La réduction, l’émergence, l’unité de la science et les niveaux de réalité 3
ment l’unique manière de justier les énoncés portant sur le monde, mais
que leur contenu objectif n’allait pas au-delà de ces observations. Ainsi
l’ensemble d’énoncés d’observation qui découlent d’un énoncé théorique
E ne fournissent pas seulement l’ultime source de sa justication mais
aussi son contenu objectif.
En quoi cette doctrine fournit-elle une raison de penser que la division
entre les différentes disciplines scientiques n’est que provisoire sur le
plan théorique (même si elle peut être maintenue à long terme pour des
raisons pragmatiques de partage de travail) ? S’il n’y a qu’une seule
base observationnelle qui est la même pour toutes les sciences, tous les
énoncés scientiques partagent un même contenu empirique, à savoir
l’ensemble des observations, réellement faites ou seulement possibles.
Les différentes sciences n’existent que parce qu’elles imposent des grilles
conceptuelles différentes sur le même ensemble d’observations directes.
Grâce à ses concepts propres, la chimie découvre des structures et des
régularités dans les phénomènes qui n’apparaissent pas du point de vue
de la physique au sens étroit. À moins de construire à l’intérieur de la
physique l’ensemble des concepts chimiques, les régularités concernant
l’acidité ou la vitesse de réaction sont « invisibles » du point de vue de
la physique.
Selon la thèse de l’unité des sciences, cette invisibilité est la consé-
quence d’un choix pragmatique : pour limiter le nombre de types de
phénomènes et de régularités qu’un groupe de scientiques s’emploie
à étudier, on décide d’ignorer certains domaines de phénomènes. Les
physiciens choisissent ainsi d’ignorer l’ensemble des phénomènes et
régularités concernant l’acidité, pour laisser son étude à la chimie en
tant que science institutionnellement séparée de la physique. Cependant,
dans le cadre de la conception véricationniste de la signication, qui
fournit l’arrière-plan et la justication principale de la thèse de l’unité des
sciences pour les philosophes de l’empirisme logique, tous les concepts
scientiques – physiques, chimiques, biologiques ou autres – dérivent
leur signication en dernière instance de l’observation, ou de phénomè-
nes observables : la position de l’aiguille sur un instrument de mesure,
le nombre d’événements enregistrés par un compteur, le changement de
couleur d’une substance chimique, etc. En d’autres termes, les phéno-
mènes directement observables constituent les composants ultimes de
la signication du vocabulaire de toutes les sciences. En vertu de cette
« unité commune de conversion », il est en principe possible d’exprimer
la signication de n’importe quel énoncé empirique (c’est-à-dire qui