Pface
Martin symbole du partage marque
profondément l’auteur de ce livre.
De Sulpice Sévère à Marton, en
passant par Lecoy de la Marche,
aucun grand texte nest gligé pour nous présenter
à nouveau la gure de ce saint tourangeau si
profondément christique. D’ailleurs la quali-
cation de «tourangeau» est à la fois excessive
et réductrice, Martin nétait né ni en Touraine ni
me en Gaule; il était originaire de Pannonie,
une province de l’empire romain sur le Danube
correspondant à l’actuelle Hongrie. Martin
serait-il hongrois ? La profonde dévotion des
Hongrois daujourd’hui envers ce saint pourrait
bien le faire croire. Pourtant les Hongrois ne sont
arrivés dans la plaine du Danube qu’à lan due
siècle, plus de cinq siècles aps la mort de Martin.
Alors il faut insister sur la romani de ce soldat
en de force à quinze ans, sur sesplacements
dans le cadre de lempire romain du e scle, sur
les inuences qu’il rut des premiers «Pères» de
l’Église. Fraois Christian Semur a bien soulig
sur ce point l’importance d’Antoine, de Pachôme,
d’Athanase aux origines du monachisme chtien
au début du e siècle. Or Martin fut le pionnier
du monachisme pour l’Occident latin. me si
les liens plus précis nous échappent aujourd’hui,
il était juste de rappeler cette relation fonda-
mentale et durable entre monachisme oriental
et monachisme occidental. Revenons au geste
d’Amiens, au partage du manteau, cette scène est
en quelque sorte l’introduction au baptême de
Martin. Il faut voir dans ce baptême un mouvement
profond de conversion vécue précisément jusqu’à
la vie ascétique. Le partage et le monachisme
sont ainsi étroitement associés dans la carrière du
Pannonien et dans son immense postéri. C’est
que ce livre, contrairement à beaucoup d’autres,
s’attache à développer longuement cette posri,
sans entrer dans les courants et les enjeux d’une
diusion d’ailleurs mal connue, mais plutôt pour
l’homme d’aujourd’hui, attentif à la présence de
Martin dans les repères du monde contemporain.
Quel contraste en eet entre l’époque si lointaine
vécut l’évêque de Tours et la grande actualité
du geste de partage pour nous aujourd’hui. Les
moins du culte et du folklore martiniens sont
innombrables, on ne saurait donc être exhaustif
mais on appciera l’insistance sur la postéri en
Anjou, aussi bien à travers la relation hagiogra-
phique entre Martin et Florent, du Mont Glonne
à Saumur, que dans la fondation d’une église
Saint-Martin à Angers dès le e siècle. On trouvera
aussi des listes et des chires. Il s’agit de saisir
pleinement l’ampleur du culte, par le nombre des
paroisses dans chaque diocèse français actuel mais
aussi par le nombre d’abbayes et d’églises en France,
en Europe et au-delà. Le nombre est en eet un
moyen essentiel pour mesurer le phénomène.
Ce livre s’intéresse aux formes actuelles de la
votion: ainsi le pèlerinage à Tours retient toute
l’attention de l’auteur. Parallèlement au fait spéci-
quement religieux, il évoque aussi les formes de
mise en valeur d’une culture européenne par la
création des chemins de saint Martin, en parti-
culier depuis la Hongrie jusquen Touraine, pors
par le Centre culturel euroen Saint Martin de
Tours. Chemins de culture, chemins de tourisme,
du moins d’un tourisme lent, attentif aux alités
locales, chemins de partage surtout dans l’esprit du
saint lui-même. C’est toute une ographie marti-
nienne que ce livre nous invite à découvrir.
Bruno Judic, professeur d’histoire du Moyen Âge à l’université de Tours
Président du Centre culturel européen Saint Martin de Tours
7
23
L'enfance et la jeunesse de Martin
Sulpicere ne s’est guère étendu sur
l’enfance de Martin. Tout au plus saiton
qu’il est en Pannonie (actuelle Hongrie),
à Sabaria, aujourd’hui Szombathely,
son père, ocier dans l’armée romaine, devait
être en garnison. La petite enfance de Martin
s’est déroulée à Pavie (Italie). Il a grandi au sein
d’une famille païenne, ce qui nempêcha pas
Martin de se réfugier dès l’âge de dix ans dans
une église et souhaiter devenir catéchumène.
À l’âge de douze ans, il rêvait de se retirer au
«désert» et peutêtre connaître par luimême
les expériences érémitiques qui se déroulaient
en Orient.
Suivant à la lettre les termes d’un édit impérial
selon lequel les ls detérans devaient être
enrôlés dans l’armée romaine, peu sensible aux
aspirations de Martin, l’ocier livra son ls à la
cavalerie de la Garde. Il n’avait que 15ans. Il servit
successivement sous les empereurs Constantin,
Constant, Constance, puis, plus brièvement sous
celui de Julien. Déjà, son attitude était celle d’un
sage en recherche de la perfection, se montrant
chaste, sobre, modeste et charitable. Il était déjà
bien plus catéchumène que guerrier.
Le geste hautement symbolique qui allait le faire
passer nitivement à la postérité intervint trois
années après son incorporation à Amiens. Âgé
de dixhuit ans, le cavalier romain avait croisé
en plein hiver dans une ruelle sombre de la ville
picarde, un malheureux qui en était réduit à
mendier. N’ayant rien à lui orir, il partagea son
manteau (ou sa cape) avec le miséreux.
Sulpice précise à cet égard que, durant la nuit qui
suivit, «Martin vit le Christ vêtu de la moitié du
manteau et qui disait à la foule des anges: Martin
encore catéchumène m’a couvert de ce vêtement!»
Bannière à la basilique Saint-Martin
Tours (Indre-et-Loire)
Enrôlement du soldat Martin dans l’armée romaine
Détail d’un vitrail de la basilique Saint-Martin à Tours
(Indre-et-Loire) réalisé par l'atelier Lobin de Tours (n du
xixe siècle)
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Le fondateur de Marmoutier
Labbaye de Marmoutier, Majus
Monasterium en latin, située sur la
commune de Sainte-Radegonde, canton
et arrondissement de Tours, a été fondée
par saint Martin en 372 auprès de sa ville épiscopale.
Détruite par les Normands en 853, reconstituée
peu après par le Chapitre de Saint-Martin avec des
chanoines, l’abbaye de Marmoutier fut rendue aux
moines et réformée par saint Mayol, abbé de Cluny.
Ce fut l’abbaye la plus puissante et la plus riche
de l’Ouest de la France. Les Huguenots la
pillèrent. Elle fut agrégée à la Congrégation de
Saint-Maur en 1637. Après la reconstruction du
monastère, les chapitres généraux s’y réunirent.
La mense abbatiale fut unie à l’archevêché de
Tours en 1739. Il ne reste de cette abbaye que
des vestiges de léglise, de l’hôtellerie et du mur
de clôture, avec une belle porte dentrée.
Abbaye de Marmoutier (Indre-et-Loire) en 1700, collect. Gaignières, BNF. Ce dessin donne un précieux
aperçu de l'importance du monastère bénédictin dont le rayonnement s'étendait à tout l'Occident chrétien.
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Les rois de France, abbés de Saint-Martin
L’abbaye de Saint-Martin de Tours
fut sécularisée dès la n du neuvième
siècle. Plus de cent bulles des papes
attestèrent son exemption. Hugues
Capet fut abbé de Saint-Martin lorsqu’il
parvint à la couronne; il y unit ce titre. Il avait
succédé en cette abbaye à Hugues le Grand,
son père, à Robert II, son aïeul, à Robert-
le-Fort (866), son bisaïeul. C’est depuis cette
union que les rois de France devinrent chefs
et «premiers chanoines» de cette église. En
qualité d’abbés de Saint-Martin, ils se devaient
de prononcer le serment dont voici quelques
extraits: «Ego, annuente Domino, Francorum
rex, abbas et canonicus hujus Eccesiae Beati
Martini Turonensis,
juro Deo et Beato
Martino me de caetero
protectorem et defen-
sorem fore hujus
Ecclesiae…»
De nombreux rois de
France feront au moins
un voyage à la basilique
de Tours, soit avant
d’accomplir une croisade
ou un pèlerinage, soit
avant une guerre ou
une bataille : Philippe
Auguste s’y rendra
avant de partir en
croisade, Louis VIII
fera le voyage et Saint
Louis, en grand dévôt
s’y recueillera à trois
reprises ; on croisera
encore à Tours, Philippe
le Long, Charles le
Bel, Charles VII,
Louis XI, Louis XII,
François Ier et Henri II. Trois rois seront
reçus solennellement à la basilique, de 1576
à 1650: HenriIII, Henri IV et Louis XIV.
Des personnages illustres tels que: Foulques
Nerra (comte d’Anjou), Richard Cœur de
Lion, Aliénor d’Aquitaine et Jeanne d’Arc
viendront également s’agenouiller auprès du
tombeau de saint Martin. Par ailleurs, les
papes ont toujours «vénéré saint Martin»;
sept dentre eux sont venus prier dans la crypte
de Saint-Martin: Urbain II en 1096, Pascal
II en 1107, Calixte II en 1119, Innocent
II en 1130, Alexandre III en 1163, Jean
XXIII (encore cardinal Roncalli en 1947) et
Jean-Paul II en 1996. Parmi les papes,
MartinIV élu en 1281
avait exercé au préalable
les fonctions de
chanoine et trésorier de
Saint-Martin à Tours.
Le chapitre de l’abbaye
de Saint-Martin de
Tours comprenait des
chanoines d’honneur
ecclésiastiques ; ceux-ci
étaient le patriarche de
Jérusalem, l’archevêque
de Mayence, l’arche-
vêque de Cologne,
l’archevêque de Saint-
Jacques de Compos-
telle, l’archevêque de
Sens, l’archevêque de
Bourges, les évêques
de Liège, d’Angers, de
Poitiers, d’Auxerre, de
Québec au Canada,
l’abbé de Marmoutier
et l’abbé de Saint-
Julien de Tours.
Hugues Capet, roi de France (996) - Abbé laïc de la puissante
collégiale de Saint-Martin de Tours, Hugues Capet, ls de
Hugues le Grand, petit-ls de Robert II et arrière petit-ls
de Robert le Fort, avait héri, selon plusieurs historiens, du
surnom "Capet", en référence à la "Cappa" ou Cape de saint
Martin conservée comme une relique religieuse doe de vertus
exceptionnelles. Cette explication semble tout à fait plausible.
Gravure de Delannoy (xixe siècle)
99
Saint-Martin d’Angers (Maine-et-Loire)
Collégiale fondée en 1020 par le comte
Foulques d’Anjou, sur l’emplacement
d’une chapelle plus ancienne, avec un
chapitre de treize chanoines.
- Saint-Maur (Saint-Martin) de Glanfeuil
(Maine-et-Loire) Fondé en 543 par saint
Maur, qui avait appris de saint Benoît à honorer
spécialement saint Martin, et qui choisit sa
sépulture dans loratoire, « Saint-Martin »,
comme son maître dans la chapelle de Saint-
Martin au Mont-Cassin.
- Saint-Martin de Lamballe (Côtes d’Armor)
Ancien prieuré dépendant de l’abbaye de
Marmoutier, fondé en 1084, à la suite d’une
donation de Georoy Botrel, comte de
Penthièvre et de Bretagne. Transformé en
paroisse.
- Saint-Martin de Pontlieue (Sarthe)
Établi vers la n du e siècle par saint Bertrand,
évêque du Mans, en exécution d’un vœu fait à
saint Martin tandis qu’il était prisonnier de
guerre des Austrasiens. Il s’agissait d’un ancien
hospice desservi par des moines. D’après les
statuts, seize pauvres, aveugles ou inrmes,
devaient être nourris et entretenus à Pontlieue.
De même, tous les pèlerins, tous les malheureux
avaient le droit de se faire donner le nécessaire;
un dîner était oert à l’évêque et au clergé le
jour de la fête de saint Martin qui, de son vivant,
avait dû traverser cette localité.
Les monastères de France
dédiés à saint Martin
Ancienne église du prieuré Saint-Martin de Lamballe
(Côtes d'Armor) , dépendance de l’abbaye de Marmoutier
Saint-Martin d’Angers (Maine-et-Loire)
Saint-Martin de Pontlieue (Sarthe)
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