Annie Laurent : « L`islam désempare la laïcité, puisqu`il n

décembre 2012 la baule
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le dossier28
Annie Laurent : « L’islam désempare la laïcité, puisqu’il
n’y a pas de privatisation de la foi. »
Pourquoi les Français ne comprennent pas l’islam
La Baule+ : On commente
toujours les faits divers qui
ont un lien avec l’islam à
travers un prisme occidental
et laïc. Or, vous estimez que
très peu de Français savent
réellement ce qu’est l’islam…
Quelle est votre analyse ?
Annie Laurent : Cela fait 32 ans
que j’étudie l’islam, sur le plan
religieux, social et politique.
Je vais régulièrement dans
les pays du Proche-Orient et
je constate que nous sommes
incapables d’avoir une lecture
juste sur les réalités du Proche-
Orient. Ma réexion concerne
également les chrétiens du
Proche-Orient, car on a du
mal à comprendre comment
le christianisme fonctionne au
Proche-Orient. Notre regard
est déformé avec nos lunettes
laïques. La manière dont la
laïcité est comprise en France
ne nous permet pas d’avoir
une appréciation juste des
réalités du Proche-Orient, où
tout est confessionnel. Beau-
coup de gens savent cela,
mais ils ont du mal à saisir
les implications pratiques que
cela entraîne. L’islam est un
tout qui ne distingue pas le
temporel du spirituel. Cette
confusion est constitutive de
l’islam. Ce n’est pas un acci-
dent de l’histoire ou le fait de
certaines idéologies qui sur-
gissent de temps à autre, c’est
vraiment constitutif de l’islam.
Pour comprendre cette réa-
lité, il faut enlever nos lunettes
laïques.
Dans ce contexte, le concept
de laïcité est totalement
étranger à des personnes de
confession musulmane…
Il est totalement étranger à
la doctrine et à la tradition
musulmanes, mais il faut
bien se rendre compte qu’il y
a des personnes nées musul-
manes - puisque l’on reçoit
son identité confessionnelle à
la naissance - qui ont quand
même une vie laïque et une
conception laïque des choses.
Le problème, c’est qu’elles
sont minoritaires et elles ne
donnent pas le ton des orien-
tations des États et des socié-
tés.
Ces musulmans laïcs, est-ce
ceux que l’on a tendance à
présenter comme des «musul-
mans modérés», alors qu’ils
sont déjà dans le camp de la
laïcité, c’est-à-dire hors de
l’islam ?
Je ne dirais pas qu’il y a un
islam modéré, mais il y a des
musulmans modérés. Plu-
sieurs lectures du Coran sont
possibles. Le problème, c’est
qu’il n’y a pas d’interpréta-
tion authentique des écritures.
Dans l’Église catholique, il y a
un magistère qui dit comment
interpréter les écritures, en
laissant la liberté aux dèles
de suivre cet enseignement
ou pas, et les interlocuteurs
des catholiques savent ce que
l’Église catholique dit sur
ces écritures. Avec l’islam, ce
n’est pas le cas, si bien qu’il y
a de multiples interprétations
et certains prennent des liber-
tés avec des éléments de la
religion qui sont pourtant es-
sentiels. Par exemple, le jeûne
du ramadan est une obliga-
tion. Un musulman, lorsqu’il
est seul, loin de la pression
sociale, peut se permettre de
prendre des libertés. Mais
lorsqu’il est repris par la com-
munauté, l’Oumma, il ne lui
reste que très peu de liberté
de manœuvre. Il y a des mu-
sulmans non croyants, c’est-à-
dire nés musulmans et qui re-
jettent la religion, qui suivent
le rite du ramadan parce que
c’est un rite communautaire.
dans certaines
banlieues
françaises, il
y a une sorte
de police
religieuse
D’ailleurs, ils peuvent perdre
leur travail ou être victimes
de violences s’ils n’observent
pas le ramadan…
Des maires m’ont coné que
dans certaines banlieues
françaises, il y a une sorte
de police religieuse qui s’est
mise en place, particulière-
ment pendant le ramadan, et
les membres de cette pseudo
police vont contrôler les
poubelles et monter dans les
étages pour sentir s’il y a une
odeur de cuisine ou non, à
l’heure du déjeuner...
On a l’impression que les
hommes politiques sont déjà
très en retard sur cette ques-
tion, car la réalité, ce n’est
plus le pain au chocolat,
mais la police religieuse !
On est en train d’assister à la
mise en place d’une société
parallèle avec ses propres
normes et ses propres modes
de fonctionnement. Ce sont
des zones de non-droit, où
la police n’a plus la possibi-
lité d’entrer. Nos pouvoirs
publics ont été aveuglés, ils
ignorent complètement ce
qu’est l’islam et l’islam dé-
sempare la laïcité puisqu’il
n’y a pas de privatisation de la
foi dans cette religion. L’islam
est arrivé chez nous au mo-
ment où l’on a voulu priva-
tiser la foi des catholiques et
les pouvoirs publics ne savent
plus comment s’y prendre.
Souvent, chez nos hommes
politiques, on traite l’islam
avec des repères catholiques.
Par exemple, lorsque Nicolas
Sarkozy a voulu organiser le
culte musulman en France,
il s’est référé à des modes de
fonctionnement catholiques.
Il a cru pouvoir installer une
sorte de «conférence épis-
copale» représentative. Le
Conseil français du culte
musulman est certes l’interlo-
cuteur ofciel de l’État, mais
beaucoup de musulmans ne
le considèrent pas comme
représentatif. Nous voulons
appliquer nos propres cri-
tères de fonctionnement sur
d’autres religions. Je dirais la
même chose pour les aumô-
neries : on a voulu créer des
aumôneries dans les prisons,
à l’armée et dans les hôpitaux,
mais dans l’islam il n’y a pas
d’aumônier, parce que l’islam
ignore la notion de médiation
entre Dieu et l’homme. Le
Coran dit à plusieurs reprises
que l’homme est seul devant
Dieu. Il n’y a pas de prêtres,
pas de sacerdoce, pas de
sacrements, la notion de la
grâce n’existe pas non plus…
Résultat : on observe que les
musulmans sont repris par
des aumôniers intégristes.
Les politiques proposent de
créer une sorte d’islam à la
française avec des imams
formés en France… Est-ce
réalisable ?
Je comprends très bien la
préoccupation du gouverne-
ment français qui voudrait
que les imams qui ofcient
en France soient pleinement
intégrés dans notre société.
Comme il n’y a pas de magis-
tère, il y a des interprétations
diverses. Il y a quatre écoles
juridiques différentes dans
le monde musulman : quel
est l’islam qui sera enseigné
dans ces instituts de forma-
tion d’imams ? Est-ce la répu-
blique laïque qui va contrôler
l’enseignement ?
Tout le monde parle de l’islam, mais connaît-on vraiment
cette religion ? Les hommes politiques rêvent d’un islam à la
française, s’évertuent à préciser à chaque n de phrase qu’il
ne faut pas confondre «islam» et «islamisme», tandis que certains
évoquent même un «islam laïc» ! Ils font peut-être semblant de ne
pas bien connaître le sujet, de crainte de troubler, de choquer ou
de diviser… Annie Laurent travaille depuis des années sur l’islam
et elle est déjà venue à La Baule donner plusieurs conférences sur
ce sujet. Elle est docteur d’État en sciences politiques, spécialisée
dans les domaines touchant à l’islam, aux questions politiques
au Proche-Orient, aux chrétiens d’Orient et aux relations inter-
religieuses. Elle est également l’auteur de plusieurs ouvrages sur
ces thèmes. Annie Laurent est aussi vice-présidente de l’association
Clarier qui édite une lettre d’information sur la connaissance
de l’islam : «La Petite feuille verte» est adressée gratuitement à
tous ceux qui en font la demande par courriel à l’adresse suivante :
contact@associationclarier.fr
Annie Laurent était l’invitée de Yannick Urrien sur Kernews 91,5
FM pour un entretien que vous pouvez retrouver en «radio à la
demande» sur le site de Kernews.
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