Innovations mt 2014 ; 20 (2) : 79-86 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 25/05/2017. E-care : évolution ontologique et amélioration des connaissances pour le suivi des insuffisants cardiaques Amine Ahmed Benyahia1,2, Amir Hajjam1, Samy Talha3, Mohamed Hajjam2, Emmanuel Andrès4,5, Vincent Hilaire1 1 Université de technologie de Belfort-Montbéliard, 4, rue Thierry-Mieg, 90000 Belfort, France <[email protected]> <[email protected]> 2 Newel, 36, rue Paul-Cezanne, 68200 Mulhouse, France <[email protected]> <[email protected]> 3 Service de physiologie et d’explorations fonctionnelles, hôpitaux universitaires de Strasbourg, 67091, Strasbourg cedex, France <[email protected]> 4 Service de médecine interne, diabète et maladies métaboliques, hôpitaux universitaires de Strasbourg, 67091, Strasbourg cedex, France 5 Laboratoire de recherche en pédagogie des sciences de la santé, faculté de médecine de Strasbourg, 67091, Strasbourg cedex, France <[email protected]> Le suivi à domicile des patients atteints de maladies chroniques devrait contribuer à limiter les dépenses, favoriser l’émergence de nouvelles organisations plus efficaces et plus sécurisées que la pratique conventionnelle, et offrir une meilleure qualité de vie des patients. Il repose sur la collecte d’informations comportementales, environnementales et physiologiques du patient. Dans les premiers systèmes, ces données étaient envoyées directement aux experts médicaux pour les interpréter. Avec les avancées technologiques actuelles, des logiciels et des applications ont été développés pour traiter directement ces données. Dans cet article, nous présentons l’architecture de la plate-forme de télésurveillance de patients atteints d’insuffisance cardiaque, E-care, ainsi que la première phase de l’expérimentation réalisée aux hôpitaux universitaires de Strasbourg. E-care est composée d’un module chez le patient pour la transmission des données, et d’un module serveur qui reçoit et traite ces données. Le module serveur combine les technologies du web sémantique et de l’intelligence artificielle. Des ontologies génériques sont utilisées pour s’adapter à différentes pathologies et différents types de capteurs et de données. Un moteur d’inférence est utilisé pour la surveillance de l’évolution de l’état de santé du patient. La première phase de l’expérimentation, réalisée aux hôpitaux universitaires de Strasbourg, a permis de valider l’ergonomie de cette plate-forme et la cohérence des données remontées. Mots clés : ontologie, télésurveillance médicale, insuffisance cardiaque, intelligence artificielle doi:10.1684/met.2014.0451 L mt Tirés à part : A. Hajjam a télésurveillance médicale est une branche de la télémédecine qui vise à rendre une autonomie à domicile, à des personnes souffrant de diverses pathologies et handicaps qui devraient normalement les contraindre à une hospitalisation ou à un placement en institutions spécialisées : patients souffrant de certaines maladies chroniques, handicapés, mais aussi personnes âgées dépendantes [1]. La télésurveillance médicale s’appuie sur la transmission et l’interprétation des indicateurs médicaux cliniques, radiologiques ou biologiques, recueillis par le patient lui-même ou par un professionnel de Pour citer cet article : Ahmed Benyahia A, Hajjam A, Talha S, Hajjam M, Andrès E, Hilaire V. E-care : évolution ontologique et amélioration des connaissances pour le suivi des insuffisants cardiaques. mt 2014 ; 20 (2) : 79-86 doi:10.1684/met.2014.0451 79 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 25/05/2017. Innovations 80 santé (médecin, infirmier, etc.) [2]. Ils peuvent être interprétés par un professionnel de santé, ou par des programmes et des logiciels spécialisés. L’interprétation peut conduire à la décision d’une intervention auprès du patient ou bien à simplement lui prodiguer des conseils. Parmi les avantages de la télésurveillance médicale, on peut citer : une prévention accrue des situations à risque de décompensation aiguë de la pathologie chronique avec par conséquent une meilleure qualité de vie, une diminution des réhospitalisations et de leur coût économique, un suivi médical plus adapté, un engagement et une adhésion plus importante du patient à la prise en charge de sa pathologie avec par conséquent une meilleure compliance thérapeutique. Ce domaine récent a donné lieu à beaucoup de recherches au cours des deux dernières décennies qui ont abouti notamment à des systèmes susceptibles de permettre le maintien à domicile de ces personnes dans certaines conditions. Pour prévenir les risques associés à l’absence de support médical « présentiel », ces systèmes technologiques doivent offrir des réponses graduées, adaptées au cas par cas, en tenant compte du respect de la vie privée de la personne tout en étant les moins intrusifs possibles. Ces systèmes doivent être ouverts, capables d’intégrer diverses technologies, suffisamment flexibles pour s’adapter à chaque patient et capable de prendre en compte l’évolution de leur état de santé. La télésurveillance est donc caractérisée par l’utilisation de capteurs de données vitales nécessaires pour le diagnostic comme la tension artérielle, le poids, la température, la saturation du sang en oxygène, etc. Ces capteurs sont, dans la plupart des cas, sans fil (Bluetooth, wifi, etc.) pour plus de liberté de déplacement et de portabilité [3]. D’autres capteurs peuvent être utilisés comme les capteurs de comportement ou des capteurs d’environnement. Dans les premières générations, les données collectées étaient envoyées aux médecins via internet pour être interprétées et ainsi détecter des anomalies et des situations d’urgence. Avec l’avancement technologique, des applications sont développées pour interpréter et détecter les situations anormales. Ces applications sont implémentées chez le patient sur un simple ordinateur, comme sur des tablettes tactiles ou des smartphones. En cas d’anomalie détectée, ces applications réagissent en conséquence, soit en fournissant des conseils au patient, en orientant le patient vers son médecin de ville ou en appelant une ambulance. Le médecin responsable peut suivre l’état de ses patients et reçoit les alertes et les anomalies détectées. E-care [4] est un projet de télésurveillance médicale, pour les patients atteints d’insuffisance cardiaque. Dans le cadre de ce projet, une plate-forme générique a été développée pour s’adapter à différentes pathologies et profils de patients. E-care est composé d’un module chez le patient, avec une tablette et des capteurs, et d’un module serveur qui reçoit et traite les données remontées depuis les différents modules patients. Le module serveur combine les technologies du web sémantique et de l’intelligence artificielle. Des ontologies génériques sont utilisées pour s’adapter à différentes pathologies et différents types de capteurs et de données. Un moteur d’inférence est utilisé pour la surveillance de l’évolution de l’état de santé du patient et la détection de toute situation anormale. Dans la première phase de l’expérimentation, réalisée aux hôpitaux universitaires de Strasbourg, le but était de vérifier l’ergonomie de la plate-forme et la cohérence des données remontées. Dans la section « Les ontologies », nous allons présenter les ontologies et leurs avantages. Dans la section « Les travaux connexes », nous présenterons quelques travaux connexes trouvés dans la littérature, leurs avantages et leurs inconvénients. Les sections « La plate-forme E-care » et « Le module serveur : ontologies et aide à la décision » comportent la proposition d’une solution générique et adéquate à la problématique. Dans la partie « Discussion », l’expérimentation au sein des hôpitaux universitaires de Strasbourg est évoquée, et discutée. Enfin, nous terminerons par une conclusion. Les ontologies Définition La première définition admise pour une ontologie est celle de Gruber [5] : « spécification explicite d’une conceptualisation ». Cette définition a également été précisée par Studer [6] pour devenir : « Une ontologie est une spécification formelle et explicite d’une conceptualisation partagée ». Dans cette définition, il convient d’interpréter correctement chaque terme employé : – formelle : compréhensible par la machine ; – explicite : les concepts, les relations, les individus et les axiomes sont explicitement définis ; – partagée : les connaissances représentées sont partagées par une communauté ; – conceptualisation : modèle abstrait d’une partie du monde que l’on veut représenter. La classification des ontologies Les ontologies peuvent être classifiées selon plusieurs dimensions. Parmi celles-ci, nous nous intéressons à la typologie selon l’objet de conceptualisation. On peut classifier les ontologies selon leur objet de conceptualisation de la façon suivante : – ontologie de haut niveau [7] : ce type d’ontologie décrit des concepts très généraux ou des connaissances mt, vol. 20, n◦ 2, avril-mai-juin 2014 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 25/05/2017. de sens commun, indépendantes d’un problème ou d’un domaine particulier, telles que l’espace, le temps, l’événement, l’action, etc. ; – ontologie du domaine [8] : cette ontologie régit un ensemble de vocabulaires et de concepts qui décrivent un domaine d’application ou le monde cible. Elle caractérise la connaissance du domaine où la tâche est réalisée. La plupart des ontologies existantes sont des ontologies du domaine ; – ontologie de tâches [8] : ce type d’ontologies est utilisé pour conceptualiser des tâches spécifiques dans les systèmes. Elle régit un ensemble de vocabulaires et de concepts qui décrit une structure de réalisation de tâches indépendantes du domaine ; – ontologie d’application [9] : cette ontologie est la plus spécifique. Les concepts dans l’ontologie d’application sont très spécifiques à un domaine et une application particulière. Autrement dit, les concepts correspondent souvent aux rôles joués par les entités du domaine tout en exécutant une certaine activité. L’apport des ontologies Les ontologies fournissent un cadre commun sémantique. Tous les individus et les concepts impliqués peuvent être explicitement définis en fonction de leurs relations et attributs. Par conséquent, les ontologies sont interprétables par la machine et partageables entre plusieurs personnes. Cela facilite et améliore le processus d’aide à la décision. Grâce à la précision des concepts, plusieurs personnes peuvent collaborer ensemble sans aucune ambiguïté ou perte d’informations. Les ontologies fournissent un modèle de haut niveau d’abstraction du flux de travail quotidien. Ce modèle peut être adapté à chaque organisme particulier. Autrement dit, toute organisation peut avoir une ontologie adaptée à sa situation particulière. Les ontologies sont génériques et réutilisables. Pour construire une ontologie large, il est possible d’intégrer plusieurs ontologies existantes décrivant des portions d’un domaine. On peut, également, réutiliser une ontologie de haut niveau et l’étendre pour permettre de décrire un domaine d’intérêt spécifique. Les ontologies sont très faciles à maintenir et avec des coûts très minimes. Les travaux connexes Il existe dans la littérature plusieurs études concernant la télésurveillance médicale, allant du suivi des activités quotidiennes au suivi des données physiologiques. Dans ce qui suit, les études les plus pertinentes sont présentées. Le suivi des activités quotidiennes à domicile (domotique) Franco et al. ont travaillé sur une étude de télésurveillance médicale à domicile de personnes âgées atteintes de la maladie d’Alzheimer [10, 11]. Leur système permet la détection des dérives des rythmes nycthéméraux à partir des données de localisation. Autrement dit, pour détecter une perturbation de l’horloge circadienne, il mesure la différence entre les séquences d’activité en utilisant une variante de la distance de Hamming. Les données ont été capturées par des capteurs infrarouges passifs placés dans chaque chambre. Les écarts importants déclencheront des alarmes envoyées aux soignants. Dans le projet habitat intelligent pour la santé (HIS), basé sur le concept health smart home (HSH), Noury et Rialle ont mis en place un appartement équipé pour la télésurveillance médicale dans la faculté de médecine de Grenoble [12]. Il est utilisé comme plate-forme expérimentale pour le développement technologique et les évaluations médicales. Hadidi et Noury présentent l’expérimentation de la plate-forme HIS [13]. Des capteurs infrarouges ont été placés afin de détecter la présence. À partir de ces données, plusieurs paramètres ont été élaborés tels que : le nombre total d’événements diurnes ou le nombre total d’événements nocturnes. L’objectif est de produire des indicateurs pertinents pour préciser les tendances anormales non visibles afin d’informer l’équipe de santé en charge du patient. Fleury et al. présentent un habitat pour la santé dans un vrai appartement comprenant des capteurs de présence infrarouges, des contacts de porte (pour contrôler l’utilisation de certains équipements), un capteur de température et d’hygrométrie dans la salle de bain et des microphones [14]. Un capteur cinématique portable informe également sur les transitions posturales et des périodes de marche. Ces données collectées sont ensuite utilisées pour classer chaque trame temporelle dans l’une des activités de la vie quotidienne. Cela est fait en utilisant SVM (support vector machines). Le suivi du comportement et de l’état physiologique du patient Lasierra et al. présentent la conception et la mise en œuvre d’une architecture basée sur la combinaison d’ontologies, de règles et de services Web [15]. L’architecture comprend deux couches : une couche conceptuelle et une couche de données et de communication. La couche conceptuelle basée sur les ontologies est proposée pour unifier la procédure de gestion et d’intégration des données entrantes issues de toutes sources. La couche de données et la communication sont basées sur les technologies des services Web. Une étude de fouille de données sur l’insuffisance cardiaque en utilisant des méthodes de classification a été mt, vol. 20, n◦ 2, avril-mai-juin 2014 81 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 25/05/2017. Innovations 82 faite par Guidi et al. [16]. La classification est établie dans une base de données de patients cardiaques. Deux types de données sont traitées : le profil du patient (âge, sexe, autonomie, etc.) et les données physiologiques. Parmi les algorithmes utilisés, on retrouve les arbres de décisions et random forest algorithm. Intelligent mobile health monitoring system (IMHMS) est un système de télésurveillance médicale présenté par [17], avec une architecture de trois niveaux : – le réseau de capteurs qui comporte des capteurs physiologiques et des capteurs pour analyser le comportement du patient comme un microphone ou un accéléromètre. Ces données sont ensuite transmises vers un serveur personnel chez le patient ; – le serveur chez le patient peut être un ordinateur personnel ou un téléphone. Il permet de collecter les données et vérifier si elles sont cohérentes. Ces données sont envoyées via internet au serveur médical intelligent ; – le serveur médical intelligent reçoit les données depuis tous les serveurs des patients. Ce serveur intelligent utilise des méthodes de fouille de données pour détecter des situations dangereuses et alerter les médecins. Le projet Teleasis présenté par Stoicu-Tivadar et al. [18] propose une stratégie pour mettre en œuvre une composante d’alarme dans un système de téléassistance de personnes âgées. Le système est composé d’unités situées dans les maisons des personnes surveillées pour la collecte et l’envoi de données (médicales et environnementales) à partir de capteurs, et un centre d’appel avec un serveur pour l’enregistrement et le suivi des données. Le personnel médical spécialisé peut mettre en place des scénarios d’alarme. Ce sont des combinaisons logiques de niveaux de seuil des valeurs lues à partir des capteurs physiologiques ou à partir des capteurs d’environnement. Ces alarmes peuvent alors être attribuées de façon personnalisée pour chaque patient. Minutolo et al. proposent un système d’aide à la décision pour la télésurveillance de personnes atteintes de défaillance cardiaque [19]. Le système se base sur une ontologie qui regroupe des données relatives au patient qui sont : la posture, capteur cardiaque, les activités physiques et les alertes. L’aide à la décision est basée sur l’inférence en utilisant des règles gérées par un algorithme d’inférence. Valero et al. détaillent la conception et la mise en œuvre d’une plate-forme de raisonnement pour prévoir ou réagir de manière intelligente à des situations exigeant des soins à distance ou à domicile [20]. Le système gère des agents intelligents, dont le comportement est défini et validé par des ontologies et des règles. Une méthodologie de développement a été adaptée pour soutenir le processus de l’acquisition des connaissances. Des fichiers log en XML sont stockés pour faire des algorithmes de fouille de données. Discussion Chacune de ces études ne prend en compte qu’une partie des données relatives au patient. En effet, elles vont considérer soit le suivi des activités journalières et le déplacement à domicile, soit le suivi des données physiologiques, soit une autre partie environnementale ou comportementale. Quelques études comme celle de Guidi et al. [16] combinent plusieurs domaines mais, selon les experts médicaux, toujours insuffisants pour comprendre l’évolution de l’état de santé du patient. Ces systèmes utilisent généralement soit une fouille de données probabiliste, qui implique une interaction importante avec les experts médicaux pour interpréter les données, soit un système expert basé sur des règles d’inférence définies par les experts médicaux. Les systèmes basés uniquement sur un système expert ont du mal à s’adapter à l’évolution de l’état de santé du patient. Cette adaptation impose une grande implication des experts médicaux pour définir des règles pour chaque cas, en prenant en compte chaque donnée du patient. De plus, les faibles connaissances des évolutions conjointes de ces paramètres et le manque de données collectées dans un environnement réel rendent le suivi de l’évolution d’un patient à long terme assez compliqué. Notre approche L’objectif de notre approche est de proposer une architecture de télésurveillance médicale générique pour la détection précoce de toute évolution anormale. L’architecture de notre plate-forme prend en compte l’ensemble des données relatives au patient : son profil (sexe, âge, etc.), ses antécédents médicaux, les médicaments prescrits, les données physiologiques (tension artérielle, fréquence cardiaque, etc.) et comportementales (activité physique, posture, etc.) ainsi que les données de son environnement (climat, ville, etc.). Elle est capable d’intégrer de nouvelles sources de données. Ces informations représentent une banque de données privées, sécurisées lors de la transmission ou de l’accès. Pour gérer le vocabulaire des différents professionnels de santé (médecin, infirmier, etc.), nous utilisons des ontologies de domaine. L’architecture est générique et peut contenir toutes les ontologies de domaine (maladies, médicaments, interventions, etc.). Les ontologies de domaine permettent de partager une sémantique et de garder une certaine cohérence des données. Pour la détection d’anomalies, on utilise un système expert basé sur des règles d’inférence construites avec les experts médicaux. Ces règles sont génériques et évoluent avec l’état du patient. Toutes les alertes détectées par le système sont remontées vers le personnel soignant en charge du suivi du patient. En fonction du niveau de l’alerte, une procédure est lancée. Cette procédure devra systématiquement prendre en charge la validation des mesures en mt, vol. 20, n◦ 2, avril-mai-juin 2014 Devices aka Agents Aggregation manager Telehealth service center Health records PAN Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 25/05/2017. WAN HRN LAN Figure 1. Architecture Continua [22]. cause avant de déclencher des actions supplémentaires. Les actions peuvent être de l’ordre du conseil sur l’hygiène de vie ou bien la programmation d’un rendez-vous chez le médecin traitant, voire le cardiologue traitant. La définition de règles d’inférence en combinant les données physiologiques, le profil du patient et les antécédents, est une tâche relativement compliquée pour les experts médicaux étant donné le manque de recul par rapport à toute étude qui formalise ces données. Si on ajoute à cela d’autres données pertinentes comme les données environnementales et comportementales, cela devient quasi impossible. Pour pallier cette problématique, nous utilisons les techniques de fouille de données pour retrouver de nouvelles règles qui combinent toutes les données du patient. Ces règles sont ensuite validées par les experts médicaux avant d’être activées dans le système expert. La plate-forme E-care La plate-forme E-care [21] est basée sur les guidelines de Continua Health Alliance (figure 1), avec essentiellement un module chez le patient et un serveur qui reçoit les données et les interprète. Les deux modules communiquent de manière sécurisée entre eux via internet suivant les standards HL7 et IHE. Le module patient Ce module, installé chez le patient, comporte plusieurs capteurs (Devices aka Agents) et un récepteur (Aggregation Manager) pour la récolte des données de ces capteurs physiologiques (thermomètre, oxymètre, ten- siomètre, pèse-personne). La communication entre ces capteurs et le récepteur s’effectue suivant des standards Continua. Le récepteur (ordinateur, tablette tactile ou smartphone) envoie les données au serveur via internet. Dans E-care, des tablettes tactiles sont utilisées avec une application ergonomique qui permet éventuellement au patient de consulter ses mesures d’avoir des conseils et de communiquer directement avec son médecin. Le module serveur Le serveur reçoit les données issues de l’ensemble des modules patients et gère l’authentification et la sécurité des communications, ainsi que la cohérence des données. Celles-ci sont stockées de manière à préserver la vie privée des patients. Le serveur comporte aussi des ontologies et un composant intelligent pour détecter les situations à risques et prévenir les médecins. Un portail de services est utilisé pour permettre aux utilisateurs, en fonction de leur statut (patient, soignant, proches, etc.) d’accéder et de suivre l’évolution des signes vitaux ainsi que l’état général du patient ou bien encore, de saisir des informations médicales et consulter les alertes transmises. Le module serveur : ontologies et aide à la décision Le module serveur comporte plusieurs sous-modules dont la gestion des ontologies qui modélisent les connaissances du système et le moteur d’inférence qui les exploite. mt, vol. 20, n◦ 2, avril-mai-juin 2014 83 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 25/05/2017. Innovations 84 Nous utilisons deux types d’ontologies pour représenter les connaissances de notre système : – ontologie d’application : l’ontologie qui gère les données du système. L’architecture de cette ontologie est définie par les spécifications du système ; – les ontologies de domaine servent à définir un vocabulaire contrôlé. Ces ontologies sont reliées à l’ontologie d’application et vont la compléter en définissant quelquesuns de ses concepts. Le moteur d’inférence reçoit en entrée les valeurs collectées à partir des capteurs physiologiques et la base des faits. Il suivra l’évolution des informations relatives au patient pour détecter de manière précoce les anomalies et déclencher des alertes pour informer le personnel soignant. Les règles sont soit introduites par les experts médicaux, soit générées par une fouille de données ensuite validées par les experts médicaux. L’ontologie d’application L’ontologie d’application décrit les utilisateurs, leurs rôles et leurs tâches dans le système. Elle permet aussi de décrire les patients, leurs profils, leurs antécédents médicaux ainsi que les mesures remonter et les alertes détectées. Cette ontologie décrit aussi le matériel utilisé, les capteurs, les tablettes, etc. Une partie est dédiée notamment à l’administration du système comme la création et la désactivation de compte utilisateurs, les préférences et autres. Cette ontologie répond aux spécifications de l’ensemble du système : les spécifications techniques faites par les développeurs et les spécifications médicales faites par les experts médicaux. Le travail initial et l’expérimentation ont permis de définir sur un profil du patient optimal avec toutes les informations pertinentes. L’ontologie d’application doit par ailleurs répondre aux contraintes de la CNIL comme la sécurité et la confidentialité des données médicales. Les ontologies de domaine Les ontologies de domaine vont compléter l’ontologie d’application en apportant un vocabulaire contrôlé, comme pour les pathologies, les symptômes ou les médicaments. Ces ontologies permettent d’apporter un langage de partage et de communication entre les différents acteurs du système. Grâce à la sémantique de ces ontologies, notre système peut interagir facilement avec d’autres systèmes. Ainsi, les données et les informations que nous traitons sont génériques et peuvent être issues d’autres applications (exemple : module de traitement des sons cardiaques). Ces ontologies sont définies par les experts médicaux et peuvent avoir des liens entre elles, par exemple relier les symptômes aux maladies. Les ontologies de domaines peuvent être construites de différentes manières. Cela dépend essentiellement du formalisme des ressources disponibles. Avec des techniques de fouilles de texte appliquées sur un corpus, un vocabulaire contrôlé est construit. Il est transformé en ontologie avec des relations entre les différents termes. Il existe des vocabulaires contrôlés dans la littérature qui peuvent être exploités et transformés en ontologies. Gavrivola et al. utilisent cette méthode pour construire deux ontologies, une pour les maladies et la deuxième pour les symptômes [23]. Grâce à la réutilisabilité des ontologies, les ontologies existantes dans la littérature comme celles construites par Gavrivola et al. [23] ou Dixon et al. [24] peuvent être réutilisées. Dans E-care, deux ontologies sont en cours de construction, une ontologie de domaine des médicaments, et une ontologie de domaine des maladies. Pour cela, deux classifications de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) sont utilisées. Une classification des médicaments ATC (anatomical therapeutic chemical) et une classification des maladies ICD (international classification of diseases). Le moteur d’inférence Le moteur d’inférences exploite des règles génériques qui évoluent avec l’état du patient. Les données inférées fournissent des recommandations et des conseils au patient en cas de besoin. Si des situations anormales sont détectées, le système envoie des alertes à l’équipe soignante qui va exploiter les données inférées fournissant des informations sur l’évolution de l’état de santé du patient. Les règles initiales sont définies par les experts médicaux et vont évoluer dans le temps par des techniques de fouille de données. Cette évolution est évidemment validée par les experts médicaux. Discussion La plate-forme E-care est composée d’un module chez le patient (capteurs et tablette), et d’un serveur. Elle est générique et peut s’adapter à d’autres maladies chroniques. Dans Benyahia et al. [4], la plate-forme générique a été présentée en introduisant une nouvelle source de données : un module d’analyse des sons cardiaques (ECG/PCG). D’autres ontologies de domaines peuvent ainsi être intégrées pour rajouter de la sémantique. E-care a été déployé dans le service de médecine interne du CHRU de Strasbourg qui participe par ailleurs à la filière insuffisance cardiaque mise en place récemment. Cette expérimentation a fait l’objet d’une première évaluation qui a été élaborée par l’équipe mt, vol. 20, n◦ 2, avril-mai-juin 2014 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 25/05/2017. d’ergothérapeutes du Centre expert national des TIC pour le handicap (Centich). L’expérimentation a été lancée en deux étapes : 1) première étape organisée avec l’aide des externes. Cette étape a permis de : • valider les processus de collecte, • stabiliser le système, • affiner la modélisation des données du patient ; 2) deuxième étape prise en charge par les infirmières de l’hôpital. Cette étape nous permet : • d’améliorer la phase opérationnelle du système : ◦ temps de prise des mesures : parallélisation des mesures pour diminuer le temps de prise en charge, ◦ ergonomie du système : le système doit être non intrusif et garantir la prise des mesures, ◦ fiabilité des mesures : le système doit détecter les mesures fausses dues notamment à des problèmes techniques ou à de mauvaises manipulations des capteurs ; • analyser la pertinence du raisonnement et affiner la modélisation des connaissances sur l’environnement médical du patient : ◦ évolution de la modélisation des connaissances sur l’environnement médical du patient ; ◦ précisions sur les règles d’inférence du système. Dans la première phase d’expérimentation, nous avons validé les capteurs sélectionnés et déployés dans le cadre d’E-care à l’aide d’un protocole prospectif de mesures comparatives concernant les dispositifs hospitaliers habituels de mesure (TA, FC, SaO2 , poids) et ceux du système E-care. L’analyse de ces différentes mesures montre une concordance entre les différents dispositifs utilisés au quotidien à l’hôpital et ceux proposés par la solution E-care. Le système fonctionne sans défaillance et cette première phase expérimentale a permis de valider les choix technologiques. Une enquête qualitative réalisée auprès des étudiants a permis d’évaluer positivement l’ergonomie du système. Une analyse préliminaire de la pertinence des alertes avec un premier moteur d’inférence n’a pas montré de dysfonctionnement. La seconde phase d’expérimentation est actuellement en cours dans le service depuis février 2014, plus de 60 patients sont à ce jour inclus. Les infirmières utilisent au quotidien les dispositifs de mesures E-care lorsqu’elles effectuent leur tournée auprès des patients. Cette phase inclura une enquête de satisfaction et de pratique sur l’ergonomie du système auprès des soignants. La collecte en continu réalisée lors de cette deuxième phase devrait in fine nous permettre d’avoir le nombre critique de patients pour analyser plus finement la pertinence des alertes. Conclusion Cet article présente la plate-forme E-care, une plateforme de télésurveillance médicale. Les systèmes de télésurveillance médicale s’appuient sur la collecte d’informations depuis des capteurs physiologies, environnementaux ou comportementaux. Dans les premiers systèmes, ces données étaient interprétées directement par les médecins. Mais avec l’avancement technologique, des systèmes experts ont été développés pour le traitement automatique de ces données. Nous avons étudié différentes propositions et solutions existantes dans la littérature et nous avons présenté les plus importantes. Nous avons proposé une solution générale qui s’appuie sur l’utilisation de différents types d’ontologies : une ontologie pour la gestion du système et des ontologies de domaine. Cette solution est basée sur un moteur d’inférence pour détecter toute évolution anormale de l’état du patient. Il utilise des règles définies par les experts médicaux ou générées par une fouille de données suivie d’une validation par les experts médicaux. Les premières phases de l’expérimentation faite aux hôpitaux universitaires de Strasbourg ont permis de valider le matériel (capteurs et tablette) et l’ergonomie de la plateforme E-care. Elles ont aussi permis d’adapter l’application mobile et le portail de service aux besoins des soignants. Enfin, elles ont rendu possible de travailler sur les alertes remontées et les règles d’inférences. La prochaine étape de l’expérimentation concerne le déploiement à domicile. Conflits d’intérêts : les auteurs déclarent ne pas avoir de lien d’intérêt en rapport avec cet article. Références 1. Barralon P. Classification et fusion de données actimétriques pour la télésurveillance médicale. 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