Chapitre V. Bilan de Si en fin de période estivale dans la zone frontale de l’Océan austral.
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V. La Campagne Antares 4.
V.1. Introduction
L'Océan Austral a d'abord été considéré comme un des écosystèmes les plus riches de la
planète, compte tenu des fortes concentrations en sels nutritifs et de l'observation de blooms côtiers
ainsi que de l'abondance du krill et des prédateurs secondaires du réseau trophique (Jacques et
Tréguer, 1986). Par ailleurs l'importance des dépôts d'opale dans les sédiments a largement contribué
à suggérer l'existence d'intenses floraisons phytoplanctoniques (DeMaster, 1981; Ledford-Hoffman et
al., 1986). Il a été estimé dans un premier temps que près des deux tiers de l'accumulation mondiale
d'opale sédimentaire étaient réalisés dans la zone du Courant Circumpolaire Antarctique (ACC) au
sud du Front Polaire Antarctique (AFP), ce qui sous-entendait des taux de production exceptionnels
des eaux de surface ou bien l'existence de mécanismes de préservation particuliers de la silice
biogénique (Nelson et al., 1995).
Il a fallu attendre le début des années 1970, avec les premières campagnes multidisciplinaires
pour que soient révisées à la baisse les estimations de production. Les premières mesures de
production primaires réalisées sur le terrain ont révélé de très faibles niveaux de productivité dans la
zone de l'ACC (Holm-Hansen et al., 1977; Priddle et al., 1986; Jacques et Tréguer, 1986; Banse,
1996) tandis que des régions de productivité accrue étaient reconnues notamment au niveau de la
zone marginale des glaces (MIZ) (Smith et Nelson, 1985; Sullivan et al., 1993; Moore et al., 2000),
autour des îles et le long des fronts, au niveau de l'AFP (Quéguiner et al., 1997; Smetacek et al.,1997;
Bathmann et al., 1997) et de la zone de confluence du Front Sub-Antarctique (SAF) et Sub-Tropical
(STF) (Laubscher et al., 1993; Banse, 1996). L'Océan Austral est ainsi apparu comme une mosaïque
de systèmes présentant une grande variabilité spatiale des taux de production (Tréguer et Jacques,
1992). Malgré de fortes concentrations en sels nutritifs dans la zone de l'océan ouvert (POOZ), située
entre la MIZ (Marginal Ice Zone) et l'AFP (Antarctic Polar Front), de nombreuses études ont relevé les
faibles biomasses de cette région depuis caractérisée comme une zone HNLC (Nelson et Gordon,
1982; Smetacek et al., 1997; Bathmann et al., 1997; Quéguiner et al., 1997).
A la suite de ces observations, la production de Si, d'abord estimée à 120 Tmoles Si an-1
(Spencer, 1983; Calvert, 1983) a été révisée à la baisse et estimée à 50 Tmoles Si an-1 (Tréguer et
Van Bennekom, 1991) puis à 20 Tmoles Si an-1 (Nelson et al., 1995). La production de C a également
été réévaluée à 1-2 Gt de C an-1 soit 2 à 4 % de la production globale alors que l'Océan Austral
représente 20 % de la surface de l'océan mondial (Tréguer, 2002). L'efficacité de la préservation de
l'opale dans les sédiments de l'AFP était alors estimée à 20%, valeur bien supérieure au reste de
l'océan mondial (3%), impliquant des mécanismes de préservation particuliers à l'Océan Austral
CHAPITRE V. BILAN DE SI EN FIN DE PERIODE ESTIVALE DANS LA
ZONE FRONTALE DE LOCEAN AUSTRAL.
Chapitre V. Bilan de Si en fin de période estivale dans la zone frontale de lOcéan austral.
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(Nelson et al., 1995). Cette apparente contradiction (faible production de surface/forte accumulation
dans les sédiments) sera exprimée dans le concept du "paradoxe de l'opale". Ainsi l'utilisation de
l'opale sédimentaire en tant que proxy de la paléoproductivité a été largement critiquée au cours de la
dernière décennie, d'une part en raison de la variabilité spatiale de l'efficacité de préservation
(paradoxe de l'opale) mais aussi en raison du fort découplage observé entre Si et C au cours des
processus successifs de production, d'exportation et d'enfouissement (Berger et Herguera, 1992).
Un certain nombre d'articles récents ont permis de remettre en cause le concept précédemment
admis du paradoxe de l'opale. Une première étude menée dans le secteur indien de l'Océan Austral
(campagnes ANTARES 2 et 3) a indiqué une forte sous-estimation des taux de production de silice
ainsi qu'une surestimation des taux d'accumulation de l'opale dans les sédiments d'un facteur 2,
réduisant considérablement l'efficacité de préservation de la BSi de l'Océan Austral (1.5 à 6% au lieu
de 40%) (Pondaven et al., 2000a; Nelson et al., 2002; Rutgers van der Loeff et al., in press), le
rapprochant ainsi de la moyenne globale de 3% (Tréguer et al., 1995). D'après les images SEAWifs et
CZCS, l'Océan Austral présente une forte variabilité spatiale et temporelle de la biomasse et de la
production primaire. Ainsi des résultats contradictoires de production primaire ont pu être obtenus en
partie en raison des diverses méthodes d'échantillonnage et de mesures employées à diverses
saisons et au cours dannées différentes. Cette forte variabilité interannuelle de la production et de
l'exportation pourrait être liée à des variations océaniques et atmosphériques à grande échelle, telles
que les ondes circumpolaires Antarctiques et l'El Nino Southern Ocean (Fisher et al., 2002). Le faible
nombre de déploiements de pièges à particules a également entraîné un manque de perception de
cette variabilité interannuelle dans les flux de matière (Wefer et Fischer, 1991). La réévaluation du
bilan de Si par Pondaven et al., (2000a) est basée sur des données robustes des variations
saisonnières de la concentration en acide orthosilicique, corrigées du transfert vertical de Si(OH)4 à
partir de la couche de subsurface par la diffusion turbulente, de l'advection latérale des eaux de
surface riches en Si(OH)4 en provenance de la divergence Antarctique ainsi que du recyclage de la
BSi au sein de la colonne d'eau par dissolution. Les taux de production obtenus par cette méthode
indirecte sont 4 à 8 fois supérieurs aux valeurs obtenues dans la POOZ par des mesures directes de
production et 3 à 4 fois supérieurs à la limite haute fixée par Nelson et al., (1995) de 1 mol Si m-2 an-1,
mais sont concordants avec les sorties du modèle 1-D appliqué à la station KERFIX (Pondaven et al.,
2000b). Hoppema et al., (2000) estiment la production de Si à partir de la consommation de l'acide
orthosilicique à 171
± 25 Tmoles Si an-1 (126
± 19 g Si m-2 an-1 rapportés à la surface de l'Océan
Austral de 38 millions de km2). La ré-évaluation de la production primaire de C est également en
accord avec une étude récente basée sur les estimations à partir d'images CZCS, qui donne un bilan
4 à 5 fois supérieur aux anciennes estimations réalisées à partir de mesures in situ (Arrigo et al.,
1998). En effet daprès certains auteurs, il semblerait que les mesures directes par la méthode au 14C
tendent à sous-estimer les taux de production (Martin et al., 1987; Longhurst et al., 1995). D'autres
études basées sur des mesures saisonnières de production, comme la campagne AESOPS (ACC
nord, ACC sud, APF et mer de Ross), tendent à confirmer ces bilans (Honjo et al., 2000; Sambrotto et
Mace, 2000; Brzezinski et al., 2002; Nelson et al., 2002; Dickson et Orchado, 2001; Sayles et al.,
2002; Sigmon et al., 2002). Les taux de production au niveau de l'APF ont aussi été revus à la hausse
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grâce notamment aux travaux de Quéguiner et al., (1997), Brzezinski et al., (2001) et Quéguiner et
Brzezinski (2002). Ces études apportent les premiers résultats permettant de valider l'hypothèse de la
consommation biologique par les diatomées pour expliquer le déplacement important du gradient
d'acide orthosilicique vers le sud au cours de la floraison printanière ainsi que de justifier la présence
de la ceinture d'opale dans les sédiments sous-jacents du Front Polaire.
Par ailleurs les taux d'accumulation de l'opale dans les sédiments ont été fortement surestimés
en raison des processus de remaniements latéraux des sédiments (focusing). En raison de la
bathymétrie accidentée, les carottes sont en général prélevées dans les vallées sous-marines plus
faciles à échantillonner que les sommets. Or ces zones concentrent les sédiments, remaniés par les
courants de fond et l'écoulement le long des reliefs. La méthode au 240Th a permis tout récemment de
corriger les processus de focusing (Dezileau et al., 2000) et les bilans d'accumulation d'opale ont ainsi
été révisés à la baisse de 35 % pour l'ensemble de l'Océan Austral et d'un facteur 2 pour la ceinture
d'opale (Pondaven et al, 2000a). Une des critiques majeures formulée à l'encontre de l'utilisation des
archives d'opale comme proxy de la paléoproductivité (paradoxe de l'opale) étant ainsi levée, il reste
maintenant à caractériser les processus de couplage/découplage des cycles du Si et du C. Les
processus de production et d'exportation de Si au niveau de l'APF sont maintenant relativement bien
documentés alors que peu de données sont encore disponibles pour la zone de confluence du SAF et
du STF qui serait pourtant le lieu d'une production primaire accrue selon les images satellites (Figure
III.12).
Les résultats de la campagne ANTARES 4, présentés dans la suite de ce chapitre, apportent
des données de production de Si et de C en période estivale pour trois régions différentes situées de
part et d'autre de la zone frontale de l'ACC. La distribution de la silice particulaire et des sels nutritifs
de la grille de surface (Figure III.11) sont décrits dans la première partie; la seconde partie, présentée
sous la forme dune publication reprend les données des transects et des stations longues. Les
données de pièges sont exposées dans une troisième partie. Un bilan des stocks et des flux
dexportation de matière dans la zone de confluence du Front Sub-Antarctique (SAF) et Sub-Tropical
(STF) est ainsi réalisé et replacé dans le contexte des autres études qui ont été menées dans lOcéan
Austral.
V.2. La grille de surface.
V.2.1. Les conditions hydrologiques.
Les données de température et de salinité de la grille de surface (Figure V.1.) mettent
clairement en évidence les différentes structures frontales : au nord-est de la zone, les eaux chaudes
(16-17°C) et salées (35.1-35.5) caractérisent la zone Sub-Tropicale, au sud-ouest, la zone Sub-
Antarctique est délimité par les eaux froides (10°C) et peu salées (34-34.5). La position exacte des
fronts au cours de la campagne a été positionnée par Park et al., (2002) grâce aux isothermes de
surface: 17°C pour le courant de retour des Aiguilles (AFAghulas Front), 13°C pour le STF et 10°C
pour le SAF (voir Figure III.12).
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Figure V.1: Températures (a) et salinités (b) de la grille de surface d’ANTARES 4. Données TOW-YO.
Les distributions de nitrate et de lacide orthosilicique présentent deux schémas bien distincts
(Figure V.2). La distribution des nitrates se montre conservative avec la salinité (relation linéaire,
r=0.93), ce qui nest pas le cas de lacide orthosilicique qui montre une forte hétérogénéité spatiale sur
lensemble de la grille de surface. Les concentrations de nitrates sont comprises entre 0 µM (<L.D.)
dans la zone du front polaire (PFZ-Polar Frontal Zone) au sud du SAF et 17 µM dans la Zone Sub-
Tropicale (STZ) au nord du STF. Les concentrations en acide orthosilicique varient entre 0.12 et
1.40 µM, et atteignent des valeurs maximales au niveau de lAF dans une zone où les nitrates sont
quasiment épuisés. La disponibilité en nitrates est largement supérieure à celle de lacide
orthosilicique sur lensemble de la zone, caractérisant ainsi une zone HNLSiLC (High Nutrient Low
Silicate Low Chlorophyll). La zone comprise entre le SAF et lAF montre des situations très
contrastées avec des patchs de fortes et de faibles concentrations.
SAF
STF
AF
Salinité
b
SAF
STF
AF
a
Température (°C)
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Figure V.2: Concentrations en nitrates (a) et en acide orthosilicique (b) de la grille de surface dANTARES 4.
V.2.2. La distribution de la silice particulaire (BSi et LSi) et de la Chl a.
La distribution de la matière particulaire apparaît fortement influencée par les structures
frontales. La caractéristique majeure est le contraste observé au niveau de la frontière SAF/STF, avec
une rapide transition entre une zone appauvrie (SAF) et une zone daccumulation (STF) en matière
particulaire. Les eaux sub-tropicales au nord de la zone au niveau du passage de lAF sont également
appauvries en surface en BSi, LSi et Chl a par rapport au reste de la zone d’étude (Figure V.3 et V.4).
SAF
STF
AF
Acide orthosilicique (µM)
b
SAF
STF
AF
NitratesM)
a
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