J. Chaurand
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Carnets d’Atelier de Sociolinguistique 2007 n° 2
Le meilleur manuscrit, qui provenait de la Bibliothèque du duc de
Brunswick (B), était malheureusement lacunaire. Il y manquait les vers
1-1080 et 1231-1440. Le manuscrit a donc été complété grâce
essentiellement au ms H de Londres son contemporain (début du
XIIIème s.). Nous devons à ce rhabillage de lire dans les passages
réajustés des traits anglo-normands ou de l’ouest que nous ne retrouvons
pas dans la suite du texte. Le démonstratif neutre, qui a régulièrement la
forme ceo, courante en anglo-normand, jusqu’au v. 1080, s’écrit ço aux
v. 1085 et 1087 et dans la suite du texte. Le développement d’un son
vélaire entre aet ndans la 1ère moitié du XIIIème s., donc à l’époque de la
copie, est une caractéristique de l’anglo-normand que nous trouvons
seulement au début du texte :
Chamberleng ne sergaunt, seneschal ne garçun,
Nul ki taunt limgement servist en sa maison (v. 337-338)1.
E. Walberg déclare « probablement inauthentique » ( ?) la strophe
336-340 qui figure dans P seul, mais d’autres exemples du même trait se
retrouvent dans les variantes des autres mss, soit celles de P (522
komaundise, 971 saunz fin ; 1039 taunt), soit celles de PW (527 graunté,
1455 dous aunz). « Jeune » se dit joefne au v. 201, mais nous avons
joevenes au v. 1653 (joevenes e chenuz), tandis que les exemples relevés
du v. 4614 au v. 5278, et qui s’appliquent au jeune roi, ont toujours la
forme jovene2. Nous avons toutefois saint Estiefne au v. 1549. Des
formes spécifiques de l’Ouest comme reddes (v. 3083) ou reddement (v.
553) sont cependant fournies par l’ensemble de la tradition manuscrite3.
E. Walberg se fondait sur les critères phonétiques et morphologiques
pour déterminer le dialecte auquel se rattachait l’œuvre. Il invoquait en
particulier les rimes qui devaient lui fournir des indices sûrs : il procédait
en cela comme le faisaient habituellement les éditeurs de texte à son
époque (la première édition, dite édition major, date de 1922). La rime
garantissait en effet avec une certaine probabilité l’accès à ce qu’avait
écrit l’auteur lui-même, alors qu’à l’intérieur du vers le copiste avait plus
de liberté pour intervenir. Ainsi relève-t-on des rimes en al de alatin
1C’est nous qui soulignons.
2Voir NazirovićM., 1980, Le vocabulaire de deux versions du Roman de Thèbes,
Clermont-Ferrand, 103.
3Ibid. p.142 dans P seul mais d’autres ex. du même trait.