La découverte des nouvelles terres, entre le XVe et le XIXe siècles –période souvent décrite
comme le temps des « grandes découvertes» faites dans un cadre impérialiste –met les Européens en
contact avec une colossale diversité botanique, totalement inconnue d’eux. A cela, il faut ajouter la
volonté d’explorer et d’exploiter les ressources naturelles et même le désir d’étudier la biodiversité en
soi. Tout ceci nécessite, on s’en doute, une démarche appropriée, rationnelle. Précédemment, les
petites « écoles de plantes médicinales » ou « écoles de botanique systématique » des jardins
botaniques européens –collections de plantes vivantes dont le premier fut fondé à Pise, en 1544, par
un certain…Lucas Ghini –avaient suffi pour les besoins des pharmaciens et médecins, en tant que
collections de référence et sources d’information. Les herbiers, en revanche, n’avaient été jusque-là
considérés que comme du matériel complémentaire, un outil pour reconnaître des plantes médicinales.
Dans le nouveau contexte que je viens d’évoquer, l’herbier apparaît comme une solution pour répondre
à de nouveaux besoins. Cette évolution intellectuelle, ou de point de vue si l’on préfère, se perçoit très
bien dans le changement de l’objet lui-même: les herbiers passent du statut de matériel illustratif pour
les livres relatifs aux plantes médicinales (XVIe siècle) au statut de matériel scientifique pour l’étude
de la diversité des plantes de la terre (XVIIe-XIXe siècles). Ce nouveau contexte, cette nouvelle
utilisation à des fins d’inventaire de la biodiversité végétale va nécessiter aussi, on s’en doute,
quelques adaptations pratiques : vers la fin du XVIIIe siècle les plantes seront presque toujours
individuellement montées sur des feuilles séparées et volantes, mesure facilitant les échanges et
l’adaptation de leur stockage aux différents systèmes de classification et aux modifications introduites
par les travaux taxinomiques. Il faut préciser, à ce sujet qu’on a pu, d’une part, évoquer le XIXe siècle
comme l’époque de la «parade des systèmes», tant il en a vu naître et se concurrencer. Mais aussi,
d’autre part, que ce temps a vu la propagation du goût pour les collections de plantes, surtout vivantes,
au sein de la classe désormais dominante : la bourgeoisie. Cette classe sociale s’est alors dotée de
serres remplies de plantes nouvellement importées, encourageant ainsi la collecte de végétaux
tropicaux et, ipso facto, la description d’une multitude de nouveaux taxons et la création d’un grand
nombre de synonymes, que le XXe siècle ne suffira pas à éponger. Outre la politique de collecte
horticole, qui n’a pas toujours légué de grands herbiers à la science, il faut mentionner, toujours au
cours du XIXe siècle, avec la création des Etats-nations et celle, corrélée, des grandes institutions
scientifiques nationales, la montée en puissance d’une politique de collecte naturaliste à vocation
scientifique –où la science et les jardins botaniques, comme celui de Kew ou du Muséum national
d’Histoire naturelle, sont également des moyens de l’impérialisme. Ce geste de collecte débouchera
sur la constitution de grands herbiers nationaux, qui se nourriront également de toutes sortes de
collections de riches amateurs privés (par achats, legs etc.). On voit ici, pour revenir à cette
bourgeoisie qui collectionnait avidement les plantes vivantes, que cette catégorie sociale s’était aussi,
quoique plus marginalement sans doute, éprise des herbiers, déjà à la mode dans la classe dominante
au XVIIIe siècle. Profitant de cet engouement pour la botanique, le commerce des « centuries » –
collections, souvent thématiques –connut un certain succès, tout comme la confection d’herbiers
scolaires, d’ailleurs, au point, parfois, de susciter une forme d’inquiétude pour le maintien de certaines
stations de plantes rares. Bref, au XIXe siècle, se constituent de grandes collections, privées et
nationales, ou publiques, et s’érige un socle documentaire d’une incroyable richesse pour l’avenir…
c’est-à-dire pour le présent.
Notons que l’herbier garde deux fonctions: la première est celle de simple support à
l’identification des plantes, qui demeure essentielle pour les amateurs en botanique; la seconde est de
fournir un matériau de base pour des études scientifiques dans des champs tels que la taxonomie –qui
reflète l’évolution du règne végétal –ou la géographie botanique, par exemple. Les herbiers, loin de
n’être que des «tas de foin séché», ainsi que certains ont pu le proférer en concluant à leur inutilité,
fournissent même, aujourd’hui, des données moléculaires de la plus haute importance pour la science
moderne.