a souvent pas de temple à la déesse
principale protectrice du village, car les habitants disent que la terre même est la statue. Si les
monothéistes en conflit indéfini pouvaient en tirer une graine d'humilité... et de sagesse, au lieu
de se battre perpétuellement pour le Mont du Temple à Jérusalem qui n’est au fond qu’un simple
rocher, ou tout autre lieu saint. Dans ce sens, on peut dire que le choc des monothéismes juif et
musulman pourrait être interprété finalement comme une guerre entre deux dieux tribaux pour la
protection du territoire : banal, sauf que les divinités tribales savent se réconcilier au bout du
compte, alors que les dieux uniques, non. Seraient-ils trop imbus d'eux-mêmes, et finalement trop
paranoïaques? Nous revenons régulièrement à cette question impertinente, mais bien réelle.
J'ai recueilli un témoignage intéressant d'une réalisatrice de films d'origine maghrébine, dont
j’ai parlé auparavant : son père est arabe et sa mère kabyle, elle-même est née et vit en France où
elle travaille pour une grande chaîne de télévision. Elle suit depuis longtemps une voie spirituelle
en dehors de l'islam. Elle a lu le manuscrit de mon livre et a insisté sur le point suivant : « On a le
droit de remettre en cause aussi la femme musulmane. Elle est effectivement opprimée, mais elle
cherche à récupérer du pouvoir par derrière en développant une relation fusionnelle, parfois
presque incestueuse, avec son fils. Je désignerai ce processus comme plus instinctif qu'intuitif,
car l'intuition fait pour moi référence à un lien avec le plan spirituel, alors qu'ici, on est plutôt en
face d'un réflexe de possession et de sécurisation de la mère elle-même grâce à son ascendant sur
son fils. Celui-ci est donc quelque part stoppé dans sa croissance et a du mal à développer une
relation d'adulte à adulte avec une femme. Connaissant cette situation moi-même à partir de
l'intérieur du clan familial, je discerne rapidement des noeuds psychologiques importants derrière
ce qui semble des banalités pieuses dans notre milieu comme cette parole attribuée au Prophète :
‘Le paradis est au pied des mères’.»
Castration et terrorisme
Ostro était un jeune américain venu pour étudier la danse en Inde. Il est parti pour une
randonnée au Cachemire, il a été pris en otage avec trois autres touristes, on l'a retrouvé quelque
temps plus tard décapité, et les terroristes ont exposé son cadavre avec la tête coupée entre les
jambes Cet acte brutalement symbolique évoque cette castration suprême qu'est la décapitation.
Il s’agit d’une scène morbide qui correspond aussi à une sorte de test projectif : elle montre que
les terroristes sont beaucoup plus mus par une sexualité primaire et perverse plutôt que par la tête,
qui elle, semble bel et bien absente. Ils croient être des serviteurs d’Allah alors qu’ils sont en fait
bien plus les esclaves de leurs hormones.
Il faut comprendre, comme l’explique Guillaume Bigot64, que ‘la virilité est exaltée par les
intégristes, le terme arradjila revient constamment dans leur propagande’. Ils vivent dans la peur
névrotique qu’on leur ôte celle-ci, et l’individu qu’ils ressentent comme plus mâle qu’eux, ils ont
envie de le châtrer, d’une façon plus ou moins symbolique, ou parfois même concrètement et
directement. On retrouve le lien entre les fantasmes d’homosexualité passive qui mènent par
réaction à la projection paranoïaque sthénique, c’est-à-dire agressive.
J’utiliserai dans cette section le travail de synthèse sur la castration effectué par le
psychanalyste anglais Ivan Ward65. Je l’applique à la psychologie de l’intégrisme, et nous verrons
66
que les correspondances sont trop nombreuses et précises pour être dues à des coïncidences. Je ne
suis pas du genre à tout expliquer par la castration, mais il faut reconnaître que Freud lui-même
lui a donné une place centrale dans son œuvre, et sa valeur explicative pour comprendre
l’islamisme dépasse largement la question de la circoncision en tant que castration symbolique
que nous détaillerons dans la section suivante. De leur côté, Laplanche et Pontalis soulignent
dans leur Dictionnaire de psychanalyse que le complexe de castration se retrouve constamment
dans l’expérience de psychanalyse.
Commençons par un exemple clinique : «Un patient a été tourmenté pendant des années par le
sentiment qu’on lui coupait constamment le pénis et qu’on l’attachait à d’autres parties du corps ;
finalement, il s’est pendu. » On peut évoquer ici l’identification du pénis érigé avec le corps tout
entier, comme si c’était celui-ci qui était devenu un pénis tranché et dépourvu de vie. Nous
retrouverons cette équivalence par la suite.
L’iconoclasme semble bien relié à une volonté de castration :
- Quand il s’agit d’une divinité féminine, c’est le corps entier qui est considéré comme un phallus
qu’on doit démolir, et la destruction de la déesse mère revient à la renonciation par rapport à
l'amour oedipien pour pouvoir apaiser momentanément la rage jalouse le père castrateur, ellemême intériorisée sous la forme de surmoi sadique.
- Quand il s'agit d'une idole mâle, la castration directe devient plus évidente dans la destruction
de ce symbole fondamental dans les religions originelles, c'est-à-dire la pierre dressée, en
particulier pour l'Inde le shivalingam : ce sont des symboles ithyphalliques vigoureux. En
détruisant l'idole, les islamistes se mettent sans guère de culpabilité ni de retour sur eux-mêmes à
la place du père Tout-puissant et castrateur, cela dilate leur ego quasiment à l'infini et les plonge
dans la jouissance d’une illusion de tout-puissance, donc de mégalomanie en termes techniques.
C'est ce qu'on pourrait surnommer l'iconoclasme-orgasme . De plus, le geste n'est pas dépourvu
d'une perversion sadique, car ce n'est pas vraiment sain d'être obsédé par l’idée d’aller couper le
phallus des autres, c'est même franchement pathologique.
Une manière de s'approprier le pouvoir des shivalingams courante chez les envahisseurs
musulmans de l'Inde était de les récupérer pour les mettre sous les marches de leurs nouvelles
mosquées, ou de les envoyer à Ghazni, la Mecque ou Médine pour être mis sous les marches des
mosquées là-bas, afin en particulier qu’elles soient piétinées au moins une fois dans sa vie par
tout musulman accomplissant l’obligation du Haj. Cette manière de s'approprier le phallus des
ennemis peut évoquer pour le psychiatre une pratique primitive s'il en est, celle des tribus
aborigènes consistant à manger le pénis de leurs opposants vaincus. L’iconoclasme monothéiste
serait-il une transformation de cet archétype ? Pourquoi pas ? Par ailleurs, il est important de
comprendre que dans le contexte autoritaire du monothéisme, la colère contre le Dieu castrateur
ne peut s'exprimer directement ni contre lui, ni contre ses instructions, car le sujet a peur d'une
annihilation immédiate s'il le fait. Donc, elle est canalisée et détournée vers les ennemis du Toutpuissant, ce qui permet au système de s’autoprotéger et donc de s’autoentretenir.
Pour en revenir au terrorisme, on peut considérer que la bombe est un symbole de phallus,
l'attentat est le moyen d'en faire l'exhibition, et que celle-ci va devenir mondiale grâce à la
publicité médiatique. Comme nous le verrons dans le chapitre sur Délire systématisés et
islamisme, n'est-ce pas un moyen de donner une dimension mégalomaniaque à un plaisir
exhibitionniste de plein air, et ainsi de non pas additionner, mais multiplier les jouissances dans le
grand orgasme final ? La mort représente aussi la mère et s'unir à elle doit être puni par la
castration suprême, non plus du pénis mais du corps, et celui-ci tout entier sera donc arraché à la
base du sol pour voler en éclats. On peut rapprocher ce comportement plutôt étonnant de
recherche de gloire à l'attitude de certaines mères palestiniennes qui échauffent les esprits de
67
l'enfant en leur parlant de martyr, et qui se sentent glorifiées quand ils passent à l'acte : il s'agit
chez des femmes qui n’ont guère de satisfactions extérieures ou intérieures d'une mégalomanie
compensatoire, mais quand même meurtrière. Il y a tout un mouvement maintenant pour
combattre ce type « d’éducation » plutôt destructrice.66 De manière générale, si on veut guérir des
préjugés religieux violents profondément enracinés, la voie royale pour le faire reste l’éducation.
Plus elle sera précoce dans ce sens, plus son effet positif sera profond.
On sait qu'une des grandes peurs, une des phobies du mâle est de ne pas être à la hauteur au
moment d’accomplir l'acte sexuel. Si on accepte l'aspect orgastique chez ceux qui s'explosent par
les attentats à la bombe, on peut les considérer alors comme des plongées contraphobiques, le
suicidant décidant d'être à la hauteur au moment où il va appuyer sur le détonateur, de
« s’éclater » et "éjaculer des flammes". Cela paraît plutôt bête comme explication, mais
malheureusement, comme nous l’avons déjà souligné, les mécanismes psychopathologiques sont
le plus souvent bêtes, et c'est d’ailleurs justement pour cela qu'ils sont si pathologiques.
Ivan Ward67 fait remarquer à juste titre que l'enfant a peur de sa propre castration car il
imagine que sa mère est également castrée. Combien plus cette peur combinée doit-elle jouer
dans l'islam, où d'une part les femmes sont privées de pouvoir et d'autre part les Mères divines, en
particulier Allât, ont été non pas castrées, mais purement et simplement détruites et rayées de la
carte! Par ailleurs, pour la psychanalyse, le père castre à la fois l'enfant et la mère : on pourrait
rapprocher cela de l'image de Mahomet qui non seulement détruit Allât, mais qui de plus impose
la circoncision de tous les garçons comme le symbole central et la norme de la nouvelle religion.
Mélanie Klein insistait sur le fait que les inhibitions à la créativité provenaient d'une peur de la
castration. Est-ce que le fixisme de l'intégrisme qui condamne solennellement toute forme de
nouveauté, ne provient-il pas d'une peur intense de la castration diffuse et omniprésente dans le
psychisme de l'islam ? Il y aura toujours un père-ouléma prêt à détruire férocement cette sorte
d'"érection" intellectuelle et religieuse presque involontaire qu'est l’hérésie, la nouveauté, bida.
Celle-ci est rejetée avec le même racisme méprisant qui existe pour les abidi, les esclaves noirs
dans le monde arabe. Cela engendre un immobilisme non seulement religieux, mais aussi social,
intellectuel et scientifique. Voilà un problème central de l'islamisme et de l’islam qui l’a
engendré du point de vue de la psychologie moderne.
De plus, l'indignation, le sentiment d'être victime d'un outrage est également une forme de peur
de castration68: le droit, l’honneur fondamental, vital d'un homme est aussi précieux que son
phallus lui-même. Que signifie être humilié ? Etymologiquement, "être mis à terre". Cette peur de
l'humiliation, même si elle est largement imaginaire, est aussi au centre de la psyché islamique;
n'a-t-elle pas à voir aussi avec la castration, l'homme debout et érigé représentant la toute
puissance, et l'homme jeté par terre la toute- impuissance ?
Revenons à une objection de fond qu'on fera certainement à ces analyses : "Vous critiquez
beaucoup les passages à l'acte intégristes comme des pathologies, mais ils ont un sens politique".
Ce que je signalerai simplement en guise de réponse, c'est que cette récupération d'une pathologie
individuelle par de la mauvaise politique est en elle-même aussi le signe d'une pathologie
politique et collective. Je pense que la réponse à l’objection est claire.
Après un traité de coopération agricole avec Israël à la fin des années 90, la presse égyptienne
a répandu les rumeurs suivante : les concombres cultivés par les agriculteurs juifs étaient
carcinogènes, les chewing-gums qu’ils exportaient excitaient la luxure des femmes et leurs fruits
génétiquement modifiés détruisaient le sperme des hommes. En fait, le délire d'empoisonnement
et d'intervention sur la sexualité par des forces externes subtiles et hostiles sont des thèmes
favoris des paranoïas et même des schizophrénies. Dans cet épisode, rappelons que nous ne
sommes pas au Moyen-âge en pleine chasse sorcière, mais à l'orée du troisième millénaire. La
68
peur de castration est tellement enracinée et intime qu'elle évolue progressivement vers un délire
d'influence.
Puisque nous discutons le thème de la jalousie et de la protection de la terre, nous pouvons
évoquer ici de la relation de l’islam à l’ex-colonisateur occidental. Meddeb parle du ressentiment
vis-à-vis de l'Occident comme d'un symptôme central de la "maladie d'islam". On peut aussi y
discerner une composante sexuelle beaucoup plus importante qu'on ne pense : par les films et la
télévision, le musulman a une idée de l'Occident - vraie ou fausse - comme d'une zone où l'on
s'amuse bien avec le sexe, alors que lui-même se morfond avec une femme souvent illettrée, à
devoir exécuter ses devoirs conjugaux tout en étant sous le coup de la loi islamique. S'il frappe
son épouse comme la charia l'y autorise, ne nous y trompons pas, elle le lui rend sans doute bien
en le torturant psychologiquement jour et nuit, d’où chez l’homme musulman une possibilité de
ressentiment aussi profond que chez la femme. On dira peut-être que j'exagère, mais j'ai reçu en
consultation entre cinq et six mille patients quand je travaillais comme psychiatre dans un pays
maghrébin, j'ai pu me faire une idée directe et réaliste des problèmes. Je n'ai pas eu besoin pour
cela par exemple de livres ou d’informations filtrées par la presse parisienne, avec ses tendances
pour ou contre l'islam selon les cas.
Circoncision et liberté
Le rituel de la circoncision chez le garçon, même s'il n'a pas les inconvénients physiques de
l'infibulation chez la fille, part du même principe, c’est-à-dire la main mise de la communauté sur
l'individu, et en cela il mérite d'être remis en question. Déjà, le marquage physique de la
circoncision qui semble bénin peut être considéré comme la continuation de façon archétypale,
des coutumes de mutilations corporelles : par exemple pour vol, où le délinquant se retrouve avec
la main coupée, et même jusqu'à la mise à mort avec la tête coupée pour blasphème ou critique
du Prophète. Nous pouvons ajouter à cela le dernier élément, mais le plus grave, c'est la guerre
sainte : ce n'est plus un corps, mais des milliers voire des millions qui sont "coupés", découpés et
sacrifiés sur l'autel du grégarisme tribalo-religieux et de son Idole unique. En Inde lors des
émeutes entre hindous et musulmans, par exemple à Hyderabad comme le raconte Sudhir Kakar,
il arrive régulièrement que les groupes qui sont en position de force ne savent pas de quel
communauté est l’ennemi potentiel qu’il viennent d’interpeller au coin de la rue. Ils lui
demandent alors de baisser le pantalon pour voir s’il est circoncis. A ce moment-là, de deux
choses l’une : si le marquage religieux est ‘compatible’, ils lui serrent la main et rient ensemble,
s’il est incompatible, ils l’exécutent. Jusqu’à quand les individus accepteront naïvement une
cicatrice sectaire qui peut leur faire perdre la vie – ou faire périr d’autres par simple différence ?
Sont-ils un troupeau pour avoir la marque du propriétaire marquée directement dan leur corps ?
Rappelons-le, si l’on veut dépasser de façon efficace le fondamentalisme, il faut être capable de
remettre en question de façon ferme ses symboles principaux. La circoncision en fait partie.
Le roi David a beau avoir été le modèle de la dévotion dans le milieu biblique, et être un
mythe pour les historiens, son comportement a été plutôt violent : dans un épisode bien connu, il
a fait périr un homme, qui était en fait un de ses généraux, pour lui voler sa femme du nom de
Bethsabée, et dans un autre il a massacré 200 Philistins pour offrir leur prépuce au roi Saül en
échange de sa fille. (2 Sm, 4,12 et 18-17 ) Plus loin on dit : David ne laissa survivre ni homme ni
femme afin de n'avoir aucun témoin de ses massacres. (Sm 27 8)69 . C’est de la « bonne »
dictature. En ce couchant ce soir-là, il a dû avoir la satisfaction du travail accompli, et louer Dieu
– au moins son dieu à lui – et le remercier du fait que son ethnocide se soit déroulé sans
problèmes. Malheureusement pour les tyrans actuels qui ont beaucoup de dévotion pour le David
69
de la Bible et voudraient l’imiter, il y a maintenant les téléphones portables qui peuvent prendre
directement des vidéos. Celle-ci ce retrouvent alors une heure plus tard sur le net, tout le monde
peut les regarder et donc personne ne peut faire encore semblant de ne rien savoir, nous l’avons
vu dans la discussion des facteurs ayant favorisé le Printemps arabe. Peut-être que les jeunes
arabes en colère qui ne savent pas trop où diriger celle-ci pourraient penser à l’orienter
directement vers leurs textes sacrés : en effet, quand on y pense bien, la plus grande source de
dictature est sans doute la notion même de sacralité d’un texte. C’est quelque chose qui ne se
discute pas, exactement comme l’autorité de l’autocrate. C’est la clé de voûte du système, et donc
un révolutionnaire consciencieux devrait s’y intéresser.
On pourrait ainsi considérer au niveau des archétypes que la circoncision revient –
pardonnez-moi l'image – à mettre le doigt dans l'engrenage. Le candidat à la mutilation volontaire
ou imposée par une famille soumise à la croyance commence par offrir 0,5 % de son propre corps
seulement, cela semble bien peur, mais jusqu'où sera-t-il entraîné ? L'individu doit accepter le
plus souvent sans qu'on lui ait demandé son avis que son être physique appartienne à la tribu, et
celle-ci impose de façon indélébile sa loi et sa marque de propriété Une manière d'ébranler
l'immobilisme islamique en le secouant avec des symboles forts serait l'émergence de groupes de
croyants de plus en plus nombreux refusant la circoncision de leurs garçons en expliquant
pourquoi et insistant malgré tout sur le fait qu'ils peuvent partager le reste de la religion avec leur
communauté. Le très conservateur Tantawi, recteur d'al Azhar, a refusé l'infibulation pour sa fille
en y voyant une coutume primitive, pourquoi d'autres dans leur désir de réforme ne
continueraient pas avec la circoncision pour les garçons? Ce serait une façon non violente de faire
bouger les choses.
On connaît la base du complexe d’Œdipe : le père représenté à l’intérieur par l’instance
psychique du surmoi est celui qui interdit la relation fusionnelle avec la mère, et est donc
castrateur. Dans le cadre de l’islam, on peut faire remarquer que la circoncision étant plus tardive
que dans le judaïsme (où elle a lieu chez le nourrisson), l’enfant en aura une mémoire plus claire.
Il est bien possible qu’il en dérive un ressentiment contre le père, la société et l’autre en général,
d’où un besoin de vengeance diffus. C’est une idée de l’écrivain et psychanalyste Carlos Suarès ;
j’en ai parlé à un ami médecin d’origine iranienne intéressé par la psychologie et la spiritualité,
qui a fui il y a déjà longtemps le régime khomeyniste pour prendre la citoyenneté américaine. Il
se souvient qu’il a été circoncis à l’âge de cinq ans avec son frère. Ce qui lui a semblé le plus
choquant dans son souvenir, c’est qu’eux deux avaient eu très mal pendant que tout le reste de la
famille se réjouissait et riait, puisque la circoncision est une occasion de fête. Bien plus que d’une
blessure du pénis, il s’agissait donc d’une blessure de l’ego, d’une humiliation, d’où un
ressentiment obscur entretenu et attisé ensuite par le développement de l’énergie sexuelle.
En 2006 a été menée une étude à la Ferme des oranges en Afrique du sud: sur onze circoncis,
6 se sont avérés être immunisés contre le sida. 70 Si ce genre d'effet se confirme, il faudrait alors
vivement conseiller la circoncision à tout le monde sur ds bases scientifiques deprévention des
maladies sexuellement transmissibles. Dans ce cas, celle-ci perdra alors son côté de marquage
religieux indélébile, au fond tribal, qui reste fort actuellement, ce serait aussi une façon de
résoudre le problème.
En 2005 a eu lieu un congrès de psychiatrie en Angleterre à l'Université de Cambridge. L'un
des intervenants a présenté une "étude d'études", c'est-à-dire qu'il a analysé une quarantaine de
travaux portant sur l'enfance des psychotiques. Il a insisté sur la fréquence et l'importance
psychologique de la maltraitance physique à un jeune âge, et en particulier des traumatismes
sexuels trop souvent négligés par les psychiatres. Nous venons de voir par ailleurs que lors de la
circoncision publique dans une ambiance de fête, le garçon musulman qui se souvient des
70
circonstances pourra se sentir non seulement blessé dans son intimité, mais en plus insulté. Ainsi,
comme le dit un proverbe anglais, on ajoute à la blessure l'injure (un des mots pour blessure en
anglais est injury). Tout ceci n’est sans doute pas étranger à la peur intense qu'ont les islamistes
qu'on se moque de leur virilité, sachant aussi que dans certains cas cette frayeur peut tourner à la
psychose, et que la terreur subie, même si c’est à un niveau plus symbolique et interprétatif, peut
devenir soudain terreur imposée aux autres.
Ceci nous amène à parler maintenant de la pseudo virilité comme un autre symptôme central
des sexualités islamistes.
Pseudo-virilité
Nous reviendrons à ce sujet dans le chapitre Délires systématisés et islamisme, mais nous
pouvons dès maintenant ouvrir la réflexion sur quelques faits. Fethi Benslama a dirigé un ouvrage
collectif avec Nadeia Tazir La virilité en islam71 avec en particulier un article de Raja Benslama
Le mythe de l’étalon. Le titre en lui-même en dit long. Citons tout d'abord aussi un anthropologue
qui a écrit un ouvrage sur la sexualité musulmane, Malek Chebel, où il dit en substance : « Le
christianisme demande qu'on vous frappe sur l'autre joue, l'Orient est féminin, l'islam est la seule
religion vraiment virile. Les valeurs fortes comme la richesse, la guerre ne sont pas remises en
question. Il s'agit d'une religion masculine par définition ».72 Maintenant, un des symptômes
principaux de la paranoïa, c'est que le sujet se sent perpétuellement insulté dans sa virilité et se
sent obligé de l'affirmer par des passages à l'acte violents : n'y aurait-il pas un rapport entre ce
symptôme et la vision apparemment "positive", c’est-à-dire belliqueuse de l'islam? De plus, il ne
faut pas sous-estimer le rôle de la femme pour faire danser son amant ou mari au refrain du "Sois
un homme, un vrai, va les agresser ", quand ce n'est pas "Vas tous les tuer". Dans cette incitation
à la violence, on peut voir une ambivalence qui est fréquente dans l'attachement : la femme prend
le prétexte de la contagion du martyre et de l'engagement dans la religion pour en fait faire périr
son compagnon, comme le souhaite bien peut-être toute une partie de son inconscient, et
manifester ainsi sa toute-puissance à son égard. On pourrait parler de "complexe de la mante
religieuse", car on dit que celle-ci a l'habitude de dévorer ses amants après s'être unie avec eux.
Comme Juergensmeyer le fait remarquer à juste titre, un mouvement devient terroriste quand
il s'aperçoit qu'il est en train de devenir impuissant comme par exemple le cas du Hamas après les
accords de paix d'Oslo en 1998, qui semblaient contredire tous ses principes et espoirs politiques.
La violence manifeste alors une tentative perverse de retrouver de la puissance, et les masses sont
suffisamment myopes pour se laisser impressionner, à la manière des Juifs survivant après le
massacre des 3500 adorateurs du Veau d’or par Moïse. Par ailleurs, on sait que l'intégrisme
cherche à imposer une religion pure et dure : du point de vue du psychologue, on a le droit de se
demander s'il ne s'agirait pas d'une tentative de compensation d'une virilité sexuelle et sociale
mise en péril. Ce n'est pas par hasard que les fondamentalistes remettent en question le travail de
la femme à l’extérieur, car ils savent bien tous les risques de juste compétition envers l'homme
que cet engagement professionnel comporte
Nous avons déjà mentionné que la plupart des groupes islamistes, surtout ceux qui basculent
dans le terrorisme, sont des clubs d'hommes, jeunes pour beaucoup. Ceci dit, il faut être honnête
dans son évaluation, ce n'est pas parce qu'il s'agit d'un groupe d'hommes qu'il y a nécessairement
homosexualité active. En effet, certains facteurs freinent le développement de celle-ci : il y a déjà
une sorte de principe de base facile à comprendre dans ces groupes, « faites la guerre, et pas
l'amour » qu'il soit hétéro- ou homosexuel. Les attachements qui pourraient commencer à se
manifester se défont vite aussi, quand un des de membres est tué ou se suicide. De plus, le côté
71
religieux rigoriste favorise un refoulement, ou encore un conflit interne fort, d'autant plus que les
relations hétérosexuelles avant le mariage sont elles aussi taboues dans le milieu traditionnel. Si
les terroristes en formation en ont, cela ne veut pas dire, en aucun cas, qu'ils soient 'normaux',
comme peuvent parfois le sous-entendre des analystes superficiels. On trouve de multiple
exemples de criminels qui ont pu vivre une vie de couple extérieurement à peu près normale
avant de passer à l'acte. Les sujets des groupes néo-fondamentalistes ont en général une capacité
d'intériorisation et d'élaboration psychique des conflits plutôt limitée, les tensions sont donc
projetées vers l'extérieur de façon paranoïaque.
Il est connu que la pédophilie est assez répandue chez les ayatollahs, surtout ceux qui
s'occupent des écoles coraniques où par définition il n'y a que de jeunes garçons. Par contre, j'ai
vu une fois qu'on accusait Ben Laden d'homosexualité, mais comme c'était dans un magazine
américain, il se peut que le journaliste n'ait pas été objectif ou n'ait pas eu de preuves solides dans
ce sens. De toute façon, ce point n'est pas essentiel dans notre chapitre.
En tant que spécialiste de santé mentale et honnête homme tout à la fois, il est licite de se
demander quel peut être la sexualité d’un terroriste qui, après avoir posé une bombe et déclenché
un massacre, revient à la maison pour "exécuter" " ses devoirs conjugaux s'il vit en couple. A
priori, elle sera plutôt particulière, c’est le moins qu’on puisse dire. Pour aller plu loin, on
pourrait rapprocher l'état mental d'un fondamentaliste entre deux poussées de violence dans le
cadre de cette mission de guerre sainte qu'il s'est inventée à lui-même, de celui des violeurs entre
deux passages à l'acte : d'un côté, il regrette peut-être ce qu'il a fait, et de l'autre, l'arrière-goût de
toute puissance absolue, ou qu'il croit absolu, le taraude et hante comme le souvenir d'une drogue
dure, et il ne peut guère faire autre chose que d'y revenir avec encore plus de destructivité à
chaque fois. Le fait que les chefs poussent les autres à la violence plus qu'ils ne la commettent
directement, ne les empêche pas d'être dans le même état mental – avec la perversion en plus –
puisqu'ils manipulent les autres pour les pousser vers une mort à peu près certaine.
Quand on examine la passion des intégristes pour les conversions, il est clair qu'il y a un lien
entre celles-ci, surtout quand elles sont forcées, et l'homosexualité active. A propos de cette
tendance, j'ai rencontré un jeune homme qui a passé plusieurs mois dans les camps de jeunesse
algériens, il m'a parlé de la réalité concrète de la sexualité dans ce milieu. D'après les confidences
qu'il a reçues, beaucoup d'adolescents ou leurs aînés immédiats se vantent d'expériences
d'homosexualité active, mais aucun de celles d'homosexualité passive. C'est à se demander où
sont passés ceux qui sont dans cette dernière position, puisqu’il en faut bien. Là encore, on en
revient à l'idée de pseudo-virilité.
Celle-ci peut se manifester aussi par un sentiment de propriété exacerbée par rapport aux
jeunes filles du clan : le psychanalyste indien Sudhir Kakar nous parle d'une enquête qu'il a faite
dans la communauté musulmane à Hyderabad, souvent prise par la fièvre des émeutes :
« Un tiers des sujets interrogés ont répondu que si l'une de leurs filles ou sœurs sortait avec un
hindou, soit ils la tueraient, soit ils s'attendraient à ce que les parents l'empoisonnent
« tranquillement », l'enterrent vivante ou bien encore qu'elle-même se suicide » Est-ce le signe
d'une intégration des 14 % de musulman dans la majorité hindoue après un millénaire de
coexistence ?73 Les hindous, bien que n'étant pas des anges quand on en vient aux émeutes, n'ont
pas un sentiment de propriété aussi prononcé que les musulmans, ils ne seraient pas si choqués
que leurs filles sortent au cinéma avec un garçon professant l'islam, et si cela débouchait sur un
mariage, la peine maximum qu'ils envisageraient serait la mise à l'écart du couple, au pire donc
une mise hors-caste mais pas d’assassinats ou d’agressions physique. C’est ce qu’a constaté
Kakar pour le milieu hindou urbain d’Hyderabad, dans les campagnes les meurtres pour une
histoire d’amour indépendante entre jeunes gens existent malheureusement toujours, mais à ce
72
moment-là c’est plus la désobéissance aux parents que la différence de religion si elle existe, qui
est en cause.
La question de l'augmentation de la population musulmane en Europe est une sorte de tabou,
mais en Inde, elle a attiré un débat national à l'occasion de la publication du recensement de 2004
: sur dix ans, la population hindoue avait augmenté de 20 %, la musulmane de 30 %. Dans un
pays dont un tiers de la population vit en dessous du seuil de pauvreté, et même plus pour les
musulmans, encourager ou même laisser faire une telle augmentation démographique n'est guère
responsable. Une explication serait de dire qu'elle est due à l'analphabétisme et au manque
d'éducation plus répandu chez les musulmans que chez les hindous. Cependant, si on regarde le
Kérala qui a un taux d'alphabétisation de 98 % dans les deux communautés, le taux de croissance
des musulmans reste de 50 % supérieur à ceux des hindous. Ce dernier étant déjà trop grand pour
un pays pauvre, il y a donc un problème. On a le droit de penser qu'il est principalement
psychoreligieux74. À partir d'un complexe d'infériorité central, le sentiment d’être dans une
communauté réellement à la traîne au point de vue économique, une petite voix murmure sans
doute au fond du coeur des pères potentiels : "Le monde se moque de mon manque de virilité",
d'où l'idée de lui prouver justement celle-ci. C'est ainsi qu'on se retrouve avec des familles trop
nombreuses, et des enfants probablement destinés à l'analphabétisme, au chômage, et peut-être
bien à la famine et en fin de course pourquoi pas au fondamentalisme ? Ceci dit, du point de vue
de l'idéologie islamique, peu importe, car son premier but est l'expansion numérique. On pourrait
parler de mégalomanie démographique-démagogique. Il faut reconnaître que certains pays
musulmans appliquent correctement le contrôle des naissances, mais le cas de l’Inde est lié à une
situation d'islam minoritaire, représentant seulement 14% de la population. Il s’agit donc d’une
psychologie assez différente.
Nous avons vu qu'un moteur fréquent de la paranoïa chez l'homme est un sentiment de virilité
indéfiniment insultée. Nous verrons comment cette expérience peut être favorisée par certains
traits de l'islam en général, puis de l'islamisme en particulier. Il ne s'agit pas de tomber dans des
généralisations hâtives, mais la science psychologique progresse en décrivant une forme typique,
et ensuite des formes cliniques et des cas particuliers qui sont les exceptions confirmant la règle,
pourquoi ne pas appliquer cette méthodologie à l’islamisme ?
Mon impression en tant que thérapeute ayant travaillé dans le Maghreb est la suivante : le fait
qu’au niveau populaire le fidèle pense que sa religion le rend plus viril est une illusion
compensatoire. En réalité, il délègue sa virilité au système religieux dans son ensemble qui paraît
l'incarner car il est violent; mais est-ce sain psychologiquement d'identifier virilité et violence ?
Voilà déjà une question fondamentale. Est-ce que l'homme doit être l'esclave de ses amygdales
cérébrales hypertrophiées par rapport à la femme (les amygdales gèrent les émotions, en
particulier sexuelles) et de son taux élevé de testostérone, ces deux facteurs expliquant son
agressivité du point de vue de la neuropsychologie? C'est un fait connu que le musulman vit sa
religion par intermédiaire en se concentrant sur Mohamed, et ce d'autant plus complètement que
sa dévotion au modèle identificatoire est intense. Celui-ci a ordonné plus de 80 guerres, et a
participé lui-même à 26 d'entre elles, dont 24 étaient clairement des guerres d'agression. Par
ailleurs, il s’est limité à neuf femmes à la même période, mais il en a épousé en tout 21, peut-être
plus si on suit certains hadîths. Hypervirilité ? Le musulman a aussi tendance à déléguer sa
virilité au système politique incarné le plus souvent en une dictature militaire – ou théocratique
comme le velayat-e-faqi, le gouvernement des théologiens en Iran avec à sa tête le Guide
suprême. Ne serait-ce pas une meilleure preuve de virilité de renverser les dictatures de tout crin
et d'affirmer la démocratie et le libre choix religieux ? Espérons que le Printemps arabe porte ses
fruits, et que la virilité véritable de la démocratie remplacera la virilité déléguée de la dictature.
73
Du point de vue familial, nous avons déjà vu que la structure de la famille musulmane est
plus proche de celle de l'Inde que de l'Occident actuel : la mère chapote-chaperonne son petit qui
est destiné à rester à la maison après le mariage. Il est obligatoire de faire semblant de respecter
l'autorité paternelle, et si on n'est pas d'accord avec elle, la dissimulation et le mensonge seront
préférés à l'opposition ouverte. En général, ce sont encore les parents qui décident du choix du
mariage, ils peuvent être conseillés en cela par l'imam, une situation qui évoque celle de l'Europe
catholique jusqu'au début du XXe siècle. La délégation de la virilité personnelle à une autorité
supérieure, et globalement à une idéologie totalisante est bien exprimée par la circoncision, nous
en avons déjà parlé, et par le nom même 'islam' qui signifie 'soumission'. La réunion de tous ces
facteurs confirme l’impression clinique selon laquelle le fait que l'islam, et en particulier
l’islamisme radical, renforce automatiquement la virilité semble bien tenir d'un mécanisme
psychologique d'illusion compensatoire. Du point de vue critique, on pourrait rapprocher cela de
l’effet de l’alcool : il stimule la sexualité sur le coup, mais à long terme va dans le sens inverse,
c’est la logique même de l’addiction, nous y reviendrons en détail au chapitre 8.
Posons-nous maintenant une question de fond, rarement abordée en tant que telle, mais
importante du point de vue psycho-religieux : est-ce que le fait d'interdire la vie monastique et de
pousser tout le monde se marier comme c’est le cas dans l’islam est un signe de virilité
supplémentaire ? On a le droit de penser l’opposé, la contrainte dans le sens de la vie conjugale
semble plutôt un symptôme de plus d'une idéologie totalisante ayant la mauvaise habitude de
décider pour la vie privée des gens. Au fond, quelle est le valeur d'un mariage forcé par la société
? Beaumarchais a fait remarquer en un mot célèbre : "Sans la liberté de blâmer, il n'est pas
d'éloges flatteur." Nous pourrions dire dans notre cas : "Sans la liberté du célibat, il n'est pas de
mariage flatteur". Il est possible de soutenir que paradoxalement, font preuve d'une virilité
authentique ces arabes qui se définissent comme non musulmans ou certains musulmans capables
de se séparer clairement de la mentalité clanique et de la paranoïa de groupe. Est-ce que le fait
que l'islam soit la religion avec la plus forte natalité du monde ne vient pas – en plus d'un sousdéveloppement social général dans un certain nombre de pays – du besoin de prouver à tous une
virilité toujours sujette au doute ? N'est-ce pas un mécanisme de compensation de
l'autodépréciation, venant elle-même du non-accomplissement des promesses du Prophète, des
califes et des imams à propos d'une conquête, d’une toute-puissance escomptée sur le monde ?
Jusqu'ici nous avons discuté la question de la virilité de l'islam en général; maintenant nous
pouvons évoquer quelques réflexions sur celle de l'islamisme radical, dans un sens général
d'islam en guerre. Dans la tradition depuis le départ, le meilleur musulman qui ira droit au paradis
est le ghazi, c'est-à-dire celui qui a tué un infidèle de ses propres mains. Mohamed l'était.
Pourtant, qu'est-ce que le monde moderne et civilisé a à faire de cette virilité ? N’est-ce pas le
moment de la mettre résolument à l’écart, si l’islam veut être admis dans la société des religions
évoluées ? L’éthologie nous apprend qu’il est très rare que les animaux d’une même espèce
s’entretuent, qu’avons-nous à faire au XXIe siècle de formes religieuses qui entretiennent, voire
sacralisent ce comportement déviant ?
Pour conclure par l'extrémisme, nous pouvons méditer sur le double sens en français de
"s'exploser" : avoir un orgasme – ou alors se faire exploser physiquement par exemple lorsqu’on
détonne une ceinture d'explosifs qu'on porte sur soi. Est-ce que le terroriste n'a pas un fantasme
de virilité absolue et d'orgasme ultime quand il se fait sauter sur la place du marché ? De plus,
n'y a-t-il pas une notion supplémentaire d'exhibitionnisme cosmique lorsqu’il sait que le monde
entier sera témoin de son acte ou au moins de ses conséquences immédiates grâce aux médias ?
Si celles-ci manquaient de lui faire sa publicité, il aura enregistré auparavant une vidéo pour
l’assurer lui-même et pour favoriser la contagion du suicide. Une blague à ce propos circule en
74
Australie : on sait que les terroristes pensent qu'ils iront droit au paradis et y jouiront de soixantedix vierges. On leur dit donc : "Attention! Le système ne marche plus! A cause d’un
accroissement soudain de demande, il y a une rupture de stocks, vous n'aurez rien ni personne làhaut !" Même au Paradis, la fascination de la virilité se révèle être la grande illusion. Dans ce
sens d’établir son dossier de presse avant le passafgge à l’acte vioent, les djihâdistes ont un
émule, une sorte de converti dans le milieu chrétien. Il s’agit de Breivik, qui avant de mitrailler
les enfants de la colonie de vacances d’Utöya le 22 juillet 2011 et de tuer en tout plus de 70
personnes, a préparé ses textes et ses photos en grand uniforme militaire sur l’internet. Je les ai
vues, elles sont très réussiese, on a vraiment l’impression d’un héros au retour d’une guerre
victorieuse. Il s’était inspiré des conseils de propagande des sites jihâdistes qu’il abhorrait par
ailleurs. Les extrêmes se touchent, et les extrémistes se passent les infos par internet. Le terreur
est toujours une aussi bonne pourvoyeuse de publicité. Pour le procès de Breivik qui va s’ouvrir
en avril 2012, le tribunal prévoit que sa salle d’audience de 200 places sera trop petite pour
recevoir le public et la presse internationale, et a loué l’hôtel d’à côté avec un auditorium de 400
places pour une retransmission en direct. De quoi émoustiller l’ego de Breivik, sachant que
paranoïa et mégalomanie sont les deux faces de la même pièce.
Jonathan Baker a écrit un petit livre sur le terrorisme rempli de réflexions intéressantes. Il a
bien remarqué que ce n'est pas la pauvreté en tant que telle, mais le sentiment d'humiliation qui
pousse les gens au passage à l'acte.75 Du point de vue psychologique bien sûr, il faut distinguer
entre les humiliations réelles et celles imaginaires, dans ce dernier cas, on rentre progressivement
dans le domaine de la construction paranoïaque. Nous pourrons conclure cette section par une
déclaration qui relie de manière plutôt perverse violence et pseudo-virilité pathologique. C'est
celle de Mesbah Yazdi, un membre de l'Assemblée des experts, un comité qui détient le véritable
pouvoir en Iran beaucoup plus que le Parlement ou le Président, ces deux derniers étant de plus
élus de façon douteuse. On pourrait surnommer ce conseil le ‘Comité des grands Inquisiteurs’.
Yazdi peut s'exprimer clairement, puisqu'il a le pouvoir. Il affirme sans ambages le fond de sa
penseé ‘hypervirile’: "La tolérance est pire que le sida".76
Il est intéressant de réfléchir sur les peines prévues pour apostasie : pour les hommes, c'est la
mort, pour les femmes, c'est être flagellée et emprisonnée. Est-ce de l'humanisme désintéressé
envers les femmes, ou de façon sans doute plus réaliste psychologiquement, le fait suivant : une
fois qu'on a réussi à flageller et emprisonner une membre du sexe faible, elle pourra facilement
servir d'objet sexuel soumis. Il faut donc la laisser en vie, alors que l’homme rival doit être
éliminé, si besoin physiquement. Du point de vue de la violence sexuelle de base, tout cela fait
sens. Il faut rappeler cette vérité simple, c’est que les lois de l'islam ont été écrites par les
hommes pour les hommes. C'est certes le cas d'autres traditions, mais le problème des musulmans
tout au long de leur histoire jusqu'à aujourd'hui, c'est qu'ils ont développé une véritable idolâtrie
de leur charia, ils en ont fait un monolithe qu’ils adorent prosternés, comme les anciens Celtes
adoraient les menhirs. C'est à la fois une faute contre la spiritualité et contre les droits de
l'homme.
Quand on recherche des archétypes qui pourraient être liés à cette question de la virilité
insultée dans les mythes fondateurs de l'islam il y en a un qui est peu connu des observateurs
occidentaux mais qui me semble cependant particulièrement significatif. Il est présent dans les
circonstances du déclenchement de la bataille de Badr.
Le Prophète insulté à Badr sert-il d'archétype pour les islamistes ?
75
Avant la première bataille de l'islam à Badr, les Mecquois auraient insulté le Prophète en lui
reprochant d'être "efféminé" : en effet, le fait de rentrer facilement en transe était déjà l'époque
associé à la femme et à sa facilité pour l’hystérie. Mahomet aurait donc été "obligé" de réagir en
déclarant l'appel, le rajz à la guerre pour ceux contre lesquels la guerre est lancée, ils ont la
permission de se battre parce qu'on les a trompés et insultés" (Co 23 39). Cependant, Allah vous
a aidé à vaincre alors que vous n'étiez qu'une petite force méprisable (3 123) Ici, on voit
clairement apparaître l'appétit de revanche servant à laver l'humiliation et l'insulte, y compris et
surtout portant sur la virilité du Prophète. On sait qu'il y a une forme de passage entre l'hystérie,
plutôt féminine mais plus souvent qu'on ne le pense masculine, avec ses états seconds et la
paranoïa avec son clivage: dans la première, il y a une demande très importante de
reconnaissance et, avec des états de transe accompagnés de recherche de bénéfices secondaires
des toutes sortes, une superbe indifférence aux symptômes, ainsi qu’une forme de dissociation.
Celle-ci peut éventuellement mener à la psychose hystérique. La mise en scène des états seconds
n'est pas dépourvue de théâtralisme. On pourrait dire que dans la paranoïa, ce théâtralisme
devient moral : "Je suis dans la vérité absolue mais persécuté, et je demande instamment que
tous les spectateurs du monde entier me reconnaissent en tant que modèle de la Victime
expiatoire parfaite. » C'est dommage que toute une civilisation ait été influencée par des éléments
de départ si ambivalents, étant incapable de même les considérer en tant que tel et de prendre une
distance critique vis-à-vis d’eux : en effet, ils sont enveloppés de l’aura sacrée des origines.
Quelque part, les islamistes continuent toujours à venger et laver l'honneur de leur Prophète, ils
semblent même à certains moments que c'est leur travail principal, voire leur raison d'être.
Soumission et masochisme
En tant que psychothérapeute, quand on se trouve devant une idéologie comme l'islamisme
dont le nom signifie étymologiquement "soumission" à un dieu souvent cruel, et dont la pratique
quotidienne essentielle est la prosternation, on est obligé d’aller au-delà des tabous et de se poser
à tête reposée à un moment ou à un autre la question du masochisme: celui-ci est beaucoup plus
fréquent qu'on ne le pense parmi les êtres humains en général, il déborde largement les troubles
sexuels et il imprègne de façon diffuse certaines personnalités en conférant une couleur érotique à
leur soumission. On peut en particulier se poser la question de ces femmes musulmanes
conservatrices qui affirment contre vents et marées que tout va bien dans l'islam et qu'il n'y a rien
à changer. Il y a un sondage de l'Institut Gallup de 200677 qui explique : "Les femmes
musulmanes ne se voient pas elles-mêmes comme opprimées. Cependant, une forte majorité
d'entre elles estiment qu'elles doivent avoir le droit de voter sans influence, de travailler à
l'extérieur et d'atteindre les plus hauts niveaux du gouvernement. Elles ne voient pas les
questions sexuelles comme une priorité parce que les autres problèmes sont plus pressants.
Quand on leur demande quelles sont les meilleurs côtés de leur société, au Pakistan, 53 % disent
que c'est l'attachement aux croyances religieuses, et en Égypte, 59 % affirment que c'est l'amour
pour la religion. » Voilà qui est paradoxale à première vue mais qui s’explique assez bien quand
on connaît le fonctionnement de la psychologie religieuse, en particulier avec l’érotisation de la
soumission chez la femme comme chez l’homme, bien que de façon un peu différente dans les
deux sexes.
L'Espagne médiévale avec Cordoue, Grenade, Séville, est supposée avoir été le paradis de la
fraternité entre musulmans, chrétiens et juifs. Cette rencontre aurait-elle été une alliance des
monothéismes masculins aux dépens du sexe faible ? Voyons ce qu'en dit un clerc actuel membre
éminent de la communauté musulmane d'Espagne en plein développement : l'imam Mohamed
76
Kamal Mustapha, conseiller de la fédération nationale des groupes religieux islamiques en
Espagne, a produit un précis…fort précis sur la manière de battre les femmes :
"Utiliser un bâton léger, utile pour la frapper de loin. La frapper seulement sur le corps, sur les
mains et les pieds. Jamais sur le visage, sinon on verra les cicatrices et les hématomes. Souvenezvous que les coups doivent la faire souffrir pas seulement physiquement, mais aussi
psychologiquement."78
Sadisme sacré ou sacré sadisme ? Certes, on pourrait objecter qu’il s’agit juste de la lubie
lubrique du pervers de service, donc d’une opinion toute individuelle. Cependant, il s’aagit déjà
d’un imam avec des responsabilités nationales en Espagne, et on a demandé pour vérifier à
d’autres imams si la « technique » était entérinée par la tradition, et ils confirment qu’il s’agit
bien de ce que dit la sunna. Si on est un politicien qui fait toutes sortes de calculs électoraux, on
peut passer sur ces "détails", mais en tant que thérapeute qui travaille en établissant des
diagnostics, non. Si ce n'avait été qu'une anecdote, on pourrait la négliger, mais si je la
mentionne, c'est qu'elle est symptomatique d'une pathologie beaucoup plus générale, la pointe de
l'iceberg en quelque sorte.
Le psychanalyste Fethi Benslama mentionne de nombreux témoignages selon lesquels, « dans
les camps de concentration, le terme ‘musulman’ en était venu à désigner celui qui se soumettait
au bourreau et perdait toute étincelle d’humanité »79. Au vu de tout cela, on peut considérer que
la situation psychologique de cette attitude de soumission est pour le moins complexe.
La contradiction entre les "deux mariages", symptômes d'un clivage psychotique ?
On sait qu'il y a deux mariages en islam, en particulier chez les chiites. Le nikah, le mariage
ordinaire, a priori pour la vie sauf répudiation, cette dernière demeurant l'apanage de l'homme et
le mut'a, qui n'est pas bien vu par les sunnites, mais est toujours fort en vogue chez les shiites. Il
s'agit d'un "mariage" temporaire pour un mois, une journée voire une heure. Sachant que seul
l'homme a le droit d'avoir plusieurs femmes en même temps, on comprend facilement que cela
favorise et même bénit par quelques formules pieuses ce que les esprits civilisés et modernes
considèrent comme de l'adultère ou de la prostitution. En leur for intérieur, les fidèles eux-mêmes
qui s'y laissent aller ne sont pas dupes et développent donc une culpabilité profonde qu'ils ne
peuvent voir en face ni résoudre par les mécanismes religieux habituels : en effet, c'est la religion
elle-même qui encourage le problème. D’où violence. Par ailleurs, il faut se souvenir qu’on
distribue en Iran le "livre bleu" de l'ayatollah Khomeiny sur la sexualité en islam, remplis d'idées
et d'instructions plutôt bizarres, voire médicalement fausses et psychologiquement pathologiques,
pour nous les Occidentaux et pour les iraniens normalement instruits et évolués. Cela n'a
certainement pas contribué à une bonne image de l'islam sous nos latitudes, mais les islamistes ou
islamophiles devraient comprendre qu’il y a des raisons objectives à cela. C’est une question
d’être adulte et responsable. Les larmes de crocodiles sur ces méchants ayatollah qui ont perverti
la pureté originelle de l’islam du Prophète ne suffiront pas à convaincre l’opinion internationale.
Dans la question du mariage temporaire, le sujet doit trouver des mécanismes pour exorciser
la culpabilité du sujet: le plus primaire, comme d'habitude, est la projection du mal-être à
l'extérieur par la paranoïa. Il est assez clair que la proportion et la densité de ce trouble sont plus
fortes en Iran que dans le monde musulman en général. Certes, on peut rattacher cela aux
persécutions par les sunnites majoritaires ainsi qu'aux origines plus ou moins mythiques par
lesquelles chaque chiite s'identifie avec dévotion à toute une série d'imams martyrisés ; mais pour
77
aller plus profond, on peut discerner déjà les racines d’un clivage psychotique chez le sujet quand
il s'adonne au mut'a, au mariage temporaire prétendu éthique alors qu'il ne l'est pas. Cela touche
directement à la force sexuelle et à l'énergie psychique dans les relations homme-femme, et on
comprendra donc que la paranoïa résultante ne sera pas des moindres. Elle aura une grande
dynamique, il faudrait peut-être dire "dynamite"... Et tous les raisonnements paralogiques et
obscurantistes des ayatollahs enturbannés de noir, des talabeh, mojtaheh et autres hojjatoleslam
pour justifier ce "mariage" ne serviront qu'à faire plus profondément pénétrer dans l'inconscient le
poison de cette dissociation, et le rendre donc encore plus pathogène pour la vie intérieure et la
société en général.
En route entre Damas et Alep
Comme la plupart des touristes en Syrie, après avoir vu la vieille ville de Damas, je suis allé
visiter celle d'Alep, et j'ai donc pris le car entre les deux pendant peut-être cinq heures. On y a
passé la vidéo d'un film de propagande, qu'en fait personne dans le véhicule n'avait réclamée,
mais cela semble bien être le style de régimes dictatoriaux de vous faire avaler des messages que
vous n'avez pas vraiment demandés. La trame de l'histoire parlait d'un jeune et valeureux pilote
de chasse syrien, marié et heureux dans son couple. Cependant, il a été séduit par une mauvaise
femme, qui s'est avérée être une agente du Mossad, les services secrets israéliens. A cause de
cette erreur, il a été capturé, affreusement torturé – le film montrait tous les détails – puis
finalement il a réussi à s'échapper héroïquement. Ce qu'il y a d'intéressant dans ce scénario du
point de vue de la psychopathologie, c'est qu'on retrouve derrière une incitation à la haine entre
les nations et les religions une peur primaire de la castration, "l'ennemi nous vole traîtreusement
nos meilleurs hommes, il nous humilie, il nous torture " et quelle torture est plus redoutable que
la dite castration? Ainsi, il n'y a qu'une seule réaction possible et légalement valable, la
vengeance absolue! C'est comme cela qu'on pousse des masses psychologiquement analphabètes
vers une nouvelle guerre sainte – une de plus. Il est intéressant de noter que la propagande
syrienne reprend au fond mot pour mot l'accusation de base de la Bible contre les polythéistes,
mais cette fois-ci en la dirigeant vers les Israéliens. « Ils incitent nos fidèles pieux et chastes à la
débauche, ils méritent "donc" d'être annihilés ».
Où il est question de harem, harram et Moharram.
Harem et harram ont en fait le même sens originel d'enclos interdit, dans le premier cas là
où résident les femmes et dans le second, là où réside la divinité. Moharram signifie saint, et
désigne en pratique Ashera, une des grandes fêtes en Iran, l'événement le plus sacré de l'année
pour les shiites. Quelle est la psychologie profonde du harem qui a tant fait fantasmer certains
Occidentaux à l'époque classique ou romantique, et qui fait partie des clichés les plus populaires
des Européens à propos de l’islam des XVIIIe et XIXe siècle ? Un potentat local a le droit de
propriété sur un certain nombre de femmes ; plus le chiffre est élevé, plus le pouvoir du maître est
grand, aucun autre mâle n’a le droit d’y pénétrer, hormis les eunuques. Est-on en face d'une
mégalomanie primitive ?
Maintenant, qu'en est-il du harram, l'enclos sacré? Il encercle la divinité, qu'on pourrait
considérer comme l'Idole unique. Ceux qui osent "pénétrer son territoire" c'est-à-dire blasphémer
contre elle seront mis à mort, et deviennent ainsi des victimes humaines offertes à une sorte de
Moloch : du point de vue psychodynamique, on pourrait dire que les femmes étaient aussi
78
sacrifiées au potentat local par l'intermédiaire de la petite mort de l'orgasme, mais ici la situation
est plus sévère car il s'agit de la vraie mort avec le sang de l'être humain égorgé qui coule pour de
bon. Quant aux guerres saintes déclarées au nom de l’Unique, qu’on le considère comme dieu ou
idole, elles représentent encore des sacrifices humains, mais cette fois-ci perpétrés à grande
échelle. C'est comme si le cercle du harram s'élargissait pour inclure l'univers. Jean Soler a bien
montré ce lien entre la notion de herem, le cercle sacré pour le sacrifice chez les anciens hébreux,
et la violence politique d’Israël dans la Bible, et ensuite du christianisme et de l’islam en
expansion80. Maintenant, qu'est-ce que découvrira le psychologue de bon sens, quand il osera
pénétrer sans peur dans ce harram, cet enclos tabou et interdit aux non-croyants? Est-ce que ce ne
sera pas un potentat local, avide de consommer les victimes humaines qui lui sont régulièrement
offertes au nom de la guerre sainte ou de la chasse aux blasphémateurs ? Si c’est le cas, mieux
vaudrait garder la capacité d'idéalisation du psychisme humain pour des entités plus valables.
A présent, venons-en à des évenements plus contemporains : l'attentat contre le harram, la
mosquée sacrée centre de pèlerinage shiite en Iran, c'était Samara, en début 2006. Il a failli,
pendant la période qui a juste suivi, faire basculer du jour au lendemain le pays dans une guerre
civile à grande échelle. Cela a été évité sur le coup, mais est quand même survenu plus
progressivement avec une certaine intensité dans les mois qui ont suivi. Il a été perpétré par des
sunnites : on a donc bien le sentiment qu'il s'agit d’une guerre entre deux idoles séparés, malgré
un discours superficielle d’unité divine. L'agresseur cherche à pénétrer et à violer l'autre dans son
espace intime. On retrouve une fois de plus, derrière le passage à l’acte agreressif, une sexualité
probablement pathologique. Il est intéressant de noter le double sens de harram, "enclos sacré",
mais aussi "interdit, tabou" La notion d'interdit, de licite, halal, et illicite, haram, est au centre de
la pratique et des convictions de l'islam, et surtout maintenant du néofondamentalisme.81 Par
ailleurs, "enclos sacré" se dit en latin fanum, la racine directe du mot "fanatique" : associer les
archétypes et l'étymologie donne souvent des clefs de compréhension profonde.
Pour finir ces quelque réflexions, nous pouvons rappeler que durant Moharram, les chiites
se flagellent jusqu'au sang en souvenir du martyre de l'imam Hussain, pendant que les femmes et
les enfants crient et pleurent : encore du sang versé, ne serait-ce pas cette fois-ci des victimes
humaines qu'on prépare psychologiquement à être sacrifiées par les mollahs à Moloch-Allah ? Ne
serait-ce pas une fois de plus donc de l'idolâtrie, dans le sens le plus primitif du terme ?
Venons-en à un développement intéressant sur les rapports entre Vénus et Mars, le désir et la
colère ou encore la psychologie et la polémologie. Le parallèle entre les deux est enraciné dans
les profondeurs de notre inconscient, il faut voir cela en face, et cela donne un instrrument de plus
pour comprendre la psychologie de la violence islamiste.
Le désir-colère, ou les rencontres inattendues de la sexologie et de la polémologie.
Ce rapprochement pourra sembler surprenant ou impertinent à certains, mais il fait tout à fait
sens du point de vue d’une psychologie des profondeurs. Nous avons vu que désir et colère
étaient rapprochés par la psychologie traditionnelle comme par la psychanalyse et la biologie Les
Anciens parlaient de la polarité Mars-Vénus, qui pouvait s'harmoniser en tant que force
constructive et engendrer une fille nommée Harmonie, mais qui sinon pouvait être tout à fait
destructrice. Dans la guerre, c'est comme si la passion de Vénus entrait dans le corps de Mars
pour servir de combustible à sa violence. Les Anglais ont un proverbe "Tout est permis en amour
comme dans la guerre". Dans les deux cas, on pourrait donc se demander si l’on n’est pas en face
d'une psychose temporaire. Nous allons évoquer dans cette partie les liens intimes de Mars et de
Vénus. Le rituel amoureux-belliqueux commence par la mise à nu de l'ennemi. On le
79
délégitimise, il n'a plus le droit d'occuper la terre où il demeurait pourtant dans bien des cas
depuis fort longtemps, on l'en dépouille, ce n'est plus un être humain, c'est un esclave, un animal,
et donc l'abattre ne sera guère qu'un acte d'hygiène publique, voire de boucherie ordinaire utile à
la société. Enfin, on le défait de tous ses vêtements, en l'occurrence de toutes ses qualités et de sa
dignité d'être social pour le rendre prêt au viol et à la relation forcée. Ensuite viennent les
préludes, ces "caresses" qui entament la relation par contact direct. Au niveau du corps social, ils
consistent en quelques assassinats de personnalités politiques ou de penseurs indépendants, pour
aiguiser l'appétit, ou de quelques autres actes terroristes pour faire monter la tension éroticobelliqueuse.
Puis vient la pénétration ferme, passionné, dure, violente, sous forme de colonne de tanks qui
perceront et pénètreront les lignes de défense de l'ennemi, celui-ci essayant pourtant de se
défendre tant qu'il peut. On inonde de ses millions de soldats- spermatozoïdes, symbole de sa
virilité infiniment supérieure, la terre-mère pour la soumettre par force. On l’asperge de ses
missiles, là encore avec un symbolisme éjaculateur évident. L'orgasme final pourra prendre une
tournure singulièrement perverse et sadique s'il consiste en un génocide, où l'objet d'"amour" est
entièrement détruit. De plus, on peut constater que des accès réguliers de paranoïa aiguë sont le
piment d'une vie chronique d’ennui humain comme l'orgasme l'est pour des relations physiques
qui viennent émailler un désir à long terme. Ils ont la même fonction de centrer une sorte
d'addiction. Nous développerons cela dans le chapitre 8.
Après vient automatiquement la phase d'épuisement, de déprime et de repentance : "J'ai violé
la femme du voisin, je n'aurais pas dû, c'est promis, je ne recommencerai plus!" On fait des
discours solennels aux Nations unies disant que cette fois-ci, c'est sûr, c'est la dernière guerre...
jusqu'à la prochaine, car c'est dans la nature de l'être humain de recommencer les mêmes erreurs
de période en période, de génération en génération ; peu nombreux sont ceux qui savent tirer les
leçons du passé individuel ou collectif pour se réformer. Nous sommes ici devant un des
fondements du comportement humain, il faut le regarder en face : si on veut le changer, on doit
comprendre le cercle de la répétition pour en sortir et ainsi parvenir un éveil de conscience.
Mainmise religieuse sur la sexualité et idéologie totalitaire
L'importance de la morale sexuelle envahissante pour les fondamentalistes est facile à
comprendre : en ayant une mainmise sur la sexualité de leurs fidèles, ils les infantilisent comme
un père ou une mère autoritaire le feraient pour ses enfants, et ainsi les rendent dépendants à vie.
Il y a aussi un trait obsessionnel évident dans le soin qu'ils apportent à contaminer la jeunesse
avec le virus de leur idéologie radicale. Ce n'est pas propre à l'islamisme, réfléchissons par
exemple sur cette citation : "C'est sur cette jeunesse que doivent s'exercer toutes les formes de
propagande, il s'agit d'un immense travail de propagande et de contrôle pour permettre à cette
jeunesse de se développer selon les plans... Si la jeunesse est gagnée, cela agira comme un levain.
Ainsi, dans l'esprit de la plupart des garçons s'élèvera la prière : 'Seigneur, daigne bénir nos
armes!' " Qui est donc cette personne pieuse qui ne voulait que le bien des enfants et en
particulier qu'ils fassent des prières au Bon Dieu pour aller plus facilement à la guerre? Était-ce
l'ayatollah Khomeiny, qui a envoyé se faire tuer 40.000 enfants sur le front d'Irak dans les années
80 ? Non, cet amoureux des enfants innocents n'était autre qu'Adolf Hitler, et la citation ci-dessus
est extraite de Mein Kampf.82
Mawdudi a été le fondateur de la Jamiyat-e-islami au Pakistan, un mouvement
fondamentaliste qui a inspiré la Révolution iranienne et les terroristes d'al-Qaida. On lui a
demandé un jour s'il y avait un événement particulier qui l'avait poussé au départ dans le sens de
80
l'intégrisme. Il a répondu : « Effectivement, lorsque je suis revenu à Hyderabad en 1937, j'ai vu
que les femmes musulmanes marchaient dans les rues sans pardah, sans voile, une condition
impensable il y a simplement quelques années. Ce changement m'a tellement choqué que je ne
pouvais plus en dormir la nuit, en me demandant ce qui avait provoqué ce changement soudain
parmi les musulmans."83 Encore un exemple de lien entre une virilité mal placée et un
fondamentalisme violent, car malgré certaines déclarations officielles apparemment modérées,
l'action et les effets de l'enseignement de Mawdudi ont été plutôt extrémistes et destructrices –
sous prétexte d’islam bien entendu.
Mon l'impression de psychologue moderne, c'est que si le fascisme et le stalinisme s’étaient
insinués dans l'intimité de la sexualité des peuple qu’ils dominaient et qui en partie les
soutenaient, autant que la religiosité intégriste l’a fait et le fait encore, ils seraient certainement
toujours au pouvoir dans un certain nombre de pays. Certes, on s'attend à ce qu'une religion
donne des lignes directrices à propos de la vie affective ; cependant, si elle instrumentalise les
passions émotionnelles pour les rediriger dans le sens d’un extrémisme politique, c'est une
perversion, et en cela, le clergé fondamentaliste est un expert. De plus, puisque nous parlons du
lien entre totalitarisme et sexualité, nous pouvons souligner à nouveau que l'obligation du
mariage pour tous et le refus de la vie monastique qui a cours dans l'islam est une forme
d'autoritarisme social, au fonds d'origine tribale, qui ne devrait plus avoir la place dans une
religion au XXIe siècle. On pourrait considérer que cela est contraire à un droit fondamental de
l’être humain que de lui imposer le type de vie personnelle qu’il doit mener. Dans les voies qui
acceptent la vie monastique, celle-ci n’est pas imposée, de quel droit au fond l’inverse serait
vrai ?
Richard Haas, ex-directeur politique au département d'Etat américain, a déclaré en 2002 en
faisant un rapprochement intéressant, que les sociétés patriarcales dans lesquelles les femmes ont
un rôle de soumission vis-à-vis des hommes sont aussi celles où les hommes sont soumis à
d'autres hommes. Finalement, tout le monde se retrouve emprisonné dans les filets de l'archétype
de l’esclavage. En Orient, on appellerait cela la loi du karma.
L'ijtihad, l'interprétation des livres sacrés certainement ne suffit pas, car la machinerie du
pouvoir politico-religieux islamiques se moque en fait des arguties sur des textes, c'est ce que
montre bien Moghissi dans son ouvrage que nous avons cité sur les rapports du fondamentalisme
et du féminisme en pays musulman. De plus, le recours à cette ijtihad est aussi auto-défaitiste,
car il accepte le présupposé plutôt dépressif qu'on ne peut pas combattre le fondamentalisme sur
le terrain réel des droits de l'être humain séculaires et universels, et qu'on est obligé de se
soumettre aux règles imaginées et imposées par lui obligeant à pinailler sur des textes archaïques.
Il ne s'agit plus de discuter de liberté, mais simplement de la longueur de la chaîne qui vous tient
en esclavage. En termes psychologiques, on pourrait rapprocher cela de ceux qui se font berner
par les rationalisations secondaires d'un délire de toute puissance. Quand les fondamentalistes
parlent de "féminisme islamiste", cela revient en fait à dire aux femmes très généreusement: "Je
veux bien parler avec vous, mais à la condition que vous soyez pieds et poings liés." En somme,
ne s'agit-il pas d'une comédie de plus d'une idéologie absolutiste pour se maintenir au pouvoir ou
essayer d'y parvenir ? Je pose la question, après il s’agit d’examiner au cas par cas ceux qui sont
sincères dans leurs déclarations en vue de réforme, et ceux qui ne le sont pas.
81
CH 2
DÉPRESSION
ET OBSESSION RELIGIEUSE.
Quelques causes de la dépression en islam
Pour commencer par le début, nous pouvons déjà évoquer la critique historique des origines
de l'islam. De plus en plus de légendes sont démantelées, le mythe des origines qui est au coeur
de l'intégrisme est de moins en moins tenable, et le soleil froid de la raison se lève sur le cocon
confortable de toutes sortes de contes des mille et une nuits, risquant de les dissiper comme de la
brume au petit matin. Même si la plupart des fidèles sont peu cultivés et ne sont guère au courant
de ces recherches, leur inconscient les sent, les pressent, les ressent, et l'autohypnose pratiquée
pour arriver à croire aux mythes principaux sur les origines de l’islam devient de plus en plus
difficile et coûteuse en énergie intérieure. Cet épuisement progressif dû à une lutte de la croyance
contre la réalité historique peut finir par se traduire en dépression de même qu’un seau qui a une
fuite même discrète à la base finira tôt ou tard par se vider complètement. En fait, l'idéalisation
des jours anciens glorieux, des origines et du fondateur de la religion est une arme à double
tranchant. Si tout cela est remis en question par la science historique, ce sera comme si la clé de
voûte de l'édifice était retirée, au risque de s'effondrer sur le peuple des fidèles. Nous y
reviendrons à la fin des chapitres sur Les origines de l’islam revisitées et sur La personnalité de
Mohamed.
Abouhalima est le terroriste qui a participé au premier attentat en 1993 contre une tour du
World Trade Center. Maintenant, il purge une peine à perpétuité dans une prison de haute
sécurité aux États-Unis. Quand il est revenu à sa mosquée de New York avant les attentats, et
après avoir fait campagne en Afghanistan, ses compagnons ont dit de lui avec admiration : « Il est
parti comme un homme ordinaire, et il est revenu si dévot et si fier ! » [proud en anglais peut
aussi signifier orgueilleux]. La guerre d'Afghanistan lui avait rappelé les jours glorieux de jadis, il
y a des centaines d'années, durant lesquels les musulmans combattaient les infidèles."84 Son
exaltation maniaque à propos de la grande victoire de l’islam laisse maintenant la place à une
dépression…à perpétuité, c’est le cas de le dire.
Après s'être laissé emporter par les satisfactions mégalomanes du mythe des origines, le retour
à la réalité est dur, on pourrait même dire plutôt déprimant... L'intensité de la dépression est
82
exactement proportionnelle à celle du délire qui a juste précédé. Dans la psychologie d'Adler, un
disciple de Freud, c'est le complexe d'infériorité qui est le moteur principal du psychisme et de
l'histoire du sujet. On peut en repérer deux dès les origines de l'islam : déjà, les musulmans
s'identifient à Ismaël qui avait été chassé injustement avec sa mère Agar par Abraham, sans faute
de sa part. Certains dérivent le mot ‘musulman’ de l'ancienne forme du terme 'ismaélien'. Dans
l'Arabie du VIIe siècle, il y avait des juifs et des chrétiens monothéistes, mais les arabes n'avaient
pas leur Dieu unique. Mohamed qui était pratiquement illettré a essayé de séduire de savants
rabbis avec ce qu'il estimait être sa révélation, mais ceux-ci lui ont ri au nez, et de ce fait il a
décidé de lancer sa propre secte qui a pris ensuite la dimension d'une religion. Pour le
psychologue, il n'est pas difficile d'identifier dans le Coran et les hadîths les signes d'un complexe
de supériorité compensatoire par rapport au judaïsme et au christianisme, nous en parlerons dans
le chapitre 11. Encore actuellement, l'humanité dans son ensemble souffre des conséquences de
ce complexe chez les musulmans, comme il existe aussi chez les intégristes américains. Ceux-ci
se sentent dépassés par la modernité et y réagissent de façon virulente en voulant conquérir le
monde. Comme le dit l'un des prêcheurs évangélistes en vue, Pat Roberson, 'la meilleure
défense, c'est d'attaquer'. Je pense que cela définit assez bien l'attitude de base des islamistes,
reste à savoir si c'est une preuve de virilité ou alors simplement de paranoia virulens…
L'islamisme radical serait-il un burn-out de l'islam ?
Burn out en anglais est un terme qui désigne une dépression, en général de début assez rapide.
Littéralement, il signifie "brûler en dehors". Est-ce que le feu de la rage des islamistes radicaux
s'exprimant de façon plutôt explosive contre ceux qui sont autres, qui sont en dehors de leur
cercle de "justes", n'est pas précisément un burn out ? Il se serait alors manifesté par des tours
en flammes dans cette figure du dehors qu'est New York, ou par des bombes dans d'autres
capitales toujours "du dehors", Madrid, Londres, Bombay et les marchés d'Israël sans compter
les centres de tourisme du Sinaï. Cela paraît être une preuve de toute puissance, mais n'est-ce pas
en fin de compte un signe de force vitale qui s'épuise dans une grande lutte don quichotique,
gaspillage d’énergie dans la projection extérieure à la place de s’occuper du combat intérieur et
de finalement construire quelque chose au dedans ? La globalisation de la modernité occidentale
peut certes être soupçonnée de reposer aussi sur un délire de toute puissance. Mais ce qu'il y a de
sûr, c'est qu'elle met en échec celui de l'islam. À ce moment-là, la redescente de ce genre
d'illusion jusqu'à la réalité s'accompagne régulièrement de dépression. C'est comme si la folie des
grandeurs tirait ses dernières cartouches avant de s'évanouir. Certes, il s'agit d'une vision plutôt
optimiste et à long terme, mais après tout, l'Europe, chrétienne auparavant, a réussi à se libérer en
grande partie du carcan dogmatique d'une religion révélée, pourquoi pas les pays d'islam, quand
ils se souviendront qu'ils sont pays et communautés d’êtres humains d'abord – avant d’être
d’islam ?
Dans le classement des économies selon le produit intérieur brut (PIB), le pays à majorité
musulmane qui arrive en tête est la Turquie, avec 64 millions d'habitants ; il se situe à la 23e
place, entre l'Autriche et le Danemark, environ 5 millions d'habitants chacun. Vient ensuite
l'Indonésie, 212 millions d'habitants, à la 28e place, juste après la Norvège, 4, 5 millions
d'habitants, et avant l'Arabie Saoudite, 21 millions d'habitants. .Une faible productivité associée à
une démographie galopante sont les ingrédients d'une situation explosive caractérisée par une
masse croissante de jeunes hommes sans emploi, sans formation et rempli d'amertume. Le
rapport sur le développement humain dans le monde arabe rédigé par un comité d'intellectuels
arabes et publié en 2002 sous l'égide des Nations unies révèle, lui aussi, de graves disparités. « Le
83
monde arabe traduit environ 330 livres par an, le cinquième du nombre de livres traduits par la
Grèce. Le nombre total d'ouvrages traduits depuis l'époque du calife Mamoun , IXe siècle, est
d'environ 100,000, soit presque le nombre moyen de livres traduits en espagnol chaque année. »85
Ils serait injuste d’imputer tous les facteurs de retard dans le monde arabe, iranien, pakistanais ou
afghan à l’islam, mais il serait tout aussi injuste de prétendre qu’il n’a rien à voir avec. L’islam et
certainement la religion qui prétend le plus agir dans le monde, l’état et la politique, on a le droit
de passer un peu de temps à examiner quels en sont les résultats concrets. C’est en quelques sorte
prendre le discours religieux au mot. Ces données sur l’activité intellectuelle en pays d’islam à
travers les traductions, etc… sont aussi importantes à prendre en compte pour la compréhension
des problèmes et limitations psychologiques de l’islamisme radical ou modéré. On a le droit
d’espérer que l’internet intelligent, ou l’on ne se contente pas seulement de surfer sans but, mais
où on peut par exemple décharger de vrais livres, les lire à tête reposée et bien réfléchir dessus,
pourra aider à combler ce déséquilibre structurel. Ce processus entamé il y a des années semble
s’être accéléré avec la Révolution de printemps.
Comme cause secondaire du retard qu'a pris le Moyen-Orient sur l'Occident depuis le XVIe
siècle, on cite « l'épuisement des métaux précieux en Asie mineure, alors que l'Europe en
découvrait en grande quantité dans le Nouveau Monde; une trop grande consanguinité due à la
fréquence des mariages entre cousins, notamment dans les campagnes ; la déprédation des
chèvres, qui en dépouillant les arbres de leur écorce et en arrachant l'herbe avec ses racines, ont
transformé en désert des terres autrefois fertiles. Est également invoquée la désaffection pour les
véhicules à roues à l'époque prémoderne diversement présentée comme une cause ou comme un
symptôme de ce qui n'allait pas au Moyen-Orient. » 86
Le cercle vicieux de violence :
C'est à mon sens hautement symbolique que la ville de Ghazni en Afghanistan soit toujours
secouée par la violence; au moment où j’écris ces lignes, j’ai lu dans le journal qu’il s'agissait des
talibans qui relèvent la tête et attaquent les forces du gouvernement dans la région. Donc toujours
beaucoup de morts dans beaucoup de batailles, mais cette fois-ci entre musulmans. Il faut se
souvenir à ce propos que c'est de Ghazni qu'est parti Mahmoud pour effectuer la première
invasion islamique de l'Inde aux environ de l'an mille. Elle a été particulièrement destructrice car
il agissait non seulement de piller et de tuer un grand nombre de gens, mais aussi de détruire
autant que possible tout un système religieux avec ses temples, ses prêtres, etc. et d’imposer
l’idéologie islamique par tous les moyens.
Si l'on croit dans la loi des causes et des conséquences, toutes ces violences des générations
successives de l'islam ne peuvent rester sans conséquences. Un résultat facile à saisir
actuellement, c'est que le grand public du monde en général fait de plus en plus l'amalgame entre
l'islam extrémiste et modéré. C'est certainement injuste pour le second, mais ils devraient voir en
cela les conséquences de leurs violences passées et être capable d'en demander pardon
officiellement au nom de leur religion au reste de l'humanité. L’Eglise catholique de son côté à
fait des pas dans ce sens, même s’ils sont timides et dus surtout à la pression du public. Elle
commence à s’excuser pour le génocide des Indiens d’Amérique au XVIe et XVIIe siècle, qui
nous avons vu est a priori le plus grand de l’histoire de l’humanité avec 85 millions de disparus.
Cela mérite certainement plus qu’un texte d’excuse faisant un demi paragraphe perdu dans un
document papal d’intérêt moyen, mais disons que c’est un début, dont l’islam officiel ne semble
guère capable pour l’instant. Si les communautés musulmanes n'arrivent pas à faire des pas
sérieux dans ce sens, la seule porte de sortie qui leur restera sera probablement la fuite en avant
dans toujours plus de violence.
84
L'habitude de ne pas dire la vérité
Durant les quinze mois que j'ai passés comme thérapeute au Maghreb, j'ai travaillé en
consultation externe à l’hôpital où je voyais beaucoup de patients sans compter tous ceux que je
recevais directement aux urgences et dans le service d’hospitalisation. J'allais certains jours dans
des dispensaires de village. J'ai aussi fréquenté des familles amies, j'ai recueilli un certain nombre
de confidences et observé le fonctionnement psychologique des gens : une impression globale
que j'en ai retirée, c'est qu'il y avait un problème général dans la population avec le sens de vérité.
La dissimulation était de mise dans une société avec une organisation familiale patriarcale et un
système politique dictatorial, régi principalement comme le Pakistan, l’Iran ert au fond l’Egyopte,
par une mafia de l’armée. Cela peut être le cas d’autrs régimes totalitaires non musulmans.
Cependant, je n'ai pu m'empêcher de rapprocher cela du style de la religion pratiquée là-bas,
l'islam évidemment, qui insiste beaucoup plus sur l'affirmation, l’acte de foi pure et simple que
sur l’observation de son mental tel qu’il est. Cela peut avoir le bon effet d'une pensée positive, et
aider à dépasser certains problèmes intérieurs, mais si c'est une pratique unique et uniforme, à ce
moment-là on risque de déboucher sur un déséquilibre se traduisant par un déni de la réalité, qui
elle-même peut faire le lit d'une psychose si d'autres facteurs s'y ajoutent. Examinons quelques
autres effets négatifs de l'habitude de ne pas dire la vérité :
- La culpabilité, tout simplement parce qu'on a des choses à cacher. En général, celle-ci ne reste
pas latente, elle se transforme régulièrement en une agressivité importante. L'ego qui se sent
inférieur car il a des choses à se reprocher à tendance à s'affirmer de façon excessive par un
complexe de supériorité.
- Le problème spirituel : vérité et Réalité supérieure sont reliées, comment peut-on prétendre être
dans la Réalité et si l'on n'est pas capable d'être dans la vérité au quotidien ?
- Encouragements d'une ambiance de jihâd : en effet, on dit que dans la guerre, c'est la vérité qui
est la première victime. La guerre pourrait être considérée comme une régression à l'état de
clivage psychotique infantile avant 8 mois. Le monde devient coupé au couteau entre ceux qui
sont tout blancs ou tout noirs, et l'on a "carte blanche" pour annihiler et envoyer dans les ténèbres
ceux qui sont "tout noirs". Avec son ambition de conquérir le monde, l'islamisme a développé
une doctrine du jihâd permanent, nous le verrons dans le premier chapitre de la seconde partie.
Les accalmies sont en fait seulement temporaires, puisque le but est la conquête complète du
monde. Sur ce sujet là, on pourrait bien sûr désirer qu’il en soit autrement, mais il est souvent
risqué de prendre ses désirs pour des réalités, que l’on soit thérapeute, diplomate, commerçant,
croyant ou amoureux…. Ainsi, il est compréhensible que la vérité soit régulièrement la première
victime de ce processus de guerre.
Chaque société a ses fausses croyances et ses rumeurs, mais celles du monde islamique sont
particulièrement bizarres, tenaces et répandues. Par exemple, s'il y a des rumeurs non prouvées
selon lesquels on aurait "souillé" le Coran quelque part dans le monde, les mollahs se mettent à
exciter leur audience en général illettrée dans certains pays d’islam, celle-ci descend dans la rue
pur manifester et on se retrouve alors avec 10, 20, 50 morts. A quoi cela sert-il ? Bien sûr, les
mêmes mollahs diront que ce sont des martyrs : martyrs d'un Dieu unique, ou victimes humaines
naïves sacrifiées sur les autels de l'Idole d’un sectarisme jaloux ? De plus, la victimisation ainsi
que le fait d’attribuer tous les problèmes des pays musulmans à une Grande Conspiration
mondiale représentent des mécanismes projectifs utilisés tellement souvent qu’on peut
raisonnablement parler de délire. Tout ceci revient à une forme de mensonge auquel on finit par
croire.
85
Devant tout cela, nous sommes obligés de poser une question qui est simple : est-ce que
l'habitude de ne pas dire la vérité aux autres – et par contagion pas à soi-même non plus – ne
coupe-t-elle pas de la source vive de son énergie, menant ainsi à la dépression ?
La frustration politique
- Les inégalités de la globalisation : ce n'est pas le sujet direct de ce livre, mais il est sûr qu'elles
constituent une injustice post coloniale qui pose problème.
- La question du pétrole. Pour l'instant, nombre de pays arabes ainsi que l’Iran roulent sur l'or
noir, mais cela ne veut pas dire que l'avenir soit rose… D'après de grands spécialistes des
ressources pétrolières, le diagnostic est sévère : dans vingt-cinq ans, la plupart des réserve seront
pratiquement à sec, même si certains pays mieux lotis pourront prolonger leur manne noire
pendant quelques dizaines d’années de plus. Or, l'Iran a 80% de ses revenus d'exportations qui
proviennent du pétrole, l'Arabie a à peu près les même taux, et malgré cela ils ont beaucoup de
pauvres dans leur société : par exemple, leur taux est de 80% dans le cas de la République
islamique des ayatollahs. Ils sont pour l'instant les têtes de file de l'islamisme, mais dans un quart
de siècle, est-ce que ces têtes elles-mêmes ne seront pas décapitées économiquement? Qui fera
encore même semblant de les respecter quand ils n'auront plus de pétrole ? Les musulmans un
minimum perspicaces s'aperçoivent de cela, et cela n'est pas fait pour leur présenter l'avenir en
rose. On pourrait dire que la richesse pétrolière dans le Moyen-Orient, en particulier en Arabie
Saoudite et en Iran, agit comme un tranquillisant qui masque les symptômes de la maladie sans la
guérir, et en fait en la laissant s'aggraver. La prise de conscience douloureuse viendra peut-être
seulement dans une génération, quand les réserves commenceront à s'assécher sérieusement, mais
comme le mal se sera probablement aggravé, il sera plus difficile à soigner.
- Le manque d’eau deviendra un problème de plus en plus aigu avec l’augmentation importante
de la population dans des régions déjà semi-désertiques.
- La montée de l'Inde : elle est évidente, déjà du point de vue économique, et d'autant plus forte à
long terme qu'elle n'est pas fondée artificiellement sur la bulle pétrolière. Du point de vue
militaire, l'Inde a aussi la masse pour elle, et le Pakistan l'a expérimenté à ses dépens : malgré sa
propre militarisation importante (60% du budget est consacré à la défense) et ses chefs d'états
dictateurs militaires, il a perdu trois guerres contre elle depuis un demi-siècle, et la lutte pour la
conquête du Cachemire, malgré 15 ans de soutien au terrorisme et à la guerre civile par
l’intermédiaire des mouvements jihâdistes, n’a en pratique rien rapporté à part 60000 morts et
encore plus de paranoïa à l’intérieur même du Pakistan. On pourra lire à ce sujet le numéro
complet et récent de la Revue Inde.87 L'émergence politique et religieuse de l’Inde est aussi
incontestable, en 1995 a été élu au suffrage universel le premier gouvernement qui osait depuis
huit siècles se dire clairement hindou et sous la responsabilité duquel les musulmans ont pu vivre
à peu près aussi normalement que sous le Congrès, malgré quelques bavures.
C'est une pilule qui était difficile à avaler pour les pays musulmans, et même pour les pays
d'occident traditionnellement chrétiens donc monothéistes. Symboliquement, c'était la fin d'une
colonisation non seulement physique, mais des esprits. C'était le château de cartes de 3000 ans de
théologie – faudrait-il dire plus objectivement de propagande ? – monothéiste qui essayait de
faire croire que le polythéisme représentait le passé ténébreux de l'humanité, et qu’il n'était bon
qu'à disparaître dans les oubliettes de l'histoire. Ce passé s'appelle en arabe jahiliya, la période
soi-disant d'obscurité avant l'apparition de l'islam, le mot ressemble pour une oreille habituée à
l’arabe à jahar qui signifie poison, mais aussi à majahab qui veut dire religion : le polythéisme
correspond donc peut-être dans l'inconscient linguistique et poétique de l’arabe à une religion qui
86
représente une sorte de 'passé-poison'. Pourtant, l’Inde a visiblement un avenir dynamique et elle
va probablement peser beaucoup plus démographiquement, économiquement et sans doute
politiquement que le monde arabe d'ici quelques dizaines d'années, quand les ressources de
pétrole se seront taries : il est possible que le flux migratoire des travailleurs de base qui pour
l’instant va de l’Inde vers le Golfe s’inverse. Tout cela représente un vrai problème non
seulement psychologique, mais encore métaphysique pour le croyant sincère : le Prophète et le
Coran l'auraient-ils trompé en vouant les adorateurs d'idoles aux gémonies, une promesse qui est
de plus en plus démentie par la réalité? Il s'agit en fait de la désagrégation naturelle d'un délire de
toute puissance avec le temps, et ce genre de chute amène régulièrement dans l'autre extrême,
c'est-à-dire la dépression profonde.
- Pour les presque 500 millions de musulmans qui vivent dans le sous-continent indien, il ne faut
pas sous-estimer comme cause de dépression le traumatisme de la guerre d'indépendance du
Bangladesh en 1972. La Oumma presque purement musulmane du Pakistan uni d'après 1947
s'était quand même constituée en faisant un million et demi de morts et elle s'est fracturée
définitivement en en faisant deux ou trois de plus. Et pour ajouter à la dépression l'humiliation,
cela a été à une femme, et une hindoue qui plus est, Indirâ Gandhi, qu'est revenue la
responsabilité et finalement l'honneur d'arrêter le bain de sang des "héros de islam" qui s'entretuaient à n'en plus finir. Comment continuer à croire à la Oumma parfaite après cela ? Difficile
quand on a la tête sur les épaules, d'où le sentiment de dépression.
Une fois qu'on a accepté la tendance colonialiste de l'orientalisme du XIXe siècle qui s'est
continué au XXe siècle, allant dans le sens de la dépréciation, il n'en reste pas moins qu'entre
anciennes colonies, il y a des différences importantes. Le rapport du PNUD de 2002 les a bien
mis en évidence, bien que tous les points ne soient pas négatifs, en particulier en ce qui concerne
les pays du Golfe, comme l’ont indiqué aussi des rapports ultérieurs. Cependant, on peut se
demander par exemple pourquoi l'Inde lance régulièrement des satellites alors que les pays
musulmans qui pour un bon nombre bénéficient d'une rente pétrolière confortable, n'y arrivent
pas. On ne peut pas dire que c'est la faute de la colonisation, car celle de l'Inde a été plus
profonde et prolongée que celle de nombreux pays arabes. Ce n'est pas tomber dans le cliché que
se demander quelles peuvent être les causes de ces différences, et de faire rentrer dans les
explications possibles des éléments de culture et de religion. Je ne pense pas que la différence
d'attitude des colonialistes ait été un facteur important, car ils méprisaient tout autant les hindous
que les musulmans, ils avaient simplement plus peur des seconds que des premiers, à cause du
contentieux de conflit entre christianisme et islam.
L’archétype de la prosternation : effets thérapeutiques, effets secondaires
La question de ce lien doit être posée comme un des facteurs causaux possibles si nous
voulons aller aux racines de la 'dépression d’islam’. Il peut sembler déplacer d’oser critiquer ce
qui constitue la prière sincère de tant de gens depuis tant de siècles. Cependant, il n’est pas
interdit d’avoir certaines critiques aussi par exemple certaines postures de yoga qui peuvent avoir
des effets secondaires gênants. En médecine aussi, les médicaments actifs ont en général des
effets secondaires. Il est clair qu’il y a des effets positifs dans la prière musulmane, sinon les
fidèles ne la pratiqueraient pas depuis si longtemps. Cependant, cela n’empêche pas l’éventualité
de certains effets indésirables.
Du point de vue psychologique, il est clair qu’une posture pratiquée une série de fois à cinq
reprises par jour durant toute la vie d'un individu donné souvent depuis le jeune âge, et ce dans
une tradition cultuelle et culturelle datant de quatorze siècles, ne peut pas ne pas influencer
l'inconscient personnel et collectif, avec probablement des effets positifs, ‘thérapeutiques’, et
87
d’autres négatifs et secondaires, comme un médicament efficace qu’on prendrait à long terme. On
sait que l'islam - dont le nom signifie soumission - a fait de la prosternation à la fois le symbole et
la pratique concrète de sa voie religieuse. Les catholiques ont la position à genoux, les protestants
l'ont justement abandonnée car ils étaient en rébellion contre le pouvoir centralisé de l'Eglise de
Rome, ils ont préféré développer un capitalisme bien assis plutôt que de s'agenouiller devant une
autorité centrale leur vie durant… jusqu'à ce mort s'ensuive. L'hindouisme-bouddhisme, bien
qu'acceptant la prosternation et sa spiritualité comme signe de respect, conseille la posture de
lotus avec le dos bien droit quand on en vient à la pratique quotidienne. C'est l'archétype de ces
innombrables Bouddha, Shiva ou déesses en méditation.
De mon côté, durant le début de mon séjour en pays arabe, j'ai pratiqué la prière musulmane
pendant un certain temps pour voir par moi-même ce que cela faisait au corps et à l’esprit. Le
rappel cinq fois par jour à quelque chose qui est au-delà du quotidien a certes un effet positif. La
prosternation répétée apporte aussi une relaxation, elle procure un confort, une sécurité, comme
au fait la plupart des pratiques régulières qui font intervenir le corps, et dans les bons cas elle peut
diminuer l'ego. Cependant, il faut savoir qu'un exercice de prière répété, tout comme un
médicament, peut avoir des effets secondaires proportionnels à la durée de ‘prise’, c’est-à-dire de
pratique : dans le cas d’un traitement médicamenteux, le sujet moderne exige de les connaître
avant de même penser à s'en servir. Si le médecin ne veut pas en parler, il va vérifier sur
l’internet et trouve en général rapidement l’information.
Dans ce sens, la prosternation est aussi la posture de repli, de régression par excellence, celle
du bébé dans le sein de sa mère, de cet être qui possiblement aimerait bien ne pas naître. Il n'est
pas interdit de penser que, dans la chaleur du ‘cocon amniotique’ dans lequel il vit, il comprenne
le "naître" comme "n'être" c'est-à-dire un "non -être", une perspective d’anéantissement.
L'enroulement sur soi est un héritage évolutif ancien de défense contre le stress, le chien qui veut
dormir reprend cette position, et même le petit vermisseau qu'on touche du bout du doigt et qui
est terrorisé s'enroule immédiatement sur lui-même, sentant le danger s'approcher. L'évolution de
l'être humain lui-même a correspondu à un déroulement, un redressement progressif pour
acquérir la station debout actuelle. Il n'est donc pas interdit de considérer les prosternements
répétitifs comme régressifs, et donc de les rapprocher de cette forme de régression globale qu'un
écrivain comme Abdelwahab Medeb a qualifié de maladie de l'islam : il s’agit de l'intégrisme.
« Non », dira l'observateur superficiel, « la prière redonne de l'énergie, et ensuite le fidèle se
redresse et peut recommencer à vaquer à ses occupations professionnelles ou à exécuter ses
devoirs conjugaux, voire partira sur le champ de bataille pour défendre l’islam au péril de sa
vie ». Cependant, les effets à long terme de la prosternation ne se manifestent-ils pas à un niveau
plus large, dans l'incapacité statistiquement significative qu'ont les musulmans à remettre en
question ceux qu'ils pensent être " au-dessus" d'eux, Prophète, Ecritures sacrées, despotes soidisant de droit divin ? Ils ont du mal également à questionner cette dictature des mollah, cette
mollacratie affligée d'une ignorance navrante vis-à-vis de la modernité, mais qui envahit quand
même d'une façon quasi obsessionnelle tous les détails de leur vie quotidienne par la prolifération
des fatwas qu'il émettent à longueur d'année, et ce depuis quatorze siècles ? Est-ce que de plus, la
façon dont la majorité passive est facilement fascinée, hypnotisée par une minorité violente,
comme un mammifère herbivore devant un prédateur carnivore, n'est pas le signe d'une
inhibition psychomotrice dépressive ?
Voilà tout un ensemble de points à propos desquelles on peut soupçonner que la
prosternation crée une ambiance générale régressive, et c'est grave pour les possibilités
d’évolution positive des sociétés musulmanes. Une solution serait qu’ils ajoutent à la prière
d’autres exercices qui fassent fonctionner le corps différemment. Pour les musulmans
88
occidentaux, cela va venir assez rapidement à mon sens car il y a beaucoup de possibilités de
travail corporel qu’il soit sportif, thérapeutique ou plus en lien avec le spirituel, et les populations
d’origine musulmane seront influencées d’une façon ou d’une autre par cette atmosphère.
Il est bien possible qu’un des facteurs du soulèvement arabe de 2011 soit la baisse de la
pratique personnelle et collective de la prière : moins de prosternations, donc moins de
soumission à l’autorité et plus de pensée personnelle et indépendante. C’est une hypothèse, il
serait intéressé de l’explorer scientifiquement, ce ne serait pas si difficile. Evidemment, il ne
faudrait pas demander pour cette étude des financements à l’Arabie saoudite. De manière
générale, les évaluations se développent pour estimer l’efficacité des psychothérapies à vraiment
changer le psychisme humain, ce n’est qu’une question de temps pour qu’on évalue aussi
l’efficacité des religions pour apporter le bonheur sur terre. Les bouddhistes et le yoga ont déjà
commencé avec des études en particulier sur la méditation, le christianisme essaie de suivre
timidement et comme il peut, l’islam est en arrière dans ce mouvement. Au-delà des effets
physiologiques de relaxation, anti-stresss, etc, on pourra évaluer les effets réellement psychiques
à long terme, en utilisant des groupes de contrôle sans pratiques ou avec d’autres pratiques : estce que la personne devient réellement plus heureuse, elle que son entourage témoigne qu’elle
s’améliore, ou au contraire s’enfonce-t-elle dans une coupure dépressive d’avec l’extérieur, ou au
contraire dans une vision paranoïaque du monde ressenti comme possédé par Satan, et qu’il faut
aller sauver d’urgence ?
Le signe central de la dépression, c'est l'inhibition psychomotrice ; le coeur de l'intégrisme,
c'est le fixisme ritualiste et dogmatique à propos d'un fondateur, d'un livre, ou d'une pratique
ritualisée. L'analogie des comportements une fois de plus amène à considérer déjà le
fondamentalisme comme une dépression masquée, et de plus son immobilisme comme une
inhibition psychomotrice collective. En fait, un paranoïaque n’est accessible à la psychothérapie
que lorsqu’il est déprimé : de même qu’on dit dans les psaumes Initium sapientiae timor Domini
(le début de la sagesse, c’est la crainte de Dieu), on pourrait affirmer Initium sapientiae
depressio illusionis (le début de la sagesse, c’est la dépression après le délire. On pourrait faire
remarquer pour finir que ceux qui vivent dans la joie tout simplement ne peuvent pas être
intégristes. Il est probable qu'ils aimeront leur tradition mais ils ne chercheront pas à l'imposer
aux autres, car il s'agirait d'une déviation du comportement au fond trop triste...C’est au fond
enfantin d’avoir besoin de convertir le monde pour se rassurer soit même dans ses doutes et se
faire croire qu’on croit. Sachant de plus que le monde n’a pas envie d’être converti, sinon il
l’aurait déjà fait complètement depuis longtemps, cela amène à l’évidence à une situation de
conflit chronique avec lui. Ce conflit en soi devient alors une source indépendante de dépression.
Certains penseurs comme Benslama essaie de se dégager de l'interprétation automatique du
terme islam comme 'soumission,' sens qui est propagé par les imams et oulémas en tout genre,
pour des raisons intéressées évidentes. On pourrait faire remarquer à ce propos que la
désobéissance civile est une stratégie important de la non-violence ; Muller dans son Dictionnaire
de la non-violence l’explique ainsi :
« L'histoire nous apprend que la démocratie est beaucoup plus souvent menacée par
l'obéissance aveugle des citoyens que par la désobéissance. En réalité, l'obéissance
passive des citoyens fera l'affaire des régimes arbitraires et totalitaires ; dès lors, leur
désobéissance peut servir de fondement à la résistance à ces mêmes régimes. La
désobéissance civile apparaît nécessaire, elle est comme la respiration de la démocratie.
Loin d'affaiblir la démocratie, elle la protège et la renforce. Il faut beaucoup de
désobéissants pour faire un peuple libre. »88
89
Dîn, ou la religion comme dette.
Le terme dîn est traduit par religion, mais signifie au départ dette. Des mots de la même racine
peuvent signifier le juge, en tant qu' "endetteur" ou la maladie en tant que dette à payer. Il est
certes vrai que la notion de dette est reliée à la religion en dehors de l'islam. Par exemple, dans
le monde chrétien, créance et croyance sont de la même racine, et les systèmes explicatifs de
l'hindouisme et du bouddhisme sont basés sur la notion de dette karmique. Cependant, dans la
religion de Mahomet, ce sentiment de religion comme dette a engendré un sentiment de
redevance insinuant, diffus, obscur, non comptabilisé par les humains et qui donc ne sera jamais
vraiment remboursable. D'où une culpabilité non moins diffuse qui entraîne à son tour soit
dépression, soit paranoïa soit une alternance des deux. Ce n'est pas neutre du point de vue
psychologique que la cité archétypale de l'islam, Médine, ma-dîna, porte en son nom même la
notion de dîn, de religion en tant que dette, le sens dérivé de ville venant sans doute du fait que la
vie citadine comme religieuse est basée sur les échanges sociaux et économiques et donc la
possibilité de dette. Une redevance envers quelqu'un d'invisible que personne n'a vu, dont on ne
sait pas de combien elle est, qui peut vous être demandée n'importe où et n'importe quand, et à
rembourser instantanément sous peine du châtiment suprême, voilà qui n'est pas vraiment
rassurant, et même plutôt déprimant. C’est peut-être cette anxiété de base irraisonnée face à la
dette qui a poussé l’islam à se priver d’un moteur du développement économique, c’est-à-dire le
prêt avec intérêt.
Réflexions sur le conflit chronique entre christianisme et islam.
Les musulmans ont souvent tendance à attribuer l'origine de leurs malheurs à la fitna, la
fracture entre sunnites et chiites. Il s’agit dans les milieux pieux de « l’explication-valise » de
tous les maux de l’islam. Cependant, si on élargit la perspective, il existe aussi une autre fitna
bien plus vaste, et plus « fracturée » encore, celle entre le christianisme et l'islam. Si les choses
s'étaient passées « normalement » pensent la plupart les musulmans dans leur optique de dévotion
simple, les chrétiens auraient dû se convertir en masse dès le début en se soumettant à la
suprématie essentielle de la Révélation de Mohamed, « puisque » c'était la dernière. Cette
fracture chronique a rendu le monothéisme comme le roi Méhaigné, ce souverain qui était mutilé
dans le Roman de la table ronde. Sa malédiction consistait dan le fait que sa jambe continuerait à
saigner et suppurer tant que personne ne pourrait reconstituer l'épée Excalibur qui était cassée en
deux. Il en va de même pour le monothéisme avec ses deux grands morceaux, islam et
christianisme. Le dernier conflit avec les guerres d’Irak et d’Afghaniostan a coûté jusqu’ici 5
trillions de dollars environ. Il y a de quoi saigner des économies à blanc. En fait, à deux reprises,
au VIIIe-IXe siècle et au XVIe-XVIIe siècle, surtout au premier siège de Vienne, l'islam aurait pu
remporter la victoire militaire, fata, sur son frère ennemi le christianisme ; ainsi, entre fata,
l'espoir de victoire absolue et fitna, le souvenir de la fracture essentielle, on a tout le trouble de
l'humeur, l'oscillation maniaco-dépressive, la bipolarité de l'islam.
Cette sorte de variation de l'humeur à l'échelle de l'histoire voile la perception claire que peut
avoir l'islam de sa réalité. Il ne faut certes pas faire du choc des civilisations une fatalité, mais il y
a eu de fortes frictions qui on fait plusieurs dizaines de millions de morts – au fond complètement
inutiles. Rien qu'au XXe siècle, une période pour laquelle nous avons des chiffres précis, on
arrive à 7 millions de morts uniquement du coté chrétien dans le conflit avec les musulmans, nous
90
donnerons le décompte plus exact dans la suite du texte. La religion souvent n'était pas la cause
première de la guerre, mais elle a été régulièrement un facteur aggravant, lui donnant à la fois une
justification facile et un caractère d’absolu. On comprendra mieux le conflit si on ajoute à cela le
fait que du point de vue de la tolérance aux autres idées religieuses, une valeur certaine de
maturité psychospirituelle, on peut dire que le christianisme et l'islam ont été dans la famille des
religions comme les enfants handicapés, et ce malgré leur puissance quantitative.
Il n'est pas facile d'estimer le nombre de morts qu'ont fait réellement le christianisme et
l'islam dans leur obsession d'expansion et d'emprise sur le pouvoir. Même dans son ouvrage
entièrement consacré aux religions et à la guerre, l’historien Pierre Crépon ne se risque pas à
donner de chiffres.89 En effet, il est difficile d’avoir des chiffres précis avant le XVIe siècle, et
même à l’époque moderne, le nombre par exemple de personnes tuées par Staline oscille entre 30
millions, et 80 ou 90 d’après Soljenitsyne et un institut démographique de Saint-Petersbourg. De
plus, il y a eu des gens massacrés directement au nom de la foi, mais il faut aussi ajouter à cela
toutes sortes de morts indirectes par ces innombrables conflits où le monothéisme, sans être le
seul acteur, a joué le rôle d'huile sur le feu. Il a absolutisé des tensions qui sans lui auraient pu se
résoudre assez naturellement avec un peu de bon sens. On peut voir cette différence par exemple
entre les guerres de Religions et la guerre de Trente ans qui s’est déroulée moins d’un siècle plus
tard sur le territoire d’Allemagne et d’Alsace, les deux ayant été fort meurtrières. La Guerre de
trente Ans a fait périr environ un tiers la population de l’Allemagne, et a fait disparaître
pratiquement entièrement celle de l’Alsace. Il s’agissait d’une lutte acharnée entre princes
protestants et catholiques, et il ne serait pas faux de la qualifier de seconde Guerre de religion.
Nous avons vu que les invasions des conquistadors en Amérique centrale et latine ont
provoqué entre environ 80 et 90 millions de morts directes ou indirectes90. Le fait que les morts
n’étaient pas entièrement intentionnelles – les esclaves indiens mourraient comme des mouches
des conditions de détention et des mauvais traitements – n’élimine pas la responsabilité. Dans les
camps de concentration nazis aussi, beaucoup de prisonniers sont simplement morts des
mauvaises conditions de vie. Le manque de nourriture et de sommeil baisse l’immunité et
fragilise devant les épidémies. Combien de morts on réellement fait les invasions des musulmans
en Inde - depuis Mahmoud de Ghazni en l'an 1000 jusqu’à la victoire de Babar à Panipat en 1525
– l’estimation est difficile mais certains historiens pensent entre environ 80 et 90 millions91, et
qu'on rajoute les nombreux autres conflits, on peut estimer très approximativement à plus de cent
millions de morts le nombre de victimes de violence directes ou indirectes pour chacune des deux
religions. Ce serait la responsabilité professionnelle des historiens de pouvoir fournir au grand
public sur cette question importante des chiffres aussi précis que possible. J’ai posé cette question
à une docteur et agrégée d’histoire spécialiste du christianisme et avec de hautes responsabilités
dans l’enseignement public, mais elle a été incapable de me répondre même approximativement.
Pourtant, des religions conquérantes et prosélytes comme le christianisme et l’islam ne sont pas
des anges désincarnés, on sait qu’elles ont fait nombre de morts, et l’honnête homme du XXIe
sicle aimerait avoir une idée plus précise de ce qu’on pourrait appeler de façon symbolique la
Facture.
Négationnisme et choc des civilisations
Si l'on voit tout cela du point de vue de l'incroyant qui observe le marché religieux, ces
chiffres de morts sont très élevés pour finalement seulement établir le monopole d’un messie ou
prophète unique. On peut discuter les chiffres, mais les dénier ou vouloir les passer complètement
sous silence reviendrait à du révisionnisme comme pour l'Holocauste dénié par les islamistes et
91
Ahmadinejad, ou le génocide arménien récusé par les Turcs. Du point de vue
psychopathologique, cela revient à un déni psychotique de réalité.
Certes, on pourrait objecter que s'il n'y avait pas eu ces impérialismes chrétiens ou musulmans,
il y en aurait eu d'autres peut-être plus meurtriers. Cependant, l'exemple de l'Inde classique est là
pour montrer qu'une société peut exister sans rajouter sur le feu des conflits d'intérêts habituels,
l'huile des passions religieuses. Les invasions des musulmans, puis des chrétiens sont venues
perturber cet équilibre, mais ce qu'il y a de sûr historiquement, c'est que ni les hindous ni les
bouddhistes ne les ont invitées. Il s’agissait donc d’agressions pures et simples.
On doit certainement voir plus loin que le slogan habituel de guerre globale contre le
terrorisme. Olivier Roy, qui est spécialiste de la géostratégie du Moyen-Orient, explique : « La
vision d'un monde musulman en guerre contre l'Occident est un fantasme. Ce ‘monde
musulman’ n'existe pas. La plupart des conflits qui touchent le Moyen-Orient opposent les
musulmans entre eux. Les régimes en place se définissent majoritairement comme des alliés de
l'Occident. Ce qui explique d'ailleurs pourquoi l'Iran du président Ahmedinejad se cherche des
alliés du côté des populistes d'Amérique latine, plutôt que parmi ses voisins. L'islamisation ne
devient un facteur stratégique que lorsqu'elle recoupe une autre détermination, en général
nationaliste (comme avec le Hamas ou l'Iran), ethnique ou tribale (les talibans s'inscrivant sur ses
trois niveaux) ».92
Certes, la guerre Occident-islam est un fantasme pour un sociologue comme Olivier Roy qui
compte les chiffres de morts et examine par qui ils ont été tués, mais dans l’imaginaire de
beaucoup d'Occidentaux et la majorités des musulmans du Moyen-Orient, ce fantasme est très
puissant, depuis les islamistes et leurs sympathisants jusqu'aux gouvernement qui l'exploitent par
populisme et nationalisme. La paranoïa étant extensive, on peut se battre à la fois avec son voisin
de rue, le pays de l'autre côté de la frontière et un ennemi lointain comme les États-Unis,
incarnation actuelle majeure de l'Occident. Il y a dans tout cela certes une bonne partie de
fantasme et de délire, mais celui-ci a malheureusement aussi une capacité auto réalisatrice. Par
ailleurs, une idéologie comme l'islamisme qui rajoute de l'huile sur le feu pratiquement partout où
il y a conflit peut raisonnablement être diagnostiquée comme une paranoïa. Qu'on soit d'accord
ou non avec ce qualificatif, on acceptera de toutes façons que cette tendance à exacerber les
conflits ne travaille pas pour le bien l'humanité.
Du point de vue de la psychologie moderne, le « choc des civilisations » représente plutôt un
« choc des mégalomanies dévotionnelles » en particulier entre le christianisme et l’islam. Les
chrétiens américains par exemple ont voulu s’offrir le ‘luxe’ de supprimer deux messies de
l’islam de leur époque, Saddam Hussein et Osama Ben Laden. Ils y ont certes réussi finalement,
mais la facture de ce ‘luxe’ est évaluée à 5 trillards de dollars. Cela revient cher pour contrôler
une genre de messianisme, et rêver de le remplacer si possible à long terme par un autre type de
messianisme, celui des missionnaires évangélistes par exemple. Cette petite voix intérieure qui
pousse à convertir, ce type particulier de démangeaison a amené les fidèles monothéistes
chrétiens et musulmans à jouer toutes sortes de mauvais tours aux sociétés humaines. Elle a fait
perdre aux zélotes du Dieu unique un sens précieux de l’objectivité, celui-là même qui permet de
respecter la diversité du pluralisme. En oubliant cette réalité des faits, ils sont devenus non
seulement trouble-fêtes, mais aussi trouble-faits…
Quelques réflexions maintenant qui sont reliées à la question de l’islamisme radical :
- On peut dire que sauf en Irlande, tous les conflits actuels où la religion est engagée impliquent
les musulmans. De plus, il y a de nombreux conflits entre des musulmans fondamentalistes
révolutionnaires contre leurs coreligionnaires modérés.
- Le jihadisme, surtout celui qui est déterritorialisé, correspond à un millénarisme révolutionnaire.
92
Il faut voir clairement que la notion de millénarisme est typiquement biblique et monothéiste, en
Inde par exemple le dernier avatar Kalki ou le Bouddha de la fin des temps Maitreyi n'a guère
d'importance pratique dans ces religions. Ils n'ont jamais donné lieu, à ma connaissance, à des
sectes violentes de type apocalyptiques.
- On peut poser cette question simple mais dérangeante : si le terrorisme a été la conséquence du
colonialisme plutôt que de l'islam, comment se fait-il qu'il soit pratiquement inexistant dans les
anciennes colonies non musulmanes ?
Si l'on est sérieux dans le fait de vouloir sortir du conflit christianisme-islam, ou au moins en
obtenir une atténuation, il faut le voir en face en en comprenant les causes religieuses et
culturelles. Ce n'est pas de la bonne politique, et surtout pas de la bonne psychologie de dénier
platement le problème, pour se réfugier par exemple dans l'image au trois-quarts mythique du
paradis andalou où les monothéistes aurait pu coexister harmonieusement et sur pied d'égalité
pendant quelques dizaines d'années. Certes, les mythes ont une utilité, mais l'être humain adulte
doit apprendre à voir le fond des problèmes en face, il n'y aura qu'à ce prix qu'il aura une chance
de les résoudre et de se développer. L'histoire refoulée, non résolue, à une forte tendance à se
répéter, tout comme les émotions dans l'évolution du psychisme individuel.
Un aspect du conflit chrétien-musulman est probablement plus psychologique qu’on ne croit.
Derrière les tergiversations de la gauche, même chrétienne, en face de dictatures comme celles de
Saddam Hussein et maintenant devant les risques de bombe iranienne, on peut sans doute
discerner un complexe de culpabilité qui joue un rôle beaucoup plus important qu'on ne le pense,
surtout qu'il reste subconscient et n'est pas explicité en tant que tel: " Notre Occident est
décadent, dans le péché, nous avons besoin d'un homme fort envoyé par le Tout-puissant pour
nous infliger le châtiment apocalyptique que nous méritons ». Vouloir corriger la décadence est
une bonne idée, appeler pour cela de ses voeux subconscients un châtiment apocalyptique, c'est
non seulement stupide, mais dangereux. Il se pourrait en effet qu'il s'agisse d'une prophétie auto
réalisatrice.
La question de l’élection divine
Parlant du poids respectif des religions, beaucoup de gens n’y réfléchissent pas, mais il est
quand même pour le moins paradoxal de ranger comment le fait d'habitude dasn les
classifications occidentales les 12 ou 13 millions de juifs ethniques, dont beaucoup ne pratiquent
même pas, sous le terme de « grande religion ». Par exemple, dans la mosaïque des formes de
culte qui constituent le paysage religieux de l'Inde, un groupe de cette taille serait considéré
comme une secte mineure, et la liste des sous-groupes de l’hindouisme qui sont plus nombreux
que le judaïsme est longue. On sait bien que l'importance du judaïsme vient qu'il a fondé le
monothéisme, mais c'est justement pour cela qu'il est intéressant de remarquer la hiérarchisation
des choses dans les conceptions générales à propos de la religion d'Occident.
Il est important de noter que dans l'histoire, les musulmans parlaient de leur lutte avec le
christianisme ou l'hindouisme, ou encore le bouddhisme comme celle de l'islam contre les
Infidèles, en les considérant comme une sorte de masse unique en quelque sorte amorphe et
indivise. Le jihâdisme est issu directement de cette tradition, sauf qu'il n'a plus confiance dans les
gouvernements organisés pour mener la guerre et il en donne donc la responsabilité à chaque
musulman individuellement. Religieusement, on est dans le registre d'une élection divine à la fois
quasi prophétique et en fait dangereusement facile, psychiatriquement, dans celui d'un désirdélire de toute-puissance. Du point de vue historique, il s'agit d'une régression, d'un retour au
départ, une rechute dans la pathologie de la guerre sainte dans toute sa stupidité et dans toute sa
laideur. Comme le dit un chrétien spécialiste de l’islam : «Ancrées dans leurs religions
93
respectives, la chrétienté et l'islam entrèrent en conflit non pas à cause de leurs différences, mais
à cause de leur ressemblance. »93 Voilà qui est sévère pour les deux confessions à la fois. Cela
veut sans doute dire que l'attitude la plus sage de nos jours est certainement de les renvoyer dos à
dos en leur demandant simplement de s'apaiser.
On parle souvent pour ou contre le choc des civilisations; j’ai déjà mentionné que du point de
vue de la psychologie, il faudrait mieux parler de choc des mégalomanies, et à minima de
complexes de supériorité. Cependant, à l'époque moderne, ces complexe ne se sont pas exprimé
de la même façon des deux côtés : le côté chrétien à été conquérant, actif, voulait connaître,
pénétrer, certes pour pouvoir mieux occuper et dominer. Le complexe de supériorité musulman
s'est plutôt manifesté à l'inverse, par une attitude de repli, voire un mépris souverain pour
comprendre et apprendre à connaître cet Occident qui malgré tout, lui posait des problèmes. Il y a
eu une tendance à se réfugier dans un passé glorieux et dans le sentiment religieux par
compensation aux problèmes présents. À part les efforts de modernisation de l'armée, qui, elle, a
été effectuée tôt par les Turcs pour des raisons évidentes d'efficacité militaire, les aspects
importants de la modernité ne sont pénétrés que très lentement dans le monde musulman. Ce n'est
par exemple que trois siècles après la découverte de l'imprimerie par Gütenberg qu'elle a
commencé à fonctionner réellement à Istanbul et dans l'empire ottoman, à la fin du XVIIIe siècle.
On peut se demander sérieusement si l'idée monothéiste ne revient pas dès le départ à une
rupture du dialogue inter religieux : en effet, si les dieux des autres n’existent pas et ne sont que
des hallucinations, quel échange peut-il exister ? Nous avons déjà cité le bon sens de Gandhi qui
demandait : « Comment peut-il y avoir un dialogue avec des gens qui sont sûrs d’avoir la
Vérité ?» Le monothéisme ne se met-il pas dans la position d'un psychiatre ou psychanalyste
compatissant qui voudrait guérir le monde entier d'un délire, sans s'apercevoir que lui-même a
sans doute aussi ses propres hallucinations ? Cela se double d'un rôle plutôt dangereux de pseudo
policier de la planète, qui s'attribue à lui-même le rôle de mettre un ‘ordre divin’ au milieu des
‘armées de démons’. L’idée d’élection divine qu’a mis en avant Israël et qu’ont repris à leur
compte les américains et le néo-conservatisme aux Etas-Unis peut-être consolante au niveau local
et psychologique, mais elle est dangereuse quand appliquée à la politique en particulier
internationale. On pourra se reporter à ce propos au nouveau livre de Todd et Lebovicz Elected
Nations.94
Si on tient compte de la réalité sociologique selon laquelle il n'y a plus qu’entre 2 et 4 % de la
population générale en Europe qui aille à la messe régulièrement, et parmi les musulmans entre
15 et 20 % qui pratiquent régulièrement à la mosquée, il serait urgent d'ouvrir, en parallèle du
dialogue inter religieux classique, un autre dialogue, cette fois-ci inter non religieux. Il
permettrait à tous ceux qui ont dépassé les formes religieuses de leur éducation d'origine, ou qui
n'en ont jamais eu mais qui appartiennent à des pays d'origine soient chrétiens soient musulmans
de se rencontrer et de dialoguer sur ces questions. Cela favoriserait sans doute plus l’intégration
mutuelle que des rencontres par des pratiquants qui sont eux de toute façon limités non seulement
par leur nombre décroissant, mais aussi par leur dépendance envers les dogmes.
Les chrétiens se réjouissent que le Christ soit "vraiment" ressuscité d'entre les morts, les
musulmans à l'idée que le Prophète soit "vraiment" monté au septième ciel sur la jument Boqar,
mais au fond, n'auraient-ils pas mieux fait de demeurer au niveau des enseignements spirituels
ordinaires, sans ces miracles voyants et exclusifs poussant automatiquement leurs zélateurs à la
fièvre du prosélytisme ? S’ils avaient eu cette sagesse, des dizaines de millions de vies humaines
dans chaque cas auraient probablement pu être épargnées, et cela aurait été le plus utile des
miracles. Avant de prétendre ressusciter une personne aussi sympathique soit elle, il est plus
avisé de s’assurer de ne pas en faire périr des dizaines de millions, c’est la où Dieu s’il existe a
94
fait une grosse erreur de calcul. Je sais bien que les dévots diront comme d’habitude que tout cela
n'est pas la faute de leurs fondateurs, mais de ceux qui les ont suivis ; mais si les premiers étaient
omniscients comme leurs fidèles le soutiennent, pourquoi n'ont-ils pas vu venir le problème et ne
se sont-ils pas prudemment abstenus de répandre des enseignement qui allaient avoir des
conséquences si meurtrières? Est-ce que cela aurait été parce qu’ils avaient le désir secret qu'on
parle d'eux à tout prix? Mais à ce moment-là, méritent-ils même le nom d'enseignants spirituels?
Toutes ces questions simples font partie de celles que la psychologie moderne avec son sens
pratique pose au christianisme et à l’islam.
Il y a eu récemment un effort notable pour comprendre de façon documentée les relations
de l’islam et de la France par le gros ouvrage collectif dirigé par Mohamed Arkoun, Histoire de
l’islam et des musulmans en France Albin Michel 2007.
En Afrique, le fait est qu'il y a maintenant plus de 40 % de musulmans ainsi que plus de 40 %
de chrétiens : ainsi, la population est comme dans deux tranchées face à face, chacun est en
quelque sorte marqué au front du signe d'un des deux groupes qui ont régulièrement été en
conflit, et on se demande quand viendra l'étincelle qui fera exploser la prochaine guerre sainte.
Celle-ci transformera-t-elle une nouvelle région d'Afrique, voire le continent tout entier, en un
autre Liban ou une autre Bosnie ? Il est possible que cette étincelle soit simplement l'accès de
mégalomanie d'un dictateur local, comme il n'en manque pas dans le continent. Si ce scénario se
déroule pour de bon, l'Afrique estimera certainement que sa grande erreur de XXe siècle aura été
de s'être laissée convertir aux religions du Livre : en fait, les habitants du Rwanda capables de
réfléchir en profondeur doivent déjà se poser cette question en ce moment.
La conversion des deux ethnies en conflit à une seule et même religion, le catholicisme pour
75%, le protestantisme pour 20%, semble bien n'avoir rien fait pour empêcher l'explosion de la
guerre civile. Dans l'enchaînement du génocide rwandais, on peut dire que la conversion au
christianisme a été le premier stade, situé au niveau culturel, de l'autodestruction de la société
traditionnelle, puis la guerre le second, au niveau physique. Le paradoxe du Rwanda, c'est que si
ses populations étaient restées ‘sauvages’ et ne s'étaient pas converties, leur comportement aurait
probablement été beaucoup plus civilisé. À cause du changement de religion, les anciens qui
auraient pu apporter une modération concrète et un réalisme humain à la nouvelle génération, ont
été rejetés et méprisés par les jeunes : en effet, les missionnaires leur avaient mis dans la tête
qu'il ne fallait plus les écouter car ils n'étaient que des adorateurs des faux dieux. Ainsi, les
choses ont été à vau-l'eau, dans le sens de la plus grande facilité, c'est-à-dire de la violence. Le
même schéma de base se répète, cette fois-ci avec l'islam, au Nigeria et au Soudan, avec dans ce
dernier pays peut-être un million de morts dans une guerre civile avec un pouvoir central
islamique et financé en grande partie par les Saoudiens. On peut rajouter à une liste déjà longue
maintenant la Somalie qui est à moitié aux mains des islamiste et que Ben Laden de son vivant
estime être une grande victoire du jihâd sur les Etats-Unis.
Pour résumer tout cela, il semble approprié d'établir une distinction d’histoire des religions
qu'un enfant même pourrait comprendre : elle pourrait s’appliquer entre les religions anormales,
qui utilisent la violence physique, économique et psychologique pour assurer leur expansion ainsi
que pour s'imposer là où elles n'ont pas été invitées, et celles normales, qui ne cherchent pas à se
répandre par la force ou par toutes sortes de stratégies beaucoup plus dignes du marketing que de
mouvements spirituels. Les premières méritent d'être mises en quarantaine par une humanité
évoluée, et d'être vigoureusement critiquées, voire déboulonnées dans leurs fondations
théologiques et scripturaires. Dans ce sens, nous pourrions dire que l'intégrisme est comme un
cancer dans le corps des religions, il devrait être normalement éliminé par ce système
immunitaire qui s'appelle ' raison'. Par quel virus d’immunodéficience acquise – sous forme de
95
versets d'écriture ou de raisonnements théologiques incitant à la violence – ce système
raisonnable peut-il être perverti pour laisser se développer la tumeur fondamentaliste ? Voilà un
sujet essentiel d'étude pour un chercheur en 'médecine des religions'.
La plupart des saints de l'Inde ont pratiqué le culte des "idoles", ou au moins avait un grand
respect pour elles. Les bouddhistes, bien que prônant le détachement intérieur jusqu'à abandonner
l'idée même du dieu personnel, n'étaient pas contre le respect et un certain culte des statues du
Bouddha, les historiens disent même qu'ils ont élaboré des statues avant même les hindous, dans
le but d'honorer leur fondateur. Disons-le donc simplement : le fait que l'abandon des
représentations divines soit un signe de progrès spirituel et historique automatique n'est qu'un
préjugé naïf des monothéistes eux-mêmes, une autosuggestion rassurante pour eux et eux seuls et
à laquelle ils ont fini par croire. Il faut garder présent à l'esprit que les théologies de ces systèmes
de croyances consistent principalement à les mettre au pinacle a priori, cela s’appelle l’acte de
foi, et ensuite à essayer de les justifier du mieux qu’on peut. Si nous en venons à l'époque actuelle
et que nous comparons des populations de niveau économique à peu près équivalent, qu'est-ce
qui permet de dire que les catholiques d'Amérique du sud, les arabes de l'Afrique du nord sont
meilleurs économiquement, socialement, ou spirituellement que les hindous d’Inde ou des EtatsUnis, ou les bouddhistes de Thaïlande ou du Japon? Rien. Avec cette simple constatation
s'évanouit comme par magie l'argument quasiment central de trois millénaires de théologie peut-être faudrait-il parler de publicité - monothéiste, selon laquelle l'adoption d'un dieu unique
aurait été le nec plus ultra du progrès de civilisation. En ce début de XXIe siècle, il n'y a pas lieu
de regretter ce refrain missionnaire usé jusqu’à la corde. Requiescat in pace.
On parle beaucoup de troisièmes voies en économie ou en politique. Dans le domaine des
religions, on constate quatorze siècles de conflits entre christianisme et islam qui ne donnent
aucun signe de diminuer. De plus, le judaïsme et Israël semblent servir en ce moment de
détonateur entre les deux 'barils de poudre'. Au vu de tout cela, la troisième voie en religion ne
serait-elle pas quelque part du côté de l'ensemble hindouisme-bouddhisme ?
Une justification apparente pour la violence du christianisme et de l'islam, c'est pour les
fidèles de se dire : "Nous ne faisons que nous défendre de l'agression de l'autre sinon nous allons
nous faire détruire par lui." Ils ne s’aperçoivent pas qu'ils sont pris dans un cercle vicieux sans
fin, comme si cette violence même était un objet entre deux miroirs qui se reflètent à l'infini. D'où
l'importance d’une tierce personne, par exemple de la voix de l'hindouisme-bouddhisme avec sa
masse de plus d’un milliard et demi d’habitants, pour les inciter fermement à sortir de ce cercle,
autant que faire se peut.
On pourrait dire que le Dieu supposé unique des monothéistes ressemble en quelques sorte
aux biens matériels dans les relations de ménage : quand on s'entend bien, on veut tout mettre
ensemble, mais lorsqu'on se dispute, on veut tout séparer, voir tout garder pour soi si l'on est un
égoïste. De même, on parle de Dieu unique entre les trois monothéismes quand il s'agit
d'améliorer les relations oecuméniques, mais quand un vrai conflit ou une véritable concurrence
émergent, comme par exemple le partage d'un lieu de culte entre musulmans et chrétiens ou sa
vente, on se met à dire ou à penser : « Mais tout de même nous n'avons pas le même Dieu! »
Après le massacre de 3500 de ses propres fidèles au pied du Sinaï, Moïse a réédité son
exploit, cette fois-ci avec 13500 des leurs, donc 17000 sacrifices humains offerts au Dieu unique
tout récemment inventé. Le livre de l’Exode donne les détails et les chiffres avec une satisfaction
non déguisée. Dans ce sens, Moïse représente selon les critères de l’éthique moderne un vrai
dictateur, et on sait que notre époque n’est plus trop en faveur des tyrans. C’est pour cela qu’il est
aussi probable à long terme que la modernité laisse tomber cette dictature métaphysique et
souvent politico-sociale du monothéisme. Il aura fallu deux siècles après la Révolution française
96
pour que le christianisme européen se désagrège, mais c’et maintenant chose pratiquement faite
quand on regarde par exemple les chiffres de pratiques régulière qui représente le vrai baromètre
d’une religion. Les Etats-unis et les pays d’islam suivront probablement à leur rythme. Il est bien
possible que celui-ci soit plus rapide que celui de l’Europe, car nous somme à une époque où tout
s’accélère. L’intégrisme pourra certes toujours avoir des succès tactiques, mais plus stratégiques.
Les pensées totalitaires, politiques ou religieuse, supportent mal la liberté de l’information, est
celle-ci est un acquis de notre modernité, au-delà de manipulations certaines. Le processus
d’érosion est donc activement en cours, puisque ceux dont le sens critique s’éveille peuvent
trouver maintenant de vrais arguments et sources d’information pour l’étayer.
Pendant deux siècles après la Révolution, le christianisme a fait contre mauvaise fortune bon
cœur et a fait semblant de se démocratiser et « républicaniser », mais cela a finalement mené à
son effritement. La raison essentielle en terme simples : sa conception totalitaire n’était au fond
pas compatible avec la liberté de pensée. Bien sûr, les monothéistes feront toute une gymnastique
intellectuelle pour essayer de démontrer le contraire, ou de prouver que le cas de l’islam va être
différent mais les faits sont là, et leur interprétation n’est pas si compliquée.
Depuis ce massacre, au nom du Dieu unique, de 3500 juifs pour des questions de liturgie, le
monothéisme est devenu professionnel dans son habileté à projeter la responsabilité de sa propre
violence sur l’autre, en l’occurrence ici l’adorateur d’idoles. Il y a cependant un hic : cette
paranoïa fonctionne aussi à plein entre les sous-groupes du monothéisme lui-même, et cela nous
amène directement aux risques actuels de guerre sainte nucléaire au Moyen-orient. Comprendre
comment on en et arrivé à cette situation profondément absurde est un des fils rouges de cet
ouvrage, et on n’a pas trop de l’histoire et de la psychiatrie pour exhumer les pourquois profonds
de la chose. Il se peut bien que la graine de l’exclusivisme monothéiste porte prochainement son
fruit le plus vénéneux, après plus de 25 siècles d’efforts de progression et de maturation. La vraie
solution semble bien celle de l’Europe : la population comme nous l’avons déjà dit a
pratiquement complètement abandonné la pratique chrétienne et monothéiste, et cela lui laisse la
place pour s’occuper des vrais problèmes, ils sont nombreux, et cesser de se battre pour de faux
problèmes, par exemple afin de savoir qui est le peuple élu.
Obsession et perversion
Dans différentes traditions spirituelles, il est recommandé de réciter constamment le nom de
Dieu, celui-ci doit devenir comme une obsession. Mais est-ce la même chose que l'obsession
pathologique? La religion elle-même entraîne-t-elle des effets secondaires obsessionnels ?
Il faut souligner l'élément de perversion psychologique dans l'attitude du croyant même
simplement conservateur, sans être fondamentaliste, quand est mis devant les massacres qu’a
provoqué sa propre religion : "C'était juste un excès d'amour des fidèles de cette époque envers
leur Dieu unique et leur fondateur. Ils avaient tant de foi, de zèle, de pureté dans leur désir de
mourir pour Dieu! Comment pourrait-on le leur reprocher? Et pour compléter le côté
manipulatoire de leur argument, ils pourront ajouter avec un sourire sardonique : "Tout le monde
n'a-t-il pas péché un jour ou l'autre par excès d'amour, n'est-ce pas votre cas aussi ?". En
attendant, les "génocides par amour" continuent de plus belle, rien qu'au XXe siècle par les
conflits avec l'islam, il y a eu environ 7 millions de chrétiens de tués comme nous l’avons dit, et
environ 1 million et demi d'hindous qui ont perdu la vie à cause du goût de l'idéologie islamique
pour l'expansion, s’accompagnant souvent de purification ethnique.
La volonté de contrôle complet de la sexualité par la société se manifeste de façon plutôt
violente chez les intégristes, beaucoup plus préoccupés par la police des mœurs que par une saine
97
économie, voire même une bonne politique. Olivier Roy explique : « L'islamisme n'a guère de
programme social... et finit par confondre culture et police des mœurs »95. Ce désir de pouvoir
peut se rapprocher d'un fonctionnement obsessionnel majeur, voire là encore de et paranoïa, je
pense que la plupart des psychologues n'auront guère de doutes là-dessus.
Peut être la situation a été un peu meilleure à l'époque médiévale, c'est ce que soutient
Meddeb dans son ouvrage sur la maladie de l’islam96, cependant il est difficile de généraliser à
propos d'un monde aussi vaste que celui de Moyen-âge musulman. L’époque en général, chez les
chrétiens aussi, était quand même sous le signe de la brutalité et de l’intolérance religieuse.
C’était l’ombre du fait que les populations prenaient la religion et sa morale plus au sérieux que
maintenant. De toute façon, le souci de pureté dans la Bible a fait qu'on y a projeté sur "l'autre"
archétypal tous les désirs refoulés, et ainsi le polythéiste a toujours été dans l’esprit du bigot
biblique – par définition et à de rares exceptions près – un débauché et un excité sexuel au
comportement animal, en fait tout ce que le pieux fidèle aurait voulu être par toute une partie de
soi-même mais ne pouvait ‘s’offrir’ à cause de la loi biblique. De plus, l'obsession en s'aggravant
glisse progressivement dans la paranoïa, et celle-ci a comme symptôme central ce qu'on pourrait
appeler en anglais "holier than you" qui signifie littéralement (je suis) "plus saint que vous" ...
Olivier Roy observe une « fétichisation » de la religion chez les néo fondamentalistes. Par
exemple, il parle des tablighis en France recommandent de manger toujours avec trois doigts, et
de boire toujours trois fois. Il mentionne aussi qu’on interdit la possession d'oiseaux-chanteurs,
car ils peuvent siffler pendant la prière ; on interdit le cerf-volant, on le décrochant de l'arbre où il
serait pris, on pourrait être amené à voir une femme dévoilée dans la cour du voisin. Il s’agit d’un
univers typiquement obsessionnel.
Les idéologies totalitaires sont fondamentalement perverses, car elles éveillent l'amour de
leurs militants à leur égard, et ensuite les détruisent. Par exemple, la guerre entre l'Irak et Iran
entre 1980 et 1989 a fait un million de morts, elle a coûté environ un trillion de dollars, et a
emporté 40.000 écoliers qui se sont faits tuer au front. Les ayatollahs leur avaient mis dans la tête
qu'ils allaient "libérer" Karbala, le lieu saint du shiisme en Irak, puis Jérusalem, puis tous les pays
d'Occident. N’est-ce pas un signe indirect chez ces clercs d’une pédophilie réellement perverse,
en ce sens qu’elle est capable d’offrir en sacrifice humain tant de milliers d' « enfants chéris et
héroïques » à leur Idole unique ? La question de la responsbilité des organisateurs de guerre
sainte est sérieuse.
C'est surtout une différence de degré, d’intensité qui sépare l'obsession de la paranoïa : dans les
deux cas, l'ennemi est considéré comme impur, mais dans le premier, on s'en défend alors que
dans le second, on l'attaque pour le détruire. Par ailleurs, le mot fidayin a au départ un sens assez
positif, c'est "le fidèle, celui qui a de la dévotion", correspondant donc à une idée d'amour.
Pourtant, dans le langage politique iranien, il est devenu synonyme de guerrier qui tue et souvent,
de terroriste qui assassine des civils de sang froid : n'y a-t-il pas là une perversion considérable ?
Un exemple parmi cent autres: il y a eu un scandale sexuel à Srinagar au Cachemire en 2006,
des officiels ont été impliqués en allant visiter une mineure qu’on avait poussée dans la
prostitution: la réaction des terroristes a été de menacer les jeunes filles de les attaquer dans la rue
si on les voyait avec des portables. En effet, évidemment, ce téléphone mobile était un signe de
liberté contraire à l'islam... Une indépendantiste plutôt excitée, dirigeante d'un mouvement
islamique local a déclaré qu'elle préfèrerait sacrifier ses trois enfants pour l'islam plutôt qu'on
porte atteinte à son honneur et à son intégrité. Et de fait, sa revendication d'indépendance pour le
Cachemire risque fort d'intensifier les troubles, et donc ses trois enfants étaient effectivement en
danger de servir de sacrifices humains à son Idole unique dévoreuse de vies – toujours la même
déité obscure que nous voyons réapparaître trop souvent dans les détours de la psychopathologie
98
de l’islamisme... Pour ceux qui voudraient avoir plus de détail sur cette répression sexuelle et
générale quand on laisse les rennes du pouvoir aux islamistes, il leur suffira de lire le livre bien
documentée de Fariba Hachtroudi, Femmes iraniennes - 25 ans d'inquisition islamistes (éditions
L'Hydre Paris, 2004). Les documents qu'elle donne en 330 pages pourraient servir de base de cas
cliniques à des étudiants de psychopathologie à l'université, pour illustrer les sujets de dépression
et d’obsession, tellement les tableaux cliniques qu’ils manifestent sont clairs.
La nature de l'obsession, c'est de tendre à la répétition scrupuleuse du même : pour condenser
cette critique en un rapprochement de mots, on pourrait mettre ensemble les termes 'imam', et
'imiter' : il semble bien que ce soit l'essence de l'imam d'imiter... Par ailleurs, un certain nombre
de musulmans deviennent obsédés par le légalisme tout simplement par manque d'expérience
spirituelle : ils ont les cinq piliers de la religion exotérique, mais ils n'ont pas la voûte de la
connaissance mystique : ils restent là donc tels des colonnes figées, pareils à de belles ruines
balayées par les vents – et sans protection aucune contre les tempêtes des passions, c’est-à-dire de
l’intégrisme, qui finiront par survenir un jour ou l'autre. Ces situations de manque d’expérience
ésotérique peuvent bien sûr survenir dans n'importe quelle religion, mais dans l'islam, le risque
paraît bien plus grand, à cause d’une rigidité psychoreligieuse plus marquée.
D'après la psychanalyse, ce genre de névrose correspond au caractère sadique-anal et elle
partage sa psychorigidité avec la paranoïa, avec des traits de méticulosité, de méfiance,
d'obstination et de cruauté. Le caractère sadique-anal représente la seconde phase du
développement, après le caractère oral et narcissique. Celui-ci est relié aux formes
mégalomaniaques de la psychose, on peut dire donc que si un obsessionnel butte complètement
sur le second stade, il finira par régresser au premier, et à ce moment-là sa névrose de pureté se
transformera en délire mégalomaniaque. Des symptômes obsessionnels peuvent être les derniers
garde-fous contre l’invasion délirante, c’est un fait connu de psychiatrie, même si ce n’est pas
flatteurs par exemple pour les tablighis.
Socialement, ce type de caractère a une affinité particulière avec la relation de maître à
esclave. Peut-être n'est-ce pas simplement pas un hasard que l'islam soit la religion qui ait le plus
développé l'esclavagisme comme pivot de son système social, et ce jusqu'à une époque récente.
On parle toujours d'esclavage au Soudan et dans d'autres pays de l'Afrique musulmane, et le trafic
des femmes en Iran actuel n'en est pas loin. Dans ce type de personnalité, le mal est toujours le
cacon des Grecs, et l'autre est considéré comme un objet, comme un excrément qui mérite
simplement d'être manipulé. Pour appeler un chat un chat, ce n'est pas si loin de la conception
qu'on les intégristes des femmes et des infidèles, et encore plus bien sûr des femmes infidèles ...
Les Versets sataniques, le Da Vinci Code et la ‘Mutinerie des Mutilés’.
Nous avons déjà défini comme une mutilation psychique le meurtre de la Mère divine,
indissociablement liée aux origines du monothéisme, en particulier de l’islam. Dans le
polythéisme, les dieux sont en général en couple, le monothéisme n’en a gardé que le côté mâle.
Il s’agit d’une souffrance majeure, d’où la majuscule pour Mutilé dans le titre ci-dessus. De plus,
la revendication en faveur d’un changement représente un grand mouvement de fond, le
printemps arabe nous l’a montré récemment dans le cadre musulman, d’où l’autre majuscule pour
Mutinerie. Rushdie avec ses Versets sataniques a en fait juste mis le doigt sur la plaie, c’est la
raison principale de la forte réaction qu’il a suscitée, on peut parler d’une vague de paranoïa
orchestrée par l’Iran. De plus dans l’océan agité du monde islamique comme ailleurs, et peut-être
plus qu’ailleurs, il n’y a que les vérités qui blessent. Dan Brown a eu au fond une fonction
99
parallèle dans le christianisme avec son Da Vinci Code, vendu en 40 millions d’exemplaires. Audelà des détails de ce qui est fiction ou de ce qui est vraisemblable, il pose la question de fond du
refoulement du Féminin dans le christianisme, et c’est surtout cela qui a mon sens a créé une telle
panique chez les clercs. Ils ont joué des pieds et des mains, souvent en utilisant des
intermédiaires, pour faire interdire le film, sans grand succès d’ailleurs en Occident. C’est
curieux qu’ils y aient mieux réussi en Inde, où sept états de l’Union l’ont interdit – les indiens ne
semblent toujours pas vraiment sortis de la psychologie de colonisés– et en Chine où le film qui
remportait un succès considérable a été retiré des écrans du jour au lendemain sur ordre de la
police.97 Il semble que, se sentant tomber dans le précipice, la hiérarchie n’ait pas hésité à se
raccrocher à une branche épineuse, en l’occurrence le régime communiste, pour essayer de se
défendre des attaques de ses propres fidèles. Si on voulait pousser l’analyse plus loin, on peut se
demander si l’Eglise, dans sa terreur de la dissidence, ne s’est pas mise à pactiser avec le diable,
en l’occurrence les maoïstes chinois ennemis déclarés du catholicisme, pour réprimer une critique
de fond capable de mettre le Féminin au pouvoir dans l’Eglise, et d’ébranler par là les
fondements même non seulement du christianisme, mais aussi du monothéisme. De plus, l’Eglise
n’a pas le droit de faire sa propagande en Chine, si Dan Brown avait été autorisé à « faire la
sienne », cela n’aurait pas été juste…
Pour en revenir à la notion de mutilation, il faut savoir que dans l’archétype de l’androgyne, on
représente le corps humain comme masculin, du côté droit en général, et féminin du côté gauche.
Le phantasme d’un être divin purement mâle, le mâle absolu, revient donc à une mutilation de
taille. Il peut de plus être rapproché d’un symptôme pathognomonique d’entrée dans la
schizophrénie : le patient sent comme si une latéralité du corps n’existait plus, ce qui le met bien
sûr dans un état d’angoisse psychotique considérable.
Claustrophobie, délire d'étouffement et violences aiguës
J'avais lu il y a longtemps les thèses d'un polémologue, dont j'ai oublié le nom, mais qui voyait
comme facteur principal de passage à la guerre ouverte le sentiment qu’a un peuple d'être
encerclé, étouffé, menacé d'étranglement. Ce sentiment peut avoir une certaine base dans la
réalité politico-militaire, ou au contraire être un délire construit de toutes pièces. C'était le cas de
l'idée du corridor de Dantzig juste avant la seconde guerre mondiale. Hitler disait que cette
demande de récupérer cette petite bande de terre faisait partie de l'espace vital, du Lebensraum du
peuple allemand, et cela a mené directement à la seconde guerre mondiale : 50 millions de morts
pour un corridor, cela fait cher du mètre carré...
Dans la claustrophobie classique aussi, l'origine de l'anxiété est complètement psychique. Il
n'y a pas de raison physique d’étouffer dans un ascenseur, l'oxygène est tout à fait suffisant ! Il
est par ailleurs connu en psychiatrie que quand un schizophrène commence à avoir des thèmes
d'étranglement et d'étouffement dans son délire, il se met à être réellement dangereux pour luimême et pour les autres. Ce qui est valable au niveau la psychologie individuelle l'est aussi pour
les nations : quand celles-ci ressentent un étouffement, même typiquement imaginaire, il faut
prendre au sérieux leur état. Néanmoins, pour être réaliste, il faut ajouter que ce genre de délire a
de fortes chances de se poursuivre : la politique n’est-elle pas une sorte de jeu de go planétaire,
où chacun essaie d'encercler et d'étouffer l'autre ?...
On peut dire raisonnablement que l'islam au XXe siècle a été la seule religion à se battre avec
toutes les autres, nous l’avons mentionné, et cela doit probablement à voir avec un sentiment de
claustrophobie. Il sont en conflit avec les chrétiens un peu partout, les juifs en Palestine, les
hindous au Cachemire et au Bangladesh, les bouddhistes dans les collines de Chittagong près de
100
la frontière birmane et dans les plaines du sud de la Thaïlande, les religions chamaniques
d’Afrique et les communistes chinois, qu'on pourrait assimiler aux fidèles d'une nouvelle religion,
dans les provinces de l'ouest. Cela a provoqué un nombre considérable de morts. En réfléchissant
sur cette situation, un chef musulmans assez modéré et qui a enseigné dans les universités
américaines, Akbar S.Ahmed, a publié en 2003 un livre intitulé L'islam en état de siège.98 Il
reconnaît assez facilement qu'il y a un problème de psychologie derrière cette peur fondamentale.
L'attachement passionnel à la terre, renforcé par le fait que le corps des ‘martyrs’ y soit enterré,
n'est pas forcément un signe de bonne santé psychologique. La rigidité de l’attachement aux
coutumes est aussi une forme d’attachement à une « terre subtile », à un terrain connu au niveau
des idées et des comportements.
Sans vouloir entrer dans la politique brûlante et des problèmes plutôt emmêlés, comparons
seulement pour quelques instants la Palestine et Singapour : les deux ont fait sécession de leurs
voisins à peu près à la même époque, Singapour n'est qu'une île d’environ 10 km de diamètre où
il y a tout juste de quoi faire paître quelques troupeaux de vaches. À part la possibilité de
communication maritime, il n'y a aucune ressource naturelle. Et pourtant, la ville s'est développée
comme l'un des tigres de l'Asie, on devrait plutôt dire l'un des lions, puisque Singapour signifie
en sanskrit "la ville du lion". Ils n'ont pas pleuré sur les vastes territoires de Malaisie auxquelles
ils n'avaient plus accès après leur indépendance. Ils n’ont pas crié à la persécution religieuse sous
prétexte que les Malaisiens sont en majorité musulmans alors que les habitants de Singapour sont
principalement chinois. Ils ont travaillé et ils ont réussi.
L'Inde a été capable d'absorber assez rapidement environ 100 millions de réfugiés politiques
à la partition de 1947-1948. À la même époque pratiquement, il y a eu la fondation de l'État
d'Israël. On a raisonnablement le droit de se demander pourquoi le monde musulman qui
représente 1,400,000 personnes et des territoires beaucoup plus vastes que celui de l'Inde n'a pas
été capable d'absorber environ 4 millions de palestiniens, et reste focalisé sur le territoire même
d’Israël qui ne représente qu’1,5 pour mille de la surface des pays arabes et encore bien moins de
l’espace qu’occupe toute le monde musulman. Il n'est pas interdit de se poser la question d'une
origine psychologique ou psycho religieuse à cette incapacité, plutôt que de ressasser
indéfiniment les mêmes griefs politiques ou territoriaux.
On peut voir dans cette structure psychologique particulière tendant à la victimisation les
conséquences d'un passé lourd de l'islam. Il s'est construit en étouffant tous les autres dieux, en
étouffant la Mère divine, en étouffant les opposants politiques et religieux, en étouffant la
musique et la danse, en étouffant la liberté de la féminité : est-il étonnant qu'après tant de siècles
de ce régime, les fidèles souffrent d'une psychologie de l'étouffement ? Une loi du
fonctionnement mental indique que quand on a peur de quelque chose, cela arrive. Est-ce pour
cette raison que les pays musulmans 'récoltent' régulièrement des sanctions internationales,
depuis la Libye, l'Irak, la Palestine du Hamas, le Soudan, le Pakistan pour sa bombe et
maintenant l’Iran ? Espérons que de véritables démocraties puisse s’établir dans le plus de pays
d’islam possible, et permettre une évolution en profondeur.
Pour terminer en élevant le débat à la métaphysique, nous pourrions dire que l'idée de ne rien
associer à l'unité divine paraît belle et inspirante du point de vue théologique et spirituel, mais
quand elle devient un instrument de répression de la part des intégristes pour dénier l’autre dans
le domaine des croyances, et condamner à peu près toutes les formes de religion populaires et
vivantes, ainsi que toute diversité politique, on peut parler à juste titre de névrose obsessionnelle
de pureté plutôt extensive, puisqu’il s’étend au ciel et à la métaphysioque qui l’organise.
101
102
CH 3
COMPRENDRE LA PARANOÏA.
"De qui ai-je peur ? De moi-même ? Il n'y a personne alentour"
Le Roi Richard III, dans la pièce de Shakespeare99
Un jour, lorsque je donnais une consultation dans un dispensaire d’hygiène mentale d’une
banlieue défavorisée, le derniers patient de la journée, alcoolique et paranoïaque, a sorti un grand
coutelas et l’a mis sur le bureau entre nous. Il n’y avait plus grand monde dans le dispensaire à
cette heure pour appeler rapidement à l’aide, et donc la situation devenait embarrassante. Il a eu
un rictus et m’a dit : « Je pourrais vous tuer maintenant, mais je vous aime bien et vous êtres
gentils alors je ne vais pas le faire ». Et si j’écris ces lignes presque trente ans plus tard, c’est
qu’effectivement il ne l’a pas fait. Ma gentillesse s’est effectivement exprimée envers lui en
demandant son internement en urgence, pour qu’il se fasse soigner, ce qui a eu lieu. Ceux qui
sont thérapeutes dans le milieu psychiatrique voient des cas de paranoïa chez leurs patients au
jour le jour, c’est pour cela qu’ils la reconnaîtront au premier coup d’œil dans la société au sens
large, en particulier dans les domaines à risques de la politique et de la religion.
En ce sens, ce chapitre et celui qui suit, consacrés à la paranoïa, sont le développement
simple, logique et documenté de ce « premier coup d’œil ». Dans le premier des deux, nous
serons surtout centrés sur les explications de psychiatrie et de psychanalyse classique à propos de
la paranoïa, mais en faisant quand même déjà des rapports avec le sujet du livre, c'est-à-dire
l'intégrisme de l'islam. Les trois chapitres suivants seront les plus importants, et nous tâcherons
d'aller aux racines réelles de la paranoïa islamique, il serait peut-être d'ailleurs plus juste de dire
103
de l'islamisme radical et le néo-fondamentalisme en tant que paranoïa, car nous verrons que ce
trouble pénètre de multiples dimensions du mouvement.
Le terme même paranoïa, signifie "esprit à côté". On peut comprendre cela comme un esprit à
côté de lui-même, dans ce que les psychanalystes appellent un faux soi, à côté de la réalité et c'est
la définition de la psychose, ou alors à côté du corps. On peut citer pour appuyer cette dernière
signification les liens fréquents entre paranoïa et délires hypocondriaques, il faut comprendre
qu'en fait nous n'avons au fond qu'un sens de réalité, s'il est déformé vis-à-vis du corps, il est
déformé vis-à-vis de l'extérieur et vice versa. Le patient peut fort bien se représenter le corps mal
vécu comme un persécuteur intime.
La paranoïa de base est en fait une réaction de survie, une forme de l’instinct de
conservation. Supposez un animal dans la nature : dès qu'il entend un bruit, il pense qu'un
prédateur s'approche pour l'attaquer, et il est sur la défensive. Souvent, cela n'est pas vrai, il s'agit
d'une fausse alerte, mais dans les cas où c'est vrai, c’est cette réaction de stress qui pourra lui
sauver la vie. De même, la prudence et la maturité dans la vie sociale amènent à avoir un certain
niveau de méfiance et de soupçon normal, pour comprendre les véritables motivations des gens
avec lesquels on doit être en relation. En fait, la loi psychologique la plus importante à saisir
d'emblée est la suivante : on ne peut s'empêcher d'interpréter, c'est dans la nature de notre mental,
mais ce qu'on peut faire, c'est interpréter dans le bon sens, c'est-à-dire d'une façon positive, et non
pas en allant en direction de la persécution. Sinon, ce sentiment entraînera une réaction de
vengeance de la part du persécuteur, on l’interprétera comme une confirmation de son animosité
contre nous, et l'on se mettra à être pris dans le cercle vicieux de la paranoïa. En ce sens,
l'antidote fondamentale de ce type de fonctionnement pourrait être celui du mystique qui affirme
inlassablement : "Tout ce que fait Dieu est pour le mieux". Et effectivement, on s’aperçoit
souvent que des événements qui paraissaient être des malheurs à court terme sont des
bénédictions à long terme. Même si je n’ai pas le temps de revenir sur cette idée par la suite, que
le lecteur s’en souvienne comme remède simple mais efficace pour tenter de prévenir toute ce
type de pathologie politico-religieuse que nous faisons ressortir au fil de cet ouvrage. Il ne sugffit
pas de diagnostiquer, il faut soigner.
On peut distinguer trois niveaux de paranoïa, la réaction, la personnalité et le délire. Si vous
êtes par exemple cambriolé et en plus battu par des voleurs, vous aurez peur au moindre bruit la
nuit pendant quelque temps, et ensuite, les choses se tasseront. Un autre exemple de réaction
paranoïaque temporaire se trouve fréquemment chez l'adolescent ou l'adolescente : il suffit de
leur dire un mot de travers, et ils boudent pendant une semaine... Après, là encore, cela passe. On
peut discerner derrière ce genre de comportements évidemment un manque de confiance en soi,
avec une réaction par la fermeture immédiate qui a au moins l'avantage d'éviter l'expression de
l'agressivité importante et l'enchaînement de violence d'une dispute. Par contre, ce type d'attitude
au départ d’adolescent boudeur risque de s'incruster dans la personnalité, et si le sujet traverse
une crise importante, ce qui est caché au fond du fonctionnement psychique peut ressortir au
grand jour sous forme de délire. Nous nous sommes servis pour ces deux chapitres de trois
ouvrages principaux, celui de Jacques Chazaud, Hystérie, schizophrénie, paranoïa 100 L'auteur a
été psychiatre des hôpitaux, directeur d'enseignement clinique à l'Université et vice-président de
l’Association scientifique des psychiatres français du service public. L'autre ouvrage est la thèse
de médecine de Jacques Lacan De la psychose paranoïaque dans ses rapports avec la
personnalité, qui a été republiée par les Editions du Seuil. (1975). Il y montre clairement la
continuité entre la personnalité paranoïaque et la décompensation psychotique. Il y fait une étude
très détaillée du cas d'Aimée A, qui donne une bonne idée de ce à quoi ressemble une paranoïa de
type sensitif. Joseph H.Berke a analysé avec ses collègues dans un ouvrage collectif Even
104
Paranoid Have Ennemies – New Perspectives on Paranoia and Persection 101 les rapports de la
paranoïa avec la réalité sociale et politique. Il commence par une première partie consacrée aux
racines psychiques du trouble, puis vient l’étude de Robert Robins sur la paranoïa en politique sur
laquelle nous nous appuierons ci-dessous.
Différentes définitions pour mieux comprendre la maladie
C'est un psychiatre allemand, Kraepelin, qui est en quelque sorte le 'père' de la notion de
paranoïa. Il l'a bien mise en évidence en 1899, juste un an avant que Freud n'écrive
L'interprétation des rêves qui est en quelque sorte le livre fondateur de la psychanalyse. La
paranoïa avait été décrite sous d'autres noms avant, comme la folie raisonnante de Magnan, le
délire des persécutions de Falret et Lassègue, ou encore la folie lucide. Le plus important pour le
lecteur non-initié est de comprendre la différence entre d'une part la schizophrénie, qui
déstructure complètement de la personnalité et rend les patients incapables de vivre dans
l'existence courante – c'est la folie au sens habituel du terme – et d'autre part le délire
paranoïaque qui est structuré : ainsi, les sujets qui en souffrent peuvent être intégrés dans la vie
jusqu'à certains point, et même de devenir des politiciens, des dictateurs ou des chefs religieux
respectés voire adulés, mais menant les masses de leur fidèles aux massacres de la guerre sainte.
C'est en cela que le paranoïaque est beaucoup plus dangereux pour la société que le schizophrène,
bien que moins représenté que lui à l'asile.
Le premier peut tuer une ou deux personnes, mais rapidement il sera arrêté et envoyé en
hôpital psychiatrique fermé pour quinze ou vingt ans. Alors que le paranoïaque, s'il accède au
pouvoir, peut faire périr des dizaines de millions de personnes, on peut dire que les trois
exemples les plus sinistres du siècle dernier, Hitler, Staline et Mao-tsé-toung souffraient à leur
manière de ce trouble, chacun ayant fait périr environ 30 millions de personnes, sans doute plus
pour les deux derniers d’après des évaluations récentes. Il y a aussi une forme mineure de
psychose apparentée à la schizophrénie, c’est la psychose hallucinatoire chronique. Elle
commence plus tard et déstructure la personnalité de façon moins profonde, le patient est
handicapé par ses voix mais peu en général continuer à vivre dans le monde.
Mentionnons aussi un troisième groupe de psychoses qu'on appelle la paraphrénie, elle aussi a
quelque chose à voir avec la religion : ce sont des patients qui bâtissent des grands systèmes
cosmologiques où ils ont en général une place centrale, à moins que leur délire ne les mette en
butte aux persécutions des armées de démons, ou les deux à la fois... Pour nous résumer, on peut
dire avec le grand psychiatre des années 60, Henri Ey, que la paranoïa conduit à une construction,
la schizophrénie à une destruction, et la paraphrénie à une reconstruction.
On distingue en général dans la paranoïa les délires passionnels et les délires systématisés. Les
premiers s'enfoncent comme un coin dans la réalité, ils peuvent être à type de jalousie,
d'érotomanie, d'idéalisme passionné (inventeurs méconnus, fondateurs de sectes, etc...) ou de
quérulence processive (le fait de faire un procès pour un oui ou pour un non), les seconds se
répandent plutôt comme une onde concentrique le fait dans un étang après la chute d'une pierre
dans l'eau : ce sont les délire sensitifs de relation et de référence. Les premiers sont agressifs,
sthéniques, les seconds sont plutôt asthéniques et dépressifs.
Si nous examinons maintenant les symptômes principaux, nous verrons immédiatement
comme ils sont proches de ceux de l'intégrisme religieux, et éventuellement de certains
symptômes dont souffrent les mauvais politiciens... :
- conviction implacable : elle est au centre du délire, survient en général d'un seul coup et prend
un certain temps ensuite à s'enraciner car la personnalité doit se réorganiser autour de ce nouveau
105
centre. Le paranoïaque est centré sur une foi inébranlable en sa propre supériorité, dans celle des
croyances qu’il défend et dans la toute-puissance du dieu qui pense-t-il l’a envoyé.
- sentiment de vérité basé sur des intuitions et des évidences : il résiste à tous les démentis de
l'épreuve de réalité, ce qui rend le trouble difficilement curable même par de bons
psychothérapeutes.
- signification révélatrice d'un événement contingent initial : dans le domaine religieux, on peut
rapprocher cela des conversions subites.
- tendance à l'abstraction artificielle, avec de grandes idées sur la marche du monde : cela rappelle
les idées de guerres cosmiques, apocalyptiques, et la théologie enflée de mégalomanie des
intégristes.
- intransigeance incompréhensible pour l'entourage : quand il s'agit d'une tendance de
personnalité plutôt que d'un délire constitué, on peut rapprocher ce trait d’un complexe de
supériorité aggravé par la psychorigidité.
- forte tendance à rassembler toutes sortes d'"indices" en un système, à se composer une sorte de
‘théologie’ personnelle qui peut ressembler de près ou de loin à une théologie plus traditionnelle
selon le degré de culture du sujet en ce domaine.
- suspicion, obsession du mensonge des autres.
- rationalisations secondaires : Leuret appelait les paranoïaques des ''arrangeurs".
- sentiment de persécution, à la fois de l'extérieur et de l'intérieur : de Clérambault a été
psychiatre dans les années trente à l'Infirmerie Spéciale de la Préfecture de Police (ISPP)
attenante à l'hôpital Saint-Anne à Paris, il a donc vu énormément d'urgences de psychiatrie. Il
explique clairement que « les voix pensent pour le sujet ». Là encore, nous sommes
dangereusement proches de l'inspiration divine que pensent avoir un bon nombre de déséquilibrés
religieux. Une de ses remarques est importante : "fréquemment, les voix prennent le contre-pied
de l'affectivité", c'est-à-dire qu'elles sont cruelles.102 Dans ce sens, le propre des intégristes
animés par leurs voix divines est de pousser à la guerre sainte, avec les souffrances inhumaines à
grande échelle que cela entraîne, c’est-à-dire de nier l’affection, l’empathie naturelle pour la
souffrance des autres et de favoriser au contraire ‘l’idole idéologique’. Nous avons vu que
l'ayatollah Khomeiny a refusé deux fois les offres de paix avec l'Irak, et ne les a acceptées la
troisième fois seulement parce qu'il était en train de perdre la bataille et donc que sans doute, il se
mettait à craindre pour sa propre peau. Le résultat de cette persévération dans l’attitude de
guerre, nous l’avons dit, a été 1 million de morts, dont 40.000 enfants mineurs qu'il avait fait
envoyer au front. On peut dire que la paranoïa a tué dans cette région, et malheureusement elle le
fait encore et continuera probablement à le faire.
Pour continuer avec de Clérambault, celui-ci décrit le délire comme étant régulièrement
"animalité, vanité, hostilité", on dirait en termes psychanalytiques "libido, narcissisme et
agressivité". On pourrait aussi affirmer que la paranoïa repose sur un trépied, la perversion, la
mégalomanie et la persécution. Il est aussi intéressant de faire remarquer que 'parano' et 'ego'
riment : la paranoïa, c'est la tétanie ou le cancer de l'ego. Cette image même du cancer a été
reprise par Bleuler quand il évoque le développement intrapsychique de la paranoïa. Les poussées
psychotiques sont curables, mais la personnalité paranoïaque est difficile à guérir, et même à
améliorer. En effet, le patient possède un fort ego, ce qui fait qu'il n'ira pas demander d'aide, il
pense que lui va bien et que ce sont tous les autres qui sont malades. Par contre, le traitement
médicamenteux est assez efficace et c'est souvent la seule ressource. Par ailleurs, il faut signaler
que le paranoïaque est missionnaire, il cherche à convertir au moins quelques personnes ou un
petit groupe à sa vision peu réaliste des choses. Quand il y réussit, on peut dire qu'une nouvelle
secte est née...
106
Le délire sensitif de relations a été décrit par le psychiatre allemand Kretschmer au début du
siècle. Il vaut la peine d'être mentionné ici, car il est fréquent dans le milieu religieux :
- les sujets sont mal adaptés, et victimes toutes désignées de la vie.
- ils vivent un sentiment d'échec moral qui entraîne une culpabilité.
- celle-ci entraîne à son tour un désir d'autopunition, un mépris de soi-même.
- celui-ci conduit de son côté à un sentiment d'être l'objet du mépris des autres.
- le fonds de l'humeur est dépressif.
- le délire se développe de façon concentrique autour du moi. C'est une sorte de nombrilisme
extensif, asthénique et anxieux.
- il y a une fixation sur un événement initial vécu comme traumatisant, alors qu'il paraît mineur
pour le monde extérieur. Sans vouloir tomber dans les associations hâtives, on a le droit dans le
cadre de ce livre de penser au "traumatisme "du monde musulman, surtout intégristes, par la
naissance de l'état d'Israël en 1948. Bien qu'il s'agisse de l'apparition d'un tout petit pays, elle
semble avoir absorbé, presque pris en otage la possibilité globale de réflexion et d'interprétation
d'un nombre considérable de musulmans de par le monde, avoir en quelque sorte l’effet d’un
grain de poussière dans l’œil, ou de la mouche sur le museau du lion qui rend celui-ci fou. La
disproportion de la cause et de l’effet fait penser à une « fermentation » paranoïaque sous-jacente.
- prolifération interprétative à propos de certaines relations vécues comme difficiles, voire
persécutrices. L'univers entier devient relié à elles.
- il s'agit souvent de femmes dans la trentaine vivant seules et souffrant de frustration sexuelle.
Il faut bien comprendre qu'il peut y avoir des oscillations possibles entre la paranoïa sensitive,
asthénique, et celle sthénique, qu'on pourrait appeler de combat. Cette dernière est fatigante et
rigidifiante. Ce grand paranoïaque qu’était Hitler a publié en 1926 son autobiographie politique
sous le titre de Mein Kampf. Cela peut faire sourire un germaniste, car Mein Krampf avec donc
seulement un r de plus signifie « ma crampe ». Et effectivement, un combat poursuivi avec des
motivations paranoïaques est une crampe du corps et de l’esprit, et il est épuisant.
En parallèle et de façon sous-jacente au processus paranoïaque, l'humeur oscille entre la
dépression et l'excitation plutôt maniaque. Par ailleurs, Kreapelin parle de Wunschparanoia, de
'délire du désir', et dans ce livre, je parlerai de temps en temps de délire-désir, tellement les deux
sont mêlés. Les psychiatres disent souvent qu'on délire dans le domaine de son désir. Et c'est un
trait habituel de l'idéaliste religieux passionné de prendre ses désirs pour des réalités. Par ailleurs,
la paranoïa est fondée sur un ego hypertrophié, pesant, lourd. Quand on l’a laissée rentrer en soi,
il est aussi difficile de s’en débarrasser que d’une intoxication aux métaux lourds.
On dit du véritable mystique qu'il a les pieds sur terre et la tête dans le ciel. On pourrait
faire remarquer à propos du paranoïaque bigot qu'il a suffisamment les pieds sur terre pour
organiser une agression directe et caractérisée de ses persécuteurs, mais il a pour sûr la tête en
enfer, tellement elle est remplie de délire de persécution et de volonté de détruire l’autre. Si on
devait le définir en une formule, on pourrait dire qu'il est celui dans le psychisme a basculé cul
par dessus tête....
Comme on le voit, le champ de la paranoïa est large. Freud a réfléchi pendant toute sa vie sur
la paranoïa, mais son travail initial et de référence reste son analyse de l'autobiographie du
président Schreber : celui-ci avait de hautes fonctions au tribunal mais a dû être hospitalisé à long
terme à cause son délire de persécution. Peut-être qu'un siècle plus tard, il y aura un autre
psychanalyste doué de la nouvelle génération qui rédigera une étude sur la biographie d’autres
présidents visiblement paranoïaques quelque part vers le Moyen-Orient et qui parlaient de rayer
de la carte leur voisin au nom d’une Révolution de plus …
107
Certaines croyances se présentent comme complètement essentielles à l’existence de
l’individu. Elle vont pour le moins dans l’exagération, elle semblent bien alors se structurer
comme des paranoïas. En fait, considérer que les individus sont marqués définitivement comme
au fer rouge par la religion où ils sont nés, ce n’est pas de la tolérance ou du pluralisme réel, c’est
plutôt de l’infantilisation.
Une des ennemies les plus intimes de l'être humain : la paranoïa
L'élément principal que nous devons saisir dans le cadre de cet ouvrage, c'est que la paranoïa
est une machine à fabriquer des rationalisations secondaires, c'est-à-dire à se justifier : autour
d'un noyau délirant primaire, elle crée un filet, pour ne pas dire une cote de maille constituée de
tas de raisonnements qui paraissent vrais, mais qui ont une basse fausse et débouchent donc sur
des conclusions absurdes. Les gens qui ne sont pas prévenus, et même des étudiants en
psychologie ou en psychiatrie qui ont étudié la théorie peuvent se faire facilement piéger par ce
genre de fausse logique. La paranoïa apparaît très rarement nue, elle se manifeste régulièrement
sous le déguisement des rationalisations secondaires, d’où l’importance d’avoir la puce non
seulement à l’oreille, mais aussi à l’œil si l’on peut dire en développant une claire vison des
mécanismes en jeu.
Je verrais bien, dans le cadre des études ou lors de la formation continue des diplomates, des
politiciens et des clercs de différentes religions, l’instauration de dix ou vingt heures de cours sur
le lien entre paranoïa et idéologie totalitaire, ainsi que violence religieuse. Si cela pouvait être
associé avec cinq ou dix heures d'entretiens avec de vrais patients paranoïaques dans un hôpital
psychiatrique proche, cela serait encore plus formateur. Ils pourraient effectuer cela à titre de
visite amicale, cela ne ferait pas de mal au patient, et ils devraient essayer avec toutes les
ressources de leur bon sens et le meilleur de leur intuition, de faire revenir le pensionnaire de
l’asile à une vision réaliste des choses. Il n'y a arriveront sans doute pas, mais cela leur servira de
leçon de choses pour comprendre les dangers réels de la paranoïa quand elle métastase comme un
cancer dans les domaines vastes et finalement assez flous de la politique ou de la religion.
Il est important de comprendre d'emblée que le délirant paranoïaque part d'éléments de
réalité, les recompose pour se sentir persécuté par quelqu'un d'autre, ce qui le mène à des
agressions envers cette personne, et probablement à une réaction de la part de l’autre qui
confirmera ses idées à lui de persécution : « C’était bien ce que je pensais, il veut ma peau ! » On
est ainsi devant un cercle vicieux, où la défense naturelle de la personne agressée est interprétée
par le délirant en soi comme une persécution. Voilà la règle d'or pour comprendre toutes sortes de
phénomènes de victimisation, qui sont forts dans l'islam – et il faut aussi le reconnaître pour être
honnête– influent aussi de façon sous-jacente dans le christianisme qui est centré autour d'un
Christ victime et de toutes sortes de martyrs qui ont voulu l’imiter à la lettre.
En prenant une autre image, on peut dire que la paranoïa est aussi difficile à traiter qu'un
cancer généralisé, car elle métastase dans toutes sortes de recoins inattendus de l'organisme
psychique, ou même au-delà si on prend l’image d’un micro-organisme contagieux. Quand on
étudie l'islamisme et son délire en secteur, on se retrouve devant un problème courant de thérapie
: pouvoir comprendre et proposer des solutions à un patient sans être pour autant contaminé par
sa pathologie, en l'occurrence sans devenir paranoïaque soi-même. Ce n'est pas si facile, et c'est
d'ailleurs pour cela que la paranoïa religieuse est si contagieuse ; même ceux qui en perçoivent
l'absurdité sont quand même influencés par elle comme en miroir et par réaction. Par ailleurs, ce
n’est pas parce qu’on explique de façon cohérente le fonctionnement psychologique de
108
l'islamisme qu’on le justifie ou l’excuse : les diagnostics de psychopathologie que j'évoque ne
vont pas vraiment dans le sens d'une atténuation de la responsabilité ou de la dangerosité.
Quand il y a conflit, il y a inévitablement une certaine paranoïa qui ressort de chaque côté : il
est déjà important de voir comment celle-ci fonctionne, et de distinguer deux cas de figure bien
différents, par exemple 90% de délire pour 10% de réalité, ou l'inverse : c'est ce que nous
essaierons de clarifier dans ce livre, bien que certains seront sans doute chiffonnés de la manière
dont nous nous y prenons : quoi qu'il en soit, comme le dit la fable de La Fontaine, on ne peut
satisfaire tout le monde et son père.
On peut dire que le coeur de la mauvaise politique, comme de la mauvaise religion, est une
sorte de psychose en miroir : "L'autre est paranoïaque, et bien, je vais l'être plus que lui, ainsi,
c'est moi qui réussirai à l'annihiler". La loi du talion est une absurdité logique et psychologique,
mais elle est un moteur de psychopathologie puissant qui explique sa destructivité sociale. On
peut aussi faire remarquer dans ce sens qu'à l'origine, la justice dans les sociétés humaines était
une tentative de canaliser, de limiter et rationaliser la vengeance, mais clairement une forme de
vengeance collective quand même.
Certes, la légitime défense est reconnue par les lois. Cependant, l'habileté du paranoïaque est
en général de masquer son agression sous le couvert de la légitime défense. Dès le départ, avec le
mythe d'Ismaël chassé par Abraham et Sarah de façon arbitraire, l'islam s'identifie à une victime
injustement persécutée. Ce sentiment est très puissant dans le Coran et la vie de Mahomet aussi.
Ainsi, le devoir de "venger son honneur", ou par identification dévotionnelle profondément
ancrée, celui du Prophète, est inscrit dans l'inconscient profond de l’islam.
Certains analystes ont analysé financièrement d’un point de vue de la logique du talion les
événements du 11 septembre. Pour chaque dollar investi dans l'opération par Ben Laden, les
États-Unis en ont perdu 100.000... Il s’agissait donc d’une "bonne" opération du point de vue de
la paralogique paranoïaque des terroristes.
Ce qui fait la dangerosité sociale de l’atteinte, c'est qu'elle est éminemment contagieuse. Dans
la mesure où Israël a été un petit pays qui a été historiquement menacé à répétition par de
puissants voisins, la notion de persécution a particulièrement imprégné sa vie psychique et
religieuse, et ce n’est pas une tendance dont on se débarrasse facilement. L'islam a hérité de cette
mentalité de base, même si à cause de son histoire d’expansion militaire précoce, il a été en
réalité beaucoup plus souvent du côté des persécuteurs que des persécutés. Mais le plus important
psychiquement n'est en fait pas la réalité historique, mais l'identification mythique à des modèles
proposés par la dévotion et l'image qu'on a de soi-même. C'est à partir de cette représentation
qu'on fonctionne, et non pas grâce à une évaluation objective de la réalité extérieure. C’est pour
ce genre de raisons que la paranoïa religieuse est aussi facile à diagnostiquer qu'elle est difficile à
traiter.
À l'époque moderne, les injustices du système colonial ont certainement fourni certains
éléments réels comme points de départ à une paranoïa islamique. Le nom du persécuteur désigné
a changé, cela a été la France et l'Angleterre, ensuite l'Union Soviétique sous forme de 'petit
Satan' avec l'Afghanistan, et enfin les États-Unis sous forme de 'grand Satan', mais la fonction
psychique qu’occupe ce Persécuteur aux visages multiples dans l'esprit des intégristes est
toujours la même. D'une façon générale, la psychopathologie est marquée par la répétition, les
mêmes erreurs et les mêmes délires se reproduisent d’une génération sur l'autre. L'empreinte de la
colonisation été suffisamment forte, elle a suffisamment ravivé aussi la plaie d’un complexe
d’infériorité transgénérationnel de ne jamais avoir pu envahir l’Occident, pour que les musulmans
en général et surtout les islamistes aient du mal à se définir comme autre chose que "l'autre" par
rapport à un Occident à la fois adulé et haï.
109
En tant que thérapeute, je vois un grand risque dans la bonne volonté des analystes de
sociologie, d'économie ou de politique qui s’évertuent à trouver quantité de raisons à l'islamisme
et au terrorisme. Ils font couler de l'eau dans le moulin des rationalisations secondaires de la
paranoïa de ces derniers, et les fondamentalistes prennent ces explications comme du pain béni,
et autant de justifications de leurs passages à l'acte violents. De mon point de vue, c'est un des
points principaux sur lequel il faut attirer le discernement à la fois des spécialistes de l’islamisme,
des politiques et du grand public.
La paranoïa est une hypertrophie de l’ego du point de vue de la psycholgie moderne, et une
sorte de possession par le démon pour la psychologie traditionnelle. Dans ce sens, il est utile de
mentionner un enseignement du bouddhisme tibétain : « La source du ‘démon’ est notre propre
esprit. Quand celui-ci appréhende les phénomènes et s’y attache, il devient ‘proie du démon’.
Lorsqu’il se prend lui-même pour un objet, il s’empoisonne. »103 Un autre enseignement montre
que si on se fabrique un dieu, on ne peut guère éviter, par une sorte d’effet de pendule ou de
miroir, de se fabriquer un diable en même temps : « Si dans la déité on place trop d’espoir, la
crainte des démons surgira d’autant plus. Quand on sait que le monde et les êtres sont la déité,
dieux et démons n’ont plus qu’une seule saveur »104. Ainsi le conseil fondamental pour une vie
spirituelle ouverte et non paranoïaque pourrait être celui-ci : « Vous pouvez croire à ce que vous
voulez, mais n’y soyez pas attachés ! ». Le détachement libère et permet d’appréhender la réalité
et de s’y adapter telle qu’elle se présente et se modifie au fur et à mesure. Part ailleurs, la
paranoïa religieuse est basée sur le clivage, sur le monobinarisme exclusif comme le dit Jean
Soler, qui revient de façon rigide et sans demi-mesure sur un des deux pôles dans un couple de
contraires. Dans ce sens, le fait d’aller régulièrement vers l’expérience intérieure du ‘goût unique’
correspond au traitement le plus naturel du clivage psychotique.
En d’autres termes, quand on se fabrique un Dieu formidable, on risque fort de faire
apparaître en miroir un Démon tout aussi formidable, et de devoir ensuite faire le grand écart
entre le deux ad vitam aeternam. On se met soi-même dans la situation peu enviable d’un petit
pays qui est coincé entre deux grandes puissances et qui leur sert régulièrement de champ de
bataille, de la crevette entre deux baleines La pauvre humanité croyante dans le monothéisme est
en fait ravagée par la guerre froide entre Dieu et le Diable. On pourrait dire que c’est là toute la
tragi-comédie du monothéisme exclusif, quand il tombe dans le trou qu’il a lui-même creusé.
Un éminent biologiste spécialiste du système immunitaire, feu Francesco Varela, revenait sur
une analogie intéressante à propos de la violence et de l’exclusion, et finalement de la paranoïa
sous-jacente à ces comportements. Il la comparaît à une réaction auto- immune105 : les membres
d’une minorité, l’exclus, l’hérétique et même l’étranger sont membres de notre corps si nous
savons élargir suffisamment cette notion de corps. Cependant, notre système de défense peut
s’embrouiller et attaquer ses propres tissus, c’est ce qu’on appelle une maladie auto-immune. Vu
sous cette angle, la pseudo-unité que confère à un pays un Parti ou une Religion unique n’est pas
saine, il s’agit plutôt d’un symptôme assez sûr de « maladie auto-immune » à différents niveaux
du système social, puisque l’autorité unique a détruit les minorités et opposants qui étaient au fait
des parties du corps social lui-même.
Quelques mécanismes importants à saisir
Dépression et compensation
"Le dépressif doit faire quelque chose pour s'en sortir, c'est alors qu'il devient
paranoïaque"106 C'est à cause cette loi importante de la psychiatrie que nous avons commencé à
parlé en détail de la dépression, avant de voir comment se passe la tentative « d'auto thérapie » de
110
la paranoïa. Ceux qui n'ont étudié la psychologie ni en théorie ni en pratique se font souvent
berner pendant longtemps par le « parano » : celui-ci est par définition un « arrangeur ». Par
exemple, un délirant qui s'est retrouvé à l'Armée du salut car il n'avait nulle part ailleurs où aller
déclarait avec superbe qu'il a décidé d'aller là-bas "pour étudier les clochards". Nous sommes
dans le champ du délire de compensation. Le déprimé a le sentiment de plonger dans le néant. Or,
on sait que la nature, comme le sujet, a horreur du vide. Et c'est donc un persécuteur imaginaire
qui vient remplir ce vide.
La paranoïa représente l'accusation des autres, la culpabilité celle de soi-même, il n'est donc
pas étonnant qu'il y ait une alternance, une oscillation entre les deux. Quand on voit cela
clairement, on peut se demander si ce mécanisme n’a pas quelque rapport avec ce problèmes de
psychologie religieuse des chrétiens : leur prosélytisme ne serait-il pas entaché d’une forme de
paranoïa, eux-mêmes étant les seuls justes et se mettant en tête de convertir le monde entièrement
mauvais ? Ce sentiment de départ n’entraînerait-il pas l'autre face de la médaille, c'est-à-dire une
dépression se traduisant par de la culpabilité, qui chez certains peut devenir paralysante ? On peut
en dire autant des islamistes, qui 'payent' en quelque sorte leur désir de conquête mégalomane des
autres religions par de forts traits de culpabilité et d'autopunition, dont le martyre est l’exemple
suprême. Le paranoïaque est naturellement prosélyte : comme au fond il doute de sa conviction
absolue de façade, y convertir quelques personnes le rassurera beaucoup. Une forme de paranoïa
classique est celle des idéalistes passionnés, décrite par Dide en 1913.107
La question de fond est simple : quel est le nombre d'êtres humains suffisamment mûrs pour
développer une éthique solide sans avoir à recourir aux béquilles de délires de toute puissance
politico-religieuse ? Quand pourra-t-on passer pour de bon de dictatures politiques et
métaphysiques à une démocratie à la fois humaine et céleste ? Quand le vent de printemps arabe
fera éclore le lys de la liberté métaphysique de l’être humain ?
Le persécuteur :
Il s'agit d'un rôle qui peut être tenu par des personnes rapidement interchangeables. Par
exemple, dans le cas d'Aimée A. décrit par Jacques Lacan, un romancier a été rapidement
remplacé par une actrice célèbre dans cette fonction, et cette dernière a été attaquée au couteau,
elle ne s’en est sortie que de justesse. On ne peut s'empêcher de rapprocher ce mécanisme de la
définition plutôt passe-partout de "l'ennemi de l'islam," courante chez les intégristes. Quel que
soit le pays, la couleur, la langue des gens, ils sont poussés de force dans cette catégorie, qu'ils
soient israéliens ou hindous, américains ou européens, chrétiens, russes communistes chinois ou
même bouddhistes thaïlandais... Cela fait beaucoup pour un même islam.
Le thème de la jalousie permet de relier idées de grandeur et de persécution : les intégristes
sont envieux du bien-être, du développement et de l'intelligence de l'Occident et craignent au
fond que ceux-ci se vengent de leurs sentiments négatifs. Il y aura toujours des tensions normales
entre les groupes, mais quand elles sont dilatées au niveau quasi cosmique, cela revient à un
délire de persécution. Dans ce sens, on peut interpréter l'acharnement des terroristes à frapper les
touristes, que ce soit en Égypte, à Bali ou au Cachemire (sept attentats à la grenade déjà à la misaison touristique de 2006 contre des cars de touristes hindous, sans compter plusieurs attentats
ou tentatives d'attentats à la bombe contre le million de pèlerins également hindous qui se rendent
au pèlerinage Amarnath). Les touristes sont des gens a priori heureux, sans souci et qui ont du
bon temps en vacances. Les islamistes radicaux, eux, n'ont aucunes vacances de leurs obsessions
et de leur délire religieux, d'où leur jalousie pathologique, et leur passage à l'acte passionnel qui
cherche à frapper l'objet de jalousie, c’est-à-dire à la fois de haine et d'amour. Il faut bien
111
comprendre le mécanisme intime de leur haine planétaire. Olivier Roy en parle dans son livre
L’islam mondialisé.108
Les rationalisations secondaires
Il faut garder présent à l'esprit que les interprétations des paranoïaques partent d'une base de
vraie, ce qui les rend tellement convaincantes et apparemment rationnelles pour un public non
averti, surtout quand le patient est en fait un chef religieux ou politique entourée par l'aura du
pouvoir. "Une des astuces psychotiques est d'introduire des plaintes et des reproches réels, des
jugements exacts dans un ensemble par ailleurs délirant."109 C'est pour cela que je pense
sincèrement que les diplomates bénéficieraient d'un recyclage en formation continue sur les
paranoïas et pathologies associées, car ce genre de patients sont des acteurs qu’on peut souvent
rencontrer dans la politique internationale, avec évidemment des niveaux d’intensité pathologique
et de virulence variables selon les cas.
Il est essentiel de saisir correctement ce qu’est un délire en secteur : c'est une folie qui n’atteint
qu’une portion précise de la réalité. S'il arrive que, même sans critiquer explicitement les idées du
patient, on puisse simplement en sourire, celui-ci deviendra fou furieux et sera prêt
instantanément à sacrifier la moitié de la planète pour "venger son honneur". Les idéologies
totalitaires fabriquent par millions de tels personnages. Ceux-ci ont une tendance à la double
personnalité tellement leurs réactions sont différentes en fonction du secteur de leurs
préoccupations qu'on aborde. On cite par exemple durant la seconde guerre mondiale ce cas d’un
directeur de concentration qui le dimanche après-midi jouait du Bach en famille.
Il faut comprendre que la paranoïa ne se manifeste que rarement nue et telle quelle, elle
apparaît régulièrement déguisée avec des rationalisations secondaires. L'une des plus fréquentes
est la suivante : "On m'insulte et donc, je suis dans la regrettable obligation de contre-attaquer. Il
faut que je supprime l'architecte de cette Conspiration mondiale contre moi. Il faut que je le
détruise de toute urgence. C’est lui ou moi" C'est ainsi que le paranoïaque risque fort de se
transformer en assassin. Les psychothérapeutes et psychiatres débutants, ainsi ; que les novices en
politique, se font souvent embobiner dans ce genre de raisonnement. Après s'être fait berner un
certain nombre de fois, ils apprennent à se méfier et à développer leur discernement.
Il est intéressant que ce discours bien connu en psychopathologie se soit retrouvé quasiment
tel quel dans la campagne des clercs musulmans contre les caricatures de Mahomet dans un
journal danois peu connu. Certes, il y avait l'influence de l'Iran et de la Syrie de plus en plus
isolés internationalement à propos des questions nucléaires et qui essayaient en guise de contreattaque de créer une atmosphère générale de paranoïa et de remonter le niveau d'agressivité des
masses islamiques par tous les moyens. Cependant, la structure de psychose collective et
contagieuse de l'ensemble du phénomène était évidente, et le plus étonnant, c'est qu'un certain
nombre d'Occidentaux aient manqué de la voir en tant que telle, se soient fait berner en rentrant
dedans, en sympathisant avec ce délire de persécution ou bien au contraire en développant euxmêmes un délire de persécution réactionnel. Il s'agissait d'une pandémie qui a fait une centaine de
morts, autant de sacrifices humains offerts une fois de plus sur les autels de l'Idole unique, et tout
cela pour rien. Les masses musulmanes manipulées ont réagit à des caricatures d’un personnage
que personne n’a jamais vu avec une « caricature de paranoïa », et au bout du compte personne
n’y a vraiment gagné .Ces mécanismes psychologiques sont simples à comprendre, mais ils n'en
sont pas moins profondément pathologiques et destructeurs.
Suspicion et dénonciation du mensonge
112
'Suspicion' signifie le ‘regard en dessous '. Le paranoïaque ira régulièrement chercher la
‘petite bête’ et des motivations perverses derrière des comportements pourtant simples des autres.
Il pense qu'ils « portent un masque et cherchent à l'étiqueter ».110 On pense à la parole de Racine,
si je me souviens bien dans le Phèdre : « Tout m'afflige et me nuit et conspire à me nuire"111
Si une écriture sacrée est obsédée par l'idée que la majorité du peuple est hypocrite ou
fraudeur, cela indique probablement que son auteur souffrait de paranoïa. La psychiatrie pratique
n'est pas si compliquée que cela. Goebbels, cet artiste passé maître pour attiser la paranoïa des
masses, disait : "Semez le doute, semez le doute, il en restera toujours quelque chose."112
Le roi d'Arabie a le titre de gardien des lieux saints et est le souverain d’un des royaumes
musulmans les plus orthodoxes. Pourtant, il a eu le triste privilège de rentrer dans le Guiness
Book of Records comme celui qui avait joué le plus d’argent dans un casino en une nuit, alors
qu'on sait bien que le jeu est strictement prohibé par l'islam et son Prophète. Ce sont des «
bavures » sous forme de mensonges qui pèsent lourd dans la considération que les croyants ont
pour leur religion et finalement pour eux-mêmes. Ceci entraîne l'enchaînement habituel de
dévalorisation et de violence compensatrice.
Idées d’empoisonnement
Le 18 décembre 2009, les talibans ont été poursuivis dans leurs domaines du sud-Waziristan
par l’armée pakistanaise et ont dû s’enfuir. Pour se venger, ils ont lancé la menace d’empoisonner
les réserves d’eau potable non seulement dans toute la région, mais aussi ailleurs dans le pays, y
compris à Rawalpindi près de la capitale. C’est la ville où se trouve le quartier général de l’armée
pakistanaise. Dans la schizophrénie, ainsi que dans la paranoïa asthénique, c’est-à-dire où le
patient se sent en position de faiblesse, la peur d’être empoisonnée est très fréquente. Cependant,
menacer d’empoisonner un pays entier parce qu’on a perdu un bout de territoire correspond
typiquement à une paranoïa sthénique, agressive, et c’est celle-ci bien sûr qui est la plus
dangereuse du point de vue global. Dans l’histoire de la violence et de la pathologie psychiatricoreligieuse, on était rarement tombé si bas. C’était en fait une menace de guerre biologique.
Intolérance de l'ambiguïté
Il est bien connu que le paranoïaque voit le monde en blanc et en noir : "Ceux qui ne sont pas
avec moi sont contre moi", que ce soit dans la guerre contre le Diable ou le terrorisme…
Curieusement, l'objet du désir est envié, jalousé, c'est-à-dire à la fois aimé et haï. La peur de
l'incertitude est un signe de plus qui montre la progressivité du passage du domaine de
l’obsession vers celui de la paranoïa. Par exemple, un patient avait une telle peur de l'ambiguïté
de l'incertitude qu'il avait des crises d'angoisse quand il s’approchait des frontières du pays, et il
passait donc ses vacances dans le centre de la France... On pourrait y voir un bon symbole de
l'intégriste, qui reste craintivement dans le centre de l'orthodoxie, c'est-à-dire le Coran et la
charia, et qui a peur de l'interprétation, ijtihad, et surtout de ces "frontières" de l'expérience
intérieure d'où pourraient surgir des éléments dangereusement "étrangers", en un mot de
l’expérience mystique.
On peut considérer, pour s'exprimer familièrement, que la raison d'être du paranoïaque est
"d'être en pétard". C'est effectivement fou. Par ailleurs, On ne peut s'empêcher d'avoir de la
tristesse pour tous ces êtres qui pensent avoir mené une vie pieuse, mais qui ont en fait été
possédés par le démon de passions politiques basé sur des clivages psychotiques, le tout
vaguement déguisé sous un voile de sentimentalité religieuse. Une dernière remarque : quand on
a bien saisi que la loi des contraires est au centre du psychisme, on comprend mieux pourquoi
113
ceux qui prêchent sans cesse la croyance et la foi sont ceux-là mêmes qui sont le plus obsédé par
la trahison.
Persécution et sexualité
Pour Freud et les psychanalystes, le persécuteur est l'objet d'un amour homosexuel refoulé par
le paranoïaque. Les deux sont souvent du même sexe. Il semble que ce soit vrai dans un certain
nombre de cas, cependant, statistiquement, il n'y a sans doute pas plus d'homosexuels actifs ou
refoulés dans le groupe des paranoïaques que dans la population générale. L'accent est mis
maintenant surtout sur la culpabilité; celle-ci était en fait importante chez les homosexuels au
temps de Freud car cette tendance était sévèrement condamnée, c’est là qu’on peut faire le lien
entre les deux explications. On peut en réalité avoir de très belles paranoïas aussi à propos du
fisc, comme celle par exemple dont souffrait l'écrivain Ernest Hemingway à la fin de sa vie. Sans
doute n'avait-il pas déclaré ses revenus honnêtement, et il s'est imaginé être sans arrêt épié et
poursuivi par des agents des impôts. La culpabilité se transforme naturellement en idée de
persécution, et en délire mégalomaniaque compensatoire. 'Il y a régression du stade sadique-anal
avec son homosexualité associée vers le stade primitif narcissique-oral lié lui-même à la double
polarité dépression-méglomanie."113
Les passages à l'acte violents peuvent être interprétés comme une réaction contre la peur de
l'homosexualité passive. Le paradoxe, ce que ce sont les intégristes les plus violents – et parfois
violeurs – qui ont le plus tendance également à se référer à une charia rigide, c'est-à-dire un Droit
"inviolable"... Bel exemple de projection compensatoire et de psychisme qui marche par paires
d'opposés, par exemple celle du conscient et de l’inconscient.
Il est intéressant de noter que ce qui stimule le plus la paranoïa islamique, c'est l'association de
thèmes sexuels avec le Coran ou le Prophète : à témoin de cela par exemple l'affaire Claudia
Schiffer, la top-modèle allemande qui en 1994 a porté sur une robe légère des versets du Coran,
ou encore l'assassinat de Van Gogh en Hollande qui dans un de ses films avait fait peindre des
versets du Coran sur un corps de femme. Les versets sataniques de Rushdie allaient dans ce sens
jusqu'à un certain point. Certes, même les bouddhistes pacifiques peuvent protester
vigoureusement quand ils voient des Bouddhas représentés sur des bikinis, mais il ne leur viendra
pas à l'idée d'assassiner quelqu'un pour cela. En fait, le passage à l'acte criminel relève
clairement de la paranoïa, non seulement chez le meurtrier lui-même, mais aussi chez la masse
des bigots qui ont approuvé le crime en leur for intérieur. Le fait qu'ils se lamenteront bien sûr
affirmant qu'il ne s'agissait que d'une "défense" ne tient pas debout ni en psychologie, ni en droit,
ni même du point de vue de la coutume primitive de la loi du talion. Tuer quelqu'un pour un
simple dessin ne semble pas bien équilibré, donc contraire à la loi du talion qui affirme
clairement : « Œil pour œil, dessin pour dessin »…. Évidemment, ceux qui ont une mentalité
primaire peuvent interpréter la loi du talion de façon encore plus primitive qu'elle ne l'est à la
base, encore une fois, nous évoluons ici tout à fait dans l'univers de la paranoïa.
Paranoïa en politique
Dans cette section, nous allons particulièrement nous appuyer sur l'ouvrage de Robins et Post
dont nous avons parlé dans l'introduction.114 On peut dire que la politique est ce domaine
préférentiel, ce bouillon de culture particulièrement favorable à la naissance d’idées
paranoïaques. En effet, il faut être capable de méfiance, de soupçon, de dépister des
114
conspirations, des complots et des cabales contre soi pour pouvoir se maintenir et se développer
dans le milieu politiques. Cependant, il y a des cas où cela tourne à la paranoïa pathologique. Par
exemple, on peut considérer que Staline a eu une violence adaptée même si elle n'était bien sûr
pas juste du point de vue éthique, en tuant des gens pour arriver au pouvoir. Mais en 1933, quand
il avait le pays bien en main et qu’il s'est lancé dans ses grandes purges, il a fait entre 27 et 40
millions de morts, et en plus, par son affaiblissement de l’Armée rouge il a permis aux nazis de
tuer 20 millions de plus de citoyens soviétiques pendant la seconde guerre mondiale. Il s'agissait
en fait de paranoïa pure et simple, il n’avait pas besoin des grandes purges politiquement et
historiquement, mais il craignait de façon délirante pour son pouvoir et surtout sa propre peau. Il
s’agissait du plus grand dictateur de l'histoire de l'humanité, sans doute après Mao-Tsé-Toung, et
du point de vue de la psychiatrie, son trouble était un délire systématisé : il gardait suffisamment
de raison pour gérer une guerre mondiale et plusieurs génocides, mais à propos de sa propre
personne et de son besoin maladif de se défendre des persécutions, il était en pleine construction
délirante.
Il faut reconnaître que la paranoïa est largement répandue dans les sociétés, en particulier
dans celles qui subissent des changements rapides. C'est le cas de la plupart des pays musulmans
devant faire face à la modernisation-occidentalisation. De plus, il faut garder présent à l’esprit
que dans les religions, la majorité est plutôt quiétiste, et il n’y a qu’une minorité d’activistes. Le
premier groupe ignore purement et simplement les arguments, les faits et les personnes qui
pourraient remettre en cause ses dogmes de près ou de loin, mais par contre, le second groupe
cherche à détruire ces arguments ou autres. Pour la psychologie, la croyance est basée sur une
paralogique, et ensuite elle sélectionne de façon partielle et partisane les preuves qui vont dans
son sens en laissant tomber les autres. L’appel de la sirène dans les eaux que lance le dirigeant
paranoïaque résonne dans les oreilles et le coeur de ses adeptes de façon obsédante, et les mène
vers la noyade : "Ce n'est pas nous, ce sont eux qui sont responsables de nos problèmes, donc il
faut les détruire avant qu'ils nous détruisent."
Ce dirigeant délirant représente ainsi une sorte de thérapeute de groupe mais perverti, voir
inversé : à la place de ramener les gens à l'intérieur d’eux-mêmes ou de résoudre leurs propres
problèmes, il flatte leur ego en leur suggérant que toutes les difficultés viennent de l'extérieur
uniquement. La propagande nazie représentait le Führer en blouse blanche avec un stéthoscope,
le message était qu'il connaissait la maladie de l'Allemagne et le « traitement approprié », par
exemple détruire l’infection juive qui devenait septicémique. Tout ce que le peuple avait à faire,
c’était de s'abandonner avec confiance en ses mains ; les fondamentalistes se proposent aussi
comme des docteurs, des spécialistes de la question connaissant le diagnostic et étant au courant
du traitement. Ce dont les adeptes s'aperçoivent seulement après, c'est que le traitement était pire
que le mal et que ceux qui se présentaient comme de bons docteurs étaient en fait des
charlatans…
Sur 3 millions de Juifs qu'il y avait en Pologne avant la seconde guerre mondiale, 2 900.000
ont été tués et les autres ont fui. Il n'y en a donc pratiquement plus dans le pays. Pourtant, les
Polonais catholiques restent cependant d'un antisémitisme qu'on pourrait appeler platonique, de
même que l'amour platonique existe même sans la présence physique de son objet. Curieusement,
quand les communistes ont été renversés en Pologne et plus généralement en Europe de l'Est,
l'antisémitisme est monté, car il fallait remplacer dans l’esprit de la masse catholique un ennemi
assez réel par un autre franchement imaginaire. Pauvre esprit humain, avec ses besoins
irrépressibles de boucs émissaires !
La dynamique de la paranoïa est une spirale descendante, les prophéties ont tendance à se
réaliser d'elles-mêmes. Au début on s'invente des ennemis imaginaires, on les agresse,
115
évidemment ceux-ci répondent vigoureusement, et cela dégénère en une bagarre générale. Le
dirigeant paranoïaque sait tout à fait reprendre l'appel aux qualités du coeur qu’utilisent
régulièrement les religions prosélytes : "Oubliez la froide raison, le coeur, c'est tellement bon,
c’est tellement chaud, c’est tellement mieux !" Blaise Pascal disait : "C'est le coeur qui est
conscient de Dieu, pas la raison"115 et aussi le célèbre "Le coeur a ses raisons que la raison ne
connaît pas". Cela paraît pieux dans sa soumission exprimée au Tout-puissant, mais peut donner
froid dans le dos quand on réfléchit à ce que déclarait Rudolf Hess quand il recevait au nom du
Führer les serments des membres du parti National-socialiste en 1934. Il exhortait son audience
ainsi : "Ne cherchez pas Hitler avec votre cerveau ; vous tous allez le trouver avec la force de
votre coeur."116. C’était simple, chaleureux, réconfortant, presque pieux…mais dans ce contexte
éminemment dangereux. Par ailleurs, la paranoïa peut prendre parfois la dimension d'une
mentalité de siège : souffrent de cette mentalité par exemple les Sud-africains blancs au milieu
d'un pays qui est passé au pouvoir des noirs, les Nord-coréens, les Israéliens, les Palestiniens et
les Iraniens.
Le sujet de notre ouvrage étant l'islamisme, nous pouvons prendre maintenant quelques
exemples tirés des sociétés musulmanes. Nasser encore adolescent en Égypte a entendu une
manifestation passer dans sa rue. Il l'a suivie et raconte : "Je ne savais pas contre quoi ils
protestaient, mais j'ai réalisé que c'était la vie pour moi." Nous sommes ici au cœur de la
question : la revendication, justifiée ou délirante peu importe, devient une fin en soi, une raison
d'être. De plus, le paranoïaque, à cause de sa tendance à la suspicion, reste d'habitude isolé et
renfermé, mais par compensation, il se sent bien aussi de se regrouper avec des gens qui
partagent son mode de fonctionnement et ses idées.
Le propre du sectarisme, du fondamentalisme et de la paranoïa, c'est une double éthique. Par
exemple Mohamed Navab Safavi explique: " Tout ce qui sert la cause de l'islam est juste - mentir
au nom d'Allah, voler au nom d'Allah, tuer au nom d'Allah... Un meurtre au nom d'Allah est une
prière quand on doit écarter du chemin ceux qui nuisent à la foi."117 Il faut bien réaliser qu'il ne
s'agit pas d'un choix optionnel, mais d'un devoir. Ainsi, l'éthique est réservée à ceux qui font
partie de la secte, et reste inexistante par rapport à ceux qui sont en dehors. Il s'agit évidemment
d'une perversion psychologique typique. Khomeiny déclarait par exemple durant la guerre contre
l'Irak : "Pourquoi ne récitez-vous pas les sourates du meurtre? Pourquoi devez-vous toujours
réciter la sourate de la miséricorde ? N'oubliez pas que tuer est une forme de miséricorde."118 On
pourrait donc parler d'"immunité sectaire" comme on parle d'immunité parlementaire, c'est au
fond la forme la plus simpliste et affligeante du sentiment de pouvoir : "Je peux faire tout ce que
je veux, car je suis protégé par quelqu'un de Tout-puissant". Comme Pascal le faisait remarquer :
« Les gens ne font jamais le mal aussi ouvertement et avec autant de satisfaction que quand ils le
font par conviction religieuse. »119 Quand on s’est inventé une loi qui nous arrange, on peut
facilement s’offrir le luxe de la suivre scrupuleusement.
Certaines difficultés réelles peuvent avoir une répercussion délirante. Les Palestiniens
depuis le début de l'Intifada en 1987 ont eu ce problème. Abu Khaled, un exorciste musulman,
explique que le nombre de musulmans possédés a plus que triplé : « Je soupçonne que des
magiciens juifs nous envoient des jinns ici à Gaza, la plupart de mes patients sont possédés par
des jinns juifs. Les jinns à la fois juifs et chrétiens sont noirs, mais on peut distinguer les juifs par
les cornes qui poussent sur leurs têtes ».120 Ce qu’il y a de bien dans la paranoïa, c’est qu’elle est
rassurante par son apparence logique, voire presque scientifique.
Les théories de conspirations sont courantes au Moyen-Orient. Certainement l'esprit de clan ou
les sous-groupes qui tournent en rond sur eux-mêmes et ne cessent de comploter les uns contre
les autres y sont pour quelque chose. De façon plus générale et dangereuse, la constitution
116
iranienne est la seule constitution dans l'histoire de l'humanité qui mentionne la conspiration non
seulement une fois, mais deux. Son préambule se réfère à la Révolution blanche du Shah comme
un "complot américain". Plus avant dans le document, les droits des non-musulmans sont garantis
seulement si "ils ne sont pas impliqués... dans des conspirations élaborées contre la République
islamique d'Iran."121 L’Iran des ayatollahs a inventé la paranoïa constitutionnelle. C’était simple,
mais il fallait y penser.
En parvenant à la fin de cette section sur la paranoïa en politique, il faut aussi signaler que des
idées paranoïaques peuvent être propagées par des gens qui sont en fait seulement opportunistes
mais finalement, si elles leur assurent le succès, ils peuvent finir par y croire. Il y a aussi ce type
de personnages tellement convaincus de la nécessité de détruire un groupe ennemi – tout en étant
normaux dans la vie courante par ailleurs, qu'on pourrait parler d'orthonoïaques. Justement parce
qu'ils ont l'air ordinaires, ils sont très dangereux. Ils ont une sorte de double personnalité, leur
violence est dormante, mais quand les circonstances politico-religieuses le permettent, elle se
réveille dans toute sa destructivité. Bien que les dirigeants paranoïaques aient un certain charisme
destructeur, il faut se souvenir pour terminer qu'un certain nombre de personnalités publiques ont
aussi un charisme constructeur, des gens comme Gandhi ou le pasteur Luther King ont apporté
une contribution positive à la société. Le charisme est une force neutre en quelque sorte, il peut
être utilisé pour le mal comme pour le bien, pour la violence comme pour la non-violence.
Le rôle de la psychopolitique est de dépister ce genre de personnalités paranoïaques avant
qu'elles ne soient capables de vraiment nuire. Si l’on médite sur le cas de Staline, on se demande
à quoi cela sert de naître comme être humain. Peut-on trouver un exemple d’animal qui cause la
mort d’environ 40 millions de ses congénères ? Puisque nous parlons ici du rapport entre religion
et psychopathologie, il faut signaler que ce n'est pas glorieux pour l’Eglise que Staline ait été
séminariste au départ. Est-ce que l’idée qu’il n’y avait qu’une seule Vérité révélée et absolue
selon laquelle l'humanité devait se soumettre ne lui était pas montée à la tête ? N'avait-il pas
gardé le cadre d'une pensée totalitaire chrétienne, en la vidant de son contenu pour le remplacer
par un autre correspondant au communisme ? Est-ce que le ‘Petit père des peuples’ n'a pas fini
par se prendre pour Dieu le Père ? Bertrand Russell n’avait-il pas une intuition juste quand il
faisait remarquer : "Le communisme est une hérésie du christianisme"?
Quand on pense comme je le fais que le religion peut apporter quelque chose de positif à
l’être humain, on ne peut qu’être plutôt triste devant le fait sociologique suivant : il y a eu un
regain de pratique personnelle et collective de l’islam en France après le 11 septembre 2001.
Ainsi, le calcul de Ben Laden s’est avéré vrai au moins à court terme. L’assassinat de masse était
aussi un énorme coup de publicité. Il jubilait lui-même après les attentats en disant en substance :
« Maintenant, tout le monde parle de l’islam ». Cela a renforcé la croyance des fidèles naïfs et
apeurés selon laquelle Dieu existait vraiment, qu’il était bien tout-puissant puisqu’il pouvait
détruire les Tours jumelles et que donc il fallait le prier si on ne voulait pas être puni dès cette vie
comme les New Yorkais et ne pas être envoyé en enfer dans la vie suivante. Du point de vue de
la psychopathologie religieuse, cela semble bien avoir été une rechute dans une hypertrophie
réactionnelle de l’ego identitaire critiqué de toutes parts, donc en termes clairs un accès de
paranoïa. Cette rigidification des positions est bien attristante. En fait elle et ancienne, elle
remonte exactement au jour où le pseudo-Moïse, il s’agissait très probablemet de Josuas vers 630
avant Jésus-Christ, a massacré 3500 adorateurs du Veau d’or, nous l’avons vu. La rupture avec le
polythéisme environnant était consommée par la violence, la société a été clivée par le slogan
simpliste « Ceux qui ne sont pas avec moi sont contre moi » et cela a été le début de l’état de
guerre sainte chronique du monothéisme avec le reste de la planète, dont nous pâtissons encore
aujourd’hui malheureusement.
117
Plus le temps avance, plus les islamistes semblent ridicules aux yeux d’une grande partie de
la population, surtout des jeunes. Cela ne veut pas dire qu’ils cessent d’avoir de l’importance,
mais ils doivent faire face à cette réalité : on les voit de plus en plus comme des bouffons
d’Allah, et le ridicule tue. Dans l’Europe chrétienne, la réaction intégriste a été un temps
puissante, autour de la période de Vatican II et juste après, mais elle s’est désagrégée
progressivement : en effet, elle apparaissait de plus en plus ridicule aux yeux de la population
générale, les soutanes devenaient insoutenables, et porter un col romain devenait un travail…de
romain. Au niveau des pays musulmans, depuis les soulèvements du Printemps arabe en
particulier, il y a un certain nombre de signes qui vont dans ce sens, évidemment avec de grosses
variations d’un pays musulman à l’autre. Cependant, si l’armée s’associe aux islamistes, les vrais
démocrates auront de grosses difficultés. De plus, soulignons que le sens de l’humour est très
important pour désamorcer la paranoïa, en particulier religieuse, il peut être plus efficace pour
faire réfléchir les gens que des campagnes agressives et qui recherchent la confrontation directe.
L’internet favorise-t-il la libération de l’islamisme radical ou l’enfermement dans la
paranoïa religieuse ?
La réponse est en fait : les deux. D’un côté, l’internet permet l’organisation des mouvements
populaires et pro-démocratiques. Il ne s’agit pas seulement des contacts entre les contestataires,
mais aussi d’une exposition directe, en quelques clics de la souris, à l’opinion globale de la
planète sur la situation et les évolutions dans les pays musulmans. L’imam est au fond courtcircuité, et son discours du vendredi n’est plus du tout la seule référence de ses auditeurs. Il y a de
moins en moins d’oasis vraiment sûrs pour les musulmans conservateurs. La Mecque et interdite
aux non-musulmans, mais les messages des téléphones portables et de l’internet peuvent rentrer.
Facebook risque bien de rendre périmée l’école coranique, bien qu’évidemment cela ne se fera
pas du jour au lendemain. Bien sûr, certains islamistes prosélytes et à la pointe du progrès
essaieront de lancer l’apprentissage du Coran par vidéo-conférence, mais je n’e suis pas sûr qu’ils
aient du succès. Sur ce miroir qu’est l’écran d’ordinateur, l’islamiste rigide est de plus en plus
amené à voir son propre visage reflété par la planète, et cela provoquera bien sûr toutes sortes de
prises de conscience. Si l’imam ne s’adapte pas, il est vite discrédité, en particulier auprès des
jeunes, car ils réaliseront vite qu’ils en savent plus que lui sur la plupart des sujets importants.
Les pensées totalisantes ou totalitaires ont besoin d’un contrôle de l’information le plus complet
possible. La liberté de communication qu’a permis par exemple l’imprimerie à partir de la fin du
XVe siècle a favorisé le développement du protestantisme et de la Renaissance. La liberté de
l’internet est en train de sonner probablement à long terme le glas de la pensée unique dans les
pays d’islam, c’est-à-dire pour être réaliste le glas de l’islam tel que nous le connaissons
actuellement.
Cependant il y a des ombres au tableau. De manière générale, l’internet sert de caisse de
résonnance à toutes sortes de rumeurs et de théories de la conspiration : les sirènes de la paranoïa
amènent nombre d’Argonautes-internautes à se noyer dans les eaux troubles du délire, en
particulier de persécution. Le monde religieux, tirant son autorité d’un plan en lui-même virtuel
en quelque sorte, est particulièrement exposé à ce type de déviations sur l’internet, et cela
favorise l’islamisme et ses glissements, comme d’ailleurs d’autres types de délire religieux.
Société
118
Le moi du paranoïaque ressemble à une tumeur cancéreuse, qui est à la fois forte et faible:
forte, parce qu'elle peut tuer l'organisme, faible, parce qu'elle a besoin de lui pour vivre. Ce qui
est valable à l'intérieur du système psychique l'est aussi dans le rapport du paranoïaque avec le
système social. "Il veut être connu dans la grandeur sacrée de ses actes d'exception"122 On a
parfois décrit cette tendance comme un complexe précis, comme ce personnage de l’Antiquité
qui avait détruit un beau temple en Asie mineure à son l'époque pour la simple jouissance d'être
immortalisé dans l'histoire à cause cet acte idiot. Tout récemment en juillet 2011, il y a eu le cas
tragique du terroriste « chrétien culturel » comme il se définit lui-même, et défenseur de
l’Europe à sa façon qui a tué plus de 70 personnes, Breivik en Norvège. Nous avons mentionné
qu’il allait « avoir » 600 personnes environ pour assister à son procès prévu en avril 2012. Il va
avoir ce qu’il voulait. J’ai déjà mentionné plusieurs fois que la psychopathologie est souvent bête,
mais ici elle l’est « très-très »…
Ce complexe poussant à marquer la mémoire de la société est évident dans beaucoup d'actes
terroristes, mais on pourrait aussi le discerner dans l'iconoclasme des monothéistes. Ils détruisent
des statues, les temples, les œuvres d’art des religions polythéistes qui font partie du patrimoine
artistique de l’humanité, et encore plus grave tuent leurs prêtres, ce sont en fait autant de passages
à l'acte sacrilèges. Cela leur enfle l'ego et leur donne un sentiment momentané de toute puissance,
qui réussit difficilement à cacher la misère mentale et morale de ce type de pieux délirants en
poussée aiguë.
Les spécialistes reprochent aux médias leur présentation simpliste de l’islamisme et de l’islam
en général. C’est vrai que les grands titres des journaux sont a priori très résumés et que
l’annonce d’un nouvel attentat terroriste a quelque chose de plutôt répétitif. Cependant, ce côté
direct des médias a le gros intérêt de mettre la pression sur la masse des croyants musulmans pour
qu’ils comprennent qu’il y a d’autres point de vue que celui que leur a enseigné leur imam. Cela
permet une friction saine entre des idées fort différentes et mène en général à un début de
réflexion et donc d’évolution. On dit probablement avec justesse qu’une des causes du succès du
printemps arabe a été que les jeunes étaient au courant en quelques clics d’ordinateur du regard
de la société planétaire sur les évolutions de leur pays. Le filtrage des informations qui est
l’instrument de choix des totalitarismes, en particulier religieux, s’est désagrégé. Voilà une belle
réussite de la modernité. Je ne pense pas par contre que les recherches des spécialistes dans les
cénacles universitaires occidentaux aient eu un grand impact sur les soulèvements populaires.
Dans la culture archaïque, justice et violence sont une seule et même chose, la loi du talion n'a
été là que pour essayer de canaliser et régulariser ces poussées agressives qui pouvaient
dégénérer à tout moment. Certainement, les fondamentalistes sont archaïques. Pour terminer ces
pensées diverses avant de passer à des réflexions sur le cas d'Aimée A., nous pouvons rapporter
une dernière observation du Dr Chazaud : "Les psychotiques interprétatifs sont des révélateurs
sociaux. "123 Il raconte plusieurs cas de patient qui lui ont décrit des événements ou des
transformations sociales dix ou quinze ans à l'avance. Ainsi, même si on est d'accord que les
islamistes radicaux ont en général de forts liens avec la psychose, cela ne veut ne pas dire n'y ait
rien à entendre dans leur message. C’et la que les autres sciences humaines comme la sociologie
ou la politologie rentrent en jeu. De toute façon, soyons attentifs.
Le cas d'Aimée A.
Nous avons déjà mentionné cette Aimée A, une femme dans la trentaine qui souffrait d'un
délire sensitif de relations qui a été étudié en détail par Jacques Lacan dans sa thèse de médecine.
Il résume son diagnostic comme un délire d'autopunition. Il dit d'elle entre autres : "Tous les
119
éléments troubles de l'actualité sont utilisés. Par exemple, l'assassinat d'une personne célèbre à
l'époque est souvent évoqué. "124 Cela revient à dire que le délire se construit progressivement à
partir de nouvelles diverses et variées, mais avec une systématisation plutôt folle. Nous sommes
proches de la manière dont s'élabore le système de pensée fondamentaliste. Je me souviens de
quelques rencontres de musulmans à la limite de l'intégrisme que j'avais faites quand je vivais
dans un pays arabe et fréquentais à l’occasion une confrérie soufi. Ils étaient au seuil de la
vieillesse, et leur vie mentale se réduisait de plus en plus à suivre les nouvelles à la télé et à se
réjouir en criant "Victoire !" quand un dictateur islamiste quelque part en Afrique s'emparait du
pouvoir dans un bain de sang, et de gémir d'un air défait quand un autre potentat musulman se
faisait renverser ailleurs par un ‘infidèle’. On aurait dit qu'en suivant indéfiniment ce match de
foot politico-cosmico-religieux, ils s'enfonçaient en douceur dans la démence sénile. Qui aura le
pouvoir de les sortir de ce processus ? Il est en fait connu que des psychoses non organiques,
d’origine psychique donc, peuvent conduire à des démences, il y a au moins le cas de la démence
vésanique pour la schizophrénie ; on peut avoir l'impression d'un équivalent dans le domaine de
la paranoïa chez certains conservateurs hyper-rigides ou intégristes en fin de course.
Aimée a été internée après avoir tenté d'assassiner à coups de couteau une actrice célèbre
qu'elle ne connaissait pas personnellement, quand celle-ci arrivait au théâtre. Quand on lui a
demandé pourquoi elle avait fait cet acte insensé, elle a répondu : "Pour défendre mon enfant".
Elle était en effet convaincue que son enfant unique était l'objet d'un complot, que sa vie était en
danger, et elle imaginait que l'actrice était la maîtresse d'oeuvre de la conspiration. Deux ou trois
semaines plus tard, dans sa cellule, elle s'est effondrée en réalisant que tout cela n'avait été qu'un
délire. Nous touchons ici un point très important : qui que ce soit, même les pires criminels ou les
délirants, se justifient moralement au moins au moment où ils passent à l'acte; après évidemment,
ils peuvent regretter, mais sur le coup, ils sont sûrs que l'attentat était parfaitement justifié, sinon
ils ne l'accompliraient pas. Tout le monde suit la loi juste sans exception – mais chacun avec son
interprétation personnelle…
Les terroristes, les intégristes qui torturent toute une nation avec des lois archaïques comme
c'est le cas en Iran encore actuellement, sont sincèrement convaincus en général d'agir pour la
"défense de la vertu et la destruction du vice", et c'est justement pour cela qu'ils sont si
dangereux. De plus, si on accepte le fait que l'attachement à son enfant était à Aimée ce que leur
cause est aux intégristes, son aveu est particulièrement révélateur :" 'Pourquoi, lui demande-t-on
un jour pour la centième fois en notre présence, mais pourquoi croyiez-vous donc que votre
enfant était menacé ?" Impulsivement, elle répond "Pour me châtier" "Mais de quoi ?" A ce
moment-là, elle hésite : "Parce que je n'accomplissais pas ma mission..." Mais elle ajoute
l'instant d'après : "Parce que mes ennemis se sentaient menacés par ma mission..." Malgré leur
caractère contradictoire, elle maintient la valeur de ces deux explications."125
Dans ce type de délire, les thèmes de persécutions et de grandeur sont intimement liés, et
peuvent déboucher par exemple sur des idées de guerres cosmiques. Par ailleurs, si le patient se
trouve sur le versant dépressif, il est accessible aux conseils et à la psychothérapie, mais s'il est
sthénique et dynamisé, il restera "dynamiteur" et passera à l'acte. C'est le problème avec les
islamistes radicaux, ils tirent une certaine énergie de leurs pratiques religieuses et de leurs
croyances apparemment sans faille. Cela ne veut pas dire qu'ils aient été forcément été bigots dès
l'enfance, mais il y a eu un moment où leur foi – dans leur cas il serait plus clair de parler de
conviction délirante – s'est imposée à eux et a pris toute la place.
Souvent, les paranoïaques passionnels perdent d'un coup leur délire après leur passage à l'acte
criminel : celui-ci, semble-il, a donc été un échafaudage temporaire pour justifier leur délit. Le
cas des terroristes et plus compliqué car leur délire est imbriqué dans la religion, celle-ci
120
s'entourant sans cesse de défense ainsi inexpugnables du genre : "Toute critique vient de Satan, la
voix de mon Dieu bien-aimé me dit d'attaquer et de détruire, donc je le fais par amour pour Lui
et afin de sauver l’humanité, etc." Ce genre de répliques toutes faites congèle en quelque sorte la
paranoïa, et rend les passages à l’acte plus destructifs.
En arrivant à la fin de ce chapitre, il faudra se souvenir que si l'ego est une machine à se
justifier, la paranoïa l'est encore bien plus. Ainsi par exemple, on devra se méfier de quelqu'un
qui passe son temps à essayer de s’innocenter lui-même sans qu'on ne lui ait rien demandé.
Certes, la construction délirante peut être comprise comme une tentative maladroite d'auto
thérapie, qui aide à survivre même si on reste passablement à côté de la réalité. Cela nous amène
pour conclure à une sur une réflexion que Chesterton donne à propos de la folie et qui s'applique
bien à mon sens aux néo-fondamentalistes en veine de sacrifice et de martyre : " Le fou n'est pas
celui qui a perdu la raison, mais qui a tout perdu sauf sa raison".126
121
CH 4
DÉLIRES SYSTÉMATISÉS ET ISLAMISME
Nous en arrivons maintenant à un chapitre central de cet ouvrage. Nombre des réflexions cidessous sont valables pour des fondamentalistes religieux non musulmans, mais nous les
appliquerons à l'islamisme à cause du sujet même de ce livre, mais parce qu’actuellement la
violence est beaucoup plus importante quantitativement et statistiquement chez les islamiques
radicaux que chez les fondamentalistes d’autres religions.
Pour fixer les idées, l'organisation des symptômes en syndromes tournera autour de la
paranoïa sthénique et agressive, en d'autres termes les délires en secteur comme l'idéalisme
passionné et la jalousie. Cependant, il y a nombre de variantes, de formes cliniques comme on dit
en médecine, et nous évoquerons en particulier le versant dépressif du trouble, c'est-à-dire la
paranoïa sensitive de relation.
La mauvaise politique va de pair avec la mauvaise psychologie : il n'est pas interdit de qualifier
des attitudes ou une vision du monde de quelqu'un de paranoïaque, mais il faut pouvoir
argumenter cela sérieusement, être capable de regrouper les symptômes en syndromes, et
indiquer s'il s'agit d'une tendance due à des phénomènes de simple légitime défense ou bien d'un
délire collectif beaucoup plus dangereux dans ses conséquences.
Complexe de supériorité et mégalomanie en tant que compensation de la dépression.
Les soufis voient le divin qui se diffuse universellement dans les êtres humains, comme les
hindous, et finalement de façon analogue aux bouddhistes avec leur nature de Bouddha. Par
contre, un littéraliste comme Ibn Tamiyya-le-damascène (mort en 1328), dans la lignée d'Ibn
Hanbal (au premier quart du IXe siècle à Bagdad) exige une séparation radicale entre Dieu et
l'homme : il n'est pas défendu d'évoquer à ce propos le clivage psychotique, on aimerait pouvoir
dire "théotique", une forme de paranoïa qui donne un grand coup de sabre entre un Dieu tout
blanc et un homme tout noir. Faut-il dire merci ?
Nous avons déjà cité Juergensmeyer qui a effectué une grande enquête sur le terrorisme
religieux de par le monde. Il a en particulier visité la Palestine en 1997 : plus important que les
difficultés socio-économiques étaient, dit-il, le sentiment d'humiliation. Évidemment, depuis
qu'Hamas est arrivé au pouvoir et que la plupart des aides ont été coupées, les difficultés
économiques s'ajoutent à cela et mettent de l'huile sur le feu. Un penseur souvent invité dans les
conférences en Occident pour représenter l'islam, Akbar S Ahmed,127 a bien repéré qu'un des
problèmes central de l'islam d'aujourd'hui était l'asabiyya exagérée, l'honneur, le sens du clan
exacerbé, la sensibilité à fleur de peau qui se sent indéfiniment insultée.
Le fait que l'islam soit arrivé assez tôt au pouvoir politique et ait eu rapidement la capacité de
persécuter les voisins et les minorités n'exclut pas du tout que dans son imaginaire à propos de
son origine, de son mythe fondateur, et même à propos de sa situation à chaque époque, les
islamistes se soit sentis et se sentent toujours persécuté. Si la structure mentale va dans le sens de
122
la paranoïa, il y aura toujours des prétextes pour avoir peur, l'agressivité anti-chrétienne des
chrétiens qui se réveillent étant celui invoqué le plus couramment.
On pourrait considérer que l'iconoclasme est une forme de mégalomanie compensatrice
d'une dépression et d'une mauvaise image de soi-même. Au fond, tous les bigots qui se sont
soumis à une idéologie totalitaire ont un discours tristement répétitif: "Humilie-toi devant le
Tout-puissant (ou bien l'idéologie toute-puissante) sinon Il pourra t'annihiler en une fraction de
seconde dans sa rage absolue". Ils ne s'aperçoivent pas qu'en disant cela, ils se mettent à la place
du Tout-puissant et qu'ainsi ils se rendent eux-mêmes suprêmement orgueilleux.
En psychiatrie, on constate que chez les patients paranoïaques, les idées de grandeur ont
toujours un côté altruiste, mais dans un lointain futur – évitant ainsi soigneusement la véritable
épreuve de réalité présente. En d’autres termes la réalisation concrète des projets grandioses est
toujours repoussée à plus tard. On peut rapprocher cela du rêve de califat des islamistes, ou même
de la promesse de conquête du monde entier pour l'islam que les musulmans attendent depuis
quatorze siècles avec, on doit le dire, une frustration et un doute croissant en proportion exacte du
temps qui s’écoule et, ajoutons-le pour le Moyen-Orient, des réserves de pétrole qui s’épuisent.
L'aspect de compensation d’une dépression par une mégalomanie qui vous offre en prime le
luxe d'une mort avec du panache, ressort bien dans cette simple déclaration d'un jeune suicidant
palestinien sur une vidéo avant d'aller "s'éclater" dans sa nuit de noces avec le Néant : "Vraiment,
il n'y a qu'une mort, autant qu'elle soit sur la voie de Dieu (le jihâd)." Devant de telles
déclarations qui sont courantes dans le milieu, la qualification de l'islamisme radical comme un
culte de la mort paraît fondée.
Un certain nombre de musulmans sont très fiers qu'en pays d'islam, les mosquées soient
souvent pleines mais du point de vue du psychologue, on peut considérer les choses
différemment. En effet, ni la démocratie, ni l'économie ni la culture ne fonctionnent en général
bien là-bas. La pratique religieuse se présente alors comme un phénomène compensatoire, en
conférant un sentiment de toute-puissance facile au fidèle. Ceci dit, celui-ci reste largement
imaginaire, et quand il s'imposait dans une société, il menait en général au désastre du
fondamentalisme.
Certains psychologues s’intéressant à l’islam parlent du syndrome andalou128. Il s’agit de ces
musulmans qui ne cessent de pleurer les splendeurs de la civilisation et la tolérance supposée de
l’islam d’Andalousie au Moyen-âge et qui s’en servent pour justifier leur dépression par rapport à
la réalité de l’islam actuel. Il est intéressant, pour donner un coup d’aiguille dans le ballon de
baudruche du mythe andalou, de citer une réponse du soufi Hassan Basra, qui justement vivait à
cet époque d’Age d’or supposé, vers le Xe siècle, bien qu’en un autre endroit du monde arabe,
c’est-à-dire en Irak. On lui a demandé : « Où sont les vrais musulmans, où est l’islam ? » Il a
répliqué « Les vrais musulmans sont morts, l’islam est dans les livres ». Comme nous verrons
que cet autre âge d’or absolu auquel il fait allusion, celui des origines avec le Prophète et les
quatre califes, est en fait lui-même largement mythique et effectivement n’a été que dans les
livres, que reste-t-il ? Un sentiment de dépression omniprésente, qui existait donc déjà au Xe
siècle. Ceci n’est pas un hasard, mais permet justement de comprendre pourquoi l’islamisme ‘a la
peau dure’ : en effet ; la dépression est le carburant qui permet à ce tank qu’est la paranoïa
d’avancer droit en détruisant tout devant lui. Donc ce ‘syndrome andalou’ ne représente pas
seulement une nostalgie bien gentille des origines comme il y a dans toutes les religions. Il
‘justifie’ – par une logique plutôt psychotique certes – la violence présente pour ‘restaurer la
gloire du passé’ et ‘venger l’honneur de l’empire d’islam insulté par la modernité’.
Il faut comprendre que la paranoïa n'est pas le seul moyen de s'extraire de la dépression.
L’hyperactivité maniaque est un autre mécanisme possible, certainement plus positif et
123
constructif, on pourrait considérer que c'est lui qu’a par exemple choisi le Japon de l'après-guerre,
pour compenser sa défaite militaire pas une victoire économique.129 Par contre, dans le nouveau
jihâd du style de Ben Laden et des mouvements associés, le « devoir » de sortir l’islam du
marasme par l’agressivité du jihâd n’est plus une obligation publique, farz kifaya, mais privée,
farz aïn.130 Il s'agit donc d'une sorte de voix intérieure qui vous ordonne de tuer et d'être tué, sans
qu'il y ait l'effet en principe modérateur des calculs d'une raison politique pour déclarer le jihâd.
Ce genre de fonctionnement se rapproche ainsi d'une association de dépression (fixation sur la
mort) et de psychose (voix intérieures), ce qui en psychiatrie, est éminemment dangereux, car elle
n'additionne pas, elle multiplie les risques de passage à l'acte auto ou hétéroagressif. De plus, à
cause de la mondialisation, le musulman ordinaire sent qu'il est de nouveau colonisé, cette fois-ci
économiquement, par des multinationales essentiellement occidentales, et qu’il est en train de
devenir le "dhimmi des dhimmis", un sérieux coup pour son ego bercé par le souvenir idéalisé de
l'Age d'or de l'islam.
Dans le milieu des années 1970, Kadhafi, le dictateur de Libye, a été pris d'une crise de
mystique et s'est mis en tête qu'il était sur le même pied que Mohamed : "Qu'est-ce que Mohamed
a fait que je n'ai pas fait ? C'est moi qui vous ai libéré, vous les Libyens, et je vous ai donné une
stature internationale." Interviewé par la journaliste Oriane Fallaci qui en bonne psychologue a su
faire remonter son délire à la surface, Kadhafi a qualifié son Livre Vert de nouvelle écriture
sacrée :
Kadhafi : Le Livre Vert est le guide pour l'émancipation de l'être humain. Le Livre Vert est
l'Evangile. Le nouvel Evangile. L'Evangile de la nouvelle ère, de l'ère des masses...
Fallaci : Et bien, vous êtes alors une sorte de Messie. Le nouveau Messie.
Kadhafi : En fait, je ne me vois pas moi-même en ces termes. Mais le Livre Vert est le nouvel
Evangile, je le répète. Dans vos Evangiles il est écrit "au début il y avait la Parole." Le Livre Vert
est la Parole. Même une seule de ses paroles peut détruire le monde...ou le sauver... Ma Parole.
Une Parole et le monde entier pourrait exploser"131
Malgré ces propos mégalomanes et blasphémateurs qui auraient mené à la décapitation
immédiate tout homme du commun ou même d’un vrai mystique, le pouvoir et le pétrole de
Khadafi a fait que les mollahs se sont inclinés devant lui, et même les ayatollahs d'Iran ont
quelque temps plus tard signé des contrats juteux avec lui. Deux poids, deux mesures...
Le délire systématisé est l'ultime rempart contre la déstructuration schizophrénique de
même que contre le néant de la dépression : la personne déprimée se trouvant dans un état de vide
intérieur, l'agression lui donne un sens à la vie, une raison d'être, la guerre devient un absolu, une
idole de type Moloch en soi à laquelle il faut offrir des sacrifices humains avec grande dévotion.
Le monothéisme vire au ‘molochéisme’. Les terroristes palestiniens disent par exemple "Si des
civils sont tués, c'est un fait de la vie. Notre groupe ne fait pas cela pour tuer des civils, mais
parce que le jihâd doit continuer."132 On peut facilement comprendre que si chaque musulman se
sent personnellement, intimement et indépendamment responsable de répandre la violence autour
de lui, il va devenir comme une cellule cancéreuse engendrant des métastases dans n'importe
quelle partie du corps social. Du point de vue de l'hygiène mentale publique tout comme de la
santé politique, c'est funeste.
Si l'on accepte le fait que la fitna, le schisme entre sunnisme et shiisme soit le traumatisme
initial de l'islam, on peut se référer à la psychologie de l'expérience post-traumatique : celle-ci est
fondée sur un besoin paradoxal de se souvenir de ce qu'on voudrait le plus oublier... Cela ne
représente-t-il pas un conditionnement, une addiction à la souffrance ?
124
Les juifs avaient leur monothéisme, les chrétiens aussi et pas les arabes. Donc, dès le départ, il
semble que l'islam se soit constitué pour venger une "humiliation", celle de ne pas posséder cette
idéologie totalitaire plutôt commode qui permet d'attaquer le voisin polythéiste en toute bonne
conscience, de détruire ses temples, de tuer ses prêtres, de réduire sa population en esclavage et
de s'approprier ses terres – tout ceci sous le seul prétexte qu'ils ne croient pas au "bon Dieu" c'està-dire au dieu prétendument unique. C'est simple, c'est brutal, c'est en fait fondamentalement
paranoïaque, mais ça fonctionne à peu près, alors pourquoi se priver?
Le lien entre complexe d'infériorité et paranoïa dans les religions du Livre
Le cas du peuple juif a été particulier dès le début, en ce sens qu'il était petit et qu'il a dû
toujours lutter pour sa survie, ce que n'ont pas été obligés de faire les peuples hindous et les
bouddhistes en général, malgré les invasions de l'islam cependant. De leur côté, les chrétiens
s'estiment comme des pécheurs, les musulmans insistent sur le fait qu'ils ne sont que des esclaves
de Dieu. Si on essaie de rentrer ne serait-ce que quelques instants par l'imagination dans le mental
de quelqu'un auquel on a mis ces notions dans la tête dès la plus petite enfance, à savoir qu'il est
essentiellement un persécuté, un pécheur ou un esclave, il y a a priori deux solutions :
- soit il végète dans une sorte de dépression.
- soit il compense par un complexe de supériorité spectaculaire, selon lequel lui seul à raison et
que tous les autres ont tort, et du point de vue métaphysique que seul son dieu existe et que tous
les autres ne sont que des fictions, des ombres. Il est certain qu'en réalité bien sûr ni son dieu ni
les autres n'ont jamais été visibles. À ce moment-là, on arrive à un type de paranoïa avec
enchaînement bien connu en psychopathologie : complexe d'infériorité, complexe de supériorité
compensatoire, et durcissement des mécanismes de contrôle de tous les secteurs de vie sous
forme d'une tendance d’une hypertrophie de plus en plus forte de l’ego. Ce désir de pouvoir et de
maîtrise compensatoire peut se manifester aussi par une tendance obsessionnelle et légaliste, fait
bien attesté dans les religions du Livre. N'est-ce pas pourtant naturel d'attendre d'une religion
qu'elle aide ses fidèles à devenir souples, vivants et tout simplement normaux plutôt qu'obsédés
par des règlements?
Freud disait dans Malaise dans la civilisation : "Le sentiment de la culpabilité est le problème
le plus important dans le développement de la culture"133. La modernité et son style de vie
entraîne une culpabilisation importante des musulmans traditionnels qui ne peuvent plus guère
suivre leurs sacro-saintes coutumes, ce qui peut les conduire de façon statistiquement
significative à une dépression, voire un désespoir de masse et donc à une plus grande
suggestibilité par rapport aux prêches intégristes. De plus, si l'on suit la psychologie qui montre
qu’il y a beaucoup de points communs entre la névrose obsessionnelle grave et la paranoïa
(rigidité de caractère, souci de pureté, éléments de personnalité sadique anale…etc.), on peut
discerner un rapport entre le légalisme juif, catholique romain ou islamique, qui évoque le côté
obsessionnel, et leur habitude de voir dans les idoles des autres religions des ennemis jurés, trait
qui évoque malheureusement la paranoïa. Là où les fidèles voient un Dieu unique et jaloux, la
psychologie a le droit de voir un dieu uniquement jaloux. C‘est un type de fonctionnement qui se
rapproche dangereusement d'une forme de délire passionnel.
Le paradoxe du monothéisme militant, c'est que le Dieu unique s'est dédoublé pour obéir à
ces deux représentants qui se voulaient eux-mêmes uniques, presque plus que Lui ne pouvait
l'être, partagé qu'il était entre ses différents groupes de fidèles. Par ailleurs, devant la violence de
Yahvé, on se demande pourquoi son peuple ne lui dit pas : « Bien que nous soyons un vieux
couple, l'expérience nous a montré que notre vie commune nous a apporté principalement des
125
déboires; cessons d'être masochistes, et divorçons. Mieux vaut l'Indépendance qu'une Alliance
indéfiniment orageuse. » Cela semble une déclaration extraordinaire, mais c'est ce qui est en train
de se passer avec une proportion jamais vue des juifs en dehors d'Israël qui s'engagent dans des
mariages mixtes : ils s'exonèrent ainsi du poids d'une Alliance pure et dure avec leur vieux dieu.
Ils estiment que le contrat était en fait à durée déterminée, et que maintenant, après environ
3000 ans ça suffit, il n’est plus nécessaire de proroger le bail et d’en prendre un autre pour 3000
ans de plus. Qu'ils aillent vers des « femmes étrangères » met bien sûr déjà le Tout-puissant en
rage, mais le fait qu'ils soient en plus fort heureux avec elles redouble Sa colère, car cela semble
bien prouver dans les faits, une fois de plus, qu'Il est Tout-impuissant… Il est possible que cette
liberté fraîchement trouvée soit le signe d’un mûrissement de la religion qui se défait
progressivement de la notion atavique de clan, encore fondamentale dans les pays musulmans où
elle se nomme asabiya, nous l’avons vu.. Est-ce que le christianisme, et surtout l’islam seront
capables de parvenir à cette maturation, et de dépasser leur ‘clanisme universalisé’ ?
Finalement, vu de façon critique, le dualisme monothéiste pourrait évoquer la castration
suprême : on retire de force au fidèle sa semence divine non pas pour la garder au ciel, mais pour
qu'elle devienne la propriété privée d'un clergé avide de pouvoir. A ce moment-là, la circoncision
représenterait le symbole le plus direct de ce processus. Il s'agit donc non pas d'une intervention
d'exérèse seulement physique ou psychologique, mais directement spirituelle. La chaste caste des
prêtres (même s’ils sont mariés, ils sont considérés comme particulièrement purs) fait son
bénéfice en redonnant ensuite aux croyants soumis une petite partie de cette semence "en
location". Cette castration entraîne un mal-être profond chez les croyants : ils sont marqués à vie
par quelque chose qu'ils n'ont jamais demandé, ils n'en discernent pas les vraies causes et ils le
projettent donc comme d'habitude de façon paranoïaque sur les "ennemis de la religion", avec les
bénédictions du dit clergé bien sûr ; ainsi, nous avons une des causes par lesquelles la violence du
système s'auto entretient. En résumé, il y a des moments où le complexe de supériorité
compensant un complexe qui est lui d'infériorité prend une telle intensité qu'il il en devient
psychotique, c'est de cette façon-là qu'on débouche dans la paranoïa.
Un évènement récent est intéressant du point de vue de la psychopathologie religieuse, car on
peut y diagnostiquer une permanence d’archétypes violents au-delà des millénaires : durant la
retransmission de la coupe du monde de football, les islamistes radicaux au font exploser une
bombe en Uganda dan un café plein de gens qui la regardaient à la télévision, il y a eu une
soixantaine de morts. On voit bien le sens de la publicité perverse de l’islamisme, prendre une
occasion symbolique fortement chargée pour faire parler de soi dans le sens de l’horreur et de la
terreur. Il est vrai en un sens que le ballon de football est une sorte de petit dieu, mais au fond, il
ne fait de mal à personne, sauf aux fanatiques fâcheux et grincheux qui voient par la joie du
match regardé en commun leur emprise, voire leur empire sur les esprits se distendre.
Dans la ligne de leur délire paranoïaque, ils ont perdu tout sens de l’humour et préfèrent
l’ennui soumis à la joie du jeu libre. Cette fête autour du match de foot le plus important de la
planète n’est pas sans lien avec la fête autour du Veau d’or avec danses et musique pendant que
Moïse se débattait dans les affres de la révélation et était en train de recevoir, dit-on, les lois
divines sur le Sinaï. La colère de Moïse quand il s’est aperçu qu’on ne s’occupait pas de lui fait
penser à celle des islamistes qui voient que le gros de la population est plus intéressé par le foot
que par la mosquée avec leurs prédications plutôt répétitives. Quant à la manière d’exprimer cette
colère, elle a été de la même veine dans le deux cas, sauf que Moïse a été environ soixante fois
plus meurtrier que les terroristes de l’Ouganda, il a fait périr 3500 personnes plutôt que 60.
C’est sans doute pour cela que les masses effrayées et stupéfaites l’ont fait fondateur de
religion et lui ont conféré en pratique un statut quasi-divin – malgré la théorie monothéiste stricte
126
officielle. On retrouve ici la violence fondatrice qui est l’idée centrale des travaux de René
Girard. Certains fidèles réagiront sans doute fortement quand ils verront que je remets en cause le
fondateur du monothéisme. Cependant, j’ai prévenu que mon approche serait laïque. De plus, le
fait de s’identifier de façon personnelle et complète à un personnage de l’histoire ancienne, et qui
plus est mythique, est un symptôme assez clair de début de paranoïa religieuse. Ceux qui sont
dans ce cas ont encore plus besoin que les autres de lire ce livre attentivement et d’en tirer les
conclusions pratiques en leur âme et conscience. Il serait bien aussi qu’ils consultent un
psychologue pour clarifier les tenants et aboutissants de leur début de délire systématisé, mais
sans doute ce trouble lui-même les empêchera d’aller consulter alors qu’ils en auraient
grandement besoin.
Pour conclure cette section, une dernière réflexion : les dieux, soit on les respecte tous à la
manière des polythéistes, soit on n’en respecte aucun à la manière des bouddhistes, en ce sens
qu’ils n’y croient pas : mais dire qu’un dieu tribal d’une région semi-désertique près de la
Méditerranée doit dominer la terre entière est typiquement une forme de racisme métaphysique.
L’histoire a prouvé que ce concept a eu toute la série de conséquences négatives du racisme en
terme de violences inutiles, persécutions, exterminations de groupes entiers, etc. Le monothéisme
exclusif est la forme la plus accomplie, raffinée et théorisée-théologisée de racisme
métaphysique, bien que d’autres religions aient pu aussi pécher dans ce sens. Cependant, elles ont
tué globalement vraiment beaucoup moins de gens que le monothéisme à volonté expansionniste,
rappelons-le pour être clair.
On accuse le culte de divinités données d’être inspirés par la recherche de pouvoirs magiques
particuliers, et il y a un peu de vrai dans ce reproche. Cependant, le culte du Dieu suprême et tout
puissant pèche lui par la recherche justement du Pouvoir suprême et de la Toute-puissance, d’où
un danger beaucoup plus important pour le reste de l’humanité. La mégalomanie atteint son
maximum. C’est pour cela probablement que par exemple les risques sérieux de guerre sainte
nucléaire se situent actuellement entre deux pays symboliquement clés du monothéisme, Israël et
l’Iran. Ceci n’est pas par hasard, on doit chercher à comprendre les archétypes profonds en jeu
derrière l’agitation superficielle de l’actualité.
La paranoïa, quand elle est réactionnelle, est labile comme une couleur non-stabilisée, mais
quand elle est fixée par le vernis de l’autosatisfaction religieuse, elle peut perdurer « maintenant
et toujours, et dans les siècles des siècles »…. Faut-il répondre Amen ?
Suspicion, peur du mensonge et guerre médiatique
Juergensmeyer a été rendre visite dans sa prison de haute sécurité à Abouhalima, le terroriste
qui a participé à la première attaque sur les tours du World Trade Center en 1993, et qui a le
temps de méditer sur son passage à l'acte puisse qu'il purge une peine de prison à perpétuité.
"Quand je lui ai demandé quelle était la plus grande menace qu'il sentait pour l'islam, il a dit : 'sa
mauvaise réputation dans les médias'." La notion de guerre est profondément reliée à celle de
confusion, la racine anglo-saxonne pour war qui a aussi donné 'guerre' en français est werra et
signifie principalement 'confusion'. Celle-ci entraîne une irritation profonde que la plupart des
gens cherchaient évacuer par la différence blanc/noir que provoque en général l'entré en guerre.
"Celui qui n'est pas avec moi est contre moi", comme l'a répété souvent de façon christique le
président Bush. On peut interpréter ce lien entre guerre et confusion de deux manières :
- positive, on cherche à contrôler le chaos de la violence brute en lui donnant des limites
religieuses, aussi fragiles soient-elle. La guerre est sacrée, en ce sens la reconstruction du monde
127
par les intégristes, tout en étant évidemment paranoïaque, est aussi un essai d'autothérapie.
Cependant, ils le payent eux-mêmes et le font payer aux autres fort cher.
- la manière négative d'interpréter le rapport entre guerre et confusion, c'est de dire que la guerre
sainte mène à la confusion pour l'Absolu, et finalement à la confusion absolue, c'est-à-dire la
psychose. On pourrait résumer cette idée en une formule : le paranoïaque-terroriste pense que son
passage à l'acte est une horreur pour venger son honneur, mais en réalité, ils s'agit d'un état de
confusion psychotique à propos d’où se situe la limite entre l'honneur et l'horreur.
Pour conclure ces réflexions sur le rapport entre guerre et confusion, on pourrait ajouter que
dans les tribus primitives, les rituels de guerre cosmique sont entrepris quand les indigènes
sentent que du point de vue humain, la situation de leur groupe est sérieusement menacée, voire
sans issue. D'où le délire compensatoire du rituel, peut-être partiellement thérapeutique. On peut
à mon sens y discerner un rapport de fond avec ses mises en scène mondialement médiatisées,
cette sorte de théâtre de rue global aussi qu'est l'attentat terroriste. De même que les officiants des
rituels tribaux ont des incisions sur tout le corps pour se voir confirmer leur caractère sacré, de
même les islamistes ont été l'objet de la circoncision – l'incision la plus signifiante – et ainsi se
sentent investi d'une autorité sacrée pour offrir des sacrifices humains à leur Idole unique dans
l'intérêt de la survie de leur tribu globale. Avec ses feux d’artifices et ses bruits de pétard,
l’attentat a un côté festif. De plus, le grand public étant gavé de violence virtuelle, le coté réel,
live show, du passage à l’acte terroriste a au moins cet avantage de stimuler un moment l’appétit
d’attention émoussé du consommateur de télévision.
"En spiritualisant la violence, la religion a donné au terrorisme un pouvoir remarquable."134
Celui-ci vient en fait de la structure même d'un délire, complètement imperméable à l'épreuve de
réalité : comme le combat est cosmique, et que la victoire n'arrivera qu'à la fin des temps, le rôle
du militant est juste de perpétrer la violence pour la violence, en d'autres termes seulement afin
de manifester et revendiquer que son groupe et ses croyances ou superstitions sont bien là,
qu’elles existent toujours, car sans cette violence elle-même, elles glisseraient probablement dans
le néant de l’oubli. Rappelons qu'une des formes principales de la paranoïa est le délire de
revendication. Et bien sûr, à l'inverse, le terrorisme donne du poids aussi à la religion : cela la
rend de nouveau sacrée par le sacri-fice – ce fabricateur naturel de sacré. Les intégristes martyrs
affirment urbi et orbi que le pouvoir de la religion n'est pas aussi dilué par la modernité qu'on le
croyait, que celle-ci existe encore puisqu'elle a la capacité de tuer, qu'elle n'est pas une vieille
édentée comment on se la représentait, mais qu'elle est encore capable de mordre sérieusement,
c’est-à-dire de donner la mort. Ce simple fait ‘prouve’ que la religion est de toute façon plus
puissante que les lois laïques.
Comme nous l'avons déjà évoqué, l'intériorisation du devoir de jihâd par le sujet est la
meilleure garantie de globalisation de la guerre sainte. C'est le principe même du cancer, où
finalement chaque cellule a le potentiel et se trouve être responsable de la dissémination
métastatique. Du point de vue psychiatrique, on peut discerner dans ce phénomène une alliance
de voix intérieures et de thèmes délirant de destruction cosmique. Dans ce sens, on peut par
exemple méditer cet 'enseignement spirituel' du Front Islamique Mondial : "L'ordre de tuer les
Américains et leurs alliés - civils ou militaires - est un devoir pour tout musulman qui peut le
faire, quel que soit le pays où cela est possible." De par son simplisme même, c’est psychotique.
Ces réseaux de guerre sainte sont facilités par un nouveau phénomène qu'on pourrait appeler
"l'ethnicité par la Toile". Chaque groupe d'émigrés y trouve sa "niche", arabes islamistes, shri
lankais tamouls sympathisants du LTTE, Sikhs extrémistes du Canada : cela rend la violence
virtuelle, mais quand même virulente, et fait qu'elle se mêle de façon plus facile et intime chez le
sujet à une déréalisation délirante.
128
Citons maintenant une obsession centrale et bien connue de feu Ben Laden, et qui a
malheureusement toujours du succès dans le monde musulman, et même chez les intégristes
chrétiens : "Il ne s'agit pas d'une guerre entre al-Qaida et les États-Unis, c'est une bataille des
musulmans contre les croisés globaux."135 Les délirants mégalomanes raffolent, c'est le cas de le
dire, de ces images de guerre métaphysique, éternelle et omniprésente. Au maximum, cela peut
conduire à une paraphrénie confabulante ou fantastique, qu’heureusement la plupart des sujets
réussissent à maintenir dans les dimensions raisonnables de ce globe planétaire qu'est leur boîte
crânienne... Faizad Devji qui enseigne dans une université à New York reconnaît que "la science
politique traditionnelle est toujours incapable de comprendre ce conflit, pour la définition duquel
elle n'a pas même de vocabulaire. Il ne s'agit ni de questions d'Etats, ni de citoyenneté, ni
d'indépendance, mais d'une guerre entre les trois monothéismes, strictement religieuse par
nature."136
On pourrait remarquer que, dans un de ces clins d'oeil que nous fait la langue française, média
commence par les deux mêmes lettres que mégalomanie : le terroriste veut que tout le monde
sente la puissance qu'il a, et que, par cette conscience même, les masses soient obligé de faire un
choix pour ou contre, blanc ou noir : ainsi, il met en place la scène pour le grand show final, c'està-dire la guerre globale et apocalyptique du Bien et du Mal, là encore, nous sommes dans un
thème de paranoïa tout à fait classique pour les cliniciens. Cependant, pour être plus précis, Devji
fait remarquer qu'il ne s'agit pas vraiment d'une apocalypse comme le croient souvent des
penseurs d'origine chrétienne pénétrés consciemment ou inconsciemment du dernier livre de leur
Nouveau Testament. La question n'est pas d'annihiler complètement les ennemis de l'islam, juifs,
chrétiens et infidèles, mais de les réduire de nouveau dans cet état de demi-esclavage qu'est la
dhimmitude, "comme au bon vieux temps" du califat et de l'empire musulman. En ce sens, les
membres du Hamas, dans un grand élan de générosité de conciliation, concèdent qu'ils pourraient
tolérer la présence de juifs en Terre sainte, à condition qu'ils soient soumis à l'autorité et au
pouvoir discrétionnaire palestinien.
Il y a une expérience rapporté par Montagu dans son livre L’enfant et la communication : on
distribue un cube à chaque enfant d’une crèche, strictement le même pour chaque élève. Malgré
cela, quand un enfant voit son voisin saisir son cube, il a aussi envie de s’en emparer par
imitation, et ils commencent à se disputer alors qu’a priori il y avait un cube attribué à chacun.
Ceci est très important pour comprendre comment la violence mimétique pénètre les sociétés,
comme l’a bien montré René Girard tout au long de son œuvre137. Est-ce que cette violence
mimétique fondamentale ne serait pas à l’œuvre entre les trois monothéismes, et en particulier
entre le judaïsme et l’islam, dans la lutte pied à pied pour le contrôle à la fois physique et
hautement symbolique d’une même ville sainte, Jérusalem ?
Le paranoïaque est très attentif à son image de marque et ne veut surtout pas que les
persécutions qu'il commet lui-même sur les autres soient dénoncées comme telles. Le
gouvernement égyptien a par exemple condamné en 2002 à sept ans de prison un avocat des
droits de l'homme, Saad Ibrahim, pour avoir révélé au monde les mauvais traitements que
subissaient les chrétiens coptes et ainsi « s'être rendu coupable de diffamation envers la nation
égyptienne ».138 Finalement, Ibrahim a été libéré au bout d'un an par intervention personnelle du
président Bush auprès de Moubarak.
Puisque nous parlons du rapport entre violence et psychose, il est intéressant de noter qu'un
des militants-suicidants du 11 septembre était surnommé Siran.139 C'est le nom d'un des chefs de
la secte des assassins dans la Syrie du Moyen-âge ; on sait que ceux-ci prenaient du haschich
avant de passer à l'acte, et que le mot français lui-même 'assassin' vient de hashishin. L’état
d’intoxication les aidait à attaquer leurs ennemis, en l'occurrence les notables du pouvoir sunnite
129
dominant. En général, ils se faisaient tuer par la même occasion. Ils se mettaient donc, grâce à
une drogue, dans un état psychotique temporaire qui leur permettait de passer à l'acte. On
soupçonne bon nombre de terroristes qui se font exploser dans les bazars et autres souks de nos
jours d'être préalablement drogués par ceux qui les poussent à agir.
Puisque nous parlons d'idées de grandeur comme compensatoire d'une dépression sous-jacente,
nous pouvons pour conclure cette section porter notre attention sur l'enveloppe budgétaire de la
Défense au Pakistan : 60% des dépenses publiques vont à l'armée et à ses différentes dépenses. Il
s'agit typiquement d'une mégalomanie dans les investissements de l'État qui compense la
dépression du retard économique et surtout d’avoir perdu trois guerres d'affilée contre l'Inde : ce
n'est effectivement pas brillant pour une dictature militaire à religion unique qui s'attaquait à une
démocratie à religions multiples. On peut rapprocher symboliquement ce chiffre de la proportion
de pakistanais qui n'ont pas de quoi se payer une salle de bains et qui doivent aller aux robinets
publics pour se laver, c'est aussi exactement 60 %. Maintenant, à la manière des sciences
humaines modernes qui aiment les statistiques, nous pourrions établir des rapports entre ces deux
chiffres et déterminer un indice qui ne serait rien d'autre que celui de la paranoïa : il s’agirait en
fait d’établir le rapport entre la proportion du budget alloué aux dépenses militaires sur celle des
salles de bains : dans les pays modernes, ayant général 10% du budget pour la défense et
pratiquement 100 % des gens pourvus d'une installation sanitaire, cela fait un indice à 0,1, l’Inde
peut-être à 0,5 alors que le Pakistan monte son indice de paranoïa étatique à un petit 1...
Clivage
Cet extrait du règlement du mouvement de Ben Laden, saisi dans un camp d'Afghanistan,
montre bien la pseudo unité de l'islamisme qui masque en fait une idéologie totalitaire : "Il est
interdit de discuter des sujets à controverse, de critiquer un groupe, une organisation islamiste
quelle qu'elle soit ou un individu quel qu'il soit, imam, penseur, dirigeant ou politicien."140 Cela
évoque le Parti communiste sous la Russie de Staline. D'ailleurs, c'est la structure de ce parti
communiste qui a inspiré le pakistanais Al Mavdudi dans la fondation de son parti islamiste
Jamaat-e-Islami. Officiellement, il n'était pas en faveur de l'usage de la violence afin de faire
descendre le paradis d'Allah sur terre, mais ses doctrines étaient suffisamment extrêmes pour
avoir inspiré la persécution des Ahmédiens au Pakistan, la Révolution iranienne et la nouvelle
génération de terroristes et jihadistes qui prospèrent au Pakistan.
Il est intéressant de voir que l'accusation suprême, insulter le Prophète et le Coran est
contagieuse même entre sectes de l'islam : par exemple, elle est le moteur principal des attaques
terroristes de la majorité sunnite contre la minorité chiite au Pakistan. C'est précisément pendant
une lecture du Coran dans une mosquée chiite que, vers l’année 2004, une bombe posée par des
sunnites a tué cinquante personnes d’un coup. : peut-on parler de retour du boomerang, d'un effet
de retour de flamme d'une paranoïa qui a été orientée a priori vers l'extérieur pour la destruction
des infidèles ?
Il y a un argument très simple pour montrer que le rejet des idoles vient beaucoup plus d'une
pathologie paranoïaque que d'une réflexion métaphysique saine et représente un prétexte à rejeter
l'autre en tant qu'autre. Déjà, les chrétiens rejettent assez durement les idoles, mais les musulmans
réussissent à les qualifier quand même d'idolâtres "à cause" des trois personnes de la Trinité.
Mais surtout, les juifs qui n'ont même pas le début d'un culte des idoles et s'en défendent de façon
quasiment obsessionnelle sont ceux que l'islam a rejetés le plus violemment. Ainsi, l'iconoclasme
de l'islam semble bien représenter une couverture commode pour rejeter tout ce qui n'est pas lui,
et donc le symptôme d'une idéologie à tendance totalitaire, et du point de vue psychologique
130
d'une hypertrophie de l’ego relié à la paranoïa. Il ne faut pas se voiler la face, le problème
psychologique sous-jacent a des racines profondes.
Les intégristes voient les autres dieux comme des démons et, comme le christianisme et islam
sont des religions en minorité chacune par rapport à la majorité de l'humanité, ils voient la
majorité de celle-ci comme peuplée de diables. En termes psychiatriques, on appelle cela une
psychose hallucinatoire chronique. L'image en miroir qu'ont les fondamentalistes chrétiens et
musulmans de "l'autre" religion est intéressante. Elle représente Satan qui prétend être Dieu, c'està-dire le Péché suprême. Le Malin a réussit le stratagème, la Ruse ultime, à se faire passer pour le
Tout-puissant. On comprend qu'avec des conceptions aussi manichéennes que celle-ci, qu’avec
ce clivage métaphysique, la guerre sainte soit l'état normal des islamistes révolutionnaires, qu'elle
soit manifeste à un endroit où un autre ou bien demeure latente pour une courte période. C'est le
propre du paranoïaque de se sentir perpétuellement victime de mensonge et de conspiration, et
Satan se faisant passer pour Dieu, le Très-bas se faisant adorer en lieu et place du Très-haut,
n'est-ce pas le mensonge des mensonges, le comble de la tromperie, la Conspiration Suprême ?
On n'est pas surpris qu'avec cela, les pieux délirants soient poussés de l'intérieur comme des
robots à se livrer à des batailles et massacres qui n'en finissent pas. On pourrait qualifier cette
forme de psychose religieuse basée sur une théologie paranoïaque la "théose" et des psychotiques
qui en souffrent des "théotiques".
Nous pourrions condenser un certain nombre de prises de conscience sur ces sujets en une
formule paradoxale : "Le diable est à la fois le sujet de la paranoïa et la paranoïa du sujet" :
- le complot maléfique à son égard dont le patient voit des indices partout, qu'il rassemble en
réseau de preuves puis de certitudes, dans un contexte religieux sera associé naturellement à
Satan. En ce sens, le diable est le sujet de la paranoïa.
- la logique interne pathologique du trouble délirant correspond à un vrai démon intérieur, qui
possède le psychisme et fait courir le mental du pauvre patient comme un automate à un rythme...
endiablé. En ce sens, le diable est la paranoïa du sujet.
Le clivage du psychotique l'amène régulièrement à projeter sur l'autre son propre diagnostic.
Un exemple parmi cent autres : Rafsandjani, le président soi-disant modéré et réformateur de
l'Iran avant Ahmedinejad avait ordonné juste après son élection des rafles sévères des femmes qui
n'était pas habillées dans le moindre détail selon les ukases du code vestimentaire de la
République islamique. Quelques jours plus tard, il a expliqué pour essayer d'excuser ce qui
revenait à une trahison de ses promesses électorales libérales: "Les personnages qui commettent
ce genre d'infractions sont malades, et les forces de l'ordre sont comme les médecins qui
cherchent à guérir et à guider ces personnes qui ne vont pas dans le droit chemin. "141 Il est
intéressant de remarquer que cliniquement, ‘Ce sont les autres qui sont malades’, est une
assertion qui est courante chez des psychotiques internés au long cours.
Le clivage entraîne une projection massive sur l’extérieur ; or, tous les militants et souvent
même les musulmans de base souffrent lourdement du fait de sans cesse se projeter dans la
croyance plutôt que de s'observer eux-mêmes. Même la pratique de la prière quotidienne, qui
apporte une certaine paix intérieure, consiste beaucoup plus en une répétition assez mécanique de
paroles et de mouvements qu'en une observation et une immobilité qui permettrait de voir loin
au-dedans.
Une autre forme de clivage apparaît quand on réalise que le prêcheur religieux intégriste dans
son prosélytisme utilise deux jeux de citations qu’il possède bien: dans une première phase, il met
en avant celles qui sont séductrices pour attirer son interlocuteur, ce qu’on pourrait appeler l’as
de cœur, mais si cela ne marche pas, il sortira son second jeu de cartes, si l'on peut dire, avec des
paroles destructrices et qui font peur, ce qu’on pourrait appeler l’as de pique : en d'autres termes,
131
il s'agit d'une stratégie de la carotte et du bâton, et il est triste de voir que de nos jours encore,
trop nombreux sont ceux dans la population qui s'y laissent prendre. Le fait que le prêcheur
puisse vivre avec ses deux jeux de citations, séductrices et destructrices, sans vraiment prendre
conscience de leurs contradictions, caractérise le clivage psychotique.
On pourrait dire pour nous résumer que les islamistes radicaux souffrent d'un tel clivage qu'ils
sont en quelque sorte lobotomisés : à la place d'avoir dans la boîte crânienne un cerveau avec de
la matière grise, ils ont un Code civil écrit en noir sur blanc, avec en fait tout le noir dans un
hémisphère et tout le blanc dans l’autre, ce qui rend les lois plutôt illisibles…
Pour conclure cette section, faisons remarquer qu'il y a problème central non seulement dans
l'islamisme, mais dans l'islam qui constitue une source potentielle de violence à répétition : on y
insiste sur la transcendance pure et la destruction des idoles. Cependant, on se prosterne
quotidiennement devant ce que nous pouvons raisonnablement considérer comme quatre idoles :
Mohamed, le Coran, la charia, et par la pensée pendant la prière, devant la Pierre noire de la
Mecque. Il s’agit d’une contradiction manifeste, puisque le fait qu’il n’y ait pas de représentation
physique ne change rien à l’intensité de l’attachement rigide, donc à l’idolâtrie. Dans ce sens, les
islamistes radicaux essaient de faire croire qu’ils n’adorent qu’un Dieu, mais en fait ils n’adorent
qu’une Déesse, et elle a pour nom Paranoïa. Ils finiront probablement par en périr, sauf s’ils se
réveillent de leur transe et développent une compréhension juste.
Une première poussée de monothéisme destructeur dans l'Égypte ancienne.
Rendons-nous par la pensée dans l'Egypte du XIVe siècle av. J.-C. Le fils d’Aménophis III lui
succède et prend le nom d’Akhenaton. Il se sent personnellement appelé à propager le culte
exclusif du dieu Soleil, il fait donc fermer tous les autres temples et interdit le culte de toutes
divinités, excepté la sienne. Comme il était basé dans la ville d’Amarna, on appellera son
mouvement la religion d'Amarna. Celle-ci ne durera que 13 ans. Cependant, elle restera ressentie
comme un traumatisme par le polythéisme égyptien. Il faut comprendre que la pluralité des dieux
était à la base même de la structure sociale
Toutes les grandes divinités sont des dieux de villes, tous les établissements d'importance ou villes
sont attachés au nom d'un dieu. Le culte n'est rien d'autre que le service dû au dieu en tant que
seigneur de la ville. Ainsi, dans sa dimension politico-culturelle, un monde de divinités
conditionne la structure politique de la société... et détermine les rapports des établissements aux
villes, des villes aux districts et les districts à la « résidence », et définit ainsi l'identité politique
fondée sur toutes ces divisions, jusqu'aux simples citoyens. La signification et l’absolue nécessité
du principe de pluralité apparaissent également ici. Cette identité si élaborée dans sa structure
socio-politique se transformerait en une masse indistincte si un Dieu unique venait se substituer à
tous les dieux.
Ces réflexions font mieux sentir le traumatisme qu'a dû causer la tentative maladroite de
révolution monothéiste d’Akhenaton, et son aspect d’idéologie de masse avant l’heure. Du point
de vue individuel, ce pharaon a associé étroitement le culte de sa personne comme intermédiaire
unique, prophète ou messie du dieu Soleil. Cela formait une centralisation politique ou religieuse
complète. On ne peut exclure dans tout cela un facteur de mégalomanie personnelle de la part du
pharaon régnant. Ainsi, on peut voir que dès sa première édition, le monothéisme et le
totalitarisme ont été des systèmes de pensée plutôt complices, et qu'ils ont pratiqué de nombreux
« échanges de services » pour asservir plus complètement les masses à leur idéologie commune.
132
Le fait que dans le monothéisme postérieur, les autorités religieuses puissent critiquer un roi ou
un autre au nom justement de l’idéologie religieuse ne diminue pas, mais renforce en fait plutôt la
toute-puissance, et donc le risque totalitaire de l'idéologie monothéiste en soi.
Les polythéistes égyptiens ont gardé un souvenir traumatisant de la période amarnienne
monothéiste d’Akhenaton, un peu comme la civilisation raffinée de Florence du Quattrocento
garde un souvenir amer de Savonarole, le religieux catholique fanatique qui brûlait les tableaux
de maîtres sur des bûchers en place publique. Ce n'est pas par hasard qu’Akhenaton a carrément
été rayé de la liste des rois, de même que Savonarole a laissé dans la cité florentine où l’art
fleurissait le souvenir d’un obscur psychotique qui a précipité la population dans une phase brève
de cauchemar bigot. Nombreux étaient les princes mégalomanes, mais avec son monothéisme,
Akhenaton avait dépassé toutes les limites car il est bien possible qu'il ait voulu transformer une
pathologie personnelle en idéologie métaphysico-politique. Dans la légende de Manéthon, il est
évoqué comme le chef d'un groupe de lépreux. En Égypte comme en Israël, ces patients sont
considérés comme les êtres les plus impurs de l'humanité. Ailleurs, dans une inscription
ramesside, Akhenaton est désigné comme le « criminel d’Amarna ». En termes clairs, il semble
bien que la première expérience monothéiste de l'humanité ait été vécue comme un cauchemar, la
première édition d'un fascisme métaphysique qui allait avoir la vie longue.
Si le monothéisme réussit à mûrir, il acceptera le culte des autres dieux.
Jan Assmann, un grand égyptologue allemand actuel, explique dans la conclusion de son livre Le
prix du monothéisme :
« En adorant le vrai Dieu unique, les juifs se démarquent des autres peuples auxquels ils ne
s'intéressent pas outre mesure. En observant la loi strictement, ils adoptent une forme d'existence
dans laquelle cette auto exclusion trouve son expression symbolique. Le christianisme s’est donné
pour objectif d'abolir cette auto-exclusion et de s'ouvrir aux peuples. Dès lors, tout ce qui se refuse
à cette invite est exclu. C'est ainsi que le monothéisme est devenu invasif, parfois aussi agressif. Il
en est de même de l'islam qui, en outre, redéfinit politiquement la frontière et ne distingue pas
seulement entre vrais et faux, mais aussi entre soumission et guerre (dâr el-islam et dâr el-harb).
Dans tous les cas, le monothéisme se définit à partir de son contraire qu'il exclut comme païen. Ce
qui m'intéressait et m'intéresse toujours aujourd'hui est donc un travail sur le souvenir qui ramène
à la lumière ce qui était refoulés, et permette de le rendre accessible à un travail, à une «
sublimation » au sens freudien. Je ne veux pas abolir la distinction mosaïque, mais je plaide pour
sa sublimation. Je maintiens, en dépit des objections de Karl-Joseph Kushel, que nous ne pouvons
plus pour ce faire nous réclamer de vérités « absolues », mais seulement de vérités « relatives »,
c'est-à-dire « utiles à l'existence », qui demandent à être toujours renégociées… Nous ne pourrons
plus fonder cette distinction sur des révélations inscrites une fois pour toutes. À cet égard, il nous
faut prendre la distinction mosaïque elle-même comme objet de réflexion et de redéfinition
inlassable, d'une « fluidification discursive » (Jürgen Habermas), si nous voulons qu'elle reste le
fondement d'un progrès dans la vie de l’humanité »142
On peut suivre soi-même une voie qui ne recourre pas aux images et aux idoles divines sans
pour autant aller briser celles des autres. Le védanta, le dzog-chen du Tibet, le zen sont des voies
de ce type. Après tout, briser des statues, n'importe qui peut le faire : il suffit pour cela de réunir
une bande de sujets bagarreurs et de préférence psychopathes ; malheureusement, c'est un type de
personnalités qu'on peut recruter facilement et en grand nombre dans les banlieus-bazars ede
notre planète globalisée. Je sais bien qu'il y a l'histoire d'un maître zen qui a fait un certain
133
scandale en brûlant une statue en bois du Bouddha pour se chauffer parce qu'il avait froid en
plein hiver : mais ce n'était pas dans le sens de l'iconoclasme politico-militaire de la Bible
puisque ce n'était pas une statue d'un dieu fantasmé comme ennemi, Vishnou ou une divinité
shintoïste qu'il a brûlée, c'est une statue du Bouddha lui-même, sur lequel sa propre dévotion était
centrée. Connaissant l'esprit zen, ce maître a probablement voulu jouer une bonne blague aux
bigots pour les faire réfléchir. Si un juif de l'époque du Temple s'était introduit subrepticement
dans le Saint des saints et avait brisé les Tables de la Loi à coups de masse, ou un musulman la
Pierre noire de la Ka'aba, où un chrétien le tabernacle plein d'hosties consacrées, oui, on pourrait
dire qu'ils seraient allés au-delà de l'attachement à une idole, la leur; mais cela m'étonnerait
beaucoup qu'ils le fassent : ils sont justement bien trop idolâtres pour cela, malgré tous leurs
dénis et leurs protestations de « bonne foi ».
Pour l'hindouisme-bouddhisme, la véritable idole dont il faille se débarrasser, c'est l'ego.
Celui-ci prend une forme particulière chez les monolâtres, l'ego iconoclaste, qui mérite à coup sûr
d'être lui-même brisé en mille morceaux, je dirais même plus, il desservirait que chacun de ces
mille morceaux soit lui-même encore brisé en mille morceaux, cela rendrait grand service à la
cause de la paix entre sociétés : iconoclasme bien ordoné commence par soi-même. La vision la
plus positive que les hindous-bouddhistes peuvent avoir du monothéisme, c'est de le considérer
comme un stade du développement de l'humanité, comme celui des enfants entre huit et douze
ans qui pensent que leur papa est le plus fort du monde et qui croient presque, dans leur naïveté,
qu'il n'y a que lui sur terre... Après, ils s'aperçoivent qu'il y a d'autres papas, et que ceux-ci ont
des qualités aussi. Retour à la réalité, maturation, tout simplement.
Pour aller plus profond, on pourrait faire remarquer qu'en projetant dans le ciel un dieu
purement masculin, les monothéistes divisent, se mettent en travers d'un équilibre fondamental
masculin-féminin, lui-même source de joie. Or, celui qui se met en travers, c'est
étymologiquement le dia-bolos, c'est-à-dire le diable. C’est ici que les psychologues se retrouvent
avec les polythéistes pour poser aux monothéistes une question simple et directe : « Est-ce que ce
que le culte plutôt triste et sectaire du Mâle Absolu n'a pas quelque chose à voir avec Satan ? »
Quand on voit l'asile de fous que sont devenus des pays sous le coup de l’islamisme pur et dur, on
a tendance à pencher pour une réponse affirmative.
L’intolérance religieuse qu’a inventé de toutes pièces le judaïsme ancien pour protéger son
identité politique qui a toujours été fragile a évolué comme le Golem de l’histoire, et s’est
finalement retournée contre ceux qui l’avaient lancée. On pourrait dire que le vrai Golem du
judaïsme, c’est le christianisme et l’islam. On pourrait aussi remarquer que les musulmans sont
les protestants du judaïsme. Comme ces derniers, ils se sont séparés de leur groupe religieux
d’origine, les juifs de l’époque, de façon violente, et ils partagent avec les Réformés la fébrilité
missionnaire et dans un certain nombre de cas la tentation fondamentaliste.
Les islamistes radicaux « prennent la loi en main » et cherchent ensuite à l’imposer aux autres
par la terreur. Cela est typique de l’hypertrophie de l’ego au cœur de la paranoïa. Et le fait de se
réclamer de l’inspiration divine ne fait qu’aggraver l’aspect psychorigide et mégalomaniaque du
processus. Qu’on le veuille ou non, cela fait penser étrangement au comportement d’un certain
nombre de prophètes de l’Ancien Testament : à chaque fois ils voulaient imposer au peuple leur
loi qu’ils présentaient comme d’inspiration divine, et n’hésitaient pas à employer la violence au
moins verbale pour arriver à leurs fins. Même les trois monothéisme en on eu assez de ce
phénomène. Sans doute avaient-ils diagnostiqué intuitivement le risque de déviation paranoïaque.
Ils ont donc clos la prophétie, pour le judaïsme à peu près à l’époque du Christ. Le christianisme
et l’islam ont fermé automatiquement cette prophétie en imposant l’idée que leur Sauveur ou
134
Prophète était le dernier autorisé à parler directement au nom du Tout-puissant. Channels
s’abstenir.
Si le monde occidental historiquement pénétré de monothéisme est tellement fasciné par le
conflit entre Israël et l’islam, c’est beaucoup pour des questions métaphysiques. En effet, il y a
malheureusement une longue liste de conflits beaucoup plus meurtriers dans d’autres pays du
monde. Pourtant, le fait qu’un problème finalement assez simple de territoire ne puisse être réglé
et s’envenime régulièrement pose clairement une question théologique de fond : si le Père céleste
n’et pas capable de réconcilier même après 14 siècles deux de ses enfants les plus proches, en
quoi est-Il tout puissant ? Et est-Il ? Voilà une interrogation qui a de quoi semer la panique dans
les rangs de plus en plus clairsemés des dévots, et crée une double anxiété : la première, celle de
voir à ce que le conflit trouve une solution, et la seconde bien plus grande, celle de s’apercevoir
qu’il n’y en a pas en vue, si ce n’est le dépassement du monothéisme en tant que tel.
Depuis ce massacre de 3.500 juifs pour des questions de liturgie, le monothéisme est devenu
professionnel dans son habileté à projeter la responsabilité de sa propre violence sur l’autre, en
l’occurrence ici l’adorateur d’idoles. Il y a cependant un hic : cette paranoïa fonctionne aussi à
plein entre les sous-groupes du monothéisme lui-même, et cela nous amène directement aux
risques actuels de guerre sainte nucléaire au Moyen-Orient. Comprendre comment on en est
arrivé à cette situation profondément absurde est un des fils rouges de cet ouvrage, et on n’a pas
trop de l’histoire et de la psychiatrie pour exhumer les ‘pourquois’ profonds de la chose. Il se
peut bien que la graine de l’exclusivisme monothéiste porte prochainement son fruit le plus
vénéneux, après plus de 25 siècles d’efforts de progression et de maturation. La vraie solution
semble bien celle de l’Europe : la population comme nous l’avons déjà dit a pratiquement
complètement abandonné la pratique chrétienne et monothéiste, et cela lui laisse la place pour
s’occuper des vrais problèmes, ils sont nombreux, et cesser de se battre pour savoir qui est le
peuple élu.
Après le massacre de 3.500 de ses propres fidèles au pied du Sinaï dont nous venons de parler,
Moïse a réédité son exploit, cette fois-ci avec 13.500 des leurs, donc 17.000 sacrifices humains
offerts au Dieu unique tout récemment inventé. Le livre de l’Exode donne les détails et les
chiffres avec une satisfaction non déguisée. Dans ce sens, Moïse représente selon les critères de
l’éthique moderne un vrai dictateur, et on sait que notre époque n’est plus trop en faveur des
tyrans. C’est pour cela qu’il est aussi probable à long terme que la modernité laisse tomber cette
dictature métaphysique et souvent politico-sociale du monothéisme. Il aura fallu deux siècles
après la Révolution française pour que le christianisme européen se désagrège, mais c’est
maintenant chose pratiquement faite. Les Etats-unis et les pays d’islam suivront probablement à
leur rythme. Il est bien possible que celui-ci soit plus rapide que celui de l’Europe, car nous
sommes à une époque où tout s’accélère. L’intégrisme pourra, certes, toujours avoir des succès
tactiques, mais plus stratégiques. Les pensées totalitaires, politiques ou religieuses, supportent
mal la liberté de l’information, et celle-ci est un acquis de notre modernité, au-delà de
manipulations certaines.
Pendant deux siècles après la Révolution, le christianisme a fait contre mauvaise fortune bon
cœur et a fait semblant de se démocratiser et « républicaniser »’, mais cela a finalement mené à
son effritement. La raison : sa conception totalitaire n’était au fond pas compatible avec la liberté
de pensée. Bien sûr, les monothéistes feront toute une gymnastique intellectuelle pour essayer de
démontrer le contraire, ou de prouver que le cas de l’islam va être différent, mais les faits sont là,
et leur interprétation n’est pas si compliquée.
Persécuteur désigné et bouc émissaire
135
L'ayatollah Khomeiny a déclaré : "Tous les problèmes de l'Iran sont dus aux colonialistes
étrangers".143 Ce qu'il y a de bien dans la vision intégriste-psychotique du monde, c'est qu'elle est
simple : simple à comprendre, simple à exprimer et simple à faire passer aux masses sous forme
de politique pathologique.
Le processus de 'satanisation' de l'ennemi est très puissant, car il réunit deux éléments qui font
partie intégrante de la paranoïa : le Persécuteur désigné, et l'extension en tache d'huile de la
menace hallucinatoire : en effet, Satan a ceci de commun avec Dieu, c’est qu'il est omniprésent,
et qu'il réside en particulier, c'est un avantage stratégique certain, dans le coeur de l'homme. Du
point de vue spirituel, ne s'agit-il pas du contraire, de l'Ombre inévitable de l'Unité entièrement
bonne que le Dieu monothéiste est supposé apporter : pourrait-on dire que les extrêmes se
touchent ? La recherche d'unité métaphysique, de par son intolérance, se réduit en réalité à la
pratique d'une dualité plutôt aiguë. L'ennemi est considéré comme un animal, une espèce
humaine inférieure, voir une masse amorphe comme les extraterrestres dans les films de sciencefiction. Son existence perd même sa légitimité. À ce moment-là, le sacrifier devient un acte de
propreté magique-maniaque, d'hygiène publique quasi-scientifique : on voit ici encore un signe
du parallèle entre les rigidités obsessionnelles et paranoïaques du point de vue psychologique, et
les justifications habituelles des purifications ethniques de la part des idéologies totalitaires du
point de vue politique. De plus, si un bigot déclare à un psychologue : « Je suis prêt à sacrifier ma
vie pour ma Foi », celui-ci entendra « Je suis prêt à tuer le monde entier pour mes superstitions »,
et il n’aura sans doute pas tout à fait tort dans son interprétation.
Le professeur californien Mark Juergensmeyer a été dans la bande de Gaza pour interviewer un
des principaux disciples du Cheikh Yasin, islamiste palestinien connu voire notoire. Il s’agissait
du Dr Rantisi, un des cofondateurs du Hamas. Au moment de repartir, il lui a demandé quel était
le message principal qu'il voulait transmettre aux États-Unis : "Vous pensez que nous sommes les
agresseurs : c'est l'erreur numéro un, nous sommes les victimes !"144 Il semble malgré tout y avoir
quelques bénéfices dans l'état de victime, puisque les familles des martyrs palestiniens qui se font
exploser dans les rues d'Israël touchent entre 12.000 ou 15.000 dollars 'par tête', si l'on peut dire.
C'est comme si le sacrifice de l'Aid-el-Kébir se poursuivait à longueur d'année, avec des
adolescents en guise de moutons, le Hamas faisant office de Boucherie centrale et fournissant les
ovins à sacrifier pour le plus grand plaisir des papilles gustatives d’Allah lui-même. Dans ce
contexte, le Ramadan, le mois où l’on fait des efforts et rituels pour satisfaire Allah et essayer de
détourner sa Vengeance, n'en finit pas de finir. Le seul personnage de l’histoire qui manque,
c’est l’Ange de Dieu qui arrête la main du père armée d’un poignard sur le point de sacrifier son
fils. Erreur de scénario, ou oubli intentionnel ?
D'après Al-Qaida même, " le seul motif de ces jeunes gens ayant effectué les attentats du 11
septembre était de défendre la religion d'Allah, leur dignité et leur honneur. Cela n'était pas
accompli comme un service de l'humanité ou une tentative de se ranger du côté des idéologies
d'Orient par opposition à l'Occident. C'était plutôt un service envers l'islam pour défendre son
peuple, un acte pur de leur volonté,, effectué avec soumission, mais sans réticence."145 Je sais que
cette explication purement religieuse semblera trop stupide aux spécialistes de sciences
politiques, et qu'ils iront rechercher toutes sortes d'autres explications dans leur domaine de
connaissance sociologique, économique, etc. Et pourtant, si c’était vrai ? Je pense au fond qu’il
faut suivre un juste :milieu, et que les deux pôles explicatifs doivent être considérés ensemble.
Une certaine habitude de la psychothérapie m’a souvent rappelé l’importance d’écouter ce que les
sujets disent – tout simplement .
136
Pour al-Zawahiri, l'acolyte de Ben Laden, la définition des persécuteurs est clair, bien que fort
vaste : "Pour nous ajuster à cette nouvelle réalité, nous devons nous préparer pour une bataille qui
n'est pas confinée à une seule région, mais qui doit viser l'ennemi- apostat dans nos propres pays,
et l'ennemi extérieur sous forme des Juifs-Croisés." Le chef d'Al-Qaida lui-même déclare : le
Prophète a affirmé que la fin du monde ne viendra pas avant que les musulmans et les juifs en
arrivent à ce point de leur lutte : le juif se cachera entre un arbre et une pierre. Alors l'arbre et la
pierre diront : "Eh, vous, là, les musulmans, il y a juif caché derrière moi! Venez pour le tuer !'
Celui qui affirme qu'il y aura une paix durable entre nous et les juifs est un infidèle."146 Il est
intéressant de remarquer que curieusement, le livre de Huntington sur le choc des civilisations est
populaire dans le monde musulman, quelles ques soient les critiques que les intellectuels
occidentaux aient pu en faire à propos en particulier de son simplisme. Il faut en fait reconnaître
que dans l'histoire et le mythe, les guerres de famille sont les plus virulentes : en Inde, il y a eu le
Mahâbharata, une guerre mythique entre cousins, et dans les religions du Livre la guerre des
trois monothéismes, ‘frères en Abraham’, telle qu'elle est vue par exemple par Ben Laden, mais
qui remonte en réalité aux origines et qui elle, malheureusement n’est guère mythique. Les ‘gens
du Livre’, chrétiens et juifs, parce qu’ils ont été les plus aimés au départ de la prédication du
Prophète, sont plus haïs maintenant puisqu'ils ont refusé de se soumettre à l'islam. Dépit
amoureux ? Ben Laden déclare en parlant des jeunes ayant effectué l'attentat du 11 septembre :
"Ces jeunes savent que leur récompense en luttant contre vous, les États-Unis, est le double de
leur récompense en luttant contre quelqu'un d'autre qui ne fait pas partie des gens du Livre."147
C’est un fait connu de psychopathologie que le paranoïaque veut détruire celui qu’il n’a pas
réussi à séduire, et qui est en général du même sexe.
Tout ce type de comportement peut être considéré comme une fuite de la complexité du monde
moderne et globalisé pour régresser dans la vieille animosité aussi simpliste que meurtrière contre
les juifs et les chrétiens, et ainsi retomber dans une vision du monde en blanc et en noir. Du point
de vue d'une psychologie plus profonde, on peut soupçonner une homosexualité latente qui se
transforme en agressivité se manifestant dans la haine contre ces deux dieux purement mâles qui
pourrait séduire et pénétrer les pieux musulmans par le prosélytisme, en l'occurrence le Dieu des
juifs et celui des chrétiens. De plus, ces derniers aggravent leur cas en se lancent effectivement
sous forme d’Eglises évangélistes dans du prosélytisme en terre d’islam, avec quelques succès
dans certaines régions, ce qui a évidemment le don de mettre de l’huile sur le feu, et de ranimer
les fantasmes d’étranglement, de démembrement et finalement d’annihilation qui favorisent le
passage à l’acte délirant..
A propos de l'homosexualité frustrée qui se transforme en haine, la réflexion suivante de
Faizal Devji est intéressante : "Les terroristes sunnites du Pakistan ont un discours sentimental
d'honneur insulté et de sensibilité blessée et ils semblent ne demander rien d'autre que la seule
sollicitude des shiites".148 Quand celle-ci ne semble pas venir, ils les assassinent, comme le fait le
paranoïaque pour le "persécuteur désigné", celui-là même qui lui a fait "l'insulte" de ne pas
répondre à son offre d'amour. Il s’agit bien donc d’un délire passionnel, et on identifie ici une
oscillation bien connue entre la paranoïa sensitive et celle qui est sthénique, c'est-à-dire agressive.
Quand Amartya Sen, le prix Nobel d'économie, parle du "fondamentalisme et de la centralité
de l'Occident", il ne fait rien d'autre que de dire à sa manière que les paranoïaques intégristes ont
trouvé leur "persécuteur désigné" en la personne morale de l'Occident. Dans ce sens, le groupe
terroriste qui a revendiqué l'attentat à la bombe de mars 2004 dans les trains de Madrid reconnaît
l'utilité d'avoir un persécuteur pour pouvoir opérer leur manipulation des masses : en s'adressant à
Bush, elle déclare : "Nous ne pouvons trouver quelqu'un qui soit plus idiot que vous, à utiliser la
force à la place de la sagesse et la diplomatie. Votre stupidité et votre extrémisme religieux est en
137
fait ce que nous voulons, car les gens de chez nous ne se réveilleront pas de leur sommeil
profond, sauf s'il y a un ennemi."149 Visiblement, ces terroristes-là lisent les éditorialistes
occidentaux et savent en répéter ce qui les arrange.
Le psychanalyste Sudhir Kakar a écrit en 1995 un livre à propos de la psychologie des
émeutes entre hindous et musulmans : il reconnaît que le plus difficile pour lui dans ce travail n'a
pas été d'interviewer des gens du peuple, musulmans ou hindous, mais d'avoir à écouter toute une
série de cassettes diffusées en grande quantité et qui reproduisent les discours de mollahs
intégristes, plus ou moins virulents selon les cas. Il rapporte par exemple les propos d'une
cassette d'Azami, un député considéré comme un "intégriste modéré", si cela existe… : "Un
hindou a demandé de mettre le Coran au ban" [plusieurs fois, des citoyens non musulmans ont
déposé une pétition officielle en justice en demandant de bannir le Coran comme un livre incitant
à la haine inter religieuse, un acte qui effectivement est condamné par la loi] "Plus ils cherchent à
le bannir, plus vous devrez vivre selon lui." La contre-attaque préférée de ce chef de l'islam, ce ne
sera pas la mort pour les hindous, mais encore pire : la conversion forcée et humiliante à l’islam.
"Quiconque ose insulter le Coran doit être conscient que soit lui, soit sa descendance seront
obligés de devenir musulmans".150 Ce qu'il y a d'honnête chez cet élu, c'est qu'il donne clairement
son programme politique. Il est intéressant du point de vue psychologique d’observer dans cette
citation que les islamistes, pour prêcher aux masses, ont non seulement besoin d’un persécuteur
désigné, mais aussi de "persécutés désignés", et pour eux ils sont tout trouvé, ils s'agit
répététivement du Prophète et du Coran dont, au moins le soupçonnent-ils, le monde entier aurait
envie de se moquer et de rire sous cape. Dans ce sens, un hadith est mis dans la bouche du
Prophète : « Si quelqu'un m'insulte, tout musulman qui en est témoin doit le tuer sur-le-champ.
»151 Si, comme l’a dit Houëllbecq dans une maxime fort commentée, l’islam est ‘la plus con des
religions’, on est tombé ici certainement sur le plus con des hadiths.
Certes, les musulmans modérés essaieront de faire leur « saut de l’ange » interprétatif habituel
en disant que ce hadith n'est pas authentique, certains suggèreront même peut-être que c’est Satan
qui l’a introduit sciemment pour ridiculiser l’islam et le Prophète – la paix soit sur lui.
Cependant, on se trouve confronté là encore à une méthode exégétique plutôt faible : quand une
parole de Prophète vous arrange, elle est authentique, sinon, elle ne l'est pas. Avec ce genre de
procédés, tous les espoirs interprétatifs sont permis. Certes, dans ce cas-là, cette exégèse boiteuse
vaut certainement mieux qu'une exécution littérale de l’injonction de l'Envoyé de Dieu.
Lorsqu’on s'intéresse en tant que psychologue au comportement des islamistes, on ne peut
s'empêcher de penser aux réflexes pavloviens. Certes, il y a toutes sortes de conditionnements qui
aident à vivre, mais il faut aussi se souvenir qu'il y en a certains qui poussent à mourir. Par
ailleurs, on peut dire que la psyché islamique utilise ces persécuteurs présumés que sont
l'Occidental et le Juif comme une "arme de distraction massive" pour esquiver une introspection
pourtant bien nécessaire. Plus d’un milliard de musulmans se complaisent à être comme pris en
otage, par exemple par le conflit israélo-palestinien hypermédiatisé. Celui-ci en réalité ne
concerne directement qu'une infime partie de la population de l’islam : c'est le moustique qui en
piquant le bout de la trompe de l'éléphant réussit à le rendre fou. Si ce n'était pas tragique avec un
bon nombre de morts inutiles, ce serait comique.
Pour conclure sur cette question du persécuteur, faisons remarquer que le mot islam provient
des racines arabes qui désignent le fait d'avoir été atteint dans sa vie, soit malade, soit frôlé par la
mort, d'être mis en danger puis d'être sauvé. salama veut dire sain et sauf, et aussi être dans la
paix et le salut. C'est ce qui est arrivé au Prophète et à Abû Bakr quand ils ont échappé à
l'encerclement des Mecquois qui voulaient les tuer. Le problème de cette conception, en plus du
138
fait qu’elle est très probablement inauthentique historiquement, réside dans le fait qu'elle est
directement et dès le départ reliée à une ambiance persécution.
Rationalisations secondaires
"Les créations de la terreur sont effectuées non pas pour atteindre un but stratégique [ou
politique], mais pour poser une affirmation symbolique."152 En des termes plus psychologiques,
nous pourrions dire qu'elles suivent une logique de délire paranoïaque qui leur est propre,
entourée comme il se doit de rationalisations secondaires vagues, comme « venger son honneur »,
« défendre la religion », « mettre en accusation le gouvernement », « combatte le grand Satan »
etc. Le mental est comme un insecte au fond d'un pot qui chercherait à en sortir. Il met beaucoup
de temps avant de comprendre qu'il tourne en rond. Cette tendance générale du psychisme est
renforcée par le conservatisme religieux, insistant déjà de toute façon sur la répétition et donc sur
une circularité la plus complète possible de la pensée.
Al Zawahiri, le lieutenant de Ben Laden, donne un bon exemple de fonctionnement
paralogique quand il fait des références pointilleuse à la loi pour montrer que les gouvernements
égyptien et pakistanais ne l'ont pas suivie, et donc qu'il était moralement et juridiquement
complètement justifié de lancer un attentat à la bombe contre l'ambassade d'Égypte à Islamabad.
Il s'agit d'un esprit procédurier qui prouve avec des raisonnements qui semblent infaillibles que
son délire est la seule vérité. Rappelons qu'on a défini la paranoïa comme un "amour malheureux
de la raison ». Dans les années trente du siècle dernier par exemple, une dame française, une
vraie paranoïaque, on pourrait dire une championne en son genre, avait fait 200 procès contre ses
locataires. Ce n’est en fait pas grand-chose par rapport au nombre de procès que les islamistes
font aux individus dans les pays musulmans pour ‘défendre l’honneur du Prophète et de l’islam’,
leur obsession préférée, et essayer d’imposer par la peur une charia chicanière et une idéologie
absolutiste.
Les oulémas et les intégristes tiennent les réformateurs potentiels sous leur emprise en
particulier par la menace de procès : si le tribunal d'un pays islamique vous condamne comme
incroyant, kafir, vous risquez la peine de mort. Cette obsession de faire respecter les lois et les
règles par des convocations devant le tribunal est connue en psychiatrie sous le nom de
'quérulence processive', ou encore de délire de revendication, et elle est classée parmi les délires
paranoïaques passionnels, au même titre que la jalousie, l'érotomanie et les divagations des
inventeurs méconnus. En fait, quels que soient les aspects de l'intégrisme que l'on considère, on
ne sort pas d'un cercle de diagnostics assez restreint. Mieux vaut en être clairement conscient, un
homme averti en vaut deux.
Le bigot, quand il réussit à convertir, a une impression de toute-puissance : « Le Prophète de
Dieu m'a choisi, moi personnellement, pour être son instrument et convertir le monde de gré ou
de force ! » Cette toute-puissance agit comme une drogue dont il est difficile de se désintoxiquer :
le fidèle finit par ne plus même souhaiter s’en libérer et n'est même pas conscient qu'il a
développé une addiction, il la rationalise complètement, et donc c’est comme à reculons et les
yeux bandés qu’il s’enfonce dans la psychose.
Nous avons déjà mentionné que les chercheurs qui sont formés à la sociologie ou aux sciences
politiques trouvent naturellement les causes des événements dans ces domaines-là, plus que dans
les mécanismes psychopathologie des sujets. Ceux-ci également, de par la logique de leur propre
paranoïa, ont tendance à projeter à l'extérieur, dans la société, les causes de leur malaise : les
deux types d'explications confluent et deviennent donc complices pour présenter comme des
raisons principales ce qui n'est en fait que des facteurs secondaires, et pour passer à côté d'un
139
problème central de psychopathologie "toute bête" - car il n'y a en effet rien de plus bête dans sa
logique répétitive que la psychopathologie, nous l’avons déjà mentionné.
Les approches sociologiques, politiques, économiques de phénomènes ont bien sûr leur place,
mais elles sont à mon sens en général d'exagérées, elles voudraient tout expliquer. Pourtant, elles
comblent plutôt un vide dû à la méconnaissance des mécanismes de contagion les plus simples de
la psychologie de groupe et de l’épidémiologie psychiatrique. Il faut comprendre que les
idéologues islamistes sont ravis quand ils voient arriver un chercheur occidental plutôt naïf qui
leur déclare : "C'est à cause de la pauvreté, de la lutte des classes, des guerres du pétrole et de la
politique des États-Unis que vous êtes islamistes." Cela les déresponsabilise et les encourage à
continuer de plus belle, sans l'ombre d'une remise en question, dans leurs projections
paranoïaques plutôt meurtrières. Ils trouvent dans ces explications de quoi mettre de l'eau au
moulin de leurs rationalisations secondaires, et ainsi le délire s’auto-entretient. Il y a là une erreur
stratégique, une grosse bourde de départ de la part des chercheurs et intellectuels occidentaux,
bien que, répétons-le, ce qu'ils découvrent ne soit pas faux non plus à son niveau. En tous cas, du
point de vue de l'expérience des psychiatres et psychothérapeutes, ce n'est pas de la bonne
thérapie que de se laisser emmêler dans le délire d'un patient, surtout s'il souffre de paranoïa
chronique ou aiguë. Dans ce domaine, une vigilance de tous les instants est de règle.
Pour résumer ces réflexions sur les rationalisations secondaires en une image simple, on
pourrait parler de l'effet clafouti : des bouts de réel, comme des morceaux de pommes ou de
cerises, sont inclus dans la pâte collante du désir-délire, elle-même enrichie avec le sucre des
rationalisations secondaires, puis cuit au four de la passion de convaincre : le résultat en est un
clafoutis aux fruits bien chaud que les naïfs engloutissent avec grand plaisir – sans savoir
cependant qu'ils s'empoisonnent par là même le corps et l'esprit.
La concentration dévotionnelle mal comprise sur une idée donnée peut créer une intoxication.
De même que le drogué ou l’alcoolique développe une paralogique, des raisonnements faux pour
justifier sa dépendance et essayer de faire croire à soi-même et aux autres qu’il est sain, de même
le bigot aura toutes sortes d’arguments apparemment raisonnables, mais en réalité fous pour
justifier son obsession. Il s’agit de déformations profondes et à long terme de la vérité. Nous
sommes ici de nouveau proche de la notion de rationalisation secondaire de la paranoïa. Cela
explique pourquoi des formes religieuses qui concrètement-cliniquement ne sont pas saines
peuvent quand même se répandre et contaminer un grand nombre de gens. La paranoïa est en fait
une machine à produire des rationalisations secondaires, c’est sa raison d’être. C’est quand on est
formé à la psychopathologie en théorie et en pratique qu’on les repère au premier coup d’oeil. Le
grand public, les spécialistes de sciences politiques et même religieuses, sans compter les
étudiants débutants en hôpital psychiatrique passent régulièrement à côté. Ce serait très utile,
nous l’avons dit, que les diplomates et responsables politiques aient une formation en
psychopathologie théorique et même pratique. Si on leur confie deux trois paranoïaques en leur
donnant dix heures d’entretien pour chaque afin d’essayer de les faire revenir à plus de bon sens,
ils verront que ce n’est pas du tout facile, mais comprendront aussi comment le patient peut se
protéger par tout un filet de rationalisations secondaires qui paraissent la plupart du temps très
cohérentes. Redisons-le, cela donne une clé pour comprendre ce pourquoi la pathologie religieuse
est si contagieuse.
Le musulman pieux a en général tendance à excuser et justifier la guerre sainte par un « excès
d’amour sincère » pour le Prophète. Cependant soyons clairs : le reste de l’humanité qui est libre
de cette croyance plutôt particulière n’en a rien à faire de cet « amour sincère », et préfèrerait
même qu’il reste au repos et ne se manifeste pas. Il ne fait que servir les intérêts d’une idéologie
conquérante. Avec un minimum de sens psychologique, il sera facile de voir dans cette
140
récupération de la dévotion pour l’agression une forme assez typique de perversion. Si les
religieux qui bénéficient de cette manipulation ont tout intérêt à ce que les mécanismes de cette
manipulation restent dans l’ombre, que ce soient des psychologues éclairés qui la mettent en
lumière, pour le bien et la sauvegarde du plus grand nombre.
Un vieux bon sens dit : « Les gens de compromis commettent parfois des erreurs, mais jamais
autant que les hommes de convictions » La rigidité de la conviction est basé souvent sur un
complexe d’infériorité qu’elle transforme en complexe de supériorité et, si les choses s’aggravent
encore, en mégalomanie. Il s’agit d’un mécanisme fort courant, et on gagnera beaucoup de temps
si on apprend à le discerner rapidement.
Le meurtre d'Allât par Allah et la naissance de l'islam
Il y avait à La Mecque une déesse dont le nom était tout simplement Al-lât, c'est-à-dire la
déesse par opposition, ou complémentarité avec Al-lâh, mot qui signifie « le dieu ». Pour être
plus précis, Allât était la déesse des Thakafites à Taïf. Elle n'était pas du goût de Mahomet, qui
est donc venu et a fini par réussir à la détruire ainsi que son temple, malgré l'opposition des
habitants de la ville. L’iconoclasme a été perpétré par Al Muchirra et Abu Sufyan. Le caractère
forcé de la conversion de ce dernier à l'islam est évident quand on lit la description de son
changement de foi, il l’a fait pratiquement sous l’effet de menaces de mort de la part de
Mahomet. Sans doute celui-ci lui a ordonné de faire cet acte grave de briser une déesse ancestrale
pour vérifier et renforcer son implication dans la nouvelle secte, et l’empêcher
psychologiquement de revenir en arrière. Quand elle a été mise en pièces, les femmes qui
l'honoraient ont composé un chant où elles disaient à son propos : "Elle n'a pas été assez forte
pour se défendre elle-même".153 Mais après tout, on peut se demander tout simplement pourquoi
les mères auraient-elle à se défendre par les armes contre des bandes d’agresseurs mâles armés?
Si on en arrive à cela, où est le supposé progrès de civilisation et le sens de ce qui est humain ?
Dans beaucoup de religions, on trouve un meurtre fondateur, souvent entre un couple de
jumeaux, comme entre Rémus et Romulus à Rome, entre Caïn et Abel dans la Bible et même la
tentative de meurtre d’Isaac par Abraham qui fonde l'Histoire sainte. Il est bien possible que cette
destruction de la Mère divine Al-lât par Mahomet qui s’estimait être le bras droit d’Allah soit
l'assassinat fondateur de l'islam. Nous verrons dans le chapitre 9 sur le martyre l’importance de
l'archétype du « cadavre dans les fondations ». Les religions primitives croient souvent que si
l’on sacrifie un être humain et qu’on l'enterre dans les fondations d'un temple ou d'un grand
bâtiment, celui-ci aura une solidité à toute épreuve.
C'est à mon avis poussé par ce même archétype plutôt irrationnel, primitif et finalement
meurtrier que les chrétiens ou musulmans ont mis les pierres des idoles et des temples
polythéistes récemment détruits dans les fondations de leurs propres églises et mosquées. Cette
stratégie n’a pas empêché le christianisme européen d’en être arrivé actuellement au plus bas de
son histoire du point de vue des taux de pratique régulière, c’est-à-dire d’adhésion minimum à la
religion. L’islam européen n’est pas en bonne passe non plus, seulement un tiers ou même un
quart de la population d’origine musulmane pratique assez régulièrement, et encore c’est souvent
plutôt à la maison qu’à la mosquée, signe qu’ils prennent une sérieuse distance vis-à-vis du
discours de l’imam et de l’islam social. Cela ne s’est jamais vu en pays d’islam depuis le
Prophète. Serait-ce le début de la fin ? Cette question, bien qu’impie, mérite d’être posée par les
esprits laïcs et raisonnables.
On parle beaucoup du meurtre du Père en psychologie, nous l’avons abordé ci-dessus, mais si
l'on veut comprendre en profondeur la « théopathologie » des religions du Livre, on devrait
141
s'intéresser de plus près au meurtre de la Mère divine. Il n'est pas sain psychologiquement de
fonder une discipline religieuse sur le meurtre de la mère. Si un enfant apprend que sa mère est
morte en couche à l’occasion de sa naissance, cela sera probablement pour lui cause de névrose ;
mais s'il apprend qu'en fait, sa mère n'est pas morte naturellement, mais que c'est son père qui l’a
tuée, il aura de grandes chances de devenir psychotique. Mettre un terme brutal à la
complémentarité entre Al-lât et Al-lâh a annulé les possibilités mystiques de mariage au-dedans,
a provoqué un déséquilibre contre nature, une mutilation et une hémorragie qui continue de
saigner jusqu'à maintenant sous forme de violence à répétition. Pourtant, la plupart des gens ne
réussissent pas à en identifier les causes profondes. Le traitement médiocre des femmes en islam,
si choquant à notre époque moderne, n’est qu'une des nombreuses conséquences de ce
déséquilibre, de ce meurtre initial. Au fond, Salman Rushdie a été condamné à mort par fatwa en
substance parce qu'il a osé sous-entendre que le Prophète avait été tenté de respecter la Mère
divine et ensuite avait refoulé ce sentiment en basculant de nouveau dans sa destructivité
habituelle à son égard. Et si c’était vrai ? Comme le dit justement la psychologie populaire, il n’y
a que la vérité qui blesse.
L'islam et les autres formes de monothéisme sont pareils au roi Méhaigné du Roman de la
Table ronde : nous avons vu que son nom signifie ‘mutilé’, il a en effet une blessure à la jambe
qui n'en finit pas de saigner et qui ne peut guérir à cause d'une épée sacrée qui a été brisée en
deux et que personne ne peut ressouder. Nous avons appliqué cet archétype à la division entre
christianisme et islam, mais nous pouvons aussi l’utiliser pour évoquer le manque de
réunification du principe féminin et masculin au niveau du spirituel, de la métaphysique et du
divin lui-même. Dans certaines universités d'Iran actuellement où la femme est notablement
maltraitée au nom de l’islam, on a ouvert des cours sur le martyre : où donc ailleurs dans le
monde peut-on trouver de tels enseignements ? Il faut qu'un pays ou une religion ait poussé le
sectarisme jusqu'à la psychose pour en régresser à ce niveau-là. Nous avons vu que cette
mutilation de l'unité primordiale a continué à saigner on peut dire à flots à travers toute l'histoire
de violence islamique, il en a été de même pour le christianisme conquérant, et certaines
améliorations apportées sous la pression de la modernité n’ont quand même pas résolu le fond du
problème. Pour une oreille française, Al-lât pourrait s'entendre comme : « A l’autre », et c'est
justement cette ouverture qui a été violemment supprimée dès le départ, dans un acte qui avait
clairement le sens anthropologique brutal de meurtre fondateur.
Pour ceux qui voudraient avoir une idée directe de l'effet de cette conception de la femme
dans un pays soumis à la loi islamique rigide, ils peuvent lire le livre de Fariba Hachtroudi
Femmes iraniennes - 25 ans d'inquisition islamique.154 Elle vit en France, a elle-même été
condamnée à mort par fatwa pour ses prises de positions courageuses mais sa mère qui n’a pas pu
s’enfuir d’Iran a été réellement assassinée. Elle donne de multiples informations sur la vie
douloureuse des femmes iraniennes sous le joug 'ayatollesque', mélange de tragique au quotidien
et de comique grand-guignolesque. On pourra aussi visiter son site.155 Fariba Hachtroudi vient de
publier au Seuil un nouveau livre, Retour d'Iran qui aborde d'une façon indépendante et très bien
informée ces questions d'actualité brûlante156.
Peut-être qu'un facteur qui pourrait contribuer en profondeur à la paix au Moyen-Orient serait
que juifs, chrétiens et musulmans se rassemblent à l'occasion de cérémonies spécifiques et
récitent avec respect le nom de toutes les Mères divines originelles qu’ils ont détruites durant leur
campagnes iconoclastes sur la terre du Moyen-Orient, le but de la réunion de prière étant d’en
demander pardon. Si cette récitation n'apportait pas une paix complète dans leurs relations, cela
y amènerait certainement une douceur, et resanctifierait réellement une terre en fait souillée et
rendue non sainte par la violence de ces destructions et des bains de sang qui les ont
142
accompagnées. Ma proposition peut sembler naïve ou même blasphématoire, mais je la
maintiens. Après tant d’années d’études et de pratique, j’ai une certaine idée de la manière dont
fonctionne la psychologie des profondeurs, et du pouvoir d’actions rituelles et symboliques pour
dénouer des nœuds dissimulés sous des couches de défenses et de rationalisations secondaires.
Voilà finalement le secret de famille : ce meurtre de la Mère est tellement énorme que
personne ne voulait en parler, mais il faudra bien finir par l'annoncer à l'enfant innocent qui
demande répétitivement à l’adulte : « Dis-moi, pourquoi je n'ai jamais vu Maman ? » « Mon
pauvre chéri, je n'ai jamais osé te l'expliquer jusqu'à maintenant, mais c'est tout simplement parce
que ton Papa a tué ta Maman ! ».
Tuer la Mère
Nous allons analyser dans cette section comment 'tuer la Mère divine' a permis historiquement
aux monothéistes de s'emparer avec toute bonne conscience de la 'terre mère' des polythéistes.
Commençons par un fait d'actualité qui en fait a des racines dans un lointain passé : en Inde en
mi 2006, il y a eu une nouvelle intéressante : un mollah a émis une fatwa interdisant aux enfants
musulmans dans les écoles gouvernementales de chanter le Vande Mataram, ‘J’adore la Mère’
qui a quasiment le statut d'hymne national en Inde. Il s'agit de la résurgence d'une vieille histoire,
Bankim Chandra Chatterji a écrit cet hymne pour stimuler la résistance bengalie et hindou à
l'oppression anglaise à la fin du XIXe, en même temps qu'un roman qui allait dans le même sens.
Les résistants devaient se consacrer à la Terre-Mère qui était présenté comme déesse. Ce mot
même de déesse est l'abomination de la désolation pour les musulmans, et ils ont fait donc
pression pour avoir un hymne national beaucoup plus banal, et qui ne touche pas la fibre des
profondeurs archétypales. On pourrait dire qu'il s'agit juste d'une querelle religieuse de plus pour
des questions imaginaires, mais que s'est-il passé dans la réalité historique et politique ? Les
Anglais ont séparé le Bengale en 1905, à la fois pour satisfaire la demande islamique d'un pays à
majorité musulmane, qui deviendra le Bangladesh, et pour attiser les tensions entre musulmans et
hindous, selon la vieille stratégie du 'diviser pour régner'.
Cela a mené à la guerre de Partition, puis à celle d'indépendance du Bangladesh qui ont
correspondu à une purification ethnique des hindous par l'islam. Ils étaient 25% en 1947, ils ne
sont plus que 7,5% maintenant, et leur nombre va en diminuant (au Pakistan ils ne sont plus que
2%, alors qu’il y a 14%, soit 140 millions de musulmans qui se sont trouvés bien de rester en
Inde sous la protection d’un gouvernement en majorité hindou ). Ainsi, la stratégie est simple et
bien rôdée : on commence par dénier au niveau archétypal l'existence de la Mère divine d'un
territoire donné en la traitant d'hallucination, et ensuite on annexe la terre en tuant, chassant ou
convertissant de force les fidèles de cette Mère divine, en rasant ses temples et en construisant
des mosquées à l’endroit même. On pourrait voir là-dedans un résumé de l'histoire de l'expansion
de l’idéologie monothéiste, et surtout de l'islam qui l'a appliqué de la façon la plus systématique :
c'est bête, c'est brutal, mais ça marche bien et donc on continue. Cependant, il y a des résistances
car les gens finissent par comprendre ce qu'il y a en jeu derrière ce qui peut paraître de la simple
bigoterie, et le dit imam s'est fait menacer d'être jugé pour haute trahison envers le pays, la TerreMère toujours elle, par les hindous…
Evidemment, il faut savoir aussi que si l'accusation est retenue et que par exemple le mollah
est pendu, ce qui est fort peu probable vu la tolérance hindoue, les dirigeants islamistes se
frotteront les mains : ils en feront un shahid, un martyr de la cause de la religion, et c'est
justement le type de bois dont ils ont besoin pour brûler sous le chaudron des passions
religieuses, et les faire bouillir. L’histoire a continué, en début septembre 2006, c’était le
143
centenaire du chant Vandé Mataram, qui a créé une sorte de chaos national : les hindous étaient
divisés sur le fait de l’imposer ou non aux musulmans dans les écoles, les musulmans sur le fait
de le chanter ou non, en fait l’affaire a montré une fois de plus la mauvaise intégration de la
minorité musulmane à l’Inde malgré un millénaire de vie sur cette terre. Ce qu’il y a de plus
grave, c’est qu’un conseil national des oulémas a confirmé la fatwa de leur collègue
d’Hyderabad : interdit d’envoyer les enfants à l’école gouvernementale si on y chante Vandé
Mataram. Comme d’habitude pourtant on le chante, cela risque de priver les enfants d’un
minimum d’éducation moderne dont ils ont pourtant fort besoin, et de les faire basculer dans
l’analphabétisme complet, ou peut-être encore pire, l’obscurantisme probable de l’éducation en
école coranique.
Dans le Coran, le féminin sacré est directement démonisé, il représente le Péché
impardonnable : serait-ce un symptôme de plus de paranoïa ?
Allah ne pardonne pas à celui qui lui donne des Associés.
Il pardonne à qui Il décide, sauf en cela.
Qui associe à Allah se fourvoie d’un fourvoiement extrême.
Oui, ils n’implorent, hors de Lui, que des femelles,
.
oui, ils n’implorent qu’un Shaïtân rebelle. 4 116 117.
Pour Ali, le compagnon de Mohamed, calife et fondateur du chiisme, "la femme est un mal
nécessaire"157 Il faut se souvenir que même accepter d’interpréter de telles paroles pour essayer
de les rendre moins pires revient déjà à mettre le doigt dans l’engrenage d’une pensée totalitaire,
car on se soumet de facto à l’idée que le texte est sacré. A chacun de bien réfléchir à ce qu’il
souhaite vraiment.
Mahmoud de Ghazni, le premier envahisseur musulman de l'Inde, avait donné comme but à
ses campagnes de razzias du pays la destruction du temple de Somnath sur les rives du Gujarat.
En effet, une légende affirmait qu'une statue de la Mère divine, Al Manat, avaient été sauvée des
accès iconoclastes de Mahomet et avait été transportée à Somnath où elle était honorée auprès
d'un lingam de Shiva. Le but suprême du ghaznavide étaient donc mystico-pathologique, il
s'agissait une fois de plus du même trouble de type obsessif-compulsif visant à tuer la Mère
divine de la façon la plus complète t totale possible. Somnath signifie le Seigneur, nath, de la
lune, soma. Ce dernier terme a aussi le sens d'extase, et dans les védas, une préparation à base de
plantes dénommée aussi soma peut la favoriser. Mahmoud a "bien sûr" mis en pièces la statue,
ainsi que nombre d'autres qu'il a pu trouver sur sa route. Pour confirmer la victoire de l'islam, il
en a envoyé des morceaux pour former les marches de la grande mosquée de Ghazni en
Afghanistan, ainsi que pour être enterrées devant les mosquées de La Mecque et de Médine, afin
que chaque musulman puisse les piétiner en passant.
Le lingam est une pierre noire dressée qui représente la toute puissance du Divin, en fait
exactement comme la pierre noire de La Mecque. De plus, c'est un symbole phallique, et donc on
peut discerner une idée de jalousie dans toute cette histoire : Allah voulait punir son épouse peutêtre déjà d'exister en tant que femme tout simplement, puis aussi de s'être enfuie avec un autre
homme, en l'occurrence Shiva, d’avoir osé ‘changer de Pierrre noire’ et donc il fallait les détruire
tous les deux. Logique, au moins dans l’esprit d’un mari ordinaire atteint de la paranoïae de
jalousie. "Notre vengeance était d'absolument justifiée", diront les fondamentalistes de l'islam.
On assiste ainsi à la construction d'un délire systématisé au grand complet : cela débute par d'une
fausse interprétation due à l'ignorance et à la projection de peurs de la mère : Somnath, à la place
d’être compris comme soma-nath, un nom courant de Shiva, a été interprété comme so-Manat,
144
donc un nom de la Mère divine pré islamique al-Manat, celle qu’on pourrait surnommer ‘la Mère
interdite’. Evidemment, le so n'a pas été expliqué, mais ce détail étymologique ne comptait guère
pour les troupes islamiques peu lettrées, voire souvent même analphabètes en dehors de la
mémorisation du Coran. Ensuite viennent les idées de jalousie, pimentées par la côté grandiose
d'une conspiration internationale : on a osé transférer l'idole de la Mère maudite en cachette du
bien-aimé Prophète, père et dictateur de l'islam naissant, Mahomet, avec l'aide d'un réseau
étranger de l’Ombre qui a aidé à abriter la "criminelle" – d’où la "nécessité" du passage à l’acte
destructif et soi-disant justicier quatre siècle plus tard.
On peut le considérer en réalité pour ce qu'il est, c'est-à-dire un acting out psychotique. C'est
barbare, c'est surtout stupide, mais cela fonctionne et a initié et justifie symboliquement un
processus de conflit entre l'islam et l'hindouisme qui a fait dans doute environ 80 millions de
morts en cinq siècles, qui en fait toujours et en fera peut-être encore plus à l'avenir en cas de
conflit nucléaire. Allant dans le même sens de la tendance à la purification ethnique, au
Bangladesh a été promulgué il y a quelques années l’Enemy defence Act qui permet en fait au
gouvernement de saisir les terres des hindous, par le simple fait qu’ils soient nés hindous, et donc
assimilés à des ennemis potentiels.
Pour élargir cet archétype du meurtre de la Mère, on peut faire remarquer que le judaïsme et
Israël ont été une mère pour l'islam originel, nous détaillerons cela dans notre chapitre sur
l'analyse historique à propos des nouvelles données sur les origines du monothéisme arabe. Le
gros de la religion musulmane vient d'un groupe juif, les samaritains, avec des influences
chrétiennes hétérodoxes et persanes restées relativement mineures. Ainsi donc, quand le président
de l'Iran, Ahmadinejad – dont le nom signifie "race de Mohamed" et dans lequel ses supporters
voient effectivement un nouveau Mohamed – parle de façon répétitive d'effacer Israël de la carte,
on peut supposer raisonnablement qu'il est agi dans son inconscient par ce même archétype du
meurtre de la mère. On est typiquement dans le registre de la psychose, et c'est dangereux pour la
paix de l'humanité, surtout quand les psychotiques risquent d’être armés de l’arme nucléaire.
Nous pouvons mentionner que le Coran reconnaît au moins intellectuellement le sens du culte
des statues des païens, en les citant eux-mêmes : "Nous les adorons seulement pour qu’elles nous
rapprochent de Dieu" (39 3); mais le poids de l'exclusivisme métaphysique et des intérêts
politiques de la conquête a fait largement pencher la balance du côté de la destruction aveugle et
brutale des statues et des temples des dieux et des déesses, y compris des chefs-d'oeuvre de
beauté et d'ancienneté comme cela a été régulièrement le cas en Inde au Moyen-âge. La dernière
rechute dans ces accès psychotiques est bien connue, il a pris pour cible les deux statues de
bouddhas debout de Bamiyan en Afghanistan en 2001. Ce ne serait pas juste d’essayer de
l’excuser au nom d’une conception molle du relativisme culturel.
Il faut rappeler que le délire d'empoisonnement est très courant dans la paranoïa : en fait, le
monde entier est censé faire un complot pour empoisonner le sujet qui serait le seul à être pur,
blanc et innocent. Il n'est pas interdit de rapprocher ces idées du terme jâhiliyya, qui désigne la
période soi-disant d'obscurité du polythéisme avant l'avènement de l'islam en Arabie ou ailleurs.
Nous avons vu que ce terme est très proche en arabe de jahar qui signifie poison. N'est-ce pas
ainsi une paranoïa certaine que de considérer que le monde avant l'avènement de vous en tant que
vous n'était qu'un océan de poison ? On retrouve le mécanisme d'extension en tache d'huile d'un
délire initial.
Nous avons déjà mentionné le livre de Fariba Hachtroudi Femmes iraniennes - 25 ans
d'inquisitions islamistes. Il est accablant propos de ce paradis de l'islam que prétend être l'Iran
khomeyniste. L'obsession des ayatollahs au sujet de la police des moeurs a transformé le pays en
un vaste asile de fous, nous l’avons dit. En plus de nombreux types de persécutions, la lapidation
145
des femmes continue, en particulier pour adultère, et ce malgré les démentis superficiels du
gouvernement iranien, que la presse occidentale est souvent trop contente de croire pour se
donner bonne conscience à propos de son inaction. Bien que l'administration se garde de donner
des statistiques officielles, les associations de droits l'homme pensent qu'il y a environ 150
femmes lapidées publiquement par an, et ceci n'est que la pointe de l'iceberg de toutes sortes
d'autres mauvais traitements ou d'exécutions sommaires dans les prisons dont les femmes sont
victimes. Le mode d’exécution lui-même évoque fortement le sadisme, dans la manière dont les
tortionnaires savent 'faire durer le plaisir' : "Une femme de 25 ans, Nossrat, a été lapidée à mort
dans la ville de Qom [la ville sainte du shiisme iranien]. Elle est morte après une heure de
lapidation continue."158 Pour durer si longtemps, on peut se demander si c’était de corps de
Nossrat qui était de pierre, ou le coeur des hommes qui l’exécutaient de façon barbare. Il faut se
souvenir que pendant le pèlerinage de La Mecque, les fidèles lancent des pierres à un pilier qui
est censé représenter Satan, l'idole du Malin en quelque sorte. Lapider une femme revient donc à
la considérer comme le diable. Mais quand on regarde la scène de l'extérieur, la vraie question à
poser est celle-ci : "De quel côté des pierres qui volent est le vrai Satan ?"
Les jeunes filles ayant si peu d'avenir et étant tellement maltraitées en Iran actuel, elles
s'échappent régulièrement de chez elles. Elles sont ensuite récupérées par des maffias, voire
assassinées, et la police de Téhéran elle-même reconnaît qu'il y a environ 150 mineures qui
meurent chaque semaine à Téhéran seulement. Dans les rues de la capitale, les fugueuses qui
échappent à la drogue, à la prostitution ou à la récupération par les réseaux de bandits, sont
battues ou violées par les Gardiens de la morale supposés faire respecter l'ordre public. Du point
de vue de la psychologie profonde, c'est autant de mères divines qui sont détruites, l'archétype de
départ continue à se reproduire pareil à lui-même de façon épidémique, tel un micro-organisme
particulièrement tenace et virulent après 14 siècles.
Olivier Roy fait remarquer que "la demande de charia vise moins à reconstruire un système
juridique qu'à affirmer une différence d'avec l'Occident, ce dont les femmes font les frais."159
Elles sont en fait comme les "chèvres émissaires" des tensions liées à la modernisation et à
l'occidentalisation. Un groupe moins nombreux comme celui des homosexuels peut aussi servir
de bouc émissaire. Par exemple en Égypte en 2001, il y a eu de nombreux procès contre eux, et
le cheikh al Qaraoui, le Frères musulmans de 84 ans qui est revenu triomphalement en Egypte
après la chute de Moubarak, et d’avis qu’ils doivent être défenestrés. Comment articule-t-il cela
avec les cas de pédophilie assez régulier dans les écoles coraniques ? On ne sait pas bien, sans
doute lui non plus. A 84 ans, on ne peut plus tout savoir, la mémoire ayant sans doute été déjà
quelque peu « défenestrée ».
Tout ceci ne veut pas dire que l'islamisme soit dépourvu d'équivalent symbolique de la mère.
On peut dire que la communauté, la oumma, tient le rôle de la mère pré-oedipienne avec laquelle
on peut fusionner. Il s'agit d'un phénomène général de la psychologie de groupe. C'est cette
amma-oumma, mère-communauté, dont il faut restaurer "l'honneur offensé" en rétablissant par
exemple le califat. Quantitativement, cette tendance n’est pas majeure dans les pays musulman,
mais elle a un avatar qu’on pourrait surnommer le « néo-califat ». Il s’agit de l’idéalisation du
régime turc actuel comme le modèle de l’islamisme politique viable, ce dont le gouvernement
d’Istanbul profite bien pour essayer de récupérer de l’influence sur les masses de l’islam.
Le psychanalyste André Green parle du "complexe de la mère morte" dans lequel "le
désespoir, la mort et la rancoeur sont la préoccupation majeure de la mère"160 Une pédopsychiatre
comme H.Watanabe affirme que ce complexe est important dans la société japonaise
traditionnelle où la femme est plutôt opprimée. On peut supposer qu'il est aussi largement
répandu dans la jeunesse de nombre de pays qui vivent sous le joug de l'islamisme et de la charia.
146
Le noir obligatoire pour les femmes dans beaucoup de ces pays, y compris le tchador iranien,
renforce clairement au niveau symbolique cette impression de 'complexe de la mère morte'.
Si nous considérons les archétypes, comme l’explique un psychanalyste musulman, « le voile
n'est pas seulement la fermeture du regard possiblement séducteur de la femme, mais de son oeil
spirituel aussi : ainsi, elle ne pourra voir Dieu, et rester en vie, comme avait osé le faire Agar, et
voir la lumière sur le front d'Abdallah, le père de Mohamed avant sa naissance, indiquant qu'il
allait pouvoir l'engendrer ».161 Est-ce que de façon perverse donc, le voile qui est censé protéger
la religiosité n'empêche pas la femme d'avoir une véritable spiritualité, la maintenant
indéfiniment au niveau de la bigoterie ordinaire, de la foi aveugle, c'est-à-dire voilée du point de
vue de l’esprit ? N'y a-t-il pas là une opposition avec la femme hindoue dont au contraire le
troisième oeil est régulièrement mis en valeur, comme ouvert quotidiennement grâce au tika,
cette marque rouge au milieu du front ?
On peut discerner une obsession poussée jusqu'au fétichisme dans le slogan des islamistes
actuel : "Le voile ou l'enfer". L'enfer ne surgit-il pas justement directement dans l'esprit de
l'homme quand il ne veut pas voir la réalité, qu'il se voile la face, en d’autres termes que son
entendement est voilé ? Dans ce sens, le voile ne reste-t-il pas le symbole le plus clair du refus de
l'islamisme de voir la réalité de la modernité ?
Il faut bien comprendre la violence sous-jacente aux fondamentalistes qui veulent imposer le
voile à "leurs" femmes en Occident : ils les prennent en quelque sorte en otage de leur idéologie,
et les expose à la violence des autres. Leur espoir secret est facile à comprendre quand on connaît
le fonctionnement psychique de la paranoïa : qu'il y ait un groupe de voyous d'extrême-droite ou
d'extrême-n'impote-où qui en agresse une, si possible l’assassine après l’avoir violée. Ainsi, ils
jubileront car ils auront obtenu « leur » martyr. Ils pourront brandir sa photo dans les rues du
monde musulman tout entier et déclencher une nouvelle pandémies de paranoïa persécutoire pour
"venger l'honneur de l'islam" avec 50, 500, peut-être 5000 morts à la clé si tout se passe bien
comme prévu…
En fait, ce processus psychopathologie est déjà en cours, j'ai lu vers le milieu 2006 un article
d'une femme islamiste qui commençait son texte par le cas d'une pauvre femme voilée, mère de
cinq enfants en plus, qui s'était fait assassiner par un voisin blanc aux États-Unis. Elle se gardait
en fait de dire si le meurtre était parce qu'elle était voilée ou à cause d'une tout autre histoire de
voisinage qui n'avait rien à voir. Le sens de tout l'exercice était de souligner que la femme
musulmane était vitalement menacée par l'Occident, et que la seule solution pour survivre était un
retour à la loi intégrale, pour ne pas dire intégriste de l'islam à propos du sexe faible. L'article
était plutôt fourni en quantité de mots, mais comme argument réel pour le "retour à la case
départ" en ce qui concerne la situation de la femme musulmane, il n'y avait guère que celui de
l'assassinat qui était d'ailleurs cité dès la première phrase de l'article. Là encore, nous revenons
une construction de paranoïa très typique. Rappelons que celle-ci donne une raison de vivre – et
de mourir. Si on n'en trouve pas d'autre, elle devient même essentielle et centrale. Pour conclure
cette section, nous pouvons citer la réponse la psychiatre américaine Wafa Sultan lors d'un débat
télévisé très suivi avec un professeur égyptien d'études religieuses en 2006 sur al-Jazeera, en
faisant sans doute allusion à la pierre noire de la Kaaba, en fait à ce qu’on pourrait surnommer en
clair ‘l’idolâtrie mecquoise’ : « Je ne vous empêche pas d'adorer vos pierres, mais ne les jetez pas
sur moi ! »
Tuer le Père
On pourrait aussi appeler la partie qui suit « meurtre du père, meurtre au nom du Père » : le
Dieu unique représente le père, il demande comme signe de soumission la circoncision, il est
147
donc castrateur, c'est l'hypothèse de Freud qui est assez acceptable. Or, la castration-circoncision
est une violence, elle est associée à l'interdit de relation avec la mère, aussi peut-on relier ce fait à
l'acharnement des monothéistes à détruire les représentations de la Mère divine. En fait, comme
le Père Tout-puissant fait mal, mais terrorise aussi tellement qu'on ne peut même pas penser se
révolter contre lui, la violence doit trouver des exutoires en dehors de sa sphère d'influence, c'està-dire se défouler sur les ‘autres’, non-croyants, idolâtres, infidèles, que ce soit sous forme
directe de guerre sainte, ou indirecte de missions prosélytes. Celles-ci reviennent quand on y
pense objectivement à des crypto-guerres saintes déguisées sous le vêtement pieux de la charité,
ou même encore sous forme intériorisée de complexe de supériorité. On peut objecter que
l’islam, pour se séparer le plus clairement possible des chrétiens, a rejeté la présentation de Dieu
comme Père, aen l’accusant d’anthropomorphisme primaire. Cependant, les choses sont plus
mélangées, et accepter Dieu comme maître est de toutes façons une notion qui est proche. Le mot
même ‘patron’ ne vient-il pas de ’père’ et ne signifie-t-il pas ‘maître’ ? Est-ce qu’un maître est
moins un être humain qu’un père ? Il n’y a guère de logique dans ce type de querelles
théologiques entre le christianisme et l’islam. On gagne beaucoup de temps quand on apprend
rapidement à les voir pour ce qu’elles sont purement et simplement : des ratiocinations sectaires,
pour savoir qui aura le Pouvoir.
Freud, à la suite de penseurs monothéistes, estime comme évident que l'absence d'image de
Dieu favorise la sublimation des pulsions. Cependant, si l'on pense à l'islam, qui entérinait sans
discussion aucune la polygamie et le jihâd, par rapport à l'hindouisme qui valorise le célibat à
travers l'institution du brahmacharya et du sannyâs, ainsi que la non-violence, tout en rendant en
général un culte aux statues des dieux, on est bien obligé de reconnaître que les faits semblent
montrer exactement l'inverse. Une vision plus réaliste et critique des choses serait que le
monothéisme canalise les pulsions non pas pour les sublimer complètement, mais pour intensifier
le sectarisme centré sur un dieu qui – comme ces personnalités complexées avec un ego à
problèmes si nombreuses de par le monde – se voudrait unique. C’est tout le problème en quelque
sort d’un nombrilisme métaphysique.
Il est clair que l'unicité divine favorise celle d'un empire, et donc monothéisme et impérialisme
vont la main dans la main : cela a commencé sans doute avec le monothéisme égyptien
d'Akhénaton et se poursuit de nos jours avec la tendance des chrétiens et des musulmans à
continuer à bâtir des empires qu’on pourrait qualifier de « post-coloniaux ». Ils sont plus subtils,
moins matériels que les empires précédents et sot liés à des réseaux d’influences et de
dépendances. Les Juifs auraient voulu aussi développer leur empire. Cependant, il semble bien
que le royaume unifié de Salomon soit un mythe complet, et qu’il n’y ait jamais vraiment eu une
seule entité en Palestine, mais seulement deux royaumes divisés et régulièrement colonisés par
l’extérieur, et ce jusqu’à la destruction du Temple de Jérusalem en 72 après JC162. Ainsi, avec les
problèmes répétitifs de l'histoire et leur perte de pouvoir politique, le recours incessant à un Dieu
Tout-puissant a pris psychologiquement la couleur d'un phénomène de compensation. Il s'est
transformé en celui qui vient au secours des persécutés. Ce sentiment de persécution est passé
directement dans l'imaginaire des chrétiens aux musulmans, alors que dans l'histoire, ils ont été
eux-mêmes le plus souvent du côté des persécuteurs. Cette situation psychologique ferait sourire
dans sa naïveté si elle ne menait dangereusement près du fonctionnement paranoïaque.
Le terme même de Tout-puissant sous-entend la violence car qu'y a-t-il comme signe le plus
tangible, comme meilleure preuve de Sa Toute-puissance, et déjà, avant tout, comme signe
'irrécusable' de son existence, que des milliers, voire des millions de gens meurent pour ou contre
Lui ? Les religions disent que l'être humain doit agir inspiré par Dieu, et cela est bien sûr juste
dans la mesure où il ne doit pas suivre son ego dans l'accomplissement de ses actions ; mais si
148
Dieu lui-même est paranoïaque, quelle est la différence entre sa soi-disant inspiration et la
paranoïa humaine pure et simple? Est-ce que n’est pas tout simplement la santé psychique du
dévot soumis qui est non pas inspirée, pais aspirée par ce type de déité ? On pourrait dire que la
tendance à la paranoïa s'en trouve aggravée, car les idées psychotiques de persécution et de
mégalomanie prennent une dimension franchement infinie, celle de Dieu lui-même : ne serait-ce
pas le moment de dire : « paranoïa sacrée, sacrée paranoïa » ?
La peur de l'annihilation de la part d'une ethnie ou d'une religion donnée bien sûr n'est pas à
chaque fois de la paranoïa : de gros malheurs peuvent survenir et le danger est parfois imminent,
comme cela l'a été dans l'évolution du judaïsme. Cependant, le christianisme et l’islam ont
montré dans leur histoire qu'ils étaient parfaitement capables d'annihiler complètement des
religions primordiales, en tuant les prêtres, détruisant les temples et en convertissant les fidèles
survivants. N'en déplaise aux gens du Livre, c'est un fait que l'hindouisme-bouddhisme n'ont pas
fonctionné de cette façon. La réponse classique : "Vous aussi, vous avez fait pareil !", qu'on
utilise quand on est le dos au mur et à court d'arguments, dans ce cas là n'est tout simplement pas
de bonne foi.
Du point de vue psychologique, on pourrait relier la présentation faite de Mahomet comme
orphelin, al yâtim, à son refus de voir Dieu comme père, et à son ambition de se présenter luimême comme le nouveau père de son peuple, voire du monde, avec une nouvelle Loi - et tous les
risques de dérive mégalomniaque que nous avons vus. Certes, on dit dans le Coran: Mohamed
n’est le père d'aucun homme parmi vous, mais il est le prophète de Dieu (Co 33 40). Cela veut
dire en fait qu'il ne voulait pas devenir un père ordinaire en acceptant par exemple une adoption
plénière. Par contre, il a revendiqué le statut de père d'exception, de géniteur en quelque sorte de
la structure communautaire en tant que promulgateur des lois. Soit dit en passant, il y a une
contradiction dans la tradition, entre l’affirmation habituelle que Mohamed avait un fils et
plusieurs filles, et cette citation du Coran où il n'est pas père, au moins pas d'un homme selon
cette traduction de Masson163. Je ne sais pas comment les théologiens musulmans résolvent cette
contradiction, mais pour les savants modernes, il s’agit d’une preuve de plus que le prophète dont
on parle dans les diverses versions du Coran tient beaucoup plus de Moïse que d’un supposé
Mohamed.
Le rejet d’Ismaël par son père Abraham entraînant la survenue de l’aide divine semble
suggérer que pour lui comme pour ses descendants les musulmans, Dieu correspondrait au retrait
originaire du père.164 Il y a un proverbe arabe qui dit aussi « La colère du père fait partie de la
colère de Dieu » L’absence de tendresse habituelle entre le père et les enfants pendant le jeune
âge semble relié de façon proportionnelle à la violence d’une société donnée. D’après W.
Prescott, directeur d’un grand programme de santé mentale et qui a mené une étude comparative
de 49 cultures, « les sociétés qui étreignaient leurs enfants, les tenaient, touchaient et portaient
étaient relativement pacifiques, alors que celles qui traitaient leurs enfants avec froideur
produisaient des adultes brutaux. » La froideur des relations père-fils, voir les châtiments
physiques fréquents semblent bien mettre le sociétés musulmanes dans le second cas de figure.165
Revenons-en à l'idée de tuer le père, Nous avons vu que le judaïsme pouvait être considéré
comme la mère, mais aussi finalement comme le père de l'islam. Il y a des liens historiques entre
samaritanisme, ismaélisme primitif (terme qui a probablement donné le nom 'musulman') et
sunnisme. Tous les fils pensent plus ou moins prendre la place du père, mais de là à vouloir
l'empêcher de vivre là où il est et chercher à l'effacer de la carte, il y a un monde: c'est tout ce qui
sépare le normal du paranoïaque; le propre de celle-ci, c'est de considérer la loi du père comme
inexistante, et de créer ensuite sa propre loi afin de l'imposer au monde quels que soient les
149
dégâts. Les nombreux conflits que cela entraîne n'atténuent pas les idées de persécution et de
grandeur mais au contraire les attisent. Tout cela mène à un cercle vicieux.
Par ailleurs, dans la manière dont il est présenté dans la tradition, Mohamed lui-même était au
début fasciné par les juifs, en particulier les rabbis et leur science, il a essayé de les séduire et de
les convertir à son message qu'il estimait prophétique, mais ceux-ci se sont moqués de son
ignorance et donc il s'est mis à éprouver du ressentiment à leur égard. Il a voulu les supplanter
complètement, du point de vue de politique et symbolique en se projetant comme le seul héritier
de Moïse autorisé. Comme le dit Devji : « Ce sont les musulmans qui sont les vrais héritiers de la
Torah, qui l’ont conservé sans la changer. » Il est intéressant de noter ici encore un phénomène de
projection, évidemment en contradiction avec l’histoire : ce sont les autres, c'est-à-dire les juifs,
qui sont l'objet de l'accusation la plus infamante pour un fondamentaliste: ‘Avoir fait preuve de
nouveauté’. Si le fils veut prendre la place du père, parfois de façon violente, c'est parce qu'il a
des doutes sur sa propre virilité. On retrouve un aspect fondamental de la paranoïa, c'est-à-dire la
compensation d'une dévalorisation dépressive par une excitation du moi. Voici quelques
intuitions de la psychohistoire qui peuvent éclairer d’un jour nouveau les causes réelles de la
naissance et de l'expansion de l'islam.
Tuer le fils
Nous pouvons mentionner le fils pour compléter en quelque sorte le tableau d’une famille
avec ses perturbations psychiques spécifiques. Les chrétiens avaient leur 'fils mort' en la personne
de Jésus, il semble bien que les musulmans, surtout les shiites, aient voulu copier cette figure
archétypale si commode quand il s'agit de stimuler le sentiment de victimisation et finalement la
paranoïa des masses de fidèles. Il y a déjà Ali qui a trouvé une mort violente et ensuite le martyre
d'Hussein à Karbala, un événement largement célébré lors de la fête d'Ashara, qui marque la
véritable fondation du shiisme. Ensuite, la grande majorité de la série des douze imams sont aussi
morts martyrs. Nous avons déjà mentionné l'archétype du cadavre dans les fondations, et nous
sommes ici devant un des cas ou il est clairement en jeu. Nous y reviendrons.
La pratique d'envoyer de jeunes adolescents se faire tuer dans des attentats-suicides ou au front
pour la plus grande gloire de l'islam, est commune aux iraniens ainsi qu'au Hamas : elle
représente aussi la tendance à tuer le fils, On retrouve cette tendance à propos de la fille : si
celle-ci a le malheur d'aller avec l'amour de sa vie, elle sera battue ou exclue. Même si elle n'est
pas tuée physiquement, elle est rejetée complètement de la famille qu'elle a 'déshonorée', cela
revient en fait à un meurtre relationnel.
...et pourtant, Zarqawi aimait tant sa maman!
Al Zarqawi n'a pas besoin d'être introduit au public : lieutenant de Ben Laden, il a fait
régner la terreur en Irak depuis la chute de Saddam jusqu'en ce jour de printemps de 2006 ou un
missile américain a mis fin à ses jours. Il était d'origine de la petite ville de Zarqa en Jordanie. De
ce que j'ai pu voir de sa biographie ressortent deux faits importants : dès l'école, il rejetait la
discipline violemment. Par contre, il avait une relation d'attachement intense à sa mère, et d'après
le témoignage d'un de ses compagnons, il a été très perturbé lors de sa mort survenue en 2004
environ. On peut sans doute discerner là-dedans un schéma que nous avons déjà évoqué : un
envahissement de la mère dans le psychisme du garçon, celui-ci y associe l'islam originel
idéalisé, réceptacle d'un amour fusionnel de type pré-oedipien et le mépris du papa, attisé par la
mère elle-même. On sait que la figure du père correspond à la réalité sociale, par exemple celle
150
de l'islam tel qu'il est actuellement. À ce moment-là, ce dernier devient associé à une hypocrisie
qui mérite d'être détruite pour instaurer la Vérité d’essence maternelle; il y a création de sa
propre loi pour compenser l'absence de loi du père, et volonté de l'imposer violemment la société,
d'où conflits à n'en plus finir.
On peut raisonnablement rajouter à cela une base homosexuelle probable causée par la
domination complète d'une maman omniprésente autour et à l'intérieur du psychisme du garçon :
cela peut mener à des passages à l'acte homosexuels, qui sont ensuite refoulés par le surmoi, mais
reviennent sous forme de fantasmes du genre : "Le monde entier veut me sodomiser ", ce qui est
une base régulière de la paranoïa. Il y a besoin d'une affirmation compensatoire de virilité : dans
ce sens, la violence et le terrorisme peuvent être considérés comme des solutions de facilité,
puisque tous les conflits intérieurs, y compris l’obsession d’être sodomisé par le premier venu,
sont projetés vers l'extérieur de façon psychotique. A cause de ce fantasme d’ailleurs, le
paranoïaque refuse toute proposition de traitement par des injections de neuroleptiques: en effet,
son inconscient associe le rituel de la piqûre à une sodomie, et cela provoque une réaction vive.
C'est dommage, car c'est bien ce traitement qui pourrait réellement améliorer le trouble.
Cette analyse montre bien le lien possible entre une société fortement patriarcale et la
paranoïa. Le père impose l'autoritarisme, la mère en prend une "bonne revanche" en démolissant
son image chez les enfants. Ainsi, les garçons en particulier perdent confiance dans la loi de la
société, d'où l'enchaînement psychopathologique que nous venons de décrire. Devji, dans son
livre Landscape of Jihâd ainsi qu’Olivier Roy ont bien montré comment les néo-fondamentalistes
échappaient en fait à la loi générale de l'islam pour créer la leur à partir de débris de tradition mal
digérés. Souvenons-nous de l’image du clafouti donnée pour indiquer comment se constitue la
paranoïa.
Il faut aussi comprendre que ce processus est aggravé par deux facteurs : déjà, le préjugé
monothéiste qui fait que "l'autre", c'est-à-dire le polythéiste, l'infidèle, n'a pas en fait plus le droit
à l'existence que ses propres dieux – et ceux-ci sont en fait décrits comme complètement
inexistants par Osée ou autres prophètes en veine de malédiction. Deuxièmement, il y a pour
l'islam tout le poids du passé d'une histoire d'agression, qui glorifie malgré des démentis
superficiels le guerrier qui attaque comme l'instrument d'une volonté céleste elle-même
fantasmée comme agressive. C'est ainsi qu'entre terre et ciel, la boucle de la paranoïa se ferme de
façon aussi inexorable que le noeud coulant autour du cou d’un pendu. L'image est sinistre, mais
la réalité l'est malheureusement plus encore. C'est en fait le bon sens et le sentiment d'humanité
qui est mis à mort quand la religion glisse vers la déviation psychotique.
Comme le signale aussi justement Benslama « Par quelle perversité tactique en vient-on à
accepter que des mouvements islamistes soient considérés comme des compagnons de route
contre l’injustice et pour l’égalité quand, sur le chemin emprunté ensemble sont affichés, à même
le corps des femmes, les stigmates de leur inégalité proclamée ? »166 Le diagnostic le plus
fréquent que j’ai entendu de la bouche de personnes qui connaissaient bien la psychologie et
avaient été directement en contact avec les islamistes, par exemple dans leur pays d’origine est :
« pervers paranoïaque ».
Déni du Féminin supérieur et comportement auto-mutilatoire
En parlant de ce sujet, nous pouvons mentionner les 500 bassis qui ont signé un formulaire
d’acceptation de vente d’un rein afin de réunir les fonds nécessaires à doter d’un supplément de
prime celui qui réussira à mettre à mort Salman Rushdie. Les bassis sont le mouvement de
jeunes iraniens organisés par les ayatollahs à grande échelle et de façon quasi militaire, et qui
151
sont dressés dès le plus jeune âge pour tuer et être tués au nom d'Allah. C'est l'équivalent actuel
en Iran des Hitler Jungend du système nazi. Dans un magazine, on avait demandé à des
journalistes d’exprimer par des photos ce que pour eux était le paradis et l'enfer, et je me souviens
de trois images qui essayaient d'exprimer la damnation éternelle. : un abattoir avec des chevaux
qui venaient d'être tués et qui gisaient au sol dans des flaques de sang, une prison quelque part en
Afrique ou des rebelles au regard vide attendaient d'être exécutés selon le caprice du dictateur
local, et un groupe de jeune bassis au garde à vous sous un grand portrait du Guide de la
Révolution, l'Ayatollah Khomeini. Il est sûr que c’est un choix, mais parfois quelques photos en
disent plus qu’un long discours.
Pourquoi donc ces jeunes voulaient s’offrir pour l'automutilation : afin de faire assassiner
quelqu'un qui avait évoqué la possibilité que Mohamed aurait pu être tenté par un peu d'amour
pour la Mère divine, c'est-à-dire le Féminin supérieur. En fait, ce rejet du Féminin supérieur est
une mutilation beaucoup plus profonde et aux conséquences plus vastes que celle de juste un
organe ou bien de celle qui consiste simplement à couper de temps à autre les mains d’un voleur.
Comme nous l’avons dit, il s'agit en fait d'une amputation de notre être profond, et cela est une
source de violence à n'en plus finir, que les efforts diplomatiques ou le dialogue interreligieux,
certes bien intentionnés, n'ont guère de chances de tarir.
L'écrivain espagnol Carlos Suarès a relié le rapport facilement violent avec l'autre – ceci est
bien sûr une observation statistique plus qu’une fatalité individuelle, chacun étant libre d’évoluer
– qu'ont les musulmans au fait qu'ils aient la circoncision vers l'âge de 5, 10 voire 12 ans,
contrairement aux juifs qui l’ont très tôt dans leur vie ; il s’agit d’un âge où ils peuvent
parfaitement mémoriser cette blessure intime. Inconsciemment, ils ont tendance à en projeter la
responsabilité sur la société en général. Là-dessus, leur religion leur apprend à canaliser ce
ressentiment contre les ennemis de l'islam. Cette blessure individuelle vient confirmer une
blessure imaginaire et mythique, celle de la répudiation d’Agar et d'Ismaël par Abraham. L’islam
a inventé l'histoire que les Arabes descendaient de cette lignée rejetée. Cette tradition n’ests pas
attestée auparavant, il s’agit donc d’une fabrication, mais qui a ses raisons d’être.
Cela met d'emblée le psychisme des fidèles musulmans dans une ambiance de
persécuté/persécuteur, et malheureusement, le mental ne tombe que trop volontiers dans cette
ornière. Si certains mythes sont fondateurs et formateurs, d'autres sont déformateurs. Si l’on
vous a mis dans la tête dès la petite enfance qu’il y a trois mille ans, "vous" (où étiez-vous en
réalité à cette époque-là ?) avez été victime d'une injustice grave, il est sûr que ce n'est pas un bon
départ pour un fonctionnement sain du psychique. Cependant, ceux qui sont sensés pourront se
dire avec raison : "Quel est le rapport que j'ai avec ce "vous" d’il y a trois mille ans ? – En
réalité, aucun !" Nous reviendrons à cet archétype important, voire même fondateur, dans le
chapitre 9 sur le martyre.
.
Au Pakistan, dans le seul État du Punjab, 560 femmes ont été brûlées en 98 - 99, et entre
1994 et 1999 seulement, 3560 ont été hospitalisées pour brûlure par le feu ou l'acide. C’est une
épidémie. Récemment, l'une d'elles s'est fait couper les deux pieds par les mâles de sa famille
pour soupçon d'adultère167. Ceux-ci ont été arrêtés par la police, mais malgré cela, il y a une
ambiance religieuse de fond qui favorise la dévalorisation de la femme et qui rend possible de
tels crimes.
Taslima Nasrin, avant de devenir une écrivain mondialement connue, était gynécologue au
Bangladesh. Elle connaissait donc bien les problèmes des femmes en pays musulman. Voici la
manière ferme dont elle s’adresse à elles par l’intermédiaire d’un interview à l’Express :
152
« Je voudrais leur faire comprendre qu'elles doivent lire le Coran avec un esprit clairvoyant
pour y chercher une quelconque justice. Si elles ne la trouvent pas dans le texte (et elles ne la
trouveront pas), elles devront cesser de suivre ses règles et commencer à se battre. A chacune de
trouver la manière de le faire. La mienne, c'est l'écriture. Je veux simplement les encourager, leur
dire que, si nous voulons être plus civilisés, nous ne pouvons plus suivre ces livres qui prescrivent
l'inégalité. Je veux leur faire prendre conscience que, si elles n'entament pas leur propre libération,
alors leurs filles souffriront, elles aussi. Peut-être que les femmes d'aujourd'hui ne verront pas
l'avènement d'une société laïque de leur vivant, mais il est de leur devoir de la préparer pour les
futures générations. A celles qui ne se battent pas pour faire cesser l'oppression de ce système
patriarcal et religieux, je dis: ‘honte à vous! Honte à vous de ne pas protester, honte à vous de
conforter un tel système!’ C'est difficile, car il existe une sorte de conspiration qui maintient les
femmes dispersées et isolées (dans de nombreux pays musulmans, elles n'ont pas même le droit
d'entrer dans les mosquées) et il est difficile pour elles de se rassembler... Mais, dorénavant, les
femmes doivent conquérir leur indépendance économique. Elles doivent se battre pour vivre dans
la dignité, en êtres humains. Nous avons besoin maintenant d'une éducation laïque, nous avons
besoin des Lumières. »168
Ce n’est pas par hasard que Taslima a installé dans sa petite maison près de Stockholm un
buste de Voltaire.
Le lien entre masochisme et soumission métaphysique et politique.
En tant que professionnel de la psychologie s'intéressant à la pathologie de l'intégrisme, on a
le droit de poser la question de ce rapport devant une religion dont le nom même signifie
‘soumission’. Certes, il y a d’autre sens possible au mot islam, comme ce qui est sain, entier, etc.
mais ce n’est pas par hasard si le sens de l’abandon à une volonté autre est préféré le plus souvent
dans la prédication des imams. Nous avons déjà parlé du masochime dans le premier chapitre sur
les aléas de la relation homme-femme. Nous pouvons maintenant élargir la question à un sens
politico-social plus large. On peut distinguer plusieurs niveaux où elle se manifeste :
a) Le cas des femmes : une partie importante du message d'une femme gynécologue d'origine
musulmane, Taslima Nasreen, aux autres femmes de sa religion de départ est la suivante, nous
venons de le voir : "Si vous êtes dans la situation où vous retrouver actuellement, c'est aussi votre
responsabilité, que vous le voulez bien et que vous vous complaisez sous le joug qui vous
écrase." Il y a certes une tendance générale de la femme en milieu traditionnel à mettre la stabilité
de la famille avant toute chose, et à cause de cela d'avaler un certain nombre de couleuvres, y
compris celles que lui servent généreusement une religion conservatrice. Pourtant en plus, pour
assombrir le tableau, il faut ajouter à cela les conséquences de la manière dont un nombre de
femmes ont été forcées à rentrer dans l'islam, en étant violées le soir des batailles par des
« héros » de l'islam, qui venaient de tuer leur mari, leurs fils, leur père. Ensuite, elles se faisaient
enfermer de force dans des harems, avec le statut soit d’esclaves, soit d’épouses, il n’y avait de
toute façon guère de différence. Cela a crée dans l’inconscient collectif des associations tragiques
au fait même d'être femme en islam, et il n'est pas facile de s’en débarrasser.
On peut raisonnablement considérer que l'islamisme est responsable pour deux épidémies de
psychopathologie qui se répondent en miroir d'un sexe à l'autre : paranoïa chez les hommes et
masochisme chez les femmes. L'affaire du voile dont on entend tant parler n'est qu'une des
nombreuses variations sur ce thème donné. L'homme paranoïaque-sadique trouve un équilibre
peu sain avec la femme dépressive-masochiste, et la pathologie se poursuit aveuglément de façon
153
transgénérationnelle. Certes, ce genre de trouble peut survenir dans n'importe quel couple, mais il
est statistiquement beaucoup plus fréquent dans les milieux intégristes de l'islam.
b) L’esclavagisme métaphysique :
A mon sens, la loi la pire de l'islam est celle qui lui est la plus centrale : ‘Vous n'avez pas le
droit de quitter la religion, sinon vous serez considérés comme apostats et mis à mort’. La plupart
des 'grands' juristes de l'islam sont d'accord là-dessus. Soyons clairs : si l'islam est un système où
l'on peut entrer mais pas sortir, mérite-t-il le nom de religion, ou celui de pièges à souris ? Si on
dit ou fait comprendre aux fidèles : "Restez avec nous, sinon vous serez assassinés" est-ce qu'un
plus d’un milliard de musulmans ne représentent pas au fond plus d’un milliard d'otages ? Le
plaisir qu’il y a à être musulman, car il y en a certes un, n’est-t-il pas une forme de masochisme
recouvert d’un vernis religieux ? Voici de vraies questions, tout simples, auxquelles jusqu'ici je
n'ai pas entendu les musulmans donner de réponses approfondies et satisfaisantes.
c) L'esclavage comme fléau social :
Il a prospéré chez les musulmans, jusqu'au moment où ils ont dû l'abandonner, au moins en
partie, au XIXe siècle à cause de la pression de l'Occident. Globalement, dans l'histoire de l'islam,
on peut discerner ce qu’on pourrait appeler une addiction à l'enfermement, soit sous forme
d'esclavagisme, du système des harems et surtout sous forme de cette religion dont on ne peut
sortir sous peine de mort. De même que l'Occident a réussi à faire abandonner l'esclavage à
l'islam au XIXe siècle, de même, en faisant suffisamment pression, il pourra sans doute l'amener
à éliminer complètement les menaces fatales qui pèsent sur ceux qui veulent quitter l'islam.
Même si la peine de mort n'est plus souvent exécutée physiquement (un converti afghan y a
échappé de justesse en 2006), la mise à mort sociale est en fait encore plus effective. À titre
d'exemple, je me souviens d'un imam de la Réunion, une île où pourtant l’islam a la réputation
d'être modérée, qui expliquait candidement sa meilleure stratégie pour garder ses fidèles à la
mosquée: il les menaçait d'ostracisme commercial. La plupart de ses pratiquants étant des
négociants, s'il y en avait un qui ne venait plus à la mosquée et qu'on disait donc à la communauté
ne plus aller chez lui, sa boutique risquait fort de couler dans les mois qui suivent... Efficace
dans sa violence discrète, mais certainement pas éthique, bien que l'intégrisme ait le génie de
justifier par une pseudo-morale tout ce qui peut lui servir à se répandre.
On peut se demander pourquoi un système d’idéologie religieuse comme l’islamisme rigide
qui fait tant de dégâts psychologiques continue à durer ainsi : une des raisons principales de cela
est clairement politique. Son exclusivisme est en fait un instrument, pour ne pas dire une arme
pour répandre les impérialismes. Dans l'histoire, ils ont surtout été arabe, persan, turc ou mongol.
On aboutit ainsi une situation où cette religion dont le nom signifie soumission devient ellemême esclave d’une instrumentalisation politique chronique. N’est-ce qu’une coïncidence
fortuite ?
Homosexualité et amour déçu
Dans la mesure où les musulmans et les juifs à l'origine avaient un fort tronc commun et la
même base de croyance, ils étaient aussi comme des frères ennemis, et on peut donc rapprocher
psychologiquement la haine des néo fondamentalistes musulmans pour les juifs d'une inversion
d’attachement homosexuel, ce qui est une tendance courante chez le paranoïaque. On peut
trouver le même archétype dans l'opposition des musulmans avec les chrétiens, ou entre sunnites
et shiites. C'est ce qu'on appelle la fitna, la séparation, la fission aux origines de l'islam, cela tient
lieu d'un traumatisme initial dans le développement de l'individu, et sert de justification à une
tendance dépressive. C’est la perte d’unité qu’on retrouve dans les diverses cosmogonies, et du
point de vue psychanalytique, la fissure, die Spaltung, qui était au centre de la dynamique
154
évolutive du psychisme humain pour Lacan. L'archétype des frères ennemis peut évoquer
psychologiquement un amour homosexuel déçu.
Sans pousser le symbolisme, nous avons vu qu’on pouvait considérer que les tours du World
Trade Center représentaient des symboles phalliques, tout comme ces shivalingams abhorrés et
détruits par les musulmans dans le sous-continent indien, ces pierres noires qui avaient comme
principal inconvénient no pas d’être des idoles, mais de faire concurrence à la pierre noire
supposée unique de la Mecque, l’idole centrale de l’islam si on regarde les choses objectivement
sans rentrer dans les dénis monothéistes plutôt simplistes. Elles étaient des marques de toutepuissance, ce qui a excité la jalousie des terroristes d'Al-Qaida et leur a fait se sentir "justifiés"
pour les détruire. Nous sommes là devant des mécanismes qui sont courants comme causes des
délires systématisés.
Devji fait remarquer à juste titre : "Le jihâd est un mouvement global en ce sens qu'il lance un
appel pervers à l'éthique dans une zone où la bonne politique ne peut plus avoir de contrôle".
Rappelons que ce n’est pas parce qu’un phénomène est global qu’il sert les intérêts généraux de
l’humanité. Du point de vue médical, les nombreuses épidémies qui se répandent et deviennent
des pandémies font bien comprendre ce point. Du point de vue de la symptomatologie,
l'invocation pervertie du Bien est typique de la paralogique paranoïaque. On peut voir un autre
exemple de projection-perversion dans ce fait : l'Armée secrète islamiste en juillet 2004 en Irak a
pris en otage des civils indiens et elle a aussi reproché au gouvernement de Delhi de s'écarter "du
chemin de paix de Gandhi". Des preneurs d'otages qui donnent des leçons de non-violence
gandhienne sont typiquement pervers, avec une projection sur l'autre de la violence qui les
possède.
A propos de Gandhi, je peux mentionner l’opinion d’un gandhien ex haut fonctionnaire de
l’Inde, qui en tant que préfet de région avait eu à gérer concrètement les tensions entre
musulmans et hindous. La question se pose de l’attitude que pourrait avoir le Mahâtma envers les
musulmans du sous-continent indien s'ils revenaient maintenant. En effet, on peut supposer que
son alliance avec eux avait été motivée à l’époque par la nécessité d'unir le peuple indien contre
le colonisateur anglais qu'il fallait renvoyer chez lui, ce qui n’est plus le cas à notre époque. Il est
de l’avis que Gandhi serait beaucoup plus incisif que le Congrès actuel pour pousser les
musulmans à évoluer, en particulier au niveau social. Leurs communautés n'arrivent pas à
engendrer de vrais réformateurs, et le gouvernement central n'ose pas les pousser dans ce sens,
car il considère surtout la masse musulmane comme une réserve de voix. Ainsi, le système dérive
dans le sens d'un fixisme sociopolitique, ce qui est une sorte de préparation ou de corollaire du
fondamentalisme. Cet ancien préfet de région attire l’attention sur une déclaration de Gandhi le
26 septembre 1947, alors que l'Inde était en pleine guerre de Partition. L'accord entre les
gouvernements de l’Inde et du Pakistan enjoignait qu'on devait protéger les minorités dans
chaque pays et ne pas les pousser à émigrer. On peut dire que globalement le gouvernement
indien au centre et à un haut niveau l'a respecté, malgré de nombreuses bavures locales, alors que
le gouvernement pakistanais a pris parti et a favorisé l'expulsion des hindous hors de son
territoire, quand cela n’a pas été leur suppression pure et simple.
Les chiffres parlent d’eux-mêmes dans ce sens, le meilleur signe en est qu'il ne subsiste qu'un
ou deux millions d'hindous au Pakistan alors qu'il en reste 140 de musulmans en Inde, qui n'ont
en fait aucune envie d'émigrer de l'autre côté de la frontière pour se retrouver dans le "paradis de
l'islam". Le 26 septembre 1947 donc, c'est-à-dire seulement quarante jours après l'indépendance,
Gandhi a déclaré lors d'une réunion de prière du soir à Delhi – qui a dû avoir lieu au village des
Harijans ou bien à la villa des Birla – qu'il était prêt à partir au Pakistan pour y persuader le
gouvernement de réviser sa politique et de respecter les accords signés. Il était en fait outré par
155
leur manque de vérité, une valeur qui était suprême pour lui. Il a ajouté que si cette dernière
tentative échouait, il estimait que la guerre serait meilleure que l'injustice flagrante qui avait
cours. Il considérait qu'il y avait une limite à non-droit qu'il ne fallait pas dépasser. C’est
intéressant de voir que même un avocat de la non-violence comme Gandhi a fini par en voir les
limites dans certains cas, y compris dans les relations avec le pays musulman voisin, et plus
précisément à cause du double-jeu de son gouvernement.
Voici un dernier exemple de la perversion à laquelle peut mener le sectarisme : "Des nonmusulmans au Pakistan risquent d'être exécutés s'ils osent prononcer la salutation habituelle de
l'islam -as salam aleikoum- 'paix sur toi'. » C'est là qu'on voit l'extension de la paranoïa qui
infiltre la psyché comme une tumeur cancéreuse : même une salutation jolie et a priori pleine de
bonne volonté, une offre de paix quand on rencontre l’autre, est interprétée comme une
persécution, une « injure » et une déclaration de guerre. Cela correspond à une dégradation
psychopathologique sévère.
156
CH 5
PSYCHOSE ET RÉALITÉ DAN LE RADICALISME
MUSULMAN
Déni massif de réalité
On sait que de nombreux facteurs familiaux favorisent la dissociation : par exemple, on peut
citer le déni massif de réalité d’une mère de psychotique qui déclarait : "Nous sommes tous
paisibles. J'aime la paix même si je dois tuer quelqu'un pour l'obtenir... On aurait du mal à trouver
un gamin plus normal, je suis satisfait avec lui. Je suis satisfaite avec mon mari ! Je suis satisfaite
avec ma vie. J'ai toujours été satisfaite Nous avons eu 25 ans de vie de couple et de parent des
plus heureuses."169 C'est ce qu'on pourrait appeler la stratégie du "Tout va très bien Madame la
marquise". Cependant, il y a une limite à ce type de pensée positive, qui appliquée aux relations
humaines correspond à ce qu'on appelle en psychiatrie la pseudo mutualité. Tout est présenté
comme allant très bien, alors qu'en fait presque rien ne va. Ce sont les risques de la croyance
religieuse aussi, quant elle pousse à jouer à l'autruche et à ne pas voir les problèmes, à les couvrir
avec le vêtement transparent de la foi pure et à ne surtout pas oser dire que « l’empereur est nu ».
De même qu'il y a une continuité entre personnalité et psychose paranoïaque, de même dans le
domaine religieux on observe une absence de séparation claire entre la personnalité conservatrice
et la psychose fondamentaliste. La différence tient beaucoup en l'intensité du déni de la réalité.
La notion d'Oumma et de charia parfaite rentre alors dans la dimension soit d’une réaction, soit
d'un délire compensatoire pour refuser les influences de la modernité, de l'occidentalisation et la
perte de toute-puissance de l’idéologie religieuse de l’islam.
Il faut savoir que dans la position paranoïaque-schizoïde qui survient dans les six premiers
mois de la vie d'après Mélanie Klein, l'objet idéalisé alterne avec celui persécuteur sans le toucher
: nous sommes typiquement dans le monde de l'intégriste qui oscille également constamment
entre deux entités qui semblent pratiquement indépendantes bien que complètement coexistantes,
Dieu et le Diable. Une autre oscillation dangereuse, parce que stéréotypée de façon simpliste, est
celle entre la religion des origines idéalisée avec son fondateur largement imaginé et la
décadence actuelle de la communauté, qui elle est assez réelle.
Les accès psychotiques sont en général précédés et suivis par de la dépression. On comprend
mieux alors l'aspect fortement compensatoire du déni de réalité ; ainsi, la psychose en général a
157
même été parfois présentée comme organisée autour d'un noyau dépressif et comprise comme un
équivalent de dépression masquée170. A ce moment-là, on en arrive à une notion selon laquelle la
dépression est à la source des troubles mentaux, et on rejoint les concepts de psychasthénie de
Janet – et de l'élan vital de Bergson dont la déficience est la mère de nombreuses pathologie.
On peut discerner un phénomène de compensation psychologique d'une cécité physique dans
les cas de Cheikh Omar, le chef des Talibans, et d'Ashara, le chef de la secte d'Aum Shinrikyo
qui a coûté la vie à douze personnes et en a intoxiqué 5500 autres lors de son attentat à la sarine
dans les tunnels du métro de Tokyo. Ce dernier a été condamné à mort par la Cour Suprême du
Japon). Ashara était aveugle de naissance, et souffrait d'une psychose hallucinatoire chronique, il
se prenait entre autres pour le Christ et voulait déclencher l'Armageddon, la grande Guerre
apocalyptique. Quant au Cheikh Omar, il a largement contribué à faire basculer de nouveau
l’Afghanistan dans la guerre à cause de son alliance politique et familiale avec Ben Laden.
Le premier clivage du paranoïaque est au fond intime, il se situe en réalité entre ses propres
sentiments et le déni de ceux-ci, que ce soit au nom du conformisme social, de la discipline
militaire ou de l'auto-hypnose religieuse ainsi que de la grégarité pieuse. Par exemple, un
paranoïaque comme le Président Schreber étudié par Freud, était obsédé par l'idée qu'on avait
commis le meurtre de son âme. De temps en temps il pensait même que c'était une partie de luimême qui l'avait perpétré, ce en quoi il avait au fond raison. Il s'agissait d'une forme de suicide
subtil. Cela mène à un état de "vie sans vie ". On ne peut s'empêcher de rapprocher cela du
légalisme extrême des intégristes, qui tue effectivement l'âme de l'individu en l'étouffant sous le
joug de charia; celle-ci se répand comme un cancer obsessionnel dans la vie quotidienne, coupant
littéralement le souffle à la liberté et finalement à l'âme.
On peut faire remarquer par ailleurs que cette paranoïa est au fond une solution de facilité
psychologique, même si elle mène à des millions de morts lors des guerres qu'elle entraîne
directement ou indirectement. Elle évacue tout le questionnement interne par une projection
complète à l'extérieur, c'est là que nous revenons au déni massif de réalité. Comme le note
Stanley Schneider en conclusion d'un ouvrage collectif Même les paranoïaques ont des ennemis :
"Nous avons des sociétés où des personnes gentilles du point de vue individuel font pourtant
parties de contextes culturels violents " Les idéologies totalitaires sont en fait des usines à
fabriquer des doubles personnalités. Zimbardo a montré dans une expérience célèbre comment
des gens a priori normaux, dans le cadre d'une expérimentation psychologique truquée d'avance,
pouvait prendre un plaisir surprenant à torturer d'autres humains, qui étaient en fait des acteurs
jouant une souffrance intense. On pourrait dire par ailleurs que l'ego est une machine à
s'autojustifier, et que la paranoïa, correspondant à une hypertrophie de cet ego, conduit la
mécanique à un état de surchauffe. Nous ferons dans notre chapitre Psychologie d’une idéologie
totalitaire une étude de cas dans ce sens, celle de Mohamed Iqbal, poète et activiste politique
dont les textes éminemment émotionnels ont enflammés les esprits et finalement mené à la guerre
de Partition de 1947 et même à plus long terme la révolution iranienne.
Les musulmans d'Inde pensent que leur perte de pouvoir depuis le XVIII e siècle est due à leur
manque de foi : "Si nous avions eu une foi inébranlable, notre hukumat, notre domination, ne
nous aurait pas échappé. Quand la foi est partie, tout est parti."171 Il s’agit d’une tendance
dangereuse psychologiquement, car l'épreuve de réalité, à la place de permettre de se corriger,
amène encore plus à s'impliquer dans le déni de réalité. Ils ne peuvent pas par exemple concevoir
que c’est la rigidité de leur foi même qui les a conduit à sombrer dans le retard à tous points de
vue. C'est le mécanisme de la roue de voiture qui en tournant s'enfonce dans l'ornière à la place
de s'en sortir. Ceci n'apporte pas la paix, et le déni psychotique consomme beaucoup d'énergie. Il
mène aussi aux passages à l'acte violents. On peut même parler presque en un seul mot de déni158
délit-délire, tellement le fil rouge entre ces trois notions est clair et solide. Pour prendre un
exemple parmi mille autres, nous pouvons donner cette citation du quotidien iranien Nassim Saba
du 26 mai 2003, en pleine période qu’une certaine presse occidentale essayait à tout prix de faire
passer pour libérale et réformée: "Le plan d'action à l'encontre des femmes mal voilées a été mis
en place dans ville d'Orumiyeh (ville de moyenne importance dans le nord du pays). Une équipe
de 3000 hommes et 400 femmes ont pour mission de faire respecter les lois islamiques dans les
rues." Après cela, faut-il s'étonner que l'Iran, qui est le pays le plus riche de la région en
particulier grâce à ses ressources en pétrole considérables, a malgré tout 80 % de pauvres ? La
richesse est gaspillée pour alimenter une paranoïa aussi moralisante que militarisée, quand les
réserves d’or noir s’assècheront après une ou deux générations, c’est tout le pays qui s’assèchera
car ses habitants n’auront pas su investir dans des entreprises plus utiles que l’armée et la police.
Je pense qu’un certain nombre de lecteurs savent que la presse du Moyen-Orient, en
particulier celle de Syrie contrôlée par la dictature étouffante d’Assad, a répandu et défendu
l'idée selon laquelle les attentats du 11 septembre avaient été perpétrés par une collusion des juifs
et de la CIA, pour pouvoir jeter le blâme sur les musulmans, présentés comme des victimes
innocentes. Nous en reparlerons bientôt. En fait, exactement le même type de réaction
psychologique de déni s’est reproduit à cinq ans de distance chez les Cachemiris après les
attentats de Bombay du 11 juillet 2006, qui ont fait environ 250 morts et 700 blessés. Les
musulmans de la Vallée les ont attribués aux services secrets indiens, dans une vaste conspiration
pour jeter le blâme sur l’islam dans le pays ; "évidemment, tout s’explique !". Pareil pour une
série d’attentats à la grenade contre les cars de touristes à la même période, une distraction bien
connue des terroristes islamistes en particulier en Egypte, « ces attaques ont été perpétrées par
des agents de voyages des états voisins (hindous, bien entendus) jaloux de la reprise du tourisme
au Cachemire »… Ce n'est rassurant ni psychologiquement ni politiquement de voir des
populations entières qui basculent si facilement dans un déni de réalité plutôt étonnant.
Pour explorer plus avant les questions sociopolitiques posées par ce déni, citons un grand
spécialiste de la question de l’islamisme, Olivier Roy: : "Une fois que les néo-fondamentalistes
ont dénié la légitimité d’états comme l'Egypte et Pakistan, apparaissent d'autres champs
d'investissement, l'individu, surtout déraciné, et la communauté, surtout imaginaire".172 On peut
dire que dans ce processus, "le pèlerinage à la Mecque n'est pas encouragé car en fait il montre
clairement la fragmentation de l'islam selon des lignes de fracture ethnicoculturelles, ce qui est
anathème pour les néofondamentalistes.'173 Le fixisme favorise une paralysie de la création de
nouveaux concepts : "Le néo fondamentalisme, que ce soit sous sa forme de wahhabisme ou de
salafisme, non seulement ne fait pas d'efforts pour moderniser les idées, mais surtout refuse
d'admettre qu'il y en ait de nouvelles… Il dénie le concept de culture au profit de celui de
religion qui se réduit lui-même à un simple code du licite et de l'illicite."174 Dans ce de sens, on
peut soutenir que le "néo-fondamentalisme est un processus de déculturation"175, et on pourrait
même ajouter du point de vue psychiatrique, de dissociation, en particulier entre l’imaginaire et
le réel... Par ailleurs, dans l’évolution d’une psychologie comme d’une spiritualité juste, la
violence est le produit de « l’ombre », et c’est cette ombre qu’il s’agit d’éclairer, y compris et
surtout quand elle est jalousement protégée par toutes sortes d’interdits et de tabous religieux.
Guillaume Bigot pose sans hésiter la question du rapport entre fanatisme et psychose, et
conclut fermement par un avertissement : "Le système fanatique par excellence, c'est la paranoïa.
Le propre des idéologies, c'est moins leur rationalité, elles ne sont pas faites pour cela, que leur
capacité à tenir tête à la réalité. Ainsi, croire que les islamistes seraient apprivoisés par les
démocrates – qui certes existent dans le monde arabe – relève soit de la mauvaise foi, soit de la
159
totale méconnaissance de la "psychiatrie politique".176 En fait, si je devais écrire un livre sur
l'intégrisme, je lui donnerais sans doute pour titre : L'intégrisme, ou le dépit du bon sens...
Pour terminer par une note d’humour sur cette question du déni de réalité, on peut rapporter ce
propos du journal arabe Al-Hayat publié à Londres : « Comment embarrasser le plus un Iranien ?
– En lui disant la vérité ! »177
L’extension du délire en tache d’huile
C'est dans la nature même des soupçons paranoïaques de se répandre en tache d’huile. Par
exemple, le jeu japonais bien connus, le Pokémon, destiné aux enfants a été interprété en milieu
islamiste comme signifiant : "Je suis juif", et c'était la "preuve" suffisante aux yeux des oulémas
de son lien avec la Conspiration Internationale Sioniste : ils l’ont donc interdit dans les pays
arabes par voie de fatwa.178 Voilà qui, du point de vue psy, est comme on dit « carabiné »…La loi
de l’extension du soupçon en tache d’huile s’applique aussi à l'intérieur de l’islam : "D'après les
enseignements officiels saoudiens, les shiites sont le fruit d'une conspiration juive [concoctée au
Yémen dans un passé si lointain qu’évidemment, il n’est plus vérifiable]. Ils sont donc traités
comme des dhimmis, des citoyens de second ordre non musulmans."179 De manière générale, les
croyances sectaires qui se répandent rapidement par le prosélytisme peuvent faire penser du point
de vue psychologique à ce genre de phénomènes de chaîne qui auparavant se passaient par lettres,
mais maintenant se déroulent par internet : on vous demande de trouver cinq personnes pour
approuver une proposition de base, et les requérir à leur tour de continuer la chaîne. Ainsi, après
cinq répétitions du processus, vous aurez en principe 3125 personnes qui pensent que vous êtes
un grand homme de leur avoir transmis la meilleure des vérités. De plus, détail non négligeable,
si la loi de ‘conversion’ consiste à vous envoyer un peu d’argent, vous deviendrez soudainement
très riche. Voilà qui est gratifiant pour l’ego, et qui contribue donc à l’expansion du système.
Cependant, ces sortes de chaînes sont tellement souvent des malhonnêtetés qu’il n’est pas rare
qu’elles soient directement condamnées par la loi. Peut-être qu’un jour le prosélytisme non
éthique le sera aussi. Dans ce sens, remarquons qu’une des caractéristiques du délirant
paranoïaque, c'est qu'il est missionnaire. Il cherche à tout prix à convaincre son entourage et le
monde entier de la validité de ses thèses : si vous vous laissez séduire, vous êtes son meilleur
ami, mais si vous manifestez le moindre doute, vous devenez instantanément son pire ennemi.
Un exemple d'expansion en tache d'huile de la représentation du persécuteur désigné se
trouve dans la charte du Hamas, en quelque sorte leur credo et leur acte de foi le plus profond :
citons en quelques extraits, qui sont dans leur genre comme un morceau d’anthologie à présenter
aux étudiants en psychologie clinique :
« Pendant longtemps, les ennemis (les sionistes) ont établis des plans, précisément et avec
habileté, afin de réussir ce à quoi ils visaient. Ils ont fait tous leurs efforts pour amasser une
richesse matérielle conséquente, qu'ils ont consacrée à la réalisation de leurs rêves. Avec cet
argent, ils ont pris le contrôle des médias mondiaux, des agences de presse, de la presse ellemême, des maisons d'édition, des stations de diffusion radiotélévisée, etc. Ils étaient derrière la
Révolution française, la Révolution communiste et la plupart des révolutions dont nous avons
entendu parler et dont nous sommes informés encore maintenant, ici ou là. Avec leur argent, ils
ont formé des sociétés secrètes, telles que les Francs-maçons, le Rotary club, le Lions’ club etc.
dans différentes parties du monde avec comme but de saboter les sociétés et de réussir à confirmer
leurs intérêts sionistes. Avec leur argent, ils ont été capables de contrôler les pays impérialistes et
160
de leur suggérer de coloniser bien d'autres pays afin de les rendre capables d'exploiter leurs
ressources et de répandre leur corruption.
Ils étaient derrière la première guerre mondiale, quand ils ont été capables de détruire le califat
islamique... Ils ont été derrière la seconde guerre mondiale, à travers laquelle ils ont opéré des
gains financiers énormes en faisant du commerce d'armement, et on pavé la voie pour établir leur
état. [On peut se demander quand même quel intérêt ils ont eu à avoir cinq ou six millions de
morts durant l'Holocauste...].
Les plans des sionistes sont sans limites : après la Palestine, les sionistes s'apprêtent à se
répandre du Nil jusqu'à l'Euphrate. Quand ils auront digéré la région dont ils se seront emparés, ils
aspireront à une expansion encore plus grande, et ainsi de suite. Leur plan est incarné dans le
Protocole des Anciens de Sion, et leur conduite présente est la meilleure preuve de ce que nous
disons. [Le 'Protocole de Sion' est un roman écrit à la fin du Xe siècle en Russie, mais qui avait la
perversité de se présenter comme une réalité. Il a été grand inspirateur des thèses nazies]. »
Nous voyons là une structure classique de l'extension de la paranoïa, avec quelques éléments
de vérité (il est bien possible qu'il y ait eu quelques juifs chez les francs-maçons, les
révolutionnaires et, pourquoi pas, dans le Lions’ Club…), mais noyés dans un magma
d'exagérations délirantes avec une apparence de systématisation et de cohérence qu’on appelle
‘paralogique’ en psychiatrie, nous l’avons vu. Même l’actuel Président de la Palestine, Abbas, qui
s’opposant au Hamas a l’air modéré, a fait sa thèse d’histoire sur un sujet à l’historicité douteuse :
La collaboration des Juifs au nazisme. C’est quand même pervers d’accuser globalement les
juifs de collaboration au nazisme, même si quelques banquiers individuels ont pu s’enrichir
directement de la guerre. Nous revenons au diagnostic de base pour l’islamisme radical : paranoïa
perverse.
Les organisations islamistes ont forcé McDonald à abandonner les emballages verts pour
leurs produits, car ceux-ci évoquaient d'après eux la couleur du drapeau du Prophète. Le plus
triste dans cette affaire a priori comique, c'est que la multinationale a accédé à leur demande à la
place de faire ce qui aurait été juste, les adresser ceux qui l’avaient formulée aux urgences
psychiatriques les plus proches pour névrose obsessionnelle aiguë. Pour cette société, la dévotion
aux part du marché s’est transmutée instantanément en dévotion apparente à Mohamed.180
Pareille pour une chaîne de magasins français au Moyen-Orient qui après l’affaire des caricatures
du Prophète par des danois affichait dans ses rayons : « Garanti sans produit danois ». Bel
engagement pour défendre la liberté d’expression !
Nous en arrivons à un point central de cet ouvrage : c’est cette notion de pureté, de propreté
qui est en fait à la base du racisme et plus avant des purifications ethniques et des génocides. Le
seul auteur à ma connaissance qui ait une formation approfondie en sciences politiques et en
psychopathologie, Jacques Sémelin, est convaincu de cela. Dans ce sens, il en a fait même le titre
de son ouvrage majeur sur la psychologie des génocides Purifier et détruire avec en sous titre La
récupération politique des génocides. On peut rire de tout cela, mais il risque cependant de se
développer plus facilement après de tels épisodes un "complexe des Danaïdes" tel qu'il a été dit
décrit par le psychiatre Bieder. Si on cède à un délirant revendicateur, il demandera toujours plus,
car le principe même de la revendication paranoïaque est de ne jamais pouvoir être comblée,
précisément comme le tonneau des Danaïdes. C’est un point fondamental à comprendre dans la
psychologie de l’islamisme radical, et sur les manières non-violentes mais efficaces de le
contenir.
Un certain antiaméricanisme peut se comprendre dans un monde démocratique où chacun peut
s'exprimer, mais on a le droit de prendre avec prudence une extension en tache d'huile de celui-ci
à tous les domaines181 : il s'agit soit d'une stratégie d'alliance du jihâd avec toutes ses causes, en
161
commençant par l'argument moralisateur de la commercialisation de l'image de la femme, jusqu'à
la question des accords de Kyoto rejetée par les États-Unis et le rejet de la société de
consommation. Cependant, quand on a l'habitude de la psychopathologie, on peut voir dans cette
tendance aussi l'extension inexorable en réseau d'un délire paranoïaque autour d'un noyau de
départ, ce qui est une évolution classique allant dans le sens de la mégalomanie et de la
persécution, deux thèmes qui sont en fait les deux faces de la même pièce. Au fond, on pourrait
définir la mégalomanie comme la mondialisation de l’ego. La méfiance des Américains vis-à-vis
de cet ennemi invisible qu’est le terrorisme peut aussi dans certains cas dégénérer en paranoïa, là
encore à cause de la « mondialisation » de l’ego.
Nous ne pouvons pas rappeler à chaque fois la différence entre une schizophrénie et un délire
paranoïaque en secteur, mais que le lecteur la garde présente à l’esprit : celui-ci ne se manifeste
que de temps en temps, en général quand il est provoqué, il est analogue à des accès de fièvre
temporaire comme par exemple ceux que donnent le parasite du paludisme. Ce fonctionnement
n'étant pas clair dans l'esprit de beaucoup, les gens se laissent facilement berner : après avoir
parlé normalement avec un grand paranoïaque qui leur aura peut-être même offert une tasse de
thé avec des biscuits dans l'espoir secret de gagner un converti à ses propres croyances, ils diront
candidement en revenant de chez lui: "Cette personne était normale, les gens sont bien méchants
de lui faire des ennuis!" Effectivement, elle l'est, mais seulement jusqu'au moment où l’on titille
le secteur du délire, où l'on met le doigt là où ça fait mal, à ce moment-là c'est la boîte de Pandore
qui s'ouvre et toute la psychose qui ressort comme du lait sur le feu qui déborde. La psychologie
populaire voit juste quand elle décrit un début de personnalité paranoïaque comme ‘soupe-aulait’.
La schizophrénie est peu contagieuse, car elle détruit le psychisme rapidement. Par contre la
paranoïa n'en endommage qu'un secteur, et donc elle peut se répandre avec beaucoup
d'"efficacité" : on retrouve donc la même différence en épidémiologie psychiatrique que dans le
domaine médical: certaines micro-organisme limitent leur propre expansion, car elles font périr
rapidement le sujet, c’est le cas de la fièvre ébola en Afrique, alors que d'autres qui ne le tuent
pas ou le font périr lentement permettent l'augmentation de porteurs apparemment sains, et par là
même multiplient de façon exponentielle les risques de contamination et d'épidémie, voire de
pandémie. C’est toute la question psychologique et politique du groupe plutôt paradoxal des
« extrémistes modérés ». Ils ne passent pas à l’acte, soit qu’ils aient trop peur pour cela ou qu’ils
attendent le moment stratégiquement juste où ils seront en position de force pour annihiler
l’Adversaire, mais leur psychisme est malgré tout en pleine bouillonnement apocalyptique et
psychotique. Ces cas sont bien plus fréquents qu’on ne pense, en particulier dans le milieu
religieux conservateur, et souvent, ils ne sont pas diagnostiqués avant qu’il ne soit en quelque
sorte trop tard. L'extension en tache d'huile du délire est liée également à une culpabilité
considérable : le catatonique, ce type de psychotique qui peut rester des semaines sur son lit sans
bouger, se sent tellement en faute qu'il croit que s'il bouge même d'un centimètre, il va être
annihilé, et peut-être bien que le monde le sera aussi.182
Après les attentats de Londres du 7 juillet 2005, on s'est intéressé de beaucoup plus près à ce
qui se passait dans les madrasas du Pakistan : il y en a 6000 d'après les estimations officielles,
16.000 selon la BBC, 30000 selon Frédéric Ancel, un spécialiste français de l’islamisme. Parmi
elles, 5000 sont réellement intégristes et enseignent le maniement des armes. Pour parler
clairement, on peut se demander si ce qui s'y déroule est une éducation religieuse ou un dressage
à la paranoïa. C’est toute la question du lien entre le conditionnement pavlovien et
l’endoctrinement religieux. Ce qu'il y a de moins connu, c'est le fait que l'école publique du
Pakistan elle-même enseigne la méfiance et la suspicion envers les autres religions, en particulier
162
envers le christianisme et l'hindouisme, ce qui aggrave les racines des conflits futurs, et préparent
des lendemains qui ne chantent pas. Les Etats-Unis ont protestés contre cela, mais sans grand
effet. La paix commence avec l’éducation des enfants, malheureusement la guerre aussi.
Nous avons parlé de l'extension en tache d'huile de la paranoïa, mais elle existe aussi dans la
névrose obsessionnelle : les microbes sont non seulement sur les mains du névrosé, mais se
répandent sur les boutons des portes, passent de façon magique dans les pièces d'à côté, etc.... On
pourrait comparer le prosélytisme à une sorte d'image en miroir ‘positive’ de ce phénomène
pathologique. La croyance sectaire est considérée comme "le virus" avec lequel on doit
contaminer le plus de monde possible. Le fidèle devient ainsi acteur et vecteur d'une sorte
d'épidémie bigote, et son but, ou plus exactement l'objectif qu'on lui a mis dans la tête, est bien
sûr d'en arriver à la pandémie. Pour lui, le jeu n'en devient que plus fascinant dans sa morbidité
profonde quand il réalise que statistiquement, une proportion de ceux qu’il aura contaminé avec
son virus en périront : cela pourrait être par fait de guerre sainte, de martyre, de persécutions en
réaction somme toute assez naturelle à la provocation-agression du prosélytisme, etc. Ces morts
mêmes sacraliseront le processus, lui donneront un sens métaphysique, et procureront au fidèle de
départ l'impression gratifiante pour l'ego que son Dieu et son Prophète existent - puisqu'ils sont
encore capables de faire périr tant de gens après tant de siècles. C’est ainsi que le système
expansionniste s’auto-entretient. On dit dans la tradition musulmane : « La croyance est une seule
nation ». Egalitarisme, ou paranoïa idéologique typique qui a besoin d’idées simples et avec cette
formule les trouve ?
Nous comparons souvent la paranoïa religieuse à une maladie contagieuse. Plus précisément,
on pourrait la rapprocher du virus du sida : celui-ci va se cacher dans ces lymphocytes qui sont
les responsables mêmes de l'immunité. De même, la vraie religion représente l'immunité de
l'organisme psychique et social contre l'infection de la violence. Mais si à l'intérieur même de
cette religion le virus de l'intolérance vient s'introduire, c’est grave, cela crée une maladie fort
difficile à soigner. De plus, on établit régulièrement une analogie entre l'amour humain et
physique et l'union au Divin, mais ce phénomène ne va pas sans son ombre : il existe en fait
d'autres rapports incontournables entre la paranoïa religieuse et les maladies vénériennes. Sous le
prétexte et le couvert de l'amour, il y a de véritables épidémies qui se répandent dans les
populations. Bien que ce soient des comparaisons à manier avec prudence, elles expriment
finalement assez simplement et convenablement des mécanismes de base de la psychopathologie
collective, et peuvent mener à des conduites concrètes de prévention
Avec Al Quaeda, la logique paranoïaque d’extension en tache d’huile fonctionne à plein, car
elle avantage tous les côtés en présence. Les terroristes locaux se donnent une importance, celle
d’appartenir à un groupe prestigieux même si ce n’est pas vraiment le cas, les restes de
l’organisation centrale distribuent largement leur ‘licence commerciale’ pour passer à l’acte, car
cela ne leur coûte rien et donne l’impression au monde qu’ils sont plus actifs et puissants qu’en
réalité, et enfin, les gouvernements qui luttent contre le terrorisme obtiennent des bons points des
Etats-Unis quand ils disent qu’ils sont victimes des attentats d’al-Quaeda et qu’en représailles ils
ont abattus un représentant important de l’organisation, un numéro 2 de plus…Cela permet de
justifier leur régime autoritaire, bien que depuis le Printemps arabe, cette « rente » durable a
justement perdu de sa rentabilité…
Samia Labidi a écrit un livre entier sur l'expérience de son frère, Karim, mon frère, exintégriste et terroriste183. À un moment du récit, elle revient sur elle-même et cherche à
comprendre l'attrait qu'ont les mouvements terroristes, en particulier sur les jeunes :
163
"Il y a une dimension qui nous échappera toujours, car ceux qui l'ont connue ne savent l'exprimer,
sinon à demi-mot, ou en sont morts. Je veux parler de la beauté du diable. Les dirigeants du
mouvement rissaliste [basé en Iran, mais qui possède des tentacules dans tous les pays arabes et
des cellules en Occident], depuis Mohamed El Shirazi à Teki El Moudarassi, pour ne citer que ces
deux noms, sont des personnages de feu, de sang et de lumière. Ils réunissent la brutalité, la
sauvagerie, mais aussi le mystère de la foi, l'éclat du diamant. Du haut de leur statut de grands
savants religieux, ils concilient la magnificence du discours et le malignité des actes... De là
découle leur terrible pouvoir d'attraction sur les autres. Mais en réalité, ce sont des démons
incurables, des psychopathes sanguinaires avec qui il est impossible de traiter. On n'insistera
jamais assez sur ce fait".184
Quand on a lu le livre de Labidi avec tous ses détails, on se rend compte que ce qu'elle affirme
n'est pas exagéré, et est même plutôt réaliste. Pour le psychologue, la séduction de Satan est la
forme personnalisée de la séduction plus générale de la paranoïa. L’avantage de la
« dépersonnalisation » de la psychologie est qu’elle évite de tomber dans l’interprétation du
monde comme le grand combat de Dieu et du Diable : celle-ci risque trop de dévier à son tour
dans une forme de paranoïa. Dans certains cas même, le remède peut être pire que le mal. Après
tout, les gens polissons, gourmands, coureurs, joueurs, un peu filous sur les bords tuent beaucoup
moins de monde que les purs et durs qui relancent à chaque génération les mêmes guerres de
religion avec la même stupidité entêtée. C’est la réalité, même si bien sûr les prédicateurs de tout
crin « oublieront » soigneusement d’en parler.
Les théories du complot : de la psychologie malade à la mauvaise politique.
Dans toute une partie du grand public, en particulier musulman, le complot sioniste du départ
qui était aussi au centre de la propagande nazie est devenu americano-sioniste, et maintenant un
mégacomplot qui inclut en plus les francs-maçons et les grands capitalistes de la planète.185 Cette
croyance est devenue un signe de reconnaissance, presque comme une carte de membre pour
l’islamisme radical. On peut se demander par ailleurs si l'anti-islamisme ne tombe pas lui aussi
sous le coup de la théorie du complot. C’est probablement le cas chez certains évangélistes ou
néoconservateurs américains, par exemple quand on voit le conseil que donnait Rumsfeld aux
généraux américains avant l’attaque de l’Afaghanistan « Don’t go into details. Be massive » ! Il
faut reconnaître également que certains actes comme le 11 septembre étaient suffisamment
organisés et hostiles pour qu'on puisse parler de conspiration, mais il faut aussi savoir que les
groupuscules agissant dans la nébuleuse de al Qaida sont souvent autonomes. Ils suivent des
directives plutôt vagues et apprennent à faire leurs explosifs par des sites Internet, ils n'ont en fait
pas besoin de financements extraordinaires non plus. En effet, cela coûte environ 300€ pour faire
une bombe capable de tuer 150 personnes. C’est donc une affaire « rentable » dans la logique de
l’économie terroriste. Il y a de plus des réseaux de sympathisants, qui sont prêts à offrir « une
charité pour une action pieuse », et il y a besoin d'une logistique minimum avec la coopération de
quelques personnes, mais tout cela n'est pas suffisamment organisé pour pouvoir parler de
complot mondial au niveau des terroristes. Par contre, que l'islam et le christianisme aient une
volonté d'hégémonie mondiale est en fait connue depuis leur origine.
Le politologue Pierre-André Taguieff a longtemps travaillé sur divers aspects de la théorie du
complot, depuis une étude de l'histoire du Protocole des sages de Sion en passant par un travail
sur la judéophobie jusqu'à son essai paru en 2005 La foire aux illuminés.186 Il continue à réfléchir
sur ces questions avec un nouveau livre sur l’anti-sionisme musulman. Pour le sujet de notre livre
sur la psychologie de l'islamisme, l'ouvrage d'Antoine Vitkine qui va dans le même sens, Les
164
nouveaux imposteurs, est important187. Il y détaille la théorie du complot qu'il s'est développé
après les attentats du 11 septembre. Sa forme la plus accomplie en France a été le livre de Thierry
Meyssan, auquel nous reviendrons. Vitkine explique : « Etonnant constat aussi, les théories du
complot circulent de plus en plus vite, aussi vite que le permettent les nouveaux moyens de
communication : elles sont l'enfant malade de notre mondialisation, qui voit des terroristes
islamistes récupérer des idées de l'extrême droite française ou des internautes gauchisants qui
puisent leurs inspirations dans la prose de journaux égyptiens suant de haine... 'La vérité est
ailleurs', ce slogan de la série télévisée X-Files qui met en scène extraterrestres et sombres
complots politiques est devenue un précepte politique presque ordinaire. » 188
On peut remarquer du point de vue psychologique que la déréalisation diffuse causée par les
excès de consommation télévisuelle et Internet favorise directement la théorie du complot et
affaiblit d'autant un engagement démocratique concret. Un peu de déréalisation peut permettre de
prendre une distance, de voir les choses de façon plus large, et même de servir d'autothérapie et
de conférer une certaine sagesse. Cependant, dans notre cas, cette déréalisation crée simplement
un espace libre, et comme la nature a horreur du vide, ce sont des théories du complot et des
constructions paranoïaques qui s'y engouffrent. Cette tendance est intimement mêlée à
l'occultisme de bazar. Par exemple, juste après le 11 septembre, le numéro deux des recherches
sur lycos.com était Nostradamus. En effet, la rumeur avait couru qu'il avait prédit ces
événements. Cet engouement était basé sur un quatrain qui s'est avéré être un faux. « Il a en fait
été écrit par un étudiant canadien du nom de Neil Marshall qui l'a mis en ligne en 1997 sur son
site avec cette mention : ‘Si vous inventez des prophéties écrites de manière suffisamment
abstraites, vous deviendrez instantanément un devin.’ Le jeune homme voulait se moquer de
l'engouement pour les divinations prémonitoires. Il a réussi son coup au-delà de ce qu'il
imaginait. »189 Même si les théories du complot semblent à première vue seulement fumeuses,
elles recouvrent une violence implicite : « En France même, la théorie du complot est le pain
quotidien des ennemis de la démocratie qui font profession de désigner des boucs émissaires à la
vindicte populaire. »190
Pourquoi le livre de Thierry Meyssan L'effroyable imposture a été distribué à 300,000
exemplaires en 2002, en en faisant le livre politique le plus vendu de l'année? Il a été traduit en
28 langues, a eu un succès considérable dans les pays arabes et même une suite, Le Pentagate, en
2003, et cela malgré une critique et un rejet général en provenance des milieux journalistiques et
spécialisés. Sa thèse centrale est que le 11 septembre a représenté un complot de la CIA comme
l'incendie du Reichstag au début du nazisme avait été une conspiration pour déclencher une
répression contre l'opposition. Le fait que 3000 Américains soient morts dans l'opération n'a pas
impressionné le moins du monde Meyssan. S'il est interrogé, il a réponse à tout, et rejette la
charge de la preuve sur ses critiques. En un mot, il a fait une belle construction paranoïaque, mais
elle a eu du succès parce qu'il a dit ce que beaucoup de gens voulaient entendre, comme on dit, il
a caressé la bête dans le sens du poil, ce qui est la définition même de la communication non
éthique.
Meyssan était lui-même connu en politique, secrétaire national du parti des radicaux de
gauche, et président du réseau Voltaire, une association influente dont le but est de promouvoir la
laïcité et de lutter contre l'extrême droite. Son réseau d’influence déjà constitué est sans doute
aussi une raison de son succès. Le centre Zayed d'Abu-Dhabi a fait traduire L'effroyable
imposture en arabe à ses frais. Il a envoyé 5000 exemplaires du livre à des leaders d'opinion du
monde arabe, directeurs de journaux, journalistes, responsables politiques, syndicalistes, ou
religieux. Le Centre a aussi invité Thierry Meyssan chez lui dans le Golfe. On a l'impression que
la théorie du complot à propos de 11 septembre devient une nouvelle série de hadiths, adaptée
165
aux circonstances changeantes du XXIe siècle, et avec un message qui redit surtout ce que la
communauté a envie d'entendre, et tait ce qu'elle veut oublier. Du côté français, Meyssan a été
invité à l'Institut du monde arabe. Si celui-ci a pour vocation de donner une image éclairée et
progressive du monde musulman, on peut considérer qu'il a éminemment bien réussi ce jour-là.
On ne peut pas ne pas penser à cette phrase de Goebbels, le père de la propagande moderne :
‘Répandez le mensonge, il en restera toujours le doute !’
L'ancienne théorie du complot qui a débuté avec les illuminés de Bavière comme soi-disant
responsables de la Révolution française, a continué avec l'idée d'une conspiration judéomaçonnique puis s'est transformée maintenant en complot judéo-américain. C'est une théorie qui
personnalise le pouvoir mondial, peut-être bien comme le monothéisme a personnalisé des forces
complexes la nature sous forme d'un Dieu unique, et les problèmes du monde sous forme d’un
Diable non moins unique. C'est d'un simplisme aisément crédible par les masses, ce genre de
simplisme pour lequel elles sont capables d’aller se faire tuer en chantant. Ce pouvoir mondial
aurait ses intérêts propres – et insondables bien sûrs – dans les catastrophes naturelles et les
avatars de l'histoire, aussi complexes soit-il. L'idée du complot unique est donc en fait proche de
celle de Satan unique. On peut se demander si ces notions ne seraient pas l'ombre, au sens
jungien du terme, du Dieu unique. C'est une interprétation qui fait sens quand on a réfléchi sur
tous ces liens profonds que nous avons déjà mentionnés, et qui associent le concept de diable et
celui de paranoïa.
Tout se passe comme si certains mouvements, qu'ils soient islamistes, de gauche fatiguée ou
d'extrême droite sourcilleuse, étaient incapables de vendre un programme politique cohérent, et
devaient se rabattre sur une théorie du complot avec boucs émissaires clairement désignés à la
vindicte publique pour emporter l'adhésion émotionnelle des masses. Le problème, c'est que les
"comploteurs" fabriqués par le délire peuvent être réellement détruits. C'est là que la psychose
glisse dans le passage à l’acte criminel.
Nous pouvons examiner maintenant la manière dont une théorie du complot se construit. Dans
l'ensemble, il s'agit donc d'une forme de paranoïa, avec cette logique étonnante qui lui est propre.
Si l'effet de la rumeur se trouve démenti par exemple par le gouvernement, c'est qu'il a un intérêt
à cela et donc que le complot a bien existé, cqfd… La rumeur du complot se transmet facilement
par l'Internet, et même sans lui, elle représente au fond un copié-collé de la pensée. Elle se
développe comme une épidémie, la manière de voir ou le concept devenant presque une entité
indépendante comme un virus, ce que certains anthropologues appellent un mème. Dans le genre
épidémie, on a pu voir que dans le supplément médical d'un journal gouvernemental égyptien en
novembre 2001, que le sida était répandu par des lobbies Américain noyautés par les médecins
juifs. On a bien l'impression que le monothéisme, dans sa version hard de l'islamisme, bascule
avec une facilité déconcertante dans ce qu'on pourrait appeler le 'monosatanisme'. Là encore,
s'agit-il d'un phénomène psychologique d'ombre, fondant ses deux versants sur un même
simplisme de départ, que ce soit sur le plan psychologique ou métaphysique.
Les chaînes arabes servent de caisse de résonance pour les théories du complot, non seulement
Al-Manou du Hezbollah, mais aussi Al-Jazira, Al-Arabiya et une série d'autres. Elles exploitent
en cela le niveau d'instruction plutôt bas d'un bon nombre de leurs téléspectateurs, ainsi que l'aura
religieuse qui enveloppe leurs prêcheurs populistes. Il faut comprendre aussi que la théorie du
complot et la politique de l'autruche sont les deux faces de la même pièce : dans les deux cas, il
s'agit d'un déni de la réalité, quand il est intense, on peut raisonnablement parler de psychose.
Laissons la parole à Antoine Vitkine qui résume son enquête vers la fin de son livre, en parlant
fermement mais très clairement. Evidemment, tout le monde ne sera pas content avec ses
conclusions, mais nous sommes en démocratie et la liberté d’expression doit être respectée : « A
166
cause de la confusion des esprits, autre soubassement du conspirationnisme, les décennies
écoulées ont vu triompher une idéologie aussi rigidement dogmatique que mollement
consensuelle, obsédée par le processus de domination, dans lequel le puissant opprime
mécaniquement le faible et est par conséquent, invariablement, l'ennemi. En version intelligente,
c'est Le Monde diplomatique, en version néo gauchiste, c'est Noam Chomsky, en version à grand
spectacle, ce sont les « Guignols de l'Info » ou Michael Moore, en version délirante nous avons
Thierry Meyssan... Notre société ultramoderne, convaincue du triomphe définitif de la rationalité
sur les passions ancestrales, a oublié ce puissant moteur politique que peut être la folie. Il serait
bon de s'en souvenir... De même que Jaurès dénonçait l'antisémitisme comme étant le socialisme
des imbéciles, la théorie du complot est-elle devenue le militantisme des imbéciles, par paresse,
inculture et petit calcul politique. »191 Confions le mot de la fin à Frédéric Nietzsche, dans une de
ces fulgurances dont il est capable : « Les convictions sont des ennemis de la vérité encore plus
fortes que le mensonge»…
Nous avons vu qu’une des caractéristiques du délirant paranoïaque, c'est qu'il est
missionnaire. A tout prix, il cherche à convaincre son entourage et le monde entier de la validité
de ses thèses : si vous vous laissez séduire, vous êtes son meilleur ami, mais si vous manifestez le
moindre doute, vous devenez instantanément son pire ennemi. N'est-ce pas cette structure
psychopathologique qu'on retrouve dans la loi courante de l'islam soutenue, nous l’avons vue,
par les plus grands juristes de cette culture : si vous vous convertissez à la "seule vraie foi" vous
avez toutes sortes d'avantages matériels et spirituels, mais si vous osez critiquer le statut du
Prophète ou ses défauts, ou si vous vous décidez à quitter l'islam, c'est le devoir le plus sacré de
tout musulman de vous mettre à mort au plus vite. Et même si le fidèle ne commet pas son
passage à l’acte intégriste à cause de la peur des lois des pays civilisés, il vous exécutera quand
même mentalement, sur le plan subtil, en vous envoyant mentalement en enfer; il « assassinera »
aussi la relation assez bonne que vous pouviez avoir avec lui en coupant tout les ponts d’un
moment sur l’autre. Le tout évidemment avec la meilleure conscience du monde, celle-là même
du paranoïaque qui n'aime pas qu'on touche à son délire en secteur. Freud a écrit un livre La
psychopathologie de la vie quotidienne mais on pourrait écrire une suite La psychopathologie de
la vie religieuse quotidienne.
Quand le délire se mêle à la réalité pour former un cercle vicieux.
Un psychiatre californien, Ronald K.Siegel192, a décidé de vivre proche de délirants
paranoïaques pour réellement partager leur vécu. L'un d'eux lui avait expliqué qu'il était
pourchassé par des nains durant la nuit, et se sentait obligé d'aller les combattre. Sûr de lui
devant ce délire évident, le jeune psychiatre a accompagné son patient en pleine nuit dans les
mauvais quartiers d'une grande ville californienne, pour lui prouver par l’expérience quasi
scientifique de la réalité le non-sens de ses imaginations : mais le fait est qu’ils ont reçu de vrais
coups de feu ! Certes, probablement les nains n'en étaient pas responsabes, il s’agissait de
maffieux, mais ils ont quand même été visés par des armes à feu et ils auraient pu être tués pour
de bon ! Cet exemple parmi mille autres montre comment le complexe de persécution et
l'agressivité initiale du patient et aussi celle des autres en retour se mêlent pour former un vécu
paranoïaque. Bien sûr aussi, le nombre malheureusement élevé des êtres humains qui vivent sous
des régimes totalitaires ont naturellement peur de la persécution sans pour autant être
paranoïaques. Ils montrent simplement qu'ils sont inscrits dans la réalité ; cependant, dans
certains cas, cette crainte peut quand même se gonfler, se mélanger aux fantasmes personnels et
devenir délirante.
167
Dans la paranoïa classique, il y a une loi d'action et de réaction entre le délire et la réalité, et
on finit par ne plus savoir où on en est. Il en va de même pour la paranoïa politique. Nous
sommes devant un phénomène de cercle vicieux qui s'autoentretient. Nous avons vu que la
réaction vive et bien compréhensible de celui qui est agressé par un paranoïaque est interprétée
par celui-ci comme la confirmation de ses idées de persécution. C'est cette imbrication intime de
l'interprétation psychotique et de la réalité qui rend la psychothérapie des délires systématisés si
difficile. En fait, le plus souvent, on doit recourir d’abord aux neuroleptiques qui eux, sont assez
efficaces pour sortir de la phase aiguë. Il faut bien comprendre qu'une réponse correcte au
traitement d'une paranoïa religieuse ne dépend guère du quotient intellectuel, mais beaucoup plus
de quotient émotionnel, et de ce qu'on pourrait appeler le quotient spirituel. Souvent, il est très
peu développé chez les sujets, d'où les difficultés de la thérapie. Dans son livre sur la
psychologie des émeutes entre musulmans et hindous en Inde, avec un travail sur le terrain à
Hydrabad, Sudhir Kakar explique :
" La victimisation est devenue un état naturel pour beaucoup de musulmans en Inde : ils ont perdu
une grande partie de leur pouvoir depuis le Moyen-âge…Dans la réponse des musulmans, il y a
une perte d'auto idéalisation collective : ceci réduit considérablement l'estime de soi, la réduction
de pouvoir est perçue comme le résultat de forces extérieures clairement supérieures dont ils sont
les victimes impuissantes. Le musulman des classes pauvres donne l'impression de suivre un cours
sans but, bousculé par l’impact des autres dans une sorte de mouvement brownien social. Il
semble y avoir une sens de fatalisme institutionnalisé à l’oeuvre qui les mène à se comporter
comme des victimes et les laisse avec peu de recours pour se défendre contre l'exploitation." 193
Kakar explique également ceci à propos des oulémas intégristes d'Inde dont il a analysé les
cassettes largement diffusées dans la population :" Un autre aspect frappant du discours religieux
fondamentalistes n'est pas tant sa colère guerrière contre l'ennemi – le processus de
modernisation, les infidèles – tenus responsables pour l'état actuel déplorable des musulmans,
mais le retournement de cette rage vers l'intérieur dans une récrimination collective orientée vers
soi et transformée en une haine de soi masochiste. Les atrocités supportées par les musulmans, à
la fois dans les périodes moderne et médiévale, sont détaillées avec grands délices. Un des
prêcheurs, qui est aussi un député à l’Assemblé nationale, décrit en détail des évènements qui
n'apparaissent pas dans les livres d'histoire : "Trois mille oulémas ont été allongés sur la route de
Delhi et les Anglais ont fait passer des rouleaux compresseurs sur leur poitrine... Des centaines
ont été cousus dans des peaux de porc et brûlés vifs."194
A propos du masochisme et du sentiment d'autopunition, il faut rappeler que les fatwas sont si
complexes et contradictoires que pratiquement aucun musulman ne peut se vanter de les suivre
parfaitement. De là un sentiment envahissant de culpabilité menant à un besoin non moins
omniprésent d'autopunition. C'est là qu'intervient "à point nommé" la propagande intégriste avec
une offre de martyre fi sabil illah, dans la Voie d'Allah, comme en réponse à tous les problèmes
de culpabilités variées par une expiation globale, et finalement une panacée universelle.
Il y a eu dans le journal une nouvelle intéressante de ce point de vue-là. "La police a fait un
raid dans l'appartement de deux jeunes musulmans de Sarajevo, ils affirment avoir trouvé chez
eux une ceinture d'explosifs pour se suicider, des bombes, des armes à feu et d'autres
équipements militaires, ainsi qu'une vidéo montrant des hommes masqués demandant pardon à
Dieu." Le lien entre la ceinture pour se suicider et la demande de pardon à Dieu par des hommes
masqués sans doute de noir exprime bien la culpabilité d'autant plus prégnante qu'elles est sans
visage et obscure, menant au délire d'autopunition et finalement au passage à l'acte auto-
168
destructif. Les recrues pour les attentats suicides sont souvent des adolescents ou des hommes
jeunes. La poussée sexuelle difficile à contrôler est d'autant plus honteuse que le milieu religieux
interdit les relations préconjugales et même l’auto-érotisme, rendant ces jeunes des proies faciles
pour les manipulateurs de la culpabilité et pour ces religieux de tout crin qui possèdent plusieurs
millénaires d’une expertise plutôt spéciale en ce domaine.
Quand on regarde les choses de l'extérieur, on peut sourire du fait que les chrétiens se sentent
certes menacés par les musulmans, mais qu’à l'inverse, ceux-ci se sentent encore plus en danger:
comme le dit Olivier Roy: "On ne peut comprendre le mouvement salafiste et jihâdiste si l'on ne
saisit pas à quel point l'islam se sent en minorité et menacé dans son coeur même" (en particulier
par les missions chrétiennes)195.. Il y a aussi le fait que ceux qui rentrent dans ces mouvements
ont déjà une tendance radicale politique, souvent aggravée de psychopathologie. On trouve
beaucoup d'ingénieurs et d’étudiants en sciences dans ces réseaux, mais pratiquement pas en
sciences humaines : il semble que celles-ci permettent d’identifier rapidement la paranoïa sousjacente à l’argumentation et au conditionnement intégriste, et qu’elle serve littéralement de gardefou pour ne pas basculer dedans. Par exemple, le testament de Mohamed Atta, le chef de l'équipe
qui a participé aux attentats du 11 septembre, est caractéristique : tout est centré sur l'obsession
de purification avant la mort, et il demande même qu'il n'y ait pas de femmes qui viennent à sa
cérémonie funéraire, de peur qu’elles la rendent ‘impure’. Faut-il que le sexe faible le remercie de
sa prévenance ? Nous retrouvons les similarités bien connues en psychopathologie, entre
l'obsession et à la paranoïa, bien que les deux catégories aient leur stabilité propre.
On peut retrouver ce même glissement à un niveau évidemment moins sombre et extrême,
mais quand même clairement significatif du point de vue symbolique : "Les femmes musulmanes
influencées par le néo-conservatisme donnent un bon exemple de détournement de garde-robes
variées par leurs imperméables par exemple, comme ces "soeurs" turques ou européennes, qui les
portent même en dehors des temps de pluie pour couvrir tout le corps."196 On peut sourire ou
avoir de la tristesse pour ces femmes qui ont sans doute perpétuellement peur que le ciel ne leur
tombe sur la tête ou bien encore de se "faire saucer" par on ne sait quel pouvoir céleste. Le fait de
porter ce manteau de pluie par grand soleil montre bien symboliquement comment leurs
croyances sont... imperméables au bon sens, et pourquoi ne pas le dire, probablement ennuyeuses
comme la pluie. Du point de la psychologie, on peut y voir une protection de type obsessionnelle
évoquant la ‘cuirasse corporelle’ décrite par Wilhelm Reich.
La base de la paranoïa religieuse n’est pas différente de celle des autres paranoïas. Les autres à
l’extérieur sont vécus comme aussi menaçants que des bêtes féroces. "Quand on ne les a pas au
cou, on les a à la gorge", comme dit une certaine sagesse populaire. Il faut donc les assujettir par
la force de la violence, c’est le seul moyen, voilà au moins ce que pense le sujet. De plus, il faut
comprendre que dans une religion de masse, il y a une peur de dépersonnalisation dans la foule :
celle-ci est combattue et compensée par une agressivité dirigée contre les ennemis potentiels du
groupe. Une nouvelle identité se forme dans la violence. Nous sommes au centre du lien entre le
fonctionnement religieux de masse et la paranoïa. Winnicott décrit une "anxiété impensable" qui
fonctionne comme un ‘trou noir’ au centre de la psyché. Dans le cas particulier des fidèles
musulmans, il s’agit bien sûr de la crainte 'd'avoir tout faux' depuis le départ, c'est-à-dire soit que
Mohamed n'ait jamais existé, soit que le personnage qu'on a construit autour de l'auteur présumé
du Coran ne soit pas un modèle de perfection, mais plutôt de déséquilibre mental, une hypothèse
que n’ont pas manqué de rappeler les critiques depuis les débuts de l’islam, et qui a été étayée par
des études historiques et psychologiques récentes. 197
Par ailleurs, on peut faire remarquer que la paranoïa est en soi un narcissisme "cancéreux" et
agressif, qui "métastase" partout où il peut. La psychopathie et la personnalité antisociale sont en
169
quelque sorte des formes maxima de cette pathologie narcissique, et on pourrait décrire des
formes de « psychopathe en secteur ». Les religions de masse sont censées par leurs rituels
atténuer la violence et la paranoïa pour le réorienter dans un sens "utile". Est-ce que ce processus
se situe réellement au niveau psycho-spirituel ou simplement politique ? Est-ce que « l'énergie
atomique des émotions de masse » ainsi stimulée ne risque pas de temps à autre de causer des
implosions et de mener à des séries de Tchernobyls psychiques et sociaux?
Plaintes sans fin et fin de la plainte.
Comme prescription pour la psychothérapie des islamistes, on devrait leur conseiller de lire
La fin de la plainte de François Roustang : il y critique ces dépressifs qui se maintiennent dans
leur pathologie par des jérémiades à n'en plus finir, qu'ils croient thérapeutiques car elles se
déroulent dans un cabinet de thérapeute. Les islamistes pensent que la victimisation qui leur est
chère va leur apporter la guérison, car elle s'exprime dans la mosquée : celle-ci peut en quelque
sorte être conçue comme le cabinet de consultation d'Allah; où alors, la victimisation peut trouver
un auditoire complaisant dans les médias internationaux, qui pourraient eux évoquer une sorte de
dispensaire psychiatrique mondialisé. Malheureusement, ces fondamentalistes se trompent et en
fait, ils s'enlisent plutôt dans leur symptomatologie, car ils lui donnent de la réalité à force de la
répéter en boucle. Cette attitude est certainement en train de changer depuis le Printemps arabe,
espérons que ce sera pour le meilleur et pas pour le pire. On pourrait presque comparer le silence
d'Allah à celui de ces psychanalystes purs et durs qui sont dans le pouvoir. Sans rien dire, ils
laissent le patient/fidèle tourner en rond dans ses problèmes, et finalement dans son impuissance,
et en tirent par opposition un sentiment de toute-puissance pour eux-mêmes et le système de
pensée qu'ils propagent. En fait, ce n'est pas la guérison du patient/fidèle qui est escomptée, mais
justement cette toute-puissance d'un système de pensée et son extension maxima, se manifestant
paradoxalement par un silence de la part du thérapeute, et une augmentation paradoxale de la
dépendance de la part du patient.
Nous pouvons nous demander si l'échec de l'islam politique, dont parlent des spécialistes
comme Olivier Roy, n'est pas fondamentalement d'origine psychologique. Il a écrit assez
récemment un ouvrage sur les convulsions du Moyen-orient intitulé Le croissant et le chaos.198
Pour la psychologie, le chaos intérieur correspond à la psychose. De ce point de vue, cet échec
est relié en grande partie au dysfonctionnement de la paralogique qui est à la base de la paranoïa.
Un peu de paranoïa est inévitable en politique, chacun cherche à se montrer tout blanc et à
projeter plus ou moins ses ennemis comme tous noirs, mais si le trouble se développe comme un
cancer pour devenir la majeure partie de l'argumentation ou même la substance de la pensée
politique elle-même, le processus devient clairement pathologique. De plus, on a actuellement
deux "réussites" de l'islam politique, déjà le Pakistan, où l’armée dirige en réalité le pays avec
une collusion de fait avec l’islamisme malgré les déni officiels. Il y a ensuite l'Iran des ayatollahs
: on y trouve une oppression des libertés, une pauvreté économique malgré l'abondance de
ressources pétrolières, une idéologie imposée à une jeunesse qui n'en a rien à faire, et surtout un
jeu dangereux dans le registre de la psychose collective à propos de l'arme nucléaire. En un mot,
il s’agit à l’heure où j’écris d’un pays entre bombe et bombardement. Ainsi, on peut considérer
que ce "succès" de l'islam politique est en fait son plus grand échec. Quand la paranoïa est
instrumentalisée dans les sociétés comme une arme majeure, elle mène à long terme à une
autolimitation, voire à une autodestruction. Comme le président Truman est réputé avoir dit :
"On peut tromper quelqu'un tout le temps, on peut tromper tout le monde quelques temps, mais
on ne peut tromper tout le monde tout le temps." Pour la Turquie, certains disent que la réélection
170
d’Erdogan a été beaucoup plus causée par son charisme d’homme fort qu’à son programme
officiellement islamique. Bien sûr, il faudrait rentrer plus dans le détail. Quand à Rachid
Ghannouchi et Ennhada en Tunisie, et les autres pays du printemps arabe, il est nécessaire
d’attendre que la situation se stabilise pour pouvoir y voir plus clair. En Egypte, oilsemble bien
que l’armée favorise les islamistes pour faire peur aux Occidentaux et pouvoir rester au pouvoir.
Il peut y avoir un certain nombre de liens entre religion et paranoïa, mais on pourrait dire en
résumé que les islamistes radicaux ont fait de cette dernière leur religion. Elie Barnevi fait
remarquer que « le fondamentalisme révolutionnaire offre le ciment d'une idéologie totalitaire à
des causes variées ».199 En termes psychologiques il organise des fragments de réalité en leur
donnant la structure quasi géométrique d'un délire systématisé, c'est-à-dire qu'il construit une
paranoïa.
A cause du mois de guerre en été 2006 entre Israël et le Hizbollah, on a beaucoup parlé de ce
"parti de Dieu" " dont les membres se désignent eux-mêmes souvent comme des "fous de Dieu".
Cependant, l'expression plus précise serait sans doute les "paranoïaques d'Allah". Il y a une
grande tradition de fous de Dieu dans les religions, qu'il s'agisse des malamatis dans le
soufisme, des tantriques vâmâcharas, de la main gauche dans l'hindouisme, et de "fols en Dieu"
chez les orthodoxes, mais ces hommes en réalité saints se gardent bien de tomber dans la violence
collective comme le font les Hizbollahs. Ils indiqueront au contraire par leur comportement
innocent l’absurdité de la violence collective et des mensonges destinés à la dénier. Cette
violence revient en fait à une forme de psychose de groupe instrumentalisée politiquement Là
encore, on peut observer une perversion destructrice : elle vide de son sens une appellation qui
par ailleurs peut avoir sa valeur.
Concordisme
Une des formes par lesquelles les superstitions peuvent se mêler à la réalité est ce qu’on
appelle le concordisme. Il s’agit de retrouver par tous les moyens l’annonce de découvertes
scientifiques ultérieures dans les textes sacrés, pour les islamistes par exemple dans le Coran.
C’est une tendance fort populaire dans l’islam d’aujourd’hui, y compris chez les ‘télécoranistes’,
et on peut l’interpréter de trois manières :
- Comme un immense délire interprétatif.
- Comme un effort missionnaire : la stratégie de l’islam pour coloniser a été de détruire les
temples des déesses et des dieux locaux et de construire sur leur emplacement même des
mosquées. Les diverses sciences sont en quelque sorte les temples de la déesse Raison et
de la modernité ; n’ayant plus le pouvoir de les détruire, l’islam cherche au moins à les
convertir en mosquées. Il s’agit de la tendance totalitaire, qui était évidente par exemple
avec Staline quand il cherchait à faire plier les découvertes de la biologie de années 30 au
dogme bolchevique. L’étonnant, c’est qu’il trouvait des scientifiques pour le soutenir.
Dans ce sens, un des slogans des islamistes radicaux est d’« islamiser la modernité ».
Mieux vaut le savoir, comme nous l’avons déjà rappelé, un homme averti en vaut deux.
- Le concordisme peut être interprété comme un signe de faiblesse aussi : l’islam a
maintenant besoin des béquilles de la science pour tenir debout, que se passera-t-il si ces
béquilles, la science en l’occurrence, deviennent animées de vie et se mette à bastonner le
patient qu’elles soutenaient ? La chute, probablement.
Il n’est pas interdit de penser que la paranoïa soit enkystée dans certaines partie des Ecritures
de l'islam, comme dans certains passages de l'Ancien Testament, tel un logiciel dormant dans un
171
ordinateur : il suffit d'un "code d'activation" pour le faire redémarrer. En l'occurrence, celui-ci
pourrait correspondre par exemple simplement à une phase difficile du sujet ou du groupe auquel
il appartient. Il faut comprendre de plus que l'humour et la paranoïa sont comme l'huile et l'eau,
ils ne peuvent pas se mélanger, l'humour est ce que les mollahs aiment le moins, car c'est en fait
le remède dont ils auraient le plus besoin. Une sainte religieuse avait compris une loi
fondamentale de psychologie quand elle disait simplement : "On perd bien des occasions de rire
quand on ne sait pas rire de soi-même" Dans ce livre, nous ne nous contenterons pas de
diagnostics, aussi approfondis, ou nouveaux soient-ils pour certains, mais nous proposerons dans
la troisième partie quelques idées thérapeutiques : évidemment, et ce presque par définition, le
paranoïaque est celui qui aura le plus de résistance à la psychothérapie, puisqu'il pense que seul
lui et son petit groupe a raison, et que tout le reste de la planète a tort. Dans ce sens, la modernité
doit être de plus en plus ferme dans son exigence de vie intérieure et collective devant être menée
avec un minimum de paranoïa, y compris celle induite à long terme par certaines croyances
religieuses rigides.
Réflexions sur Le Coran et la psychanalyse 200 d’Olfa Youssef
Pour continuer sur la question de la récupération d’ouvrages de psychologie par une
idéologie, on peut dire ceci : il y a des études de psychologie qui acceptent en substance et sans
sourciller le préalable que le Coran est un texte sacré qui ne peut jamais être remis en question,
seulement interprété par nous pauvres humains comme c’est le cas dans Le Coran et la
psychanalyse 201 d’Olfa Youssef. Il est tout à fait possible qu’elles soient récupérées par le
prosélytisme musulman conservateur, voire le fondamentalisme : ils affirmeront que « le Coran
avait raison, il avait déjà prévu les découvertes de Freud et la psychanalyse ! » On se retrouvera
donc ici devant un concordisme aussi affligeant dans le domaine de la psychologie que pour les
autres sciences (cf le livre de René Bucaille Le Coran et la science très en faveur chez les
prêcheurs musulmans, mais guère chez les scientifiques). Ce livre aura certainement un bon
succès chez les fidèles sans même qu'ils éprouvent le besoin de le lire, et il se peut qu’il ait un
effet de propagande en renforçant en bloc leurs croyances et finalement en les rendant plus
rigides, ce qui était le contraire de résultats escompté.
Le livre d’Olfa Youcef paraît clairement inspiré par L’évangile au risque de la psychanalyse
de Françoise Dolto et des travaux comme ceux de Marie Balmary ou de Thierry Vasse. J’ai pu le
lire et prendre connaissance de ses réflexions et conclusions sur certains points délicats, comme
par exemple le statut de la femme ou l’absence de père dans la biographie des fondateurs des trois
monothéismes, Moïse, Jésus et Mohamed. J’ai ressenti dans ses interprétations le problème
général des interprétations psychanalytiques plutôt élaborées, dans ce cas de type lacaniennes, où
la frontière entre l’explication et la justification d’un comportement déviant devient plutôt floue,
et la question de la responsabilité est au fond diluée par la masse même des correspondances
subtiles envisagées. Au bout du compte, on ne sait plus très bien si c’est le Coran qui est passé
au crible de la psychanalyse ou si c’est celle-ci qui est en train de se faire islamiser. Dans ce
second cas, certainement la plupart des professionnels de l’analyse ne seront pas d’accord. La
psychanalyse se retrouverait alors dans la situation médiévale de la philosophie qui n’était alors
considérée que comme ancilla theologiae, c’est-à-dire une servante de la théologie. Si elle
pouvait prouver la supériorité de Jésus et de son Eglise, elle était bienvenue, sinon elle était
bonne pour la corbeille à papier. Elle était plus une courtisane qu’une ministre responsable
capable de contredire sérieusement l’autocrate. Quelque part, elle était surtout là pour faire joli,
un luxe intellectuel sur fond de totalitarisme sévère.
Olfa Youssef, dans son livre fait remarquer qu'en arabe, les deux mots kalima qui signifient
172
'parole' et kalma qui signifient 'blessure ' ont la même étymologie. C'est quand on se sent blessé,
remis en question qu'on a le plus besoin de réagir par une parole. En fait, j'écris les réflexions cidessous car quelque part, j'ai été blessé par la manière dont elle utilise la psychanalyse pour
essayer de justifier toutes sortes d'idées étranges du Coran et du Hadîth, et je me suis dit qu'il
fallait y répondre par une parole. En général, j'évite les critiques personnelles d'un autre auteur.
Mais ici, la question est plus large, il s'agit d'un débat général sur la capacité même de la
psychanalyse et la psychothérapie occidentale à mettre en évidence et à améliorer les déviations
de conservatisme voire du fondamentalisme musulman. Je poserai un certain nombre de
questions dans ce texte, estimant qu'au fond seul l'auteur qui pourra y répondre en son âme et
conscience. Il intéressera tous ceux qui pensent que la psychologie moderne peut aider à faire
évoluer le conservatisme islamique, en particulier en Occident._
Il y a un certain nombre d'éléments intéressants dans le livre de Youssef: un de ses fils
directeurs dans l'ouvrage, c'est de faire comprendre que les exégètes qui pensent qu'il n'y a que
leur interprétation qui est la bonne tombent dans de l'auto idolâtrie202. Intuitivement, je me suis
dit que la réflexion la plus intéressante de son livre était une citation d'Ibn Arabi que j'ai trouvé
dans le corps du livre : « Vous dites : Untel se référant à Untel, se référant à Untel, affirme ;
tandis que moi je dis : se référant à Dieu, mon coeur m'informe ; la source de votre savoir, ce sont
les morts et la source du mien, c'est l'Eternel. » Coïncidence intéressante, j'ai vu après coup
qu'elle avait aussi mis cette citation en exergue au début du livre. Le but général de son livre est
de montrer qu'on peut avoir une interprétation de l'islam non légaliste et inspirée par le coeur.
Son support et pour cela la psychanalyse, mais aux on peut regretter qu'elle ne fasse pas plus
référence au soufisme dont les lignées d'enseignants se sont justement fixées ce but. Parmi une
cinquantaine de livres dans sa bibliographie en français, et une autre cinquantaine en arabe, elle
ne cite que deux livres soufis à ma connaissance, tous les deux d'Ibn Arabi, le 'Dévoilement du
voyage ' en français et les Futûhât al-makiyya, c'est-à-dire les ' Révélations de la Mecque' en
arabe. Un recours plus précis et plus élargi aux sources soufies aurait à mon avis donné plus de
substance à sa recherche.
La psychanalyse entre explication et excuse
Un point faible général du livre, c'est qu'en essayant d'expliquer, Youssef justifie et finalement
excuse. Il faut se souvenir que la vocation première de la psychanalyse est de la psychologie
moderne a été de se défaire du dogmatisme religieux. En acceptant de nouveau le principe de
base du Coran comme une expression directe de l'Absolu au-dessus de toute remise en question
profonde, elle retombe encore dans une vieille ornière et ce, même si elle déguise sa ' néosoumission' derrière les brumes d’un langage mystico-lacanien. Est-ce que le nuage d'encre de la
complexité langagière ne cache pas la pieuvre de la volonté de pouvoir religieux, finalement aussi
absolutiste qu'elle l'a toujours été auparavant ? Sa grande idée, c'est que la charia doit être lue au
niveau symbolique, dans le sens où l'utilise Lacan. Certes, pourquoi pas, mais pendant ce temps
il y a des dizaines de millions de femmes entre autres qui souffrent de ces lois iniques, et ce n'est
pas probablement pas le lacanisme qui va faire bouger l'inertie des muftis. Ils sont dans un autre
monde mental. Il faudra des critiques plus fortes et ciblées plus précisément. Quand elle cite un
exemple de femmes accomplie intérieurement grâce à la piété musulmane, elle doit remonter au
VIIIe siècle et ressortir toujours le même exemple, l'esclave Râbia al-adawiyya, qu'utilise le
prosélytisme soufi à chaque fois. C'est à croire qu'ils n'en ont pas d'autre à proposer, ni à l'époque
classique, ni à l'époque moderne. Cela sent le disque idéologique qui tourne en rond sur luimême.
173
En d'autres termes, je ne vois pas grand-chose dans le livre de Youssef qui puisse arrêter la
machine de guerre islamiste, ou même freiner l'extension en tache d'huile de conservatisme. Par
contre, il y a un grand risque que l'ouvrage soit récupéré par un concordisme qui est très à la
mode dans les milieux religieux musulmans modernes. À partir de quelques similarités
superficielles, ils sautent souvent à la conclusion que la biologie ou l'astronomie confirme le
Coran. Pourquoi pas maintenant la psychanalyse ? Nous avons dit qu’on se retrouverait alors en
quelque sorte dans la situation médiévale de la philosophie qui n'était considérée que comme
ancilla theologiae, 'servante de la théologie'. La psychanalyse, malgré ses défauts, mérite mieux
que d'être réduite en servitude par l'idéologie coranique.
Derrière un langage plutôt compliqué, ce que dit Youssef en substance par exemple par rapport
aux femmes, c'est que les lois de la charia qui sont typiquement en leur défaveur ne font que
refléter et constater une différence naturelle entre les sexes, et qu'il faut s'y soumettre. Cela est de
l'ordre de la banalité pieuse plutôt que de la vraie psychologie. Elle rentre aussi dans les clichés
de l'homme actif et vivant, et de la femme passive, plutôt du côté du silence et de la mort. Elle
voit même là-dedans un point commun où la psychanalyse et le Coran se confirment l'un l'autre.
C'est une manière de voir, mais il faut se souvenir qu'en Inde par exemple, c'est exactement
l'inverse : toute la métaphysique est centrée sur la notion opposée, c'est-à-dire que Shiva est
inactif alors que Shakti représente le dynamisme l'expansion de la nature sous toutes ses formes.
D'ailleurs on rapproche souvent Shiva de shava, qui signifie « cadavre », c'est-à-dire le comble de
l'inactivité - tout comme l'arabe coranique sav'a 203
Youssef rappelle que l'islam rejette complètement la notion de Dieu comme père. Cependant,
elle-même l'accepte que du point de vue de la psychanalyse, où il tient quand même la fonction
symbolique du père. Par ailleurs, elle oublie de mentionner que Mahomet est en fait une sorte de
double père qui veut prendre la place de tous les autres pères, en écartant la « religion des pères »
pour imposer la sienne. On a vu tous les liens qu'il y avait entre le fait de vouloir remplacer la loi
du père par la sienne d'une part, et la paranoïa d'autre part. On a le droit d'être d'avis qu'essayer de
donner au Coran un sceau d'authenticité par le lacanisme est un curieux exercice de style : est-ce
une forme de prosélytisme islamique adapté au milieu parisien ? Ce qui ressort du livre, c'est
qu'elle n'a pas l'ombre d'une critique envers le Prophète et le Coran, deux entités parfaites
semble-t-il aussi bien a priori qu’a posteriori. Cela paraît trop beau pour être honnête. Dans ce
contexte, est-ce que ses analyses psychologiques ne sont pas particulièrement édentées ? Elle
paraît de plus croire pouvoir expliquer le mystère de l'autorité suprême du Coran à l'homme
moderne en disant qu'il provient de ce lieu que Lacan appelle le réel. N'est-ce pas essayer
d'éclaircir quelque chose d'obscur par autre chose d'au moins aussi obscur ? Doit-on se sentir
obligé de la suivre dans ses associations libres qui associent la cause prophétique à la cause
freudienne?
Soumission ou démission?
Les oulémas insistent sur le sens d'islam comme soumission, toute la question est
évidemment de savoir s'il s'agit d'une obéissance à un divin véritablement indépendant ou bien à
une idéologie politico-sociale plutôt oppressante. Pour A.L de Prémare, un spécialiste des débuts
de l'islam, il est clair que le sens premier de ce terme islam était une soumission politique et
idéologique au mouvement qui s'imposait par des moyens directement militaires. L'idée
d'abandon à une entité lumineuse au-delà de l'ego était très secondaire. Chacun est libre de se
sentir attiré par une voie de dévotion, et de se soumettre à l'idée qu'il ou elle a du divin, mais
pourquoi mettre la psychanalyse là-dedans ? Là encore, n'est-ce pas une forme de prosélytisme,
174
de récupération du symbole de l'indépendance de la pensée moderne pour l'inclure comme
servante d'une idéologie totalisante, en quelque sorte dans les mots mêmes des néofondamentalistes, « d’islamiser la modernité » ?
Youssef a une certaine critique de la notion d' 'ismâ, qui signifie l'impeccabilité, littéralement
l'exaltation des prophètes, en particulier de Mohamed. Elle est indulgente envers elle en la
présentant comme un excès d'amour des oulémas et des exégètes. Elle oublie de parler de l'autre
aspect qui lui correspond comme le revers d'une médaille, c'est-à-dire la loi contre le blasphème
et la condamnation à mort de ceux qui osent critiquer le Prophète, et à travers lui ceux qui osent
remettre en question l'islam puisque les deux sont complètement associés. Ce serait pourtant bien
son rôle d'analyste d’aller regarder l'autre côté du miroir des apparences et des sentiments
lénifiants. Pour faire bonne figure, elle se permet un reproche sur le Prophète, et même là en se
réfugiant derrière l'autorité de pas moins qu'Allah : en effet, celui-ci lui-même a reproché à son
Envoyé de s'être renfrogné quand un aveugle est venue à lui, en lui rappelant qu'il était plus attiré
par les puissants et riches. Voici le texte exact de la sourate qui a été appelée justement 'Abasa,
c'est-à-dire 'Il s'est renfrogné' : « Il s'est renfrogné et il s'est détourné parce que l'aveugle est venu
à lui. Qui te dit : 'Peut-être celui-ci se purifie-t-il ? Ou peut-être réfléchit-il de telle sorte que le
Rappel soit profitable ? Quant à celui qui est riche, tu l'abordes avec empressement; peu importe
s'il ne se purifie pas. Mais de celui qui vient à toi, rempli de zèle et de crainte, toi, tu te
désintéresses' » (80 : 1-10). Ceci dit, en dehors de cette critique ‘politiquement correcte’ car
inscrite dan le Coran lui-même, Youssef n'a pas la moindre remise en question par ailleurs de la
personnalité du Prophète.
Elle s'adonne par contre à toutes sortes d'acrobatie psychanalytique et d'interprétations
symboliques au septième degré pour nous faire croire parfois que le texte signifie exactement le
contraire de ce qu'il dit. Il est de plus facile à comprendre que quand on a un corpus à disposition
de 400,000 hadiths, certains disent 1, 600,000, on peut faire dire au Prophète par des citations
sélectives à peu près ce qu'on veut, et que la voie toute tracée pour s'en tirer est alors de suivre le
consensus de la tradition, ce que Youssef fait en substance.
À propos de conseils typiquement patriarcaux adressés aux femmes du prophète du genre : «
Acquittez-vous de la prière ; faites l'aumône, obéissez à Allah et à son Prophète... » (33 33)
Youssef commente de façon plutôt sibylline : « L'absence d'une parole coranique adressée à
l'ensemble des femmes rentre dans le cadre de la lecture psychanalytique des relations entre les
sexes qui, à l'appui de la notion de castration, induit l'inexistence de LA femme comme ensemble.
»204 Voilà un commentaire qui au fond n'explique rien, et pendant ce temps-là, il y a des
centaines de millions de musulmanes qui souffrent sous l'oppression de lois iniques, et qui
pâtissent injustement d'être considérées comme inexistantes en tant qu'ensemble.
On a l'impression que Youssef est une enfant trop consciencieuse, qui après avoir fait son
devoir rituel de lacanisme, nous offre une bonne dose de catéchisme coranique. Il y a un moment
où la soumission bascule dans la démission, et j'ai bien peur que son travail rentre dans cette
catégorie. En parlant de ce sujet, Fethi Benslama a écrit un petit un livre bien percutant :
Manifeste d’insoumission à l'usage des musulmans et de ceux qui ne le sont pas205 (Flammarion
2005). Voilà quelqu'un qui est Tunisien d'origine et psychanalyste comme Youssef, mais qui est
capable d'utiliser son savoir pour réellement faire bouger le conservatisme musulman. Il est
important que les psychologues eux-mêmes comprennent que ce qu'ils disent à des conséquences,
et que les « rêveries d'une psychanalyste solitaires » ne sont peut-être pas suffisantes pour
émouvoir et mouvoir la religion la plus conservatrice et rigide du monde.
On pourrait mettre en avant que ce conservatisme provient entre autres d'un déséquilibre dans
la répartition traditionnelle de l'être humain entre le corps, l'âme et esprit. La religion musulmane
175
jusqu'à maintenant insiste sur les règles du corps et du nafs, c'est-à-dire l'âme vitale, reliée par
exemple au domaine de la sexualité. Mais en ce qui concerne une psychologie profonde ou un
éveil spirituel, elle est plutôt silencieuse. Le Coran dit avec une crainte révérencielle : « Le rûh,
l'esprit relève de l'ordre de mon Seigneur. Et on vous a donné peu de connaissances ! » (17 85).
Si l'on veut des enseignements sur ce sujet, il faudra donc se diriger vers un ésotérisme qui dans
l'islam est régulièrement persécuté, encor de nos jours.
Quand Youssef choisit de traduire régulièrement kafir par 'mécréants », on peut
raisonnablement se demander si elle n'est pas contaminée par un sectarisme étroit. Pourquoi
l'islam devrait à lui seul annexer les territoires de la croyance respectable, et traiter le reste du
monde de mécréants ? Et est-ce qu'à l'inverse, les nombreux musulmans qui ont répandu leur
religion par la violence et ont agressé des centaines de millions de gens paisibles qui ne leur
avaient rien de mandé ne tombent-ils pas dans la catégorie de mécréants d'après les critères d'une
éthique moderne ? Il faut savoir à quelle mécréance on attribue créance…
L'auteur développe des réflexions intéressantes sur la jalousie :
« Le jaloux, en transgressant la loi et en souffrant de ne pas avoir accès à une jouissance illimitée,
ne souffre pas seulement parce qu'il n'est qu'un parmi les autres : il souffre surtout de ne pouvoir
être maître de la Jouissance. Plus que de ne pas jouer à la place de l'autre, il souffre de ne pas être
en lieu et place de l'Autre. S'il était le lieu de l'origine, il n'y aurait plus d'autres, plus de rivaux. En
réalité, le jaloux souffre parce qu'il ne peut pas être premier, il n'est que le second, nécessairement
précédé comme tous les humains par le lieu de l'Autre, ne pouvant y intervenir et échouant à le
changer. » Id p.160
Youssef applique ensuite ces réflexions à deux personnages mineurs de la Bible repris dans le
Coran. Cependant, ce qu'elle ne peut voir à cause d'un tabou évident, c'est que cette description
peut s'appliquer directement du point de vue d'une psychologie critique au cas du prophète
Mohamed lui-même. Il a transgressé la loi des pères en imposant sa forme de religion, En ayant
réussi à faire reconnaître d'une façon ou d'une autre la chahada " Il n'y a de Dieu qu'Allah, et
Mohamed est son Envoyé", il est sur le point d'être 'en lieu et place de l'autre' et de devenir
'maître de la Jouissance', tous ses rivaux ayant été éliminés non seulement dans le présent par la
force, mais aussi dans l'avenir par cette doctrine affirmant qu'il est lui-même le Sceau de la
Prophétie. Ainsi sera-t-il le premier de toute éternité, ayant précédé tous les humains dans le lieu
de l'Autre, c'est-à-dire Allah. Le grand problème qui continue jusqu'à nos jours, c'est que ceux qui
s'identifient à ce prophète par la dévotion courent en quelque sorte le risque de mégalomanie par
identification, même et surtout s'ils répètent toute la journée qu’ils ne sont que des esclaves
d'Allah.
Cette question du rapport entre soumission et démission est centrale. 206Un grand spécialiste
de la non-violence, Jean-Marie Muller, voir son Dictionnaire de la non-violence aux Editions du
Relié, 2005 fait remarquer que les dictatures, pour étendre la sphère de leur autoritarisme, ont
besoin de la collaboration du peuple se manifestant en pratique par une soumission. À ce
moment-là, celle-ci mène juste vers le contraire de la pacification escomptée, c'est-à-dire vers
encore plus de violence.
Prenons le temps pour finir de citer ce que Youssef a écrit à la conclusion de l'épilogue de son
livre :
« Si la foi est par définition ce qui échappe à l'obligation du discours de la raison, si le
processus du désir est Révélation et irruption du Réel, alors aller à la rencontre de Dieu
176
ne serait point un chemin balisé par des recettes du paradis et les modes d'emploi de
l'interprétation ; alors celui qui a la foi serait vraiment exposé, désemparé, en recherche,
livré aux doutes et au non-savoir, et il serait confiant, malgré cela, mais peut-être et
même certainement à cause de cela. »207
Cette déclaration d'intention finale paraît assez mystique à première vue. Cependant, est-ce
qu'il n'y a pas derrière l'irruption de ce qu'elle appelle du beau nom de foi une soumission
masochiste chronique à un système oppresseur, une capitulation déguisée devant une idéologie
qui prend en otage? Ne s'agirait-il pas alors d'une sorte de syndrome de Stockholm [quand l'otage
se met précisément à aimer son ravisseur] enkysté à long terme au fond du psychisme ? Si
Youssef souhaite moderniser les conservateurs musulmans francophones par de la psychologie,
c'est bien. Si par contre elle se sert de la psychanalyse comme d'une couverture en vue d'un
prosélytisme discret et de l'enseignement du catéchisme coranique, on a le droit d'avoir des
objections. La psychanalyse vaut mieux que cela. Je ne connais pas personnellement Olfa
Youssef mais si elle lis un jour ce texte, je lui souhaite de bien saisir les points qui sont évoqués
ici et que ceux-ci l'aident à se réveiller de ce qui semble bien être sa somnolence pieuse, et qu’elle
puisse si ce n’est intégrer, au moins discuter ces remarques dans un prochain ouvrage..
Croyance, terreur et psychose infantile
La psychose infantile repose sur la peur du morcellement du corps, de son explosion et
finalement de son annihilation. Elle est ressentie intensément, et donne lieu à une anxiété diffuse
chez le sujet ordinaire. Cette émotion peut se développer et prendre des proportions invalidantes
chez le psychotique, et, dans certains cas, chez le croyant sincère. Une source importante de la
peur fondamentale est la violence du père, projetée par le croyant sur la représentation qu’il se
fait de Dieu. Dans la psychologie familiale habituelle, c’est le désir du petit enfant pour la mère
qui déclenche les réactions du père. Dans la psychologie de la croyance monothéiste, cela a été
l’adoration de différentes Mères divines qui ont attiré les foudres du Tout-puissant par
l’intermédiaire des prêtres et prophètes depuis le début. On voit la symétrie des schémas
oedipiens de base. Le « péché » capital est donc d’avoir osé désirer la tendresse de la mère, et de
ne pas avoir voulu suivre aveuglément le Dieu des armées, ce « mâle absolu », jaloux et agressif
qui est l’entité centrale du monothéisme de base.
Ces angoisses peuvent sembler comiques vues de l’extérieur, mais elles sont en fait ressenties
comme « cosmiques » par ceux qui en souffrent. Elles travaillent puissamment le subconscient du
croyant monothéiste de base et le déstabilisent de façon chronique. Pour sortir de ces mécanismes
régressifs, il faudrait réintroduire une forme féminine de la divinité, c’est ce qu’a tenté le
catholicisme timidement avec la Vierge Marie au Moyen-âge, et c’est ce qu’a rapidement
abandonné le Protestantisme à la Renaissance. Le « Mâle absolu » a la peau plus dure qu’on ne
pense. La solution de fond à long terme sera sans doute de s’extraire du monothéisme lui-même,
mais les intellectuels restent dans l’ensemble timides et mous dans leur conceptualisation d’un
après-monothéisme. Pourtant, il est mieux de pouvoir penser l’avenir, afin déjà qu’il ne nous
prenne pas pas surprise.
Cette angoisse psychotique d’annihilation entretenue de façon à la fois « professionnelle » et
perverse par les prêcheurs, fait le lit non seulement des actes de terrorisme isolés, mais aussi de
l’idéologie de la guerre sainte d’agression, et de la peur sociale que fait régner de force un
moralisme fondamentaliste et obsessionnel. Personne n’est mauvais en soi, mais certaines
177
idéologies ou croyances posent de sérieux problèmes dans leur fonctionnement, et il est bon de
les identifier clairement : dans ce domaine, le plus tôt sera le mieux.
Pour sortir de la logique folle de la paranoïa, il faut être capable de la voir, ne serait-ce que le
temps d’un éclair, du dehors et non du dedans, on pourrait dire aussi du dessus et non du dessous.
C’est précisément ce que les braves croyants ont beaucoup de mal à faire, on doit dire pour leur
défense qu’il ne sont guère encouragés à cela par leurs clergés respectifs. Ainsi, ils ne
développent que peu d’immunité contre ce virus qu’est la paranoïa religieuse.
178
CH 6
LA QUESTION DE LA LOI AU CENTRE DE LA
PARANOÏA
"Donner autorité à la loi divine seule
et supprimer les lois créées par les hommes."
Telle est, selon les islamistes, la seule voie
pour éviter la "barbarie" moderne...208
Ce texte est cité par Jean-François Schlegel, et il lui a donné en fait l'idée du titre de son livre
sur l'intégrisme dans les religions abrahamiques, La loi de Dieu contre la liberté des hommes.
Remplacer la loi du père par la sienne propre
Dans la biographie des patients paranoïaques, soit le père est complètement absent, soit il est
vécu comme inexistant. L'enfant apprend donc à déterminer sa propre loi. Cela le met en conflit
avec la société. Par exemple, Hitler a très peu connu son père, mais avait avez un lien fort avec sa
mère : quand celle-ci est décédée assez tôt, il a soupçonné un médecin juif qui s'occupait d'elle de
l'avoir tuée. Récemment, les historiens ont mis en évidence209 le fait qu’en 1931, piégé dans une
relation incestueuse avec sa nièce Gil qui risquait de mettre en péril ses perspectives électorales,
Hitler l’a très probablement assassinée d’un coup de revolver : une manière simple de faire sa
propre loi…Le paranoïaque a en général une forte ambivalence vis-à-vis du père, à la fois aimé
et haï. On peut dire que la tradition "révélée à nos pères" tient la place symbolique de celui-ci
chez l'intégriste : officiellement, il aime cet héritage du passé de façon fusionnelle, mais il en
déteste ses variations, même minimes, par rapport à l'image idéalisée qu'il s'en fait. Il n'accepte en
fait pas son ambiguïté. On pourrait dire que le fondamentaliste, de par sa violence et sa fausse
idée de la tradition, va de père en pire... Il s’identifie à Mahomet, or un des noms de celui-ci est
al-yatîm, l’orphelin, car il a perdu dit-on père et mère quand il était encore tout jeune. Il a refusé
aussi d’être père adoptif ordinaire, n’était-ce pas parce qu’il avait l’ambition d’être un père
d’exception, celui de toute la tribu, c’est-à-dire celui qui impose sa loi telle qu’il l’a entendue de
ses voix et rejette celle de ses pères polythéistes ?
179
Il y a régulièrement entre les parents du paranoïaque de forts conflits dont il est le témoin.
Après, il essaie de se restructurer par un surinvestissement formel des règles, des contrats, des
lois : en fait, il a, comme ont en général les enfants de parents qui se disputent, une forte
culpabilité mal identifiée mais omniprésente, ce qui débouche sur des traits obsessionnels et
dépressifs et par réaction, une paranoïa pour essayer de sortir de ce genre de problèmes par de
l'agression. Est-ce que cette loi bien connue de psychologie ne pourrait pas jouer un rôle au
niveau de toute une culture, à partir de l'archétype de Mahomet qui a détruit toutes les mères
divine d'Arabie, en particulier celle qui semblait être par son nom l'épouse naturelle d'Allah,
Allât ? Cette agression ne tient-elle pas le rôle d'une 'scène primitive' on ne peut plus violente,
puisqu'en guise d'amour, un des deux membres du couple, ou son représentant, supprime
purement et simplement l'autre ? A ce moment-là, le surinvestissement de règles largement
tribales et conventionnelles qui ont été rassemblées dans la charia pourrait correspondre à une
tentative finalement assez caractéristique des musulmans de réparer, ou au moins de limiter les
dégâts, en l’occurrence la mutilation psychique du traumatisme initial ? Celui-ci n'a pas été des
moindres puisqu'il a consisté en la mise à mort officielle de la mère, symbole de l’origine, par le
père. Comme le dit le psychanalyste Daniel Sibony dans une réflexion à méditer profondément
dans le cas de l’islamisme – si on identifie l’origine de celui-ci dans la destruction de la Mère
divine: « L’origine de la haine, c’est la haine de l’origine ».
Le monde musulman comme l'Inde a une bien plus grande densité de relations familiales que
l'Occident. Cela peut favoriser des réactions de paranoïa, car on attribue tous ses problèmes
intérieurs à des agressions de l'entourage. Cependant, en Inde, la paranoïa est plus sensitive, par
contre, dans le pays arabe où j'ai exercé comme thérapeute, j'ai l'impression qu'elle était plus
sthénique, cette observation semble reliée à la culture religieuse, et aux représentations
métaphysiques, purement mâles dans l'islam, alors quelles sont à la fois masculines et féminines
en Inde.
Le père est relié dans le psychisme à la loi, et en islam, la charia est plutôt complexe.
Théoriquement, elle est présentée par les intégristes comme monolithique, mais en fait il s'agit
d'un labyrinthe, pour ne pas dire une fatras de fatwas souvent contradictoires, qu'en réalité
pratiquement personne ne peut suivre complètement, comme nous l'avons déjà fait remarquer.
Cela favorise donc une culpabilité de base, sur laquelle les mollahs jouent bien sûr pour assurer
leur emprise sur l'esprit des gens. Il y a une sorte de double lien, on doit suivre complètement et
sans duplicité des lois qui sont incomplètes et contradictoires selon les écoles. Du point de vue de
la psychiatrie, tout ceci a l'art de favoriser une frustration profonde, et si elle est intense et
prolongée, une dissociation psychotique. Le sujet ressent au fond de lui-même un rejet de ce
"corps étranger" que sont les règles de l'islam en général. Comme par ailleurs ce refus est
sévèrement réprimé par la société, et même éventuellement puni de mort dès cette vie et d'enfer
dans l'autre, le sentiment est fortement refoulé et mène à des obsessions d'autopunition, voire à
des délire masochiste. Pour faire bref, dans le cas d'Aimée A. nous parlerons de désir
pathologique d'autopunition comme cela survient dans beaucoup d'autres délires puerpéraux
(c'est-à-dire qui viennent juste après ou dans les semaines suivant l'accouchement, ce qui a été le
cas d’Aimée) : il s'agit d'une réaction disproportionnée de la jeune mère à une phase
psychologique en fait normale juste après l'accouchement. Malgré tous les cris de joie de la
famille autour, il y a toute une partie de la maman qui n'est pas encore attachée à son enfant. Elle
le voit comme une tumeur dont elle s'est débarrassée, dont elle a "guéri" par l'accouchement, et
au fond en est bien contente, cependant, cela ne va pas sans une culpabilité intense. Toute cette
mécanique psychique de l'autopunition est très peu perçue par les patients, elle est donc projetée
massivement à l'extérieur, et ceux de deux façons :
180
- les autres me punissent, et c'est l'aspect de victimisation et de persécution.
- je dois punir les autres, et c'est l'aspect de mégalomanie agressive.
Cette dernière peut être éminemment sthénique : prenons par exemple les attentats de juillet
2006 à Bombay. Il est intéressant de noter que les explosions ont eu lieu toutes les sept dans des
compartiments de première classe : l'idée sous-jacente est typique liée à la revendication
paranoïaque : « Nous allons punir les "riches" qui payent 0,15 € leurs billets de banlieue à la
place de 0,10 pour les secondes classes, nous sommes les justiciers dont les pauvres avaient
besoin car ils ne savent pas se défendre eux-mêmes, nous sommes des Robins des bois modernes,
voulant la lutte des classes comme nos camarades de la Révolution marxistes, l'islam est fraternel
et égalitaire,etc… » : facture de ce "délire de fraternité" : en une seule journée: plus de 250 morts
et 700 blessés.
"Ma loi civilisée contre leur loi de la jungle"
Le paranoïaque se sent pur, muni d'une vraie loi, alors que la justice de l'extérieur ne représente
à ses yeux que des coutumes sauvages et barbares, en un mot une loi de la jungle. En général, il
cherche malgré tout d'abord à l'utiliser pour rétablir son droit dans la société, mais il en arrive vite
à être rejeté et se réfugie alors dans sa propre loi, d’où risque important de passage à l’acte
criminel. Un des grands maîtres du début de la psychiatrie en France, Magnan, disait que le
paranoïaque souffrait "du souvenir obsédant d'une injustice subie". N’est-ce pas une remarque
perturbante pour ces religions qui se présentent comme étant nées dans une forme ou une autre de
persécution ? Il faut remarquer d'emblée que tous les contestataires ne sont pas paranoïaques,
cependant, la grande majorité des paranoïaques sont contestataires. Il ne s'agit bien sûr pas de
rejeter tout individu asocial en lui collant l'étiquette de paranoïa, voire de "dégénéré" à la manière
du XIXe siècle. Il faut se méfier de la tentation qui mène à ressentir que le "parano", c'est
toujours l'autre. Il ne faut pas oublier que le paranoïaque est très souvent "mal dans sa peau" au
sens propre du terme, il souffre d'un délire hypocondriaque; ce malaise dans l'intimité physique
est vécu comme une véritable "trahison " intérieure et elle est projetée rapidement et
massivement, avec une naïveté plutôt affligeante, sur un persécuteur qui n'y peut mais, et est
pourtant considérée comme traître également. Certains islamistes occidentaux essaient de justifier
la loi typiquement anti-éthique exigeant la mise à mort de ceux qui se ‘déconvertissent’ de l’islam
en la comparant à un crime de haute trahison. Ceci ne fait que confirmer malheureusement pour
eux le diagnostic du mal dont il souffre : une paranoïa grave et chronicisée sous le déguisement
de principes juridiques et religieux.
On doit comprendre que le malade garde des liens souvent passionnels avec autrui : "Son
délire a une vocation verbale : il veut convaincre, agir ou faire agir, il tend vers un but, ce qui le
distingue encore du schizophrène." Si les paranoïaques isolés viennent rarement consulter à titre
individuel chez le psychiatre, ceux qui sont entraînés dans une paranoïa collective s'y rendront
encore moins, car ils se sentiront encore plus normaux par le fait d'être fondus dans la masse,
aussi violente soit-elle. Pourtant, ils en auraient bien besoin, ne serait-ce que pour parvenir à
prendre une distance par rapport à la grégarité morbide qui les domine, on pourrait presque dire
qui les possède.
Les facteurs de gravité de la paranoïa sont :
- La personnalisation du persécuteur, le patient se mettra alors naturellement à le persécuter en
retour, voir à l'assassiner.
- La dissimulation qui empêche de prévoir de l'extérieur un passage à l'acte (Falret). On ne peut
s'empêcher de faire un rapprochement avec la taqiya, la dissimulation présentée comme une vertu
181
par le chiisme, sous prétexte de se protéger des persécutions sunnites. Mais s’agit-il seulement de
cela? N’est-ce pas surtout un prétexte pour laisser le temps au délire religieux de mûrir sans
risque de confrontation à l'extérieur ? En effet, cette dernière pourrait probablement induire un
retour au réel.
Un chef de psychiatrie de Paris, Bantman a écrit sa thèse ainsi qu'un mémoire spécifique sur
le sujet Le paranoïaque et de la loi. Voici ce qu'il en dit :
"Le mot ‘justice’ se trouve confisqué par ces sujets. Le paranoïaque s'identifie à la loi. C'est la
‘vrai loi’ dont il est l'instrument et qu’il doit l'énoncer. Il en appelle à la loi qu'il incarne contre la
fausse loi (usurpatrice) qui gouverne le monde". Sa nature est légitime, inspirée par la Nature, les
Dieux, la France,... Sa légitimité habituellement se réclame d'une idée supérieure au droit établi.
Elle lui est fournie par une instance supérieure "qui lui a directement parlé et que personne ne
pourra interroger". Son discours est celui de "l'ordre purificateur". Il promet la grandeur, la pureté,
l'exigence, le culte du héros, la rigueur de l'obéissance."
On retrouve ici en fait l’inspiration de base du prophétisme, ainsi qu’une idée chère à Olivier
Roy et Faizad Devji à propos du néofondamentalisme musulman: il n'y est plus question de loi
collective ou étatique, le jihâd devient le devoir individuel de chaque musulman, il suffit pour
qu'il la déclenche qu'il soit inspiré par une voix divine. Nous arrivons très près de la notion de
psychose hallucinatoire ou de paranoïa, ainsi que de chaos social. C’est à cause de ce risque
aussi que le judaïsme, à partir de l’époque du Christ à peu près, à rejeté le système du
Prophétisme, et en fait le christianisme et l’islam l’ont fait également de facto en déclarant que
leur révélation était définitive.
Racamier, dans une étude psychanalytique210, décrit le délire paranoïaque comme le besoin
que ressent le malade d'organiser une relation d'objet où tout est logique, codé, structuré dans un
sens défini, où rien n'est laissé au hasard:
"Une forteresse de méfiance, de logique et de rationalisme, lui permet de se protéger constamment
de tout contact avec la vie de son inconscient et celle d'autrui. C'est dans ce monde impersonnel de
la légalité qu'il est chez lui, ses conflits internes, il les porte invariablement sur le plan de la
légalité sociale, c'est pourquoi ses objets ont toujours une positon sociale bien définie"
Le problème, c'est que le grand public reconnaît facilement l'aliénation du schizophrène, mais
a souvent du mal à discerner la logique délirante derrière la folie raisonnante du paranoïaque. Il
se laisse piéger, comme nous l'avons dit, dans le labyrinthe des rationalisations secondaires et
peut y être "converti" et glisser dans un délire à deux ou en groupe. Les grands criminels, même
ceux qui ne sont pas pathologiques, "n'ont pas le sentiment d'avoir violé le droit, mais ils l'ont
monopolisé à leur profit", affirme le Dr A. Hesnard, l’un des fondateurs de la psychanalyse
française. Dans ce sens, la référence à Dieu pour légitimer sa propre violence est une solution
commode, facile, pour ne pas dire de facilité.
À mon sens, on ne peut parler de crime "normal", car dans celui-ci, il y a de toute façon un
travail mental même fruste, et le plus souvent long et élaboré, avant le passage à l'acte pour le
justifier et légitimer : étant donné les résultats désastreux auxquels il aboutit, ce "travail" en soi
mérite le nom de paranoïa. Celle-ci est décrite comme s'enfonçant en coin dans la réalité, et c'est
le cas du crime pathologique. La psychose déborde dans d'autres secteurs que le passage à l'acte,
ce qui permet de reconnaître l'aliénation mentale. La paranoïa du criminel "normal", au contraire,
est en fait juste limitée au crime lui-même, elle s'enfonce comme une lame de couteau dans la
182
réalité - si je peux me permettre cette image plutôt sinistre. On peut manquer de l'identifier car
elle concerne un secteur extrêmement réduit, mais elle reste malgré tout une paranoïa.
Le bon sens psychologique fait percevoir que si quelqu'un en arrive au crime, c'est de toute
façon que quelque chose "ne tourne pas rond" dans sa tête ; cela ne veut pas dire que l'explication
psychodynamique sera une excuse morale ou une déresponsabilisation légale, mais elle est quand
même là : il s’agit d’une psychose temporaire et en coin dans un domaine très étroit. Plus qu'une
"psychose en secteur", on pourrait la surnommer une "psychose en lame de couteau". Ces
réflexions sont importantes pour pouvoir justifier l'extension faite dans ce livre de la notion de
paranoïa à des intégristes religieux qui n'ont pas (encore) effectué de passage à l'acte grave mais
qui y pensent tout en paraissant aussi avoir une vie relativement tranquille : un coin enfoncé dans
le bois de la façade sociale la fera certainement craquer, alors qu'une simple lame de couteau peut
la laisser apparemment intacte.
L'observateur extérieur est étonné que les recrues terroristes aient souvent mené une vie très
peu islamique avant leur passage à l'acte, buvant ou forniquant à loisir ; mais ceci s'explique
clairement quand on comprend que la paranoïa représente fondamentalement un délire
d'autopunition, parfaitement illustré par le fait que le sujet tue tout en se suicidant. Le terroriste
expie ainsi justement la culpabilité de son existence antérieure, avant la conversion. L'objet de
l'agression du paranoïaque peut être celui d'un désir amoureux ou encore celui d'une jalousie
intense : nous avons vu que les nombreuses attaques des terroristes contre des touristes relèvent
de ce mécanisme, car les couples de jeunes en vacances sont eux-mêmes heureux de vivre et
représentent des symboles de réussite matérielle, affective, et pourquoi ne pas le dire, sexuelle.
De manière générale, le paranoïaque criminel s'arrange en fait, poussé par son inconscient, pour
se faire prendre et punir ; dans le cas du terroriste, comme nous l'avons fait remarquer, il s'inflige
la punition lui-même au moment exact de son crime et grâce au système de l'attentat-suicide : la
boucle de la pathologie se ferme ainsi impitoyablement sur elle-même. Ajoutons que les
nouveaux convertis sont souvent "plus royalistes que le roi". La honte de leur vie précédente,
dissolue, les pousse à surcompenser par une psychorigidité qui tourne facilement à la paranoïa.
Ils sont alors aisément recrutés par les groupes prosélytes et fondamentalistes. Leur culpabilité
peut aisément les faire basculer dans la violence.
Mélanie Klein affirme : "Nous pouvons poser que ce sont la sévérité excessive et la cruauté
écrasante du surmoi et non pas sa faiblesse ou son absence qui sont responsables de la conduite
des personnes asociales ou criminelles."211 C'est dans cette nouvelle réalité où le paranoïaque
s'impose une figure "terrifiante, obscure, surmoïque " de la conscience de soi qu'il faut essayer
de repérer le sens du passage à l'acte. Du point de vue religieux, ce surmoi terrifiant et obscur
pourra correspondre à une image forte du Dieu de la guerre, vengeur, une entité entre Jéovah et
Moloch, et en fait responsable de l’accomplissement du passage à l’acte criminel, fanatique ou
terroriste. Pour en revenir à Mélanie Klein, ce surmoi féroce et archaïque se développe dans la
première année de la vie. Il est relié d'abord au stade sadique-anal. Il se transmet de génération en
génération, et après la petite enfance se transmet principalement par un apprentissage pur et dur
de la loi – donc de la charia dans les milieux islamistes radicaux.
Dide affirme plutôt lucidement dans son livre sur les idéalistes passionnés : " Les idéalistes de
la justice sont capables de torturer l'humanité entière pour permettre à la justice de régner sans
conteste, fût-ce dans un désert." "..." Les 'magnicides' (tyrannicides ou iconoclastes) entendent
briser une idole qu'ils estiment néfaste pour préparer par un geste brutal et violent l'avènement le
plus juste" Ils présentent une "hyperpersonnalisation " où l'altruisme n'est qu'une apparence, une
illusion, ce sont des revendicateurs pseudo-altruistes. Ils poursuivent leur magnificence
personnelle sous l'allure de bienfaiteurs de l'humanité"212.
183
Le paranoïaque a une tendance innée à la victimisation sacralisante. Par exemple un patient
d'origine chrétienne qui avait des problèmes au bureau expliquait: "Ils me traitaient de montagne
parce que je ne bougeais pas. Ils me traitaient de Christ parce que je ne bougeais pas. Je suis resté
des années sans répondre"213 Henri Ey, un des maîtres de la psychiatrie française dans les années
60, explique que l'aventure du paranoïaque se déroule comme un roman. Il n'est pas interdit de
rapprocher cela de la vie mouvementée de certains chefs religieux; même si les historiens
peuvent être d’avis qu’elle n’a existé que dans l'imagination de certains groupes. Tous les
romans ne sont pas d'amour, certains représentent plutôt le développement d’une paranoïa. Le
patient atteint de cette maladie est intensément narcissique et en ce sens, ne supporte pas qu'on le
trompe : y aurait-il un rapport avec ces chefs religieux qui se voient perpétuellement entourés de
fraudeurs et d’hypocrites, qui exigent une fidélité absolue, et avec des peines d'enfer éternelles à
la clé pour ceux qui oseraient ne pas se soumettre à leur désir ?
Le mot grec ekhthros désigne "celui du dehors" : le paranoïaque a fait sa fixation sur cette
intuition primaire, selon laquelle celui du dehors est nécessairement l'ennemi. Nous sommes à la
base du sectarisme, du clanisme et du tribalisme. Dans ce sens, le paranoïaque ne peut que
soupçonner, et il devient au bout du compte intimement convaincu que tous ceux qui ne sont pas
pour lui sont contre lui. S'il est si passionné pour démontrer la suprématie de ses croyances et en
convaincre, voire y convertir les autres, c'est qu'au fond il en doute. Il vaut mieux bien
comprendre ce mécanisme compensatoire fondamental quand on s'intéresse à la psychologie
religieuse.
J'ai été favorablement impressionné et intéressé par l'exemple de ce délirant paranoïaque qui a
eu sa conviction ébranlée quand il a été consulté une voyante et qu'elle lui a fait comprendre
gentiment après avoir écouté son délire : "Des gens comme vous, j’en ai vu beaucoup...." Il a
réalisé qu'il n'était pas unique et ceci a crevé la bulle de son ego hypertrophié. Un certain nombre
de fondateurs de mouvements religieux violents ne pourraient-ils pas bénéficier de cette thérapie
"bien vue " de Madame la voyante? Par ailleurs, le paranoïaque a besoin de persécuteurs, de
résistances pour se prouver à lui-même sa toute-puissance: de même, une masse a besoin de
support, d'une enclume par exemple pour pouvoir écraser quelques chose; par contre, si on
essayait de s’en servir pendant qu'elle tombait en chute libre, elle ne pourrait rien détruire.
Une observation fréquente en psychiatrie, c'est que l'excitation croissante du délire tombe dès
que l'acte psychotique, par exemple un crime, est accompli. Dans ce sens, on pourrait établir une
analogie, qui paraîtra peut-être sacrilège à certains mais qui a pourtant du sens, entre cette
dynamique passionnelle et la sexualité. Les préludes permettent d'éveiller ainsi que de concentrer
l'énergie et l'orgasme lui-même correspond à une petite mort où l'objet comme le sujet sont
anéantis dans l'unité éphémère de la jouissance. Malheureusement, dans de notre cas, l'objet est
physiquement détruit, et le sujet meurt aussi socialement. Il se destine en un seul passage l'acte à
dix, vingt ans ou plus d’asile psychiatrique ou de prison. Punir l'autre permet de se punir soimême, double soulagement, double jouissance, mais aussi double souffrance. Cette loi
psychologique joue bien sûr au maximum pour les terroristes kamikazes.
La psychose paranoïaque est une psychose de l'âge mûr, d'autant plus difficile à soigner
qu'elle est édifiée à partir d'une personnalité fixée souvent depuis l'enfance. On pourrait ajouter
que comme ce sont certains enseignements religieux qui véhiculent fréquemment depuis de
nombreuses générations des traits paranoïaques, il faut donc prendre en compte le facteur
transgénérationnel. Mon devoir en tant que spécialiste de la santé mentale est de rappeler à la
société de ne pas se laisser impressionner par la distance théorique entre des convictions
inébranlables qui représenteraient d'un côté le moteur et le centre de la paranoïa, et de l'autre une
184
'foi sincère' du fondamentaliste: ces deux aspects peuvent en fait souvent être dangereusement
proches.
Un psychiatre qui s'est penché sur la question du rapport entre l'orgueil et la paranoïa explique
:"Le patient ne peut saisir l'autre en tant qu'Autre, en tant que sujet désirant, il se protège
hermétiquement contre toute irruption dans son monde du désir de l'Autre."214
Vouloir imposer la charia au monde : prosélytisme ou paranoïa ?
A travers les différentes religions, celle qui s'identifie le plus à la loi et à l'Etat, c'est l'islam.
C'est un fait de base avec lequel il faut compter. Assez tôt dans son histoire, en Syrie au VIIe
siècle, l’islam a imposé sa loi aux autres communautés religieuses en instituant le statut des
dhimmis, c'est-à-dire celui des juifs et des chrétiens vivant en terre d'islam. La première question
de bon sens qui se pose, c'est pourquoi ces minorités auraient-elles eu besoin de protection, et
contre qui, si ce n'est contre la majorité musulmane ? Le système consistait en fait en une sorte de
servage, on pourrait dire en terme plus moderne d'apartheid, ou une forme ancienne de racisme
légalisé de façon minutieuse, voire obsessionnelle. Du point de vue de la psychologie, nous avons
souvent vu que vouloir imposer sa propre loi aux autres pouvait être lié à la paranoïa, et
l'imposition du statut de dhimmi semble bien cadrer avec ce cas de figure. Pour une étude critique
du phénomène, on pourra se référer au livre de Bat Yeor215. La première édition de ce livre a eu
une préface du Pr Jacques Ellul, enseignant d'histoire des institutions à l'Université de Bordeaux
et auteur d'une cinquantaine d'ouvrages. D'un autre point de vue, on peut aussi discerner dans ce
système des dhimmis un réalisme financier, bien qu’au fond non éthique : par les lourdes taxes
auxquelles ils étaient assujettis, ils permettaient de faire tourner l'économie, en particulier celle de
ces nouvelles guerres de conquête et d’agression qu’on désignait par euphémisme comme
‘saintes’. C'est pour cela que le principal débat de l'islam à propos de ces dhimmis n'était guère
philanthropique et n’avait pas grand chose à voir avec la tolérance, il se déroulait plutôt entre
deux partis : d'un côté les zélotes idéalistes qui voulaient les convertir de force et par principe
quoi qu'il arrive, et d'un autre les vizirs et les généraux réalistes qui voulaient au contraire qu'ils
restent dhimmis car ils avaient besoin de leurs l'impôts pour alimenter les caisses de l’état et
fournir continûment cet argent qui est le nerf de la guerre. Si on voulait résumer l’esprit du
système de la dhimmitude, on pourrait redire qu’il s’agit de la forme islamique de l’apartheid.
Freud a affirmé "le père mort devient Dieu Tout-puissant" : les intégristes, en attribuant la
toute puissance de la charia à ce "père mort" représenté par Mahomet, légitiment leur propre désir
de toute puissance. par leur identification à lui conséquence d’une dévotion intense Selon Henri
Ey, la paranoïa a deux faces, l’une sévère et l’autre tendre. Dans le cas de l'islamiste, la première
consiste en l'application de la charia, y compris avec ses mutilations corporelles et la peine de
mort. La seconde est l'appel à la conversion souvent baigné par des larmes de crocodiles coulant
à flot, et assorti des promesses de fusion éternelle avec la Oumma-Maman, on pourrait même dire
en un jeu de mot qui est plus profond qu’il ne le semble, la Oumma-Mamma. Ici, il faut se
souvenir qu'une certaine tendresse apparente qui appelle à la "réconciliation" vise en réalité à la
soumission du reste de l’humanité à une idéologie absolutiste. Par ailleurs, on peut
raisonnablement considérer que la charia vise à maintenir perpétuellement les sociétés en état
d'enfance, et en plus que ce fait sous un déguisement de sagesse et de vertu.
Claude Olivenstein, dans son livre l'Homme parano216, a essayé de serrer au plus près la réalité
psychique de ce genre de patient. Il explique en particulier : « Le paranoïaque voit son existence
sur le mode de la guerre civile psychique ou sociale. » L'analogie avec les islamistes est
185
incontournable : même en supposant qu'ils réussissent à imposer l'islam par une première guerre
civile, ils en lanceront inévitablement une seconde entre chiites et sunnites. La vraie raison pour
cet enchaînement qui semble perpétuel ? C'est qu'ils ont déjà la guerre civile inscrite dans leur
cerveau – tout simplement. Le shiisme dénie même de façon plutôt radicale l'autorité des trois
premiers califes, Aboû Bakr, Omar et Othmân, sans compter bien sûr celle des Ommeyades et
des Abassides : dès le début de la division, de la fission, fitna, shiites et sunnites se sont occupé à
délégitimer l'existence les uns des autres. Chacun affirmait que seul son autorité, sa loi étaient
valables : cette fitna donc n'a-t-elle pas affligé la religion d’une sorte de paranoïa
constitutionnelle, héréditaire? De leur côté, nous l’avons vu, les sunnites ont répandu la rumeur
que la secte des shiites a été initiée par un juif yéménite mal converti à l'islam, et donc dès le
départ "empoisonné" par "l'impureté" qui s'est ensuite étendue à 100 millions de personnes. On
sait que les délires d'empoisonnement et d'extension en tache d'huile sont reliés à de la paranoïa.
On peut dire qu'il y a eu de persécutions réelles des shiites par les sunnites, ainsi que des
druzes par les autres groupes majoritaires de l'islam, et sans doute par les chrétiens. À ce
moment-là, on pourrait interpréter la tendance à la paranoïa de ce groupe particulier du Liban
comme un trouble post-traumatique contenant un mélange intime de réalité et de délire. À témoin
ces recommandations dans le catéchisme des druzes.
"Attention ! Attention ! Attention de ne pas tomber dans l'erreur qui consiste à ce que
quelqu'un d'autre que vous comprenne votre religion. Soyez très attentif à ce que personne de
polythéiste ne comprenne votre religion, et si quelqu'un le fait, liquidez-le. Et si vous ne pouvez le
liquider, donnez son nom aux autres et garder-le présent à l'esprit pour en tenir compte dans toutes
vos démarches. Quand on rencontre des gens d'autres confessions que la nôtre, on toussote pour
avertir"217.
Un détail intéressant du point de vue de la psychopathologie : il est évident que pour
l’histoire réelle, les druzes ont été persécutés uniquement par d’autres monothéistes, puisque tous
les polythéistes autour d’eux avaient été déjà soit liquidés physiquement soit convertis plus ou
moins de force depuis longtemps, mais comme ils baignent eux aussi dans cette culture du Dieu
unique où le méchant, l’ « autre », ne peut être que polythéiste, c’est à lui qu’ils attribuent tous
leurs maux, de façon donc déconnectée de la réalité et par conséquent délirante.
La condamnation à mort des apostats reste la clé de voûte de la charia, sa manière vaguement
légalisée de faire régner une terreur profondément anti-éthique : voici ce qu’en dit le Dictionnaire
du Coran « Dans les textes normatifs musulmans aussi, l'islam est indivisible, il n'y a pas que
celui ou celle qui renie l'islam en son intégralité qui est susceptible d’être qualifiée d'apostat ;
renier tel ou tel aspect de l'islam réputé essentiel à sa définition court aussi le risque d'être accusé
d'apostasie. Affirmer par exemple que le Coran.... n'a pas de vocation universelle, ou nier le
caractère obligatoire des cinq prières quotidiennes ou des aumônes charaïques sont des actes
d'apostasie... Dans la première rédaction de la charte des musulmans de France, la « liberté de
changer de religion » était affirmée. Certains groupes de pressions ont obtenu qu'elle ne figure
plus dans la rédaction finale de 2000. » 218
De nos jours, l'internet s'est mis à devenir un moyen privilégié de diffusion des fatwas. Voici
ce qu'en dit Marie-Anne Delcambre qui s'est penchée sur la question dans un livre tout récent :
"Les fatwas jouent un rôle essentiel dans l'incitation au terrorisme. Les croyants passent à l'acte la
conscience tranquille et meurent convaincu d'avoir fait un acte de piété et de pouvoir aller
directement au paradis."219 Il s'agit encore d'un moyen de chercher à imposer une loi finalement
très personnelle de l’imam x ou y au monde entier.
186
Quand on s'intéresse à l'évolution de l'islam sur l'internet, on voit qu'il y a deux tendances
bien différentes, celle des intégristes rigides, et celle de groupes soufis tellement libéraux qu'ils
n'ont plus guère qu'un rapport nominal avec l'islam. Ils recrutent et se répandent comme d'autres
groupes New Age.220 On peut certainement discerner là dedans une porte de sortie de la forme
politisée de la religion qui a fait tellement de dégâts, et continue à en faire. Ces groupes apportent
aux gens ce dont ils ont besoin, un développement spirituel, et s’abstiennent de leur proposer ce
dont au fond ils n’ont pas la nécessité, c’est-à-dire un embrigadement politico-religieux. Du point
de vue psychopathologique, on pourrait classer les sites Internet islamistes comme les sites
érotiques, en distinguant entre ceux qui sont soft ou hard : les sites soft se contentent d'exprimer
des plaintes plutôt dépressives sur les persécutions que le monde moderne fait subir aux
musulmans pieux et la décadence des anciennes coutumes, ils se limitent à des ruminations
obsessionnelles sur le licite et l'illicite pour un fidèle projeter non sans culpabilité dans la vie
moderne. Les sites hard montrent des corps mutilés, des décapitations d'otages en direct,
appellent franchement au nihilisme du jihâd global, ils répandent une paranoïa agressive et au
fond un message de mort. Dans les deux cas, il y a psychopathologie, mais dans le second, l'effet
sera sans doute plus pernicieux car cette dernière est masquée et protégée par un vêtement
religieux de moralité et d'autojustification. On peut supposer que les internautes tentés par ce
genre de sites ou même qui y développent une addiction naviguent du soft au hard selon leur état
de mal-être, et l'intensité de leur paranoïa intérieure du moment.
Il est naturel pour l'esprit humain de voir le Divin dans une forme, et d'y concentrer sa
dévotion. Comme l'islam en tant que monothéisme s'est arbitrairement privé de cette possibilité,
ce besoin est refoulé et la tendance à revenir de façon sauvage, c'est-à-dire que le besoin au fond
assez naturel d'idole ressort pas une quasi divinisation de la charia. C’est un mécanisme à bien
comprendre. Dans ce sens, comme le dit un penseur musulman, S.H.Nasr, "la charia est aussi
centrale à l'islam que la théologie l'est au christianisme". Il est connu que le retour du refoulé
induit de nombreuses pathologies. Même du point de vue du strict monothéisme de l'islam,
l'analogie même des mots charia et cherk (association, donc idolâtrie) devrait mettre la puce à
l'oreille des penseurs. Pour aller plus loin, nous pourrions dire qu’idéalisation et idolâtrie sont
proches, on voit cela par exemple quand il s’agit de conférer un statut divin à des coutumes en
fait tribales. La charia devient alors une sorte d’idole sadique qui inflige aux fidèles masochistes
une souffrance-jouissance plutôt forte, d'où le développement d'une addiction – aussi peu saine
soit-elle. Nous y reviendrons au chapitre 8. Si les musulmans classiques n'acceptent pas cet
argument psychopathologique, car ils ne connaissent que peu ce langage, ils pourront peut-être
être sensibles à la notion d'idolâtrie, qui est centrale dans leur pensée. Même si ce n'est que pour
une fraction de seconde, il se peut qu'ils entrevoient une contradiction profonde, une faille, une
fitna béante dans leurs conceptions même.
Quand on sait que Dieu et la Loi correspondent aux deux faces de la même pièce, on peut
revisiter la kalima, la profession de foi centrale de l’islam, « Il n’y a pas d’autres dieux que
Dieu » en la comprenant comme « il n’y a pas d’autres loi que notre Loi ». Et on retombe ainsi
instantanément dans l’ornière fondamentaliste habituelle, vouloir imposer la charia au monde
entier volens nolens. Plaçons-nous ne serait-ce que pour un moment dans la peau d’un
psychologue polythéiste. Il considérera tout de suite qu’il s’agit en fait du registre psychotique,
et vous expliquera que dans l’hôpital psychiatrique où il travaille, il entend ce genre de propos
chaque matin : « Il n’y a que moi qui ne soit pas fou, le reste du monde hallucine ». Pour être plus
précis, il établira sans doute une distinction entre le schizophrène qui a une tendance à dire : « Il
n’y a pas d’autre hallucination que mon Hallucination » et le paranoïaque qui affirmera plutôt :
« Il n’y a pas d’autre loi que ma Loi », il écrira d’ailleurs peut-être plutôt : « Il n’y a pas d’autre
187
loi que Ma loi ». En effet, il est connu que le paranoïaque ne fonde pas son délire sur des
hallucinations à proprement parler, mais sur un idée très personnelle, rigide et egocentrée de la
loi. Les lecteurs pourront être d’accord ou non avec ce type de rapprochement, mais s’ils savent
qu’il peut exister, ils feront déjà un grand progrès dans la compréhension du psychisme tel qu’il
fonctionne, au-delà des mythes fondateurs ou non.
On dit que la foi sauve, mais on parle aussi de doute salvateur. Il est sûr que certains croyants
convaincus et tendus auront tendance à réagir violemment à ce genre de mise en parallèle, mais
ils ne feront malgré eux qu’illustrer une des thèses centrales de cet ouvrage : le centre du sacré est
aussi le centre de la violence, et quand celle-ci se libère et déchaîne, nous ne sommes pas loin du
centre de la psychose. Sous-jacente à cette violence, il y aura aussi tout simplement la culpabilité
énorme mais refoulée d’avoir tué tant de monde pour une profession de foi qu’il est toujours
aussi simple de remettre en question, et même encore plus maintenant que la psychologie a
progressé, et que la science a ridiculisé de façon sans doute irréversible le mythe du Dieu
créateur. On peut critiquer ces analogies comme trop sévères, mais c'est le moment de rappeler la
règle d'or du sage Hillel à propos des rapports entre les êtres humains, et donc aussi entre les
communautés religieuses : "Ne fait part aux autres ce que tu ne veux pas qu'on te fasse à toimême." C'est le fondement d'une vie saine entre gens bien élevés. Le muezzin chante cinq fois
par jour à la cantonade un message qui pose problème, "Il n'y a pas d'autres dieux qu'Allah!" et
cela depuis quatorze siècles : l'islam, à force de répéter cela, et donc de fait d'affirmer que tous
les autres dieux sont des hallucinations, s'expose au risque qu'un jour dans un livre, quelle qu'un
lui réponde tout simplement, dans le silence de l’écrit qui favorise l’éveil de la conscience : "Et si
c'était votre Dieu unique qui était la création et le symptôme d'une paranoïa collective et
agressive ? Et si, en dehors de vos craintes-envies obsédantes, il n’y avait pas de dieu nommé
Allah ?"
Par ailleurs, il faut savoir que la passion du désir ne s'entretient que par son insatisfaction :
c'est pour cela que les néo fondamentalistes prennent soin de se fixer des but irréalisables – la
restauration du califat et sa domination sur toute la planète – pour en fait être sûr de pouvoir
continuer ad vitam aeternam à délirer "confortablement". Au fond, c'est la solution de facilité
mentale, même si elle les fait souffrir affectivement de façon chronique.
Tout ceci étant dit, il peut pourtant y avoir des problèmes dans la relation qu'entretient ce type
de personnalité paranoïaque avec la loi : "Si le parcours dans la loi (suivi scrupuleusement) ne
suffit pas ou plus, le patient risque l'effondrement, comme cela arrive au chômeur qui, après des
décennies de bons et loyaux services dans la même entreprise, se voit licencié."221 Lorsqu'un
musulman conservateur a consacré plusieurs dizaines années de sa vie à respecter
scrupuleusement la charia, et qu'il voit que cela l'a plutôt handicapé et mis de côté dans le monde
moderne, il se sent trahi par ce type de loi sociale, développe un ressentiment aussi profond que
diffus et peut bien réagir en basculant dans le fondamentalisme. C’est ce contre quoi réagissent
heureusement un certain nombre d’intellectuels : « Le 24 octobre 2004, 4000 intellectuels du
monde arabe adressèrent une lettre au secrétaire général de l’ONU, lui demandant la création
d’un tribunal international pour juger les théologiens qui émettent des fatwas légitimant le
meurtre de personnes ou de groupes au nom de l’islam de par le monde. »222
L'amour passion pour le pouvoir de la loi musulmane peut amener des gens même connus au
délire : à témoin l'imam Siraj Wahhaj, musulman des plus éminents aux États-Unis qui a déclaré
qu'on doit remplacer le gouvernement américain par le califat.223 La Toile sert en quelque sorte
de caisse de résonance à ce genre d’épidémie de mégalomanie et autres psychopathologies : "Sur
internet, on trouve une oumma, une communauté imaginaire. C'est pourquoi dans les forums de
discussion, l'injure, l'exclusion, la calomnie, la rumeur et la désinformation sont monnaie
188
courante. Cela produit une rupture avec le réel". Du point de vue psychologique, on peut parler
de déréalisation et de dissociation débutante de personnalité, ce qui débouche sur la schizoïdie.
De plus, avec environ 5000 sites terroristes sur le net, on peut considérer que le califat virtuel,
celui de la terreur d’Allah débridée, existe déjà.
Dans la conclusion de son étude, Marie-Anne Delcambre, bien que docteur en droit par
formation, éprouve le besoin de recourir à la psychiatrie, et ce en des termes forts : "Les analyses
classiques de l'islam sont devenus caduques. C'est bien de schizophrénie dont il faut parler... ".
Cependant, on peut discuter son opinion de deux façons, déjà de savoir s'il s'agit de l'islam ou de
l'islamisme, nous y reviendrons dans le chapitre 17 de ce livre, et faire remarquer qu'il s'agit en
fait plus de paranoïa que de schizophrénie. Si on invoque malgré tout celle-ci, il faut alors le
faire dans le sens étymologique large "d'esprit divisé", ce qui est en effet le cas pour les islamistes
écartelés entre le mythe d'une oumma passée ou future parfaite, et la réalité de leur misère
présente. Du point de vue séméiologique, comme les militants ont un sens de la réalité conservé
pour les choses concrètes, il ne s'agit pas de schizophrénie mais de délire en secteur, c'est-à-dire
de paranoïa, comme nous l'avons développé tout au long de ces pages.
Puisque nous parlons de psychiatrie, laissons la place pour le mot de la fin à un psychiatre
connu pour son travail avec les drogués au centre Marmottan de Paris, Claude Olievenstein, qui
'met les pieds dans le plat' dans son diagnostic en remettant en cause le monothéisme lui-même:
« Le plus intéressant est pourtant ailleurs : comment un homme se désigne Christ, Mahomet ou
Moïse et impose sa loi aux autres, ou en tous les cas aux faiseurs de légende qui les font tels ?
Peut-on dire que le monothéisme est la forme suprême de la paranoïa organisée, institutionnelle,
alors que le paganisme polythéiste est une forme de résistants joyeuse, parfois obscène, le
témoignage de la bonne santé des tribus ou des peuples ? La paranoïa se constitue quand l'Un
s'isole ou est isolé des autres. Peu importe au fond qu'il s'agisse de fiction ou de réalité, de mythe
ou de temps vécu intime, viscéral. 224… Malgré l'existence de croyants tolérants, les croisades, les
menaces d'extermination, les baptêmes forcés, les enlèvements d'enfants sont autant de
témoignages de la métamorphose de la foi en folie, avec toutes les caractéristiques de la conduite
paranoïaque. 225 »
Il faut se souvenir que le Pakistan est un État qui est fondé sur une idéologie islamiste déjà
dès le départ. Il n'a guère d'histoire de nation en tant que telle. On peut comprendre donc que
l'islamisme, et en particulier dans sa forme déterritorialisée comme al Qaida, prospère sur son
territoire. Que les musulmans aillent mal pouvaient, dans leur système de croyance, s'expliquer
par leur infidélité au Coran et à la tradition, mais comment expliquer le succès des chrétiens, et
maintenant, des hindous et de leur émergence économique et militaire, eux qui vivent dans
l'erreur et dans l'aveuglement essentiel ? On peut remarquer de toute façon un paradoxe à propos
de la charia. Si l’on pense par exemple à l’Égypte après l'occupation britannique : certes, le pays
avait perdu une indépendance nationale qu"il n'avait pas eu de toutes façons depuis longtemps à
cause des Ottomans, mais par contre, les lois sur les libertés individuelles se sont beaucoup
développées grâce à l'influence anglaise, ce que n’avait pas réussi à faire la charia.
J'ai parlé à une amie réalisatrice de films télévisés et journaliste qui a relu le manuscrit de
mon livre. Elle est d'origine algérienne avec un père arabe et une mère kabyle, mais a été élevée
en France, elle suit une voie spirituelle qui n'est pas celle de l'islam. Elle s’intéresse de près
l'actualité, c’est même une partie de son métier et insiste sur les points suivants importants à
comprendre, et ce en des termes forts : « Les intellectuels français, et même les politiciens, se
trompent lourdement dans leur rapport au monde arabe : ils croient qu'en faisant toutes sortent de
concessions, y compris sur les idées et les principes, et en appelant au « dialogue constructif », ils
189
vont calmer les conservateurs ou les intégristes ; mais ceux-ci vivent dans un autre monde
psychologique, et ils méprisent au fond ceux qu'ils perçoivent comme faibles et incapables de
leur mettre des limites. Cela crée un cercle vicieux, tout simplement parce que la stratégie de
départ est erronée. Par ailleurs, croire qu'il suffise de la sentimentalité de quelques poèmes
d'amour mystique pour enrayer la machine de guerre politico- religieuse du fondamentalisme,
c’est donner du chewing-gum à la rose pour occuper les enfants ! »
Quelle est la définition d'un otage ? C'est quelqu'un auquel ses ravisseurs disent : « Si tu oses
tenter de nous échapper, nous te tuons ! ». Si on pense à la loi de trois écoles juridiques sur quatre
de l'islam qui prévoit la peine de mort pour ceux qui veulent s'évader de cette religion par
l'apostasie, ne peut-on pas soutenir raisonnablement que l'islam est constitué d'1,400,000,000
d'otages ? Voilà une vraie question, et de taille.
J'ai beaucoup appris en lisant les livres d'Olivier Roy, en particulier son dernier de 2007, Le
croissant et le chaos, qui nous fait toucher du doigt la complexité géopolitique des conflits du
Moyen-Orient avec sa mosaïque d’ethnies et de sectes religieuses monothéistes, avec des
histoires de conflits très anciennes en général. Cela amène à penser que la guerre contre le
terrorisme doit en fait ne pas être globale, mais justement bien ciblée sur certains objectifs, car
d'autres problèmes qui ne sont guère reliés au jihâdisme méritent d'autres solutions. Cependant,
j'ai été attentif à l'emploi qu'il fait du terme de paranoïa, puisque c'est le sujet de mon livre. Il
l’emploie rarement, une fois à propos d'Ahmadinejad à propos de ces invectives et appelant à
détruire Israël. Il ne pouvait guère faire autrement, sinon il aurait été taxé d'antisémitisme. La
seule fois où il parle de paranoïa, immédiatement et sans beaucoup d'explications, c'est pour
disqualifier ceux qui en France pensent que l'immigration musulmane est un problème à court et
long terme. Par contre, les milliers de morts par mois qui surviennent actuellement dans le conflit
entre chiites et sunnites en Irak par exemple, ne lui semblent pas mériter le nom de paranoïa : il a
l'air de penser qu'il s'agit simplement d'une bonne vieille manière traditionnelle de s'expliquer.
Malgré une tentative d'oecuménisme par une fatwa de l'université El Azar du Caire en 1959
décrétant que le chiisme était la cinquième école juridique de l'islam, le rapport entre les groupes
a plutôt été en se dégradant depuis 20 ans. Attaques mutuelles de mosquée, purifications
ethniques amenant les groupes à séparer leurs territoires de plus en plus et mise à part quasi
complète de la pratique dans les mosquées. Il n'y a guère actuellement qu'en Azerbaïdjan, un petit
pays au nord de l'Iran, que les chiites et sunnites arrivent encore à prier dans les mêmes lieux de
culte. La sévérité du contrôle des dictatures nationalistes arabes ou islamistes ne semble pas aussi
mériter le nom de paranoïa. Le problème pour Roy semble dû uniquement à la faute des
gouvernements occidentaux parce qu'ils soutiennent les premiers, et bizarrement aussi parce
qu'ils s'opposent au second. Je pense qu'il est important d'envisager ces phénomènes de violence
collective en profondeur aussi sous l'angle de la psychopathologie, et de ne pas rester à un niveau
sociologique qui a tendance à être satisfait du niveau descriptif et à éviter les remises en question
profonde. En conclusion, on pourrait dire qu’arranger les lois pour que ceux qui ne pratiquent pas
la religion majoritaire soient considérés comme des citoyens de second ordre, voire des illégaux,
voilà qui est typique d’une mégalomanie déguisée sous les oripeaux d’une pseudo rationalité
éthique ou juridique.
L'affaire Rushdie ou des caricatures de Mohamed correspond-elle à un délire de
persécution mondialisé ?
L'affaire Rushdie est le premier exemple, à ma connaissance, d'un groupe donné qui cherche à
imposer à la planète entière sa loi, en l'occurrence la charia, et ce par une peine de mort, c'est-à190
dire par la terreur. L'épidémie de paranoïa devient mondiale, il s'agit d'une pandémie.
Heureusement, l'Occident ne s'est pas laissé trop impressionner, et pratiquement aucun pays de
cette zone ou reliés fortement à l'Occident n'a banni les Versets sataniques. L'ouvrage est au
contraire devenu un best-seller extraordinaire pour l'éditeur et l'auteur. Le vieux dictateur en fin
de course, Khomeiny, est mort trois mois après avoir lui-même condamné à mort Rushdie, cela
donnerait presque envie de croire à un loi de causes et de conséquences plus subtile que ce qu’en
dit la science dans son état actuel. Cependant, on peut dire qu'il a eu dans ses derniers jours la
satisfaction d'avoir pu à peu près unir temporairement l'islam dans un accès de paranoïa aiguë,
avec persécuteur désigné – c'est-à-dire la forme la plus dangereuse du point de vue de la
psychiatrie, car elle pousse au passage à l'acte.
Si l'ayatollah agonisant n'a pas réussi à convertir le monde occidental à sa marque plutôt
particulière d'islam, il est néanmoins parvenu à "convertir" à sa paranoïa beaucoup d'auteurs et
d'éditeurs qui se sont mis à avoir peur, et nombre de nationalistes occidentaux qui ont été
confirmés dans l'image qu'ils avaient de lui d'un "barbare shiite", le Persécuteur par excellence.
De leur côté, les associations musulmanes à tendance intégriste ont pris conscience de leur
pouvoir de mobilisation sur leurs coreligionnaires jusque-là plutôt tièdes, et de leur capacité à
déstabiliser ces sociétés qui les accueillent et où ils sont supposés s'intégrer.
C'est une forme d'intégration différente à laquelle faisait allusion de façon pas si subtile un
leader musulman à Toronto en 1989, lors de cette même affaire Rushdie : "Nous voulons imposer
la loi musulmane : nous ne nous soucions pas d'autres lois dans le monde." De son côté, l'Iran a
annoncé à cette époque de façon menaçante que les musulmans britanniques pourraient trouver
des manières de défendre leurs droits en dehors de la loi."226 Nous retrouvons ici le thème des
deux lois, celle individuelle et celle des autres, que le lecteur doit maintenant savoir reconnaître
comme un des symptômes principaux de la paranoïa. Les attentats du métro londonien peuvent
être raisonnablement considérés comme la continuation de cette mouvance. Le Hizbollah libanais
a remué comme d'habitude le vieux thème persécutoire de la conspiration : "L'arrogance globale
était derrière toutes sortes de complots pour souiller la face de l'islam, mais les musulmans ont
trouvé une réponse qui brise les dents de tout ce genre de conspirations impérialistes et sionistes."
Quant à celui qui allait devenir le président supposé modéré de l'Iran, Rafsanjani, il a mis de
l’huile sur le feu en déclarant : "Le réel problème n'est pas la simple publication de livres contre
l'islam, mais qu'on a orchestré derrière le rideau un complot vaste et bien calculé contre notre
religion."
Eliot Weinberger a résumé avec humour l'ensemble de la situation "Il était une fois un homme
qui a écrit un livre qu'un milliard de gens n'ont pas aimé. Ils ont essayé de le tuer pour cela, mais
ils ont fini au contraire par s’entretuer. Ces gens n'avaient même pas lu le livre, et pourtant tous,
les amis comme les ennemis, ont trouvé qu'il révélait leur nature la plus détestable... "227
Les bénéfices secondaires de la victimisation
Nous abordons maintenant un thème central qui déclenchera certainement des réactions vives
de certains musulmans politisés de façon communautariste ou d’autres cherchant à s’allier avec
eux pour des raisons idéologiques parfois complexes ou surprenantes. La notion de bénéfice
secondaire est caractéristique de l'hystérie, cependant, il y a aussi des rapports connus entre
hystérie et paranoïa. Dans les deux cas, le désir de reconnaissance de l'extérieur est fort,
cependant pour l'obtenir les moyens diffèrent : dans l'hystérie, il s'agit de la séduction, dans la
paranoïa, plutôt de la coercition. Dans les deux cas, il faut que le monde entier, de gré ou de
force, aime et aide le sujet. Il s’agit d’un sujet qui fait parler de lui en ce moment, de façon
191
beaucoup plus large que celle de l’islamisme. On peut se référer par exemple au livre de Caroline
Eliacheff et Daniel Soulez-La Rivière Le temps des victimes228
On pourrait dire que la victimisation est l'instrumentalisation politique de la paranoïa. Dans les
manifestations de certains groupes arabes en France, un mot qui revient souvent sur les
banderoles est ogra, qui signifie "humiliation". Quand on approfondit l’analyse, il semble bien
qu'un certain nombre de musulmans soient très intéressés à dérober aux juifs le statut de victime
essentielle de l'Occident colonial et raciste. Le fait de récupérer les souffrances du peuple juif
durant la seconde guerre mondiale en se présentant comme les victimes d'une néo-Shoah
perpétrée par un nouveau "fascisme" des démocraties occidentales est pour le moins pervers,
surtout quand on se souvient du dossier chargé de l'islam en matière d'antisémitisme et
d'oppression de toutes sortes de minorités dans les pays qu'il a envahis : nous allons voir le cas de
l'esclavagisme pendant 1300 ans en Afrique et 800 ans en Inde. Il faut se souvenir aussi de la
participation active du grand Mufti de Jérusalem à l’Holaucauste, à partir de sa représentation de
Berlin.
Cependant, il ne faut pas s'étonner de cette revendication : on retrouve l'archétype de cette
compétition dans le désir d'élimination par substitution qui s'est déjà joué aux origines de l'islam
il y a quatorze siècle. D'après le récit fondateur du sacrifice d'Abraham pour les musulmans,
Ismaël a pris la place d'Isaac sur la table pour être frappé par le Patriarche. Maintenant, les
musulmans veulent remplacer aussi les juifs à la place de persécutés désignés de l’Occident, et
essayer de se sacraliser en paraissant sacri-fiés. Cependant, il est clair que cette persécution est en
fait beaucoup plus imaginaire que réelle : parmi tous les musulmans qui vivent protégés par les
lois des pays d’Europe de l'Ouest et en Amérique, où sont les millions de morts? Il y en a à
l’évidence bien moins que dans les pays musulmans eux-mêmes du fait des dictateurs locaux qui
y sévissent, plus ou poins en référence à l’islam, c’est un fait.
La conviction que les pères fondateurs de l'islam, Mahomet et ses compagnons, ont été
persécutés injustement amène à chaque génération les fidèles à se mettre d'une façon ou d'une
autre en situation de persécution, pour reproduire le 'martyre' des origines, probablement là
encore largement fantasmé. Il s'agit d'une attitude qui a des conséquences dangereuses dans la
réalité, car à force de jouer au martyr, on finit par le devenir, c’est une loi de psychologie. De
plus, la version persécutrice de la première émigration de Mohamed et de ses compagnons
supposément chassés de la Mecque violemment, a été préférée à trois autres qui parlent en fait
d'un compromis politique.229 Du point de vue psychologique, on peut faire remarquer que la
position de victime est beaucoup plus commode pour entretenir la paranoïa, et donc l'agressivité
conquérante des générations suivantes.
On doit prendre garde à ne pas être contaminé ou influencé en miroir par cette tendance à la
victimisation contre laquelle on lutte. Olivier Roy explique "Curieuse dissymétrie entre
l'Occident, qui voit en l'islam une religion montante de conquérants, et les musulmans qui se
vivent comme une minorité opprimée, y compris dans les pays musulmans. C'est ce décalage qui
est explosif, parce qu'il ne permet pas de négociations, que ce soit sur le plan stratégique et
diplomatique ou bien sûr celui de l'identité."230
Prendre automatiquement la position de persécuté est confortable et efficace : on opère une
culpabilisation-démoralisation de l'autre, et on s'offre aussi le luxe facile de se présenter comme
un ange. Dostoïevski a écrit le roman Crime et châtiment, mais on pourrait aussi rédiger un récit
historique, Crime et gémissements, pour montrer comment la paranoïa religieuse centrée sur
l'idée d'être persécutée mène régulièrement à une inversion des rôles. Au bout du compte, on
devient soi-même persécuteur de ses propres persécuteurs plus ou moins imaginaires, et
finalement on peut éventuellement se transformer en criminel. Nietzsche de son côté a repéré
192
chez les chrétiens l'hypocrisie de l'humilité apparente cachant un désir de toute puissance liée elle
aussi à la vengeance et au ressentiment. Le même genre de critique pourrait s'adresser aux
islamistes qui se prosternent et parlent régulièrement d'être abd Allah, esclaves de Dieu, et ne
pensent en fait qu'à réduire les autres en esclavage. Cependant, il ne faut pas généraliser et juger
des religions entières par les pires de leurs aspects ou de leurs membres. Après la décolonisation,
Bourguiba, le Président de la Tunisie, a dit clairement que maintenant le jihâd n’était plus vers
l’extérieur, les colonisateurs et les Occidentaux, mais vers l’intérieur pour arriver à réformer
l’islam. Il a eu en cela un rôle de thérapeute d’une projection paranoïaque latente dans monde
arabe, malheureusement il n’a guère été écouté.
Fethi Benslama est sévère à propos de la tendance à voir tous les maux du monde arabe
comme une humiliation par l'Occident. Les gouvernements du Moyen-Orient sont tenus par des
familles et des clans de nouveaux riches du pétrole, dont le prototype est le clan des Saouds, ce
sont eux qui ont la responsabilité principale de cet état de fait. Ne pas accepter cette réalité
revient à une fuite dans la paranoïa, et comme le dit bien Benslama à la fin de son chapitre sur la
question, à une échappée "dans le moulin éternel du ressentiment".
La victimisation, derrière des apparences bien gentilles, représente en fait un vrai blindage qui
permet au tank des superstitions et de la violence sectaire de progresser dans son chemin de
destruction sans même être égratigné. Il passe au travers des maisons de la raison en les
effondrant et n'a même pas besoin d’en ralentir pour autant. L'écrivain américain Martin Amis
n'est pas resté sans provoquer des controverses. Il a écrit non seulement une nouvelle sur la vie
dans les goulags russes, mais il a réfléchi aussi sur l'islamisme, et il rapproche les deux :
"La terreur en tant que tactique ou politique est la même partout et en tout temps, elle a toujours à
faire avec une insécurité désespérée à propos de votre légitimité. C'est une réponse hystérique à
une réalité historique. Et elle va toujours vers sa propre défaite. Rien d'achevé par la terreur ne
peut durer.... L'erreur des intellectuels occidentaux est de culpabiliser à propos du terrorisme. Ils
lui cherchent toutes sortes de raisons. Et ils n'ont pas fait le saut pour voir qu'il ne s'agissait pas de
raison. C'est une psychopathologie. La guerre des jihâdis se déroule contre les ennemis de Dieu et
doit durer pour l'éternité, quelle est la part de rationnel que vous pouvez discerner dans tout cela?
Pourtant, les gens ne feront pas ce saut car à leurs propres yeux, ils se sentiraient racistes."231
Le président de l'Iran, Ahmadinejad, affirmait déjà il y a plusieurs années que la fin du monde
surviendra dans deux ans, afin d'accélérer le retour de l'imam caché. De plus, la République
islamique va détruire Israël. Peut-être bien que ce sera pour lui uniquement qu'arrivera cette fin
du monde. Voici comment un journaliste commente la situation dans un article du Courrier
international faisant partie d'un dossier sur l'Iran232 "Faute de charisme, de savoir-faire ou de
modération, la personnalité du président actuel, Mahmoud Ahmadinejad, semble incarner
parfaitement le délire de persécution, cette obsession permanente chez les iraniens d'être des
victimes".
Les présidents Clinton, puis Bush ont dû s'excuser pour avoir qualifié l'organisation de Ben
Laden d'"islamiste" après les attentats de 1998 et de septembre 2001. Ceci est d'autant plus
surprenant quand on sait que l'organisation musulmane américaine qui réclamait réparation, le
CAIR – en se plaignant de façon tristement répétitive d'une "insulte aux musulmans" – est
connue pour avoir soutenu des terroristes comme Abou Marzouk ou Omar Adel Rahmane ; ce
dernier ayant été le commanditaire des premiers attentats du World Trade Center.
Après les attentats du 11 septembre il peut paraître étonnant de voir que beaucoup
d'Occidentaux ont cherché non seulement à expliquer, mais aussi à excuser Ben Laden. En
193
psychologie, cette réaction porte un nom, le syndrome de Stockholm. "C'est ce phénomène qui
rend possible qu'un otage se mette à soutenir dans ses revendications ceux qui l’ont enlevé, y
compris parfois face aux forces de l'ordre venues le libérer."233 Pour introduire une note
d’humour dans ces discussions sérieuses, je peux témoigner que le correcteur orthographique de
mon ordinateur connaît bien le mot islamophobie, mais pas son contraire islamophilie. Le logiciel
lui-même serait-il contaminé par le virus de la victimisation ?
Pierre-André Taguieff a écrit un livre assez récemment Le Protocole des sages de Sion, faux et
usage de faux234. Nous l’avons déjà cité dans la question des théories du complot en général, mais
nous pouvons préciser maintenant les thèses du Protocole de Sion. Elles peuvent être résumées en
trois axes :
1) Les juifs sont partout
2) Les juifs occupent les postes les plus importants
3) Ils sont capables de tout, c'est-à-dire du pire...
Ces thèses sont passées dans le monde arabe à l'époque de la montée de la pensée nazie, et se
sont incorporés dans la vision du monde islamique d’autant plus facilement qu’elles
correspondait à de vieux préjugés des origines ; elles ont été rigidifiées par la création de l'État
d'Israël ainsi que les défaites et déboires successifs des pays arabes, en général et en particulier
dans leur volonté de rayer de la carte l’état juif.
L'antisémitisme islamique existe même en l'absence de contacts et d'expériences directes avec
les juifs : par exemple, ceux-ci étaient environ 100.000 en Algérie au moment de la guerre
d'indépendance, et ne sont maintenant plus que quelques dizaines plutôt âgés, à l'évidence parce
qu'ils ont été persécutés et ont dû s'enfuir. Malgré cela, pour les islamistes de ce pays, ils
continuent à être le bouc émissaire préféré, une causenotable desproblèmesdu pays, c'est ce
pourquoi on peut raisonnablement parler de délire. Le journal algérien L'indépendant a par
exemple publié le Protocole des sages de Sion par épisode en 1991, quant au Matin, il dénonce
"les médias occidentaux enjuivés jusqu'à la moelle" et le quotidien en langue arabe El Khabar,
[les Nouvelles] consacre deux articles alarmistes pour "dénoncer la pénétration juive dans l'état et
la société algérienne"235 Si quelques dizaines de juifs âgés restants sont capables de cet exploit, il
n'y a que deux possibilités : soit qu'ils sont vraiment très forts, soit que les musulmans algériens
sont réellement très faibles. Pour sortir de ce dilemme, on peut cependant avancer une troisième
explication, sans doute la plus plausible, c'est que ces derniers souffrent d'une paranoïa religieuse
confirmée et difficile à traiter.
On peut mentionner de nouveau dans cette section sur la victimisation l’opinion d’Irshad
Manji qui remet en cause Saïd pour avoir essentialisé la Palestine comme une Victime absolue,
culpabilisé toute critique à son égard et à propos de la critique de l’islam sur cette question en
sous-entendant qu’elle est colionaliste-raciste, et ainsi avoir gelé la libre-pensée de toute une
génération d’universitaires sur toutes ces questions. Il aura fait de la victimisation de la Palestine
un dogme scolaire. Il n’est pas inconcevable que quelqu’un de blessé émotionnellement par le
sort de sa nation ait élaboré intelligemment toute une construction de rationalisations pour la
défendre à tout prix, et ait réussi à convaincre un certain nombre d’intellectuels bien-pensants ;
cependant, on aurait aussi le droit de prendre cette victimisation avec un grain de sel quand on se
souvient de la définition de la paranoïa comme une ‘passion malheureuse pour la raison’.
Lévi-Strauss a écrit un célèbre livre d’anthropologie Tristes tropiques. Si on devait publier un
ouvrage sur le fonctionnement pseudo-rationnel de la paranoïa religieuse, en particulier
monothéiste, qui a justifié et justifie encore toutes sortes de violences, il pourrait avoir pour titre
Tristes logiques. Ce livre est une contribution dans ce sens.
194
Il est intéressant de noter que la conférence de l'ONU en 2001 sur le thème de l'esclavage et
du racisme a dénoncé le sionisme et l'Occident236; cependant, elle a passé sous silence
l'esclavagisme de l’islam qui a été au centre de son développement historique et social, et qui
continue à sévir encore de nos jours au Soudan et en Mauritanie par exemple. En tout l’islam
compte encore environ deux millions d’esclaves, nous y reviendrons. La pratique des conversions
forcées accompagnées d'esclavage et d’enrôlement obligé dans les milices d’Allah a été un des
grands moteurs de l'expansion de l'islam, beaucoup plus qu'une prétendue supériorité
métaphysique ou éthique sur des religions comme le bouddhisme, l'hindouisme ou le
christianisme. Sur ces sujets, on peut consulter le premier ouvrage de Daniel Pipes, qui a
enseigné à Harvard.
Il y a une conception qui pourrait atténuer l'enfermement de la pensée arabe et musulmane
moyen-orientale, en particulier religieuse, dans un fonctionnement de victimes par rapport à
l'Occident et au reste du monde : c'est celle de la psychologie transgénérationnelle. Si on se
souvient que les Arabes eux-mêmes, et les Perses, les Turcs et les Mongols ont imposé à des
peuples qui n'en voulaient pas a priori des empires et une idéologie islamique, il leur suffirait de
d’accepter que maintenant, il y a un phénomène inverse qui se déroule. Est-ce la fin du monde
pour autant ? Peut-être simplement la fin d'un monde. Cette prise de conscience
transgénérationnelle est à même d'adoucir le sentiment de persécution, peut-être de le dissoudre.
En effet, ce dernier est non seulement inutile, mais il aveugle le discernement.
En France, quand nous voyons que la revendication de certains groupes musulmans se
transforme en quérulence processive, avec des procès à répétition contenant toutes sortes de
demandes, nous voyons qu’ils restent semble-t-il dans le monde de la revendication paranoïaque :
l'autorisation du port de voile dans les écoles est le plus connu, mais il y a aussi les pauses de
l'après-midi au travail pour la prière, la séparation des sexes dans les piscines, etc.etc. En réalité,
c’est sans fin. Il est triste de voir que des juges ou responsables manquant complètement de
formation psychologique cèdent souvent à ces demandes. S'ils en avaient une, ils verraient dans
la plupart d'entre elles des symptômes d'une épidémie d’idées de persécution à thème religieux.
Le but de cette liste interminable de 'demandes islamiques' vise au bout du compte à imposer la
charia à l'Occident, la plupart des plaidants ayant quand même encore suffisamment de bon sens
pour ne pas exprimer publiquement ce coeur de leur délire de toute-puissance. Ceci dit, nous
pouvons rappeler que la dissimulation elle-même fait aussi partie du tableau clinique de la
paranoïa.
Certes, il y a des musulmans qui n’hésitent pas à critiquer vertement la victimisation, ils brillent
relativement isolés comme des étoiles dans la nuit. Prenons par exemple le Maulana Kalbe Sadiq,
un shiite vice-président de l’All India Muslim Personal Law Booard, l’organe juridico-politique
certainement le plus important d’Inde. Il est connu entre autres pour rappeler à qui veut
l’entendre que le Coran ne demande pas à la femme de porter le voile. Voici ce qu’il a répondu
quand on lui a demandé « Qui blâmez-vous pour l’arriération socio-économique des
musulmans ? » « Je blâme totalement la communauté et ses dirigeants. Il n’est ni rationnel ni
juste de pointer un doigt accusateur vers le gouvernement à chaque fois. On ne doit pas s’attendre
à ce que le gouvernement fasse tout le travail. La communauté doit apprendre à soigner ses
propres problèmes. Malheureusement, rares sont les vrais dirigeants parmi les musulmans. » Le
problème de fond de la victimisation n’est pas seulement politique ou psychologique, il est avant
tout spirituel : si l’on se définit et ‘s’essentialise’ soi-même comme victime, on vivra à petit feu et
ne risquera guère d’atteindre sa stature d’être humain pleinement libre et responsable.
195
Un spécialiste américain de l'islam au Moyen-Orient conclut un de ses livres par un
avertissement : certains le trouveront trop paternaliste, mais il paraît malgré tout réaliste, il a au
moins l'avantage d'être clair :
« Si les progrès du Moyen-Orient continuent dans la même voie qu'aujourd'hui, le kamikaze qui se
fait exploser risque de devenir une métaphore de toute la région ; il sera alors impossible
d'échapper au funeste engrenage de la haine et du ressentiment, de la fureur et de l'auto
commisération, de la pauvreté et de l'oppression – engrenage qui conduira tôt ou tard à une autre
domination étrangère, peut-être celle d'une nouvelle Europe revenant à ses anciennes pratiques,
d'une Russie ressuscitée ou bien d'une superpuissance encore en gestation en Extrême-Orient. Ce
n'est qu'en renonçant à leurs griefs et à leur victimisme, en surmontant leurs querelles, en unissant
leurs talents, leur énergie et leurs ressources dans un même élan créatif, que ces peuples pourront
de nouveau faire du Moyen-Orient ce qu'il était dans l'Antiquité et au Moyen Âge, un haut lieu de
la civilisation. Le choix leur appartient. »237
En psychologie, il est bien connu que la figure du père est le garant de la loi : en Italie
récemment, un converti plutôt zélote qui a commencé à se sentir Tout-puissant, sans doute
s’identifiant lui-même à Mohamed quand son parti islamiste a atteint le seuil glorieux des 5000
membres, a écrit une lettre au Pape, al Papa comme on dit en italien, en l’occurrence à JeanPaul II en le sommant de se convertir : cela ne peut pas ne pas me faire penser à ces patients qui,
sitôt internés pour des délires passionnels, se mettent à écrire des lettres au Président de la
République pour le sommer de reconnaître son innocence et son excellence, en quelque sorte
donc pour le convertir à sa cause.. Ceci dit, derrière cet aspect loufoque, on peut voir un côté plus
inquiétant dans cette lettre : en effet, Mohamed, après avoir conquis l'Arabie, a, dit la tradition de
l’islam, écrit trois épîtres, une au Basileus de Byzance, l'autre à l'empereur de Perse et la
troisième au Négus d'Abyssinie où il les sommait soit de se convertir, soit de subir le châtiment
d’Allah. La légende de l'islam veut que ce dernier lui ait répondu poliment, alors que les deux
premiers ont négligé de le faire, ce que les musulmans ont interprété comme une insulte. De ce
fait, l'islam a lancé la guerre contre les deux premiers pour comme d’habitude ‘venger l’insulte’
et a fini par réussir à les détruire, même si cela a mis plus de neuf siècles dans le cas de Byzance.
Il y a des personnes pour lesquelles l'essentiel de la religion consiste à se poser comme
victime de ceux qui n'acceptent pas de se convertir à leur croyance : c'est au fond une forme
typique de désir de toute puissance, donc une forme là encore de paranoïa. En France, le converti
Daniel Youssouf Leclerc, fondateur de l'une des plus importantes organisations islamiques, la
FNMF, et jusqu'à une date récente représentant de la Ligue Islamique Mondiale, semble plus
royaliste que le roi, pour ne pas dire plus loyaliste que la loi ou plus musulman qu’Allah. Il a au
moins l’avantage d’annoncer les couleurs en déclarant : "Si demain, on avait une majorité dans ce
pays, pourquoi n'imposerions-nous pas la charia progressivement? Ça vous dérange ? Tant pis
!"238
Quand les pervers font la morale au monde
La perversion consiste à prendre un élément qui est sacré pour les autres et à l'inverser de
façon destructrice : transformer une religion de paix en arme de guerre, l'amour physico-affectif
en vice, le désir de vie en course à la mort, tout cela relève par définition de la perversion et de la
pathologie.
196
Nous pouvons donner quelques exemples parmi mille autres tirés du comportement des
fondamentalistes : à la suite du tremblement de terre au Pakistan et au Cachemire en automne
2005, les mouvements intégristes ont distribué de l'aide aux victimes de façon assez efficace du
côté du Cachemire pakistanais, peut-être cependant en détournant des fonds humanitaires pour
acheter des armes. Par contre, ils ont profité de la désorganisation du côté indien pour y
multiplier les assassinats. Est-ce un cas de "charité bien ordonnée commence par soi-même"?
Nous retrouvons ici la règle de base, faire quelques actions morales d'un côté pour s'octroyer,
'acheter' le droit de tuer de l'autre. Il y a derrière ce processus une sorte de sens de justice sousjacente, d’équilibre requis au niveau subtil. Évidemment, dans ce cas, l'équilibre lui-même est
pervers.
Nous pouvons mentionner aussi cet ukase d'un mouvement terroriste au Cachemire disant que
les femmes ne portant pas la bourqa, c'est-à-dire le vêtement qui les couvre complètement,
seraient abattues à la mitraillette; la date limite pour se soumettre aux ordres étaient le 10
septembre 2001. Pas besoin d'être chef des services secrets pour comprendre quel était
l'organisation qui avait édicté cette fatwa plutôt psychotique. Par ailleurs, les fondamentalistes se
sont servis d'un scandale sexuel à Shrînagar au Cachemire en 2006 où des membres du
gouvernement local musulmans et hindous avaient été impliqués par leurs visites à une prostituée
mineure. Ils en ont profité pour interdire aux jeunes filles de se servir de téléphones portables, car
avec cet instrument du diable, elles avaient bien sûr la liberté de contacter des hommes qui bien
sûr risquaient de ne pas être honnêtes... D'où avertissements, avec ce genre d'organisation on
peut supposer accompagnés de menaces d'assassinat, contre ces adolescentes et leurs parents. Il
semble qu'à cause de la réaction populaire, les intégristes aient dû battre en retraite tactique sur ce
point précis, comme sur l'interdiction de la télévision par câble.
Nous avons parlé d’Abouhalima qui purge aux Etats-unis une peine de prison à vie pour avoir
aidé à l'organisation du premier attentat contre le World Trade Center à New York en 1993.
Celui-ci a causé une douzaine de morts et environ 500 blessés, mais il aurait pu en tuer des
milliers d'autres s'il s'était déroulé selon les plans. Il affirme que le problème de l'Amérique, c'est
son gouvernement séculaire et l'influence des juifs. Quand on lui a demandé si un gouvernement
chrétien authentique serait meilleur, il a répondu : "Oui, au moins il aurait une morale !", et c'est
là qu'il a ajouté cette phrase que nous avons commenté dans le chapitre 1 sur la les relations
hommes-femmes et la sexualité islamique : "La vie sans religion est comme un stylo sans encre,
des gens sans religion sont comme des cadavres ambulants."239 Quand on a un minimum de sens
de l'humour, on peut sourire d'un condamné à perpétuité qui continue, à partir de sa cellule, à
faire la morale au monde avec une assurance toute psychotique, si l’on peut dire.
Pour illustrer tous ces points, il vaut la peine de citer assez largement le testament de
Mohamed Atta, l'architecte du 11 septembre, car il met en évidence de façon claire les
mécanismes psychologiques sous-jacents; nous commencerons par les commentaires et le résumé
de Devji :
"Les instructions se centrent sur le détournement de l'avion lui-même, qui est transformé en un
événement religieusement signifiant par sa division en plusieurs étapes, avec à chacune, des
prières particulières associées que les pirates de l'air doivent répéter, et des rites spécifiques à
accomplir. Ceux-ci incluent le fait de se raser les poils du corps, de se mettre du parfum et bénir
des objets personnels. On trouve aussi un élément de poésie et des spéculations sur la valeur
mystique des lettres arabes sans les points vocaliques [comme était écrit le Coran à l'origine]. Tout
ceci est en fait caractéristique de guides soufis pour le chemin mystique, plutôt que d’instructions
ordinaires et générales. En voici une sélection :
197
"Quand vous monterez dans le T [probablement pour tayyara, ‘avion’ en arabe], juste avant que
votre pied se pose dedans, avant d'y pénétrer, faites une prière et des supplications. Souvenez-vous
que c'est une bataille pour la cause de Dieu. Comme le Prophète, la paix soit sur lui, a dit : "Une
action pour la cause de Dieu est meilleure que tout ce qu'il y a dans le monde." Quand vous
rentrez dans le T, et prenez votre siège, commencez avec les supplications que vous connaissez et
que nous avons mentionnées auparavant. Soyez occupés avec le souvenir constant de Dieu. Dieu a
dit : "O toi qui es croyant, quand tu rencontres l'ennemi sois ferme et persévérant, et souviens-toi
de Dieu constamment afin d'arriver au succès." Quant le T se met à se déplacer, tout au début,
vers A [référence inconnue], dites la supplication du voyage. Pensez que vous voyagez vers le
Dieu Tout-puissant, soyez donc attentif dans cette expédition....
Quand la confrontation commence, frappez comme des champions qui ne veulent pas revenir
au monde. Criez Allahou Akbar !, car c'est le cri qui sème la panique dans le coeur des noncroyants. Dieu a dit : "Frappez sur la nuque, et frappez-les sur toutes leurs extrémités." Sachez
que les jardins du paradis attendent pour vous dans toute leur beauté, et les femmes du paradis
sont en train d'attendre, en appelant : "Viens par ici, ô ami de Dieu". Elles se sont habillées de
leurs vêtements les plus beaux.
Si Dieu décrète que quelqu'un parmi vous doit perpétrer un massacre, dédiez ce massacre à vos
pères car vous avez des obligations envers eux. Ne cherchez pas à échapper, obéissez. Si vous
effectuez un massacre, ne causez pas d'inconfort à ceux que vous tuez, car c'est une des pratiques
du Prophète, la paix soit sur lui."240
Nous retrouvons ici les thèmes dont nous parlions au grand complet, les utilisations
obsessionnelles de la prière pour contenir l'angoisse et la déstructuration psychotique, le lien
direct entre agressivité majeure et sexualité primaire, avec les femmes des paradis qui attendent
juste après le passage à l'acte meurtrier, et aussi la méticulosité obsessionnelle, moralisatrice et au
fond perverse pour opérer le massacre "sans cause d'inconfort pour les victimes" comme s'il
s'agissait d'animaux qu'on se préoccupe de mettre à mort le plus proprement possible, grâce au
halal. L’islamisme a inventé l’assassinat halal, faut-il remercier Allah ou bien le Prophète ou les
deux ? La référence constante à Mohamed, au modèle qu’il offre et à sa bénédiction habituelle
"la paix soit sur lui" complète le tableau de perversion, au moins je pense que les musulmans
modérés seront d’accord sur ce point avec moi. L’identification à Ismaël est présente aussi selon
ce qu’explique Devji « Mohamed Atta, par exemple, l’organisateur principal des attentats du 11
septembre, mentionne le sacrifice d’Ismaël par Abraham dans le préambule de son testament, où
il requiert sa famille de le traiter, rétrospectivement, comme Abraham a traité Ismaël, en lui
demandant de mourir comme un bon musulman aux ordres de Dieu. »241 Nous verrons dans le
chapitre qui suit l’importance de l’archétype d’Ismaël pour comprendre la psychopathologie du
martyre.
Il est intéressant de signaler qu'on possède une vidéo postérieure de Ben Laden où il se moque
des attaquants du 11 septembre, comme des naïfs que lui, fin psycholgue, a réussi à embobiner.
Voilà qui est symptomatique du manipulateur pervers, et même si on est d’avis que cette vidéo
n'est pas authentique, et que Ben Laden était sincère, en ce moment-là son cas relève malgré tout
de la paranoïa.
Emmanuel Sivani, un spécialiste de l'histoire de l'islam moderne, décrivait les membres du
Hamas comme "principalement de jeunes citadins entre dix et vingt ans". Depuis, ils ont certes
élargi leur base de recrutement jusqu'aux élections de janvier 2006, mais il n'en reste pas moins
que cette origine spécifique pour un groupe terroriste est signifiante du point de vue
psychologique. On peut retrouver la même tendance en Algérie, 70 pour cent de la population a
moins de 25 ans, elle est à 25 % chômeuse, manque aussi même d'appartements pour se loger.
198
Dans ces groupes, la tendance homosexuelle et la manipulation perverse par des adultes
'bienfaiteurs et protecteurs' suggérant le suicide pour les jeunes âmes pures et enthousiastes est
endémique : le Dr Rantisi, un des fondateurs du Hamas qui depuis a trouvé sa fin dans une
opération israélienne, disait sur un ton plutôt mielleux : "Il ne s'agit pas d'attaque suicide, mais
d'istîshadi, "martyre qu'on a choisi soi-même"... Nous n'ordonnons pas à ces jeunes de le faire,
nous leur donnons simplement la permission de l'accomplir à certains moments."242 C’est en effet
très généreux de disposer de vies qui ne vous appartiennent pas en donnant la permission qu’elles
disparaissent…
Un autre symptôme de perversion est discernable dans la récupération du devoir de charité
envers les pauvres et de l'aumône, un des cinq piliers de l'islam, pour financer les réseaux
terroristes. En fait, il y a une longue tradition par derrière, il était entendu dès le temps du
Prophète que l'argent collecté pour les pauvres pouvait servir à une autre "bonne action",
entendez une guerre sainte, et pourquoi pas d'agression, puisque que le croyant pieux estime en
substance ceci « L'existence même de ceux qui n'acceptent pas l'islam est en soi une agression,
une insulte au message du Prophète, et que c'est donc non seulement notre droit, mais notre
devoir d'y répondre de la façon la plus virile possible » : Dépensez dans le chemin de Dieu... Dieu
aime les bienfaisants ! (Co 2 195) [nous avons vu que l'expression "le chemin de Dieu" sabil ilah
désigne la plupart du temps la guerre sainte, mais éventuellement aussi d'autres actions
charitables]
On connaît sans doute l'argument courant du prosélytisme des musulmans envers les
chrétiens : "Vous priez une fois par semaine à la messe, nous prions cinq fois par jour, nous
sommes donc les meilleurs !" Certes, il est bon d'avoir des rappels fréquents pendant la journée,
mais encore faut-il savoir des rappels de quoi : s'agit-il vraiment d'une évocation d’une Force
divine universelle qui libère, ou alors d’un sectarisme étroit qui conditionne à la longue le mental
à s'enliser dans l'ornière du fondamentalisme ? Il n'y a bien sûr pas de réponse univoque à cette
question, c'est à chaque musulman pratiquant d'y répondre en son for intérieur. Le
conditionnement est en soit une force neutre, une sorte de mariage avec l’habitude, il peut être
pour le meilleur ou pour le pire.
Dans le domaine précis de perversion sexuelle, on peut remarquer que la loi islamique
iranienne met sur le même plan les relations avec une femme vivante qui n'est pas la sienne et
avec un cadavre féminin. Elle condamne à la lapidation les deux passages à l'acte. Déjà, ce n'est
pas élogieux pour une femme vivante d'être mise sur le même plan qu'un cadavre, mais de plus,
on peut raisonnablement penser que le législateur, pour faire une telle assimilation, devait être
déjà lui-même passablement psychotique. Ceci n'est qu'un exemple parmi bien d'autres de règles
sur la sexualité qui amènent à se poser le même type de questions sur l’état de santé mentale de
leurs auteurs.
Il n'y a pas besoin d'être grand psychologue pour comprendre que ceux qui organisent le
terrorisme ont probablement une structure psychologique perverse. Prenons par exemple le cas de
Nazar Hindani. En avril 1986, après avoir séduit Ann Murphy en Angleterre et l'avoir mise
enceinte, il l'a envoyée en Israël en lui promettant le mariage mais en prétendant qu'à cause son
travail, il devait prendre un vol séparé. Il lui avait offert un sac de voyage et l'avait aidé à mettre
ses affaires dedans avec beaucoup d'amour : en fait, le double fond était plein d'explosifs, et Ann,
l'enfant qu'elle portait et les 380 autres passagers du vol El Al aurait dû sauter. Ann a eu la chance
que les explosifs aient été découverts au départ, mais elle a eu évidemment quelques difficultés à
expliquer à la justice que ce n’était pas elle qui les avait mis dans le sac mais son « ami
intime »…Cette tentative avait été organisée par al Khali, un aide proche du président de la Syrie
Assad, et appuyée sciemment par al Haydar, l'ambassadeur de Syrie en Angleterre à l'époque. À
199
cause de cette affaire plutôt perverse, les relations diplomatiques entre les deux pays ont été
rompues pendant quatre ans.243
En arrivant à la fin de ce chapitre sur la paranoïa et la loi, mentionnons une tendance dans les
milieux de convertis à l’islam à mettre sur le même pied l’attachement à la charia dans
l’islamisme que celui au Tao dans la mystique chinoise ou au dharma dans la pensée hindoue et
bouddhiste. Il y a cependant un sérieux problème à cela, l’attachement à la charia est typiquement
littéral, et il amène régulièrement à vouloir l’imposer de force au reste de la société, ce qui n’est
pas le cas pour le tao ou le dharma des mystiques d’Orient. Ce rapprochement n’est donc guère
consistant, et il semble bien qu’il représente plutôt une manière de plus pour une pensée
totalitaire qui se sent menacée, d’essayer de revenir par la porte de derrière en quelque sorte, pour
pouvoir de nouveau s’imposer. Dans ce sens, nettoyer les écuries d’Augias de la paranoïa
religieuse est littéralement un travail d’Hercule, mais il est juste de l’entreprendre. Notre époque
devient de plus en plus exigeante dans ce sens, et elle a raison. La modernité n’est pas un dû, elle
se mérite.
On sait que la stratégie d'Al Qaida depuis le 11 septembre, et d'autres groupes associés est
d'essayer d'allier sa cause à d'autres mouvements globaux de justice de type altermondialistes, et
en pratique, de critiquer l'impérialisme américain Cependant, la différence c'est que les autres
groupes restent dans l'ensemble non-violent, alors que les jihâdis sacralisent la violence de façon
typiquement perverse et en font un absolu en soi. De plus, utiliser la loi du talion, 'nous sommes
agressés, donc nous agressons en retour' est une attitude assez primitive et tribale, qui entraîne en
pratique une spirale de violence et fait chuter au bout du compte les sociétés dans de vraies
guerres. La loi du talion comme principe de référence éthique absolue est en soi non éthique, on
peut dire que c'est là où les islamistes radicaux ont au fond tout faux dès le départ, malgré leurs
prédications pseudo moralisantes qui peuvent impressionner les naïfs ou ceux qui ignorent les
principes simples de la psychologie. Certains analystes sont plutôt défaitiste est considère la
paranoïa islamiste comme partie intégrante de leur identité culturelle, et donc qu’on ne peut rien
faire contre. Pourtant, réaffirmons-le clairement du point de vue de la psychologie moderne :
personne n’est paranoïaque de naissance, et il y a toujours moyen de se libérer de ce travers,
même s’il est endémique dans le pays où l’on vit.
Nous avons mis dans le chapitre suivant des réflexions sur le moralisme comme pseudo
justification de la violence, un mécanisme à bien repérer dans le fonctionnement psychologique
de l’islamisme. Si on ne le fait pas, on s’exposera à être facilement manipulé. Sont abordés dans
ce chapitre ‘la fixation sur la pureté entre névroses et psychoses’, ‘le rapport entre hypocrisie et
culpabilisation’, et ‘ croyance, idéologie et déni de la réalité’. L'observation des évolutions
historiques nous montre bien que l'islam radical a des racines plus profondes dans l'esprit des
populations que même les idéologies totalitaires du XXe siècle. Cela est causé en grande partie
par son insistance sur la moralité, dont l'aspect positif est la discipline personnelle et sociale,
éventuellement religieuse pour les pratiquants, mais l'aspect négatif une couverture, une
rationalisation secondaire autour d'un noyau dur de paranoïa. Paranoïa et moralisation sont les
deux faces de la même médaille : la seconde présente bien socialement, elle sert donc de
déguisement à la première qui peut ainsi perdurer impunément. Le fait que la paranoïa flatte l'ego
explique aussi bien sûr sa persistance à long terme.
200
CH 7
LE MORALISME EN TANT QUE PSEUDO
JUSTIFICATION DE LA VIOLENCE.
Al Qaida et les autres types de jihâdisme
insistent sur une action éthique
plutôt qu'à proprement parler politique"
244
Faisal Devji
L'observation des évolutions historiques nous montre bien que l'islam radical a des racines
plus profondes dans l'esprit des populations que même les idéologies totalitaires du XXe siècle.
Cela est causé en grande partie par son insistance sur la moralité, dont l'aspect positif est la
discipline personnelle et sociale, éventuellement religieuse pour les pratiquants, mais l'aspect
négatif une couverture, une rationalisation secondaire autour d'un noyau dur de paranoïa.
Paranoïa et moralisation sont les deux faces de la même médaille : la seconde présente bien
socialement, elle sert donc de déguisement à la première qui peut ainsi perdurer impunément. Le
fait que la paranoïa flatte l'ego explique aussi bien sûr sa persistance à long terme.
D’emblée, envisageons la question dans une perspective large et profonde. Il y a un parallèle
évident entre l’exclusivisme monothéiste qui prétend avoir la seule version valable de la divinité,
et l’exclusivisme éthique qui prétend la même chose au niveau de la moralité. L’obsession quasi
fétichiste des talibans pour la longueur des burqas de leurs femmes et la visibilité de la peau de
leurs chevilles est donc la retombée directe, on peut même dire au ras du sol, d’un rêve
d’exclusivisme-impérialisme métaphysique aussi élevé qu’erroné. Le couple divinité/moralité
marche de fait ensemble – pour le meilleur et pour le pire.
Les talibans se sont rendus tristement célèbres par leurs brigades de la "défense de la Vertu et
de la destruction du Vice" qui écumaient le pays. La face visible de la dictature des ayatollahs est
une police des moeurs plutôt obsessionnelle. Nous pouvons d'emblée citer une anecdote pour
montrer comment une moralité apparemment irréprochable peut se mêler au crime de façon
singulièrement perverse. Des terroristes ont arrêté un groupe de jeunes touristes israéliens au
Cachemire dans les années 2000, et grands seigneurs, ont relâché toutes les femmes en disant que
leur code d'honneur leur interdisait de faire du mal au sexe faible, en oubliant évidemment tous
les attentats islamistes à la bombe de par le monde qui tuent autant de femmes que d'hommes, et
qu'arrêter des touristes désarmés pour les exécuter n'avait rien d'honorable. Ensuite, ils se sont
préparés à exécuter les touristes hommes. Cependant, il s'agissait de jeunes qui avaient fait
l'armée, ils ont réussi à se libérer des liens, à saisir des mitraillettes des jihâdis, à abattre leur chef
d'une rafale et à mettre en fuite les autres. Dans le combat, un des touristes est mort, mais les
autres ont pu récupérer leur liberté. Cet épisode est tout à fait symbolique du fonctionnement de
moralisation perverse des intégristes : en suivant certaines règles morales simplistes qu'ils se sont
données à eux-mêmes, ils achètent en quelque sorte leur droit à tuer. Nous sommes ici au coeur
du mécanisme de la violence religieuse, et de façon plus générale idéologique.
201
Un autre exemple qu va dans le même sens. Le 13 février 2010, les islamistes ont fait sauter
une boulangerie huppée fréquentée par les Occidentaux près de l’ashram d’Osho à Puna dans la
région de Bombay. Le bilan a été de neuf morts et de soixante blessés. L’ashram d’Osho est un
lieu qui fascine l’opinion à cause de la réputation de sexualité libre qui y règne. Il s’agissait donc
pour les terroristes de se présenter comme des garants de la modernité traditionnelle face aux
dérives de la modernité et de la culture occidentale jusqu’en Inde. Assurer cette moralité par un
assassinat collectif est déjà une première forme de perversion évidemment profonde ; mais il y en
avait une seconde par derrière : les jihâdistes visaient en particulier le Rabbin Loubavitch qui
venait tous les jours prendre son café et ses gâteaux à la boulangerie, non sans intention
évidemment de ramener les brebis perdues d’Israël au bercail, puisque l’ashram est fréquenté
aussi par des Israéliens. C’était une réplique des attentats de Bombay peu auparavant, ou parmi
les quelques 150 victimes, le rabbi Loubavitch de la ville avait été spécialement visé et assassiné
avec son épouse à domicile, leur bébé ayant échappé par miracle au meurtre. Le second but de
l’attentat était donc de faire l’amalgame entre l’immoralité et les opposants au Prophète, en
l’occurrence ici les israéliens. On est au cœur même de la vieille paranoïa monothéiste de la
Bible, qui associait régulièrement le culte des idoles et l’immoralité. C’était en fait une
désinformation typique qui est de plus en plus déconstruite par les historiens sérieux. Il est plutôt
triste que cette désinformation continue à faire des ravages de nos jours sous une forme un peu
changée, aussi loin soit-on du pays où elle a été élaborée pour la première fois. L’image de
l’épidémie s’impose à l’esprit, mais si les islamophiles n’aiment pas trop ce genre de
comparaisons, sans doute est elle trop réaliste et directe à leurs yeux.
Bien sûr, le sujet de ce chapitre suit étroitement et développe celui du précédent sur La
question de la loi au centre de la paranoïa, car la moralisation perverse naît directement d'une
interprétation pathologique de la loi. Les fondamentalistes masquent par exemple un désir de
toute puissance et d'oppression des autres sous couvert de justice et de défense de l'opprimé. Il est
essentiel de comprendre cela pour saisir pourquoi l'intégrisme a la vie dure, beaucoup plus que
des dictatures violentes ou des idéologiques totalitaires certes meurtrières mais qui ne subsistent
qu'un temps. On pourrait dire que le moralisme perverti est le fixateur de l'intégrisme, de même
qu'il y a certains produits qui peuvent fixer les couleurs pour qu'elles se maintiennent beaucoup
plus longtemps. Ce pour quoi nous parlons de perversité est évident : ce moralisme se fonde sur
une pseudo éthique soutenue par des fatwas émises souvent par des oulémas de troisième ordre,
et produit des résultats concrets qui sont à l'évidence non éthiques, non seulement les attentats
terroristes, mais aussi la destruction psychique de jeunes, d'adultes, de groupes voire de pays qui
se font prendre dans les filets de l'idéologie fondamentaliste.
Le raisonnement qui permet de justifier le jihâd de façon éthique est bien sûr celui classique
dans la paranoïa : « Nous avons été gravement agressés, la Loi nous dit qu'on a donc non
seulement le Droit, mais même le Devoir de répondre aux Criminels qui ont osé pénétrer sur
notre territoire, notre Lebensraum, notre "espace vital" » comme il était à la mode de dire à une
certaine époque. Ainsi que le fait remarquer le psychanalyste Fethi Benslama245, la moralité
obsessionnelle du fondamentaliste représente un 'retour au propre', non seulement physique et
psychique, mais aussi un essai de retrouver un moi qui vous appartienne 'en propre', par rapport
aux bouleversements et morcellements qu’apporte la modernité. Celle-ci menace les peuples
traditionnels de 'dé-propriation', la réaction intégriste est une tentative plutôt gauche de
réappropriation.
La fixation sur la pureté : entre névroses et psychose.
202
Les radicaux ont une vision typiquement obsessionnelle du système religieux et social : il est
comme un château de cartes, si on en retire une, tout va s'effondrer. Cela fait penser au fantasme
d'un schizophrène français dont la crainte centrale était que sous peu, l'Arc de Triomphe allait
être déplacé d'un centimètre, et qu'à cause de cela le monde entier allait s'effondrer et s’évanouir
en un instant. On dit souvent en psychiatrie que la névrose obsessionnelle est le dernier garde-fou
avant la dislocation psychotique.
L'obsession de pureté se porte évidemment déjà sur la proportion de centimètres carrés de
peau des femmes qu'on va laisser voir au mâle moyen dans la rue. Dans les pays islamiques, la
solution est simple, 0 %. Il est étonnant de voir toutes ces femmes en noir dans des pays comme
l'Arabie saoudite, l'Iran ou l'Algérie de l'est où le soleil est impitoyable : en effet le noir absorbe
encore plus la chaleur et condamne donc les femmes qui le portent a être comme cuites vivantes
dans des sortes de chaudières de l'enfer. N’est-ce pas elles qui sont les véritables martyrs de
l'islam ? Et pourquoi cela ? Parce que "elles sont nées femmes", le fameux « délit de naissance »
des idéologies totalitaires. En plus se pose le problème médical de la carence en vitamine D,
puisque les sources alimentaires pour se la procurer sont très faibles, et que c'est par l’exposition
au soleil que le corps lui-même la synthétise. Ceci dit, et pour être honnête et complet, il faut
reconnaître qu'une exposition au soleil excessive peut aussi favoriser des cancers de la peau, et il
y a donc un juste milieu trouver, qui consiste peut-être à prendre de la vitamine de toutes façons
en compléments alimentaires. Comme quoi, même le problème des femmes en noir n'est ni tout
blanc ni tout noir...
"A père obsessionnel, fils paranoïaque" Cette loi psychologique explique par exemple
comment l'excès de contrôle éducatif peut amener un enfant à ne plus avoir de pensées naturelles
sans peur de l'infraction, et donc de la punition. Nous avons vu par ailleurs que la paranoïa était
reliée à un délire d'autopunition. Il y a là une analogie directe entre une charia qui cherche à tout
contrôler de façon obsessionnelle et la paranoïa résultante des fidèles qui sont victimes de ce
clivage constant entre le licite et l'illicite. On peut ajouter que la persécution donne un sens de
cohésion relative à un moi fragile : certains enfants préfèrent par exemple avoir un père qui les
bat plutôt que pas de père du tout. Comment leur en vouloir ? Ce n’est pas vraiment de leur faute
s’ils se retrouvent dans cette situation tragique.
On peut signaler aussi comme symptôme de recherche de pureté pathologique l’absence
complète d’humour dans laquelle la moindre plaisanterie à son égard ou à propos de ce à quoi on
s’identifie est vécue comme une souillure – même s’il s’agit d’une ou deux caricatures…
Donnons encore une clé pour comprendre la psychologie de l'intégriste dans son désir de pureté :
sincèrement, il veut être un saint, mais il souhaite aussi que la loi lui donne le droit d'assassiner,
et donc, pour faire un jeu de mots qui est aussi mauvais au fond que la réalité qu’il recouvre, il
aspire surtout à devenir un 'assas-saint'...
Hypocrisie et culpabilisation.
En psychologie, on accorde une grande importance aux effets de l'ombre et aux phénomènes
compensatoires : par exemple, une soumission plus ou moins forcée à Dieu, en s'auto-hypnotisant
pour se faire croire qu'on n'est que son esclave, refoule un sentiment naturel d'indépendance et
crée en fait un ressentiment lancinant d'être humilié. La véritable humiliation est créée de toute
pièce par une métaphysique erronée, mais les fidèles sont bien sûr incapables de voir cette réalité
simple en face. D'où une agressivité compensatoire, on se venge sur le premier quidam venu – ou
sur les ennemis désignés de l'islam – et on attaque ceux qui ne suivent pas ses croyances comme
si le Dieu Tout-puissant ne pouvait pas se faire justice par lui-même.
203
Il faut souligner dans ce sens la fausse humilité du bigot qui ne rêve en fait que de toute
puissance. Rappelons aussi la principale défense des accusés nazis au procès de Nuremberg :
"Les ordres sont les ordres, nous n'avons fait que notre devoir en obéissant.". En fait, le point
central de leur idéologie était aussi la soumission. Ceux qui parlent sans cesse de se soumettre à
une idéologie en fait totalitaire, ont ce qu'on pourrait appeler l'humilité du crocodile : celui-ci
paraît effectivement humble, car il est quasiment au niveau de la terre ou du fond de l’eau, mais
cela ne l'empêche pas de prendre la jambe de ses victimes dans sa gueule et de les entraîner pour
de bon vers la mort.
Le zèle pour obéir aux ordres de Dieu peut souvent être en fait un désir de transformer les
autres en ses propres esclaves. Dans ce sens, un hadîth signifiant du Sahi Boukhari dit: " Les
musulmans mèneront les infidèles enchaîné au paradis." Un autre exemple de l'hypocrisie
associée à la brutalité est représenté par la lapidation des femmes adultères : déjà, parmi ceux qui
lancent les pierres, on peut se demander la proportion de ceux qui ont trompé leurs épouses, et de
toute façon, comme nous l’avons déjà signalé, le bon sens éthique amène à penser que le vrai
Satan n'est pas du côté de la lapidée, mais des lapidateurs.
Un autre faux-semblant majeur des islamistes est leur critique de l'idolâtrie. Ils font la morale
au monde entier, "pas d'idoles, pas d'idoles" mais ce sont les premiers à aduler le Coran, le
Prophète et la charia. Où passe au fond la ligne de démarcation entre idolâtres et "adulâtres"?
Sans pousser les définitions, on peut raisonnablement considérer que Mohamed est typiquement
une idole sans statue, nous y reviendrons à la fin du chapitre sur sa personnalité. De l'extérieur,
cela fait sourire de voir que les iconoclastes, les casseurs d'idoles sont tellement impliqués à
différents niveaux dans une "adulâtrie" très pauvre en autocritique et retour sur soi-même.
En examinant la question des faux-semblants, on peut mentionner la tolérance de mise de
l'islamiste tant qu'il est en minorité dans un pays : s'il est critiqué, à la place de se remettre en
question, il se présente et se vit même sincèrement comme la plus grande victime du monde, un
martyr de l'islam en herbe. S'il s'agit d'une critique du Prophète ou du Coran, il n'a guère la
possibilité d'assassiner légalement celui qui l'a émise en invoquant la loi contre le blasphème en
vigueur dans les pays musulmans, il se contente donc de lui faire des procès ou de le mettre à
mort mentalement en l'envoyant en enfer : du point de vue de la violence, ce n'est pas sain non
plus, cela préparera un passage à l'acte physique dès que la possibilité s'en présentera.
La culpabilisation est évidente dans la méthode de prosélytisme du Tabligh; les missionnaires
commencent par demander aux musulmans tièdes, souvent des jeunes : "Ton style de vie est-il
bien entièrement islamique ?". Évidemment, il ne l'est pas et ne peut guère l’être dans une société
occidentale moderne, ainsi la recrue potentielle est d'emblée prise à contre-pied et mise en état de
faiblesse psychologique. Nous mentionnons aussi ailleurs dans ce livre qu'à cause de la
complexité et des contradictions de la charia, on n'est jamais sûr de la suivre exactement, ce qui
laisse ample place pour les manipulations des oulémas, censés être les spécialistes seuls capables
de démêler ces confusions.
Il y a une histoire connue en pays d'islam et qui montre bien l'hypocrisie de la moralisation
autour de la violence religieuse. Dans un combat singulier, un héros musulman réussi à mettre un
infidèle à terre, lui pose le pied sur la poitrine et s'apprête à lui trancher la gorge d'un coup d'épée.
Juste avant, celui-ci lui crache au visage. Il s'arrête alors et dit : "Il ne serait pas juste que je tue
quelqu'un au nom d'Allah alors que je suis en colère." Il laisse donc « noblement » son ennemi là
– l'histoire ne dit pas si c'est pour qu'il soit achevé immédiatement par ses autres compagnons
d'armes tout autour. Cette histoire semble un exemple de maîtrise de soi et de vertu, mais elle
n'aborde pas le principal problème, c'est-à-dire pourquoi un infidèle mériterait-t-il d'être tué au
nom d'Allah. En fait, on peut considérer que ce récit encourage le meurtre religieux, car
204
quelqu'un qui se croit vertueux tuera plus facilement et avec meilleure conscience au nom de la
religion, surtout si on lui a mis dans la tête que c'était ce qu'il a de plus louable à faire.
J’ai lu récemment une discussion intéressante avec Abdelwahab Meddeb, l’auteur de La
maladie de l’islam et Tariq Ramadan.246.Meddeb soutient en substance que l’islam doit être
capable de se désidentifier de ses racines, d’avoir en quelque sorte la maturité psychologique et
spirituelle de couper le cordon ombilical. C’est une idée a priori simple et saine. Cependant
Meddeb s’est senti obligé d’employer le mot « trahison » : « Pour accéder à la modernité et
devenir adulte, il faut passer par une trahison de ses racines ». Il voulait certes secouer Ramadan,
trouvant que celui-ci avait bien du mal à « couper le cordon ombilical » le reliant à son grandpère, le fondateur des Frères musulmans. Cependant, un peu de psychologie nous montrera que
Meddeb lui même se débattait probablement avec une bonne dose de culpabilité, pour avoir
besoin de désigner un processus, somme toute naturel, par le terme chargé de « trahison ». C’est
en fait ainsi que le conservatisme islamique tient les masses, et même un certain nombre
d’intellectuels : par le filet de la culpabilisation, que celle-ci soit évidente ou insidieuse.
Croyance, idéologie et déni de la réalité.
Les groupes religieux terroristes ont en fait créé de nouvelles formes de religiosité, mais pour
eux, il reste très important de les présenter comme des retours purs et durs à une origine
authentique. Nous reviendrons sur cette nostalgie des débuts dans le chapitre 14 sur Les origines
de l'islam revisitées. Leur zèle bigot s'individualise, influencé en cela par la tendance moderne
qui pousse dans le sens du personnalisme: par exemple, tout un chacun peut se prendre pour le
Procureur de la République islamique et attaquer des personnes dans leur vie privée, en les
forçant parfois même par l'intermédiaire du tribunal à divorcer, en prétextant par exemple que
leur femme n'est plus musulmane, puisqu'elle est devenue féministe, et que donc ils n'ont plus le
droit de la garder chez elle. De tels cas ont fleuri par exemple en Egypte. On peut les rapprocher
directement de la quérulence processive caractéristique des délires de revendication
paranoïaques.
Une grande partie de l'énergie de la moralisation islamique est consacrée à présenter leur
dictature et leur système de pensée avec un visage humain : on ne peut s'empêcher de penser à
Goebbels. Son rôle en tant que ministre de la propagande du troisième Reich a été de donner une
image du Führer comme un modèle accompli d'être humain, courageux jusqu'à l'héroïsme durant
ses campagnes de 14-18 comme caporal, généreux, ami du pauvre et défenseur des valeurs de la
famille, qui a mené son combat juste, ‘Mein Kampf’, pour défendre la Justice et la Vérité contre
les hypocrites, et protéger son peuple des influence perverses du bolchevisme, du christianisme et
des juifs, en leur donnant un message clair en allemand débarrassé de toute influence étrangère.
Les forces du Mal ont tenté de la persécuter, mais il a quand même remporté la victoire qui l'a
mis à la tête de son peuple. Tout ce qu'avait à faire alors la nation reconnaissante était d’être
soumise corps et âme à lui personnellement et à la nouvelle idéologie pour obtenir le paradis, et
gagner avant cela le butin des pays voisins que l'on attaquait victorieusement. Goebbels a ainsi
fabriqué de toutes pièces le mythe d’un « fascisme modéré » et à visage humain, auquel le
peuple a cru jusqu'à la défaite de 1945, avec comme ‘facture’ huit millions de morts rien que du
côté allemand et le suicide du ministre de la Propagande, Goebbels lui-même. Dur retour à la
réalité.
Un autre exemple étonnant de la manière dont une pseudo moralité peut être exploitée pour
enfermer les gens dans une idéologie donnée est le suivant : en Inde entre le Mahârashtra et le
Gujarat, et il y a environ 12 millions de musulmans de l'école du juriste médiéval Hanafi, les
205
Hanafi Momîn-s, qui ont abandonné la télévision sur ordre de leurs imams. Comme ils sont en
majorité illettrés (seulement 10% des musulmans d'Inde arrivent au niveau scolaire de la
seconde) et n'ont donc guère la possibilité de lire le journal, leur seule fenêtre sur le monde
extérieur à part a radio reste donc le discours de leur imam local à la mosquée le vendredi aprèsmidi. C'est ainsi que le piège à souris de l'idéologie unique se referme sur ces pauvres croyants.
On se souvient probablement de Moqtada-al-Sadr, une sorte de Saddam Hussein shiite 'en
formation' dans les faubourgs de Bagdad, et qui recours régulièrement à la violence. Comme ses
corréligionnaires, il attend le retour imminent du Mahdi, le Messie qui viendra résoudre tous les
problèmes par une grande guerre finale. Il faut en fait savoir que ce type de violence
apocalyptique est profondément enracinée dans la tradition monothéiste du Moyen-Orient, elle a
commencé par les Macchabées qui ont lancé une guérilla contre les occupants de l'époque, s'est
poursuivie par les zélotes, les sicaires, les Ebonites, a donné naissance au style des Apocalypse,
y compris celle de Jean, et a continué avec les judéo-nazaréens qui ont représenté la matrice du
Coran et de l'islam. Dire qu'il faut prendre l'Apocalypse de Jean comme entièrement symbolique
ne représente qu'un "prix de consolation", et on verra dans nos réflexions sur la comparaison
entre les fondamentalismes musulman et chrétien qu'en ce moment aux États-Unis, il y a des
dizaines de millions de personnes qui prennent ce texte de l'Apocalypse au pied de la lettre (fin
du Ch 17), ce qui leur donne une vision très particulière de l'histoire et influe de façon peu saine
psychologiquement sur les décisions politiques du pays le plus armé du monde.
Le philosophe et penseur indépendant Avérroès a été si sévèrement persécuté là où il était né,
dans cette Andalousie médiévale où certains voudraient voir un modèle de tolérance
abrahamique, qu'il a dû se réfugier à Fès, où il a été de nouveau mis en prison pratiquement
jusqu'à sa mort. Il avait bien compris que la soi-disant moralité consistant à opprimer les femmes
était en réalité un handicap pour l'islam, y compris au niveau économique, en les empêchant de
s'engager plus à fond dans des activités productives, et en favorisant une sorte de relation
d'esclavage à l'intérieur du couple. Cette ambiance psychologique déteignait en quelque sorte, et
mettait aussi cette psyché de rapport maître-esclave au centre de la vie sociale. Il s'agit en fait
d'une contamination pathologique, à la fois au niveau de la psychologie et de la sociologie.
Puisque nous parlons d’idéologie et de religion, nous pouvons citer un entretien avec JeanJacques Annaud, cinéaste connu, réalisateur entre autres de ‘Au nom de la rose’, ‘La guerre du
feu’ et ‘Sept ans d'aventures au Tibet’ :
"Je me demande parfois si le monothéisme ne représente pas l'essence même de la dictature. Dans
de multiples domaines, on assiste à un rétrécissement de la pensée. L'islam envoie lui aussi une
image brouillée par les dérives de ses extrémistes, comme le judaïsme. Récemment, j'ai
redécouvert le polythéisme et le paganisme et je me rends compte qu'ils offrent une bien plus
grande ouverture sur le monde, je trouve leur système, avec leur multiplicité de dieux, beaucoup
plus démocratiques. Ils entretiennent un rapport humain à la divinité. Cela rejoint le discours des
Tibétains acceptant que les dieux soient imparfaits. Les sociétés bouddhistes ne sont pas sans
défauts, mais elles sont beaucoup plus tolérantes." 247
Nous pourrions ajouter : de même que ceux qui supportent la démocratie n'aiment pas les
partis uniques, de même que les gastronomes n'aiment pas les plats uniques, que les intellectuels
libres redoutent la pensée unique, de même ceux qui sont en faveur d'une ambiance religieuse
saine se méfient des dieux uniques, quelques soient leur tribus d’origine.
Quand on réfléchit sur le rapport entre idéologie et délire, il faut bien comprendre que le
paranoïaque par exemple n'est pas intelligent - sinon il ne serait pas paranoïaque - mais il est
206
souvent suffisamment malin pour arriver à embrouiller les autres dans le filet de ses
rationalisation secondaire, en leur conférant une tonalité moralisante. Soit dit en d'autres termes,
il bénéficie d'un certain Q.I, mais son Q.E, son quotient émotionnel est proche de 0.
Si on a un certain sens de l'humour (noir), on ne manque pas d'occasions de rire en voyant le
monde de l'intégrisme: il offre un beau spectacle, où l'on peut admirer toutes sortes de démons
travestis en anges, et ce sans aucune peur du ridicule de leur part. Les sages considèrent de façon
fondamentale que le monde est comme détraqué, un asile de fous, et le sujet de ce livre en donne
un bon aperçu. Et pourtant en même temps, il faut comprendre que chacun à sa manière est un
sage : même le criminel se convainc momentanément que ce qu'il fait est juste, sinon ils ne
passerait pas à l'acte. Bien sûr, après, il peut regretter, mais au moment même, il se convainc soit
par auto hypnose, soit même par une psychose temporaire, que le sentiment de justice est là – ou
au moins son ombre qu'est l'autojustification. C'est là finalement la réponse la plus profonde
quand on se demande pourquoi la moralisation est si intimement liée à la violence intégriste, et ce
depuis les origines.
L'idée d'un Dieu unique complètement transcendant a bien sûr une valeur spirituelle, mais
celle d'un Dieu avec des formes multiples en a tout autant. L'avantage de la seconde possibilité,
c'est d'éviter de tomber dans le totalitarisme de la pensée unique à propos du salut, ce qui a
sérieusement handicapée la vie spirituelle et la tolérance dans les pays chrétiens et musulmans.
On peut aussi indiquer un autre mécanisme psychologique : le fidèle au fond s'ennuie souvent
avec le Dieu unique, bien qu'il soit trop conditionné pour regarder en face ce fait simple. Il pense
de toute façon qu'il n’a pas d’autre possibilité dans sa vie que d’adorer ce Dieu unique. Pour
s'occuper l'esprit donc, il donne dans le prosélytisme, sans vraiment s'apercevoir qu'il s'engage
dans un engrenage de violence, puisque les autres la plupart du temps n'ont guère envie d'être
convertis. Le prosélytisme représente l'ombre de la transcendance exclusive, et il crée en pratique
un l'enfer non seulement pour ceux qui ont le courage et la dignité d'y résister, mais aussi pour
ceux qui se sont fabriqués à eux-mêmes l’obligation de le propager. Ils en deviennent vite
dépendants psychologiquement, en étant esclaves en quelque sorte de leur recherche de toutepuissance sur l'autre à travers le missionnarisme.
De plus, il faut dire clairement ceci : même le musulman pieux, apparemment modéré et qui
prie pour la victoire finale de sa confession sur « l'ignorance » c'est-à-dire au fond pour la
destruction de toutes les autres religions sauf la sienne, a déjà mis le doigt dans l'engrenage de la
violence : les actions commencent par la pensée et malheureusement, les persécutions et les
génocides, souvent, par des enchaînements de prières dévotes et des voeux pieux. Pour conclure,
soyons directs et clairs : l’exclusivisme monothéiste est déjà en soi une forme de terreur sur le
plan métaphysico-idéologique, dont le terrorisme islamique n’est que la conséquence pratique. Il
n’y a au fond que les monothéistes eux-mêmes pour ne pouvoir regarder en face ce fait pourtant
simple.
207
CH 8
L’OBSESSION DU RETOUR À LA CHARIA EST-ELLE UNE
ADDICTION ?
Il s’agit d’une question d’actualité brûlante après le printemps arabe. On a déjà vu par le
passé deux grands exemples de révolutions dans des pays musulmans qui paraissaient une grande
libération : la formation du Pakistan par la partition de l’Inde en 1947, et la Révolution iranienne
à partir de 1979. Dans les deux cas, les sympathisants ont naïvement acclamé la libération du
peuple des pouvoirs coloniaux et de leurs sbires. Le résultat réel a été une régression dans une
dictature militaire à vernis religieux, ou au Pakistan, démocratique. Au lieu de s’occuper de
développement effectif, l’esprit de la nation est occupé par les obsessions islamistes à propos des
moeurs, etc., et par une paranoïa au sujet du monde extérieur…Ainsi, en tant que défenseur de la
laïcité à long terme, on ne peut qu’être attristé de voir que la Tunisie ou le Maroc ont choisi de se
jeter dans les bras des islamistes après des dizaines d’années de régime certes paternaliste, mais
qui avait apporté malgré tout une bonne dose de modernisation au pays. Juste dire qu’il faut
respecter le choix démocratique de ces pays est certes en principe correct, mais peut masquer
l’attitude de l’autruche et faire éviter de voir les problèmes à long terme. La question reste
ouverte sur les choix à venir des autres pays arabes qui ont, ou qui vont bouger.
Les électeurs tunisiens savaient très bien les problèmes sérieux que posait l’islamisme au
Pakistan, en Iran et dans bien d’autres pays, mais ne voulaient voir que le modèle turc qui pour
l’instant semble paisible. Cependant, quelques jours seulement avant que j’écrive ces lignes, en
octobre 2011, le gouvernement turc a renvoyé d’Istanbul l’ambassadeur d’Israël, ce qui est en
général la mesure juste avant l’entrée en guerre. Espérons que ce ne soit que du théâtre, mais il
s’agit d’un jeu dangereux, et fortement lié aux croyances de base de l’islamisme. Nous allons
nous demander donc si l’obsession de l’islamisme du retour à la charia, malgré les sérieux
problèmes que cela pose, ne correspond pas à une addiction, en particulier à une forme de
dépendance amoureuse. Pour cela, nous nous fonderons sur les écrits du grand spécialiste français
des addictions, le Pr Michel Reynaud, professeur de psychiatrie au CHU de Kremlin-Bicêtre.
Nous citerons principalement un chapitre de lui intitulé ‘L’addiction amoureuse : une dépendance
pathologique.’ 248
L’auto-diagnostic d’addiction
Chacun, s’il est un minimum sincère avec lui-même et a les connaissances de base, peut faire
son propre diagnostic d’addiction, y compris religieuse. Disons déjà que tout comportement qui
entraîne un minimum de plaisir peut entraîner par sa répétition une addiction. C’est une question
de conditionnement et de plasticité du cerveau. La psychiatrie récente a tendance à élargir la
209
notion d’addiction à des domaines nouveaux, par exemple aux troubles du comportement
alimentaire. Cela a de toute façon déjà l’intérêt de voir des problèmes anciens sous une lumière
renouvelée. C’est ce que nous nous proposons de faire dans cette partie à propos des croyances et
comportements religieux, violents ou totalitaires, comme dans le cas par exemple de l’islamisme
radical. La base du rapprochement, c’est qu’un engagement fort dans un mouvement religieux,
surtout s’il est rigide, est aussi prenant qu’une histoire d’amour. Comme le dit Reynaud : « Dès
lors, comment distinguer les délices de la passion amoureuse des affres de l’addiction
amoureuse ? Les frontières sont minces. L’amour est à la névrose ce que la rose est à la ronce,
terriblement proche. » Cette comparaison est intéressante, car elle est une des principales images
de la littérature soufie. Ils voulaient et veulent encore la rose de l’expérience religieuse intense,
de l’ouverture mystique, mais le peuvent-ils sans s’égratigner voir s’écorcher sérieusement aux
épines du fondamentalisme ? La question mérite d’être posée, après, la véritable réponse sera
sans doute au cas par cas.
Un bon nombre de comportements des islamistes rentrent assez clairement dans la définition
de l’addiction : « On parle d’addiction quand la souffrance surpasse le plaisir, quand les
désagréments prévalent sur les bienfaits. Quand on supporte plus qu’on ne devrait, qu’on s’arrime
à une relation qui ne procure plus aucun bien-être, qu’on ne peut plus se passer d’une personne
qui de toute évidence vous fait du mal, qu’on ne peut pas s’empêcher de se mettre dans des
situations douloureuses, d’approfondir les plaies au lieu de les soigner. Quand regrets, sanglots,
frustrations sont les seules gratifications d’une union… alors on tombe dans l’addiction ». N’estce pas une description au fond assez réaliste de l’attachement passionnel des peuples musulmans
même modernes à leur charia ?
Pour expliquer en bref, les addictions à des substances comme à l’amour, sont liées à une
augmentation rapide de la production de dopamine au niveau du nucleus succumbens, dans le
paléocortex. C’est la région des émotions profondes liées à la défense des fonctions vitales, une
zone donc dont les messages sont difficiles à refuser. Pour donner quelques chiffres, le plaisir
naturel de l’amour physique multiplie la dopamine par 100, l’héroïne par 1000. Non seulement
cela, mais les substances suppriment la période réfractaire, pendant laquelle, d’habitude, après la
satisfaction du plaisir, on n’a plus envie d’y retourner. On revient à un état d’homéostasie, mais
l’accoutumance habitue à des taux élevés de dopamine constants, cette augmentation de seuil est
définie comme un état d’allostasie. Si on mesure le pouvoir addictif d’une drogue de 1 à 100,
l’héroïne et la nicotine auront un score de 90, les amphétamines et la cocaïne de 50, et le cannabis
ainsi que l’alcool de 10. On est dépendant si on répond au quatre premiers critères de la grille et à
cinq des neufs comportements addictifs décrits par Godman249. Analysons-les un par un :
Les quatre premiers critères décrivent les signes cardinaux de l’engouement amoureux,
examinons s’ils peuvent valoir aussi pour l’engouement religieux :
1) Incapacité à résister à la tentation :
« L’amoureux est prêt à traverser la planète pour un baiser. Car son aventure amoureuse figure au
rang des priorités absolues ». Cette idée de priorité absolue est clairement encouragée par un
mouvement religieux fermé, en particulier par le monothéisme avec son aspect
fondamentalement exclusif. Le Dieu jaloux demande tout – tout simplement ! Quand à traverser
la planète, on peut ressentir que c’est un signe exagéré pour l’addiction islamiste, mais n’y a-t-il
pas dans les cinq piliers l’obligation du pèlerinage à la Mecque ? N’est-ce pas une demande
coûteuse, une charge financière lourde pour beaucoup de fidèles qui n’habitent pas au ProcheOrient et ont des revenus très modestes ?
2) Fébrilité à l’approche du rendez-vous.
210
Ici, je peux me référer à mon expérience personnelle au Maghreb. J’étais jeune et je voulais
faire des expériences pratiques, donc je me suis dis que j’allais effectuer la prière musulmane
pendant une période de temps. Je m’y suis donc mis pendant quelques semaines, si possible cinq
fois par jour, avec un groupe soufi qui paraissait a priori libéral mais qui, en fait, ne l’était pas
tant que cela. Je l’ai d’ailleurs quitté par la suite, quand ils ont augmenté la pression pour que je
me convertisse, ce que je considérais comme de l’enfantillage. J’ai pu observer chez moi-même
et chez les ‘Frères’ que le rendez-vous de la prière était attendu avec un mélange étonnant
d’anxiété et de plaisir, en surveillant la montre d’un œil et en attendant l’appel du muezzin d’une
oreille.
Mais le plaisir pur et dur, me dira-t-on, où était-il dans la prière ? Je pense qu’il était bien
présent chez les croyants engagés, il y avait déjà la relaxation physique qu’apporte un peu
d’exercice corporel, la relaxation mentale qui vient assez naturellement quand on récite des
formules qu’on a déjà répétées des millions de fois : c’est facile, et donc cela repose. Plus
profondément, et plus dangereusement aussi du point de vue de l’addiction , il y a le sentiment de
toute-puissance : on est en fusion avec la masse des musulmans alentour qui fait la même prière
en même temps, on participe donc de leur énergie totale, planétaire, voire totalitaire. On se
rattache exactement à une tradition qui a dominé de nombreux pays dans le monde, on se sent
donc de façon subconsciente comme l’empereur de tous ces pays. Si on se laisse un tant soit peu
aller, on peut même avoir le sentiment d’être le « premier violon » dans un orchestre de un
milliard quatre cent millions de croyants. On développe une relation personnelle, intime, avec
l’homme le plus puissant du monde. Il ne s’agit pas de Ahmedinejad ou de Barak Obama, mais
de Mohamed lui-même.
Quant à ceux qui osent s’opposer à l’expansion de l’islam, on prie avec beaucoup d’amour
pour eux : on demande par exemple que leur liberté de pensée soit détruite par la conversion à
l’enseignement du Prophète, ou s’ils s’y refusent, cela signifie qu’ils sont possédés par Satan, et
par souci d’hygiène métaphysique et de pureté rituelle en quelque sorte, on prie avec beaucoup de
zèle et dévotion afin qu’ils soient anéantis par les foudres du Tout-puissant, et si possible
complètement et instantanément. C’est une question de propreté pour la société. Certes, je
caricature mais ces thèmes de toute-puissance typiques sont régulièrement sous-jacents à ce qui
semble n’être de l’extérieur que de la piété tranquille. Comme la pratique revient cinq fois par
jour au moins, cela renforce le conditionnement et accroît donc le risque d’addiction. Celle-ci
n’est pas due à la pratique de la prière en elle-même, mais de façon plus spécifique aux idées de
toute-puissance savamment entretenues par le milieu religieux et le clergé, d’où son côté extensif
et en réseau dans le système psychique.
3) Plaisir et soulagement quand on entreprend le comportement.
« Le passage à l’acte apporte la récompense attendue et le plaisir qui lui est associé ». Nous
venons de voir les diverses causes de plaisir, et elles sont nombreuses. Maintenant, pour ce qui
est du soulagement, nous pouvons observer qu’il y a régulièrement celui provenant de la
déculpabilisation, car on fait son devoir de fidèle pieux et on se libère ainsi de la faute potentielle
d’être un fidèle hypocrite, l’objet de toutes les malédictions dans le texte coranique. En clair, on
est soulagé d’échapper à la condamnation à l’enfer. Pour en revenir à l’addiction amoureusereligieuse, il y a un hadith populaire dans les milieux musulmans pieux, et qui va directement
dans le sens de notre analyse : « Le Prophète aimait trois objets par-dessus tout, les parfums, les
femmes et la prière ».
4) Perte de contrôle dans la réalisation du comportement
« Après le soulagement vient l’ivresse. On perd pied, on s’abandonne, on ne pense plus à rien
pour mieux s’adonner à son occupation favorite ». Les « lâchages intimes » du dévôt-bigot
211
pendant la prière ou les activités religieuses, sont de l’ordre de la toute-puissance, développons
encore ce point essentiel. Cela commence par de la rêverie apparemment innocente : « Comme ce
serait beau et heureux si l’univers entier se prosternait d’un seul cœur devant notre Prophète bienaimé et reconnaissait qu’il a été le meilleur des hommes », mais peut aboutir, avec
l’intensification de la pratique, à une mégalomanie ‘carabinée’ : « Viendra le grand soir de
l’Apocalypse et du yaomi ed-dîn, du Jour du Jugement, où tous ceux qui ne se sont pas prosternés
auront la tête instantanément tranchée et seront précipités dans la chaudière éternelle de l’enfer,
pour le plus grand plaisir des élus qui regarderont le spectacle des balcons du Paradis ». Et
pourquoi attendre le Jour du Jugement et ne pas s’offrir la cerise sur le gâteau dès maintenant,
avec un rêve de petit plaisir, par exemple envoyer un missile nucléaire sur les Israéliens qui les
détruise totalement en un flash, pour punir ces mécréants de ne pas avoir aimé le Prophète si bon
depuis quatorze siècles qu’ils auraient dû le faire…L’obsession de rayer l’autre de la carte
devient comme un disque rayé.
Puisque nous parlons de cela, nous devons cependant reprendre les termes exacts
d’Ahmedinejad auquel on a beaucoup reproché cette menace. Il s’agissait d’un discours du 25
octobre 2005 pour un colloque sur ‘Un monde sans sionisme’. Il a dit exactement : « Le
gouvernement qu’Israël possède doit être rayé des annales de l’histoire ». Le ministre des
Affaires Etrangères en poste en 2007, Mottaki, a repris les mêmes menaces, et quand on les
replace dans l’ensemble des déclarations du Président iranien, il est évident qu’elles sont
sérieuses, et ne sont pas liés à un gouvernement ou à un autre d’Israël, mais à l’apparition même
de l’Etat d’Israël dans l’histoire. Quand le délire systématisé s’installe de façon progressive et
insidieuse, il est très difficile de s’en sortir et il n’y a, en fait, plus qu’un pas jusqu’au passage à
l’acte violent. Sans doute au début cela ne sera que par des paroles dures envers les opposants à
ses idées totalitaires, mais après le sujet risque bien d’en arriver à des actions violentes. S’il est
dans un pays islamique, il en sera probablement récompensé du moment que son passage à l’acte
sert les intérêts politico-religieux du régime, s’il est dans un pays démocratique habituel, il sera
mis en prison pour un bout de temps. Là, il aura le temps de pratiquer davantage ses dévotions et
malheureusement de s’enfoncer et d’aggraver probablement son addiction aux idées de toutepuissance. Pour éviter cela, un soutien religieux modéré et psychothérapique intelligent et simple
du genre ‘Vous êtes une bonne personne sincère et pieuse mais on vous a mis dans la tête
certaines idées erronées’ peut être le plus efficace. Les services anti-terroristes indonésiens l’ont
appliqué il semble avec un certain succès. Par exemple les policiers font à certains moments la
prière avec les prisonniers. Pourquoi pas ? Cela prend à contre-pied le clivage paranoïaque qui
sinon est automatique, entre les bons fidèles, c’est-à-dire les intégristes, et tous les autres
supposés être possédés par Satan.
Ces quatre points font le lit de l’addiction. Celle-ci se concrétise dans le comportement quand le
sujet correspond à cinq des neufs attitudes décrites par Goodman dans la deuxième partie de sa
grille :
1) La pensée est monopolisée par le projet de comportement addictif.
« Le dépendant est parfaitement imperméable à tout ce qui se passe autour de lui. Il est
monomaniaque et tout ce qui n’est pas directement relié à l’objet de ses convoitises glisse sur
son esprit comme une goutte d’eau sur le flanc d’un canard ». On croit voir le portrait d’une
« bonne » recrue dans un mouvement islamiste de base, quelqu’un qui est utile à
l’organisation et ne pose pas de problèmes car il ne pense pas, il agit. De façon générale, il
s’agit en fait une tendance des hommes jeunes, la testostérone aidant. « Le comportement
addictif est de plus en plus fréquent et chaque épisode de plus en plus long ».
212
Du point de vue neurologique, les hommes ont une différence beaucoup plus marquée que
les femmes entre hémisphère droit et gauche. Par exemple un homme reconnaîtra tactilement
avec les yeux fermés un objet avec la main gauche, c’est à dire avec l’hémisphère droit, et pas
avec la main droite, alors que la femme reconnaîtra le même objet avec les deux mains. Cela
signifie que l’homme est plus fortement latéralisé que la femme, et il est à mon sens
directement relié au fait qu’il y ait en prison 80% d’hommes pour 20% de femmes. En effet,
une sensation chronique et intense de dissymétrie entre les deux hémicorps crée un mal-être
de base, qui est facilement projeté sur l’extérieur sous forme d’acte violent. Celui–ci donne
un soulagement car il procure un sentiment temporaire d’unité, tout comme l’orgasme, et
rééquilibre pour un petit moment les deux latéralités du corps. Les femmes ont
statistiquement moins besoin de tout cela, car elles sont plus équilibrées à la base du point de
vue hémisphérique déjà.
Pour en revenir à la citation à propos de ce premier comportement de dépendance, on peut
faire remarquer que le terme ‘monomaniaque’ est particulièrement bien adapté pour une
dévotion monothéiste exclusive qui est le fondement de la croyance islamique. Cette
monomanie s’exprimera dans le contexte religieux, par exemple, par une augmentation des
pratiques pour développer un certain pouvoir. Est-ce que celui-ci sera utilisé dans le sens d’un
réel éveil intérieur, ou dans celui du renforcement d’un obscurantisme de départ ? Là est toute
la question, rien n’est joué au départ.
3) Le sujet multiplie en vain les tentatives visant à réduire, contrôler ou abandonner le
comportement addictif.
Dans l’interprétation à l’envers du mouvement islamiste, la recrue est tentée par Satan car
elle ose douter.
4) Le comportement addictif envahit l’emploi du temps.
De manière générale, être islamiste engagé prend beaucoup de temps : entre les prières
obligatoires, celles additionnelles qu’on fait par piété au milieu de la nuit ou avant l’aube, les
réunions, l’écoute de discours pieux sur CD, le suivi de l’actualité par la télévision ou
l’internet pour être informé de tous les endroits du monde où les islamistes sont persécutés, il
ne reste plus beaucoup de possibilités pour autre chose.
5) Le comportement addictif relègue au second plan toutes sortes d’obligations :
C’est la suite du point précédent. La vie professionnelle et familiale peut en être
sérieusement handicapée, la passion pour Allah devenant beaucoup plus importante que
l’éthique des relatons proches au quotidien. Celles-ci sont vécues comme ennuyeuse par
rapport à l’excitation mégalomaniaque que donne la croyance exacerbée.
6) Le comportement addictif prévaut sur tout autre plaisir.
Les anciens du mouvement favoriseront ce trait en présentant le renoncement aux plaisirs
naturels de la vie comme l’austérité nécessaire au service du Dieu jaloux – comprenez
sans doute l’organisation religieuse elle-même qui est en train de dériver dans des idées
de grandeur violentes.
7) Poursuite du comportement malgré ses conséquences négatives et impuissance de
l’entourage à changer le cours des choses.
Prenons un cas typique que j’ai observés assez fréquemment avec quelques variations
minimes : une jeune occidentale un peu idéaliste a épousé un émigré, ou fils d’émigré
arabe, qui paraissait un peu mystique et qui parlait de l’amour divin. Peut-être se sera-telle même convertie à l’islam sous l’effet des feux de l’amour. Mais avec le passage du
temps, différents problèmes surviennent, difficultés de l’immigration, disputes de couple,
suggestions négatives des beaux-parents plus ou moins racistes des deux côtés, les choses
213
tournent au vinaigre, et l’addiction à la toute-puissance religieuse met de l’huile sur le feu
et va dans le sens d’un divorce dans de mauvaises conditions : par exemple le mari
disparaît avec les enfants quelque part dans le Maghreb et ne donne plus de nouvelles
pendant des années, s’identifiant de façon plutôt consternante au Prophète insulté par les
infidèles de la Mecque, pour essayer de regonfler artificiellement un sentiment de toutepuissance mis à mal par la séparation…
8) Accroissement du seuil de tolérance : besoin d’augmenter l’intensité ou la fréquence du
comportement pour obtenir l’effet désiré.
L’ego paranoïaque hypertrophié a besoin de dévorer de plus en plus de victimes et
d’ennemis jurés, il est pris comme d’une sorte de boulimie. Ce n’est plus simplement le
gouvernement de son pays, Israël et les Etats-Unis qui sont coupables, mais toute la partie
‘hérétique’ de l’islam, les sunnites pour les shiites et vice-versa, tout l’Occident et la
modernité, etc. Le seul reste de distinction apparemment raisonnable dans le délire en
réseau, est celle entre ‘petit Satan’ et ‘grand Satan’, mais dans l’ensemble le monde
extérieur est devenu démoniaque et encerclant de façon de plus en plus serrée le petit
groupe des « purs ».
Pour en revenir à la boulimie, notons qu’elle est souvent suivie de vomissements. En
réalité, le fait lui-même de vomir est paradoxalement addictif, car il stimule les
endorphines et la dopamine, c’est-à-dire le circuit du plaisir. Du point de vue
psychosomatique, il y a probablement une association automatique entre l’œsophage et
les organes sexuels, et le liquide chaud qui jaillit et passe par le ‘tuyau étroit’ sera alors
vécu comme un type d’orgasme. On retrouve cela dans la paranoïa, y compris religieuse.
On vomit celui qui est différent, l’hérétique, la femme, les hypocrites, les tièdes, tous ceux
qui ne sont en fait pas prêts à mourir ou tuer au nom de Dieu, et le fait même de vomir
donne un high, un pic de plaisir particulier dans le sens toxicomaniaque du terme. Et si
cela ne suffit pas, on le « vomit par les trous de nez ». Il faut rappeler que la dilatation du
fond des narines est associée à une expérience de déblocage, de soulagement et très
probablement reliée là encore à la sécrétion d’endorphines.
9) Agitation, irritabilité et angoisse si le comportement ne peut être poursuivi.
Les résistances des sociétés à l’imposition de la charia, même les pointes d’humour à
propos du Prophète, déclenchent une rage aveugle. L’Ayatollah Khomeiny a lancé sa fatwa
contre les ‘Versets sataniques’ juste après avoir entendu une émission de télévision où l’on
disait qu’il se moquait du Prophète. Il n’a pas pris le temps même d’ouvrir le livre, ce qui
donne une piètre idée du sens de justice des islamistes, eux qui pourtant ne jurent que par la
Loi.
10) On pourrait rajouter un critère d’addiction à cette liste déjà longue : l’internet.
Que ce soit le besoin d’envoyer des courriels ou des photos constamment à sa bien-aimée,
de parler avec elle le plus souvent possible sur Skype si elle est loin, il y a une habituation qui
brûle beaucoup de temps et d’énergie. Du point de vue plus général, il y a dans le domaine du
désir sexuel l’addiction aux sites pornographiques. On ne compte pas moins de 190 millions
de sites reliés à la pornographie, et 25% des visiteurs sont en fait des visiteuses…250 Le
monde virtuel du sexe est complètement animé par la toute-puissance voyeuriste du
« cliqueur addict ». Il en va de même pour le monde virtuel de la religion extrémiste. Toute
une partie de la religion est de toute façon déjà virtuelle, discutant de façon pseudo-autorisée
sur le teint des houris du paradis ou le sexe des anges. L’internet peut renforcer cette tendance
à « se lâcher » dans le sens de la toute-puissance apparemment sans risque du monde du
Réseau.
214
Reynault rapproche à sa manière addiction amoureuse et terrorisme : « Dans le manque
amoureux comme dans celui de substances, c’est le cerveau archaïque qui prend le relais et
décide de tout. Le contrôle raisonnable est affecté, le circuit de régulation neutralisé. Comme,
dans un avion, un terroriste prend le contrôle du poste de pilotage, le cerveau se trouve sous
l’emprise du besoin, entièrement sous le contrôle d’un seul type d’ordres. L’ensemble des
fonctions cérébrales se met au service d’un désir impérieux du moment. »
Quelques indications pour un auto-sevrage de l’addiction à la violence religieuse
Le manque amoureux se manifeste par trois émotions de base, anxiété, désespoir et colère.
Dans le manque religieux, l’anxiété se manifestera par la peur de l’enfer, la société ou vousmême ayant rejeté la pratique des ancêtres, le Dieu tout-puissant va vous attendre au tournant et
se venger de moi. Le désespoir peut faire tomber dans la léthargie, et aussi mener à des conduites
suicidaires. Si celles-ci sont dans le cadre d’un attentat terroriste, la dernière émotion, la colère
est alors en jeu. La tendance suicidaire peut être collective, amenant par exemple un pays à
déclencher une guerre nucléaire qu’il est sûr de perdre à cause des rapports de force réels. Ce
risque est malheureusement bien là de nos jours au Moyen-orient, et la tendance islamiste même
modérée ne pourra guère que rajouter de l’huile sur le feu de façon ‘modérée’.
A ce propos, faisons un rapprochement intéressant. Les commentateurs ont bien mis en
évidence que l’une des motivations principales du Printemps arabe était la colère contre le
‘système’, et ils voyaient cela d’un œil plutôt positif. Cependant, il s’agit d’une vue à court terme,
on ne construit guère simplement avec de la colère. De plus, il faut distinguer les raisons de celleci : s’agit-il des frustrations ordinaires, je suis exploité par les gens au pouvoir, ou alors de
frustration fabriquée de toute pièce par la redescente, la sortie d’une mégalomanie religieuse :
« Allah nous a donné la toute-puissance sur la terre entière, pourquoi tant de gens nous
empêchent-t-ils de l’accomplir et d’en jouir ? Pourquoi n’avons-nous plus le Califat, ne pouvonsnous plus avoir quatre femmes et décapiter les opposants à la charia pour la simple raison qu’ils
osent la contrer et nous contrer ? »
Ce dernier type de colère fait partie d’un délire, elle est l’ombre des idées de grandeur qui
paraissent si brillantes, elle est dangereuse en soi. Comprenant cela, le danger de récupération
islamiste de la colère populaire reste fort, malgré les propos édulcorants et rassurants de
beaucoup de spécialistes. Les résultats des élections tunisiennes et marocaines sont là pour nous
le rappeler, elles ont pris à contre-pied la plupart des observateurs, qui, comme pratiquement tout
le monde, ne désiraient pas vraiment qu’ils arrivent au pouvoir. Cependant, ma vieille habitude
de la psychopathologie me fait dire que certes, la pensée positive est importante, mais qu’il faut
se méfier du « délire dans le domaine de son désir ». C’est une question de santé psychique de
base. Nous reviendrons dans l’avant-dernier chapitre sur les différences et la continuité entre
l’islamisme modéré et celui qui ne l’est pas. Il s’agit d’une question d’actualité.
Le plus grand obstacle à une auto-thérapie du sevrage, c’est que les sujets refusent de voir en
face le fait qu’ils soient dépendants. Ce mensonge à long terme les amène à faire toutes sortes de
raisonnements spécieux pour nier la vérité, c’est ce qu’on appelle la paralogique. Il s’agit de
déductions apparemment rationnelles, mais comme ils partent de bases fausses, ils arrivent aussi
à des conclusions fausses. Le milieu religieux est malheureusement plein de ce genre de
raisonnements, parfois même déguisés sous le beau nom de théologie ou de métaphysique. Une
dépendance visiblement pathologique à la charia est déguisée par exemple sous le prétexte « d’un
besoin bien naturel d’identité ». Cela peut se traduire par un déni de réalité, par exemple de la
215
violence au nom de Dieu et de son caractère addictif. Si ce déni s’installe de façon chronique, on
pourra parler de négationnisme. Chez les Alcooliques Anonymes par exemple, le premier des
douze points, c’est que le patient cesse de se conter fleurette à lui-même et aux autres et
reconnaisse qu’il est vraiment dépendant. A ce moment-là seulement il y aura espoir de guérison.
Dans l’addiction religieuse, le conditionnement est soigneusement organisé pour dénier la
dépendance, ou la présenter comme quelque chose de positif. Et quand surviennent des retours
sévères de la réalité qui devraient normalement faire changer de cap, on les interprète comme des
épreuves envoyées par Dieu, et si cela ne suffit pas à anesthésier la pensée libre du sujet, les
cadres du mouvement « sortent les griffes » et insinuent de façon perverse qu’il pourrait s’agir de
manœuvres de Satan lui-même. Cela suffit le plus souvent à annihiler le libre-arbitre du fidèle
terrorisé, qui devient une sorte de robot aux mains du Tout-puissant, comprenez bien entendu ses
représentants sur terre. Ainsi va l’addiction à l’idéologie, d’autant plus absolue que la religion qui
l’a élaborée a une tendance totalitaire.
Revenons-en à la question du sevrage. En principe chacun est à même, avec les informations
de base juste, de reconnaître qu’il est dépendant et de s’auto-sevrer, que l’addiction soit
amoureuse, soit religieuse. Cependant, signalons deux obstacles importants. La logique très
particulière de l’addiction aux substances, on parle de paralogique, fait que le patient est le
dernier à reconnaître qu’il est dépendant. Il peut se libérer en un instant, en un claquement de
doigt, dit-il et sans doute, le croit-il. Dans ce sens, il ne peut guérir puisqu’il n’accepte pas qu’il
soit atteint. De plus, la paranoïa religieuse aussi est complètement aveugle sur elle-même, cela
fait partie de sa nature. Elle est comme un scotome dans le domaine de la vision intérieure. Cela
rend la guérison difficile. La seule chance pour s’en sortir, nous y reviendrons, en dehors du
traitement médicamenteux de départ, est la survenue d’une dépression. Les sujets tristes ont au
moins l’avantage en général de revenir sur eux-mêmes et de se mettre à réfléchir. Les sujets
excités, non.
Marx disait que la religion est l’opium du peuple, et il y a du vrai. Ceci n’est d’ailleurs pas
complètement négatif, puisque l’opium a des vertus antalgiques en cas de douleurs sérieuses.
Cependant, on pourrait continuer en disant que les formes totalitaires de religion ou d’idéologie
comme l’a été le marxisme radical ne sont pas l’opium, mais l’amphétamine ou la cocaïne du
peuple, et encore plus de leurs leaders religieux. Ce sont des drogues stimulantes qui exacerbent
l’ego et favorise sa cancérisation sous forme de paranoïa. Hitler a été drogué aux amphétamines
depuis 1936 jusqu’à une semaine avant sa fin dans le bunker de Berlin, tous les matins le « bon »
Dr Morel venait lui faire sa dose avant même qu’il ne sorte du lit. Les dictateurs d’Amérique
latine du XXe siècle prenaient souvent de la cocaïne. Tous ces rapprochements permettent de
mieux comprendre pourquoi le sevrage de la paranoïa religieuse, en théorie simple, est en
pratique bien difficile. Cela explique aussi la contagiosité de ce genre de trouble, puisque les
patients, une fois dedans, n’ont que peu de chances de s’en sortir, sauf miracle et intervention du
Tout-puissant. Même là, il faut tenir compte des critiques remettant en cause le monothéisme en
soutenant que le Tout-puissant lui-même souffre probablement de paranoïa : sinon pourquoi
voudrait-il être le seul au monde à exister et détruire tous les autres dieux concurrents? Le
problème est donc profond et bien enraciné.
Une des raisons d’une difficulté à réussir le sevrage amoureux est le manque de confiance en
soi, qui vient souvent de séparations arbitraires avec la mère. Elles sont en fait incompréhensibles
pour l’enfant, et il perd confiance en lui. Dans l’ensemble du monde musulman, il y a bien sûr
toutes sortes de cas possibles, cependant cette séparation devient certainement un facteur de
risque important dans les cas des pensionnaires de l’école coranique. Séparés de leur mère pour
longtemps, ils essaient de se reconstituer une sécurité par la dépendance au texte sacré et les
216
conceptions pour le moins autoritaires qui vont avec, et ils développent une dépendance aux
conceptions totalisantes de la religion. De plus, faisons remarquer qu’il y a un point commun à
tous les garçons musulmans, c’est la circoncision. Elle a lieu souvent vers l’âge de cinq ans, cela
dépend des régions. Elle projette l’enfant qui n’a rien demandé au sein du groupe, il s’agit d’une
fête importante socialement, et l’arrache donc de façon incompréhensible au confort de la relation
intime avec la mère. En même temps, on lui retire d’autorité une partie de lui-même a priori assez
investie, le prépuce. Il est bien possible que cet acte profondément déraisonnable aux yeux de
l’enfant – et en fait aux yeux des gens raisonnables – favorise une insécurité de base, et soit
ensuite récupéré et exploité par le système religieux pour rendre l’adolescent dépendant de
pratiques et conceptions étroites de type islamique.
La dépendance d’un certain nombre de femmes musulmanes à la charia a des causes un peu
différentes, elle paraît déjà assez paradoxale puisque ces femmes sont plutôt malmenées par la
Loi du Prophète, surtout d’après des critères modernes de liberté. Pour être bref, on peut supposer
qu’elles voient bien et de près la violence des hommes, qu’elles en ont peur, et que dans ce
contexte, elles préfèrent une demi-loi que pas de loi du tout. On retrouve cependant là, la notion
d’insécurité qui favorise l’addiction – rappelons que le seul terrain psychologique commun des
alcooliques par exemple est l’anxiété. Et s’il y a addiction, le sevrage sera par définition même
difficile.
On pourrait définir le sevrage religieux de façon simple : la perte de croyance en la toutepuissance de sa croyance. Tout dépendra alors du niveau où le sujet aura mis le ‘curseur’ de sa
croyance. S’il s’est laissé mettre dans la tête que sa religion doit dominer la terre entière, il
deviendra évidemment par là même un éternel déçu. De plus, un facteur qui rend difficile le
sevrage amoureux est ce qu’on pourrait appeler le pseudo-altruisme « Sans moi, que pourra-t-elle
faire ? Elle sera tout simplement anéantie ». Evidemment, l’aveuglement amoureux empêche de
voir qu’elle pourra retrouver rapidement quelqu’un de plus beau et plus intelligent, que peut-être
même elle l’a déjà fait discrètement. Il en va de même pour le sevrage religieux. L’islamiste de
base, même modéré, a beaucoup de mal à imaginer qu’il puisse y avoir une société fonctionnelle
sans la charia. L’exemple de la majorité des pays qui fonctionnent très bien sans elle ne compte
pas pour lui. Sa dépendance à la charia se développe comme une monomanie, on pourra parler de
« chariomanie », et elle est donc entretenue par le pseudo-altruisme.
La dévotion est en générale centrée sur une figure charismatique, un héros ayant un lien
spécial avec le Tout-puissant, le Mullah Omar pour les talibans, Ben Laden pour les jihadistes.
Ne pourrait-on pas parler au fond ‘d’héromanie’, terme qui a l’avantage de souligner tout de suite
le lien avec l’addiction de type héroïnomanie? Les héros en question étant essentiellement des
hommes, la question se posera pour les femmes dévotes d’une relation subtile de type amoureux
avec eux, et nous arriverons là dans une zone dangereusement proche de l’érotomanie. Les
sexologues ont observé que l’intensité de l’orgasme de la femme était directement
proportionnelle à la richesse et au pouvoir de son amant. Plus celui-ci a prouvé qu’il était capable
de massacrer d’ennemis de l’islam, plus elle jouiront avec lui au lit. C’est stupide, certes, mais
nous avons souvent fait remarquer que les mécanismes psychopathologiques l’étaient en général.
Cela renforce encore le rapprochement entre « l’héromanie » et l’érotomanie religieuse, et
complique bien sûr le processus de sevrage. Le mythe des houris du Paradis peut se compliquer
de la présence d’amantes réelles en ce « bas-monde ». Par ailleurs, dans les termes mêmes,
dévotion et addiction se ressemblent : être complètement adonné à quelque chose signifie y être
totalement dévoué, c’est là que les deux notions entretiennent une liaison dangereuse.
Reynaud évoque la compulsion de répétition qui est un obstacle au sevrage amoureux. Une
femme par exemple dont le père était alcoolique ne pourra pas se dégager d’une série désastreuse
217
d’amants qui sont dans l’addiction. Il cite une expression qui en dit long : « Abandonner un
bourreau des cœurs pour se retrouver dans les bras de son cousin ». Le parallèle avec l’addiction
religieuse s’impose naturellement : quand on regarde l’itinéraire des islamistes purs et durs, ils on
en général tout un périple dans différents groupes. Ils peuvent essayer le salafisme, le soufisme
rigide, le jihadisme, le tablighisme avec un bonheur variable. A chaque fois, ils quittent parce
qu’ils finissent par s’apercevoir qu’il y a de sérieux problèmes, mais retombent ensuite dans un
groupe qui peut être pire.
Une bonne façon de favoriser le sevrage amoureux est d’accepter la non-réciprocité : « J’aime
cette homme, mais il a d’autres femmes dans sa vie ». C’est un retour à la réalité, certes un peu
déprimant mais salutaire après l’exaltation manique de l’état amoureux où tout paraissait à portée
de main. De même, un fondamentaliste aime sincèrement la société qu’il veut aider de ses
conseils et directives. S’il accepte que celle-ci a bien d’autres choses à faire que de l’écouter et de
suivre ses instructions, il sera certes un peu triste, mais au trois quarts guéri de son
fondamentalisme, et c’est cela qui compte. C’est cet « accusé de réception » de la réalité, ce
« reçu » qui permet de se sevrer de l’état d’amoureux déçu.
Eviter les rechutes
Le véritable sevrage doit être durable. Pour éviter les rechutes, il faut éviter le contact le plus
possible avec les lieux, les situations, les fréquentations qui favorisent l’addiction. Ne dit-on pour
l’alcoolique « Un verre est déjà de trop, mille jamais assez » ? Dans le domaine de l’intégrisme
islamique, il faudra bien sûr éviter strictement les lieux ou les sites Internet qui sont connectés à
cette mouvance, mais aussi les personnes et jusqu’à un certain point l’actualité elle-même. Il est
bon de prendre une sérieuse distance avec elle, car elle sert de chambre d’écho aux conflits de par
le monde. En réunissant et mettant en avant une série de petites anicroches, elle donne
l’impression qu’une grande conspiration est en cours et renforce la paranoïa. Certes, il y a des
mouvements de fond, il est évident qu’il y a une poussée islamiste d’un côté, une réaction de
l’autre, que la paranoïa des uns entraîne en miroir souvent celle des autres, et qu’il y a une masse
de gens entre les deux qui voudraient pouvoir penser à autre chose que cette polarité, mais qui ont
du mal à le faire. Pour cela, il est important de prendre une distance vis-à-vis de l’actualité, d’être
par rapport à elle plutôt dans le jeûne que la boulimie.
Les rechutes dans l’addiction sont souvent le fait d’une période de stress intense. Ici, on
retrouve bien sûr les analyses habituelles en vue de la prévention de l’épidémie islamique
radicale : résolution des problèmes socio-économiques, octroi d’une possibilité d’expression
politique saine, etc., réduire en fait toutes sortes de tensions profondes qui peuvent favoriser
l’accoutumance à des comportements socio-religieux addictifs. Par ailleurs, l’arrêt de toute
pensée critique prônée par les mouvements religieux autoritaires-totalitaires correspond
réellement à une stupéfaction. Cela fait penser évidemment à l’effet des stupéfiants, et en plus
cette abdication de la pensée indépendante, cette échappée loin de la liberté, pour reprendre le
titre du livre d’Erich Fromm à propos de l’Allemagne d’Hitler251 . Cela rend les sujets stupides, il
s’agit donc aussi si l’on peut dire d’une ‘stupidéfaction’….
Un problème de fond du christianisme et de l’islam, c’est que pour des questions de discipline
quasi militaires, on a beaucoup insisté sur l’appartenance communautaire, ecclésia ou oumma.
Du point de vue critique, cela a encouragé la grégarité. Cela pose un risque à long terme : que la
drogue douce de « l’amour fraternel » se transforme en la drogue dure du sectarisme et de la
paranoïa, en d’autres termes que la lumière s’inverse en ombre. Le fait de ne pas savoir quand la
218
bascule se fera, ni quand ni comment, doit inviter à la circonspection à propos de ces qualités tant
vantées d’amour fraternel ou de chaleur communautaire.
Un exemple récent d’addiction à la charia : le gouvernement de transition libyen a organisé à
Bengazi une grande fête de la Libération juste après la mise à mort de Kadhafi. Ils sortaient tout
juste d’une guerre civile et avaient certes de bonnes raisons de fêter leur victoire. Cependant, le
représentant du gouvernement de l’époque, Abd-el-Jalil, s’est empressé d’annoncer qu’une des
premières mesures juridiques qu’on prendrait, serait de rétablir le « droit » pour les hommes
musulmans d’épouser quatre femmes. Il est plutôt triste de voir qu’au sortir de dizaines d’années
d’esclavage sous un dictateur, la première chose qu’ils pensaient faire, c’étaient de pouvoir de
nouveau réduire légalement les femmes en esclavage, car c’est ce que signifie ce « droit » établi
par les hommes pour les hommes. C’était aller de Charybde en Scylla, comme arrêter de fumer
pour se mettre à boire. Cette déclaration tonitruante n’a évidemment pas fait de bien à l’image
internationale d’une Libye moderne, ils ont donné au monde les verges pour qu’on les fouette,
c’est en cela aussi qu’on peut parler de l’attachement à la charia comme d’une addiction avec
toutes sortes d’effets secondaires négatifs.
Toutes les religions ont leurs pratiques pour se relier à l’Absolu, c’est normal. Cependant,
croire qu’un dieu tribal s’exprimant par un « channel » local peut être artificiellement
universalisé, et que cela donne autorité pour agresser le monde entier sous prétexte de le
convertir, voilà qui est une prétention stupéfiante, une anesthésie du bon sens et de l’éthique aussi
forte que celle procurée au cerveau par la morphine. D’où l’analogie avec la prise des stupéfiants,
et une meilleure possibilité de comprendre les comportements violents des sujets quand ils
sentent qu’ils risquent d’être privés de leur « dose » quotidienne, en l’occurrence leur délire de
toute- puissance plus ou moins théologisé. Rappelons que la croyance est un organe vivant, et que
comme tous les organes, il peut se cancériser et mettre alors en danger tout le corps social.
Si la toute-puissance est si addictive, c’est qu’elle est proche de la toute-jouissance. L’orgueil
religieux et métaphysique est beaucoup plus proche qu’on ne le pense de l’orgasme. Les deux
termes sont probablement de la même racine *org, reliée elle-même à *erg, comme dans ‘érigé’,
avec le sens général de se redresser, se cabrer.
Pour l’islam, il semble bien que les véritables traumas ne sont pas passés mais à venir : la fin
prochaine de la manne pétrolière, les guerres de l’eau en perspective, une jeunesse tellement
nombreuse qu’on ne sait plus comment l’intégrer dans la vie professionnelle, etc. Est-ce que ces
sources réelles de gros stress vont aller dans le sens d’une régression ? En psychologie, on a
remarqué qu’en cas de stress ou de pression considérable dans le sens du changement, la
première réaction était la régression vers un état d’enfance, à un stade de développement
antérieur. Cela est à la source de nombreuses pathologies. Les pays musulmans sont en face de
multiples défis, et la solution islamique simpliste du retour aux origines fait bien penser à un
mécanisme psychologique de régression. De plus, quand on regarde l’histoire avec un minimum
de discernement, on s’aperçoit que l’Age d’Or des origines n’a pas eu lieu. Neuf des douze
premiers califes de l’islam ont péri assassinés. Pourquoi diable idéaliser autant une période aussi
troublée ? Sans doute parce qu’on vous a appris à ne regarder la réalité qu’à travers le miroir
déformant de la dévotion. La régression peut être de deux types, soit vers l’enfance historique de
l’islam, l’Age d’or des origines, soit vers l’enfance de l’individu lui-même, vers le paradis
idéalisé d’une éducation à l’ombre d’un papa et d’une maman qui ont dû probablement être
pieux. A l’avenir, quelles sont les nations musulmanes qui pourront réellement progresser face à
ces défis réels, et quels autres choisiront la régression ‘islamisto-infantile’ de façon temporaire ou
chronique ? C’est une question dans laquelle je ne me lancerai pas, je ne suis pas prophète.
219
Revenons-en au sevrage : pour réveiller la force de celui qui est dans l’addiction, celle-ci étant
souvent polyvalente, il est bon qu’il ou elle se sépare de plusieurs addictions à la fois :
abandonner à la fois le tabac et l’alcool, ou l’alcool et la sexualité addictive, ou la violence
religieuse et les femmes… Toutes les combinaisons sont possibles. Dans ce sens, il est très
signifiant de remarquer que les pays les pires pour l’islamisme, Iran, Afghanistan et Pakistan,
sont des grands consommateurs de drogues, opium, héroïne, etc. Les talibans, par exemple, l’ont
fait cultiver pour pouvoir financer leur guerre et corrompre l’ennemi occidental, mais ils ont eu
un retour de flamme sérieux. De façon générale, les systèmes totalitaires ne sont pas contre un
niveau certain d’addiction dans le peuple, car un drogué ne pourra pas se révolter de façon
cohérente et organisée, et n’est donc pas dangereux pour le système. Le pouvoir soviétique
fermait l’œil sur l’addiction à la vodka, le système islamiste radical n’est guère sérieux sur
l’éradication de l’addiction à l’héroïne par exemple, il y gagne en pouvoir sur un certain plan.
Encore un lien fort entre addiction et croyance religieuse violente.
Nous avons vu que le fondamentalisme est par définition caractérisé par le retour à un Age
d’or présumé de la religion, par l’attachement à un passé révolu et la dépendance par rapport aux
textes fondateurs. Ceci le rapproche en fait de la maladie d’Alzheimer collective. D’après
certains neuropsychologues, elle serait due principalement à un envahissement irrépressible du
passé dans l’instant présent, ce qui ne laisserait guère de place pour l’attention aux tâches
quotidiennes, d’où la perte de l’attention, voire même de l’intérêt pour le présent et l’évolution
vers la démence constituée. La sagesse est associée à la stabilité, mais cette qualité a aussi son
ombre : par exemple l’attachement au passé qui devient une fixation et un poids mort qui fait
« mourir avant de mourir » au sens négatif du terme.
Les délires apocalyptiques qui ont fait le lit des premiers groupes chrétiens ou musulmans
n’étaient pas des accidents, ils étaient dans la droite ligne des idées de toute-puissance qui
constituent le noyau dur de l’idée monothéiste. : « Seul notre Dieu n’est pas une hallucination,
tous les autres le sont ! » Le sentiment de toute-puissance représente une drogue hautement
addictive, et ces idées agissent au fond comme le champignon magique du Mexique, le peyotl.
Parlant de champignons, il y a une analogie avec les champignons nucléaires qui risquent
d’engloutir certaines parties du Moyen-Orient, il s’agirait alors en quelque sorte une hallucination
qui se concrétise. Il ne nous reste plus qu’à espérer qu’on en reste au niveau strict de l’analogie,
et de mettre fermement en garde, du point de vue de la psychiatrie, contre la tendance qu’ont
certains délire à se réaliser..
Le centre, le noyau dur de la pensée monothéiste a été d’affirmer d’abord que leur dieu était le
plus grand, c’est seulement ensuite que les choses se sont aggravées et qu’ils ont inventé en plus
qu’Il était unique. C’est un cas typique d’augmentation du seuil de tolérance observé dans les
addictions, si l’on considère que la ‘drogue’ en jeu est le sentiment de toute-puissance qui vient
par une relation exclusive, privilégiée avec un dieu imaginé lui-même comme tout-puissant.
Chrétiens et musulmans se sont ensuite enfoncés encore plus dans l’ornière de l’exclusivisme en
affirmant que leur Sauveur ou Prophète était l’ultime. Plus on en a, plus on en veut, selon la
parole déjà citée pour l’alcool, un verre est déjà de trop, mille jamais assez. Si l’on se souvient en
termes grecs simples, par exemple, que ‘grand’ se dit mégalos, il ne faudrait plus parler de
monothéisme mais de mégalothéisme, ou encore mieux, puisque le dieu en question est défini
comme le plus grand, de mégalistothéisme. La violence qui a accompagné l’expansion du
monothéisme, jamais vue ni avant, ni après, dans l’histoire des religions humaines, est au fond la
conséquence logique de ce dérapage, pour ne pas dire de ce déraillement initial.
220
221
CH 9
MARTYRE ET IDOLÂTRIE DU SACRIFICE
HUMAIN
Que m'importent vos innombrables sacrifices, dit Yahvé.
Je suis écoeuré des holocaustes...
Je n'y prends pas plaisir! Is 1 11.
"Je ne connais pas de commandement plus obligatoire
pour les musulmans que celui de sacrifier sa vie
et ses bien pour défendre et renforcer la suprématie de l'islam."
Ayatollah Khomeyni252
Suicide, terrorisme et sacrifice humain
La citation d'Isaïe est tirée du premier chapitre du premier livre des Prophètes : il semble donc
qu'il s'agissait d'un message que les rédacteurs de la Bible voulaient faire passer en quelque sorte
en urgence. Ceci exprime bien la difficulté pour la religion de cette époque de se sortir de
l'animisme, où l'on apaise par du sang une déité perpétuellement en colère. Même après Isaïe, ce
travail de libération de modes de fonctionnement animistes n'a pas été si facile. Le christianisme
s'est présenté comme une grande réforme, mais lui aussi reste au fond centré sur un sacrifice
humain-divin, celui du Fils envers son Père. En principe, dans l'islam, il n'y a pas d’oblation
d’êtres humains à la divinité, mais le sacrifice du père par le fils, c'est-à-dire l'histoire d'Abraham
et Ismaël, est évoquée, revécue et actualisée par un des plus grand rituels de l'année pour les
musulmans, où l'on sacrifie un mouton comme substitution d'Ismaël. C'est l'Aïd el Kébir. Les
guerres saintes d'expansion représentent aussi le fait que la Oumma, la communauté sacrifie ses
enfants par myriades, dans la recherche d'une hypothétique toute puissance mondiale.
Certes, il y a certains cas où le sacrifice est justifié pour une cause qui dépasse l'individu, mais
quand il s'agit de défendre des idées métaphysiques de toute façon invérifiables, l'intérêt de
détruire sa propre vie devient pour le moins hypothétique, si ce n'est pour se rassurer soi-même et
sa communauté que la cause doit être juste, puisqu'elle continue à faire couler le sang. D'emblée,
222
nous pouvons rejeter cette explication, car si elle était vraie, Staline et Hitler auraient été de
grands fondateurs de religion sur la terre entière. Par ailleurs, il faut comprendre qu'un des
problèmes principaux des êtres humains est l'ennui, et quand il se déclenche une querelle qui
devient violente et que le sang coule, cela leur donner un peu de distraction et « d’amusement ».
Même le suicide, que ce soit pour soi ou pour les autres, sauve un temps d’un ennui « mortel »,
ausssi bizarre que cela puis paraître. Une cause politico-religieue peut aussi servir de couverture
commode, de rationalisation secondaire comme on dit en psychologie, à des gens qui sont
poussées par leur inconscient de toute façon vers l'autodestruction, et ils sont plus nombreux
qu’on ne pense dans la population générale.
En tant que spécialiste de santé mentale, il me faut affirmer d'emblée que je pense qu'il existe
des combats justes et des causes pour lesquelles il vaut la peine mourir, mais est-ce que les
guerres de conquête religieuse et le fait de périr pour 'défendre' – entendez en clair propager et
imposer – un ensemble de croyances ou superstitions rentre dans cette catégorie? L'homme
moderne, pas plus que les hindous et les bouddhistes traditionnels, ne croit en cela. Ils se
rejoignent là-dessus, et se serrent la main en passant en quelque sorte au-dessus du torrent de la
violence monothéiste qui a traversé l'histoire de l'humanité depuis trois millénaires. Le refus de
l'Europe de mentionner clairement le rôle de l'Église dans sa constitution, bien qu'injuste du point
de vue strictement historique, est un message de fond allant dans le sens du désaveu solennel par
la modernité de cette histoire de violence.
Le livre L'attentat de Yasmina Khadra a reçu le Prix des libraires en 2006. Il a écrit toute une
série de romans pour faire toucher du doigt la psychologie des terroristes. Il raconte par exemple
dans l'Attentat l'histoire d'une femme qui se fait sauter dans un restaurant de Tel-Aviv, alors que
son mari, un honnête chirurgien, n'avait rien vu venir. Cela est plausible du point de vue
psychologique, il peut y avoir des impulsions suicidaires subites alors que les patients n'en ont
jamais parlé, bien que ce ne soit pas la situation la plus fréquente. De plus, si l'on considère ce
passage à l'acte contre les autres aussi comme une forme d'agression paranoïaque, il faut se
souvenir que le délirant reste pendant longtemps capable de cacher ses idées, car il est
suffisamment intelligent pour se douter qu’elles seront vigoureusement contrées ou qu'elles
peuvent même le mener à un internement en psychiatrie.
Khadra nous fait toucher du doigt avec des mots de tous les jours ce qui se passe dans l'esprit
du terroriste en herbe, en particulier l’aspect quasi-épidémique de la paranoïa religieuse. Il fait
parler le chirurgien à son ami officier des renseignements israéliens :
"- Tu ne peut pas mesurer combien ça me travaille, c'est l'histoire. Comment, bordel ! un être
ordinaire, sain, de corps et d'esprit, décide-t-il au détour d'un fantasme ou d'une hallucination, de
se croire investi d'une mission, de renoncer à ses rêves et à ses ambitions au sein d’une mort
atroce et au milieu de ce que la barbarie a de pire ?
- Que te dire, Amine ? Les motivations n'ont pas la même consistance mais généralement, ce sont
des trucs qui s'attrapent comme ça, dit-il en claquant des doigts. Ça vous tombe sur la tête comme
une tuile, ou ça s'ancre en toi tel un ver solitaire. Après, tu ne regardes plus le monde de la même
manière. Tu n'as qu'une idée fixe : soulever cette chose qui t'habite corps et âme pour voir ce qu'il
y a en dessous. À partir de là, tu ne peux plus faire marche arrière. D'ailleurs, ce n'est plus toi qui
es aux commandes. Tu crois n'en faire qu'à ta tête, mais ce n'est pas vrai. Tu n'es rien d'autre que
l'instrument de tes propres frustrations. Pour toi la vie, la mort c'est du pareil au même. Quelque
part, tu auras définitivement renoncé à tout ce qui pourrait donner une chance de retour sur terre.
Tu planes. Tu es un extraterrestre. Tu vis dans les limbes, à traquer les houris et les licornes. Le
monde d'ici, tu ne veux plus entendre parler. Tu attends juste le moment de franchir le pas. La
seule façon de rattraper ce que tu as perdu ou de rectifier ce que tu as raté - en deux mots, la seule
223
façon de t'offrir une légende, c'est de finir en beauté : te transformer en feu d'artifice au beau
milieu d'un bus scolaire ou en torpille lancée à tombeau ouvert contre un char ennemi. Boum! Le
grand écart avec, en prime, le statut de martyr."253
Khadra décrit bien le caractère soudain de l'invasion délirante suivi de son enkystement à long
terme dans la psyché, avec un état de toute puissance érotique mêlé cependant à une fascination
pour la mort non moins puissante. Il décrit aussi en termes plutôt directs un des problèmes du
martyre, celui d'une évolution socio-historique pervertie, voire inversée:
"Ce sont généralement les meilleurs, les plus braves qui ont choisi de faire don de leur vie pour le
salut de ceux qui se terrent dans leur trou. Alors pourquoi privilégier le sacrifice des justes pour
permettre aux moins justes de leur survivre ? Tu ne trouves pas que c'est détériorer l'espèce
humaine ? Que va-t-il en rester, dans quelques générations, si ce sont toujours les meilleurs qui
sont appelés à tirer leur révérence pour que les poltrons, les faux jetons, les charlatans et les
salopards continuent de proliférer comme des rats ?"
Il est vrai que ceux qui envoient les autres se faire tuer ont un côté de manipulateur pervers,
mais cela ne veut pas dire que ceux qui se laissent mener vers la mort soient des saints ou des
modèles de développement humain. Ils n'ont que peu ou pas conscience du tout des pulsions
autodestructrices qui les animent, ils les projettent donc sur une cause extérieure qui peut être en
fait la première qu'ils ont sous la main. Ainsi, ils deviennent martyrs. Certes, il y a aussi le
groupe des idéalistes qu'on pourrait appeler incurables, pour qui mourir ou tuer n'est pas un
problème. Rappelons que l'idéalisme passionné est un sous-groupe des paranoïas.
De l'anthropologie primitive à l'actualité : ce que dit l'idole de Beslan
A l'automne 2004 s'est déroulé en Ossétie du nord le massacre de l'école de Beslan, durant
lequel 361 personnes ont péri y compris 186 enfants aux mains d'un groupe de terroristes
tchétchènes qui se vivaient eux-mêmes comme des martyrs de la liberté et de l'islam. Martyre
signifie étymologiquement témoignage, justification, mais justification de quoi ? M'est alors
venue l'idée suivante, dans la lignée des rapports entre monothéisme et idolâtrie que nous avons
développés : en fait, il n'est pas interdit de considérer le monothéisme comme la plus grande
idolâtrie… Pour des parents, les enfants sont comme des petits dieux. Si on est prêt à détruire les
dieux des autres au nom de son Dieu supposé être le seul vrai, pourquoi ne pas massacrer leurs
enfants aussi ? Il s'agit de la même logique d'intolérance, simplement poussée un peu plus loin ;
ce n'est qu'un pas de plus pour celui qui est en train de basculer dans l'abîme du fanatisme du
Dieu unique. La population locale a bien senti cet aspect quasi-religieux de l'acte des terroristes
musulmans : le massacre avait quelque chose de la violence iconoclaste de l'islam, et plus
généralement des religions du Livre contre les idoles. Il est licite que ces populations victimes
commencent à vouloir en quelque sorte se venger. Dans un article du Courrier International de
janvier 2005, on lit ceci : "Dans le gymnase où a eu lieu le massacre, un inquiétant totem en bois
noir trône au beau milieu avec l'inscription suivante : "Mort aux Tchétchènes qui n'échapperont
pas à la vengeance de l'idole"…
Finalement, qu'est-ce qu'exprime l'idole de Beslan ? Le message des habitants de la ville à
travers cette statue est clair : "Nous en avons assez de nous faire massacrer comme des moutons
par des meurtriers qui en plus opèrent avec une bonne conscience parfaite, au nom de votre dieu
invisible, mais singulièrement assassin. Nous allons vous envoyer un dieu visible qui saura vous
224
donner une leçon. Nous en avons assez des "héros" qui sont des zéros, et des doctrines qui les
soutiennent." L'action terroriste de Beslan, dans le contexte global de la violence monothéiste,
n'est pas si étonnant : il peut être considéré comme la fleur au sommet de l'arbre de l’intolérance,
mais elle est particulièrement vénéneuse, quelles que soient par ailleurs les complexités du conflit
tchétchène.
Le martyre dans l’islam, un héritage du judaïsme et du christianisme
Un texte gnostique des premiers siècles, Le Témoignage de la Vérité, disait : "Ces 'martyrs
vides' ne portent pas témoignage à la Vérité, mais ils ne portent témoignage qu'à eux-mêmes" Les
gnostiques condamnaient ces fonctionnaires de l'Eglise qui obligeaient des croyants innocents à
se précipiter vers les exécuteurs, et encourageaient les "petits" à plonger dans le martyre afin
qu'eux-mêmes et leurs Eglises puissent y gagner une popularité bon marché, et prospérer sur le
sang des autres. Les chrétiens politiquement corrects de l'époque étaient en colère contre ces
gnostiques qui osaient dire ce qu'ils pensaient, car ils sentaient qu'ils étaient en train de leur voler
une de leur arme principale de propagande. Irénée tonnait et menaçait que "tous ceux qui ont
porté ombrage à leurs martyrs seront confondus par le Christ".254 Peut-être avait-il peur que si on
allait voir au centre intime de sa croyance, on n’y découvre qu’un caillot de sang. Le but des
missionnaires et du prosélytisme est de donner un témoignage, pouvant être poussé jusqu’au
martyre, c'est même le sens étymologique de ce dernier terme : quel est donc le lien profond entre
ces deux attitudes ? C'est ce que nous devons explorer dans ce chapitre.
Certains optimistes avaient sans doute pensé que le siècle des Lumières serait suffisant pour
faire disparaître le fanatisme. L'actualité brûlante montre que c'est loin d’être le cas, et que nous
avons encore besoin de beaucoup, beaucoup de lumière. J'espère que les lignes ci-dessous vont en
apporter un rayon certes léger mais droit. Cela ne veut pas dire que j'ai le simplisme de croire que
le fanatisme n'est que religieux. Les trois régimes les plus meurtriers du XXe siècle ont été
l'hitlérisme, le stalinisme et le maoïsme. Les deux derniers avaient une position en apparence
antireligieuse ; mais il faut bien comprendre ce phénomène : en fait, ils avaient élevé leur propre
idéologie au rang de la nouvelle religion suprême. Quand au fascisme, il s’est construit sur les
peurs des chrétiens face au bolchevisme. Malgré des conflits de pouvoirs éventuels avec les
Eglises, il représentait quand même au fond le bras armé du christianisme contre les menaces
nouvelles comme le communisme, ou anciennes comme le judaïsme.
Pendant quinze siècles, on peut dire que l'islam a servi de miroir au christianisme, lui
renvoyant sa propre image à la place de lui permettre de voir au-delà de lui, jusqu'en Orient. Et
dans cette image en miroir que ces deux Religions du Livre se renvoyaient indéfiniment l’une à
l’autre en un cercle fermé, la notion de martyre était incluse comme quelque chose de structural,
depuis les Maccabées et l'histoire de Razis si l'on veut être précis. (II Mac. 14 43-46 et I Mac., 2
50) Ceci n'est pas du tout le cas pour l'hindouisme et le bouddhisme. A cause de ce type
d'histoires bibliques tardives, l'Occident et l'islam ont cru que le martyre était un ingrédient
indispensable de toute religion. Onze sur douze apôtres du Christ sont morts en martyrs, et
beaucoup des premiers compagnons du Prophète sont morts à ses côtés durant les quatre-vingts
guerres qu'il a menés pendant sa vie. Les neufs premiers califes sont morts assassinés. Ces
martyrs d'origine ont été fondateurs pour ces deux religions. En tant que spécialiste de la santé
mentale, il était important de tirer en quelque sorte la sonnette d'alarme. L'actualité récente
confirme ces appréhensions sur le développement du martyre comme arme pour galvaniser, voire
fanatiser les masses. Nous allons parler dans ce chapitre d'anthropologie et d'histoire, et nous
225
allons essayer d'approcher de près, tout en restant simple, des racines profondes de la violence
actuelle de l'islamisme.
Il faut bien sûr mentionner d'emblée la critique du martyre comme équivalent suicidaire.
Dans certains cas, des gens, pour des raisons personnelles, sont fascinés par l'idée de mettre fin à
leurs jours. Pour essayer de donner un peu de panache à ce qui n'est en fait qu'un trouble de
l'humeur, ils courent vers la martyr pour une cause qui se trouve être à la mode à ce moment-là.
Ce diagnostic de dépression masquée n'explique pas tous les cas, mais certainement une
beaucoup plus grande proportion d'entre eux qu'on ne le pense. Reste à savoir pourquoi
l’idéologie religieuse récupère ces cas à son service.
On pourrait dire que le martyr "normal" de la Bible ou de l'histoire du christianisme et de
l'islam qui va seulement vers la mort a priori pour défendre sa religion terrorisait aussi à sa
manière la société de façon subtile. Il la culpabilise d'une manière massive en donnant comme
seule raison de sa perte le fait qu'elle, la société, ne veuille pas accepter ses croyances ou
superstitions à lui. Et cela la rend tout d'un coup responsable pour le sang versé, alors qu'ellemême ne demandait au fond qu'à rester tranquille et en paix. Le christianisme et l'islam pensent
que le nombre de martyrs qu'ils ont eus constitue le roc le plus solide pour fonder le temple de
leur foi. Du point de vue de l’éthique moderne et raisonnable, on y verrait plutôt l'embarcation
fragile des croyances flottant sur un lac de sang qu'elle a elle-même fait couler, et risquant à plus
long terme de chavirer dans l'océan de l'oubli.
Il ne faut pas se faire d'illusions. Un certain regain d'intérêt intellectuel pour la religion en ce
moment en France est souvent motivé par une sorte de curiosité clinique, stimulée par une
volonté de comprendre la psychopathologie : comment des doctrines qui parlent officiellement de
paix et d'amour peuvent transformer des êtres humains a priori normaux en les amenant à se
comporter avec férocité, à se faire sauter, en entraînant éventuellement d'autres dans l'abîme ? Ce
n'est pas une interrogation de spécialistes, c'est une question que le monde entier se pose, au
moins ceux qui sont capables de réfléchir. Pourquoi la notion de martyre est-elle dangereusement
reliée à celle de terrorisme ? Que se passera-t-il si les kamikazes sont animés de l’arme
nucléaire ? Comment comprendre cette folie ? Comment l'arrêter ?
Contrairement à certains psychologues, je ne critique pas en soi l'attitude consistant à "faire
des sacrifices" Il est évident que pour l'harmonie d'une vie de famille et de société, ainsi que pour
progresser spirituellement, il est nécessaire de dépasser son egoïsme nombriliste et donc de
"faire des sacrifices", quels que soient les termes qu'on utilise pour désigner cette réalité.
Cependant, il est important de comprendre dans quel sens on les fait : celui d'un allégement,
d'un assouplissement de la cuirasse de l'ego, permettant de respirer plus librement – ou bien au
contraire celui d'une relation sadomasochiste avec un Père Tout-puissant dont les papilles
olfactives seraient émoustillées par le fumet de notre chair carbonisé sur l'autel de l'autoflagellation. Il y prendrait peut-être d’ailleurs un plaisir tout à fait spécial, proportionnel à
l'intensité de nos gémissements et de notre souffrance.
Pour achever ces quelques propos réalistes sur la question, nous pourrions risquer une
réflexion : derrière l'idée de respect obligé pour la croyance sacrée dans le christianisme et islam,
il y a la notion immédiate, on pourrait dire le réflexe conditionné chez le fidèle que des millions
de gens ont versé leur sang pour, et éventuellement bien sûr contre, leur expansion : et si c'était
justement pour cela que ces deux religions ne méritaient pas de ménagements, mais au contraire
une remise en question profonde ?
L'archétype d'Ismaël, facteur de guérison ou d'aggravation de la violence ?
226
Commençons par citer le récit du Coran lui-même qui est un peu différent de celui de l'Ancien
testament :.
"Lorsque le fils fut en âge d'accompagner son père, celui-ci dit : "O mon fils ! J'ai vu en
songe que je t'immolais ; qu'en penses-tu ?" "O mon père, fait ce qui t'est ordonné ; tu me
trouveras, si Dieu le veut, parmi les patients." Après qu'ils se remirent à Dieu, et
qu'Abraham eut jeté son fils à terre, nous lui criâmes : "O Abraham, tu as authentifié la
vision, c'est ainsi que nous récompenserons ceux qui font le bien. C'est là en vrai une
épreuve indubitable." Nous le rachetâmes par une victime destinée à un sacrifice majeur."
(Co 32 102-107)
On peut déjà remarquer la similarité des racines entre le terme 'rachetâmes', fadaynâ-hu, et le
terme qui signifie combattants fidèles allant jusqu'au martyre, fidayin. Ceux-ci sont en fait des
victimes de substitution. Evidemment si l'on voit cela avec un bon sens extérieur, on se demande
'substitution pour qui' ? Pour les autres êtres humains qui ne se soucient guère du Coran ? Mais
pourquoi au fond un Dieu prétendument Tout-puissant aurait-il besoin de ces sortes de
compensations ? Est-il un enfant geignard auquel il faut donner un hochet pour calmer sa colère ?
Ismaël était le fils aîné, mais c'est Isaac qui a eu la préférence, et il y a donc dès le départ une
notion d'héritage spolié et de trahison, qui reste comme une plaie ouverte, et représente la "cause"
d'une revendication quasi génétique des musulmans contre les juifs. Comme nous l’avons fait
remarquer, il serait naïf de croire que tous les mythes sont formateurs, parfois ils peuvent être
directement déformateurs, même si les mystiques essaient comme ils peuvent de leur trouver
toutes sortes de sens profonds, pour en quelque sorte limiter les dégâts.
Pour redescendre de la légende vers l'histoire, il faut signaler qu'il n'y a aucune mention de
noms tels qu'Abraham, Ismaël, Isaac ou Agar chez les Arabes préislamiques. Ils sont apparus
avec l'islam, et leur fréquence a progressé avec son expansion. Il est important de réaliser que
nous sommes donc devant une fable des origines, mais qui exprime certainement de façon
archétypale un conflit de l'islam depuis ses débuts avec le judaïsme. Il est intéressant de relever
aussi que dans le Coran, Agar ou Hagar, c'est à dire littéralement "l'Exilée" n'est jamais
mentionnée directement, au mieux on parle de la mère d'Ismaël. Est-ce que les premiers
musulmans voulaient cacher qu'ils descendaient d'une esclave ? Même par la suite, quand d'après
une tradition propre à l’islam et inconnue ailleurs, Abraham retrouve son fils Ismaël pour fonder
le temple de La Mecque, Agar n'est pas présente, elle est comme exclue de la famille. Nous
reviendrons sur cette absence psychologiquement significative de la mère dans le chapitre sur Les
origines de l'islam revisitées. Ce qu'on peut déjà noter du point de vue clinique, c'est que
l'orphelin Mohamed essaie donc de s'inventer un père avec l'histoire d'Abraham et d'Ismaël, et
d'en procurer un aussi aux Arabes qui n’avaient pas ‘leur’ monothéisme. S'agirait-il d'un
phénomène de compensation ? En effet, on peut remarquer que l'enfance et la jeunesse de
Mahomet ont été marquées par les abandons, mort du père, et mort de la mère quand ils étaient
dans le désert; ceci l'a identifié puissamment à Ismaël qui est passé par le désert où sa mère Agar
a fini par mourir. Tout cela met dans une ambiance de victimisation et de persécution injuste, et
c'est lourd psychologiquement.
On peut se demander ce pour quoi Ismaël a remplacé Isaac dans la plupart des traditions
musulmanes au moment du sacrifice d'Abraham : il faut comprendre que "sacri-fier" signifie
"faire sacré", et quand on devient tel, on a des bénéfices secondaires substantiels, par exemple le
droit de tuer ses ennemis au nom de Dieu. Voilà un des sens de cette compétition bizarre pour la
227
mort. Comme ce sacrifice se serait passé au niveau de la mosquée du Dôme à Jérusalem, celle-ci
est devenue le symbole du conflit israélo-palestinien, et même judéo-musulman.
Ce qu'il y a de dangereux dans la compréhension du mythe d’Ismaël par l'islam, ou d'Isaac par
le monothéisme habituel, c'est finalement son sous-entendu angoissant: vous avez échappé aux
sacrifices par le père-Dieu-dictateur, vous l'avez même ‘trompé’ en lui offrant une victime de
substitution, mais faites attention, à n'importe quel moment Il peut s'apercevoir qu'Il a été abusé,
rentrer dans une rage cosmique et redemander ce qui lui revient de droit, c'est-à-dire votre vie
même. Lors de l'épisode ancien, Dieu a fait en quelque sorte un miracle pour sauver l’être
humain, mais n'est pas dit qu’il ait envie, ou même qu’il soit capable de le reproduire. Est-ce
qu’on peut affirmer, en toute honnêteté, que ce type de relation n’ait rien à voir avec une forme
de sadomasochisme ? Je laisse chacun juge de la situation.
On peut en fait parler de course peu saine à la position de martyre. Les islamistes actuels,
l'Iran, le Hamas sont des champions du révisionnisme qui dénie l'Holocauste. Ils voudraient en
fait être les seuls à être honorés de la palme du martyre : l'ensemble de l'entreprise rejoue en
réalité l'archétype du remplacement d'Isaac par Ismaël sur l'autel du sacrifice d'Abraham ; dans le
contexte actuel de violence possiblement nucléarisée, cela devient franchement morbide et
dangereux.
Ibn Arabi interprète, comme un mystique doit le faire, le sacrifice d'Ismaël en tant qu’offrande
de l'ego, mais les islamistes, eux, ont brûlé les livres du Sheikh-el-akbar, du Grand maître, et ils
veulent de leur côté des sacrifices extérieurs, sanglants à souhait, encore et toujours. Le lieu au
Ismaël a failli mourir de soif mais où finalement Dieu lui a montré une source d'après la tradition
musulmane est La Mecque même. Là encore, c'est lourd psychologiquement de mettre au centre
même de sa religion une histoire d’enfant persécuté en état de déshydratation avancé qui tout à
coup est reconnu comme seul juste par une voix qu'il pense venir d’un Pouvoir supérieur. Du
point de vue de la clinique, celle-ci pourrait être aussi bien la manifestation d'un surmoi
paranoïaque: en effet, que fait celui-ci, sinon affirmer régulièrement à quelqu'un qui se croit
persécuté - souvent de façon imaginaire - qu'il est "en vérité" la perfection même, qu'il est tout
puissant, c'est-à-dire dans le contexte de l'époque qu'il aura une descendance très nombreuse, ce
qui avait été promis à Ismaël tout comme à Abraham?
Après avoir été chassé dans le désert par son père Abraham, Ismaël a grandi et finalement s'est
réconcilié avec lui et l'a aidé à construire le temple de La Mecque. Mais la mère, Agar, brillait
par son absence à ce moment-là : peut-être devrait-on décrire un nouveau complexe d'Oedipe
purement mâle, non pas dans la famille, mais dans la transmission religieuse musulmane. Le fils
et le père fusionnent en éliminant la mère, qui n'était qu'un utérus de location, utilisée
temporairement et vite rejetée, pour qu'elle ne vienne pas troubler la véritable chose, c'est-à-dire
la transmission de l'islam de guerrier en guerrier : en d'autres termes, il n'y a qu'un Dieu, c'est le
mâle absolu, et les déesses-mères ne méritent que d'être annihilées. Pourquoi ? Parce que c'est
comme ça. D'ailleurs, la preuve, c'est que c’est le dieu mâle qui l'a dit...
Devant un tel déséquilibre du masculin et féminin, comment les psychopathologies multiples
et variées ne pousseraient-elle pas comme des champignons ? On peut se demander si le
patriarcat pur et dur comme on le trouve en islam, et aussi dans d’autres traditions, correspond
symboliquement aux formes de vie naturelles avec reproduction sexuée ou alors plutôt à un
clonage– produisant des répliques en tout points pareils au modèle originel. Dans notre cas, il
s'agira d'un fils imbu de sa supériorité mâle et misogyne par principe religieux – comme son
papa. Les femmes s'occupent alors de la dévotion ainsi que de donner la vie, et les hommes des
choses sérieuses, c'est-à-dire de la guerre sainte et des conquêtes, et de façon plus archaïque, de
donner la mort, en l’occurrence d'organiser au travers de ces activités de grands sacrifices
228
humains à leur Idole unique, pour apaiser sa rage perpétuelle contre l'espèce humaine. Ainsi le
système est "équilibré", les femmes donnent la vie, les hommes la prennent, et il peut se
reproduire ainsi indéfiniment pareil à lui-même. Quant à la gent féminine dans cette organisation,
elle n'a schématiquement que le choix entre deux possibilités : être malheureuse-soumise, ou bien
malheureuse-rebelle.
La coutume en islam ordonne de sacrifier un mouton pour la naissance d'un fils, cela n'est pas
neutre psychologiquement, on essaie de reproduire de façon naïve la manière dont on a "trompé
Dieu" au moment du sacrifice d'Ismaël, en Lui offrant un animal de prix sa place. Comme le dit
Benslama : « Il n'y a pas de pensée possible du sujet du sacrifice en islam sans prise en compte de
cette théâtralité domestique de sacrifice »255 (où le père rejoue la substitution du fils par le
mouton lors de l'Aïd-el-Kébir, suggérant par là qu’Allah reste au fond aussi féroce et menaçant
qu’il l’a toujours été).
Le philosophe médiéval musulman Miskavaya expliquait : "Le père voit dans son fils un autre
lui-même. Il pense avoir reproduit de façon naturelle sa forme humaine dans l'individualité de
son fils et avoir transféré réellement son essence dans la sienne." En arabe "un autre lui-même"
correspond à huwa-huwa, c'est-à-dire "lui - lui". N'est-ce pas le signe de l'identité et de la fusion
qui peuvent donner les bases d'un complexe d'Oedipe mâle ? Benslama fait remarquer que "Lui",
huwa, est un nom de Dieu marquant son identité suprême. Dans les mosquées, la calligraphie de
huwa-huwa est souvent représentés en miroir. Dans le même idée, on réunit en arabe les deux
parents sous l'expression "deux pères", abawayn.256. Evidemment, avec l'oeil du psychologue, on
peut se demander si une culture où le modèle absolu est "Lui - Lui" et non pas "Lui - Elle" ne va
pas favoriser l'homosexualité, dont la prévalence est connue dans l'histoire du monde musulman.
La question, même si elle paraît choquante pour certains, mérite d'être ouverte et examinée sans
tabou.
Martyr, animisme et pathologie du sacrifice humain
Il y a des discussions parmi les spécialistes de la préhistoire pour savoir qui des deux est venu
le premier, le sacrifice humain ou la guerre. Probablement la guerre, mais le sacrifice humain y a
été intimement lié dès le début. Il y a un fait d'anthropologie important à comprendre, nous
l’avons déjà signalé, c'est que pour assurer la solidité future d'un bâtiment en construction, une
coutume primitive voulait qu'on sacrifie un être humain, de préférence un enfant, et qu'on
l'enterre dans les fondations. Bien qu'elle ne soit pas reconnue par les grandes traditions, ce rituel
de magie noire a eu la vie dure et a été fort répandu. C'est comme un archétype. On peut se
demander si la notion de martyr qu'ont développé à grande échelle le christianisme et l’islam n'est
pas basée sur cet archétype, la solidité de l'institution étant justement fondée sur le sang des
martyrs. C'est comme s'il agissait du meilleur ciment pour relier ces pierres isolées que sont les
croyances de chaque individu.
On peut en retrouver des traces dans la Bible, avec des sacrifices de fondation typiques dans R
1 18-21, Jos 6-28, et surtout le sacrifice de son propre fils par le roi de Moab, Mésha (2 R 3 27).
Dans ce dernier cas, il ne s'agit pas d’un rituel pour fonder une ville, mais pour la sauver.
L'histoire est la suivante : Moab était à la tête d'un petit royaume vassal d’Israël, il s'était révolté
et ne voulait plus payer son impôt. De ce fait, les Israéliens l'ont attaqué, ont encerclé sa ville et la
situation a été pour lui de mal en pis, jusqu'au moment où désespéré, il est monté sur les
remparts, et au vu de tous a sacrifié son propre fils. Les Israéliens ont été complètement dégoûtés,
ils ont levé le camp et sont partis. Nous avons ici un complexe fort profond: si on sacrifie son
propre fils, même la main de Dieu va être forcée, et la destinée va être retournée à 180°. Il n'est
229
pas interdit d'en discerner l'influence dans la tentative de sacrifice d’Isaac par Abrahamn et
surtout dans le 'noyau dur' de la croyance du christianisme présenté par Paul, le fait que le Fils
s'est offert au Père en rédemption des péchés.
Dans l'actualité on peut voir clairement que psychologiquement, les Palestiniens comme les
Iraniens souffrent de claustrophobie collective, ils se sentent encerclés, pris à la gorge, étouffés et
ils réagissent à cette panique de façon plutôt psychotique en offrant leurs enfants en sacrifice.
L'Iran a développé depuis un quart de siècle ces sinistres institutions que sont les "écoles du
martyr". Rappelons qu'à l'origine, le Hamas était un club de jeunes spécialisés dans ce théâtre de
rue quelques peu particulier : les explosions-suicides en pleine foule. Il s'agit au fait d'un style
théâtral post-moderne, puisque l'audience à son corps défendant est aussi incluse comme actrice
dans la pièce elle-même. On peut reconnaître le 'complexe de Mésha' dans la manière dont les
Palestiniens exploitent leurs enfants martyrs. Dans ce cas, ce n'est plus la montée au rempart qui
permet d'être vu par tous, mais les médias internationaux. Mais nous sommes toujours dans le
même archétype. Cependant, la stratégie semble moins efficace que dans la Bible, puisque les
Israéliens ne semble guère prêts à lever le camp pour aller voir ailleurs.
Pour continuer dans ce sens de la compréhension du martyre, on a observé récemment de plus
en plus un glissement dans l'esprit du terrorisme : avant, il s'agissait d'une sorte de théâtre de rue
destinée à attirer l'attention coûte que coûte par des attentats le plus spectaculaire possible sur des
cibles symboliques. Les médias mondiaux faisaient chambre d'écho. Maintenant, les actes
terroristes continuent, mais ils sont intégrés dans une guerre beaucoup plus organisée, et les
kamikazes de base sont devenus une simple branche d'une armée de la terreur au sens complet du
terme. Les attentats de Bombay le 26 novembre 2008, qui ont fait 150 morts et 300 blessés, sont
un indicateur dans ce sens. Le fait que l'opinion pakistanaise ait dénié massivement l'évidence
selon laquelle les 10 terroristes responsables de ces attentats étaient venus du Pakistan et faisaient
partie du groupe Lashkar-e-Toiba, a bien montré que les racines du mal étaient profondes. Le fait
aussi que le gouvernement pakistanais ait tant traîné et traîne toujours au bout de 5 ans pour
rechercher les coupables n'a pas aidé à améliorer l'image internationale de ce pays comme un des
grands repaires mondiaux du terrorisme. La transformation de mouvements radicaux en
véritables armées terroristes est le fait du Hizbollah, du Hamas, et de al Queda, en particulier
pour ce dernier au « Talibanistan », cette région dominée par l'intégrisme qui s'étend entre le sud
de l'Afghanistan et le nord du Pakistan. Cette mutation est le signe d'une guerre qui se développe
et que le monde civilisé ne peut pas se permettre de perdre.
Nous avons vu l'importance centrale dans la pensée musulmane du sacrifice d'Ismaël par
Abraham, commémoré au Dôme du Rocher à Jérusalem, Al Aqsha. D'après les historiens, ce lieu
de pèlerinage existait dès les origines de l'islam bien avant la Mecque et sans doute Médine. La
version officielle est qu'un mauvais calife aurait organisé le pèlerinage à Jérusalem pendant un
demi-siècle après qu'il ait été déjà commencé à La Mecque par Mahomet et contrairement aux
dernières volontés de celui-ci. Mais cette version reflète en fait la réalité historique en la
réinterprétant à sa guise : le premier pèlerinage était bien Jérusalem, avant que le mythe de La
Mecque ne l'ait travestie, en y transportant le pèlerinage originel de l’islam afin de ‘déjudaïser’
celui-ci et de l’arabiser. Dans ce récit du sacrifice, l'Ange du Seigneur a stoppé le bras du père
infanticide in extremis. Cependant, dans le cas des Palestiniens, il semble bien qu'il rate
régulièrement le rendez-vous.
Ce qu'on peut soutenir du point de vue de la psychologie des profondeurs, c'est que le fait de
détruire l'autre reste secondaire dans l'attentat-suicide. Dans bien des cas, l'agresseur pourrait
laisser sa bombe avec un dispositif à retardement et se tirer d'affaire sain et sauf. La véritable
logique derrière toute cette entreprise, c'est en réalité celle du sacrifice humain : "Notre idole est
230
suffisamment forte, et ses fidèles suffisamment décidés, pour aller jusqu'au sacrifice humain,
donc elle existe réellement et les autres, le monde entier doivent trembler et se prosterner
terrorisés devant sa toute-puissance." Voilà le vrai message, qui renvoie évidemment à un
fonctionnement religieux profondément primitif, archaïque et pathologique, une sorte de "retour à
la case départ" du jeu de l’oie des croyances religieuses, plutôt navrante pour les perspectives
d'évolution de l'humanité.
La logique du sacrifice humain derrière le prosélytisme apparemment raisonnable du
christianisme et de l'islam correspond à un tabou central. On pourrait comparer cela à ces
programmes de base en informatique qui font fonctionner toute une application et dont les
sociétés de haute technologie qui les ont conçues gardent les codes jalousement secrets.
La pulsion vers le martyr tient d'un marchandage tout à fait animiste, non seulement avec un
dieu obscur, archaïque et vengeur qui a besoin de sa dose de sang pour être heureux, repu comme
un fauve très ordinaire, mais aussi avec la communauté que le candidat à la mort est censé
défendre : il offre sa petite vie physique et en retour, en 'paiement' pourrait-on dire, elle lui
confère cette forme de grande vie éternelle, ou au moins présentée comme telle, qu'est la palme
du martyr. La triste réalité, c'est que la gloire du martyr, elle aussi, est mortelle. Le héros
d'aujourd'hui sera peut-être bien considéré demain comme un criminel ordinaire, et surtout
comme un aliéné. Nous pouvons prendre la comparaison de la dengue : quand elle se met à être
hémorragique, que le sang commence à couler, elle devient aussi mortelle, on parle d’une forme
maligne. Quand une religion a besoin du sang versé pour étayer une Vérité soi-disant unique et
exclusive, cela veut dire qu'elle est sur le point de faire périr le 'corps' du bon sens et de porter un
coup définitif à la santé spirituelle. C'est de cette façon aussi qu'une forme religieuse qui aurait
pu rester 'bénigne' devient cliniquement 'maligne'.
Pour nous approcher de l'actualité moderne, nous pouvons faire remarquer qu'un "argument"
central de la propagande nazie était de faire croire que les juifs accomplissaient des sacrifices
d'enfants. Comme disait Goebbels, "Ne cessez pas de répandre des doutes, il en restera toujours
quelque chose !" Il est navrant de voir que ce type d'accusations est au fond repris par la
propagande islamique, en particulier en Palestine : à la place de retirer les enfants des zones de
combats, ils les mettent en avant pour ensuite pouvoir crier au martyr s'ils ont été victimes d'une
balle perdue. C'est un signe de plus que dans des circonstances difficiles, la tendance paranoïaque
de la personnalité tourne facilement à la psychose, avec toutes les ornières bien connues et
répertoriées de celle-ci. Comme document en quelques sorte clinique à l'appui, nous pouvons
citer cet article de juillet 2006, intitulé La séduction des enfants vers le martyre:
« Une chanson pour enfant a été chantée par une chanteuse connue, Aïda, à la télévision
palestinienne, pour louer le martyre d'un petit Mohamed Al Dura qui est censé être parti
directement au paradis des enfants après avoir été tué par fait de guerre, et visiblement pour
encourager des vocations 'fraîches' :
« Comme il est doux, le parfum des martyrs
comme il est doux, le parfum de la terre
sa soif étanchée par les flots de sang
qui s'écoule de ce corps tout jeune. »
Refrain : Et ainsi il est parti
Chœur : Au revoir, petit Mohamed!
Aida : Au revoir, au revoir!
….Comme il est doux, le parfum des martyrs
Je vais aller à ma place dans les cieux
Comme est doux, le parfum des martyrs. »
231
Un clip vidéo du même acabit a finalement été retiré de la TV palestinienne en automne 2003
après qu'il ait été montré lors d'une audition au Sénat américain et qu'il ait profondément
scandalisé les législateurs. Hillary Clinton l'a attaqué en le qualifiant « d'une maltraitance horrible
d'enfants » et un autre sénateur a parlé « de maltraitance à la civilisation elle-même ».257
On retrouve dans ce chant l'archétype de la Terre-mère en tant que déesse primitive pour ne pas
dire archaïque qui réclame le sang de certains de ses enfants si on veut qu'elle puisse redonner ses
richesses lors de la prochaine récolte. Encore une fois donc, il y a régression vers une sorte
d’animisme couvert d’un vague déguisement monothéiste.
Chahids et témoins dans l'expansion de l'islam
Le besoin central d'une machine de guerre bien huilée, c'est que la troupe n'ait pas peur de la
mort et sacrifie volontiers sa vie sans poser de questions. Cela bien sûr a été une préoccupation
centrale dans l'expansion militaire rapide de l'islam et le reste aujourd'hui quand on voit les
déclarations de fondamentalistes comme celle de Khomeyni que nous avons citée en exergue, à
propos du devoir de sacrifier sa vie pour renforcer et répandre la religion d'Allah.
Comme le mot grec martyr, le terme arabe chahid a le double sens de témoin juridique et de
victime d'une cause supérieure, mais cette racine shd désigne aussi Dieu lui-même en tant
qu'observateur suprême, ou de façon moins mystique et plus paranoïaque, l'espion aussi
soupçonneux qu'invisible qui a en commun avec Satan de pouvoir apercevoir tout ce que nous
faisons partout et qui en note les détails complets dans son grand Livre, afin d’être capable de
nous le ressortir au dernier jour et se venger à retardement du fait qu’on lui ait désobéi.
Ne crois surtout pas que ceux qui ont été tués sur le chemin de Dieu sont morts. Ils sont
vivants près de leur Seigneur pourvu de bien. (Co 3 169). Un exégète médiéval, Fakr-ad-Dîn
Râzî, fait remarquer que la préposition "auprès de " ('inda) dans la phrase : "ils sont vivants
auprès de leur Seigneur", et celle-là même qui situe les anges dans leur proximité divine : ce qui
donne à ceux qui meurent du jihâd la béatitude des anges lors du séjour céleste dans la résidence
divine.258 Voilà une invention à l’évidence bien commode pour la machine de guerre politicoreligeuse.
Le nom ash-Shahîd, le Témoin, est au centre de la liste d'aar-Râzî des cent noms de Dieu, à la
place pivotale qui est représentée par le numéro 51, juste avant al Haq, c'est-à-dire la Réalité, la
Vérité. On est donc toujours dans la logique que le sang des martyrs est le meilleur garant de la
vérité de la révélation monothéiste et coraniques, et même de sa réalité. Ne peut-on pas discerner
là-dedans encore une fois une logique de type animiste et paranoïaque : « Puisqu'il y a eu sang
des victimes, c'est que la doctrine est vraie dans l’Absolu. » ?
En observant le choix des candidats au martyre par les sectes Amal et Hizbollah au Liban
pendant la guerre civile, Martin Kramer a conclu qu'il suivait les critères traditionnels de
marginalité et d'anomalie requis pour des êtres sacrificiels. Ils n'étaient plus des enfants mais ils
n'étaient pas encore mariés, ils étaient membres de la communauté mais ils étaient libres de
responsabilités familiales, et ils étaient pieux mais pas membre du clergé.... Finalement, ils ont
été acceptés dans la société après leur martyr et elle se rappelle joyeusement de ces "bons
garçons".259 Il y a une rencontre de deux mots qui sonnent de façon similaires en arabe qui peut
mener à des associations dangereuses dans la réalité : chebab, le garçon, et shahid, le martyre.
Est-ce que ce ne sont pas souvent des garçons ou jeunes hommes qui sont utilisés par les
islamistes comme bombes vivantes pour frapper leur cible ?
232
Venons-en maintenant à l’identification assez étroite au niveau archétypal de Mohamed à
Ismaël. Celle-ci pèse lourd sur la psychologie de l'islam, et en particulier de l'islamisme, jusqu'à
nos jours. Mohamed lui-même se définit ainsi dans un hadîth: "Je suis le descendant de deux
victimes" (ou de deux personnes qui ont failli être sacrifiées). Les commentateurs, tels que
Tabarî, précisent que ces deux victimes sont Ismaël, l'ancêtre des Arabes, et, le père du prophète
Mohamed, Abdallah.260 En effet, le grand-père paternel de Mohamed avait creusé un puits dans
l’enceinte du temple de La Mecque pour faire ressortir la source même qu’avait trouvée Ismaël
dans le désert. Mais devant l'hostilité des païens locaux gardiens du temple, il avait dû faire le
voeu d’effectuer un grand sacrifice pour expier son sacrilège, et c'était celui d'offrir un de ses dix
enfants s'il réussissait à en avoir autant. Quand effectivement il les a eus, il a choisi son préféré,
le dernier, Abdallah, comme victime expiatoire. On peut noter ici l'ambiance plutôt perverse du
récit : « C’est toi que je préfère, et « donc » je t’offre la mort en cadeau plein d’amour». Les
femmes s’y sont opposées, (il est intéressant de voir que c'est la gente féminine encore une fois
avec son bon sens qui s'oppose à la folie, à la cruauté du dieu mâle et finalement à la transmission
de l'islam pur et dur). Le grand-père de Mohamed a donc dû se rabattre sur un grand sacrifice de
cent chameaux.
Beaucoup plus tard, après l’exil de Médine, quand Mohamed est revenu triomphant à La
Mecque en pèlerinage à la tête de son peuple à la fin de sa vie, pour consacrer sa victoire, il a
aussi offert avec Ali un sacrifice de cent chameaux, et a pris en pratique, non sans risque de
gonflement de l’ego, la place du père de son père. Tout cela confirme l'identification de
Mohamed avec la victime expiatoire Ismaël. Malheureusement, cela met du même coup les idées
de persécutions au centre même de la croyance de l'islam, c'est ce que disent et redisent ces
archétypes, même à qui ne veut pas l’entendre. Certainement, cet aspect mis en valeur ou
directement inventé par le mythe de Mohamed en tant que victime injustement persécutée a aussi
aidé le prosélytisme envers les chrétiens, car cela lui donnait une coloration christique. Celle-ci
était renforcée encore par le fait qu'après avoir été chassée de La Mecque, il a passé trois jours
dans la grotte de Tham, ce qui peut être interprété comme une sorte d'analogie de la mort et de la
mise au tombeau de Jésus avant sa résurrection. Cependant, cela n'empêche pas que l'atmosphère
générale du récit ait été à la paranoïa, la mise en avant de la position de victime coupant court
d’emblée à toute réflexion plus critique.
La soupe aux cent chameaux fait penser à l'élixir de toute puissance de ces guerriers
préhistoriques qui en mangeant l'animal qu'ils venaient de tuer à la chasse, s'appropriaient au fond
sa force subtile. Évidemment, dans notre cas, on est obligé de constater que la chasse n'a guère
été héroïque, il s'agissait simplement d'une opération d’abattage ordinaire. Il est possible que du
point de vue archétypal, ce soit la même appropriation de force subtile qui aurait impressionné les
compagnons du Prophète quand il a fait massacrer 800 prisonniers juifs sur la place du marché de
Médine. L'islam naissant s'appropriait ainsi par ce ‘sacrifice’ la force subtile du judaïsme antique,
du moins le pensaient-ils.
Dans son combat contre les juifs, Mohamed s'exclame excédé, à un moment donné : "Il est
préférable pour vous que vous vous suicidiez !"261 Il y a une loi simple de psychologie selon
laquelle on projette sur les autres ce qu'on l'on a déjà en soi, on peut donc supposer que c’est
Mohamed lui-même qui était tenté par le suicide, ainsi on peut avoir une idée de la fragilité d'une
personnalité à tendance paranoïaque qui oscille en fait entre l’hétéro- et l'auto-agressivité,
l’agression du monde entier et la tentation de l’auto-destruction.
Nous avons vu qu’il n’est pas interdit de voir dans l'origine même de l’islam, le ressentiment
des tribus arabes qui voulaient avoir ‘leur’ monothéisme, comme les juifs et les chrétiens
alentours avaient le leur. Le temps musulman lui-même est fondé sur cette idée de victimisation,
233
centré qu’il est dans son calendrier de l’Hégire sur un point de départ représenté par la
persécution contre Mohamed à La Mecque à laquelle il a échappé de justesse. Le coup d’envoi du
temps de l’islam a donc été un coup contre son Prophète bien-aimé, et on en a fait l’an 0 pour être
sûr que tout le monde s’en souvienne. Idées de persécution là encore ?
Au Moyen-âge quand l’islam était au comble de sa puissance, les dignitaires musulmans
pouvaient faire montre d’une morale aristocratique. C'est cet aspect que certains peuvent estimer
essentiel en islam, mais ils oublient sans doute trop facilement l'accouchement difficile de cette
religion. Meddeb affirme : "Ainsi, le sujet islamique n'est plus l'homme du "oui" qui rayonne de
par le monde et crée un être naturellement hégémonique. De souverain, il est peu à peu devenu
l'homme du "non", celui qui refuse, qui n'est plus actif mais réactif, celui qui accumule la haine et
attend l'heure de la vengeance. Imperceptiblement, ce sentiment, qui étaient ignoré du sujet
islamique, va croître en lui et s'installer au centre.'262 C’est sans doute bien idéaliser le passé : du
point de vue de la psychopathologie, il n'y a guère de différence entre la mégalomanie satisfaite
du dictateur et celle frustrée du vaincu, chacune des deux faisant des dégâts à sa façon et à son
niveau.
Là où Meddeb a raison, c'est que les défaites de l'époque coloniale ont certainement augmenté
le ressentiment dans les populations musulmanes, non seulement contre l'Occident, mais aussi
contre la destinée et même contre Dieu : non sans une pointe d'humour, Abd-el-Kader au XIXe
siècle, après sa défaite contre les Français, a "révélé" un centième nom de Dieu, al Khâdil, "le
Lâcheur"...263 Comme le remarque Sachs dans son livre rempli de réflexions profondes, La
Défense de la Différence : "Personne n'est plus imbu de lui-même et de sa pureté que celui qui
porte le fardeau d'une victimisation dont il se croit l'objet".264
Revenons encore au problème du sang versé : les fondamentalistes disent : "Nous sommes les
vrais musulmans, les guerriers (ghazi) qui sont prêts à tuer et être tués pour l'islam, et vous êtes
des mauviettes (munafiqoun) car vous n'êtes pas capable de le faire" Quand on a été conditionné
comme cela depuis la naissance, et que cette vision est corroborée, voire martelée par ses textes
sacrés, il est très difficile de s'en sortir indemne, voire de s’en sortir tout court. Ceci représente à
mon sens une des raisons principales de la faiblesse des intellectuels musulmans vis-à-vis de
l'idéologie intégriste. Inconsciemment, ils sont culpabilisés d'être modérés, s'estimant des
hypocrites, et ils trouvent au fond d'eux-mêmes normal de ne pas avoir d'autorité dans la
communauté. Ce mécanisme psychologique est fondamental pour comprendre le succès des
islamistes aux élections après le Printemps arabe, et les régressions multiples que cette prise de
pouvoir va sans doute entraîner.
L’expansion violente de l'islam dans le sous-continent indien a laissé des traces – il faudrait
sans doute dire des cicatrices – dans la langue elle-même. En hindi, pour désigner martyr, on dit
shahîd, et pour désigner la notion de massacres, on emploie également un terme arabe passé par
le persan, qatl-é-âm, littéralement ‘tuerie (qatl) générale (âm)". C'est deux mots à eux seuls
donnent une idée de l'ambiance qui a régné dans le sous-continent depuis environ un millénaire à
cause du désir d'expansion de l'islam.
Le mépris des jihâdis pour la loi religieuse habituelle, dont ils s'estiment loin au-dessus est lié
au fond à leur dévotion au martyre-suicide. Il rencontre de façon paradoxale l’attitude de deux
autres groupes marginaux, les Arabes d'origine musulmane devenus athées et les soufis.265 De
plus, aux yeux du peuple, le rejet de l'islam urbain soumis aux oulémas et aux dirigeants
politiques réguliers et la vie dans la nature afin de mieux combattre pour le Prophète rapprochent
encore plus du soufisme des mouvements comme celui de Ben Laden.
Si un État comme l'Iran où l'islam est majoritaire et qui est riche à cause du pétrole peut se
sentir en état de siège, ce sentiment sera encore plus prononcé dans des pays où l'islam est en
234
minorité, comme c’est le cas pour les 140 millions de musulmans en Inde. Sudhir Kakar explique
: "L'image qu'Azami ( un mollah et député fondamentaliste en Inde) fait puissamment ressortir
dans ses discours, c'est celle d'une communauté assiégée, objet des attaques d'un ennemi vil et
traître, le 'nationaliste hindou'...".266 Nous avons vu qu’en psychiatrie, quand un patient
psychotique se met à avoir des délires à thème d'étouffement et d'asphyxie, il devient
particulièrement dangereux pour lui-même et pour les autres. La mort d'une façon ou d'une autre
est proche. En ce sens, la notion de Terre sainte n'est pas neutre, elle est même risquée
psychologiquement car elle signifie que le territoire sacré, c'est-à-dire que le sol lui-même doit
être régulièrement arrosé du sang des sacrifices – humains bien sûr – et c'est effectivement ce qui
se passe dans la triste réalité des choses.
Venons-en maintenant à la notion de martyr en Iran. Il faut se souvenir qu'historiquement,
c'est le pays même de la Perse où le manichéisme s’est développé. Celui-ci parle d'une guerre
cosmique entre le Bien et le Mal. Il n'est donc pas étonnant que l'obsession des martyrs militaromystiques resurgisse dans ce pays même. Comme souvent dans les troubles paranoïaques de type
persécutoire, il y a un point de départ réel, le chiisme a été effectivement à certains moments une
minorité persécutée par les sunnites. Ceci dit, ils ont eux aussi été des persécuteurs déjà dans la
destruction du zoroastrisme, et ensuite du bouddhisme en Afganisthan, au Pakistan, et en Inde,
puis d'une partie de l'hindouisme dans le sous-continent indien, destruction à laquelle ils ont
largement participé aux côtés des sunnites.
Il n'y a guère d'éléments historiques pour attester la réalité du martyre de l'iman Hussein à
Karbala, cependant, ce mythe est devenu central dans la pensée chiite, et il est réactualisé chaque
année lors de la fête d'Ashera, émaillé des auto flagellation des hommes et des cris des femmes
en une sorte de poussée régulière annuelle de fièvre expiatoire. Cette ambiance prépare à
l'évidence le terrain pour l'exploitation du deuil lequel peut assez facilement être récupéré sous
forme de pulsion vers un martyre politico religieux. Chariati, un chiite, commente ainsi le
martyre d'Hussein, le petit-fils de Mohamed : "L'héritier des grands prophètes qui ont enseigné à
l'humanité comment vivre, s'est sacrifié sur le seuil de la liberté et de l'amour, pour nous
enseigner comment mourir." Ce qu'il y a de dangereux, c'est que Chariati insiste vraiment sur le
sens de modèle du shahadat, en tant qu'exemple à imiter pour le reste de la société. Une
motivation pour cela est aussi l'expiation personnelle, car les chiites sont convaincus que le sang
des martyrs lave tous les péchés. On peut vite discerner ici encore toute la manipulation sur la
culpabilité des jeunes – quel est celui parmi eux qui n'a pas "péché" parmi eux – pour les attirer
vers les ‘écoles du martyr’ et finalement la mort.
Voici un exemple de l'histoire assez récente de l'Iran, encore plus désolant à cause de la
jeunesse des victimes de l'épidémie de martyr :
« A l'école, deux ans auparavant, une maîtresse trop zélée avait organisé d'étranges cours
d'instruction religieuse. Pour motiver les enfants, elle les conduisait dans un cimetière. L'exercice
terrorisa les petites. Forcées de se coucher sur les tombes, les élèves, de 11 à 14 ans, durent prier
et louer le culte des martyrs. Quelques jours plus tard, quatre fillettes se défenestrèrent du
quatrième étage de l'école. Elles avaient suivies à la lettre les consignes de leur chère maîtresse.
Elles voulaient rejoindre le Paradis des héroïnes de la Révolution islamique. Les parents n'eurent
pas le loisir de se plaindre. Ils furent félicités par les Bassidji (police des mœurs et de la
Révolution). »267
On nage dans un océan de psychopathologie, et malheureusement celle-ci est imbriquée et
emmêlée dans le vécu religieux, sous cette version dure du monothéisme qu’est l’islamisme.
235
Samia Labidi dans son livre Karim, mon frère ex-intégriste et terroriste268 décrit en détail et d'une
manière qu'il vaut la peine de lire la façon dont son petit frère a été entraîné dans la secte
iranienne des rissalistes. Celle-ci, non contente d'avoir des attentes millénaristes orientées vers le
retour du Mahdi, comme les entretient aussi Ahmadinejad lui-même, organise le terrorisme au
niveau international avec le support du gouvernement iranien. "Un de leurs chefs, Hédi el
Moudarissi, pouvait en effet être tantôt d'une extrême douceur, tantôt d'une dureté effroyable et
sans appel. Il est vrai qu'ils étaient capables du pire. Au moindre danger pressenti, il faisait
liquider les gêneurs. Seule la réussite de la Révolution comptait à ses yeux, même si pour cela il
fallait massacrer la moitié du monde. C'était probablement en réalité le plus sanguinaire de tous...
D'ailleurs il se porta volontaire pour une opération de grande envergure destinée à assassiner
plusieurs chefs d'État arabes lors d'une réunion politique."269 On peut discerner là un cas de ces
doubles personnalités qu'entraînent régulièrement les idéologies totalitaires.270
A la fin de ces réflexions sur le martyre dans l’expansion de l’islam, revenons à l’archétype
du sacrifice d’Ismaël. Tolstoï disait : « tant qu'il y aura des abattoirs, il y aura des guerres. » Si les
musulmans sont assez peu conscients pour mettre au centre de leur religion l'Aïd el Kébir, le
"grand sacrifice", du mouton en remplacement de leurs fils, ils continueront par la main de leurs
extrémistes à mettre à mort leurs enfants qui ne veulent pas se soumettre à Allah, c'est-à-dire les
réformateurs ou les civils qui s'opposent aux islamistes. Ceux-ci les égorgent littéralement
comme des moutons, c'est ce qu'on a vu en Algérie ou ailleurs. Du point de vue psychologique, il
faut faire remarquer que sans s'en rendre compte, le père de famille pieux qui égorge l'animal le
jour de l’Aid fait le lit de cette autre violence envers les enfants de la société.
Culte de la mort et pulsions autodestructrices.
Le cheikh Aweys, le chef des "talibans de Somalie" qui a contrôlé à l'heure où j'écris la
majeure partie du pays y compris la capitale Mogadishu avant d’en être expulsé par les troupes
du Kenya en 2011, a déclaré que son associé Ayro " était quelqu'un de bien". Celui-ci a entre
autres exploits à son actif le fait d'avoir exhumé tout un cimetière italien de l'époque coloniale,
jeté les squelettes au dépotoir et installé à la place un camp de terroristes. L'idéologie islamique
punit même les morts de ne pas croire au Prophète, et fait danser les vivant sur les cimetières, les
poussant en pratique vers une fin prématurée. Cette anecdote donne une idée de l'intensité du
culte de la mort chez les radicaux. Condolezza Rice, malgré toute la retenue qu'exige le langage
diplomatique, n'hésite pas à accuser l'idéologie au pouvoir en Iran de propager un culte de la
mort. On pourra visiter à ce sujet des sites tels que www.iranfocus.com qui donnent des détails
intéressants sur les écoles du martyre organisées par Téhéran et brandie comme une arme contre
le reste du monde. Il faut aussi rappeler qu'il n'y a pas que l'Iran, l'épidémie a contaminé
largement les ondes aussi. D'après une observation importante du psychanalyste Benslama qui
peut suivre la télévision directement en arabe, puisqu’il s’agit de sa langue maternelle :
" Il suffit de circuler quelques minutes entre les innombrables chaînes de télévision satellitaires du
monde musulman pour s'apercevoir que le harcèlement permanent des prédicateurs n'offre que la
mort pour restaurer tant de blessures narcissiques, et que la rhétorique du "mourir pour..." propose
de recycler dans l'honneur de Dieu l'horreur de vivre. Des subjectivités prédisposées reçoivent des
signes insistants de leur élection, et ce jusqu'à la rencontre d'entremetteurs qui organiseront
littéralement leurs noces avec la mort. Plusieurs témoignages rapportent que la cérémonie qui
précède l'attentat suicide autour du candidat est appelée "noces". 271 D'après un aute spécialiste du
terrorisme, "Les cérémonie en mémoire des martyrs ne sont pas réellement des funérailles, un fait
236
qui est symbolisée par la consommation de café sucré plutôt qu'amer, la distribution de sucreries,
accompagnée de chants qui sont en fait des hymnes de mariage. À mi-chemin entre les noces et la
fête religieuse, ces affaires représentent un exemple moderne d'un rituel religieux ancien : la
sanctification des martyrs."272
Un analyste plutôt critique comme Walter273 insiste sur l'importance psychanalytique de la
pulsion de mort dans le développement de l'islamisme. Du point de vue psychologique, on
retombe à propos du martyre comme souvent dans une question de pouvoir : en effet, quel
puissance plus absolue peut-il y avoir que de convaincre quelqu'un d'autre qu'il doit absolument
aller se faire tuer? En général, les candidats sont des hommes plutôt jeunes, voir des adolescents,
et ceux qui les poussent à passer à l'acte et qui organisent les opérations sont des adultes mûrs,
souvent entourés d'une aura religieuse, comme le cheikh Yasin l'était pour le Hamas et toutes
sortes d'ayatollahs le sont pour les iraniens. On peut considérer cette aura comme angélique ou
diabolique selon son point de vue. On a donc en fait un schéma psychopathologique clair : le
vieux pervers séduit le jeune, vierge et innocent, et avec un "amour infini", le détruit totalement.
La perversion est suffisamment addictive pour qu'elle se répande comme une épidémie, et que
beaucoup de couples incitateurs-candidats au martyr se forment et succombent à la contagion
léthale. Qu’un pédophile s'éclate avec l’objet de sa convoitise, c’est une chose. Mais s’il réussit à
le contaminer avec l'idée du martyre et à le convaincre d’aller s'éclater lui-même avec une
bombe, cela veut dire du point de vue psychologique qui a chuté encore bien plus bas dans le
gouffre de la perversion que dans le cas de la pédophilie habituelle. Et comme il se doit dans ce
type de pathologie, il n'a pas la moindre trace de culpabilité, il opère avec une froideur quasi
scientifique. En d'autres termes, l'instigateur pervers tient bien en main toutes les ficelles de la
marionnette qu'il va envoyer au sacrifice, y compris et surtout celles de son bon sens et de son
discernement.
Dans la terreur qu'ont semé les islamistes en Algérie, on peut relever le meurtre rituel de trente
villageois à la fin du mois de Ramadan, en décembre 1998 près d'Alger : on leur a coupé la
gorge, exactement comme les moutons de l'Aïd. Cela faisait penser au sacrifice d'Ismaël, mais
cette fois-ci Dieu n'avait pas été convoqué par les islamistes pour sauver la victime in extremis.
Cette barbarie évoque aussi la phrase de Tolstoï que nous avons déjà cité sur le lien entre la mise
à mort des animaux et celle des humains : "Tant qu'il y aura des abattoirs, il y aura des guerres."
Bien que le culte de la mort soit au premier plan dans le terrorisme, des chefs comme Ben
Laden font toujours attention de se présenter comme livrant une guerre de défense. On reconnaît
ici le besoin de morale impeccable du paranoïaque. Ce qu'il y a de triste, c'est qu'ils réussissent à
convaincre nombre de gens avec leur logique perverse, en particulier dans le monde musulman :
en effet, il y a un certain nombre d'éléments dans les sources scripturaires et traditions de l'islam
qui favorisent ce genre de fonctionnement psychologique.
On ne peut éliminer un élément d'hystérie dans l'attentat suicide : celui qui le commet veut que
tout le monde soit au courant de son malheur et parle de lui. Quant aux bénéfices secondaires
classiques de la crise hystérique, ils existent mais déplacé à la famille et à la cause défendue. La
première reçoit des félicitations de toute part et souvent des compensations financières assez
substantielles fournies par un dictateur du voisinage, la seconde bénéficiera d'une publicité
offerte aussi généreusement que naïvement par les médias internationaux.
En plus de ces avantages, les familles peuvent parfois retirer des bénéfices politiques du
martyre chez leurs proches : Maryam Farha a été élue comme parlementaire du Hamas, et elle se
fait prendre en photo devant le portrait de ses trois fils qui se sont fait exploser dans des attentats
suicides.274 A Gaza actuellement, on affiche dans les rues, comme si on était en pleine campagne
237
électorale, les portraits des martyrs, des jeunes à l'air poupon avec sur la tête une couronne de
feuilles vertes, la couleur de l'islam, et attachés sur le tronc des bâtons de dynamite. Sans pousser
la symbolique, il n'est pas difficile de discerner dans ces bâtons une connotation ithyphallique, et
d'en déduire la jouissance plutôt spéciale qu'ont dû avoir ces jeunes à "s'exploser" au sens absolu
du terme, ainsi que leurs admirateurs également en s'identifiant à eux. Shahadat signifie non
seulement être témoin, mais aussi observer. Par les médias, c'est le monde entier qui devient
shahadat de la violence, et qui est donc au fond acculé à se prononcer, soit pour, soit contre. En
ce sens, on peut dire que le martyre crée une communauté : celle des téléspectateurs qui en sont
les témoins.
Dans les délires systématisés, il y a une oscillation, une polarité entre dépression et agression
psychotique, repli sur soi et attaque, envie de suicide et envie de meurtre. Dans l'attentat à la
bombe, il y a une sorte de court-circuit cérébral entre ces deux pôles de la violence, qui se
manifestent en même temps en excitant si l'on peut dire des deux hémisphères à la fois comme
dans une épilepsie généralisée. Cette dernière fait perdre seulement connaissance et ce, à une
seule personne à la fois, alors que l'attentat fait perdre la vie à nombre de gens. Il s'agit d'un
retour à la mère-mort, une fusion incestueuse avec la maman symbolique. En ce sens, on pourrait
rapprocher cela du phénomène général des addictions, où la prise de substance amène aussi à une
sorte d'union fusionnelle à la mère archétypale.
Les chrétiens considèrent à juste titre que les jeunes martyrs du Hamas ou autres sont des cas
abominables, mais il faut se souvenir que des membres d'Eglises chrétiennes, comme certains
évangélistes de plus en plus nombreux en Amérique ou témoins de Jéhovah par exemple,
refusent les traitements médicaux pour leurs enfants car ils veulent les soigner uniquement par la
prière. Quand celle-ci échoue et que le petit innocent meurt, ne s'agit-t-il pas là purement et
simplement d'un sacrifice humain d'enfants offerts sur l'autel de l'idole Jésus ? Soyons réalistes, le
but visé est le même, le témoignage, le résultat et le même, la mort d’enfant, bien que le procédé
paraisse plus doux chez les évangélistes.
Il y a aussi dans la pulsion du martyre une attitude contraphobique : non seulement essayer de
vaincre la mort, mais aussi de vouloir dominer ce qu'il y a d'encore pire, le doute ; on pourrait
dire que le nuage du désir de martyr cache souvent la pieuvre du doute. A propos de psychologie,
remarquons que certains sociologues passent leur temps à analyser des statistiques, disant par
exemple que dans tel pays 12,53 % des gens sont tentés par l'islamisme, alors que tant d'autres
c'est simplement 8,93 %... Mais la centration sur tous ces chiffres et les analyses politiques qui
vont avec peuvent faire perdre le bon sens psychologique à propos de ce qui est pathologique et
de ce qui ne l'est pas. C'est là tout le problème de la spécialisation universitaire.
Cette question de martyr, nous l’avons mentionné, est quasi inconnue dans l'hindouisme et le
bouddhisme, On peut discuter le cas de quelque bonzes qui se sont immolés dans le feu, il y a de
nouveau une recrudescence de cela au Tibet curieusement en lien avec le Printemps arabe et son
début par le suicide dans les flammes d’un vendeur de légume tunisien en décembre 2010. Il y a
aussi le cas des militaires aviateurs japonais kamikazes. Cependant, ce sont des cas rares, très
limités dans le temps pour les kamikazes, et plutôt récents. Les moines qui se font brûler vifs ne
tuent pas d’autres gens, et les kamikazes ont attaqué des cibles uniquement militaires, munies de
canons et de blindages et qui avaient donc une chance de pouvoir se défendre. On n’est pas dans
le cas d’une perversion qui consiste à aller faire sauter des innocents dans un marché tout en
prétendant agir au nom de Dieu. Le cas est un peu différent certes si les jihâdiste attaquent un
objectif purement militaire, ce qui peut arriver. Ne ternissons cependant pas la mémoire les
kamikazes japonais en utilisant leur nom pour qualifier les jihâdistes suicidaires des bazars
moyen-orientaux. Ce serait en soi pervers. Les religions ‘indianiques’ (originaires de l’Inde) ne
238
sont pas ‘fondées sur le sang des martyrs’ et ce n’est pas à ce type de témoins plutôt
problématiques qu’elles doivent leur expansion. Par contre, dans le monde des religions du Livre,
on peut dire que les extrêmes se touchent : une forme religieuse, l'islamisme, qui prétend
représenter le sommet du monothéisme se retrouve largement impliquée en son cœur même avec
ce que l'animisme a de plus noir : le sacrifice humain.
Le psychiatre Michel Dubec qui est spécialiste de criminologie a parlé de son métier et des
cas qu'il avait pu examiner dans un livre d'entretiens, Le plaisir de tuer 275. Il mentionne en
particulier un terroriste connu, Fouad Ali Salah, qu'il évoque ainsi : « Le goût du sacrifice habite
ce garçon avec passion (Salah n'avait que 29 ans). Il en est obsédé comme certains Occidentaux
le sont du plaisir. Salah est le parangon de l'homme sacrificiel... Je soupçonne que se noces
sanglantes avec la foi ont assuré pour lui la forme absolue de la jouissance. Éros et Thanatos ne
se combattront plus comme chez le commun des mortels. Salah, le sacrificiel, a réussi à les réunir
en une seule fois.»276 Badaoui, le jeune associé de Salah dans les actes de terreur, avait fait un
passage par le soufisme au Maroc à Marrakech. Le livre ne donne pas beaucoup plus de détails
sur cet assistant, et signale simplement qu'il était très influençable.
Hassan al Banna, le fondateur des Frères musulmans en 1928 a donné comme devise à sa
confrérie : « Allah est notre but. Le Prophète notre chef. Le Coran est notre loi. Le Jihâd est notre
voie. Mourir dans notre quête d'Allah est notre espoir le plus cher. » On pressent là d'emblée
deux axes de pathologies : la rigidité massive et l'association intime de l'Absolu et de la mort, qui
constitueront la colonne vertébrale des mouvements islamistes radicaux ultérieurs. Du point de
vue psychologique, il est intéressant de relever que el-Banna était instituteur, « maître » comme
on dit. Sociologiquement, on a observé avec une plus grande fréquence chez les instituteurs des
idéologies rigides, par exemple, à l'époque de l'opposition entre catholicisme et communisme, ils
avaient souvent tendance à se ranger de façon stricte dans l'un des deux camps. Peut-être qu'on
devra parler maintenant de l'islamisme, surtout dans les pays musulmans. Le « maître » est au
fond tout-puissant en face de ses enfants, qui ne pourront jamais le contredire sérieusement. Ce
sentiment peut devenir jouissance, et pourquoi pas, délire…al-Banna a souvent loué 'l'art de la
mort' de sa confrérie fann al mawt. Il disait : « Nous ouvrons plus l'âme, nous aimons plus la mort
que vous aimez la vie » ce qui est devenu un mot d'ordre du terrorisme277. Lui-même a péri
exécuté par Nasser, et a enfin trouvé ce qui était probablement son plus grand objet d’amour, la
mort violente. On pourrait faire remarquer pour conclure que les sacrifices humains perpétrés par
des attentats du style d’Al-Qaida sont au fond un mélange d'animisme et d'anarchisme. Le fait
qu'un certain nombre de leurs correligionnaires sympathisent avec ces opérations a de quoi laisser
pensif au sujet du niveau réel de leur évolution religieuse.
Pistes thérapeutiques pour soigner une pulsion religieuse de mort.
La première possibilité consiste à amener les gens à remettre en question et examiner de près
la définition de ce qui est juste, de ce qui fait partie de leur droit. En effet, c'est ce sentiment
quand il est perverti qui amène à la pulsion de mort. Ensuite, il faut dépister une dépression
masquée, un cas beaucoup plus fréquent qu'on ne le pense, et à ce moment-là référer à un
psychiatre pour une traitement médicamenteux. De plus, il faut être attentif à ne pas encourager
du tout la victimisation, au contraire il faut la mettre à distance en la soupçonnant a priori d'être la
rationalisation secondaire d'un noyau dur paranoïaque. C'est la base de la psychothérapie d'un
délire de persécution. La critique historique entre autre peut contribuer à cela, en ne laissant plus
les musulmans s'enfoncer dans des mythes de persécution originelle et essentielle. Vouloir être
indulgent avec ce genre de croyances peut être efficace à court terme pour calmer
239
temporairement les esprits, mais à long terme, le remède risque d'être pire que le mal.
Montesquieu avait compris la logique de base de la paranoïa religieuse quand il disait : "Chaque
religion qui a été persécutée au début devient elle-même persécutrice, car aussitôt que par un
retournement accidentel elle émerge de la persécution, elle attaque la religion qui l'a persécutée."
On peut certes reconnaître que le judaïsme a été persécuté par les Egyptiens, les Assyriens, les
Grecs, les Romains et ensuite les chrétiens. Mais à un moment donné, vers le VIIe siècle, une de
ses branches s'est transformée progressivement en un nouvel avatar persécuteur, et cela a donné
naissance à l'islam. Pourquoi celui-ci actuellement devrait continuer à essayer indéfiniment de
venger des blessures qui ont sans doute été faites au peuple juif il y a deux ou trois millénaires,
sous prétexte qu'elles ont pénétré et imprégné l'inconscient musulman et que leur origine a été
quasiment oubliée? Est-ce un comportement sensé ?
Il n'est pas facile de pardonner pour soi, mais il l'est encore moins de le faire pour quelqu'un
des siens qui a été tué, qui est devenu "martyre". La mort suspend le temps, et le devoir de
vengeance devient en quelque sorte instantanément éternel. C'est sur ce sentiment de loyauté
naturelle de la communauté envers le mort que jouent de façon perverse certains chefs politiques
ou religieux, fabricants de martyrs en quantité industrielle, afin de stimuler l'agressivité des
masses et de l’orienter dans le sens de leur intérêt personnel ou idéologique.
Le modèle du pardon, c'est la relation parents - enfants : en hébreu , rachanim sigifie pardon, et
recham utérus. En arabe, raham et rahim sont les deux noms de Dieu les plus cités dans le Coran.
Ils sont de la même racine, généralement traduits par "le Clément, le Miséricordieux", mais
Chouraqui est plus proche de l'étymologie quand il les rend par 'Le Matriciant, le Matriciel'. Par
ailleurs, « Moïse conseillait aux hébreux : « Ne méprisez pas les Egyptiens, car vous avez été
étrangers sur leur sol"... Il suggère ainsi qu'être libre, ce n'est pas seulement échapper à
l'oppression d'un tyran, mais aussi refuser d'être retenu captifs par la mémoire.»278
On parle beaucoup d'otages de nos jours, mais Dieu lui-même n'est-il pas le principal otage
des prophètes, prêcheurs et clercs en tout genre, qui prétendent être les seuls à avoir le droit de
parler en son nom ? Yasmina Khadra, dans son livre L'attentat fait parler un vieillard. Celui-ci a
la sagesse du bon sens en face de la psychose collective : "La vie d'un homme vaut beaucoup plus
qu'un sacrifice, car la plus noble, la plus juste des causes sur terre est le droit à la vie."279
240
CH 10
IDENTITÉS RELIGIEUSES ET VIOLENCE
Une des formes majeures de l'ignorance, c'est la paranoïa :
: « On ne comprend pas le monde, et on se met à croire qu'il vous trompe » (Rabindranath
Tagore
Commençons ce chapitre dont le sujet est plutôt grave par une histoire drôle : c'était
pendant la guerre civile au Liban, où les tensions étaient hautes entre musulmans et chrétiens.
Une sentinelle arrête une voiture à un poste de contrôle dans une avenue de Beyrouth et demande
immédiatement au chauffeur :"Etes-vous musulman ou chrétien". L'homme au volant répond :
"Je suis athée". Cela pose un grave problème au militaire de garde, qui se gratte la tête et après
mûre réflexion, a finalement une idée lumineuse : "Etes-vous un athée musulman, ou bien un
athée chrétien ?" Cette anecdote en dit long sur les étiquettes religieuses, et la profondeur avec
laquelle elles collent à la peau. Même si on en vient à les abandonner à titre personnel, la société
probablement continuera à vous poser un label d'appartenance religieuse, presque aussi évident,
et finalement aussi superficiel, que la couleur de peau.
Dans son livre récent sur identité et violence280, Amartya Sen, le prix Nobel d'économie
d'origine indienne, connu pour ses travaux sur la pauvreté, a donné comme titre à son premier
chapitre 'La violence de l'illusion'. En cela, il se rallie à la grande tradition de l'Inde, pour laquelle
ces distinctions auxquelles les êtres humains accordent tant d'importance sont ultimement une
illusion, la grande Mâyâ. Son idée centrale qu'il répète tout au long de son ouvrage constitué du
rassemblement de conférences données à des publics internationaux divers, c'est qu'on ne doit pas
réduire un être humain seulement à une identité religieuse donnée, alors qu’en réalité celui-ci a
des identités multiples : ce serait comme le mettre dans une petite boîte d'allumettes, alors qu'il a
la nature du vaste ciel. On peut rapprocher cela de l'ambiance des deux grandes guerres du XXe
siècle européen, où l'obsession centrale chez nous était la distinction entre 'français' ou 'boche'.
Cet étiquetage unique est évidemment commode en cas de crise, où l'on sait celui sur lequel on
devra tirer. Le label religieux devient alors comme un uniforme militaire, il est certes superficiel
mais il peut quand même vous coûter la vie.
En écrivant ce livre qui explore la psychologie d'une forme extrême d'identité religieuse, je
suis conscient de mettre un pied sur un terrain miné par toutes sortes de passions, il est donc bon
de consacrer quelque temps à déterminer clairement et posément la signification de l’identité
religieuse dans son rapport à la violence pour la science psychologique moderne.
La religion : un médicament avec ses effets secondaires
On sait que la violence et le terrorisme sont des phénomènes généraux, pas seulement
religieux. Cependant, leur utilisation en lien avec la religion est particulièrement répandue et
choquante. Cela n'aide guère à une bonne réputation de celle-ci chez les penseurs modernes.
Avant, on se demandait : "Peut-on peut-être incroyant et civilisé ?", maintenant, beaucoup se
241
posent plutôt la question : "Peut-on être croyant et civilisé ?". Le plus grand ennemi de la
religion, ce n'est pas l'athéisme, ni le scientisme, ni la psychologie moderne, mais c'est
l'intégrisme.
Depuis vingt ans, la tendance générale est à l'augmentation des actes de terrorisme religieux et
ethniques : les deux ont en commun d'être inspirés par une identité somme toute restreinte, mais
vécue par les sujets comme fondamentale, viscérale. Il y a peu d'études qui se soit intéressées
directement à la psychologie de l'intégrisme: notons cependant celle de Walter Reich en 1990
Reich Walter Origins of Terrorism : Psychologies, Ideologies, Theologies, States of Mind (New
York, Cambridge University Press) et de Robert Robins en 1997 Political Paranoïa : The
Psychopolitics of hatred (Yale University Press 1997) sur la paranoïa politique que nous avons
déjà mentionné. Un autre livre est aussi paru en anglais analysant la paranoïa de Yasser Arafat.
(disponible sur amazon.com)
On pourrait dire que le terrorisme correspond à la pointe d'un iceberg : il faut voir le problème
plus au fond : pourquoi des proportions notables, parfois majoritaires des populations des pays
musulmans appellent du fond de leur coeur et de leurs prières la destruction d'Israël, parfois des
États-Unis et de l'Occident en général? Pourquoi soutiennent-elles du fond du cœur – à certaines
périodes de façon assez large – des actes terroristes commis contre les non musulmans, tout en
ayant l'impression de se comporter ainsi en "vrais" musulmans ?
Ce qu'un juge de la cour d'assises demande en général à un psychiatre expert, c'est de
déterminer si l'accusé est plutôt du style pervers intelligent, et est éventuellement capable
d'organiser d'autres crimes à grand échelle, ou au contraire est un sujet au quotient intellectuel
réduit qui a eu le rôle de suiveur ou d’exécuteur dans le passage à l'acte violent sans comprendre
ce qui lui arrivait. Nous serons amenés à faire ce même genre de distinction importante dans
notre étude de la psychologie du fondamentalisme.
Nous vivons une époque moderne où le public exige d'être informé correctement sur les effets
secondaires des médicaments qu'on lui administre et des traitements auxquels on le soumet.
L'attitude paternaliste du genre "votre docteur sait mieux, il va s'occuper de tout" n'est plus de
mise. Islam signifie soumission, et effectivement, en tant que religion, il soumet ses fidèles à une
thérapeutique pour la guérison des passions habituelles de l'être humain : avidité, colère, égoïsme.
On a le droit de savoir comment il s’y prend, et quels sont les effets secondaires du traitement. De
nouveau, une autre exigence de l'esprit moderne consiste à évaluer les thérapeutiques : est-ce
qu'elles sont réellement efficaces à court ou à long terme, est-ce que leurs effets secondaires
peuvent-ils être pires que les symptômes qu'elles sont censées soigner ? Ces questions se posent
dans la vision de la modernité sur les religions, et ces dernières doivent être capables d'y répondre
de façon cohérente. Sinon, elles seront inéluctablement marginalisées à long terme, voire mises
hors castes.
On parle des maladies 'vénériennes', du nom de Vénus, la déesse de l'amour, qui proviennent
d'une contamination par les relations physiques. J'aimerais pouvoir parler aussi de maladies
'junoniennes', du nom de la divinité du foyer et reine des dieux dans l'ancienne Rome. Si dès la
petite enfance et à la maison, les enfants sont imprégnés de préjugés religieux et ethniques
exclusivistes, bigots voire violents, cela revient à la transmission d'une véritable maladie à travers
un soi-disant amour religieux, et posera des problèmes à la fois au sujet et à la société.
Howard Bloom, dans son livre Le principe de Lucifer qui a été très lu parle des différents
niveaux de la violence humaine et développe le concept des mèmes281. Ils sont au domaine
psychique collectif ce que sont les gènes sont à l'évolution biologique : quand des mutants
apparaissent, ils peuvent soit être éliminés soit se développer, parfois jusqu'au point de s'imposer
242
à l'ensemble et de devenir la nouvelle norme. La violence religieuse chronique et récurrente à
chaque génération paraît bien être un type de mème.
On pourrait dire que les obsessionnels de l'intégrisme religieux, même dans sa forme
mineure qu'on pourrait appeler intégralisme, ne sont pas dans l'islamophilie, mais souffrent plutôt
d'islamofétichisme. Il est de plus intéressant de noter qu'il n'y a pas à ma connaissance de
conversions à l'islam chez les psychiatres et psychothérapeutes, alors que beaucoup sont soit
intéressés, soit pratiquants du bouddhisme. Il semble que les mondes séparés de la croyance
musulmane et de la psychothérapie moderne soient aussi incompatibles que l'huile et l'eau.
Certes, quand j’étais thérapeute dans un pays arabe francophone, j'ai rencontré des psychiatres et
psychothérapeutes compétents qui se disaient socialement croyants. Cependant, je ne sais même
pas s'ils étaient pratiquants et s'ils étaient sincères. Je me souviens d'une discussion avec le
Directeur général de la santé mentale du pays où j’exerçais, au niveau national donc, lors d'un
congrès. Son inquiétude déjà dans les années 80, c'était de voir de nombreux jeunes qui se
plongeaient à corps perdu dans l'idéologie et l'action intégriste: fallait-il les considérer comme
des délirants et leur faire faire un séjour à l'hôpital psychiatrique, ou comme des opposants
politiques tendant terrorisme et les livrer aux 'bons soins' de la police politique? Il était devant un
réel cas de conscience : ce n’est pas satisfaisant de coller d’office à l’hôpital psychiatrique des
jeunes qui sont en partie des opposants politiques, mais cela reste une solution quand même plus
humaine que la torture et l’exécution par la police militaire.
Le christianisme et l'islam ont une vision de la fin du monde beaucoup plus proche et
prégnante que celle de l'hindouisme et du bouddhisme. On peut dire que les deux religions issues
du judaïsme étaient dans leurs débuts des cultes millénaristes. Comme on dit familièrement, "Ça
eut marché mais ça marche plus" La fin du monde et le succès ultime de l’islam se fait toujours
attendre. Est-ce que le Prophète se serait complètement trompé? Est-ce que la petite aiguille de la
réalité n'a pas crevé le ballon de baudruche de la mégalomanie des islamistes en faisant un grand
"boum", et ainsi ils se retrouvent comme des enfants penauds avec un bout de plastique déchiré à
la main ?
Nous préciserons ces questions du Dernier Jour pour l'islam en général dans le chapitre sur la
personnalité du Prophète. Qu'on parle d'Apocalypse ou qu'on mentionne au moins cinq fois par
jour dans l'islam le yaom ed dîn, le "jour de la religion", c'est-à-dire le jugement dernier dans la
Fatiahât qui ouvre chaque session de prière, cela banalise l'idée de fin du monde. Quand
beaucoup de gens parlent de choc des civilisations ou de troisième guerre mondiale totale entre
christianisme et islam, cela est à l’évidence relié à tous ces archétypes. 40% des Américains
pense qu’Armageddon, la grande guerre finale va survenir de leur vivant, et Ahmadinejad
estimait déjà il y a plusieurs années qu’elle allait arriver d’ici deux ans, et semble bien travailler
avec zèle et piété à son déclenchement, Si elle survient, elle marquera certainement la fin rapide
de son monde à lui. Or, il y a une loi psychologique qui fait que ce sur quoi on est concentré,
surtout avec émotion, a une forte tendance à se réaliser. Est-ce que le christianisme et l'islam
seraient en train de semer les graines de leur propre destruction ? N'y aurait-t-il pas là sous-jacent
un désir de mort analogue au suicidant qui contemple avec une fascination morbide l'heure à
laquelle il va enfin passer à l'acte ? L'idée que 'si tout explose on ira tout droit au ciel’ n'est qu'une
maigre consolation pour des gens raisonnables, non déprimés et qui ont les pieds sur terre. Du
point de vue de la psychologie, il s’agit clairement d’un équivalent suicidaire.
L'amour est comme le sang de la vie psychique, et la dévotion représente de son côté comme
une transfusion qui peut, en tous les cas qui devrait avoir de bons effets. Cependant, il faut
prendre garde que ce sang ne soit pas contaminé par le virus de l'immunodéficience
psychologique acquise, c'est-à-dire la déperdition du bon sens humain, psychique et spirituel face
243
à ces épouvantails sacrés – ou sacrés épouvantails – que sont les idées de toute-puissance.
La frontière poreuse entre identités religieuses et paranoïa
Il y a un problème classique en psychologie de développement : où s'arrête la construction
d'un ego sain et fonctionnel, et où commence son inflation faisant le lit d'une tendance
paranoïaque, a minima dans la personnalité ou au maximum dans le délire ? Le même problème
se retrouve avec les identités communautaires, qu'elles soient ethniques, nationales ou religieuses.
La tradition monothéiste est en fait un cas particulier dans ce sens, car elle est basée sur le fort
sentiment d'identité d'Israël. Cette expérience était du temps de la Bible à la fois fragile et à fleur
de peau, car la petite nation était régulièrement menacée, voir envahie par les grands états
voisins. On peut dire que le sentiment de persécution n'était pas a priori un délire. Cette
expérience n'existe que très peu dans l'identité hindoue ou bouddhiste, qui ont été importants
chacun en Inde et appartenaient surtout à une culture réellement civilisée où dès le début, on
n’était pas persécuté pour ses conceptions religieuses. On peut dire que l'islam avec ses invasions
de la plaine du Gange au Moyen-âge, et au XXe siècle les trois guerres avec le Pakistan depuis
l'Indépendance, ainsi que le terrorisme au Cachemire a largement contribué à cristalliser et
rigidifier le sentiment nationaliste de l'Inde en général. On s'aperçoit de plus en plus maintenant
que le modèle nehruvien de laïcité était en fait une sorte de greffe anglaise ou soviétique sur la
société de l'Inde, et on peut dire qu'elle est maintenant en partie rejetée car elle n'a de sens ni pour
les hindous, ni pour les musulmans; même si les communistes espèrent toujours naïvement, après
soixante-dix ans d'efforts en grande partie inutiles, finalement convertir à leur nouvelle 'religion
de salut' l'Inde tout entière, soit plus d’un milliard de personnes.
Chez les musulmans religieux, il y a une tendance qui a son analogue chez les hindous :
l'Occident colonisateur a visiblement mieux réussi matériellement que le monde islamique et
l'Inde, et donc ces deux-là doivent pouvoir "prendre leur revanche" sur le plan religieux, en
développant une supériorité dans ce sens qui leur permettra de regarder de haut la corruption et la
dissolution des moeurs de l'Occident. On ne peut éliminer dans cette réaction une part de
ressentiment et de complexe infériorité compensée par un complexe de supériorité. Ceci dit, si le
renouveau religieux peut se faire sans violence et avec un amour pour les valeurs de base de
l'humanité, pourquoi pas ? De plus, une croyance au polythéisme n'est pas forcément exclusif
d'un essor économique et d'un dynamisme dans les affaires, comme l'a montré par exemple
récemment Vijay-lakshmî Mittal dans son rachat d’Arcelor, la grande compagnie d'acier de
l'Europe, et donc un des grands symboles du pouvoir que la révolution industrielle avait conféré
au vieux monde.
Les identités religieuses sont pénétrées d'ambivalence : "Plus forts seront vos liens
d'appartenance à votre propre groupe, plus violents seront vos sentiment envers le groupe
voisin... Si une nation donne aux gens une raison de se sacrifier, elle leur en donne aussi une pour
tuer."282. Une autre ambivalence de l'identité religieuse apparaît dans le fait suivant : les
fondateurs de religions intensifient souvent le sens de supériorité de leurs fidèles, par des
expressions comme "Vous êtres le sel de la terre, vous êtes la lumière du monde", ou encore dans
le Coran "Vous serez les califes de la terre". Elle incarne et encourage les plus hautes valeurs, au
moins officiellement. Cependant, si on fait à propos de cet enseignement religieux des remarques
désobligeantes, "dé - gradantes" au sens fort du terme, cela risque de provoquer une
rétrogradation de l'estime de soi insupportable à la toute-puissance narcissique du sujet, une
244
blessure cuisante de l’ego artificiellement hypertrophié – d'où ouverture de la boîte de Pandore de
la violence.
L'identité hypertrophiée et exacerbée tire sa force du "ça", du id, et devient ainsi la plus grande
id-ole. Même s'il n'y a pas de lien étymologique entre identités et idole, cette analogie du son id a
un sens psychologique. L'individualité religieuse peut parfois être tellement à fleur de peau qu'on
pourrait parler d'"identité d'écorché vif". On peut lire à ce propos le livre d’Amine Maalouf Les
identités meurtrières283. Quand je me suis plongé dans l'étude de la psychopathologie de l'identité
religieuse, j'ai découvert beaucoup plus de perturbations que ce quoi je m'attendais. Souvent,
l'expression familière qui m'est venue à l'esprit était : "Quel sac de noeuds !" C'est à démêler ce
sac qu'est consacré le présent ouvrage, en partant en quelque sorte d'une étude de cas, celle de
l'islamisme.
L'identité est un élément normal du fonctionnement psychique et social. Cependant, si elle est
en excès comme dans le cas du sectarisme, elle produit toutes sortes de pathologies : une analogie
assez exacte pour faire comprendre cela serait la trisomie 21 : normalement, nous n'avons que
deux chromosome 21, mais s'il en vient un troisième, ce n'est pas un plus, c'est au contraire une
maladie sérieuse qu'on appelle le mongolisme. De même, une identité sectaire ou religieuse
hypertrophique est en soi un syndrome pathologique, un handicap qui peut mener à passer sa vie
sur la chaise roulante du dogmatisme, avec le QI plutôt réduit d'un fondamentaliste. On dira
certainement que ma comparaison est sévère : mais elle est justifiée quand on se souviendra que
ce sont finalement des identités hypertrophiées qui mènent aux guerres saintes inutiles et à des
dizaines de millions de morts.
Il y a une logique fondamentale en psychologie : si une religion vous demande de sacrifier
corps et âme pour sa cause, et si quelqu'un d'autre la remet en question, c'est celui-ci qu'on
sacrifiera, aussi corps et âme, pour défendre sa propre croyance. Auto- et hétéro-agressivité sont
les deux faces de la même médaille, nous reviendrons souvent à cette notion de pathologie dont
l’illustration la plus claire est l’attentat-suicide. De plus, il faut remarquer que la religion est
probablement la source majeure de préjugés dans l'histoire humaine. Shakespeare décrit les juifs,
dans Le marchand de Venise par exemple, comme comploteurs, avides pour l'argent, rusés,
assoiffés de sang, alors que ceux-ci avaient été expulsés d'Angleterre 300 ans auparavant, et qu'il
n'en avait certainement jamais rencontré un seul : de même, l'Arabie saoudite est interdite aux
juifs, donc l'immense majorité de sa population n'en a jamais vu un seul, mais les habitants
comme les dirigeants ont quand même un préjugé souvent viscéral et obsédant contre eux, ils
restent leur bouc émissaire préféré. Il s'agit typiquement de conditionnements causés dès la petite
enfance par des a priori religieux assénés avec la force du Tout-puissant – ou imaginé tel.
Amartya Sen met bien en évidence le risque qu'il y a à s'appuyer sur des mollahs modérés par
exemple pour combattre l'extrémisme musulman. En effet, cela leur donne plus d'autorité qu'ils
n'en ont réellement, et diminue d'autant le poids que pourraient avoir des groupes de laïcs
composés d’immigrants originaires de pays d’islam. Des organisations non gouvernementales en
tout genre, et de bonne volonté, doivent être encouragées, car si l'on prend comme interlocuteur
principalement des clercs, on renforcera de façon peut-être involontaire mais quand même
perverse l'étiquetage religieux unique et monochrome284.
On pourrait faire remarquer que le paradoxe des idéologies totalitaires, y compris religieuses,
c'est qu'elles présentent régulièrement leurs dissidents ou hérétiques comme fous, mais ensuite ce
sont elles-mêmes qui tombent dans la folie collective sous forme de guerre sainte qui tue des
millions de personnes. Il faut mentionner aussi que, pour mettre de l’huile sur le feu, une bonne
manière d'exacerber la crispation identitaire jusqu'à la tétanisation, c'est de la nimber de l'auréole
de la persécution.
245
La théorie du préjugé ou les bases psychologiques du racisme.
Disons dès le début que les préjugés peuvent bien sûr fonctionner dans les deux sens, des
islamistes contre le reste du monde, mais aussi du reste du monde contre les islamistes. Après la
Seconde guerre mondiale, en s'interrogeant surtout sur l'antisémitisme, les psychologues ont
identifié les traits d'une personnalité autoritaire : en général politiquement conservatrice, elle
rejette les autres groupes comme étant fondamentalement "pas comme nous, incompatibles" et
offre une résistance aux changements sociaux285. Du point de vue psychanalytique, cette
personnalité autoritaire est munie à la fois d'un fort ça, id, et d'un surmoi exigeant, avec une
absence de mécanismes intermédiaires pour gérer les tensions. Ainsi, le mal-être est projeté
massivement sur l'extérieur, en particulier sous forme d'agressivité envers les inférieurs. On peut
trouver comme autres traits de personnalité encline aux préjugés :
- rigidité.
- intolérance aux ambiguïtés.
- soumission aux autorités, y compris le Dieu suprême.
- sévérité, promptitude à punir les subordonnés ou dépendants.
- extériorisation, par peur des phénomènes de la vie intérieure : "Le mieux, c'est de ne pas y
penser !"
- stéréotypes, généralisations hâtives, superstitions : "le monde est divisé en deux groupes, les
forts et les faibles..."
- cynisme : "L’humanité, c'est de la racaille !"
- peur de l'extérieur et du monde
- association forte entre le sexe et la punition : les sujets veulent des châtiments durs contre
toutes sortes de déviation de la sexualité habituelle.
On fait parfois une nuance entre personnalité autoritaire et personnalités dogmatiques, mais
de toute façon, leur proportion est plus grande chez les conservateurs, bien que certainement
aussi, il puisse y en avoir chez les révolutionnaires.
Le mécanisme du bouc émissaire est bien connu, les minorités en sont les victimes, mais ce
qui est moins clair, c'est que celles-ci aussi peuvent prendre la majorité comme bouc émissaire.
Ce sont ses représentants symboliques qui peuvent être visés, par exemple le policier, ou alors le
politicien qu'on élit pour pouvoir mieux le démolir ou le diffamer après. Comme le faisait
remarquer Montaigne, celui qui choisit de devenir homme politique s'expose à être cloué au pilori
régulièrement au milieu de la place publique, comme en fait une sorte de bouc émissaire pour
tout ce qui ne va pas dans le pays, y compris les catastrophes naturelles…
Hovlan et Sears, dans une étude qui date de 1940286 ont comparé sur un demi-siècle les chiffres
des prix du coton – la ressource principale des blancs du sud des États-Unis – et le nombre de
lynchages de noirs. Plus les prix de la matière première baissaient, plus le nombre d'agressions
augmentait. Ils ont ainsi réussir à établir – pour la première fois à ma connaissance – une étude
chiffrée du mécanisme du bouc émissaire. Quand on connaît la psychologie, cela a l'avantage
d’objectiver le fait que le psychisme humain, avec son ego comme une sorte de roi Ubu trônant
au centre, est plutôt bête. Voilà de quoi faire réfléchir et amener à se détacher.
J'ai également lu sur une étude qui montrait que des familles psychorigides avaient de toute
façon des choix extrêmes, pour certains dans le domaine politique, pour d'autres dans le domaine
religieux, et souvent dans les deux. En France par exemple au XXe siècle, à la grande époque du
246
choc des idéologies catholiques et communistes, on pouvait observer nombre de conversion dans
les deux sens, les sujets restant rigides idéologiquement après autant qu'avant.
Les plaisanteries sont de leur côté un terrain fécond pour exprimer les stéréotypes des préjugés
raciaux, et religieux. Souvent les mêmes histoires circulent entre deux groupes, mais en
intervertissant les rôles et, par exemple, le rabbi devient le prêtre, et vice-versa. Un guide en
Israël donnait d'ailleurs son truc à ce propos : "J'utilise le même paquet tout emballé de
plaisanteries quel que soit le groupe de touristes, mais je change seulement les identités et les
acteurs de l'histoire, selon la religion, la nationalité et les autres caractéristiques collectives de
mes clients."287 Les préjugés non seulement aident à renforcer l'image de son groupe et à
diminuer celle de l'autre, mais aussi à exorciser les tensions internes en les projetant sur l'autre
communauté en tant que bouc émissaire.
Les libéraux qui gardent certains préjugés dont ils souhaitent se débarrasser sans y arriver
complètement, émettent des propositions qui sont en fait des mécanismes de défense, par
exemple : "Certains de mes meilleurs amis sont de tel groupe minoritaire" ou "J'accepte chaque
être humain sur un pied d'égalité". Il y a aussi l'attitude de ‘s'incliner en reculant’ : dire du bien
d'une personne qui en fait ne le mérite pas, ou donner de meilleures notes à un élève par rapport à
son niveau réel, tout simplement parce qu'ils font partie d'une minorité. Les récipiendaires de ses
bienfaits peuvent s'en apercevoir et mal les prendre, comme s'il s'agissait d'une sorte de preuve de
racisme inversé.
Pratiquement tout le monde a ses valeurs, mais peu font le choix personnel d'une idéologie,
qu'elle soit féministe, communiste ou encore intégriste par exemple. Celles-ci peuvent être
pathologiques ou au contraire constructives. L'idéologie est un ensemble de croyances et de
valeurs qu'on a choisies et vécues de façon intense et puissante, et qui mènent à des
comportements spécifiques. La croyance en une cause, en autre chose que la vie matérialiste, est
en général bien vue par la société tant qu'elle n'est pas destructrice. Celui qui ne croit en rien est
au contraire vécu d'habitude comme dépressif, voire presque incapable de sociabilité. En anglais,
faithful signifie littéralement "plein de foi, croyant" mais a pris en fait le sens de quelqu'un qui est
en lui-même digne de confiance, sûr, fidèle. L'idéologie repose sur l'intégration des différents
niveaux de la personnalité, comme la conviction, les émotions et le comportement, ainsi que
l'idéalisation d'un système, démocratique, communiste, etc. ou d'un fondateur de religion, et par
dessus tout l'idéalisation suprême de Dieu. Une forte idéologie guide en général le choix des vrais
amis, elle sert d'ancrage cognitif. Elle rend permise des croyances qui ne peuvent être prouvées,
comme l'existence d'un Dieu, la survie après la mort, etc. Elles clarifient ce qui est juste par
opposition à ce qui est erroné, et quel est celui qui a l'autorité de décider en cas de litige. On voit
bien ici l'ambivalence de l'idéologie, béquilles qui aident à marcher, mais aussi plâtre qui diminue
la force musculaire sous-jacente, et limite la liberté, en particulier de pensée.
Dans un ouvrage qui n'a pas été sans provoquer quelques remous, Levin (1975) montre que les
minorités elles-mêmes peuvent avoir aussi un certain nombre d'avantages, de bénéfices
secondaires à être l'objet de préjugés :
- maintenance de l'identité à travers la victimisation (nous avons vu ce mécanisme central pour
comprendre l’islamisme à la fin du chapitre sur la loi au centre de la paranoïa).
- l'utilisation de la culpabilisation de la majorité comme arme psychologique et politique.
- réduction de la compétition : la micro-économie du ghetto réduit la concurrence par rapport au
marché global, d'où son intérêt.
- réduction de la responsabilité en cas d'échec, la faute étant bien sûr rejetée sur la majorité.
- sécurisation : le préjugé crée une sorte de loi psychosociale, un nouveau contrat social en soi, et
de par la répétitivité même des stéréotypes pour juger et se comporter avec l'autre, chacun sait à
247
quoi s'attendre. Il mène donc à une sorte de confort, même si celui-ci doit être payé d'un certain
prix. La "ghettoïsation" des individus par une identité unique, par exemple religieuse, est le
premier pas qui ensuite rend beaucoup plus facile l'encerclement du ghetto et son extermination
complète. Malgré tous ces éléments, il faut accepter le fait que les sciences en général, et la
psychologie sociale et clinique en particulier, procèdent par classification, regroupements, et
donc généralisations : certes, il est important que celles-ci ne soient pas hâtives, qu'elles soient
capables de prendre en compte différents aspects et niveaux d'un problème donné et qu’elles
reconnaissent qu’il y a la plupart du temps des « exceptions qui confirment la règle ».
Au fond, les minorités sont toujours devant le même choix : s'enfermer dans un ghetto pour
protéger leur identité, ou bien accepter l'assimilation pour avoir plus de possibilité d'ascension
socio-économique. Il est intéressant de savoir que certaines études288 ont montré qu'il y avait à
peu près la même proportion de personnalités autoritaires, dogmatiques et sujettes aux préjugés
dans les groupes minoritaires que dans la majorité.
"Chacun excuse sa violence contre les civils d'autres pays en mettant en avant ses bonnes
conséquences (par exemple, libération de la femme afghane après l'attaque américaine) tout en
condamnant la violence contre ses propres civils en termes de droits de l'homme universel et de la
violation des lois morales."289. En fait, Ben Laden a fait cela aussi : pour lui, les meilleures
conséquences du 11septembre ont été qu'on a parlé de l'islam, qu'on s'est mis à le respecter, et
même qu'il y ait eu des conversions en grand nombre, paraît-il, en Hollande ; également bien sûr
était importante la « punition » économique des USA qu'il estimait à 1 trillion de dollars. C'est là
qu'on voit combien prosélytisme, paranoïa et violence sont intimement liés. Cela devrait donner
une dose d'humilité aux missionnaires de tout poil.
La vision idéaliste d'Amartya Sen et d'autres intellectuels occidentaux selon laquelle un
musulman pas exemple peut choisir d'être complètement pacifique sans cesser d'être un bon
croyant intégré dans sa société semble être un voeu pieux. Dans la plupart des pays,
l'appartenance religieuse n'est guère négociable, et toute prise de distance par rapport au clan, à la
caste ou à la tribu est vécue comme une trahison. Certes, dans des sociétés libérales comme
l'Angleterre ou les États-Unis, avec une éducation laïque en plus, le libre choix de sa voie
religieuse est beaucoup plus facile. Kakar a bien montré dans son livre Colours of Violence290 que
l'identité islamique est ce qui ressortait au premier plan en cas de crise, même si elle peut être
mise de côté en période normale. L'Irak post-Saddam en est un exemple récent. Kakar a fait
circuler dans les groupes religieux un questionnaire sur les passages à l'acte qui semblent
anormaux ou mauvais, en distinguant les périodes de vie habituelles et les périodes des émeutes
entre musulmans et hindous. Dans les deux communautés qu'il a étudiées à Hyderabad dans le
centre de l'Inde, il a remarqué de notables différences entre les deux situations. L'émeute
interreligieuse est une guerre en miniature, on pourrait la définir comme une psychose temporaire
ou même comme une fête, un carnaval où pour quelque temps tout est permis, pillage de la
boutique du voisin ou viol de sa femme. Malheureusement, ceux qui restent à terre après la
grosse bagarre carnavalesque ne se contentent pas de faire le mort, ils le sont pour de bon.
Il faut comprendre aussi que le fondamentalisme effectue beaucoup plus une reconstruction
sélective du passé que sa résurrection tel qu'il était exactement. Nous verrons dans un des
derniers chapitres du livre comment par exemple les origines de l'islam sont profondément
remises en cause par les historiens, et comment ce que mettent en avant les prêcheurs
fondamentalistes représente beaucoup plus un mythe qu'une réalité historique. Les quatre grands
groupes intégristes de l'Inde, les Déobandis, les Nadwahs, le Tablighis Jamayat et les Jamayast-iIslami invitent leurs fidèles à revivre complètement la période de la vie du Prophète et des quatre
premiers califes, ce qui réduit considérablement les possibilités de la tradition de l’islam, qui a
248
réussi à élaborer pourtant autre chose de plus intéressant que les querelles et luttes de pouvoirs
sanglantes des premières générations. Contrairement aux masses populaires de l'Inde musulmane
qui acceptent leur perte de pouvoir par rapport à l'époque médiévale avec un certain fatalisme,
voire un côté dépressif, les intégristes essaient de dépasser cette réaction d'auto-dévalorisation en
stimulant la colère et la paranoïa sthénique. Ceci pose un problème du point de vue
psychologique, car une humeur dépressive permet un travail de deuil, alors que l'agressivité
psychotique, non. Tous les torts viennent de l’extérieur, et on perd cette petite aiguille du bon
sens qui permettrait de percer le ballon de baudruche de l’ego hypertrophié.
De plus les prêcheurs intégristes dont le niveau des études générales est souvent très faible
sont pleins de ressentiment envers les musulmans éduqués. Ils leur reprochent de séduire le
"bon" peuple en leur enseignant que la religion est distincte de la vie et de la politique, et les
traitent de véritables "voleurs" de cette religion291. Pour aller plus loin dans ces réflexions, on
peut se référer à des études sur la psychanalyse du fanatisme, par exemple celle de Haynal292.
En Irak au moment où j'écris, beaucoup d'habitants utilisent deux cartes d'identité, une vraie et
une fausse, avec un nom sunnite ou shiite, par exemple Omar ou bien Ali, et sortent la "bonne"
aux postes de contrôle selon le quartier où ils sont. Sinon, ils peuvent se faire abattre
sommairement. Le prix des fausses cartes d'identité a été multiplié par dix depuis avant la guerre
civile293. Voilà un bel exemple à la fois de l’existence et de l’absurdité du lien intime entre
identité religieuse et violence.
Avec le développement de la science médicale, on a tendance à voir la diffusion des
croyances, surtout de celles qui sont prosélytes, comme des épidémies. Certaines sont bénignes,
comme ces nombreux virus qui ne se manifestent que par quelques jours d'éternuements et des
érythèmes sur le corps, par contre d'autres sont vraiment destructrices, et peuvent donner lieu à
des encéphalites qui font perdre la raison, et même la vie. Nous avons déjà mentionné que la
méthode médicale peut être aussi invoquée pour se repérer dans le foisonnement des types
psychologiques : on décrit d'abord une pathologie typique, statistiquement la plus fréquente, et
ensuite on en vient à aborder la série de ses formes cliniques. En effet, il y a de nombreuses
variations individuelles, surtout dans le domaine du psychisme, mais la science s’y retrouve
quand même en dégageant des syndromes cohérents, avec leur étiologie et leur pronostic.
Théoriquement, chacun a la liberté de choisir son type de croyances, surtout dans les sociétés
modernes, mais statistiquement, les conditionnements communautaires restent puissants. Si on
cherche à s’en désidentifier, les autres vous les renvoient malgré tout. Souvent, à une période de
libéralisation succède une autre tendant à la rigidification.
Comme le dit Régis Debray : « les melting-pots se grippent. Aux différences de classe
s'ajoutent, se substitue les pire de toutes : les différences d'origine, qui peuvent aller jusqu'au
sinistre 'coupable d'être né' ».294
Le cliché simpliste de « la sagesse de l'Orient » peut aussi être compris comme un
compliment empoisonné, ' de la main gauche' comme disent les Anglais : en effet, il sous-entend
quelque part que cet Orient si sage ne sera pas capable d'évoluer, et sera condamné indéfiniment à
ne vivre que de sa sagesse.
Eloge du gris, la couleur des bijoux en argent.
L'identité belliqueuse et agressive est fondée sur le clivage psychotique entre blanc et noir, et
correspond au dynamisme intrapsychique du fonctionnement de la paranoïa. Celle-ci est
accentuée par la dimension religieuse qui contribue à lui donner une sorte de saveur d'absolu et à
favoriser son hypertrophie. Comme une tumeur, elle a une tendance naturelle à métastaser et à
249
envahir différents "organes" du psychisme, obscurcissant par exemple non seulement le
jugement, mais aussi le sentiment, le comportement, la croyance métaphysique, etc. C'est sans
doute dans ce sens qu'on dit que dans la guerre – qui est souvent une forme de paranoïa collective
– la première victime, c'est la vérité.
On projette ses propres mauvais côtés sur ce qu'on pourrait appeler en sociologie le grouperéservoir, celui qui sert de bouc émissaire. Évidemment, il y a des retours de bâton. Un bon
exemple de cela est l'Allemagne nazie, qui accusait régulièrement les juifs de faire des sacrifices
d'enfants, évidemment faussement : par contre, l'Allemagne elle-même au cours de la seconde
guerre mondiale a dû finalement sacrifier 8 millions de ses enfants. Y aurait-il un rapport?
Les intégristes reprennent une vérité spirituelle certaine: ce n'est pas au fond à l'enseignement
de la vie intérieure de changer, c'est à nous de changer par rapport à lui. Cependant, ils la
pervertissent en en faisant un instrument de pouvoir d'une oligarchie religieuse et d'oppression
politique de la diversité naturelle des sociétés. De plus, la guerre de religion dans toute sa laideur
et sa bêtise est plus qu'une psychose temporaire. C'est la manifestation aiguë d'un délire
chronique qui est enkysté profondément dans le psychisme. Le type de celui-ci est a priori la
paranoïa, avec une estime absolue de soi-même et de son propre groupe, et un mépris non moins
absolu de "l'autre".
250
Deuxième partie
En suivant le fil de la psychologie
dans le tissu de l’histoire
251
CH 11
LA RÉALITÉ DU DJIHÂD -CONTINUITÉ ET
ÉVOLUTIONS
La violence, c'est le seul moyen de ramener les gens à Allah.
Hassan al Banna, le fondateur des Frères musulmans (cité
2
par Bigot Guillaume
Cette déclaration de Hassan al Banna, le fondateur des Frères musulmans, est importante : En
effet, les Frères musulmans ont été les inspirateurs direct d’Al Quaeda et du jihadisme depuis
l’Algérie jusqu’au Pakistan en passant par la Syrie et la Palestine du Hamas qui en est au départ
une branche. Il y a eu certes des séparations entre les descendants les plus violents des Ikhwans,
des Frères, comme Ben Laden, qui ont eu un certain succès, ceux violents, mais qui n’en ont pas
eu et ont été physiquement éliminés comme en Syrie dans les années 80 ou en Algérie dans les
années 90, et ceux plus modérés qui sont rentrés plus ou moins dans le système politique, en
Egypte ou en Jordanie par exemple. Mais la parenté même des organisations amène évidemment
à être prudent sur l’étiquette de « modéré » que certains veulent leur attribuer à tout prix. Comme
le disait La Palisse, on est modéré jusqu’au moment où on ne l’est plus…Qu’est-ce qui fait la
bascule entre une pensée privée seulement totalisante et sa tentative d’application totalitaire et
violente à la société? Beaucoup de facteurs peuvent précipiter cette bascule, sociaux, historiques,
mais aussi purement psychologiques, c’est pour cela que l’étiquette ‘modérée’ même si elle est
utile pour le pragmatisme politique, ne doit pas être prise comme argent content quand on
travaille à une analyse psychologique objective.
Le djihâd a ses racines dans la violence vétérotestamentaire, nous donnons les citations
principales dans ce sens, et nous analysons ensuite comment la base doctrinale du djihâd est celle
d'une guerre permanente, puisqu'elle ne s'arrêtera que quand l'islam aura conquis la terre entière.
Nous rentrons ensuite dans le détail pour savoir s'il existe de réels versets de tolérance dans le
Coran, ou si, pris dans leur contexte, ils sont plus autoritaires que vraiment tolérants. Ce chapitre
a son importance, car le propre de l'idéologie islamique prosélyte est le déni de la réalité : par
exemple, si on parle du djihâd, la réponse la plus facile sera de se dédouaner immédiatement en
affirmant envers et contre tout qu'il ne s'agit que d'une mauvaise compréhension du djihâd
intérieur. On montre dans le chapitre que certaines interprétations de ce genre ne sont pas
vraiment réaliste, et même à certains moments à la limite de la bonne foi. Il n'est pas juste de dire
qu'on interprète comme on veut les textes sacrés : il y a déjà ce qu'ils disent littéralement, qui
diffère considérablement d'une tradition à l'autre, mais de plus, ils ont reçu au cours des siècles
2
Le zombie et le fanatique Flammarion 2002, p.213
252
une interprétation standard qui est devenue une sorte d'orthodoxie politique et dont il est difficile
de beaucoup s'écarter. Si on veut le faire malgré tout, on ne sera tout simplement pas suivi, donc
son effort restera stérile. Certes, du point de vue sociologique, on peut constater que certains
versets ou parties de textes n'ont guère eu d'impact sur des populations données. Mais du point de
vue psychologique, un texte normatif garde toute son aura et son pouvoir sur le psychisme des
gens. Les invitations à l'exclusivisme religieux en particulier, qu'elles soient explicites et peutêtre encore plus implicites, ont leur influence négative sur le psychisme du peuple des fidèles.
Mohamed avait tendance à s'identifier à Moïse, et était pétri de l'Ancien Testament. En fait,
Mohamed, « le Loué », était un nom à l’époque qui pouvait s’appliquer non seulement au
prophète Daniel, mais aussi à Moïse lui-même. Il en a hérité la violence, et certains traits de sa
personnalité l'ont même aggravée, en la systématisant et en la figeant. Pour les intellectuels
occidentaux, la véritable sympathie envers les musulmans consiste à les aider à voir ces faits
directement, pour pouvoir ensuite les rendre mieux capables de trouver une vraie manière de
prendre leur distance, déjà de façon personnelle, par rapport cette violence. Tout commence par
la prise de conscience personnelle.
Pour écrire ce chapitre, je me suis basé non seulement sur des citations du Coran, mais aussi
sur une étude du Sahî Muslim.295 J'ai utilisé une édition abrégée de ce livre, avec quelques
commentaires de bon sens psychologique et spirituel par Ram Swarup, Understanding Islam
Through Hadîths.296 Il s’agit d’un recueil de hadîths, de traditions concernant le Prophète; c'est
la collection qui est considérée comme la plus authentique. Tous les hadîths sont numérotés, et
les numéros entre parenthèses après les citations correspondent à ce classement.
Je préciserai d'abord en quoi consiste le djihâd, puis parlerai de ses conséquences sur les autres
peuples, en particulier sur l'Inde. Quand on sait que beaucoup d'islamistes dénient en grande
partie l'holocauste des juifs par les nazis et réécrivent cette partie de l’histoire, ce ne sera pas
étonnant a fortiori qu'ils dénient encore plus la violence de leur propre guerre sainte. On en a un
bon exemple avec le gouvernement turc qui, malgré les pressions de l'Europe, continue à refuser
la réalité du génocide arménien après presque un siècle. "Motus et bouche cousue !" est la devise
des idéologies absolutistes, c'est ce qu'on pourrait appeler le révisionnisme du point de vue
politique, et le déni-délit dans le langage de la psychiatrie. En effet, le refoulement et le déni d'un
fait mènent au renouvellement du délit, autant du point de vue personnel que de celui d'une
société tout entière. L'impunité dont ont bénéficié les généraux turcs après le massacre arménien
a poussé Hitler à oser se lancer dans d'autres génocides en massacrant 6 millions de russes, un
million de polonais et 6 millions de juifs, sans compter les tsiganes et les autres, pendant la
seconde guerre mondiale, et a aussi autorisé les Pakistanais à faire une purification ethnique des
hindous dans leur pays, ce qu’ils ont réussi à peu près puisqu’il n’en reste que 2% de leur
population complète.
Les racines du djihâd : brefs aperçus de la violence vétérotestamentaire.
Certains pensent que j'exagère la violence du Dieu de l'Ancien Testament. Regardons
pourtant certains textes : par exemple, pour commencer le Deutéronome : Yahvé, après avoir
solennellement annoncé qu'il était le seul Dieu dans le Shéma Israël (Dt 6 4), passe aux
menaces concrètes de mort, et met le couteau sous la gorge de ce peuple qu’il venait de flatter en
le qualifiant d’élu : Ne suivez pas d'autre dieux, d'entre les dieux des nations qui vous entourent,
car c'est un Dieu jaloux que Yahvé ton Dieu qui est au milieu de toi. La colère de Yahvé ton Dieu
s'enflammerait contre toi, et il te ferait disparaître de la face de la terre. (Dt 6 14, 15). Prise
d’otage ? On peut difficilement parler d'un amour au cœur large ; que dirait-on d'un amoureux qui
253
parlerait ainsi à sa bien-aimée ?...Dans Jérémie, il veut se venger une fois de plus d’Israël : Allez !
Rassemblez toutes les bêtes sauvages, faite-les venir à la curée ! (Jr 12 9,10) Curieux traitement
pour le peuple qu'il a lui-même choisi ! Par ailleurs, est-ce que la nouvelle croyance sectaire
introduite imposée par Moïse respecte les liens de famille ? Visiblement non :
Si ton frère, le fils de ton père ou fils de ta mère, ton fils, ta fille, l’épouse qui repose sur
ton sein, ou le compagnon qui est un autre toi-même, cherche dans le secret à te séduire
en disant : « allons servir d'autres dieux », que tes pères ni toi n'avaient connus parmi les
dieux des peuples proches ou lointains qui vous entourent, d’une extrémité de la terre à
l'autre, tu ne l'approuveras pas, tu ne l'écouteras pas, ton oeil sera sans pitié, tu ne
l'épargneras pas et tu ne cacheras pas sa faute. Oui, tu devras le tuer, ta main sera la
première contre lui pour le mettre à mort, et la main de tout le peuple continuera
l'exécution. Tu le lapideras jusqu'à ce que mort s'ensuive… » (Dt 6-11)
Si une secte de nos jours disait de telles choses, tous ses membres seraient immédiatement mis
en prison et en outre expertisés par un psychiatre médico-légal, et ce à juste titre. Il semble que
tout cela ne soit pas encore suffisant pour satisfaire les boulimies de sang de Yahvé, et qu'il ne va
pas se contenter de tuer seulement les êtres humains. Quelques lignes plus loin, le Deutéronome
continue ses instructions à propos de ce qu'il convient de faire dans une ville où les gens
recommenceraient à adorer quelque idole :
Tu devras passer au fil de l’épée les habitants de cette ville [certaines versions ajoutent et
leur bétail, comme si les animaux eux-mêmes pouvaient être contaminés par le virus
éminemment contagieux de l’idolâtrie…S’agirait-il une fois de plus d’une extension du
délire en tache d’huile, typique de la paranoïa ?], tu la voueras au haram, à l'anathème,
ainsi que tout ce qu'elle contient. Tu rassembleras toutes les dépouilles au milieu de la
place publique et tu brûleras la ville avec toutes ses dépouilles, l’offrant tout entière à
Yahvé ton Dieu. Elle deviendra pour toujours une ruine, qui ne sera plus rebâtie. » (Dt 12
16-18)
Pour ceux qui auraient la nuque raide et seraient durs d'oreille, Yahvé se répète quelques
chapitres plus loin : Quant aux villes que Yahvé ton Dieu te donne en héritage, tu n'en laisseras
rien subsister de vivant. Oui tu les voueras à l'anathème, ces Hittites, ces Amorites, ces
Cananéens, ces Périzzites, ces Hivvites, ces Jébuséens, ainsi que l'a commandé Yahvé ton Dieu.
(Dt 20, 16-18). En clair, il s’agit de perpétrer des génocides en série au nom du Dieu unique.
Quant aux femmes, Yahvé dans sa grande clémence autorise et bénit le viol des prisonnières :
Lorsque tu partiras en guerre contre tes ennemis, que Yahvé ton Dieu les aura livrés en ton
pouvoir et que tu auras des prisonniers, si tu vois parmi eux une femme bien et que tu t'en
éprennes, tu pourras la prendre pour femme et l’amener en ta maison. Elle se rasera la tête, se
coupera les ongles et quittera son vêtement de captive: elle demeurera dans ta maison et pleurera
tout un mois son père et sa mère. Ensuite tu pourras t'approcher d'elle, agir en mari, et elle sera ta
femme. S'il arrive qu'elle cesse de te plaire, tu la laisseras partir à son gré, sans la vendre à prix
d'argent : tu ne dois pas en tirer profit, puisque tu as usé d'elle. (Dt 21 10 14)
Dans le texte, il n’est pas mentionné qu'on demande à la prisonnière son avis, il s'agit donc
bel et bien d’un viol. Du point de vue de celui qui passe à l'acte, il a deux solutions, soit il le fait
254
de son propre chef, et c'est du domaine névrotique, soit il y est poussé par une voix intérieure, par
exemple une hallucination qu’il croit être divine, et à ce moment-là c'est du ressort de la
psychose. Ce sont évidemment les patients les plus graves, et dans l’exemple ci-dessus, il semble
bien qu'on soit dans la seconde éventualité. Pour une fois, Yahvé n'a pas rajouté son refrain
macabre qui conclut en général le récit des pires violences : Afin qu’il [ou elle, en l’occurrence]
sache que Moi, Yahvé, Je suis Dieu. (Ez 29 30 entre autres). Ce genre de textes ne serait pas si
grave si la ‘tradition’ du viol des prisonnières n'avait continué durant tout le Moyen-âge de la part
des musulmans envers les prisonnières européennes ou hindoues. C'est d'ailleurs l'origine
principale du sati : les femmes de l'aristocratie hindoue se brûlaient vives quand leur mari venait
d’être tué au combat pour ne pas être violées par les sicaires islamiques qui agressaient le
royaume. Ceux-ci ne faisaient que suivre avec grande piété et dévotion leurs Ecritures sacrées,
par exemple le Deutéronome que nous venons de citer. Même celui qui est considéré comme le
saint le plus tolérant et le plus ouvert à la fraternité universelle parmi les soufis d’Inde, Mohi ud
Din Chisti du XIIIe siècle –dont la dargah (tombe) à Ajmer est l'objet du plus grand pèlerinage
musulman d'Inde chaque année – a reçu comme ‘cadeau’ du sultan local pour ses bons services
une princesse hindoue capturée lors des razzias, et il l’a acceptée. Sans doute, le maître avait-il
un faible pour les butins coquins. Pour rassurer les croyants modernes et respectueux de la
morale, on peut signaler malgré tout que sa biographie est considérée par les historiens comme
entièrement fictive. C’est une sorte de consolation.
Ceux qui ne seraient toujours pas convaincus de cette violence de Yahvé – qui devrait
naturellement être considérée comme tout à fait pathologique si elle était le fait d'un être humain
– peuvent lire par eux-mêmes d’autres passages, non pas édifiants, mais plutôt instructifs et
révélateurs dans ce sens. Nous n’avons pas le temps de les citer in extenso : Lv 26 1,2 et 14-35,
Dt 8 20 ; 10 20,21 ; 11 16,17 28 1-68 ; Is 6 10-13 ; 1 18 ; 33 10-13 ; 34 1-15. Jr 3 12, 13 ; 4 1, 2 ;
16, 16,17 ; 2 4-6, 11, 12, 17, 19, 20 ; 12 8-11 et 14-17 ; 13 8-14.
Les bases doctrinales du djihâd : une guerre permanente.
On peut déjà faire remarquer à propos du djihâd en Inde qu'il a été le fait des Turcs plutôt que
des arabes. Ceux-ci avaient commencé par s'installer relativement paisiblement semble-t-il dans
quelques comptoirs sur les côtes de l'Inde, déjà avant l'arrivée de Mahomet. Ceci dit, il est clair
que c'est la base scripturaire du Coran et des hadîths qui a fourni aux Turcs une idéologie de la
guerre sainte et une justification théologique pour ce qui était souvent une forme de génocide,
avec, nous l'avons mentionné déjà plusieurs fois, plusieurs dizaines de millions de morts en cinq
siècles rien que sur le front de l'Inde. Les Américains sont tout à fait bouleversé d'avoir eu 3000
victimes du fait de l’attaque islamiste du 11 septembre 2001, mais ce chiffre n'est qu'un grain de
poussière par rapport à ceux de l’histoire de l’islam avec l’Inde. Mais comme il s’agit
d’évènements anciens qui se sont étalés sur longtemps, qu’après tout les victimes étaient des
polythéistes et que donc ils l’avaient ‘mérité’ – ainsi parle la théologie monothéiste – il ne vaut
même pas la peine de mentionner ce ‘détail’ de l'histoire mondiale ou d’encourager des études
universitaires à son sujet. L’attitude saine intellectuellement devrait être l’exact opposé : un
événement unique peut être éventuellement interprété comme un accident de l'histoire, mais un
processus qui s’étend avec constance sur huit siècles ne peut être le fruit du hasard, il vient d'une
doctrine et d’une théologie bien établies. C'est celles-ci qu’il faut examiner de près pour pouvoir
les déconstruire. Le fait qu’un certain nombre de troupes musulmanes aient été en fait repoussées
vers l’Inde par des envahisseurs plus féroces qu’eux, comme les Moghols non encore convertis à
255
l’islam, atténue certes la responsabilité du point de vue de l’éthique historique, mais n’explique ni
n’excuse pas tout.
Il est clair que certains historiens critiqueront le fait de mettre un chiffre global de mort à
propos d'une religion. Certes, il est vrai qu'il faudrait établir une distinction entre les morts
d'avant le XVIe siècle, où l'on a très peu le compte précis, et ceux d’après. De plus, il est
important d’établir une autre différence entre les victimes directes de l'idéologie religieuse et
celles qui ont été victimes de conflits où la religion n'a été qu'à facteur aggravant parmi d'autres.
Ceci dit, même s'il est critiquable de donner une sorte de "facture globale", il l'est à mon avis
encore plus de ne donner aucun chiffre. Cela peut mener directement au révisionnisme, et l'on
voit ce mécanisme pervers à l'oeuvre même à propos d'un génocide aussi récent et bien
documenté qu’est celui de l'Holocauste. Le mécanisme intellectuel de déni de la réalité est facile
à identifier : on commence par discuter les chiffes en disant qu'ils sont très difficiles à établir, et
en donnant quelques éléments visant à montrer qu'ils ont été partiellement exagérés, ensuite on en
déduit qu'on ne peut rien dire et en conclusion on suggère une évaluation ridiculement faible, par
exemple on transforme les 5 millions et demi des juifs tués pendant l'Holocauste en quelques
milliers...
Il a été intéressant pour moi de discuter avec un tout jeune spécialiste des sciences politiques
qui n'est pas historien mais a quand même certaines idées à lui sur ce qui s'est passé dans
l'expansion de l'islam par exemple : il soutenait que l'invasion de tout le Moyen-Orient et de
l'Afrique du nord par l'islam des origines en un ou deux siècles n'étaient pas le fait d'une
idéologie, mais juste une stratégie de défense contre la menace chrétienne... en attaquant – donc
au fond une légitime défense. Voilà une interprétation étonnante. Quand a Mohamed Kaçim qui a
été le premier à avoir vraiment effectué une poussée en direction de l'Inde à partir de la Perse très
tôt dans l'histoire de l'islam, ce n'était pas de sa faute ou de celle de son idéologie, il a été
simplement refoulé par d'autres princes musulmans qui l'ont spolié de son royaume d'origine, il
s'agissait donc d'une victime. (Cependant, les parsis, c'est-à-dire les zoroastriens ont été chassés
de Perse par les musulmans mais on pu s'installer paisiblement au Gujarat et ailleurs en Inde sans
faire intervenir la force militaire ni chercher à imposer leur religion).
Le même type de raisonnement quelque peu paralogique continuait avec Mohamed de
Ghazni et Nadir Shah (ce dernier a attaqué Delhi à sept reprises, et y a une fois massacré 100.000
personnes en une journée) : "En fait, il ne s'agissait que des pillards qui ont eu cette grande
générosité de ne pas avoir voulu imposer une idéologie islamiste à l'Inde, et se contentaient de
massacrer les gens mais avaient la générosité de ne pas chercher à les convertir). Quant aux
sultans de Delhi et aux Moghols qui ont effectivement cherché à imposer l’islam pour étayer leur
impérialisme, ils ont eu cette bonté certaine de ne pas être de grands pillards comme leurs
prédécesseurs, mais simplement de petits prédateurs pour financer leurs guerres d'expansion"...
On en arrive ainsi à pratiquement à tout justifier, et l'on tombe finalement dans une forme de
révisionnisme et de négationnisme. La meilleure solution reste certainement de pouvoir monter à
un plan psychologique supérieur et de se demander si ce type d'interprétation ne s'est pas laissée
piéger par des rationalisations secondaires d'une paranoïa et d'une mégalomanie de base, dont le
moteur est plutôt banal : la croyance aveugle en la supériorité d’une forme religieuse.
Au vu de toutes ces réflexions, j'ai décidé de parler d’un chiffre de plusieurs dizaines de
millions de morts comme évaluation des dégâts causés par les invasions musulmanes en Inde, et
je renvoie la balle dans le camp des historiens : quand ils auront fait leur métier et seront parvenu
à une évaluation raisonnable et bien documentée, je l'adopterai. En attendant, donner une idée est
mieux que de ne pas faire d'évaluation du tout. Entre deux maux, on choisit le moindre.
256
Ce qui frappe d'emblée dans le djihâd islamique, c'est son caractère de guerre continue. Le
Hidâyah, le livre de Lois islamiques par excellence, cite le Prophète en affirmant : "On nous a
demandé de livrer la guerre à l'humanité jusqu'au moment où elle confessera qu’il n'y a pas de
Dieu si ce n'est Allah". Tout simplement. Pourquoi cela? Il faut déjà souligner et garder présent à
l'esprit que le djihâd, dans le développement de l'islam, est rapidement devenu un business
florissant et donc un moyen d'enrichissement rapide. L'avidité pure et simple a ainsi été un
moteur puissant de l’extension religieuse, certainement beaucoup plus que l’hypothèse de
l’Unicité divine et de la grâce. Le Hidâyah, pour en revenir à lui, recommande ceci : "Les
infidèles doivent percevoir qu'ils sont attaqués à cause de la religion, et non pas pour prendre
leurs propriétés et faire des esclaves de leurs enfants." Précision importante…Nous verrons plus
loin que les paranoïaques sont très soucieux de garder les apparences d’une moralité parfaite,
peut-être y a-t-il un rapport avec cette déclaration et son caractère signifiant de déni.
Quand on sait les pillages qui s'ensuivaient et la voracité pour le butin des combattants
islamistes, cette recommandation paraît plus relever d'une hypocrisie consommée. Nous aurons
de multiples exemples de la manière dont Allah est mis au service d’une éthique sectaire plutôt
contestable. Il n’y a pas de mention de guerre sainte intériorisée et spirituelle dans le Coran :
pratiquement pas dans toute la masse des hadîths et pas non plus dans les quatre grandes écoles
qui constituent l’islam classique, chafiites, malékites, hanafites et hanbalites. Celle-ci a été une
invention plutôt tardive des soufis. C’est le génie de l’être humain où qu’il soit de pouvoir
développer une certaine spiritualité quels que soient les handicaps de départ du milieu
environnant. Le risque est cependant de s’éloigner tellement de la réalité conrète qu’on en
bascule insensiblement dans le négationnisme.
Le djihâd est appelé la voie d'Allah. On a en effet bien besoin d’un Dieu accomodant pour
déculpabiliser les combattants et les pousser à une guerre totale. La première manifestation de la
guerre sainte s'est déroulée quand un groupe de sept compagnons du Prophète a attaqué sur son
ordre par surprise une petite caravane, qui évidemment ne leur avait rien fait et ne leur avait rien
demandé. Pendant que les bêtes buvaient de l'eau et que les voyageurs se reposaient, ils se sont
jetés sur ces derniers, en ont tué un et en ont pris deux comme otages, soit pour les utiliser
comme esclaves, soit pour les revendre. Le premier épisode de guerre sainte islamiste menée par
les sept compagnons revenait donc en clair à un vol à main armée aggravé de meurtre et de prise
d'otages. Pour leur début dans la profession, ils ont fait fort. Leur nom avait une résonance
poétique, mais guère leur action.
Ce passage à l’acte initial s’est développé rapidement en une « expansion glorieuse » ou
plutôt pour les observateurs non naïfs comme le sont les psychologues – en la plus grande
épidémie de violence idéologico-religieuse que l'humanité n’ait jamais connue. La terreur était
utilisée pour assassiner ceux qui s'opposaient fermement à la mégalomanie du Prophète, et pour
effrayer les survivants, afin qu'ils fassent au début au moins semblant de croire. Ensuite, la
conversion – ou en des termes plus modernes le lavage de cerveau – était complété grâce à deux
méthodes principales :
a) L'implication, en particulier par un engagement dans la guerre où l'on avait à tuer des infidèles,
ou par des missions d'assassinat demandées directement par Mahomet, tout particulièrement
contre les membres de la famille ou du clan même de la nouvelle recrue, pour couper tout lien
avec l’entourage de départ et rendre l'individu entièrement dépendant de la nouvelle croyance.
Par exemple, il a été demandé au frère de lait du poète K’ab de l’assassiner, ce qu’il a fait. Après
ce passage à l’acte, comment aurait-il pu revenir en arrière vers sa famille ?
257
b) La chasse aux munafîqoun, les hypocrites, celle-ci étant assurée par le premier groupe de
compagnons qui étaient « proches » du Prophètes, en des termes plus cliniques qui avaient été
contaminés dès le début par ses idées de grandeur.
Ainsi, après la purification ethnique consistant à liquider physiquement les opposants
vraiment décidés, il y avait la purification idéologique qui consistait à transformer les nouveaux
convertis, tièdes et terrorisés, en des ‘croyants’ au sens complet du terme, c'est-à-dire en des
sortes d’organismes capables de répandre de façon active l’agression à d’autres et à se multiplier
pareils à eux-mêmes. Il faut que les non- musulmans et les musulmans qui sont capables de se
poser des questions fassent face à la vérité toute simple : la violence islamiste a commencé avec
Mahomet lui-même, et ses seconds Abu-Bakr et Omar qui a porté le fléau de l’agression au-delà
des frontières par ses agressions déguisées sous le beau nom de « conquêtes ».
La voix qui possédait régulièrement Mahomet comme par un syndrome d'influence relançait
sans cesse les militants vers le champ de bataille : "Les membres d’un groupe ont peur des autres
hommes, de même qu'ils ont peur d'Allah et même encore plus, et disent : 'Oh Seigneur !
Pourquoi nous as-tu ordonné le combat ? Si seulement tu pouvais nous accorder du repos pour
quelque temps." (Co 4 77). Mahomet dit dans un hadîth : "Celui qui est décédé sans avoir
combattu sur la voie d'Allah (un euphémisme pour la guerre sainte) et qui n'a exprimé aucun désir
ni détermination pour le djihâd a eu la mort d'un munafiq, d'un hypocrite." (4696). "Il y a un acte
qui dépasse la simple profession de foi musulmane autant que le ciel dépasse la terre : C'est la
guerre sainte !" déclare Mahomet (4645) Le zaqât, impôt perçu sur les musulmans pour les
oeuvres de charité était en fait souvent affecté à la prochaine expédition d’agression sanctifiée
des tribus voisines. Ainsi, les associations caritatives saoudiennes qui soutiennent en réalité le
terrorisme ne font que suivre à la lettre le Coran. De plus, le rapport de force brutal est canonisé :
"N'appelez pas les infidèles à la paix quand vous leur êtes supérieurs, et que Dieu est avec vous."
(Co 47 37). Il semble bien qu’il n’y a pas de paix avec les infidèles dans l’esprit du Coran, il n’y
a que des trêves temporaires si on se trouve être en situation de faiblesse.
Mohamed a eu tendance à se définir en miroir de Moshé, du fait qu'il estimait être le Moïse des
arabes, et qu’il effectuait l'unification du peuple d'Ismaël de même que celui-là l'avait fait pour le
peuple d'Israël. Dans toutes ces définitions en double et en miroir réside un profond potentiel de
violence, comme dans l'archétype des frères jumeaux. L’actualité brûlante entre Téhéran et TelAviv par exemple est toujours agie en toile de fond par ces archétypes mal pris en conscience.
Il y a une partie de la doctrine du djihâd qui est éminemment dangereuse pour le reste de
l'humanité. Les pays où les musulmans sont en minorité ou qu'ils peuvent attaquer facilement
sont considérés comme dar ul harb, terre de guerre, en attendant de les transformer par la
conquête en dar ul islam, terre d'islam. S’ils sont trop faibles pour attaquer, ils considèrent le
pays comme dar-ul-suhl, terre de trêve – par définition temporaire. Ces ambitions représentent
beaucoup plus qu'un épanchement de dévotion qui serait certes naïf, mais inoffensif car en fait
irréaliste.
Quand on regarde l'histoire, on voit qu'il s'agissait d'une sérieuse mégalomanie qui a permis à
l'islam d'agresser ses voisins et de détruire là où c’était possible leur culture et leur religion, avec
la meilleure conscience du monde : "Nous ne faisons que récupérer les terres qui nous
appartiennent et que ces imposteurs ont occupées sans vergogne !" Nous nous trouvons devant un
fonctionnement typique de psychose paranoïaque, celle-ci servant justement à justifier l'agression
par tous les moyens, et principalement l'argument de légitime défense. "J'ai été agressé (Quand?
Tout le monde l'ignore), et je ne fais que me défendre en contre-attaquant." Le Hidâyah confirme
que la guerre avec les infidèles est la norme, et que la paix ne survient que dans des circonstances
qui sont au-delà du contrôle des musulmans. Cette pieuse mégalomanie s'étend aussi à la
258
conception des nouveaux-nés : Mahomet dit : "Chaque enfant naît musulman, mais ce sont ses
parents qui l'éduquent comme un non musulman". Pour ce ‘crime’, ils méritent donc la mort, à
moins qu'ils ne se convertissent in extremis : le Prophète est plein de clémence pour ceux qui se
repentent, par exemple de ne pas avoir réalisé plus tôt, dans leur aveuglement, que leurs enfants
était nés déjà musulmans…Ainsi fonctionne la mégalomanie islamique.
Quand un des compagnons du Prophète a voulu se retirer pour effectuer tranquillement ses
pratiques spirituelles dans un jardin, celui-ci l'a vivement rabroué : "S'occuper à la guerre sainte
pour même une demi-journée est meilleur que la terre entière et toutes les richesses qu'elle
possède. Et se faire piéger sur le champ de bataille est meilleur que d'être engagé dans des prières
supplémentaires pour soixante années" (Mishkât, 4489). Visiblement, le Prophète croyait plus
aux guerres d’agression pour répandre sa religion qu’aux pratiques spirituelles sérieuses.
Mahomet souhaitait lui-même revenir sur terre le plus grand nombre de fois possibles pour se
faire tuer répétitivement au champ de bataille. On pourrait parler d'addiction au martyre, ou alors,
d’un point de vue plus critique, de vantardise vide de sens puisqu'en fait il ne croyait pas a priori
à la réincarnation.
Quant aux victimes de l'agression islamique, leur sort n'était pas enviable. Soit ils étaient
exterminés directement, soit pris comme esclaves, et quand il s'agissait de femmes, violées ; dans
le meilleur des cas, ils ou elles pouvaient être revendus contre rançon. On pouvait certes choisir
de se convertir, mais cela voulait dire qu'on risquait fort de mourir du côté des musulmans dans la
prochaine bataille de cette guerre continue qu'est le djihâd.
Il n'est pas conseillé de tuer les femmes et enfants, dit le Hidâyah. Ce n'est sans doute pas
tant par humanité que parce qu'ils représentent une partie du butin facilement monnayable.
Cependant, si cela arrivait, le mujâhid ne risque pas de punition ou d'amende, "car 'ce qui protège'
(c'est-à-dire l'islam) n'existe pas en eux"297. Voilà une morale simple et qui évite tout problème de
conscience au guerrier.
Bien sûr, profiter du butin est licite : "Consomme les dépouilles de guerre, elles sont licites et
pures" (Coran, sûrah Anfâl, 69). Les théologiens musulmans remarquent quand même qu'elles ne
l'étaient pas avant l'avènement de l'islam, mais qu'Allah et Mahomet les ont rendues légales. On
ne peut que considérer cela comme une éthique douteuse, elle a eu du succès simplement parce
qu'elle flattait l'avidité et l'ego des masses islamisées et militarisées. Cela fait sourire de voir que
par contre, à propos des cas de détournement du butin entre musulmans après la bataille, la loi
devient féroce. Cela ne peut que faire penser à ce genre de règles de fer qui tiennent ensemble les
gangs de brigands pour leur éviter de s'entre-tuer pour le butin, sinon la bande imploserait.
Soyons réalistes. Pas besoin de faire semblant de mettre Dieu là où visiblement il n’est pas.
Le djihâd a tout d'une guerre totale : "Combattez-les jusqu'à ce qu'il n'y ait plus de
persécutions et que la religion soit entièrement pour Allah. " (Co 8 39 et 2 193). Il est conseillé
que ce qui ne peut être pris par pillage soit détruit. En d'autres termes, il s'agit d'une politique de
la terre brûlée. Quand est-ce que cette fièvre belliqueuse aura une chance de se calmer?
Mohamed lui-même a répondu à quelqu'un qui disait que les guerres de la foi étaient en train de
se terminer : "Il ne cessera jamais d’y avoir au milieu de mon peuple un groupe engagé dans la
croisade de la vérité et ce, jusqu'au moment où l'Antéchrist apparaîtra. »298 Du point de vue
clinique, nous sommes devant un délire messianique facile à diagnostiquer, et il est plutôt triste
de constater que c’est toujours ce même délire qui anime Ahmadinejad et le groupe au pouvoir en
Iran dans son travail de déstabilisation de la région. Ils sont religieusement convaincus que le
déclenchement d’une « bonne guerre » est le moyen le plus rapide de faire venir le Mahdi.
L’espoir fait vivre – et parfois même mourir plus vite que prévu.
259
Quand on parle de purification ethnique, le sens en est clair : on liquide tous les membres
d'un même groupe. La "purification religieuse" peut paraître a priori moins violente et plus
diffuse. On se contente de détruire les temples, de massacrer ceux qui les défendent et leurs
prêtres de toute façon, mais on laisse aux fidèles une chance d'avoir la vie sauve en acceptant
d’être convertis de force. Le but reste quand même la destruction complète d'une culture humaine
et religieuse, c'est donc aussi un crime, même s'il se place à un niveau un peu plus subtil que le
massacre généralisé. Les deux proviennent d'une même violence, et on passe d'ailleurs facilement
de l'un à l'autre. Je ne pense pas par exemple que dans le djihâd qui a mené au génocide des
Arméniens chrétiens par les Turcs en 1917, ceux-ci leur aient proposé d'embrasser l'islam pour
éviter la mort. Même le prétexte de la conversion s'est effacé devant la poussée majeure de
violence. De plus, les islamistes sont programmés depuis le début par leur conditionnement
idéologique à croire qu'ils vont gagner indéfiniment ; quand ils perdent, ils ont si surpris qu'ils
pensent rapidement à mettre fin à leurs jours : il faut bien comprendre cela si l'on veut percevoir
la racine des attentats suicides qui émaillent les zones de conflits entre l'islam et les autres
groupes. On peut aussi comprendre de la même façon des comportements autodestructifs de
collectivités entières qui sont prises par l’islamisme radical.
Le djihâd a développé le principe de l'impérialisme et de la colonisation bien avant les
Européens. Il représente l'expansionnisme monothéiste dans sa forme la plus pure et la plus dure.
Comme le dit Mahomet : "Le paradis est à l'ombre des épées" (4314). Certes, les soufis ont
essayé de développer la notion de djihâd-al-akbar, la grande guerre sainte, c'est-à-dire celle à
l'intérieur de soi-même et contre soi-même, par rapport au djihâd-al-asghar, la petite guerre
sainte qu'on livre à l'extérieur. Cependant, il n'y a pas de preuve historique que ce « bricolage »
spirituel tardif ait changé le moins du monde le fonctionnement de l'islam dans son ensemble. Le
djihâd est resté tout aussi violent, comme nous le voyons aujourd'hui dans les points chauds du
monde musulman, y compris entre les fidèles d’Allah eux-mêmes.
Un autre mythe est celui selon lequel la guerre sainte serait uniquement défensive. Si nous
considérons pas exemple les ghazas, les expéditions militaires dirigées par le Prophète lui-même
de son vivant, il n'y a guère que la bataille de Badr, d'Uhud et d'Ahzâb dont on pourrait discuter
le caractère défensif. C'était durant la période de début où il venait d'être accepté, et il était encore
faible. Par la suite, à Médine, il a profité de sa force, et tous les autres raids ou campagnes qu’il a
dirigés personnellement, c'est-à-dire 23 sur 26, ont été purement et simplement des agressions299.
On entend souvent que le mot islam veut dire "paix", mais en fait il est interprété le plus
souvent par les clercs comme signifiant soumission, obéissance complète à Allah afin qu'il puisse
se servir de votre bras pour détruire les infidèles (Co 3 19). Ce type de soumission n’est pas
vraiment pacifique. Elle risque fort de transformer un être humain a priori normal en une sorte de
machine de guerre. En conclusion on peut dire que même si le système du djihâd est d'une
redoutable efficacité politico-religieuse, il n'a en fait rien de sain ni spirituellement ni dans le
rapport avec les autres religions : nous avons vu que rien qu'en Inde, plusieurs dizaines de
millions de morts sont là pour en témoigner de façon muette. Hitler disait: « La cruauté
impressionne. La cruauté et la force brute. L’homme simple de la rue n’est impressionné que par
la force brute et impitoyable. La terreur est le moyen politique le plus efficace. »300 Pour certaines
personnes, il semble que cette conception n’ait guère changé.
Pour terminer sur une note moins macabre et donner un rayon de lumière à la fin de cette
section, je peux mentionner une synchronicité qui est survenue pendant que j'étais en train de
terminer de lire un livre de référence sur le djihâd : j'ai vu dans le journal que le film sur Gandhi
qui a valu à son acteur principal un Oscar, venait d'être doublé en arabe et d'être passé à
Ramallah, la capitale de la Palestine. Des membres du conseil des ministres ont assisté à la
260
première, et il doit circuler dans les camps de réfugiés et les villages palestiniens. Le public a
paru impressionné. Après ce que nous venons de dire, il semble bien qu'il vaille mieux pour ces
Palestiniens devenir disciple de Gandhi que de Mahomet s'ils souhaitent vivre et mourir
paisiblement. Un des descendants du Mahâtma qui s’appelle aussi Gandhi a également été visité
la région récemment.
Y a-t-il des versets de tolérance des autres religions dans le Coran ?
On cite souvent comme exemple de tolérance301 le verset: A vous votre religion, à moi ma
religion (C. 109-6) mais il faut le replacer dans son contexte. C'était la réponse de Mohamed à la
proposition que lui ont faite les païens arabes autour du lit de mort de l’oncle qui l’avait éduqué,
Abu Talib. Cela signifiait que Mohamed refusait un arrangement du genre « vivre et laisser
vivre ». Il voulait purement et simplement qu'ils se convertissent à son islam et se soumettent
entièrement à son pouvoir. Il a refusé le compromis. Les historiens indiens qui se sont penchés
sur les origines de l'islam contestent vigoureusement le cliché des historiens, hagiographes et
fabricants de légendes dorées musulmans, selon lesquels le paganisme d'avant Mohamed était
une religion décadente. Simplement, ils n'ont pas su se défendre contre l'agression inattendue de
l'islam naissant.
Un autre verset souvent cité en faveur de la tolérance du Coran est le suivant : Il n'y a pas
d'obligation en religion (2-256). Cela est en fait une expression de fatalisme, c'est Allah qui
choisit ceux qui veulent sauver et ceux qu'il enverra en enfer en les poussant de l'intérieur à
refuser l'islam. En effet, la fin du passage dit : ...mais ceux qui n'écoutent pas... ce sont les gens
du feu, ils vont vivre en lui pour toujours. Le dirigeant musulman indien du XVIIIe siècle, Shah
Walliullah, interprète même ce verset comme une garantie de la validité des conversions forcées.
En effet, ce n'est pas le soldat musulman qui convertit au fil de l'épée, mais c'est Allah qui
convertit à travers lui. Il n'est donc pas responsable de la violence. Le lecteur occidental moderne
est-il convaincu par ce raisonnement ? Pour le psychologue, ne correspond-il pas à un symptôme
d’une dépersonnalisation plutôt dangereuse, en d’autre terme d’un début de psychose plutôt
banale?
A un autre endroit, le Coran dit : Si le Seigneur avait voulu, tout le monde serait entré ensemble
dans la foi. Allez-vous donc forcer les gens à devenir des croyants ? (10 99)
C'est de nouveau un exemple de la doctrine fataliste de Mohamed. Voici comment ce verset
peut s’expliquer : « Dans le verset suivant, cette doctrine fataliste est reliée à la condamnation
des incroyants au feu de l'enfer éternel : Personne ne peut avoir la foi- si ce n'est par la volonté
d'Allah. Il a envoyé son fléau sur l'insensé. Le contexte plus large de la position de Mohamed va
contre l'interprétation de ce verset en tant qu'opposant les conversions forcées. Le verset a été
révélé à La Mecque, où Mohamed n'était pas encore en position d’imposer les conversions, donc
cette question simplement n’existait pas. Quand elle s'est posée de nouveau à Médine, Mohamed
Nous
a choisi clairement une approche sans restriction aucune pour islamiser l'Arabie.»302
[c'est-à-dire Allah] avons envoyé un messager à chaque communauté. (16 36) : est-ce que cela
signifie que tous les autres grands enseignants spirituels et fondateurs de mouvements religieux
sont des messagers d'Allah ? Le verset suivant contredit clairement cette interprétation : servez
Allah et éviter les Taghuts (les idoles païennes). Il n'y a pas d'enseignants religieux qui disent
cela, excepté dans la lignée d'Abraham. Si même les chrétiens et juifs n'étaient pas reconnus par
Mohamed comme égaux aux musulmans, que dire de ceux qui suivaient Bouddha ou des
polythéistes ? Le même verset 16 36 continue ainsi : Parmi eux [c'est-à-dire parmi les nations
261
du monde] il y avait ceux qu'Allah a guidés de façon juste, et y avait ceux dont l'aberration avait
été prédestinée. Il faut bien comprendre que cela signifie que les nations du monde ont déjà reçu
un message d'Allah, l'ont déjà rejeté, et sont donc coupables aux yeux de l'islam. C'est une
histoire analogue à celle que l'islam a inventée pour dire que les Arabes sont des descendants
d'Abraham par Ismaël, et que la Kaaba a été volée par les polythéistes à un culte monothéiste
originel il y a très longtemps »… et on pourrait ajouter la croyance selon laquelle les juifs ont
déformé la Tora originelle que les musulmans auraient gardé, ce qui est clairement un déni plutôt
triste de l’évidence historique. Cela peut raisonnablement s’interpréter comme symptôme de
psychose du point de vue psychologique, et de totalitarisme du point de vue politique.
Comment comprendre cela plus profondément ? « Ceci veut faire croire que toutes les autres
religions ne sont pas des religions ancestrales authentiques des nations du monde, mais des
usurpations illégitimes et des aberrations de la seule vraie religion de l'islam qui a déjà été
annoncée à chacune d'entre elles. En bref, ce verset selon lequel Allah a envoyé des messagers à
toutes les nations, même quand il n'y a pas de traces historiques d'aucun d'entre eux, a pour but de
mettre les faits à l'envers : toutes les traditions des religions du monde sont devenues des
aberrations créées en défi du message explicite d'Allah (bien qu'il ne soit enregistré nulle part)
tandis que le système de croyance plutôt particulier de Mohamed devient la religion normale,
universelle, qui a existé depuis l'origine des temps. On ne peut s'empêcher de noter le parallèle
avec la conviction de bien des patients psychotiques qui croient être normaux pendant que tous
les autres sont fous – ou à la décision d'un borgne de soigner l'anomalie de tous les gens qui ont
deux yeux. »303
Une partie du verset 13 7 du Coran dit : Chaque nation a son conseiller. Il faut l'interpréter de
la même façon que 16 36. Avant, Mohamed dit à propos des païens qui ne veulent pas croire :
Tels sont ceux qui dénient le Seigneur. Leur cou sera couvert de chaînes. Ils sont les héritiers du
feu, et ils habiteront dedans à tout jamais. Même si ce n'est pas une exhortation directe à tuer les
infidèles, à l’évidence cela prépare psychologiquement à le faire.
Elst explique finalement de façon plutôt ferme: « Nous pouvons conclure de façon sûre qu'il
n'y a pas un seul verset dans le Coran entier qui enseigne la tolérance et la coexistence pacifique
des différentes religions. Le contexte qu'on invoque souvent rend la situation encore pire : même
ces versets qui peuvent être vendus comme tolérants aux plus naïfs, reviennent en fait à des
affirmations d'intolérance quand on les regarde de plus près... Par contre, parmi les douzaines
d'affirmations d'intolérance et de haine religieuse qui sont exprimées sans ambages, on n'a jamais
pu démontrer que même un seul d'entre eux pouvait avoir sa signification d'intolérance mitigée
par le « contexte ».... [Les musulmans modérés] doivent réfléchir soigneusement avant de faire
passer à leurs enfants la croyance que le Coran est la parole d'Allah lui-même. Il se peut que leurs
enfants et petits-enfants se mettent un jour à lire le Coran pour eux-mêmes, oublient ou rejettent
l'interprétation tolérante déformée que les êtres humains ont essayé de projeter dessus, et
restaurent la parole d'Allah dans toute sa pureté primordiale d'intolérance. De fait, beaucoup de
terroristes islamistes ont des musulmans tolérants ou superficiels parmi leurs ascendants»304. Il y
a aussi le problème des écoles et séminaires coraniques en pays musulmans : le paradoxe, c'est
qu'au nom de la laïcité, on tolère au fond des institutions qui semblent bien enseigner tout le
contraire de cette laïcité. Il y a là un sérieux problème de fond.
Certains savants acquis à la cause de l’islam essaient de faire croire au public que le djihâd
n'était que défensif : on peut répondre facilement à cela par une question simple : contre quoi se
défendaient les musulmans lorsqu'ils sont arrivés en un siècle de La Mecque à Poitiers en 732?
Ou alors, étaient-ils animés aussi simplement par l'esprit de djihâd intérieur, comme le prônent
certains soufis? Mohamed Iqbal, un idéologue musulman moderne du Pakistan qui a préparé la
262
partition par son oeuvre, a écrit en s'adressant à Allah : « Qui s'est soucié de Toi ou d'appeler Ton
nom ? Seule l'a fait l'épée de l'islam.»305 et il ajoutait aussi : « Toute la terre appartient aux
musulmans car elle appartient à leur Dieu ».306
N'est-ce pas une déclaration de guerre à peine voilée, bien plus ambitieuse que le Lebensraum
d'Hitler qui se limitait aux germanophones et à une partie de la Pologne? N'est-ce pas cette
obsession d'un espace où la race pure des Croyants pourrait se développer qui a mené à la guerre
de Partition en Inde avec son million de morts, qui sinon aurait pu être évitable ? Ne pas aller
vers cette partition était le souhait de la grande majorité des hindous, à commencer par Gandhi.
N'est-ce pas au fond ce même fantasme qui est à l'origine première du risque de conflit atomique
entre le Pakistan et l'Inde ? Par ailleurs, si on va au bout de la critique, on peut raisonnablement
se demander s'il n’y a pas une similarité réelle entre la doctrine du dhimmi, de l'infidèle aux yeux
de l'islam, et celle des Untermenschen, des sous-hommes du nazisme ? Ceux-ci avaient un
« statut » sous l'occupation allemande, par exemple celui de pouvoir travailler pour soutenir
l'économie de guerre du Reich. On ne les exterminait que si cela pouvait servir à long terme les
buts de l'empire. Iqbal lui-même avait été formé dans des universités allemandes et était un
admirateur du surhomme nietzschéen, qu’il identifiait avec le vrai musulman, et considérait la
« race » hindoue comme destinée à l’esclavage.
On parle dans le Coran des « versets de l'épée » du genre : Alors, quand les mois sacrés sont
finis, allez massacrer les idolâtres où que vous les trouviez, prenez-les comme captifs, assiégezles, et préparez pour eux toutes sortes d'embûches. (9 5) Dans ce sens, il y a de nombreux versets
du Coran qui incitent à la violence envers les autres religions à tel point qu'un Bengali a déposé
une demande au tribunal de Calcutta pour interdire ce livre : en effet, en Inde, les ouvrages qui
incitent à la violence interreligieuse sont bannis. On peut se douter que sa demande n'a pas été
acceptée par les juges apeurés, mais elle a créé une forte gêne dans le public et a amené beaucoup
de gens à se poser des questions.
Quand l'ONU aura plus de pouvoir réel pour faire respecter la paix entre les peuples et
communautés, on pourrait concevoir qu'elle envoie une note aux responsables et imams des
mosquées leur enjoignant de changer le texte de l'appel à la prière du muezzin. Celui-ci devrait
désormais chanter cinq fois par jour : « « Il y a d'autres Dieux que notre dieu, et ils n'ont pas
besoin de Mohamed comme leur Prophète. » Après quinze siècles de déni de la réalité, ce sera un
retour à une position raisonnable, et l'humanité pourra enfin souffler. Cela reviendra à accepter
enfin l’objectivité du monde et de son pluralisme tel que chacun peut le constater; ce jour-là sera
jour de réjouissance pour les êtres humains, car comment ne pas se réjouir quand quelqu’un
retrouve son bon sens ?
Évidemment, on peut supposer que les islamistes rentreront dans une colère noire en entendant
cette proposition. Ce sera précisément la meilleure preuve qu'ils ne sont pas dans le juste, car
pourquoi enrager si on demeure dans la vérité? On pourra objecter que l'advaïta-védanta parle
aussi du non-deux, a-dvaita, mais il le place de façon prudente un degré au-dessus, à un niveau
tellement élevé de l'expérience intérieure qu'il ne cherche pas à interférer, à opprimer ou annuler
la pluralité des dieux et des approches religieuses de l'humanité. Il y a un monde de différence
entre les deux approches, qui correspond à la différence entre la tolérance et son contraire.
Il faut savoir aussi qu'il y a un lien direct entre messianisme, prophétisme et esprit
missionnaire : on pourrait dire que le messianisme est un missionnarisme qui s'emballe, et le
missionnarisme un messianisme fatigué. Dans le sens de l’emballement, on pourrait citer un
penseur du début du siècle dernier qui résume l'arrivée des musulmans en Inde de la façon
suivante : « La religion est une motivation puissante. Il en va de même pour le pillage. Mais là où
la religion est éperonnée par le pillage, le pillage devient serviteur de la religion, la force
263
d'impulsion résultante des deux ensemble n'a d'égale que la profondeur de la misère humaine et
de la dévastation que laisse derrière eux leur avancée. Le Ciel et l'Enfer faisant cause commune –
telles ont été les forces qui ont pris l'Inde par surprise le jour où Mahmud de Ghazni a traversé
l'Indus et l'a envahi. »307
Un beau jour, Mohamed a annoncé aux habitants de La Mecque à la Kaaba : Par l'Unique
qui tient ma vie dans ses mains, je vous apporte le massacre.308 Faut-il dire merci ? Dans la
biographie orthodoxe de Mohamed par Ibn Ishaq, nous apprenons que la première violence dans
l'histoire de l'islam est survenue quand un habitant de La Mecque s'est trouvé être témoin de la
session de prières de la nouvelle secte et a ri : il a été battu comme plâtre309. Ainsi, il n’est pas
interdit de considérer que le premier martyr dans le développement de l'islam ait été le sens de
l'humour. On peut remarquer dans ce sens que l'acte même de rire est toujours regardé avec
méfiance dans la théologie islamique Est-ce parce que les mouftis ont peur inconsciemment qu'on
rie du Prophète, et que "donc" le ciel leur tombe sur la tête ?
264
CH 12
L’idéologie islamiste
dans les invasions de l’Inde
La guerre est une aubaine
Ayatollah Khomeiny, 1981310
La guerre sainte en action : huit siècle de destruction chez les hindous.
Quand on dit que le djihâd a fait environ 80 millions de morts en Inde rien qu’en cinq siècles,
ce chiffre reste en quelque sorte une évaluation abstraite. Pour concrétiser les choses, nous
pouvons commencer cette section en citant la description du sac de Vijayanagar, le grand empire
médiéval du centre-sud de l’Inde après la bataille de Talikota en 1565. Elle provient de la plume
d'un historien occidental311, Robert Sewell :
"Le troisième jour, on a vu le début de la fin. Les musulmans victorieux s'étaient arrêtés sur le
champ de bataille pour se reposer et refaire leurs forces, mais maintenant ils avaient atteint la
capitale et depuis ce moment-là et pendant cinq mois, Vijayanagar n'a pas connu de repos. Les
ennemis étaient venus pour détruire, et ils ont mis à exécution leurs plans d'une façon impitoyable.
Ils ont massacré les gens sans merci, démantelé les temples et les palais et se sont adonnés à une
vengeance si sauvage sur la demeure des rois que rien ne reste maintenant à part un tas de ruines
et quelques temples et murs construits de grosses pierres pour marquer l'endroit où il y avait des
bâtiments magnifiques. Ils ont démoli les statues et ont même réussi à briser les membres de la
grande représentation monolithique de Narasimha. Rien ne semblait leur échapper. Ils ont brisé les
pavillons qui étaient sur la grande plate-forme de laquelle les rois regardaient les fêtes, et ont jeté
toutes leurs sculptures. Ils ont allumé de grands feux dans des bâtiments magnifiquement décorés
qui formaient le temple de Vitthal swami près de la rivière, ayant brisé en mille morceaux ses
sculptures de pierre délicate. Avec le feu et l'épée, avec des pieds de biche et des haches, ils ont
mis à exécution jour après jour leur travail de destruction. Jamais peut-être dans l'histoire du
monde, il y avait eu une telle hécatombe, et exécutée de façon si soudaine, sur une cité si
splendide."
Cependant, les pillards d'Allah n'ont pas eu le temps de jouir de leur victoire, c'est-à-dire de
construire des mosquées à l'emplacement des temples selon leur habitude : en effet, le râja de
265
Vijayanagar a rassemblé ses troupes, a contre-attaqué, les a mis en fuite et en a probablement tué
un bon nombre durant leur débâcle. D'après les témoignages de la littérature de l'époque, voici les
huit points qui faisaient partie de la stratégie de destruction et de terreur des envahisseurs
islamistes:
1. les idoles étaient mutilées, brisées, brûlées ou fondues si elles étaient constituées de métal
précieux.
2. Les sculptures en relief sur les murs et les piliers, étaient défigurées ou grattées et mises
en pièces.
3. Les idoles de pierre ou de métal inférieur et leurs morceaux étaient emportées, des fois
par chariots entiers, pour être jetées soit devant la mosquée principale de la capitale locale
du sultan musulman au pouvoir, ou soit jetées devant les mosquées dans les cités saintes
de l'islam, en particulier la Mecque, Médine et Baghdad.
4. Il y a des exemples de statues qui ont été transformées en sièges de toilette ou qu'on
donnait aux bouchers pour qu'ils s'en servent comme poids en vendant de la viande.
5. Les prêtres brahmines et d'autres religieux dans, ou autour du temple, étaient attaqués ou
assassinés.
6. Les objets sacrés et les écritures qui étaient utilisés pour le culte étaient souillés, dispersés
ou brûlés.
7. Les temples étaient endommagés, rendus impurs, démolis, brûlés ou encore convertis en
une mosquée avec quelques altérations structurelles ou alors des mosquées entières étaient
élevées sur le même site principalement avec des matériaux du temple.
8. Des vaches étaient abattues sur les emplacements des temples pour que les hindous ne
puissent utiliser leurs lieux de cultes à nouveau.312"
Malheureusement, ce processus ne reste pas seulement du domaine de l'histoire. La
destruction des statues historiques du Bouddha à Bamyan en Afghanistan dont nous avons parlé,
ainsi que celles du musée de Kaboul, qui étaient des trésors d'archéologie, témoigne que le même
fonctionnement au fond psychotique est toujours respecté, enseigné dans les écoles coraniques et
mis à exécution dès que l'occasion s’en présente. En octobre-novembre 1989, à cause du simple
fait que les hindous aient posé la pierre de fondation du temple de Râm à Ayodhya – à l'époque
ils n'avaient pas encore rasé la mosquée de Babri – il y a eu soixante-treize temples, ashrams ou
installations hindous endommagés ou détruits en quinze jours au Bangladesh, en particulier les
statues des dieux ont été brisées.313
S’il n'y a pas eu vraiment de grands mystiques soufis en un millénaire d’histoire en Inde, c'est
qu'ils étaient trop occupés à collaborer à la guerre sainte contre les hindous, à détruire leurs
temples, à résister militairement à leurs contre-attaques ou guérillas, et à pousser les sultans à
appliquer l’islam de façon stricte, à devenir de plus en plus islamistes, c’est-à-dire en pratique à
intensifier la persécution contre ces mêmes hindous. On ne peut pas tout faire à la fois. Quand
dans la campagne indienne actuelle, on voit un mazar, la tombe d'un 'saint' soufi, on peut être à
peu près sûr qu'elle a été construite sur un temple hindou qu'on a détruit pour l'occasion. Cela a
été la politique officielle de l’islam et de ses missionnaires, entre autres les soufis indiens pendant
huit cent ans.
Les historiens marxistes qui veulent voir plutôt naïvement des causes économiques à tout
évènement disent que c'est la richesse des temples hindous qui a attiré les destructions islamistes.
Certes, il est bien possible que la richesse globale des plaines de l'Inde ait pu attiser la convoitise
des envahisseurs. Cependant, ceci n'est pas cohérent quand il s'agit des temples. Déjà, il n'y a pas
de document historique montrant que les hindous accumulaient leurs richesses particulièrement
266
dans ces temples, et de plus, même s'il y avait quelque statue en or ou des pièces d'argent à
prendre, ce n'était pas une raison pour raser complètement le temple et mutiler très
systématiquement ses statues. Il s'agissait d'une action inspirée par une idéologie totalitaire :
essayer de jouer à l'autruche et de ne pas voir cela reviendrait seulement à une forme de
négationnisme ou de révisionnisme. Du point de vue psychologique, on peut se demander si cette
violence au fond absurde envers toute forme humaine sculptée n'est pas liée simplement à un
ressentiment paranoïaque envers l'humanité en général et sa beauté, pieusement déguisée sous la
'vertu' de l'iconoclasme.
Quand on la regarde de près, l'expansion de l'islam n'a pas apporté une égalité chez les
peuplades asservies, mais toutes sortes de nouveaux degrés et types de racisme : il y avait déjà
les Sayyads, les descendants du Prophète qui ne se mariaient qu'entre eux. À l'époque de celui-ci,
les premiers compagnons tenaient le haut du pavé, ensuite la tribu de Mohamed avait le droit
"naturel" au califat et à l'autorité, de façon plus large la race arabe devait dominer, ensuite les
convertis musulmans non arabes, ensuite ceux qui suivaient la religion du Livre, et enfin les
infidèles et les nègres qui ne valaient en réalité guère mieux que les Untermenshen, les 'soushommes' oppressés par les nazis pendant la seconde guerre mondiale.
Il faut se souvenir, même si c’est une vérité désagréable, que ce n'est pas Hitler, mais l'islam
qui a développé le bandeau jaune pour qu'on puisse reconnaître les juifs où qu'ils soient. On
recommande ceci dans les hadîths : "Les dhimmis (incroyants en terre d’islam) ne doivent pas
porter d'armes, il leur est interdit de monter à cheval, ils doivent se ceindre d'un genre spécial de
ceinture, le dhunnar, et doivent fixer un morceau de tissu de couleur, ghiyâr, jaune pour les juifs
et bleu pour les chrétiens, sur leurs vêtements afin qu'on puisse facilement les distinguer des
musulmans.314"
En plus de toutes sortes d'humiliations et de vexations gratuites et le fait qu'ils n'avaient accès
en général à aucune position de pouvoir dans l'administration, les non-musulmans en terre d'islam
étaient soumis à la jizyah, une taxe raciste par excellence, car elle était imposée simplement parce
qu'ils ne s'étaient pas convertis. Le terme même, signifiant rétribution, punition, vengeance, en dit
long sur l'esprit de cette pratique. Comme tout en islam doit être fondé sur le Coran et les hadîths,
voici le verset qui a justifié cette exploitation des non-croyants : "Combattez contre ceux qui ont
reçu les Ecritures mais ne croient pas en Allah ou au Dernier jour, n'interdisent pas ce qu'Allah a
interdit par son Messager, et ne suivent pas la religion de la vérité, jusqu'à ce qu'ils soient prêts à
payer le tribut, en étant humiliés315" Le paiement de cette taxe n'était donc pas seulement un acte
économique, mais aussi une humiliation idéologique pour essayer de prouver génération après
génération la toute-puissance de l'islam. Dans ce contexte, la naissance de l’état d’Israël qui
perçoit l’impôt sur des sujets musulmans est une inversion du processus qui sape un complexe de
supériorité vieux de 14 siècles.
Durant quatorze siècles de persécutions, le montant de la jizyah a bien sûr varié. Akbar,
l'empereur le moins bigot de l’Inde des Moghols, l'a annulée d'un coup de plume. Aurangzeb, le
plus fanatique, l'a réinstaurée un siècle plus tard. Les pauvres avaient droit à une réduction, mais
même avec cela, le prix à payer restait considérable, l'équivalent des dépenses alimentaires de
toute l'année. Pour quelqu'un qui était déjà à la limite de la famine, c'était quasiment fatal316.
Quand environ 100.000 hindous sont venus alors manifester à Delhi contre cette taxe, Aurangzeb
a fait charger les éléphants qui en ont écrasé un certain nombre. Cela pourrait être un bon
symbole de la manière dont l'islam est venu apporter l'égalité d'Allah en Inde comme le croient
les gens naïfs. Marc Gaboriau insiste sur ce point dans son nouveau livre sur les musulmans
d’Inde, Un autre islam.317
267
Le racisme envers les infidèles prenait des formes plutôt infantiles : par exemple, si un
musulman rencontrait un autre musulman sur la route, il devait céder le passage, mais s'il
s'agissait d'un dhimmi, il devait s'imposer et le pousser dans le fossé... Les musulmans, comme
des enfants gâtés, pouvaient aller cueillir comme ils le voulaient des fruits dans les vergers des
dhimmis, et faire paître leurs bêtes sur leurs prés. Il est inutile de préciser que ceux qui refusaient
de payer la jizyah, la taxe, étaient mis à mort, ainsi que ‘bien sûr’ les apostats qui avaient répudié
l'islam. Il s'agissait donc d'un semi-esclavage, d’un servage, les dhimmis devant faire tourner
l'économie pour financer les vrais musulmans qui étaient occupés à la guerre sainte. Ainsi le
système s'auto-entretenait, c'est pour cela qu'il a été durable et qu’il a tendu à l’expansion. Quand
le Prophète n'avait pas le pouvoir d'imposer les conversions, il les achetait. Ce principe continue
avec l'argent du pétrole saoudien qui sert soit à acheter des armes en grand nombre, soit à payer
des organisations missionnaires qui construisent des mosquées dans les pays pauvres, en
particulier dans les campagnes d’Afrique et de l'Inde. Frédéri Encel évalue à envioron 10
milliards de dollars par an les sommes investies par l’Arabie Saoudite dans le prosélytisme. .
Dans ce djihâd moderne de la conversion, c'est le pétrodollar qui tient lieu d'épée, bien que
l’avenir de cette ressource soit probablement limité à quelques dizaines d’années encore.
Une question est importante, c'est de savoir qui a le droit de déclencher la guerre sainte. Du
temps du Prophète et de ses successeurs, il était clair que c'était lui, ou les Califes ou Imams du
pays. Mais dans les régions où les musulmans sont en minorité, il s'avère en pratique que
n'importe quel imam d'une petite mosquée, ou même un homme politique musulman quel que
soit son niveau puisse faire un appel au djihâd. Ceci est dangereux. En Inde, on a remarqué que
les émeutes commençaient souvent après le discours enflammé du vendredi après-midi à la
mosquée locale. Par exemple, les massacres de Noakhli au Bengale en 1946 ont été déclenchés
par le député musulman du lieu qui en a appelé à la guerre sainte. Ils ont été suffisamment
violents pour que Gandhi s'exclame avec un soupir : "Mon ahimsa, ma non-violence ne marche
pas!"318. Jusqu'à cette époque, la tradition de l'enlèvement et du viol des femmes non-croyantes se
poursuivait, il y en a eu des milliers à cette occasion : "Babou Rajendralal Roy, le président du
barreau de Noakhli, avait manifesté de sa propre initiative quelques résistances à ce djihâd : le
résultat de cette action a été décrit par un écrivain contemporain : 'La tête de Rajen Babou a été
présentée à Gholam Sarvar sur un plateau et deux de ses lieutenants ont reçu en cadeau et butin
ses deux filles jeunes dans leur harem."319
Dans un livre qui remet beaucoup d’idées en place, « Un autre regard sur l’Inde »320, François
Gautier qui a été quinze ans journaliste en Inde qui vit toujours à Delhi mais s’occupe en français
de la revue de bibliothèque Inde et de la collection La Voix de l’Inde,321 cite ces phrases
significatives d’historiens :
. « Les Sultans Bahmani, qui gouvernaient en Inde centrale, s’étaient fixé un quota de 100.000
Hindous (à massacrer) par an et semblent s’y être tenus. Mais en 1399, le célèbre Timur fit mieux,
il tua 100.000 Hindous en une seule journée, un record. Le Professeur K.S. Lal dans son livre “La
croissance de la population musulmane en Inde” estime qu’entre les seules années 1000 à 1525,
80 millions d’Hindous furent tués directement, (sans parler des famines et autres calamités
naturelles engendrées par la guerre), sans doute le plus grand holocauste de l’histoire de
l’humanité, affirme-t-il. »
“En vérité, conclut Alain Daniélou, il semble que la politique musulmane vis-à- vis de l’Inde
ait été une destruction systématique de tout ce qui était beau, saint et raffiné”. L’historien
américain Will Durant estime quant à lui “que la conquête musulmane en Inde fut probablement la
plus sanglante que l’humanité ait jamais vue. C’est une histoire décourageante, car sa morale
268
évidente c’est que la civilisation est une chose bien précieuse, dont l’ordre complexe et la liberté
peuvent être à tout moment piétinés par des barbares qui envahissent du dehors et se multiplient
au dedans” 322
Cependant, des mots d’encouragement viennent de la part d’un ‘Rishi’ du XXe siècle, Sri
Aurobindo qui rassure en ces termes : « Un peuple comme celui de l’Inde qui apprend
consciemment à toujours penser en terme de dharma, de la vérité éternelle derrière l’homme, et
qui sait regarder au-delà des apparences temporelles, survit toujours”.323 L’histoire semble
globalement vérifier ce point de vue, surtout avec l’émergence de l’Inde comme une des grandes
puissances du XXIe siècle.
Deux dernières observations vont nous aider à mieux comprendre la psychopathologie à
l'oeuvre derrière la notion islamiste de kafir, infidèle :
- Si quelqu'un dit à sa femme : "je t'aime passionnément" et ensuite la tue parce qu'il la
soupçonne de le tromper, il souffre d'un délire paranoïaque à type de jalousie. De même, les
islamistes des origines accueillaient à bras ouverts les nouveaux venus, Mahomet leur faisait
d'ailleurs souvent des cadeaux substantiels, mais ensuite ils menaçaient les hypocrites qui
"trompaient" le Prophète en ne voulant pas aller au djihâd des flammes de l'enfer le plus profond,
et bien sûr les apostats de mise à mort pure et simple. Ne s'agit-il pas aussi tout simplement d'un
délire paranoïaque de jalousie, qui reproduit en fait celui de l'Envoyé lui-même, pourquoi
chercher indéfiniment à se masquer cette réalité plutôt simple ?
- Il faut bien comprendre que l'oppression des femmes et la persécution des infidèles sont les
deux faces de la même pièce. Dans les deux cas, il s'agit d'un délit d'abus de faiblesse. Dans la
conception ordinaire de l'islam, malheureusement encore trop répandue, la femme était une demiesclave chargée de produire le plus d'enfants possibles pour alimenter en soldats la prochaine
guerre sainte ; de son côté, le dhimmi est aussi un demi-esclave destiné à payer le plus de jiziah
possibles, également pour alimenter la prochaine guerre sainte. C'est un complexe militaroéconomico-psychopathologique qui a eu du succès, c'est bien là ce qui a représenté le problème
pour le reste de l'humanité. En conclusion pour ce rapprochement entre paranoïa religieuse
monothéiste et paranoïa ordinaire, nous pourrions ajouter que l'obsession d'un mari qui souffre de
délire paranoïaque de jalousie, c'est justement que sa "femme soit infidèle".
L'esprit humain recherche fondamentalement la justice; même le criminel ordinaire au
moment de son passage à l'acte se construit une justification, bien qu'après il regrette ce qu'il a
fait : "Ma femme m'a vraiment trompé, elle mérite bien sa punition... Les banques sont pleines
d'argent des capitalistes alors que moi-même je suis pauvre, il leur en restera bien assez pour
fonctionner après mon vol à main armée…" La seule différence entre ce genre de paralogique de
délinquant et la doctrine du djihâd, c'est que la première est temporaire, alors que la seconde
permanente. L'humanité devrait cesser de croire naïvement que la guerre excuse tout, et
questionner avec une profondeur critique ce qui semble excuser la guerre, y compris et surtout
des entités subtiles divinisées de façon plutôt maladroite. N'est-ce pas signifiant que lors de la
mise à mort rituelle d'un animal, halal, le musulman dise bismillah, 'au Nom de Dieu', et
lorsqu'un djihâdi exécute quelqu'un, il s'écrie Allahou Akbar? Le "Dieu-éponge" essuie toute
responsabilité ou culpabilité aussitôt que le meurtre est perpétré. Commode. Trop commode.
J'ai demandé à un iranien d’origine qui avait lu la littérature des soufis en persan si ceux-ci,
au Moyen Age, avaient critiqué dans leur texte les génocides commis au nom de l'islam, en
particulier en Pakistan et en Inde. Il m'a répondu qu'à son avis non, confirmant mon impression.
Ces soufis étaient souvent des poètes de la cour payés par des rois dictateurs pour faire l'éloge de
leurs guerres d'agression et de l'islam en général. Au mieux, ils adoptaient un silence apeuré sur
269
ces questions. Certes, ils écrivaient d'une façon émouvante sur les rossignols, les rose et ses
épines, mais l'universalité de leur mystique semble douteuse. Ils font penser à ces clercs chrétiens
durant la seconde guerre mondiale qui pouvaient écrire de beaux poèmes d'amour sur le SacréCœur de Jésus et les souffrances de la Crucifixion, mais qui oubliaient de mentionner les
persécutions contre les juifs. Sans doute, dans leur for intérieur, ils trouvaient que ce qui leur
arrivait n'était que justice divine, et admiraient secrètement les nazis pour être l'instrument
dévoué des décrets du Suprême.
L'islamisme persécuteur : l'esclavage musulman en Inde.
Nous avons beaucoup parlé de la polarité persécuteur et persécuté. Nous avons discuté en
détail la tendance de certains musulmans actuels de par le monde à se présenter essentiellement
comme victimes, il peut cependant être bon maintenant de rappeler quelques faits d'histoire des
périodes ou des lieux où l’islam a été clairement persécuteur. Déjà, nous avons mentionné un
spécialiste français de l’islam du sous-continent indien, Marc Gaboriau, qui a publié tout
récemment sur le sujet chez Albin-Michel (2007) Un autre islam. Il dissipe le mythe selon lequel
les monothéismes en Inde seraient égalitaires par rapport à un hindouisme qui serait défini
uniquement par et réduit au système de castes. Les musulmans de l’Inde ont leurs castes dans les
couches inférieures et moyennes de la société, quand à la couche supérieure et dirigeante, elle
forme en quelque sorte en elle-même une caste supplémentaire. J'ai sous la main un livre entier
consacré au système d'esclavage musulman dans l'Inde médiévale, et cela peut constituer un bon
cas de figure324. Le sous-continent indien est un exemple signifiant, car actuellement il représente
plus de 400 millions de musulmans, c'est-à-dire un bon tiers de l'islam mondial. Les habitants
sont principalement venus à cette religion par la mise en esclavage et les conversions forcées à la
suite des défaites militaires.325 Il n’y a pas de documents historiques montrant que les basses
castes hindoues aient jamais invité les musulmans à venir les libérer de leur condition. En
général, les prisonniers étaient en même temps réduits en esclavage, circoncis et convertis de
force à l'islam. Si l’un d’eux était libéré un jour ou l'autre, ce qui était loin d'être toujours le cas, il
fallait de toute façon en général de quatre ou cinq générations pour que la tache de l'origine
servile soit effacée.
En pratique, les affranchis devaient montrer patte blanche en collaborant au système, par
exemple combattre dans les armées de l'islam et réduire d'autres ennemis du Prophète en
esclavage, et donc l'épidémie de servitude se répandait... Ainsi, ce système peu éthique de
quelque façon qu'on le considère a continué jusqu'à ce que les Anglais l'abolissent au XIXe siècle
malgré les protestations des mollahs. Quant à l'esclavage sexuel des femmes dans les harems ou
par les mariages forcés, il venait en quelque sorte en prime du reste, en récompense pour les
guerriers qui avaient bien servi leur maître. Il est important de noter que ni la société hindoue, ni
celle bouddhisme ne reconnaissait l’esclavage, il s’agissait donc d’une importation de l’islam,
présentée souvent par ses missionnaires comme la religion la plus égalitaire de l’humanité..
A cause de tout ces risques d’être pris comme esclave, les paysans hindous, puis les Sikhs
également après leur création au XVIe siècle, prenaient les armes et se réfugiaient souvent dans
les forêts profondes qui couvrait l'Inde à cette époque, d'où huit siècles de guérilla pratiquement
constante. L'empereur Jahangir lui-même, le grand Moghol, avoue au début du XVIIIe siècle : "
Le nombre des gens turbulents et fuyards ne semble jamais diminuer ; à cause de cela, en se fiant
aux exemples du règne de mon père et ensuite du mien, il n'y a guère eu de province dans
l'empire dans laquelle, d'un côté ou d'un autre, certains mécréants maudits n'aient pas déroulé
270
l'étendard de la rébellion ; ainsi, dans l'hindoustan [la partie de l’Inde que les musulmans essayait
de contrôler], il n'y a jamais existé une période de repos complet." Un historien occidental, Dirk
H.Kolf a fait remarquer : "Les paysans ou autres formaient une société de millions d'hommes
armés, et ils étaient plutôt les rivaux du gouvernement que ces sujets."326
Le livre de presque deux cent pages qui décrit ce système esclavagiste qui a sévi pendant 800
ans dans le sous-continent indien est rempli d'épisodes désolants. Juste cette citation parmi mille
autres pour en donner une idée : "Ce n'était pas simplement un empereur avec relativement bon
coeur, Jahangir, qui avait l'habitude de capturer les gens dans ses parties de chasse et de les
envoyer à Kaboul en échange pour des chiens et des chevaux ; les chefs et gouverneurs
musulmans récoltaient des esclaves et les exploitaient de la manière dont il leur plaisait. Sous
Shahjahan, comme nous l'avons vu, les paysans étaient obligés de vendre leurs femmes et leurs
enfants pour pouvoir payer leurs impôts.(en particulier la jizia, levé uniquement sur les nonmusulmans pour les punir d’être nés comme tels"327
Ce qui est peu connu, c'est qu'il y a eu aussi une traite des noirs importante de l'Afrique vers
l'Inde. D.B. Davis, dans son livre L'esclavage et le progrès humain essaie d'estimer le nombre de
noirs qui ont pu être vendus comme esclaves afin d’être exportés d'Afrique dans les pays
musulmans. Selon lui " 'l'importation d'esclaves noirs dans les pays d'islam de l'Espagne à l'Inde a
constitué une migration continue de grande échelle et au total peut bien avoir surpassé, sur une
période de douze siècles, la diaspora africaine dans le Nouveau monde." On peut expliquer
l'absence d'une population importante de survivants noirs par leur haut taux de mortalité,
l'assimilation avec les autres gens, et par le fait que beaucoup d'esclaves hommes ont été châtrés
pour devenir des eunuques, par exemple dans les harems."328 La caste des hijra, rassemblant les
travestis dans l'Inde actuelle, vient originalement des eunuques des cours princières musulmanes
qui sont devenus libres quand celles-ci se sont effondrées. Ils ont continué leur tradition à leur
manière. Bien que l'esclavage chez les musulmans soit officiellement aboli, on peut se demander
si les 70 millions de femmes musulmanes de l'Inde actuelle, vivant pour la plupart en milieu
rural, et peu alphabétisé avec leur burqa et très peu de liberté de sortir de chez elles, ne représente
pas autant d'esclaves de l'idéologie islamique. Frédérique Encel, enseignant à Sciences-Pô et à
l’ENA, a dû sentir tout cela quand il a dédié son livre Géopolitique de l'Apocalypse - la
démocratie a l'épreuve de l'islamisme "aux femmes musulmanes victimes de l'obscurantisme
islamiste".329
Nous pouvons rapprocher de ce thème de l’esclavage celui des mariages forcés. Par exemple
on raconte que Mohiuddin Chisti, considéré comme le plus grand soufi et saint musulman de
l’islam indien a reçu en « cadeau » du sultan qu’il avait bien servi en assistant ses offensives
militaires par des campagnes de conversion, une princesse hindoue capturée. Il l’a acceptée, et
s’est donc rendu coupable, pour notre bon sens juridique actuel, de viol de prisonnière à
répétition, et donc serait passible d’une peine pouvant aller à dix ou vingt ans de prison, et peutêtre bien la mort dans certains pays. Evidemment, il peut y avoir pour sa défense le fait qu’à part
son existence même, toute sa biographie est en réalité mythique, c’est ce qu’a bien montré un
chercheur d’Oxford qui lui a consacré un ouvrage entier. Cependant, mythe ou pas mythe, le fait
est que les pèlerins musulmans qui viennent par centaine de milliers visiter sa tombe lors de
l’ « ours », c’est-à-dire le pèlerinage annuel à la dargah d’Ajmer et le plus grand de l’islam
indien, croient fermement à l’histoire.
On raconte aussi que Mohiuddin, dans un élan d’inspiration divine sublime, aurait dit que
tous les hommes sont frères. Cette banalité spirituelle remarquable, souvent citée avec piété,
peut-être considérée comme l’aspect le plus positif du mythe de Mohiuddin Chisti, mais ne suffit
pas à compenser l’effet psychologique négatif, pour ne pas dire désastreux, de l’histoire du viol
271
de la princesse hindoue prisonnière, sur un public analphabète à 45% (recensement de 2004) et à
la dévotion plutôt simple. Si le sommet de la pratique spirituel de l’islam et du soufisme
permettent d’obtenir cette ‘cerise sur le gâteau’, pourquoi eux aussi n’y auraient-ils pas droit ? Si
les 14% de l’Inde qui se trouvent être musulmans veulent avoir une chance d’être mieux traités
qu’ils ne le sont actuellement, ne seraient-il pas temps qu’ils fassent un pas de leur côté et qu’ils
se soucient de faire un peu de ‘ménage’ dans leur imaginaire envahi de fantasmes de toutepuissance compensatoire, de faire un tri sérieux dans leurs modèles identificatoires et qu’ils
acceptent de reconnaître et demander pardon pour leurs erreurs historiques qui elles, sont
tristement réelles.
Sur le front occidental, on peut noter que les pirates musulmans sont allés prendre tard dans
l’histoire des esclaves sur les côtes d'Angleterre et d'Irlande, et même jusqu'en Islande en 1627. Il
ne s'agit donc pas d'un phénomène qui s'est limité à l'époque du premier choc de musulmans avec
l'Occident au VIIIe-IXe siècle. Il est cependant intéressant de remarquer que les islamistes actuels
n'ont pas dans leurs programmes le rétablissement de l'esclavage. Se présentant comme des
champions de la libération des dictatures, ce serait à l'évidence contradictoire.330 Pour faire la part
des choses, il faut reconnaître que les maîtres avaient une relative bienveillance envers leurs
esclaves par rapport à l’Antiquité gréco-romaine, mais les conditions d'acquisition et de transport
étaient franchement violentes. Pour aller plus profond du point de vue psychologique, on peut
dire que si l'abolition de l'esclavage a été si difficile pour les oulémas (elle n'a été abolie qu'en
1962 en Arabie Saoudite) c'est peut-être parce qu'ils y voyaient une concrétisation, presque une
incarnation du rapport maître-esclave qu'entretient Allah avec l'être humain. La difficulté au
changement devenait ainsi quasi métaphysique, en plus de sociale et économique.
De façon plus globale, l'islam n'a jamais empêché ses commerçants de faire de l'argent,
malgré certains interdits superficiels sur les intérêts. Maxime Rodinson (1915-2004) l'a bien
montré dans son livre Islam et capitalisme331 où l'on retrouve les bons et les mauvais côtés du
capitalisme dans l'histoire du monde musulman. Malek Chebel a aussi écrit sur le sujet un livre
intitulé L'esclavage en terre d'islam : un tabou bien gardé332.
Antoine Vitkine, le jeune réalisateur dobnt le documentaire sur Khadafi pour Arte a été traduit
en 25 langues, en a effectué aussi un sur la longue histoire de la traite des noirs par la société
arabo-musulmane. Nous citons la présentation de son travail :
La chaîne de télévision « TV5 Monde » a présenté le 30 août 2009, un reportage intitulé : « les
esclaves oubliés ». Voici comment le réalisateur, Antoine Vitkine a résumé son enquête :
« Nous connaissons la traite atlantique et ses millions de Noirs déportés vers les Amériques. Elle
fait aujourd’hui l’objet de commémorations et d’un véritable travail de mémoire. Mais qui connaît
l’histoire des 17 millions de Noirs qui ont été capturés et réduits en esclavage dans le monde
arabo-musulman, pendant 17 siècles ? Qui sait que la traite négrière dans le monde musulman a
perduré jusqu’au 20ème siècle ? »
Dans son livre intitulé « Terre des Hommes » édité en 1939 et vendu à deux millions
d’exemplaires en France, Antoine de Saint-Exupéry a décrit la condition de ces esclaves en
Afrique, dont il a été le témoin, lors d’une escale dans le Sud marocain. Voici son témoignage : «
Un jour les arabes avait abordé un Noir, gardien de troupeaux, et lui avait dit : « Viens avec nous
chercher des bêtes dans le Sud ». On l’avait fait marcher longtemps, puis on lui mit la main sur
l’épaule… et on le vendit…« Je les connais ces esclaves…Parfois l’esclave noir, s’accroupissant
devant la porte, goûte le vent du soir. Dans ce corps pesant de captif, les souvenirs ne remontent
plus. A peine se souvient-il de l’heure du rapt, de ces coups, de ces cris, de ces bras d’hommes qui
l’on renversé dans sa nuit présente… Il s’enfonce depuis cette heure là, dans un étrange sommeil,
272
privé comme un aveugle de ses fleuves longs du Sénégal ou de ces villes blanches du sud
marocain,
privé comme un sourd des voix familières… Il est comme un infirme…Un jour pourtant, on le
délivrera quand il sera trop vieux pour valoir ou sa nourriture, ou ses vêtements ; on lui accordera
une liberté démesurée. Pendant trois jours, il se proposera en vain de tente en tente, chaque jour
plus faible, et vers la fin du troisième jour, il se couchera sur le sable… J’en ai vu ainsi, mourir
nus… C’est comme si on lui eut dit : « Tu as bien travaillé, tu as droit au sommeil, va dormir…
Trente années de travail, puis ce droit au sommeil et à la terre… »
Si officiellement l’esclavage a été aboli (en 1833 en Angleterre, en 1848 en France, en 1865
aux Etats-Unis, puis condamné par la déclaration universelle des droits de l’homme en 1948),
sommes-nous surs qu’il ne persiste pas encore aujourd’hui dans certains milieux ?
C’est un sujet tabou qui n’est pas dénoncé mais il arrive parfois qu’il surgit là où l’on ne
l’attend pas. Un événement troublant a été mis en lumière récemment à Genève. La police a dû
intervenir dans un hôtel réputé, pour délivrer des « employés de maison » qui hurlaient sous les
coups de leurs maîtres. Ceux-ci, originaires d’un pays africain, étaient venus à Genève, avec leurs
« employés », pour passer quelques jours d’été au bord du lac de Genève… Cet incident
(diplomatique) met en lumière la façon dont certaines classes « privilégiées » considèrent leurs «
employés » comme des sous-hommes qui ne méritent, à leurs yeux, ni respect, ni considération
humanitaire.
Ceci démontre également que ces formes rétrogrades et inégalitaires n’ont pas disparues de
ce monde. Il suffit de voir comment les femmes sont traitées dans certains milieux qui ne leur
accordent aucune liberté économique, politique, sociale ou religieuse…Dans ces conditions,
comment imaginer une coexistence de moeurs aussi différentes, qui devraient partager les mêmes
valeurs qui ont marqué la vie politique et sociale de l’Occident ?”333
On pourrait citer en conclusion ce que déclarait au VIIe siècle Ahayala-le-Noir qui en tant que
yéménite, a été une des premières victimes des invasions des arabes musulmans venant du nord :
« Vous qui venez d'ailleurs contre nous, cesser de nous frustrer de nos terres et délivrez nous ce
que vous avez collecté. C'est à nous plutôt qu'à vous que cela revient de droit. Quant à vous,
restez là où vous êtes ! »334 Ce personnage important de la résistance aux invasions islamiques
sera finalement assassiné par les agents d'Abu Bakr et probablement d'autres rivaux en 634.
Mousaylama a été de son côté un prophète d'une stature équivalent à Mohamed et qui régnait sur
des territoires voisins de lui. Son inspiration était assez chrétienne, il n'appelait pas Dieu AlAhram mais directement Ar-Rahman, le Miséricordieux. Le successeur de Mohamed Abû Bakr
l'a attaqué et l'a encerclé dans un jardin qui justement s'appelait 'le clos d'Ar-Rahman'. Il l'a
égorgé ainsi que 7000 de ses compagnons. À partir de ce moment-là, le ‘Clos du Miséricordieux’
a été rebaptisé 'clos de la Mort'. C’est par cette méthode que Mohamed est devenu « Sceau de la
Prophétie ».
Le syndrome Akbar
Lors d'une bataille en 1556, le jeune empereur Akbar n'avait que quatorze ans. Le chef de
l'armée adverse, Himûn, avait été gravement blessé par une flèche au front. On l’avait traîné
devant lui en lui demandant de le décapiter, ce qu'il avait dû faire pour gagner le titre de ghazi, de
'guerrier', c'est-à-dire de héros de l’islam qui a tué de ses propres mains un des ennemis du
Prophète d'Allah. Il est évident que ce passage à l'acte n'avait rien d'héroïque, il était en réalité un
crime de guerre plutôt banal. Akbar est devenu plus réfléchi par la suite et a fait modifier cet
épisode dans ses biographies et c'est quelqu'un d'autre qui y est décrit en train d'exécuter le
prisonnier blessé. En fait, à l'âge de vingt ans, Akbar a souffert d'une dépression sérieuse. Elle a
273
été sans doute tout à fait salutaire pour lui, il a réalisé par lui-même que l'entourage de mollahs
fondamentalistes qui l'éduquaient pour devenir un empereur islamiste d'une dévotion – entendez
d'un fanatisme – exemplaire, représentaient en fait un groupe de psychotiques dangereux pour la
paix du pays. Il les a poliment, mais fermement, mis de côté et les a gardés à l'écart des décisions
importantes. Ainsi, il a pu par exemple annuler la taxe imposée aux infidèles, cette jiziah qui était
d'une forme de racisme évidente et qui était si impopulaire parmi les hindous, on peut le
comprendre.
Il a ainsi beaucoup contribué à l'harmonie entre les communautés religieuses. Il a compris le
non-sens de la guerre au nom de Dieu, et il a même essayé de développer une nouvelle religion
beaucoup moins sectaire que l'islam. Il n'y a pas réussi car il n'était pas un mystique, mais on peut
dire que quelqu'un comme guru Nanak, qui vivait à la même époque à peu près, y est parvenu
avec le sikhisme, qui est un intermédiaire entre l'islam et l’hindouisme, beaucoup plus en réalité
proche de l’hindouisme. D'autres mystiques comme Kabir qui vivait à Bénarès à cette période
sont parvenus aussi à dépasser par la mystique l'opposition entre islam et hindouisme.
Il y a dans ce 'syndrome d'Akbar' une indication utile pour les psychothérapeutes. Si vous
avez un patient qui a une tendance fondamentaliste de quelque bord que ce soit, qu’il s’agisse
d’un croyant rigide qui se met à être triste à cause de certains doutes religieux, ou d’un membre
de parti extrémiste qui commence à se poser des questions, ne prenez pas cela pour une
dépression à traiter par des médicaments : il faut qu'il réalise par lui-même que les croyances
dans lesquelles il est engagé sont intenables et ne le rendent pas heureux. Il s'agit de reconnaître
chez lui le "syndrome d'Akbar" et l'aider par la psychothérapie à ne pas réagir aveuglement à sa
dépression par un accroissement de sa tendance à l'agressivité et à la paranoïa, ce que font en fait
les fondamentalistes quand ils cherchent à refouler par n’importe quel moyen y compris les plus
violents des doutes sur la validité de leur système de croyance. Il faut que le patient comprenne
que le problème est dans ses opinions religieuses, et non pas dans un extérieur hostile. C'est le
travail qu'a fait Akbar, et cela lui a permis d'être l'empereur musulman le moins rigide et sectaire
à régner sur le nord de l'Inde.
L’islamisme pakistanais : la menace du chaos et l’assassinat de Benazir Bhutto
Le fait même que Bénazir Bhutto revenait de l'Occident pour les élections prévues en début
janvier 2007 la rendait intrinsèquement impure aux yeux des islamistes, et donc aussi les
supporters qui l'approchaient s'en trouvaient contaminés. En pratique, cela a mené à une tentative
de meurtre quelques jours après qu'elle soit revenue d'Angleterre. Elle en a réchappé, mais 150
personnes ont péri et plus de 600 ont été blessés quand elle allait de l’aéroport à la ville, puis le
27 décembre, l'assassinat a réussi où plus d’une vingtaine de personnes sont mortes dans
l'explosion. Nawaz Sharif, l’autre leader principal de l’opposition démocratique, a été visé au
même moment par un autre attentat, mais a pu en réchapper. Il avait vécu aussi en Occident et
dans les pays du Golfe. Cela évoque les souvenirs sinistres du Pol Pot pendant la révolution
cambodgienne, où parler anglais était un délit suffisant pour être exécuté. Voici l'hommage que
lui rend Bernard Henri Lévy non sans émotion dans un éditorial le lendemain de son assassinat :
Ils ont tué un juif avec Daniel Pearls.
ils ont tué un musulman modéré, un lettré, un esprit libre, avec le commandant Massoud.
Ils ont tenté, avec Salman Rushdie, de tuer, pendant des années, un homme qui osait dire qu'être
homme c'est aussi, parfois, choisir de choisir son destin.
Eh bien, avec BB, Bénazir Bhutto, ils ont tué un peu tout cela ; mais ils ont aussi tué une femme,
274
cette femme, ils ont éteint cette intolérable provocation qu'était l'éclat de ce visage montré,
justement montré, exposé dans sa nudité sans défense et magnifiquement éloquente – ils ont tué
celle qui, parce qu'elle était cette femme, parce qu'elle était ce visage de femme à la fois démunie
d'une force sans réplique, parce qu'elle vivait son destin de femme refusant cette malédiction qui
pèse, selon ces nouveaux fascistes que sont les djihâdistes, sur le visage humain de femmes, ils
ont tué, donc, celle qui était l'incarnation même de l'espoir, de l'esprit et de la volonté de
démocratie, non seulement au Pakistan, mais en terre d'islam en général...
Bénazir Bhutto n'était chef ni de gouvernement ni d'État ? C'est vrai. Mais elle était davantage.
Elle était un symbole. Et elle est, désormais, un étendard. Derrière son ombre vont désormais se
ranger tous ceux qui n'ont pas fait leur deuil de la liberté en terre d'islam. Et derrière son linceul
noir, d'ores et déjà, se tenir et se recueillir tous ceux qui croient encore que l'emportera, en islam,
le bon génie des Lumières sur celui du fanatisme et du crime. "335
Certes, il était politiquement et éthiquement correct pour Bernard-Henri Lévy d'invoquer
cette partie de l'islam qui est accessible au génie des Lumières. Cependant, en ce qui concerne les
assassinats, la tradition pèse lourd, si l'on se souvient qu'en plus des nombreuses guerres et
razzias, le Prophète a fait assassiner quatre poètes qui avaient osé se moquer de lui. Parmi eux, il
y avait une jeune femme. Il a choisi comme commanditaire du meurtre un de ses associés qui
était un membre même de la famille de la victime, et celui-ci a exécuté son crime de nuit, alors
que la jeune femme dormait auprès d'un enfant. Passons la parole à Maxime Rodinson qui dans
son Mahomet donne les détails de l’assassinat et ses effets de conversion d’une tribu et de
propagation de l’islam :
« Après que Mohamed a demandé d'assassiner la fille de Marwân, il y avait là un homme
du clan de la poétesse, Omayr ibn 'Adi. Il n'avait pas été à Badr, pas plus qu'aucun de son
clan. Bonne raison pour faire preuve de zèle. Le soir même, il s'introduisit chez elle. Elle
dormait au milieu de ses enfants, elle avait cinq fils. Le dernier, encore au sein,
sommeillait sur sa poitrine. Il la transperça de son épée. Le lendemain il alla trouver
l'Annonciateur. « Il dit : Envoyé de Dieu, je l'ai tuée ! – Tu as aidé Allah et son Envoyé! –
Omayr questionna : Est-ce que je supporterai quelque chose à cause d'elle, envoyé d'Allah
? – Il répondit : deux chèvres ne se prendraient pas leur cornes pour elle ! »...Le jour où la
fille de Marwân a été tuée, les hommes des Banou Khatma se convertirent à cause de ce
qu'ils avaient vu de la puissance de l'islam. »336
Ceux qui soutiennent que l'assassinat de Benazir a été un acte de véritable islam auront donc
un point fort à leur défense, puisque la référence incontestable de l'islam reste ce qu’on pourrait
appeler l'imitatio Mohamedi.
Pendant que je rédigeais ce chapitre, je suis tombé sur un article qui racontait un fait divers,
il s’agissait d’un meurtre dont les circonstances sont intéressantes pour notre sujet actuel337 :
certains amis qui ont relu mon manuscrit étaient d’avis qu’il était plutôt anecdotique et que cela
donnerait inutilement une mauvaise image du Pakistan. Je pensais donc le retirer du texte, mais
après l’assassinat de Benazir, j’ai décidé de l’y laisser, comme un symbole : la paranoïa islamique
fait souffrir tout un chacun, femme ou homme, puissant ou faible, et risque de mener le pays au
chaos comme il l’a fait en Afghanistan après le départ des Russes.
Le meurtre s'est donc passé dans la région du nord-ouest du Pakistan, aux confins de la
frontière avec l'Afghanistan, une zone où les talibans ont du pouvoir, en 2006. La victime en était
Ashik Nabî du village de Spin Khâk. Tout a commencé par une dispute avec sa femme qui, à un
moment donné, lui a demandé de prêter serment sur le Coran. Il s’agissait peut-être d’une histoire
275
banale de jalousie. Sans doute en colère, il a repoussé le livre sur le côté. Cela a suffit pour que le
bruit se répande qu'il avait insulté le saint Coran et que le mavlavi (nom des mollahs dans cette
région) crie à l'isha-ninda, au blasphème. Convoqués par la police, l'oncle et l'épouse ont dû
confirmer le fait, et donc une plainte a été déposée. Avant que les forces de l'ordre n'aient pu
arrêter le 'criminel', les villageois ont pris les choses en main, ils se sont mis à 400 pour le
poursuivre et ont commencé à le battre. Laissons la description de la suite à l'article du journal :
"Ashik s'est enfui pour sauver sa peau et a finalement réussi à grimper à un arbre. Cependant, les
gens n'ont cessé de lui lancer des pierres. Sur ces entrefaites, quelqu'un a sorti un fusil et l'a abattu.
Les membres de sa famille n'ont pas voulu récupérer son corps en disant qu'il était un ennemi de
l'islam. C'est la police qui a été mettre le cadavre à la morgue, puis elle est partie à la recherche du
mavlavi."
L'article ne dit pas qu'il y ait eu aucune mesure de prise contre les pieux villageois qui ont
participé à la lapidation par amour pour le Prophète. La manière dans la famille elle-même a été
poussée à dénoncer un de ses membres ne peut que rappeler les régimes totalitaires, où les
enfants devaient dénoncer les parents, les soeurs dénoncer les frères, etc. La peur ou la haine
religieuse, étaient tellement puissantes que la famille n'a même pas accepté de récupérer le corps.
Ce fait divers tout à fait récent montre bien que le virus de la violence islamiste qui a
commencé à sévir du vivant même du Prophète, continue à être la source d'épidémies. Pour aller
plus profond, après 3000 ans d’évolution, le monothéisme en est toujours là : on a le droit de
raisonnablement se demander où est donc le progrès promis solennellement avec l'avènement du
Dieu unique. Le seul « progrès » notable semble être que la guerre sainte se prépare à être
nucléarisée, et que cela signifiera probablement la destruction rapide de pays monothéistes dans
leur ensemble.
Le monde des fatwas
Ceci est le titre d'un livre publié en 1995 qui consacre 600 pages à explorer la nature, les
préoccupations et les buts des fatwas émises en Inde par les juristes musulmans, et qui
représentent de fait la charia en action338. Comme dans ses dix-huit autres livres, l’auteur,
Shourie – qui a été aussi pendant environ cinq ans ministre de l'union indienne – ne mâche pas
ses mots. Cependant, qu'on soit d'accord ou non avec toutes ses idées, il a l'avantage d’être bien
documenté et
Téléchargement