le traitement de l`accord sujet-verbe en français ecrit, le

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LE TRAITEMENT DE L'ACCORD SUJET-VERBE
EN FRANÇAIS ECRIT,
LE CAS DES CONFIGURATIONS
PRONOM1 PRONOM2 VERBE
___________
Fayol, M.
Largy, P.
Ganier, F.
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TITRE COURANT : Les erreurs d'accord et leur gestion
Fayol, M., Largy, P. & Garnier, F. (1997). Le traitement de l'accord sujet-verbe en Français
écrit. Le cas des configurations Pronom 1 Pronom 2 Verbe. Verbum, 1-2, 103-120.
LAPSCO/CNRS
Université Blaise Pascal
63000 Clermoont-Ferrand
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Les erreurs d'accord
L'objectif de cet article est, d'une part, de recenser une série de résultats provenant soit
d'études descriptives soit de recherches expérimentales ayant trait aux erreurs d'accord sujet-
verbe et, d'autre part, de proposer un modèle provisoire susceptible d'expliquer l'occurrence
rare mais systématique de telles erreurs chez des adultes cultivés qu'on ne peut soupçonner
d'ignorer les règles et leur implémentation.
Erreurs d'accord en Anglais
Dans une série de travaux expérimentaux Bock et ses collaborateurs (Bock, 1995; Bock,
& Cutting, 1992; Bock & Eberhard, 1993; Bock & Miller, 1991) ont étudié comment des
adultes anglophones complétaient à l'oral des phrases dont les débuts (preambles) étaient
fournis. Ces débuts étaient systématiquement de la forme N1 + Prep. + N2 (the speech of the
authors). Bock et al. ont observé l'apparition d'erreurs d'accord rares (< 10 % des cas) mais
survenant chez la plupart des participants. Ces erreurs consistaient à accorder le verbe avec le
N2 (local noun) au lieu de N1 : de là la dénomination erreurs d'attraction (attraction errors).
Elles étaient par ailleurs significativement plus fréquentes lorsque N1 et N2 différaient en
nombre (singulier/pluriel) et que N2 était pluriel. Bock et al. interprètent ce fait en considérant
que le singulier a un statut par défaut plutôt qu'une véritable valeur car, s'il avait une valeur
comme marque, les effets de fréquence interviendraient : étant plus fréquent, il imposerait ses
inflexions (cf. plus loin), ce qui n'est pas le cas. En conséquence, il est facilement inhibé par la
pluralité ambiante.
Plusieurs expériences ont été ensuite élaborées pour étudier l'impact de différents
facteurs susceptibles d'influer sur l'occurrence des erreurs d'attraction. Une première série de
travaux a pris en considération l'éventuel effet du nombre notionnel. Il existe en effet une
relation entre le nombre du référent et l'emploi du pluriel, même si cette relation est loin d'être
simple. Par exemple, certains noms sont systématiquement au pluriel (ciseaux, lunettes),
d'autres renvoient à des objets multiples et sont, de ce point de vue, pluriels malgré leur forme
au singulier (armée, forêt). Par exemple encore, le modèle mental assoc à une situation
décrite par un énoncé peut favoriser une interprétation singulier (the bridge to the islands : un
seul pont pour plusieurs îles) ou au contraire plurielle (the picture on the postcards : une
image sur chaque carte et, donc, plusieurs images). Par exemple enfin, certaines propriétés
sémantiques du nom local pouvaient a priori intervenir sur l'accord : le caractère animé ou
inanimé. (The island of the kings vs. The kings of the island), le caractère concret ou abstrait
du N2.
Une deuxième série d'expériences a étudié le possible effet de certaines caractéristiques
formelles des débuts d'énoncés. Ont été ainsi contrôlés : la taille des N2 (brefs : The key to the
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cabinets vs. longs : The key to the ornate Victorian cabinets) ; la complexité syntaxique (The
only generalization about our customers vs. The only generalization I would dare to make
about our customers) ; les traits superficiels de la morphophonologie (le fait que le N2 se
termine phonologiquement par un phonème semblable à l'un des allophones du pluriel : /s/, /z/,
/iz/).
Les résultats de ces différentes expériences sont faciles à sumer : aucune des variables
manipulées, notionnelles, sémantiques, formelles, ne modifie significativement la fréquence et
la distribution des erreurs d'accord du verbe, au moins en Anglais.
Ces erreurs se manifestent toujours par l'accord du verbe avec N2, surtout lorsqu'il est
pluriel alors que N1 est singulier. Tout se passe donc comme si les variations du nombre
verbal étaient essentiellement attribuables à la pluralité grammaticale (formelle) du nom
préverbal, avec une très faible influence des dimensions sémantiques et phonologiques du
marquage du nombre. Ces résultats suggèrent que le contrôle du nombre verbal à l'intérieur
d'une proposition ne repose ni sur la signification plurielle ni sur la régularité du marquage du
pluriel mais sur un mécanisme formel implémenté de manière automatique.
Erreurs d'accord en Français
Fayol et collaborateurs (Fayol & Got, 1991; Fayol & Largy, 1992; Fayol, Largy &
Lemaire, 1994; Largy, Fayol & Lemaire, 1996) ont mis en évidence des phénomènes similaires
en français écrit. On sait qu'en français, la morphologie nominale et verbale du nombre est
majoritairement silencieuse (hormis les phénomènes de liaison et quelques cas de noms et
verbes irréguliers) (Dubois, 1965). Dans Les petites poules rousses picorent, le marquage du
pluriel est assuré à l'oral par le seul article (les) alors qu'à l'écrit chaque mot porte une inflexion
(-s ou -nt selon la catégorie syntaxique). Cette caractéristique du Français permet d'utiliser des
épreuves de rappel écrit d'énoncés présentés oralement pour étudier la mise en oeuvre de la
morphologie écrite.
Fayol et al. ont d'abord utilisé des phrases du type "Art + N1 de N2 + Verbe" dans
lesquelles N1 et N2 étaient soit de même nombre soit de nombre différent (singulier -
singulier vs. pluriel - pluriel vs. singulier - pluriel vs. pluriel - singulier ; notés respectivement
SS, PP, SP, PS).
Ces configurations ont été présentées dans trois conditions. Premièrement, dans des
épreuves de complètement : les participants devaient ajouter la flexion pertinente du verbe (le
chien des voisins arriv----) ; cette épreuve permettait de vérifier la connaissance et la capacité
d'utilisation de la règle d'accord sujet-verbe. Deuxièmement, dans des épreuves de rappel
simple : la phrase était lue à haute voix par l'expérimentateur et devait ensuite être transcrite par
les participants. Troisièmement, dans des épreuves de rappel avec tâche secondaire : les
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participants devaient mémoriser puis rappeler les phrases soit accompagnées de mots (3 ou 5)
soit en dénombrant des clics. L'ajout d'une tâche secondaire était desti à diminuer les
ressources cognitives disponibles pour la gestion de l'accord (cf. plus loin).
Les résultats ont montré que l'ajout d'une tâche secondaire induisait l'occurrence
d'erreurs (dans 15 à 25 % des cas, ce qui est très supérieur au taux relevé par Bock et al.)
habituellement inobservables chez les adultes cultivés (qui réussissaient les deux premières
épreuves). Ces erreurs apparaissaient essentiellement quand N1 et N2 différaient en nombre et
que N2 était pluriel (condition SP). Les données correspondaient donc, amplifiées, à celles
qu'avaient rapportées Bock et al.. Les faits suggéraient qu'un mécanisme formel lié à la
présence d'un N2 pluriel déclenchait l'activation de la flexion plurielle -nt et son affectation au
verbe. Toutefois, il était plausible que ce déclenchement fût associé à la présence conjointe
dans le même syntagme sujet de deux noms entrant en compétition pour le contrôle de l'accord
verbal.
Afin d'étayer la thèse d'une mécanisme formel déclenchant automatiquement l'affectation
d'une flexion plurielle (-nt) au verbe dès qu'un item pluriel appartenant à la même proposition
se trouvait en position préverbale, Fayol, Largy et Lemaire, (1994; Exp. 3) ont utilisé les
mêmes trois épreuves (complètement, rappel simple, rappel avec tâche secondaire) avec des
configurations du type : "Phrase amorce. Phrase cible : Pronom 1 Pronom 2 Verbe (notées
PR1 PR2 V) (Le soldat perd un gant. Il le ramasse). Ces configurations ont ceci de
particulier qu'elles comportent deux pronoms dont le nombre peut varier (SS : Il le ; PP : Ils
les; SP : Il les et PS : Ils le) mais dont seul le premier (Il / Ils) peut être sujet du verbe. Le
second pronom (le / les) est complément d'objet et ne peut régir l'accord grammatical avec le
verbe. Il ne peut par ailleurs être confondu avec les pronoms sujets.
La thèse d'un mécanisme formel déclenché par la présence d'un item pré-verbal pluriel
prédit que les configurations il les devraient entraîner l'occurrence d'erreurs d'accord
fréquentes (sous tâche secondaire) bien que les ne puisse jamais être sujet du verbe. Les
résultats obtenus ont confirmé cette prédiction. Les erreurs étaient surtout fréquentes sous la
condition SP (39 %) en présence d'une tâche secondaire : elles consistaient essentiellement
(mais pas exclusivement ; cf. plus loin) à accorder le verbe comme si le sujet était pluriel (ajout
de -nt).
Modèle théorique provisoire
L'élaboration d'un modèle théorique correspond à un double besoin. D'une part, il s'agit
de rendre compte au moins partiellement des phénomènes précédemment évoqués, notamment
: l'occurrence rare mais systématique d'erreurs d'accord verbal commises par un système qui
habituellement n'en commet pas (cf. Fayol et al. : les adultes ne commettaient aucune erreur
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lorsqu'ils devaient compléter les verbes par l'inflexion pertinente). D'autre part, il convient de
prédire d'autres faits que des expériences ultérieures devront mettre en évidence.
Les processus intervenant dans la production du langage peuvent être envisagés comme
se déroulant en plusieurs étapes dont chacune opère sur un certain type de représentation
(conceptuelle, sémantique, lexicale, morphologique, phonologique) par le biais de certaines
procédures (Bock & Levelt, 1994; Levelt, 1989).
Architecture du modèle et types de représentations
Dans une première étape, le message prend en considération l'intention de l'émetteur et la
situation d'énonciation : par exemple qu'il y a plusieurs timbres ou montres ou que plusieurs
personnes timbrent ou montrent quelque chose. Ces informations sont utilisées pour alimenter
le composant formulation (Levelt, 1989). A cette deuxième étape, les procesus d'encodage
grammatical sélectionnent les lemmas associés aux concepts lexicaux et leur assignent des
fonctions grammaticales. Les lemmas portent les informations relatives à la catégorie
grammaticale (nom vs. verbe) et au genre. A ce niveau, un item est par exemple marqué ( +
PLURIEL) sans que soit spécifiée la marque correspondante (e.g., (FOUILLE) (+ PLURIEL)
(Mackay, 1979).
Les deux étapes suivantes traitent le groupement et la mise en ordre des constituants
(lexemes) et la génération des inflexions. Les éléments des lexiques phonologique ou
orthographique de sortie seraient représentés sous forme décomposée (Butterworth, 1983;
Cutler, 1983; Henderson, 1985). Les erreurs commises par les sujets normaux (Garrett, 1980;
Stemberger, 1985) comme par les aphasiques (Caramazza, 1988) et les agraphiques (Badecker,
Hillis & Caramazza, 1990) fournissent des arguments empiriques en faveur d'une organisation
des lexiques de sortie sous forme décomposée (cf. sur tout ceci, voir Fayol, 1997).
Dans une telle conception, chaque radical lexical est associé à l'ensemble des affixes qu'il
est susceptible d'accepter. Par exemple, le verbe trouver serait relié, pour ce qui concerne
l'indicatif présent aux flexions : -e (1ère et 3ème personnes du singulier) ; -es (2ème personne
du singulier) ; -ons (1ère personne du pluriel) ; ez (2ème personne du pluriel ; -ent (3ème
personne du pluriel) (Caramazza, Laudanna & Romani, 1988). Ces liens seraient pondérés en
fonction des fréquences d'occurrences (-es, plus rarement utilisé que -e, serait moins fortement
relié au radical). Par exemple encore, le nom poule serait relié à -e (singulier) et -es (pluriel)
avec des poids différant éventuellement selon les fréquences (Dubois, 1965) (Figure 1).
Fonctionnement
Deux mécanismes fondamentaux seraient impliqués dans la sélection d'un item, quel que
soit le niveau de repsentation concerné : l'activation et l'inhibition (Bock & Levelt, 1994;
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