Devins et astrologues à Rome Aux temps de Juvénal, les cultes

Devins et astrologues à Rome
Aux temps de Juvénal, les cultes étrangers ont été introduits depuis longtemps à
Rome, par le biais des esclaves, des marchands étrangers. Ils ont le droit de les pratiquer, et les
ont transmis. Ces cultes répondent à une attente de la population romaine. Juvénal les précise
dans ce texte extrait de la satire VI. Il présente aussi les aspects de ces cultes avec un réalisme
étonnant, preuve que s'il n'y a pas participé (il les critique), il en est un bon connaisseur. Ce qui
confirme la thèse selon laquelle la pratique de ces cultes, si elle n'est pas majoritaire, est
implantée dans toutes les catégories de la population.
Decimus Iunius Iuvenalis n'est connu pratiquement que par les éléments
biographiques présents dans son oeuvre, les Satires ou dans les Epigrammes de Martial avec qui
il est lié. Il est né vers 65, à Aquinum en Campanie, il vit toujours en 127. Certains historiens
pensent qu'il est fils d'un riche affranchi, ce qui est peu probable car les affranchis sont l'objet de
ses Satires. Il a fréquenté l'école du grammairien, du rhéteur mais n' a pas fait d' études
philosophiques. Il a peut-être été flamine de Vespasien et officier de l'armée romaine. Il a été
exilé, peut être par Trajan. Sa vie se divise en deux étapes: il pratique l'éloquence puis se met à
écrire vers 96. Les deux premiers livres des Satires ont paru sous Trajan, les trois autres sous
Hadrien. Elles ont été retrouvées en plusieurs fragments.
La satire: se caractérise par une variété de forme (styles différents) et de fond (sujets différents).
Elles représentent une violente critique des moeurs de son temps, faites sous le coup de
l'indignation. « Et vous voudriez qu'on écrive autre chose que des satires! Qui pourrait se résigner
au spectacle des hontes romaines? » écrit-il dans sa première satire. Les satires mêlent la
rhétorique et l'art du trait, elles ne doivent pas être lues comme un témoignage historique mais
comme un pamphlet contre le pouvoir. La satire est en vogue à Rome (Horace, Perse en ont
écrit).
La satire VI a pour sujet les femmes. Juvénal présente les premiers temps de Rome
comme idylliques, il met cette époque en opposition avec l'époque contemporaine. La fin de la
Satire VI (l. 548-592) met en opposition la pratique de la religion traditionnelle et la manière
dont elle est pratiquée aux débuts de l'Empire. Cette critique se double d'une critique politique: la
décadence des moeurs est en rapport avec le régime. Il présente les requêtes des femmes aux
astrologues, les astrologues et les devins, puis, de manière plus précise les conséquences de la
pratique de l'astrologie et de la divination dans la vie quotidienne. Les astrologues et les devins
sont mis côte à côte dans ce passage car ils servent un même but: la connaissance de l'avenir.
Juvénal présente cette curiosité comme le propre des femmes, leur crédulité étant facile à
exploiter.
Dans quelle mesure peut-on faire la part entre la satire et la réalité dans ce texte? Le
témoignage de Juvénal comporte t-il une part de réel? Certains épisodes, relatés avec une grande
précision, ont pu être vécus. On peut se demander si cette précision tient au genre même de la
satire, à la participation (peu probable) ou à l'observation directe de certains événements. Amener
des éléments de réponse à cette question permettrait de comprendre plus exactement la pensée de
Juvénal en ce qui concerne les pratiques divinatoires et astrologiques à Rome et d'en faire une
interprétation basée sur des connaissances solides. Elle viserait à définir et à préciser ce que sont
l'astrologie et la divination, connaissance impossible sans une définition précise de ce que sont
les astrologues, les devins et leurs clients.
Juvénal procède à une critique des moeurs de son temps, mais donne des
renseignements, par le réalisme de sa description, sur ces pratiques. Par ce réalisme, la Satire VI
représente une source de valeur, un témoignage, pour la connaissance des pratiques divinatoires
et astrologique, elle peut être la base d'une réflexion plus approfondie.
I. La critique des moeurs de son temps
A. Le regret des moeurs antiques
Juvénal se montre nostalgique des moeurs antiques, cette nostalgie passe par la
critique des femmes, qui n'assurent plus leur rôle de gardiennes de la tradition.
La femme romaine traditionnelle telle que Juvénal l'entend se distingue par sa retenue et sa
modestie. Le citoyen romain, de même, était connu pour cela dans le monde antique. Juvénal
regrette les moeurs républicaines, ce sont elles qui semblent le plus se rapprocher du règne de
Saturne. Au début de la satire VI, il écrit qu'il veut « bien croire que, du temps du roi Saturne, la
Pudeur s'attarda en ce bas monde [...] alors que la fraîcheur des cavernes fournissait l'humble
demeure où s'enfermaient dans la même obscurité le foyer, les dieux lares, les troupeaux et leurs
maîtres ». Six cent vers de satire suivent cette description idyllique. La satire VI doit être lue avec
cette opposition en vue, elle vise à montrer à quel point la situation actuelle en est différente,en
énumérant les vertus traditionnelles et en les comparant avec les vices actuels. Si ce rappel est
bref, c'est parce que ces mythes appartiennent à la culture commune des romains.
Parmi les vices dénoncés par Juvénal se trouvent l'adultère. Les femmes sont
présentées comme en quête perpétuelle d'un « amant joli garçon » (l. 1). Alors que la romaine
traditionnelle reste fidèle à son mari. L'astrologie, la divination sont des prétextes à la débauche.
Trahir son mari, c'est introduire un sang étranger dans la famille. Les dieux participent au
mariage, ils donnent leur accord à l'introduction d'un nouvel élément dans la famille. L'enfant
illégitime n'a pas été reconnu par les dieux, il expose la famille à l'ira deorum (la colère des
dieux).
La crédulité est dénoncée. Elle entraîne une trop grande servilité vis à vis des dieux et des
astrologues. A tel point que l'on peut se demander lesquels sont les plus honorés dans l'esprit de
ces femmes. La fides, à laquelle il est fait allusion l. 16 (« son art aura plus de crédit encore »,
fides est traduit par crédit), est un sentiment que l'on peut réserver aux dieux dans le cadre de la
pax deorum.
Le pire vice dénoncé est celui qui consiste à souhaiter la mort de quelqu'un. La femme (Juvénal
procède à une généralisation) consulte l'astrologue « sur la mort trop lente de sa mère qui a la
jaunisse, mais c'est par [ son mari ] qu'elle commence » (l. 23-25). Evidemment, elle souhaite la
mort de son mari dans le but de le remplacer par un autre. Quant à sa mère, on peut soupçonner
les pires raisons de souhaiter sa mort. En ce sens, ces pratiques se rapprochent de la magie. Celle-
ci, par un rite, vise à influencer, voire forcer les dieux, ou les puissances maléfiques à prendre une
décision.
La religion traditionnelle qu'elles doivent préserver apparaît corrompue par les
étrangers. Dans ce passage, et en général, Juvénal considère que l'astrologie est une croyance
digne des femmes. En effet, il consacre une satire, une des plus longues, à ce thème. Dans ce
passage, des femmes uniquement sont mises en scène, mis à part les astrologues et les devins
dont le rôle est tenu par des hommes.
B. La femme et de l'étranger, vecteurs des nouvelles superstitions.
Les écrits de Juvénal peuvent sembler ambigus: à première vue, ils semblent
misogynes et xénophobes. Il critique deux catégories de la population jugées comme
particulièrement réceptives aux cultes étrangers, ici orientaux, capables de les développer. Dans
ce cas, la Satire VI serait plutôt un moyen pour manifester son regret des moeurs antiques. En
effet, qualifier les femmes de crédules est un lieu commun, de même qu'accuser les étrangers de
pervertir la religion, par des pratiques que l'on ne comprend pas. L'astrologie et la divination sont
présentées comme une superstition. Elle a une certaine force chez les femmes: l'art de l'astrologue
a du « crédit » (l. 16), Juvénal emploie le mot fides, plus fort, il s'agit de la confiance telle que
celle qu'on peut avoir dans les dieux (« Inde fides artis sonuit si dextera ferro laeuaque »).
Cette crédulité touche toutes les catégories sociales: « A celles qui sont riches, c'est un augure
phrygien,amené de là-bas à prix d'argent, un connaisseur des astres et du ciel, qui leur donnera la
réponse, ou encore quelque vieillard qui enterre la foudre au nom de l'Etat. Quant au destin de la
plébéienne, il se loge dans le Cirque ou sur le Mur ». Les personnes allant au cirque sont mal
vues, elles préfèrent l'oisiveté au travail. La femme qui cherche un astrologue, un devin sait
qu'elle peut le trouver le long de la muraille de Servius Tullius, encore debout. Même les augures
y participent. Parfois même, les femmes elles-mêmes lisent l'avenir, Juvénal exhorte à se méfier
de « celle qui ne consulte personnes et que déjà l'on consulte », faisant allusion à une semi-
professionnelle.
L'astrologie élaborée au deuxième millénaire à Babylone, revêt des caractères
éminemment religieux, voire scientifiques (au sens où la science est entendue dans l'Antiquité).
Elles risquent d'influencer la religion romaine.
Les devins et astrologues sont désignés par leur origine géographique: elle permet de distinguer
leurs compétences, mais en même temps cette appellation montre une certaine xénophobie de
Juvénal. Accuser les étrangers , c'est à dire les populations non latines, de corrompre la religion
romaine traditionnelle par le biais de l'introduction de nouveaux cultes est un grief classique. Les
étrangers ont le droit de pratiquer leur cultes sur le sol romain, cependant si celui-ci ne perturbe
pas le déroulement de la religion romaine. Pour Juvénal, les femmes et les étrangers sont
responsables de l'implantation des cultes et des pratiques orientales à Rome, au même titre que
l'empereur lui-même, qui les favorise; et se met en situation d'impiété (l. 11). Néron a selon lui
une part de responsabilité dans le silence de l'oracle d'Apollon.
C. La critique politique
Juvénal procède à une critique politique. En ce sens, la satire VI est un pamphlet: les
méfaits de Néron ont une importance sur l'Empire. La piété consiste à se rapprocher des Dieux
pour en avoir la protection, Néron ne respecte pas la pax deorum.
Juvénal fait allusion au pillage du sanctuaire de Delphes par Néron: une des
conséquences en est que« les oracles de Delphes ne se font plus entendre et [...] l'obscurité est le
châtiment du genre humain » (l. 11-12). Le fait que les dieux ne se fassent plus entendre est pire
que s'ils donnent de mauvais présages; leur silence signifie un abandon total des hommes,
presque irréversible (alors qu'il est toujours possible de comprendre quelle a été la faute si le
présage est mauvais, et y remédier par une supplication expiatoire).
L'astrologie a eu une grande importance sous le règne de Néron, elle peut être une
clé pour la compréhension de certains de ses agissements. L'auteur participe à la diffusion du
récit de cet épisode, dont on ignore la véracité. Pour Demetrius, philosophe cynique, Néron est un
fervent dévot d'Apollon. Dans une lettre, il écrit qu'il « éprouve de l'aversion envers les divinités
qui vivent et sont puissantes sous la terre » et qu'il a voulu « ôter de son culte tout ce qui relève
des forces sous terraines ». Dans cette lettre, il ne semble pas être hostile l'Empereur. Juvénal
reprend un thème présent cher Dion Cassius et Plutarque. Néron aurait consulté l'oracle
d'Apollon, aurait été satisfait de sa réponse. Mais par la suite une rumeur circule selon laquelle
des oracles l'auraient traité de parricide. Il est possible qu'il en ait rendu l'oracle de Delphes
responsable, il aurait pillé cinq cent statues de bronze, enlevé au temple son domaine, souillé
l'adyton en y jetant des cadavres. Cette dernière hypothèse pourrait concorder avec la lettre de
Demetrius.
T. Claudius Trasyllus (l. 37) a été l'astrologue de Tibère. Son fils, ou petit fils T.
Claudius Balbillus, a été celui de Néron, il a aussi été son maître. Ce serait lui, avec Agrippine la
Jeune, mère de Néron, qui l'aurait initié à l'astrologie. Néron, en gouvernant par l'astrologie et de
l'impiété, empêche l'Empire de prospérer: il l'expose à l'ira deorum (l'oracle d' Apollon à Delphes
est reconnu par les romains, il ne fait pas figure de culte étranger), et se montre un mauvais
exemple pour le peuple. De plus, l'astrologie étant en rapport avec les cultes orientaux, on peut
considérer que Néron délaisse les dieux de Rome. En effet, sous son règne, la Campanie a connu
une tempête, des épidémies ont sévi, ces catastrophes sont vécues comme une punition des dieux.
Selon Juvénal, il y a une corrélation entre le microcosme et le macrocosme: les
actions de l'empereur ont des conséquences sur le peuple: il montre l'exemple. Juvénal;
nostalgique de la République, regrette cette époque qu'il n'a pas connue et qu'il a idéalisée,
époque à laquelle les hommes vivaient selon le modèle romain idéal. Le citoyen-soldat pratique
une religion « pure », sans apports orientaux, sans supersitions, il fait preuve de modestie et de
retenue. Il s'oppose aux femmes, même celles des classes sociales inférieures, montrant leurs
bijoux de manière ostentatoire (l.53), et se laissant aller aux pires des superstitions.
Juvénal stigmatise l'ensemble de la société, mais ne se donne pas le rôle de la changer. En cela il
est fidèle à sa qualité de satiriste.
II. Les Satires: un témoignage.
Les satires peuvent êtres considérées comme un témoignage: Juvénal fait preuve
d'une grande précision dans la description des gestes: la femme qui souhaite connaître son avenir
adresse un signe au devin: « elle tirera au sort, elle tendra la main et le front au devin qui réclame
un claquement de lèvres réitéré » (l. 45-47). Juvénal nomme des astrologues et des devins
connus en son temps: Trasyllus (l. 37), Petosiris (l. 44), qui a écrit un recueil de questions-
réponses en prose et dont on connaît des fragments sur l'étude des signes su zodiaque et sur les
moments favorables et défavorables.
Si Juvénal n'a pas participé à ces pratiques, il a pu en être témoin. Par une énumération au
deuxième paragraphe, il semble dire qu'elles sont répandues.
A. Les protagonistes
Les protagonistes sont désignés de cinq manières différentes: « haruspice d'Arménie
ou de Commagène » (l. 4), »Chaldéens » (l. 8), « astrologue » (l. 9), « augure phrygien » (l. 48),
« devin » (l. 46) alors que le texte ne parle que de deux aspects des pratiques religieuses
orientales qui ont sensiblement le même but. On assiste, sinon à une confusion, à une imprécision
des observations de l'auteur. Le mot « chaldéen » à Rome a d'abord désigné les habitants de la
Chaldée, en Mésopotamie inférieure, puis les membres du clergé babylonien. Tous les
personnages mentionnés ont une origine orientale, leur lieu d'origine sert à les définir. Ils
viennent d' « Arménie et de Commagène » (l. 4), de Chaldée (l.8), de Phrygie (l. 48). Il s'agit
d'astrologues, d'haruspices ambulants. Selon leur lieu d'origine, ils sont spécialisés dans des
pratiques différentes.
« Plus grande encore est la confiance que les Chaldéens inspirent. Tout ce que dit
l'astrologue, elles se figurent que cela émane de la source même d'Hammon » (l. 8-10). Ce sont
les Chaldéens qui sont interrogés, plus que les dieux ou les puissances. A Babylone, les membres
du clergé observent les astres, afin de prédire l'avenir du royaume et de son souverain. Ils notent
les concordances entre les événements politiques, sociaux et les conjonctions planétaires pour en
tirer des vérités générales. Cette méthode est qualifiée de scientifique. Juvénal semble attester la
présence de membres du clergé babylonien à Rome, mais dans un but satirique insiste sur le fait
que le relais est souvent pris par des personnages peu recommandables: pour lui « un astrologue
n'a pas de génie, s'il n'a jamais été condamné » (l.19-20). En effet, la loi romaine interdit la
possession de traités de magie. (l. 19-20). Cette critique peut s'adresser au clergé babylonien
comme à ceux qui se disent astrologues ou devins sans en avoir les compétences.
Ces personnages continuent à pratiquer leur religion a Rome. Elle est présente dans leurs
pratiques divinatoires et astrologiques (une des caractéristiques de ces pratiques est justement
d'être en relation étroite avec la religion). Les astrologues et les devins, par le biais des femmes,
sont les vecteurs de la transmission des cultes orientaux.
La description de la « science » qu'ils pratiquent est elle aussi confuse.Juvénal par
ailleurs ne semble pas la qualifier de science. Il utilise le mot ars (l. 16), qui a pour sens « savoir
faire », plus au sens artisanal, habileté parfois en vue d'une action négative. Elles ont un but
essentiellement pragmatique. Il s'agit de divination et d'astrologie populaires, sensiblement
différentes de celles pratiquées en Perse.
B. Les fonctions médicales
« Le coin de l'oeil la démange-t-il pour l'avoir trop frotté, elle ne demande un collyre
qu'après vérification de l'horoscope » (l. 40-42). Juvénal qualifie les astrologues de charlatans: la
femme s'est fait mal elle-même, donc le remède devrait venir d'elle même. C'est aussi une
manière de critiquer les astrologues: se sont des charlatans.
Il souligne aussi le fait que ces médecines, associées à l'horoscope sont du domaine de la
croyance: « malade et alitée, elle ne croit pouvoir prendre de nourriture qu'à l'heure fixée par son
Petosiris » (l. 42-44). Juvénal utilise le verbe « croire », montrant l'incertitude de ces réponses, et
aussi il utilise le décalage entre le fait d'être malade et de demander un remède à un astrologue.
On voit que les astrologues n'ont pas de capacités quant à la création de remèdes (elle revient aux
médecins) mais leur administration doit passer par eux. En quelque sorte leur qualifications se
superposent et éclipsent celles des médecins.
L'action de l'astrologue ne guérit pas par elle-même. Mais les dieux jouent un rôle
par l'intermédiaire des astres. Le rôle est fixé de manière scientifique, « rationnelle » par le
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