Korea Analysis • 21
Cette erreur de lecture commise par la plupart
des spécialistes de la Corée du Nord est
essentiellement due à leur surestimation de
l’inuence de Jang Song-taek. Ce dernier
était bien sûr l’un des principaux membres
de l’élite nord-coréenne. En tant que directeur
du département de l’administration du CC
du Parti, Jang Song-taek avait une inuence
importante sur le Cabinet et les organes
de sûreté de l’État. Mais son inuence sur
l’armée était très limitée. Ni son poste de
directeur du département de l’administration
du CC du Parti, ni celui de vice-président de
la CDN ne lui ont permis d’intervenir dans la
nomination des cadres de l’armée et dans
les décisions militaires importantes. La CDN,
souvent considérée par des spécialistes
comme «l’organe de décision le plus puissant
du pays», n’est pas, en réalité, un organe de
décision de politiques importantes, mais un
organe d’exécution des décisions prises par
le CC du Parti, la Commission militaire centrale
(CMC) du Parti17 et le Leader.
En Corée du Nord, régime socialiste, l’armée
n’est pas celle de l’État (ou de la République),
mais celle du Parti. Ainsi, lors de la cérémonie
d’inauguration des statues de Kim Il-sung et de
Kim Jong-il, à l’université militaire Kim Il-sung,
en octobre 2012, tous les vice-présidents de
la CDN de la République portaient la tenue de
la Garde rouge des ouvriers et des paysans
(GROP), tandis que les principaux dirigeants
de l’armée étaient en tenue de combat. Ce
détail montre que la CDN, une institution
étatique, ne dirige pas l’armée régulière. Il est
également peu probable que le limogeage de
Jang Song-taek ébranle l’armée ou que la
purge s’étende jusqu’aux rangs de celle-ci.
Contrairement à Jang Song-taek,
17 Voir Cheong Seong-chang, « La commission
militaire centrale du Parti des travailleurs et la
succession du pouvoir en Corée du Nord », Où va la
République populaire démocratique de Corée? (Paris :
L’Harmattan, 2013), p. 99-112.
Kim Jong-un intervient dans la nomination
des cadres militaires depuis février 2009 et
a donc pu remplacer graduellement la vieille
garde par des élites militaires plus jeunes et
plus loyales à son égard. Kim Won-hong qui,
en tant que vice-directeur du département
politique général de l’armée, avait épaulé
Kim Jong-un pour contrôler les hauts
responsables militaires, est l’un des proches
du dirigeant actuel et le ministre de la Sûreté
nationale depuis avril 2012. Kim Jong-un
ayant occupé le poste de ministre de la Sûreté
nationale d’avril 2009 jusqu’en avril 201218, il
avait pu surveiller les activités des principaux
membres de l’élite nord-coréenne.
Par conséquent, la plupart des hauts
dignitaires du régime devaient exprimer leur
loyauté non pas envers Jang Song-taek, mais
envers Kim Jong-un. C’est pourquoi il n’y
pas eu de grande purge parmi les principaux
membres du Parti, de l’État et de l’armée
après l’exécution de Jang Song-taek.
Les causes de la l’élimination de Jang
Song-taek
Lors de la session élargie du Bureau politique
du CC du Parti, le 8 décembre 2013, les
cadres du Parti ont accusé Jang Song-taek
d’avoir feint de soutenir le Parti et le Leader,
et d’avoir commis « des actes factieux ».
Selon les journaux nord-coréens, « mû par
son ambition politique, Jang Song-taek a
cherché à élargir ses forces et à établir sa base
en plaçant dans des sections du CC du Parti
et parmi les rangs de cadres d’autres unités,
des proches qui ont été punis pour avoir
commis de graves fautes». Les sources ont
aussi afrmé que «le PTC a lancé à plusieurs
reprises des avertissements et des attaques à
l’encontre de Jang Song-taek et de sa clique
en connaissant et en suivant de près depuis
18 Information maintenue secrète jusqu’à
aujourd’hui.