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« Dépistage des Cancers » par le Professeur Jean-Pierre GERARD. 12 mars 2003
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Par le Professeur Jean-Pierre GERARD
I. DEFINITION « Tout patient bien portant est un malade qui
s’ignore »
Une grande confusion règne souvent dans l’esprit des médecins quant au sens exact des mots
dépistage, prévention ou diagnostic. Il est essentiel de s’entendre sur une définition précise de ces
mots qui recouvrent des réalités pratiques radicalement différentes.
PREVENTION
Le cancer trouve sa cause dans notre environnement et/ou style de vie dans les 2/3 des cas.
La prévention consiste à éliminer l’un de ces facteurs pour éviter l’apparition du cancer.
Exemple : on supprime le tabac et l’on fait disparaître (en 15 ou 20 ans) la grande majorité des
cancers du poumon.
DEPISTAGE
Le cancer, avant de donner des symptômes et d’émerger sur le plan clinique, est précédé
d’une vie infra clinique clandestine (parfois longue de plusieurs années).
Dépister c’est utiliser un test (un examen) pour détecter chez une personne en apparente bonne
santé un cancer latent. « Toute personne bien portante est un malade qui s’ignore ». Le dépistage ne
met pas à l’abri du cancer, au contraire, il expose à la découverte anticipée d’un cancer latent
ignoré.
DIAGNOSTIC
C’est l’acte d’affirmer l’existence d’un cancer (généralement grâce à l’examen anatomo-
pathologique) chez une personne qui consulte pour un symptôme (tumeur, hémorragie, etc…). Un
diagnostic précoce est un diagnostic réalisé rapidement (délai court entre le symptôme, la
consultation et le diagnostic). Il n’est pas synonyme de diagnostic « à un stade précoce » car l’on
peut diagnostiquer rapidement un cancer déjà localement évolué, voire d’emblée « généralisé »
(métastatique).
II. INTERET DU DEPISTAGE « Guérir plus, mutiler moins »
L’objectif du dépistage en cancérologie est de détecter un cancer pendant sa période infraclinique à
un stade précoce de son évolution avant notamment qu’il ait essaimé à distance dans les ganglions
ou dans les organes type foie, poumon, os, cerveau…On sait que cette période infraclinique peut
durer plusieurs années et qu’il y a notamment pour les carcinomes (cancer d’origine épithéliale) une
évolution progressive à partir de l’épithélium normal vers un épithélium hyperplastique puis
dysplastique, puis vers le carcinome in situ, micro invasif…
Si l’on est capable de découvrir le cancer pendant la phase de dysplasie (plus ou moins sévère ou de
haut grade) et si l’on traite cette dysplasie, on dit que l’on empêche l’apparition du cancer en traitant
une lésion précancéreuse. On fait ainsi la prévention secondaire (par opposition à la prévention
primaire) du cancer. C’est le cas des dysplasies du col utérin détectées par les frottis vaginaux. A un
degré moindre, c’est le cas de l’exérèse des polypes du colon-rectum détectés par recherche de sang
dans les selles ou par coloscopie.
Le dépistage d’un cancer à deux avantages principaux :
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1) Si l’on découvre un cancer asymptomatique alors qu’il ne mesure que quelques millimètres
cube de volume, ses chances de guérison par exérèse chirurgicale (et/ou irradiation) seront très
grandes. Le but essentiel du dépistage est donc de « traiter les patients plus tôt pour mieux les
guérir et qu’ils vivent plus longtemps ».
2) Si l’on découvre grâce au dépistage un cancer à un stade précoce, son traitement sera non
seulement plus efficace en terme de guérison mais encore plus simple et moins mutilant. Ainsi
un cancer de sein de 1 cm de diamètre dépisté par mammographie sera traité en conservant le
sein, le même cancer diagnostiqué 1 ou 2 ans plus tard avec une taille de 4 cm imposera souvent
une mastectomie (sans compter un risque de métastase accru donc une survie moins bonne).
De plus, la guérison d’un « petit » cancer engage une charge financière moindre que le
traitement d’un cancer évolué.
III. LE DEPISTAGE EST REALISE A L’AIDE D’UN TEST
Le dépistage s’adresse à des personnes bien portantes. On cherche à détecter une éventuelle lésion
asymptomatique, il faut donc utiliser un examen, variable selon ce que l’on cherche, que l’on
appelle test. Ce test doit être simple et non traumatisant, non agressif sinon aucune personne
n’acceptera de s’y prêter.
Ce test sera, par exemple, un frottis vaginal pour le cancer du col utérin, une mammographie pour le
cancer du sein.
Si ce test doit être simple, il doit surtout être « fiable » c’est à dire associer deux qualités souvent
contradictoires :
- être sensible : le test est positif dès que la maladie apparaît, il donne dons peu de faux négatif.
- Etre spécifique : le test n’est positif qu’en présence de la maladie, il donne donc peu de faux
positif.
Le frottis du col est un bon test, à la fois sensible est spécifique, cela est moins vrai pour la
mammographie. La radiographie du poumon est peu sensible pour détecter un petit cancer
bronchique. Les marqueurs tumoraux sont généralement très peu sensibles et souvent peu
spécifiques. Les contrôles de qualité sont de plus en plus indispensables pour s’assurer de la fiabilité
des tests utilisés. Le test doit avoir un coût acceptable sur plusieurs plans.
- coût psychologique : il ne faut pas créer la cancérophobie, il ne faut pas alerter à tort. Il ne faut
pas déclencher une cascade d’examens inutiles, voire agressifs, à la suite d’un taux trop élevé de
test avec résultat faux positifs.
- coût biologique : des mammographies répétées notamment avant 50 ans et encore plus avant 40
ans entraînent une certaine irradiation du sein que certains radiobiologistes considèrent comme
dangereuse (risque cancérigène).
- Coût financier : « la santé n’a pas de prix, mais elle a un budget ».
La maîtrise des dépenses de santé impose d’étudier le coût/bénéfice des campagnes de
dépistage. Il s’agit d’opération très lourde en terme de santé publique. Elles doivent être
évaluées de façon rigoureuse.
IV. QUEL DEPISTAGE – PAR QUI ?
L’O.M.S. recommande de faire un dépistage pour des cancers fréquents qui posent un problème de
santé publique (par exemple le cancer de l’estomac au Japon) et pour lesquels on dispose d’un
traitement efficace (serait-il utile de tenter de dépister les glioblastomes ?). On oppose plusieurs
situations :
A. Dépistage organisé
on soumet une population à une campagne de dépistage. C’est le cas le plus classique. Il s’agit
d’une vaste étude soumise à une évaluation scientifique. L’existence d’un registre du cancer dans la
région étudiée facilite l’évaluation du dépistage. Le dépistage peut être actif, les personnes étant
convoquées personnellement pour se soumettre au test. Il peut être passif , les personnes étant
informées par voie de presse ou d’affiches ou médias divers de l’intérêt de participer à la campagne
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de dépistage. La mesure de taux de participation est un critère important pour juger de l’efficacité
de la campagne.
B. Dépistage individuel ou spontané :
c’est celui réalisé en dehors d’une campagne par un médecin face à une « personne à risque » ou qui
est demandé par un patient qui s’estime à risque. Ce dépistage difficile à évaluer est parfois à la
frontière entre dépistage et diagnostic.
Notion d’une population à risque : il se rapproche du dépistage de masse dans le mesure où l’on
cherche à dépister une large part de la population. Celle-ci est généralement sélectionnée sur
certains critères simples comme l’âge ou le sexe.
Le médecin généraliste est souvent le mieux placé pour faire le test de dépistage ou le conseiller.
Les enquêtes montrent que c’est effectivement le conseil du médecin qui convainc le mieux un
patient d’accepter un test de dépistage. C’est souvent le médecin généraliste qui recevra le résultat
du test et qui devra conseiller le patient. Tous test positif impose un ou des examens
complémentaires. Un test négatif devra être répété à intervalles réguliers (2 ou 3 ans) mais pas trop
fréquemment. L’un des points essentiels du dépistage est de réussir à atteindre la bonne population
qui est vraiment à risque. On sait par exemple que pour le cancer du col utérin, les femmes à risque
(partenaires multiples, hygiène médiocre, rapports sexuels précoces…) sont celles qui se soumettent
le moins aux frottis vaginaux.
V. LE BENEFICE DU DEPISTAGE N’EST PAS EVIDENT A DEMONTRER
Dans une population non dépistée, la médiane de survie de l’ensemble des cancers du sein
diagnostiqués à l’occasion d’un symptôme est de 5 ans. On décide d’organiser une campagne de
dépistage et l’on constate que les cancers dépistés ont un médiane de survie de 7 ans. Cela ne
prouve pas que l’on a fait un progrès en terme de survie et de guérison. On a peut être simplement
« rendu les patients malades » 2 ans plus tôt mais au « bout du compte » elles sont décédées à la
même date. Le temps gagné au début de la maladie n’a pas été suffisant pour détecter le cancer
avant qu’il n’ait déjà essaimé ses métastases.
Effectivement, le dépistage expose à trois biais méthodologiques importants qui doivent être pris en
compte dans l’évolution de l’efficacité d’un dépistage.
- L’avance au diagnostic ou intervalle latent.
Comme il a été déjà dit, le dépistage consiste à avancer « artificiellement » la date de début de la
maladie. Si l’on gagne ainsi 1 ou 2 ans dans la précocité du diagnostic, il n’y a aucun gain en terme
de guérison à passer de 5 à 6 ou 7 ans dans la survie du groupe dépisté.
- Les cancers dépistés sont les « bons » cancers.
Le test de dépistage est réalisé tous les 2 ou 3 ans selon les cas, ainsi les cancers à « évolution
rapide » auront tendance à être découverts dans l’intervalle des campagnes de dépistage et au
contraire les cancers à « marche lente » seront détectés lors des tests de dépistages. Cela est vrai
notamment dans les premières années d’une campagne de dépistage où l’on détecte l’incidence et la
prévalence. Il est ainsi normal que si l’on compare les cancers diagnostiqués par dépistage et ceux
diagnostiqués à l’occasion d’un symptôme (cancer de l’intervalle), les premiers aient un meilleur
pronostic. Le dépistage apparaîtra comme faussement bénéfique en terme de survie.
- Surdiagnostic.
Les tests de dépistage (mammographie, PSA, Hémoccult ®) amènent à découvrir des cancers de
plus en plus « petit ». La frontière entre benin, in situ ou cancer microinvasif est souvent difficile à
définir sous le microscope. L’histoire naturelle de certains cancers (prostate, in situ du sein ou du
col) n’est pas connue avec certitude. Au début d’une campagne de dépistage, on débusque les
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cancers incidents de l’année mais aussi ceux qui seraient apparus 2 ou 3 voire 5 ans plus tard (« To
fish the pound out »). Tout cela entraîne une augmentation parfois spectaculaire du nombre de
cancer (taux d’incidence) et explique en particulier le nombre actuel de cancer incident en France
en très forte croissance alors que la mortalité reste stable depuis 15 ans, aux environ de
150 000 décès annuels par cancer.
- Seules les études randomisées permettent de prouver le bénéfice du dépistage lorsque le
bénéfice en terme de survie est modeste.
Si l’on veut prouver que le dépistage fait mieux que le diagnostic au moment du symptôme, il faut
donc pouvoir comparer ces deux méthodes « toutes choses égales par ailleurs ». Il faut donc
constituer 2 populations identiques par allocation aléatoire (randomisation). L’une est soumise au
dépistage, l’autre est observée et l’on regarde le nombre de cancers survenants dans les deux
groupes, le stade des cancers dépistés et diagnostiqués et surtout l’âge moyen des malades dans les
deux groupes et leur survie. De telles études ont été faites pour le cancer du sein à New York dans
les années 1970 et en Suède dans les années 1980. L’enquête suédoise montrant que sur
130 000 femmes étudiées, le dépistage par un seul cliché mammographique oblique permet de
réduire de 30% la mortalité par cancer de sein après 6 ans chez les femmes de plus de 50 ans. Avant
la ménopause, les seins sont trop radio-opaques et le test n’est plus assez sensibles pour permettre
un gain significatif.
Il n’existe pas d’essais randomisés pour le cancer du col utérin et le frottis vaginal, mais dans ce
cas, le bénéfice « semble évident ». En Colombie britannique où depuis 1945 le frottis est pratiqué
chez toutes les femmes, la mortalité par cancer du col a diminué de façon spectaculaire. On constate
également une diminution de l’incidence car le traitement des dysplasies du col utérin réalise la
prévention secondaire du cancer du col utérin. En Islande et au Danemark des campagnes de
dépistage ont été instaurées depuis 1965 et le registre des cancers permettent d’observer une baisse
très importante de l’incidence et encore plus de la mortalité par cancer du col utérin. A l’inverse, en
Norvègeil n’y a eu aucune campagne de dépistage l’incidence et la mortalité du cancer du col
utérin restent stables depuis 30 ans.
Actuellement, le dépistage du col utérin a fait la preuve de son efficacité. Il en est de même pour le
dépistage du cancer du sein par mammographie après 50 ans. On sait que l’autopalpation des seins
est inutile pour réduire la mortalité par cancer du sein.
Pour les cancers du colonrectum, l’étude bourguignone qui a utilisé le test temoccult®II tous les 2
ans avec lecture centralisée et coloscopie en cas de test positif, a montré une baisse de mortalité de
14% après 8 ans.
Pour les autres cancers, le dépistage reste en évaluation notamment pour le cancer de la prostate.
VI. LE DEPISTAGE EN PRATIQUE QUOTIDIENNE
VI-1 DISPOSITIF DU DEPISTAGE ORGANISE
La loi 63-1241 du 19 décembre 1963 a confié aux départements la responsabilité et le financement
de « la lutte contre le cancer organisée pour exercer le dépistage précoce des affections cancéreuses
et la surveillance après traitement des anciens malades » (article L.1423-1 du code de la santé
publique).
La loi de financement de la sécurité sociale (LFSS) pour 1999 du 23 décembre 1998 a créé l’article
L.1411-2 du code de la santé publique. Cet article stipule qu’ « au vu des conclusions de la
conférence nationale de santé, des programmes de dépistage organisé de maladies aux
conséquences mortelles évitables sont mis en œuvre dans les conditions fixées par voie
réglementaire sans préjudice de l’application de l’article L.1423-1. La liste de ces programmes est
fixée par arrêté des ministres chargés de la santé et de la sécurité sociale ». Un certain nombre de
textes réglementaires sont venus compléter ce dispositif.
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Il ressort de ces différents textes que le dépistage organisé de certains cancers est mis en œuvre au
niveau départemental ou interdépartemental par des « structures de gestion ». Ces dernières
prennent la forme juridique d’associations de type « loi 1901 » ou de groupement d’intérêt public.
Ces structures de gestion sont créées et financées par les conseils généraux et par les organismes
d’assurance maladie. Les professionnels de santé y sont représentés.
L’architecture retenue pour les dépistages organisés comprend donc trois acteurs : les conseils
généraux, l’Etat, l’Assurance maladie.
On constate, aujourd’hui, que le niveau de participation financière et d’implication des conseils
généraux est très variable d’un département à l’autre.
VI-2.CANCER DU SEIN
VI-2-1. EPIDEMIOLOGIE
Le cancer le plus souvent responsable du décès chez la femme est le cancer du sein (19% avec
11 637 décès en 2000). Entre 1980 et 2000, le nombre des cancers du sein a augmenté de près de
60%, expliquant à eux seuls 93% de l’augmentation globale de l’incidence des cancers chez les
femme. Cette augmentation est en partie expliquée par un diagnostic plus précoce, en relation avec
le dépistage spontané et organisé.
Les données de GLOCAN (Centre International de Recherche sur le Cancer (CIRC) pour 2000,
indiquent un taux standardisé sur l’âge (standardisé sur le monde) de 83.19 pour 100 000 femmes.
Parmi les pays comparés, seuls les Pays-Bas ont une incidence supérieure à celle de la France.
Incidence brute Incidence ajustée
sur âge
Taux de mortalité
brut
Taux de mortalité
ajusté sur l’âge
France 122,82 83,19 38,08 21,41
Allemagne 123,25 73,65 45,64 23,74
Italie 108,63 64,87 40,36 20,66
Pays-bas 136,55 91,64 46,57 27,76
Suède 133,85 81,03 34,02 17,48
Royaume Uni 116,27 74,93 48,14 26,81
Canada 117,38 81,78 35,66 22,75
Taux d’incidence et de mortalité
D’une étude EUROCARE comparant, Italie, Allemagne, Angleterre, Espagne et Pays Bas, il ressort
que la France a le meilleur taux de stade précoce au diagnostic (T0N0M0) et un des plus faibles
taux de stade avancé métastatique, M1 (juste après l’Espagne).
Nombre de
cas
Stade au diagnostic
T1N0M0 T2-3N0M0 T1-3N+M0 T4 M1 NA
France
(8 registres)
1815 34,1 17,3 30,3 5,1 5,6 7,5
Italie
(4 registres)
1193 29,2 19,3 31,3 6,9 5,7 7,6
Pays bas
(1 registre)
510 32,5 19,6 31,4 9,2 5,9 1,4
1 / 16 100%