FICHE DE SYNTHÈSE SCIENTIFIQUE
N° 24 - Avril 2010
La réutilisation des eaux usées :
un enjeu majeur du développement durable
Direction de la Communication et des Éditions - L. Guillemain - Tél. 02 38 64 39 76
Le monde vit à l’ère d’une inquiétante
dégradation de la ressource en eau, tant
en quantité qu’en qualité, due à la conju-
gaison de plusieurs facteurs : défaut
d’assainissement urbain et d’épuration
des eaux usées, excès de fertilisants et de
pesticides dans l’agriculture intensive,
accidents industriels ou de transport,
mauvaise gestion des déchets, rejets
urbains et industriels, etc.
La préservation de cette ressource est
une préoccupation majeure des 27 États-
membres de l’Union européenne, aux-
quels la Directive Cadre sur l’Eau (DCE)
impose un retour de leurs eaux souter-
raines à un bon état quantitatif et chi-
mique d’ici à 2015. Souhaitant mettre en
œuvre une politique de l’eau compatible
avec le développement durable, la France
fixe dans le code de l'environnement, des
critères très stricts aux rejets dans les
nappes, en accord avec cette directive.
Au cours du XXesiècle, l’humanité a multiplié par 7 les quantités d’eau qu’elle
a prélevées, et par près de 6 celles qu’elle a consommées de façon nette,
sans retour au milieu naturel. À ce rythme d’enfer, imposé par la croissance
démographique, l’industrialisation, l’urbanisation et l’extension de l’agriculture
irriguée, des régions entières de la Planète bleue manquent déjà, ou pourraient
rapidement manquer d’eau.
La réutilisation des eaux usées apparaît comme une solution alternative pour
limiter la pénurie, préserver la ressource naturelle et contribuer à la gestion
intégrée de l’eau. Le BRGM, expert en hydrogéologie depuis cinquante ans,
constitue, avec son projet-cadre NouvEau, l’un des acteurs majeurs dans le défi
mondial de la préservation de la ressource en eau.
© BRGM im@gé - H.Fournié
Produits polluants dus aux activités humaines.
Direction de la Communication et des Éditions - L. Guillemain - Tél. 02 38 64 39 76
Trois types de traitements sont actuelle-
ment en usage : une série de prétraite-
ments et traitements primaires, méca-
niques, destinés à supprimer de l’eau les
éléments qui gêneraient les phases sui-
vantes, un traitement secondaire, de
nature physico-chimique et biologique
et, dans certaines STEP, un traitement
tertiaire, notamment par chloration,
rayonnement ultra-violet ou ozonation.
Un meilleur traitement de l’eau réinjectée
dans l’environnement, en sortie des stations
d’épuration (STEP), fait désormais partie
des priorités de nombreux pays. Cette eau
“propre” et naturelle ne représente en
effet que 2,5 % de l’eau de la Terre ! Un
traitement approprié ouvre la voie à une
réutilisation de ces eaux pour satisfaire la
demande en eau supplémentaire, sans
puiser dans la ressource d’eau douce.
De plus en plus d’États ont pris conscience
de l’enjeu et décidé, en dépit des différences
importantes qui existent d’un pays à
l’autre en termes de besoins quantitatifs
ou qualitatifs et de systèmes de traitement,
de satisfaire une part croissante de leur
demande par de l’eau recyclée.
La France consomme environ 12 milliards
de m3d’eau par an. À l’heure actuelle, elle
ne réutilise que 7 millions de m3pour une
seconde vie, alors que mille fois plus
seraient disponibles, notamment pour
l’arrosage d’espaces verts ou de golfs, l’ir-
rigation de zones agricoles ou le nettoyage
urbain. Pourtant, elle se situe bien en tête
des pays producteurs de technologies de
traitement.
Bien qu’elle ne fasse pas partie des pays qui
manquent d’eau, la France nest pas épar-
gnée par des pénuries locales, régionales
ou saisonnières. Durant ces périodes,
les prélèvements peuvent excéder les
ressources renouvelables et le recours à
de l’eau recyclée peut s’avérer utile.
Les STEP françaises rejettent une eau
compatible avec la préservation de l’envi-
ronnement,explique Joël Casanova, chef
de projet au service Eau du BRGM, et
presque chaque rivière française contient
sa part d’eau usée traitée. Le recyclage de
l’eau existe donc, de facto, après le retour
dans le milieu naturel et réutilisation en
aval. Le problème est que ces eaux ne sont
pas réutilisées de manière volontaire et
contrôlée, là où il le faudrait, et qu’elles
sont parfois polluées”.
“Les eaux usées peuvent être soumises à
divers types de pollution, ce qui limite leur
potentiel de réutilisation selon l’usage
recherché, irrigation urbaine, agricole, ou
recharge artificielle de nappe”, précise
Wolfram Kloppmann, chef du projet
NouvEau au BRGM. Il peut s’agir de nutri-
ments (comme les nitrates et phos-
phates, facteurs de développement des
algues vertes et de l’eutrophisation des
rivières), de métaux lourds (comme le
plomb, dont l’accumulation est dange-
reuse pour l’organisme), d’agents patho-
gènes (bactéries, virus, parasites), ou
encore de polluants organiques (issus de
produits vétérinaires, pharmaceutiques…).
Pour préparer le recours à l’eau directement
recyclée, l’objectif des pouvoirs publics
est désormais de mener une action plus
volontariste, de ne plus faire confiance
uniquement au milieu naturel pour amé-
liorer la qualité de l’eau réutilisée, ce qui
implique le développement de nouvelles
installations assurant “un traitement de
l'eau usée zéro rejet” ou “STEP vertes”.
Les avantages
du recyclage
des eaux usées
Une eau utilisée deux ou trois fois
avant d’être rejetée dans le milieu
naturel.
Un recyclage deux fois moins cher
que le dessalement de l’eau de mer.
Une économie de la ressource
en amont et une réduction
des déchets en aval.
Une économie d’énergie liée aux
activités de pompage et de transport
de l’eau.
La réutilisation de matières
organiques présentes dans les eaux
usées, pouvant fournir, après leur
méthanisation, l’énergie nécessaire
à leur traitement.
La possibilité de devenir de l’eau
potable et utilisable à des fins
alimentaires après passage par
des traitements poussés et par
la recharge dans les nappes.
La contribution à une gestion active
des aquifères côtiers afin de maîtriser
la progression de l’intrusion saline.
L’utilisation dans des circuits
industriels en boucle courte, dans
une logique d’écologie industrielle.
Vue générale de la station d'épuration de Valenton, dans l'Essonne.
© BRGM im@gé - F.Michel
Un excès de nutriments entraine l’eutrophisation des marres.
© BRGM im@gé - F.Michel
Lutilisation des eaux recyclées, dans un
objectif de potabilité ou d’irrigation par
aspersion de plantes consommables,
exige un traitement supplémentaire pour
s’assurer de la destruction de tout germe
potentiellement pathogène et une épura-
tion chimique conforme aux régulations
qui pèsent sur chacun des usages.
En tant qu’expert dans l’aide à la mise en
œuvre des directives européennes et du
Grenelle de l’environnement, le BRGM
propose ses compétences variées, pour
contribuer à la préservation de la ressource
en eau : réalisation de systèmes d’informa-
tion géographique, outils et méthodes de
gestion des nappes et aquifères ; pro-
grammes de surveillance ou de recherche
contre la pollution des eaux souterraines
et des sols ; étude des mécanismes phy-
siques, physico-chimiques et biologiques,
induits par les activités humaines et pou-
vant conduire à l'altération de la qualité
de ces eaux ; ou encore modélisation
hydrodynamique et bio-géochimique
prédictive de l’évolution de la composi-
tion des eaux souterraines.
Le BRGM mène, en particulier depuis
2006, le projet-cadre NouvEau, qui
regroupe tous ses projets de recherche,
nationaux et européens, sur les ressources
en eau non conventionnelles (y compris
les eaux usées) et leur utilisation ou
impact.
Les objectifs de NouvEau sont de :
Promouvoir des concepts de gestion
active de l’eau permettant de satisfaire
aux besoins humains et écologiques
sans dégradation quantitative et quali-
tative de la ressource, dans la droite
ligne de la DCE.
Faire progresser les bases scientifiques
et techniques de l’utilisation des res-
sources en eau non conventionnelles,
notamment de basse qualité (eaux
usées, eaux salines…), tout en maîtrisant
les risques pour les consommateurs et
l’environnement.
La gestion active” de l’eau, qu’est-ce que c’est ?
C’est un nouveau concept que contribue
à développer le BRGM, qui vise à
atténuer les impacts des changements
climatiques/globaux sur les ressources
en eau. Cette méthode de gestion prend
en compte à la fois des ressources
conventionnelles (eaux superficielles,
écrêtement de crues, stockage inter-
saisonnier…) et non conventionnelles
(eaux usées prétraitées, eaux saumâtres,
eaux salines traitées). Elle agit à la fois
sur la recharge des aquifères (par de
l’eau de pluie ou de l’eau usée traitée
ou dessalée) et sur les variations de la
réserve en eau (liées aux pompages et
à la consommation).
Recharge artificielle des eaux souterraines de la
nappe de KorbaMida (Cap Bon, Tunisie) par les eaux
usées traitées. La recharge de l’ordre de 1 500 m3
par jour s’effectue via des bassins d’infiltration.
© BRGM im@gé - J.Casanova
Prendre en compte la situation clima-
tique, économique et sociale, des pays
en développement et proposer des
solutions durables dans des contextes
de pénurie d’eau de qualité, de pauvreté,
de crise sanitaire et de faiblesse des
structures administratives.
Développer des méthodes et outils d’ana-
lyse économique pour la planification
à long terme de la gestion des ressources
en eau.
Proposer des solutions intégrées de ges-
tion des ressources en eau dans un
périmètre d’action donné, tout en prenant
en compte l’ensemble des besoins, des
ressources disponibles, des acteurs, des
contraintes sociales et économiques.
Dans le cadre de NouvEau, le BRGM est
notamment engagé dans deux projets
de recherche nationaux, en collaboration
avec des industriels, REGAL et ACTISOL, et
deux projets internationaux, RECLAIM
WATER et SAPHIR.
La zone non saturée est une barrière naturelle
contre la pollution des nappes. Mieux comprendre
son fonctionnement est l’enjeu du projet REGAL.
© BRGM im@gé
Modélisation de la nappe du bas Gapeau étudiée dans le cadre du projet Regal.
Cette vue 3D représente l’altitude du toit des Phyllades, roches constituant le substratum de l’aquifère.
© BRGM
REGAL développe le concept de gestion
“active”, qui n'agit pas seulement sur les
prélèvements dans une nappe mais aussi
sur sa recharge. La zone non saturée en
eau (ZNS), qui se situe entre le sol et la
nappe, joue en effet un rôle majeur de
barrière réactive contre toute pollution
résiduelle des eaux alimentant la nappe.
Le BRGM entreprend, dans ce projet en
partenariat avec le groupe Veolia, d'étu-
dier en détail le fonctionnement de la
zone non saturée, à l'échelle d'un pilote,
et de réaliser la modélisation biogéochi-
mique des processus qui y ont lieu. Ces
modèles permettent une simulation du
traitement naturel des eaux par le sol
afin de garantir l'innocuité sanitaire
d'une infiltration d'eaux usées traitées
dans la nappe.
Avril 2010
Contact :
Wolfram Kloppmann : 02 38 64 39 15
Joël Casanova : 02 38 64 31 81
Collaboration rédactionnelle :
Jacques Huguenin
Centre scientifique et technique
BRGM - 3, avenue Claude-Guillemin - BP 36009
45060 Orléans Cedex 2 - Tél. 02 38 64 34 34
www.brgm.fr
SAFIR,projet européen, qui inclut égale-
ment des partenaires chinois et israé-
liens, pose la question de savoir com-
ment des eaux traitées domestiques
peuvent être utilisées dans l’agriculture,
sans risques pour les agriculteurs, les sols
et les consommateurs, tout en économi-
sant de l’eau par des procédés innovants.
Le BRGM coordonne le volet de l’évalua-
tion des impacts et intervient dans la
caractérisation des eaux et des sols, la
modélisation des transferts de métaux
lourds et l’identification de leurs sources.
Il contribue aussi, avec son équipe d’éco-
nomistes de l’eau à Montpellier, à l’analyse
des coûts et des bénéfices de la réutilisation
à l’échelle du bassin versant.
Site de recharge artificielle d’eaux usées traitées à Adelaide en Australie.
© BRGM im@gé - W.Kloppmann
Ce système d’arrosage goutte à goutte” à Cap Bon en Tunisie permet de réduire le gaspillage des ressources
en eaux souterraines par évaporation. Il évite ainsi la salinisation de la nappe par lessivage des sols.
© BRGM im@gé - J.Casanova
Il a étudié des cas grandeur nature de rechar-
ge artificielle, pour évaluer les risques de
contamination par des polluants dits
émergeants” : polluants organiques de
type nouveau, peu connus et mal maîtrisés,
tels que les résidus pharmaceutiques
présents dans les eaux usées urbaines,
qui ne sont que partiellement éliminés
par les STEP classiques.
RECLAIM WATER, projet européen,
auquel a participé le BRGM avec une
équipe de géochimistes et de modélisa-
teurs hydrogéologiques, a fait intervenir
des partenaires des cinq continents, du
Mexique à l’Afrique du Sud, d’Israël à
l’Australie, de la Chine à Singapour.
Le pilote REUSE
C’est un réacteur contenant du sol dans lequel est injectée
de l’eau usée traitée, de façon à recréer les conditions d’une
recharge artificielle à partir d’eau de STEP.
Il est conçu dans le cadre du projet REGAL, qui vise à
développer des outils permettant d’estimer le pouvoir
d’épuration des sols naturels vis-à-vis des eaux usées et
ainsi de mieux comprendre les processus d’interaction entre
l’eau de recharge et la zone non saturée en eau.
La mise en place et le fonctionnement en test d’un dispositif
de Réutilisation des Eaux USEes (REUSE) sont destinés à
fournir au projet des données de base essentielles à
l'évaluation de l’innocuité sanitaire et environnementale
de la réalimentation par des eaux résiduaires urbaines
traitées. Cette étude à l’échelle d’une colonne de sol, le
“pilote”, permettra de suivre pendant 2 ans les
modifications physiques, chimiques et biologiques
induites, donc d’analyser en grandeur réelle le
déplacement des fronts réactifs, leur recouvrement,
leur amplification, voire leur atténuation.
Le pilote REUSE contient une colonne
de sol à travers laquelle est injectée
de l’eau d’une STEP. Ce réacteur
permet d’étudier le pouvoir
d’épuration des sols.
© BRGM im@gé - J.Casanova
ACTISOL propose de mettre sur le mar-
ché un “kit opérationnel” de barrières
réactives pour bassin d’infiltration per-
mettant la recharge artificielle des
aquifères par des eaux usées traitées.
Associés à l’ingénierie, des outils de
modélisation seront développés afin de
composer la barrière réactive et de pré-
voir l’évolution de la performance du dis-
positif (réactivité et perméabilité). Cette
écotechnologie doit permettre d’amélio-
rer les potentialités d’un sol local et donc
d’optimiser les coûts de traitement des
eaux destinées à la recharge artificielle.
Elle aura vocation à être mise en œuvre
dans les pays qui ne pourront pas assu-
mer le coût du traitement des eaux usées
ou du dessalement de l’eau de mer pour
subvenir à leurs besoins à court terme.
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