INTRODUCTION
REMARQUES SUR LA CULTURE DANS L'IDÉOLOGIE RÉPUBLICAINE
L'engagement scientifique préalable à ce projet tient à l'approche anthropologique des
normativités que nous avons entreprise depuis plusieurs années, centrée à propos des «politiques
publiques» sur le décryptage des normes conductrices de la prise en compte du «social», de leur
production « partenariale » ou « transversale » (depuis la généralisation par le XIe plan des
politiques de « quartiers » I), de leur effectivité et de leur interaction avec les « aspirations » ou
les représentations des « populations » ciblées. Nous prenons pour fil conducteur l'espace
sémantique des différents concepts mobilisés pour l'action et susceptibles de redéfinitions
permanentes selon les acteurs, selon les situations, selon les localités : par exemple des termes
investis d'une profusion de significations comme ceux de « cohésion sociale », de
« citoyenneté », de « quartier », de « population » ou d'une «culture». Sous ce chef, l'objectif est
de tenter de dégager, à partir des multiples visages que prend la mise en œuvre collégiale des
politiques sociales, un ensemble de logiques, elles-mêmes rapportables à l'influence de modèles
normatifs récurrents, aptes à parcourir la dénivellation des niveaux décisionnels. En résumé2, la
pérennisation de la « crise » et l'adhésion des sociétés européennes, avec de nombreuses
nuances, aux logiques d'un capitalisme globalisateur fait d'une part de la « question sociale »
l'épreuve des valeurs « sociétales » (c'est-à-dire des valeurs revendiquées au fondement du lien
social et mobilisées pour son maintien) et donne à voir d'autre part (avec le dépérissement de
l'Etat «providence» ou de l'Etat distributeur de solidarité) sur un mode pluriel, tributaire de
l'histoire comme des structures anthropologiques de l'humain, la coexistence de référents
normatifs éventuellement contradictoires.
Si nous laissons de côté le modèle assurantiel actuel3, en vertu duquel l'individu n'est en fin
de compte solidaire qu'avec lui-même, en fonction des risques que le simple fait d'exister lui fait
encourir4, ces référents normatifs peuvent être placés sous l'égide de quatre modèles
génériques : la solidarité organique (obligation d'entraide et de réciprocité inscrite dans tous les
aspects d'une structure sociale donnée et condition d'existence de cette structure), la solidarité
dictée (où le geste solidaire répond à une injonction transcendantale — comme la hessed juive
ou la charité chrétienne), la solidarité d'établissement (où l'assistance est prise en charge par des
organismes spécialisés délibérément créés pour assumer cette fonction — de la léproserie ou de
l'hôpital médiévaux jusqu'aux associations volontaires contemporaines) et enfin la solidarité
d’Etat (où l'intégration sociale des individus relève de la constitution même de la société
politique (du contrat social originel jusqu'à la distribution sectorisée des services).
1. Cf. Marie-Thérèse Join-Lambert (et alii), Politiques sociales, Paris, Dalloz & Presses de la FNSP,
1994
2. Pour une présentation théorique de cette approche, voir L. Assier-Andrieu, «Le droit du malheur»,
Nouvelles Annales de la Pensée Politique, Paris, PUF, 1998, I, 2 (sous presse).
3. Dont François Ewald a retracé la genèse conceptuelle et juridique dans L’Etat providence, Paris,
Grasset, 1986.
4. On se réfèrera à la récente contribution d'Elie Alfandari : en l'absence d'une définition juridique du
«risque social» (avec pour corollaire une efflorescence de définitions contingentes), le risque encouru
par l'homme n'est plus lié à la relation de travail, ni même aux risques économiques provoqués par les
disjonctions familiales, «mais à la seule qualité d'individu, de personne humaine» (E. Alfandari,
«L'évolution de la notion de risque social. Les rapports de l'économique et du social», Revue
internationale de droit économique, 1997, I, p. 27).
5