Cavité supraconductrice
pour l’accélération d’électrons.
© D. SARRAUTE / CEA
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6CENTRE CEA DE SACLAY LE JOURNAL
DOSSIER Les promesses de la supraconductivité
6CENTRE CEA DE SACLAY LE JOURNAL
édito
Ce numéro du Journal de Saclay
met à l’honneur la supraconductivité,
fruit fortuit de recherches
fondamentales menées en 1911 par des
physiciens dans leur quête des basses
températures.
Aujourd’hui, la supraconductivité ne se
produit toujours pas à température ambiante.
Elle reste donc associée aux basses
températures, ce qui entraîne des coûts et des
contraintes qui en interdisent nombre
d’utilisations pour des applications courantes.
Il n’en reste pas moins qu’elle est indispensable
aux grands dispositifs expérimentaux de
recherche nécessitant de fortes puissances
électriques et des champs magnétiques
intenses.
Du point de vue des connaissances, c’est
toujours un thème de recherche brûlant car
l’origine physique du phénomène n’est pas
totalement élucidée.
L’utilisation de la supraconductivité est un des
savoir-faire du CEA, qu’il s’agisse de recherche
fondamentale, à Saclay comme à Grenoble, ou
d’applications à la
technologie des
accélérateurs de
particules comme
vous le découvrirez
dans ce dossier du
Journal de Saclay.
D’autres laboratoires
du Campus de Paris
- Saclay, parmi
lesquels le
Laboratoire de physique du solide1et le Centre
de physique théorique2, travaillent également
dans ce domaine.
Ce numéro du Journal vous permettra aussi de
voir que, suite aux récents appels d’offres
relatifs aux investissements d’avenir (ou
« grand emprunt »), des équipes du centre CEA
de Saclay sont présentes dans neuf
« laboratoires d’excellence » et bénéficieront,
avec leurs partenaires du campus, de cinq
« équipements d’excellence ».
Yves Caristan,
Directeur du centre CEA
de Saclay
Les promesses
de la
supraco
ès la découverte du phénomène, l'ima-
ginaire s'est emparé de la supraconduc-
tivité1et une image s'est rapidement
imposée à tous : la lévitation d'un aimant au-
dessus d'un échantillon dans l'état supraconduc-
teur ! Naviguer dans l’air comme sur la mer !
Cent ans plus tard, il est temps de trier entre
science-fiction et avancées bien réelles.
La supraconductivité est également associée
à l’utopie d’un transport de l’électricité sans
perte sur de longues distances et de son
stockage illimité dans le temps. Ces applica-
tions sont en réalité restées marginales (voir
encadré p. 5) parce qu’il est complexe et coû-
teux de refroidir des matériaux aux très basses
températures nécessaires pour bénéficier de
leurs propriétés supraconductrices (-250°C).
En revanche, l’utilisation de fils supraconduc-
teurs dans des bobines (électro-aimants) des-
tinées à produire des champs magnétiques
très élevés ou très homogènes s’est rapide-
ment imposée, tant pour les accélérateurs de
particules que pour les appareils d'imagerie
médicale par résonance magnétique nucléaire
(IRM). Ces deux domaines sont des spécialités
de l’Irfu2, à Saclay.
« Les » supraconductivités
Il y a tout juste vingt-cinq ans, la découverte
des cuprates , supraconducteurs à haute tem-
pérature critique (HTC) a réveillé les attentes.
La barre prévue jusque-là par la théorie
(-250°C) était franchie : il n’y avait donc plus
de limites conceptuelles à l’augmentation de la
température critique !
Le rêve d’une supraconductivité à température
ambiante pouvait reprendre. Essayez d’imagi-
ner un châssis de voiture supraconducteur,
une route pavée d'aimants : une dépense
énergétique minime suffit pour partir en week-
end ! Les éoliennes et les cellules photovol-
taïques ne délivrent-elles du courant que par
intermittence ? Qu’à cela ne tienne, l'énergie
produite peut être stockée indéfiniment et
sans perte !
Aujourd’hui, il existe plusieurs familles de
matériaux supraconducteurs à des températures
supérieures à celle de l'azote liquide4(avec un
record à -109°C sous pression) mais inférieu-
res à celle de la carboglace5. On est encore loin
de la température ambiante mais ces formes
particulières de supraconductivité n'étant pas
encore comprises, on peut espérer que la
découverte de leur origine permette d’optimi-
ser les performances de nouveaux matériaux.
Sans attendre cet aboutissement, les applica-
tions concrètes de la supraconductivité HTC
sont déjà là, encore discrètes ou confinées dans
les laboratoires. Elles concernent essentielle-
ment les circuits électroniques et les capteurs.
Découverte il y a cent ans, la supraconductivité est
loin d’avoir livré tous ses secrets. Ce phénomène
fascinant suscite toujours de grands espoirs mais
il ne se produit hélas qu’à très basse température.
Au centre CEA de Saclay, des physiciens cherchent
à mieux la comprendre et d’autres s’attachent
à l’exploiter pour la physique des particules
ou l’imagerie médicale.
1/ Unité mixte de recherche CNRS – Université Paris-Sud 11.
2/ Unité mixte de recherche CNRS – École polytechnique.
1/ Les mots en gras sont expliqués dans l’encadré
« Qu’est-ce que la supraconductivité ? » p. 3.
2/ Institut de recherche sur les lois fondamentales
de l’Univers. Voir p. 6.
3/ Céramiques composées d’oxydes de baryum,
de lanthane et de cuivre.
4/ Un litre d’azote liquide (-196°C) vaut moins de 0,5 e,
alors qu’un litre d'hélium liquide (-269°C) vaut plus
de 10 e.
5/ Dioxyde de carbone solide à -78°C.
D
L’ORIGINE
PHYSIQUE DE
CE PHÉNOMÈNE
N’EST PAS
TOTALEMENT
ÉLUCIDÉE
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CENTRE CEA DE SACLAY LE JOURNAL
La matière n’est inerte qu’en apparence. À l’échelle
des atomes, tout n’est qu’agitation. La température
donne la mesure de cette agitation. Pour autant
le « zéro absolu » (-273,15°C) ne signifie pas
immobilité parfaite. Quand la température baisse,
le courant électrique circule de mieux en mieux
mais, à l’approche du zéro absolu, la résistance
électrique de certains matériaux s’annule
brutalement, en-dessous d’une température
dite critique : il devient « supra » conducteur.
Les électrons se mettent à circuler sans dissipation
d’énergie, ce qui rend possible une sorte de
mouvement perpétuel ! Quand le courant électrique
parcourant le supraconducteur dépasse un certain
seuil (courant critique), le matériau retrouve ses
propriétés ordinaires et devient « résistif ».
Une autre propriété, non moins étonnante,
caractérise les supraconducteurs : l’effet Meissner.
Lorsqu’on approche un aimant au-dessus d’un
supraconducteur, un courant électrique circulaire
prend naissance dans ce dernier de manière à
annuler le champ magnétique en son sein. Comme
s’il expulsait le champ magnétique ! La force entre
ce courant et l’aimant explique la lévitation de ce
dernier au-dessus du supraconducteur.
Cette lévitation se distingue des forces de répulsion
observées entre les pôles de même nature de deux
aimants. Si on déplace le supraconducteur ou si
on le retourne, l’aimant le suit, comme s’il lui était
lié mystérieusement !
3
CENTRE CEA DE SACLAY LE JOURNAL
Les promesses de la supraconductivité DOSSIER
conductivité
Qu’est-ce que la supraconductivité ?
Des capteurs magnétiques
supraconducteurs ultrasensibles,
développés par des physiciens
du centre CEA de Saclay,
permettent de mesurer l’activité
cérébrale ou cardiaque de patients
(magnéto-encéphalographie ou
magnéto-cardiographie).
© F. VIGOUROUX / CEA
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4CENTRE CEA DE SACLAY LE JOURNAL
DOSSIER Les promesses de la supraconductivité
Des circuits électroniques
pour les télécoms
En électronique, un gain significatif en sélecti-
vité a récemment été obtenu pour le filtrage des
fréquences en introduisant des éléments supra-
conducteurs à haute température. De tels filtres
sont déjà utilisés pour séparer des signaux élec-
triques de télécoms que l'on a « mélangés » dans
des canaux pour les transmettre à distance. La
possibilité de mixer dans une même bande de
fréquences un plus grand nombre de conversa-
tions va permettre aux antennes de téléphonie
mobile de couvrir un espace plus vaste. Une fois
devenues elles-mêmes supraconductrices, ces
antennes pourront également être réduites en
taille.
Une révolution de l’imagerie
médicale
En matière de mesure, de nouveaux capteurs
magnétiques ultrasensibles sont développés
Les dates de la
supraconductivité
1911 : Découverte de la supraconductivité
par le physicien hollandais Heike Kamerlingh
Onnes.
1933 : Mise en évidence de l'effet Meissner.
1957 : Élaboration d’une première théorie
de la supraconductivité, dite BCS (Bardeen,
Cooper et Schrieffer) qui décrit des électrons
liés en « paires de Cooper » grâce à leur
interaction avec les vibrations des atomes
du matériau.
1962 : Découverte de l'effet Josephson :
des électrons appariés en paires de Cooper
peuvent traverser une couche mince isolante
ou conductrice (non supra) séparant deux
matériaux supraconducteurs.
1986 : Découverte de supraconducteurs à
haute température critique (HTC). La théorie
BCS n'est plus valide.
© PF. GROSJEAN / CEA
dans les laboratoires de l'IRAMIS6. Leur sensibi-
lité ultime7attise les convoitises du monde
industriel (détection de métaux), des militaires
et du milieu médical. Dans ce dernier domaine,
on peut citer la magnéto-cardiographie qui vien-
dra compléter l'électrocardiographie. Avec une
meilleure résolution temporelle, le détecteur
magnétique capte, sans pose d'électrode, le
signal cardiaque produit par les boucles de cou-
rant qui traversent notre corps.
Autre application en développement : la ma-
gnéto-encéphalographie, là aussi complémen-
taire de l'électro-encéphalographie, offre déjà de
nouvelles images fonctionnelles du cerveau.
Enfin, l'imagerie par résonance magnétique
(IRM), à bas champ magnétique, va pouvoir
se développer. Les IRM actuelles, avec leurs
aimants bruyants, sont trop rares, coûtent cher
(plus d’un million d’euros) et les listes d'attente
pour les examens sont longues. Demain, grâce
à la sensibilité des nouveaux capteurs supra-
conducteurs, de simples bobines de cuivre
suffiront pour réaliser des appareils plus légers
et consommant peu d'énergie. L'IRM pourra
être acheminée en urgence au chevet du ma-
lade, qu’il soit porteur ou non d’implant mé-
tallique, et permettra le suivi des grands
prématurés.
Vers l’ordinateur quantique ?
Dernière application à laquelle travaillent les
chercheurs de l’IRAMIS : les circuits électriques
quantiques. Une fois refroidis à très basse tem-
pérature, ces circuits macroscopiques présentent
un comportement globalement quantique,
offrant alors toute la richesse du monde micros-
copique : ils peuvent notamment se trouver à la
fois dans deux états électriques normalement
incompatibles. Les chercheurs rêvent d’utiliser
ces composants comme éléments « mémoire »
d’un futur calculateur quantique, capable de
traiter l’information bien plus efficacement
qu’avec nos ordinateurs actuels. Pour cela, il est
La supraconductivité
a déjà des applications
concrètes. »
«
Les champs magnétiques des IRM sont produites
par des aimants supraconducteurs. Ici, IRM à
7 teslas de NeuroSpin, au centre CEA de Saclay.
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CENTRE CEA DE SACLAY LE JOURNAL
indispensable de construire ces circuits en maté-
riaux supraconducteurs car les propriétés quan-
tiques d’un objet sont si fragiles qu’elles tendent
à disparaître très vite quand cet objet interagit
avec le reste du monde. Ainsi, le faible frotte-
ment des électrons circulant dans un métal non
supraconducteur suffit à réduire de manière
catastrophique la « durée de vie quantique » de
ces circuits. Dans ce domaine, les applications
concrètes sont encore très lointaines, mais les
spécialistes réalisent aujourd'hui les éléments
de base indispensables pour progresser vers un
calculateur véritablement quantique.
Des portes ouvertes sur de
nouveaux progrès technologiques
Ces développements sont les conséquences
directes de la découverte très fondamentale de
la supraconductivité à haute température, il y a
vingt-cinq ans. Ce n'est finalement pas très long
pour faire éclore des innovations qui ne sont pas
celles de nos vieux rêves de science-fiction ! La
connaissance est là et doit encore progresser, la
technologie l’accompagne, de nouveaux progrès
sont en route. Aujourd'hui, aucun argument
scientifique ne nous autorise à prédire l’avène-
ment de la supraconductivité à température
ambiante. Il est cependant probable qu’un jour,
la recherche fondamentale permettra d’expli-
quer « les supraconductivités ». Gageons que
celles-ci continueront longtemps à frapper nos
imaginations, comme autant de portes ouvertes
sur de nouveaux progrès technologiques.
Luc Barbier
6/ Institut rayonnement et matière de Saclay.
7/ De l'ordre du femtotesla ~10-15 tesla, ~10-10 fois
le champ magnétique terrestre.
Les promesses de la supraconductivité DOSSIER
Zéro absolu
0 Kelvin ou K
-273,15°C
ÉCHELLE DE TEMPÉRATURES CRITIQUES DE MATÉRIAUX SUPRACONDUCTEURS
Aluminium
1,19 K
Étain
3,71 K
Mercure
4,15 K
Plomb
7 K
Niobium
Cavités des
accélérateurs
de particules
9,3 K
Pnictures
28 K
Cuprates
Composants télécom,
future IRM portative
35 K - 138 K
Alliage de
niobium titane
Aimants des
accélérateurs
de particules
et des IRM
9,3 K
Alliage de niobium étain
Futur aimant de l’IRM
à 11,7 teslas de NeuroSpin
18,3 K
Température de
l’hélium superfluide
2,17 K - 270,98°C
Température de
l’hélium liquide
4,22 K
Le saviez-
vous?
0°C
273,15 K
Au CERN, le LHC (Grand collisionneur de hadrons) est équipé d’immenses
détecteurs de particules. L’un d’eux, Atlas, compte notamment huit bobines
supraconductrices qui font chacune 25 m de long sur 5 m de large, et
dont l’alimentation électrique nécessite un courant de 20 500 ampères !
© CERN / CLAUDIA MARCELLONI
Coupe du câble supraconducteur de transport électrique
le plus long et le plus puissant du monde, développé et
fabriqué par Nexans, pour l’un des principaux opérateurs
de réseaux électriques américains.
© CERN / CLAUDIA MARCELLONI
À Long Island (New-York), un câble supraconducteur
en cuprate, maintenu à -196°C, transporte du courant
sur 600 mètres. Intégré au réseau de distribution électrique,
il alimente près de 30 000 foyers depuis 2007. Les fils
supraconducteurs peuvent transporter plus de 150 fois plus
de courant que des fils en cuivre de même diamètre.
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