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Café nile avec Alain Coulomb
Mercredi 5 juillet au Sir Winston
Alain Coulomb, consultant et ancien directeur de la Haute Autorité de Santé (HAS) est venu présenter
la rémunération des professionnels de santé, sur le thème : « Rémunération des professionnels :
quelles évolutions ? »
Intervention
Le paiement à l’acte date de 1927. Depuis cette date, de nombreuses choses ont changé ; dans
l’activité du médecin, pratiquement tout. Les pathologies ont changé et ne recouvraient que des
soins aigus, là nous avons maintenant de nombreuses pathologies chroniques et donc une
relation à la maladie totalement différente. Le médecin se retrouve donc confronté à des patients qui
ne vont pas guérir et qu’il devra accompagner pendant 10 ou 20 ans. Les patients changent donc
avec leurs pathologies, mais ils changent également avec leurs attentes : une attente individuelle,
mais aussi une attente collective avec le développement de la prévention et de l’éducation
thérapeutique. Le médecin est donc plus encore un acteur structurant du territoire pour lequel le
paiement à l’acte ne correspond plus aux problématiques qu’il rencontre. Le paiement à la
performance a tout d’abord suscité une certaine frilosité de la part des représentants syndicaux
après un passage plus ou moins en force, puis une surprise importante avec une adhésion quasi-
unanime de la part des médecins, dans un contexte la revalorisation tarifaire uniforme ne peut
plus avoir cours.
Quatre grandes questions se sont posées. Premièrement, celle du fondement juridique, qui est
aujourd’hui réglée : peut-on établir une relation entre le paiement et la performance ?
Deuxièmement, le paiement à la performance est-il efficient ? Est-ce qu’il améliore le rapport
coût/efficacité ? Les premiers résultats donnent le sentiment d’une réponse positive. Troisièmement,
celle du fondement scientifique des critères utilisés pour moduler les tarifs. Les acteurs
professionnels n’ont eu aucune tentation de saisir une quelconque autorité scientifique pour les
établir et ont établi les critères unilatéralement, il y aura donc sans doute à l’avenir un débat
permettant de rendre la relation entre les médecins et l’Assurance maladie la plus transparente
possible. Quatrièmement enfin, va-t-on continuer à faire évoluer le système ? Les pharmaciens
s’inspirent du travail réalisé par les médecins et un certain nombre d’autres d’acteurs évolueront en
ce sens. Un changement profond dans le système va donc s’opérer.
Le paiement à la performance est un instrument qui devrait permettre de valoriser la qualité
médicale. Nous sommes passés d’un système « économique » à un système dans lequel nous avons
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promis la qualité, ce qui est l’attente fondamentale à la fois des usagers, des producteurs de soins et
de l’ensemble du système. La qualité n’est pas réservée à la seule vertu et s’il n’existe aucune
incitation à en faire, il y a peu de chance pour qu’il y en ait. Par ailleurs, il faut répondre à la question
de savoir si la qualité de l’exercice médical représente une diminution des dépenses de l’Assurance
maladie, car la qualité représente plutôt une meilleure prise en charge des patients dans la
prévention et dans le suivi des pathologies chroniques. Un changement est en train de s’amorcer,
profond dans le mode de relation entre le médecin et la rémunération et le médecin au patient et à
la société. Pour continuer ce changement, d’autres professionnels de santé doivent s’y inscrire, avec
une réflexion concertée prenant en compte plusieurs indicateurs. Enfin, un lien est en train de
s’établir en le mode de rémunération et le mode d’exercice. Si nous évoluons vers un mode
d’exercice multidisciplinaire, il conviendra de réfléchir à l’évolution du paiement à l’acte, mais aussi à
l’évolution du système d’intéressement. L’interaction en l’Etat et l’Assurance maladie, plus
particulièrement entre le niveau national et le niveau régional, dès lors qu’on considère qu’il existe
des priorités régionales, devra alors prendre en compte les résultats des professionnels sur ces
priorités.
Questions de la salle
Michel Combier, Union Nationale des Omnipraticiens Français (UNOF) : C’est effectivement une
démarche pas-à-pas. Il est important de ne pas oublier le rôle des associations de patients, qui se sont
réjouies d’une mesure telle que le paiement à la performance. Le système d’information va également
être important. Un déploiement de moyens également, car cette nouvelle rémunération ne repose
pas uniquement sur des critères de santé publique, mais aussi sur l’organisation des cabinets. En
outre l’Assurance maladie en régions a beaucoup travaillé, connaît bien les professionnels de santé et
possède un système d’information complet, mais le dialogue n’est pas encore bien établi en régions
entre l’Assurance maladie et les ARS.
Alain Coulomb : Il est évident que les patients sont sensibles au paiement à la performance. Les
patients chroniques ne relèvent pas d’une médecine à l’acte, mais d’un suivi régulier avec des
consultations plus longues. Concernant les relations entre l’Etat et l’Assurance maladie en régions,
elles sont très hommes-dépendantes et on ne peut pas laisser à la seule bonne volonté des acteurs la
mise en place de coopérations qui sont indispensables.
Jean Ducos, médecin à l’ARS d’Ile-de-France : Parmi les freins à l’évolution du système, il y a la
culture médicale, et cela dans trois domaines : la formation des médecins généralistes, encore très
axée sur la maladie aiguë ; l’éducation thérapeutique, qui n’est pas reconnue à part entière ; et enfin
le paiement à l’acte, qui est encore largement considéré par les syndicats de médecins, en particulier
à CSMF, comme le fondement de la médecine libérale.
Alain Coulomb : Vous avez raison, mais accompagner le changement, c’est souffrir d’un strabisme
divergent. Nous avons d’une part une perspective relativement longue fixant le cap, et d’autre part
des contingences immédiates fixant le rythme. L’évolution doit avoir lieu dès maintenant.
Catherine Raynaud, Pfizer : Il fallait adapter la rémunération à l’activité médicale avec l’introduction
de la performance et de la qualité, mais comment l’évaluation de cette qualité est-elle réalisée ?
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Alain Coulomb : Pour l’instant, dans le secret des cabinets de réflexion. Cette réforme doit être
portée collectivement et il ne faut pas reproduire les erreurs qui ont peu être faite avec le
programme Sophia, pour lequel à l’heure actuelle personne ne peut dire s’il est efficace ou pas. Si
l’on veut permettre aux médecins de s’engager dans une réforme qui pour eux est difficile, il faut
d’une part respecter leur dignité et d’autre part leur offrir des perspectives.
Marie-Josée Augé-Caumon, Union Syndicale des Pharmaciens d’Officine (USPO) : La plupart des
professions aujourd’hui s’engagent individuellement dans des modifications de leurs rémunérations
et l’évolution se fait toujours en silos. On voit toutefois bien l’évolution vers des parcours de soins
mieux coordonnés. Pensez-vous qu’un jour la rémunération pourra être collective, récompensant les
performances d’un parcours de soins ?
Alain Coulomb : Oui, on ne peut pas ignorer dans l’évolution des modes de rémunération l’évolution
des modes d’exercice. La difficulté majeure viendra des freins existants pour chaque profession, on le
voit par exemple avec la relation entre médecins et pharmaciens.
Marie-Renée Babel, ARS Ile-de-France : Les ARS cherchent à mettre sur des territoires tous les
acteurs de santé en convergence vers un parcours de santé, qui peut être très variable en fonction de
la technologie, de l’environnement social de la personne, etc. Parallèlement, nous travaillons sur les
indicateurs de qualité qui pourraient être attachés au parcours de santé. On peut imaginer que des
parcours de santé puissent être inscrits dans une logique de rémunération globale. Deux outils
pourraient permettre de débloquer la réflexion : les contrats d’amélioration de la qualité des soins,
qui peuvent être régionaux, et les mécanismes d’agrément par le ministère. Concernant les
potentialités de ce modèle, deux ARS travaillent sur la définition de la gouvernance territoriale.
Claude Dreux, Cespharm : Un véritable changement culturel est en train de s’opérer au niveau des
pharmaciens et il doit être accompagné. Il faut former les pharmaciens à l’éducation thérapeutique,
ceux d’officine comme les biologistes, pour leur offrir la possibilité de faire face aux entretiens
pharmaceutiques et suivre les maladies chroniques.
Hervé Bonnaud, NEX&COM : Croyez-vous qu’il est envisageable de réfléchir à des critères de
paiement à la performance évolutifs, le Haut Conseil de Santé Publique définissant les priorités pour
l’année, ces priorités étant rediscutées tous les ans ?
Alain Coulomb : A coup sûr. J’ajouterais même : des critères évoluant dans le temps et dans l’espace,
car il peut y avoir des évolutions et exigences particulières d’une région à l’autre. Toutefois, ces
critères ne doivent pas évoluer d’une manière frénétique. En outre, ils ne seront pas tous
nécessairement liés à la rémunération.
Christian Espagno, ANAP : Autant le paiement à l’acte n’est pas un mode de rémunération
particulièrement adapté à la prise en charge des maladies chroniques ou à l’éducation thérapeutique,
autant je suis gêné par le parallèle entre le non paiement à l’acte et la qualité, comme si le paiement
à l’acte n’était pas porteur a priori de qualité. Il a toutefois de nombreuses vertus, en particulier
concernant certains actes techniques, et du point de vue de la productivité. La solution serait
certainement un mélange des deux modes de paiement.
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Alain Coulomb : Une suppression du paiement à l’acte n’est pas envisagée. Par ailleurs, le paiement à
l’acte n’est pas en soi porteur de qualité, il est neutre, car il incite à la quantité et à la productivité. Il
va effectivement falloir évoluer vers un système mixte à trois niveaux. Le premier est l’incitation à la
production, le deuxième est les indicateurs de santé publique et le troisième est les indicateurs de
qualité.
Alain Clergeot : Une étude publiée il y a quelques jours montre que 30% des examens
complémentaires demandés par les médecins seraient inutiles. Ce chiffre s’expliquerait au moins en
partie par la protection d’un risque de plainte et de procès. Comment intègre-t-on la judiciarisation de
la médecine, alors que la qualité devient collective mais que la responsabilité reste individuelle ?
Alain Coulomb : Le paiement à la performance n’est pas un système omniscient. Il y a quelques
années, nous avons redouté une « vague américaine » de judiciarisation de la médecine qui n’est
jamais venue. Le système a un intérêt profond à réconcilier ses acteurs dans un climat de confiance,
car c’est le climat de défiance qui va déclencher la peine judiciaire. En effet, lorsque l’on sait que la
moitié des plaintes sont retirées après éclaircissement, l’on se dit que le déficit n’est pas tant dans la
faute médicale que dans le travail d’explication du médecin.
Olivier Mariotte, nile : Nous allons certainement évoluer vers des Contrats d’Amélioration des
Pratiques Individuelles (CAPI) régionaux, avec des protocoles de rémunération très variés. Comment
voyez-vous le jeu des Organismes Complémentaires d’Assurance Maladie (OCAM) ?
Alain Coulomb : Les OCAM ont clairement l’intention de s’impliquer comme un acteur à part entière.
Cependant, leur armature conceptuelle est très pauvre. Globalement, il n’y a pas de réflexion sur le
rôle joué par les complémentaires, en dehors du transfert de charges. Rien n’a été faire sur l’optique,
le dentaire et la pharmacie, qui sont les trois dépenses principales.
Olivier Obrecht, secrétariat général des ministères chargés des affaires sociales : On ne peut pas
dire que les complémentaires n’ont pas une place puisqu’environ 50% des dépenses de santé sont à
leur charge et à celle des usagers. Les jeux d’acteurs interprofessionnels ont largement entravé
l’intelligence économique. Ils ont essayé, notamment sur le dentaire et l’optique, de travailler sur le
coût et la qualité, mais la disposition de la DGCCRF qui empêche de structurer le marché n’a pas
permis la création de réseaux performants. De même les médecins craignent la création de réseaux
de professionnels qui auraient un tarif et une qualité contrôlés. Les assureurs complémentaires ont un
rôle à jouer d’autant plus grand qu’ils prennent en charge une large part des dépenses de santé non
remboursées par l’assurance maladie obligatoire.
Alain Coulomb : Les OCAM ne se mobilisent pas sur des sujets de politique générale. Ils sont soit au-
dessus, soit en dessous, mais pas au niveau le changement se fait. Il y a tout de même une
restructuration interne importante puisque les mutuelles se sont regroupées.
Robert Launois, REES France : Il faut sortir du cliché entre paiement à l’acte et capitation. Il faut
chercher un financement globalisé intermédiaire par filière ou par épisode de soins. Le paiement à
l’acte produit, mais il encourage la fragmentation des prises en charge. Concernant les systèmes
d’information, n’attendons pas le DMP, pourquoi ne pas imaginer des registres par pathologies avec
l’appui de financeurs privés tels que l’industrie pour les complémentaires santé ? Enfin, les industriels
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du médicament réfléchissent également au paiement à la performance. Pour ce faire, les données
sont nécessaires, car il faut rémunérer une qualité dont la valeur aura été prouvée.
Michel Combier, UNOF : J’espère que dans le projet de la CSMF, le paiement à l’acte restera
prépondérant, car il vaut mieux être soigné par un professionnel de san qui est productif. Les
médecins sont pour la grande majorité dans le dernier tiers de leur vie professionnelle, les
pharmaciens aussi. En mettant en place le paiement à la performance, l’on évolue, et cette évolution
doit se faire progressivement. Il existe certes une fragilité du tissu médical, mais il existe également
une fragilité du tissu des médecins.
Alain Coulomb : Ne confondons pas les qualités individuelles et les qualités d’un système. Même
dans le plus mauvais des systèmes, en particulier pour l’articulation entre les acteurs, il peut y avoir
d’excellents professionnels.
Emmanuel Bagourd, InterSyndicale Nationale Autonome Représentative des Internes de Médecine
Générale (ISNAR-IMG) : Il y a une forte demande de la part des internes en médecine de formation à
la prévention et à l’éducation thérapeutique Pour être mis en pratique, une rémunération adéquate
est nécessaire, avec la création de forfaits. Quand verra-t-on apparaître ce mode de rémunération ?
Par ailleurs, quelle place laisseriez-vous à ces différents modes de rémunération dans l’équilibre de la
densité médicale ?
Alain Coulomb : C’est un sujet très compliqué que nous pourrons évoquer en d’autres lieux.
Concernant le sujet précédent, le temps politique n’est pas identique au nôtre, et il faudrait une
pression forte pour arriver à l’imposer.
Michel Hannoun : Une des solutions serait de pratiquer la décentralisation la plus totale. Pas la
déconcentration, mais la décentralisation qui consiste à donner les responsabilités au plus près des
réalités. Les régions n’en veulent pas, mais il faut la leur imposer.
Alain Coulomb : C’est un sujet central. Ce qui me frappe, c’est que je ne vois pas de projet global fort
qu’on puisse réaliser dans les 100 ou 200 premiers jours d’un mandat, et c’est le genre d’ambition
qu’un tel projet nécessiterait.
Jean Ducos, ARS Ile-de-France : J’aimerais évoquer la différence entre les médecins généralistes et les
médecins spécialistes. Les généralistes font essentiellement du suivi de malades chroniques. Les
spécialistes interviennent de manière ponctuelle en tant que consultants, pour lesquels la
rémunération à l’acte semble logique.
Michel Combier, UNOF : Le premier reproche qu’on fait au généraliste, c’est de ne pas recevoir les
patients suffisamment tôt, les incitant à aller aux urgences. Le paiement à l’acte doit persister, car
même la maladie chronique a parfois besoin d’être vue rapidement. Le paiement à l’acte est loin
d’être dénué de qualité. Il faut l’améliorer en le rémunérant avec des objectifs de santé publique,
d’amélioration de l’accueil, etc.
Mireille Delfau, Association des Sclérodermiques de France : Les médecins généralistes qui ne font
pas de qualité perdent leurs patients. Concernant les médecins spécialistes, ils suivent au long cours
les patients atteints de maladies rares, qui sont des maladies chroniques.
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