Peste porcine africaine : émergence explosive ou globalisation

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éditorial
Virologie 2012, 16 (6) : 339-41
Peste porcine africaine : émergence explosive
ou globalisation silencieuse ?
Marc Savey
doi:10.1684/vir.2012.0467
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Tirés à part : M. Savey
L
es maladies transmissibles très contagieuses évoluant chez l’homme ou
l’animal sous des formes épidémiologiques de type pandémique ou épizootique ont longtemps constitué des fléaux incontrôlables. Pourtant, le
progrès des connaissances a permis le développement de méthodes et moyens
de lutte efficaces permettant d’envisager leur éradication globale. Celle-ci ne
peut être obtenue que dans le cadre de politiques clairement définies et soutenues pendant de longues périodes ; c’est ainsi que deux maladies d’origine
virale, la variole humaine et la peste bovine, ont été complètement éradiquées
du globe terrestre [1]. Malheureusement, ces succès ne sont que des exceptions face au développement des émergences et à la persistance de la circulation
de nombreux pathogènes qui ne cessent de s’adapter aux évolutions de leur
environnement.
Cette situation est particulièrement préoccupante en santé animale où les moyens
mobilisables en termes de ressources humaines ou technologiques sont toujours
très limités, notamment dans les pays où persistent des agents, le plus souvent
viraux, responsables d’épizooties, comme ceux de la fièvre aphteuse ou de la
peste équine, ou de maladies zoonotiques comme la rage.
La situation de la France et de nombreux autres états membres de l’Union
européenne (UE) est de ce point de vue particulièrement satisfaisante car la
plupart de ces maladies y ont été éradiquées. Elle nécessite, néanmoins, une
vigilance sans faille compte tenu de leur présence sur d’autres continents.
Ainsi le risque de réintroduction reste permanent comme l’ont bien montré
la vague épizootique de fièvre aphteuse en Grande-Bretagne en 2001 ou les
quelques cas importés de rage canine en France au cours des années 2000.
D’autres maladies animales, absentes du continent européen depuis des durées
significatives, semblaient devoir rester confinées dans leur continent d’origine,
comme la peste porcine africaine. Pourtant, elle a entamé un nouveau cycle
épidémiologique depuis 2007 qui en fait un des dangers les plus préoccupants
pour l’UE compte tenu de ses caractéristiques virologiques et épidémiologiques
[2].
La peste porcine africaine (PPA ou African swine fever) est une maladie infectieuse, très contagieuse, strictement limitée aux suidés domestiques (porcs) et
sauvages (sangliers en Europe, phacochères et potamochères en Afrique). Elle
se développe sur un mode épizootique lors de son introduction dans les élevages
de régions jusqu’alors indemnes [2, 3]. Elle provoque des pertes considérables
chez les porcs et les sangliers où elle se manifeste par un syndrome hémorragique hyperthermisant régulièrement mortel (taux de létalité de plus de 95 %)
dans les formes aiguës et suraiguës qui évoluent en quelques jours à l’issue d’une
incubation de 5 à 15 jours. Elle peut persister sur un mode enzootique dans les
régions où existent une ou plusieurs espèces réservoirs, le plus souvent constitués par des suidés sauvages réceptifs mais non sensibles (capables de répliquer
le virus sans être malades). Cette dernière situation est observée dans le berceau
est-africain où la PPA a été identifiée au cours des années 1920. Dans ce cadre,
le rôle de certaines tiques molles du genre Ornithodoros dans la transmission
Virologie, Vol 16, n◦ 6, novembre-décembre 2012
Pour citer cet article : Savey M. Peste porcine africaine : émergence explosive ou globalisation silencieuse ? Virologie 2012; 16(6) : 339-41 doi:10.1684/vir.2012.0467
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du virus de la PPA entre individus réceptifs est prouvé,
faisant de la PPA une arbovirose au sein de l’écosystème
réservoir. Néanmoins, il ne faut pas oublier qu’au sein des
espèces sensibles, la transmission se fait essentiellement par
contact direct entre animaux ou indirect par l’intermédiaire
de l’alimentation ou l’environnement contaminé.
L’agent étiologique est un virus très original à ADN doublebrin, enveloppé et à symétrie icosaédrique. Il appartient à
la famille des Asfarviridae dont il est le membre unique.
Le séquençage du génome complet a permis d’identifier
près de 150 gènes dans une organisation génomique assez
proche de celle des poxvirus. Les méthodes de génotypage moléculaire ont permis de caractériser 22 génotypes
majeurs qui sont des identifiants essentiels pour comprendre la circulation des souches virales et l’épidémiologie
de la maladie correspondante. Au sein de chaque génotype, il existe une variabilité du pouvoir pathogène dont les
supports sont encore mal connus.
Le virus de la PPA est particulièrement résistant à une
large gamme de pH et de températures, ce qui explique
son extraordinaire persistance dans les denrées alimentaires issues d’animaux contaminés ou dans les milieux
qu’ils ont contaminés. Ainsi il peut résister plus de deux
ans dans une viande congelée et plus de trois mois dans
un sang à température ambiante. De même à la différence
de nombreux autres virus comme celui de la fièvre aphteuse, il n’est pas inactivé par la maturation lactique des
viandes après abattage. Il est donc capable de persister
dans de nombreuses denrées alimentaires ou des déchets
de cuisine communément dénommés « eaux grasses ». Ce
sont probablement ces « eaux grasses » qui constituent le
vecteur essentiel de la dissémination intercontinentale de
la maladie hors de son berceau est-africain. Il s’agit, en
effet, de déchets beaucoup plus difficiles à contrôler que
les denrées alimentaires tout particulièrement quand ils sont
issus de moyens de transports à longue distance (bateaux,
avions).
Leur dissémination explique probablement, en l’absence
d’échanges d’animaux sensibles, la première introduction
de la PPA en Europe, au Portugal, en 1957 puis les nombreux épisodes de réintroduction entre 1960 et 1986 dans de
nombreux autres états du continent (Espagne, France, Italie, Malte, Belgique). Vigoureusement combattue à l’aide
des seules méthodes sanitaires disponibles, elle y a été
éradiquée comme dans les quelques États d’Amérique du
Sud et des Caraïbes où elle avait émergé au cours des
années 1970. Depuis le milieu des années 1990, elle n’a
réussi à persister en dehors du continent africain qu’en Sardaigne où son impact est contrôlé sans pouvoir atteindre
l’éradication, compte tenu des structures de l’élevage porcin local et de la présence d’une importante population de
sangliers. Les autorités en charge de la santé animale dans
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l’UE surveillaient très attentivement la situation de la PPA
en Sardaigne redoutant une extension par contiguïté vers
d’autres territoires de l’UE comme la Corse ou d’autres
régions italiennes.
C’est donc une véritable émergence surprise qui a eu
lieu en Géorgie au début (officiellement détectée en avril)
de l’année 2007 bien loin des zones sub-sahariennes de
l’Afrique et de Madagascar où elle sévit de façon persistante
sous forme enzootique dans les élevages et asymptomatique
chez les suidés sauvages autochtones [2, 3]. À partir de la
Géorgie, la PPA a atteint l’Arménie puis la frontière sud
de la Russie avant d’atteindre Rostov (sur le Don) et d’être
détectée dans la région de Saint-Pétersbourg (Baltique) en
octobre 2009 ! Cette extension spectaculaire montre que la
PPA est maintenant présente dans toute la Russie où ont été
officiellement dénombrés près de 300 foyers [4]. Fin juillet
2012, un premier foyer a été détecté en Ukraine sur la rive
nord de la mer d’Azov dont la rive est, notamment autour de
Rostov, connaît une prévalence particulièrement élevée de
foyers. La FAO a fait part de son inquiétude sur l’évolution
de la situation [4], non seulement pour l’Ukraine mais aussi
pour l’ensemble de la Russie et des États adjacents aussi
bien à l’ouest (UE et Biélorussie) qu’à l’est (Chine).
Cette inquiétude peut être partagée pour plusieurs raisons objectives. La première est liée à l’absence d’un
vaccin efficace malgré les efforts en cours depuis plusieurs décennies, lesquels ont permis des progrès sans
pour autant pouvoir espérer disposer avant longtemps d’un
outil vaccinal comparable à celui disponible pour la peste
bovine [5]. La deuxième concerne la méconnaissance des
déterminants des divers cycles de propagation possible
du virus de la PPA ; ainsi le rôle des tiques en situation de type sangliers/porcs/pays tempérés est inconnu
comme l’importance et la nature des réservoirs efficaces
dans cette configuration [2]. La troisième question centrale est liée au rôle du sanglier dans la propagation de
la PPA dans la région eurasienne. En effet, les densités de population de sangliers et d’élevage de porcs en
petites unités familiales sont importantes dans les pays
d’Europe orientale et centrale [4] ; les contacts entre les
deux populations sensibles pourraient favoriser l’extension
épizootique de la maladie compte tenu notamment de la
grande virulence du génotype introduit depuis 2007 (génotype II) vis-à-vis des populations de suidés autochtones
[6]. Enfin, il ne faut pas négliger les possibles recombinaisons qui peuvent déjà avoir eu lieu [7] et qui pourraient
être associées dans le futur à des changements phénotypiques influençant de façon déterminante l’épidémiologie
de la maladie.
Compte tenu de toutes ces incertitudes, un renforcement
de la surveillance de la PPA combinant l’ensemble des
méthodes disponibles dans les populations à risque est
Virologie, Vol 16, n◦ 6, novembre-décembre 2012
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indispensable. Il devra être accompagné d’un effort de
recherche significatif pour mieux comprendre la nouvelle
situation créée par l’émergence réussie dans le continent
eurasiatique d’un virus parfaitement adapté à des populations pleinement sensibles. Dans ce contexte, les récents
résultats d’évaluation du risque d’introduction dans l’UE
par les moyens de transports [8] ont attiré l’attention sur les
échanges par camions et par navires issus des états européens actuellement touchés mais aussi sur les cargaisons à
destination des ports de l’UE en provenance de l’Afrique
sub-saharienne.
Au total, la PPA est redevenue en moins de quatre ans un
risque sanitaire essentiel pour la santé animale en Europe.
Si elle ne peut être contrôlée aux frontières de l’UE, elle
imposera un effort très significatif à la filière de production
porcine et aux autorités en charge de la santé animale pour
sa maîtrise. Elle pourrait alors remplacer la fièvre aphteuse
dans l’imaginaire collectif en termes de désastre sanitaire
mais aussi d’impact économique en fermant durablement
les marchés d’exportation. Il est donc urgent de mettre en
œuvre l’effort nécessaire pour forger les nouveaux outils de
la compréhension et du contrôle d’un virus encore trop mal
connu.
Virologie, Vol 16, n◦ 6, novembre-décembre 2012
Conflits d’intérêts : aucun.
Références
1. Lefèvre PC. La peste bovine : première virose animale éradiquée au
niveau mondial. Virologie 2011 ; 15 : 83-6.
2. Michaud V, Albina E. La peste porcine africaine, un risque sanitaire
majeur. Nouv Prat Vet Sante Elev 2007 ; 6 : 57-60.
3. Sanchez-Viscaino JM. “African swine fever”. In : Lefèvre PC, Blancou
J, Chermette R, Uilenberg G, eds. Infectious and parasitic diseases of
livestock. Cachan : Éditions Tec et Doc-Éditions médicales internationales
Lavoisier, 2009 : 225-44 (chapitre 63).
4. FAO. African swine fever (ASF). Recent developments and timely
updates. Focus 2012 ; 6 : 1-6.
5. King K, Chapman D, Argilaguet JM, et al. Protection of european
domestic pigs from virulent african isolates of african swine fever virus
by experimental immunisation. Vaccine 2011 ; 29 : 4593-600.
6. Blome S, Gabriel C, Dietze K, Breithaupt A, Beer M. High virulence of
African swine virus Caucasus isolate in European wild boars of all ages.
Emerg Infect Dis 2012 ; 18 : 708.
7. Chapman D, Darby AC, Da silva M, et al. Genomic analysis of highly
virulent Georgia 2007/1 isolate of African swine fever virus. Emerg Infect
Dis 2011 ; 17 : 599-605.
8. Mur L, Martinez-lopez B, Sanchez-Viscaino JM. Risk of African swine
fever introduction into the European Union through transport-associated
routes: returning trucks and waste from international ships and planes.
BMC Vet Res 2012 ; 8 : 149.
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