Dossier : Attentat en Isère, la question médiatique de la

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Dossier : Attentat en Isère, la question médiatique de la
désignation de l’ennemi
Categories : Dossiers, Médias
Date : 4 août 2015
Durant l’été, l’Ojim vous propose de revivre les grands moments de l’actualité de ces
derniers mois passés au crible de la critique des médias. Une période marquée par les
attentats bien sûr (à Paris en janvier puis en Isère en juin), mais aussi par les élections
départementales, l’acquittement des policiers dans l’affaire Zyed et Bouna, le phénomène
Zemmour ou « l’affaire Ménard » dans laquelle la plupart des médias ont plongé avec
délectation. Afin de contribuer à une meilleure connaissance des médias, l’Ojim
continue également à enrichir sa base de données en portraits de journalistes (plus de 150 à
ce jour), publiant ce que certains journalistes ne voudraient pas forcément voir publier…
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Date de publication initiale : 15/07/2015
Avec ce nouvel attentat spectaculaire sur le sol français, les slogans rassurants se
trouvent laminés, comme le consensus national de janvier dernier. Se pose désormais
d’une manière toujours plus polémique la question schmittienne de désigner l’ennemi.
« Padamalgam » ou « Cinquième colonne » ?
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« Il faut terroriser les terroristes ! », s’exclamait il y a une trentaine d’années Charles Pasqua,
avec une gouaille, un accent et une emphase qui ont tous trois disparus depuis des discours
politiques, lesquels, lissés, oscillent désormais entre « éléments de langage » et incantations
automatiques de l’antifascisme d’opérette psalmodiées à n’importe quelle occasion – robots et
automates ayant ainsi succédé à ces comédiens du Pouvoir que l’Histoire, parfois, ramenait du
moins à la mesure tragique. Justement, tandis qu’on enterrait ces jours derniers le ministre
gaulliste, le milieu médiatico-politique paraissait quant à lui – autre temps, autres mœurs -,
obsédé par l’exigence non de « terroriser les terroristes », mais de les « désamalgamer » à tout
prix. Alors que la menace qui pèse sur la République française est aujourd’hui infiniment plus
grave que celle qui faisait rugir Pasqua en 1986, il paraît, étrangement, que l’injonction soit
moins de faire peur à l’agresseur que de rassurer ses coreligionnaires afin qu’ils demeurent
dans le bon camp. Comme nous le démontrions déjà il y a quelques mois, l’action des médias
officiels dans la guerre contre l’Islam terroriste n’a jusqu’à présent abouti qu’à servir les
objectifs de ce dernier. Avec ces événements récents, on a cependant assisté à une évolution
dans la communication. L’accumulation de faits, sans doute, finit par faire se fissurer la ligne
commune. Et c’est la question de la désignation de l’ennemi qui n’a en réalité cessé d’être
posée après la décapitation et l’attentat raté auxquels procéda Yassin Salhi, le vendredi 26
juin, à Saint-Quentin-Fallavier. Question fondamentale, ainsi que l’avait énoncé le philosophe
Carl Schmitt. La réponse se trouve être stratégiquement décisive. Car si « nous sommes
Charlie », qui sont-ils, eux, ceux qui veulent nous égorger ou nous soumettre ? Des
déséquilibrés ? Des terroristes ? Des islamistes ? Des Musulmans ? Des barbares ? Des
« Français comme vous et moi » auxquels n’ont pas été proposées suffisamment
d’opportunités alternatives ? La question, au moins, aujourd’hui fait débat.
Victimisme radical
L’une des premières polémiques nées après l’attentat fut lancée, comme toujours, par un
tweet, émis par le CCIF (Collectif Contre l’Islamophobie en France), lequel affirmait que le
danger en France « ne réside pas dans les vaines tentatives de groupes armés de déstabiliser
la République », mais serait à chercher « du côté de ceux qui utilisent ces événements pour
déverser leur haine contre une partie de la population qui est, de fait, celle qui paye le plus
lourd tribut face au terrorisme. » Tweet d’une obscénité parfaitement décomplexée qui
témoigne qu’au contraire des caricaturistes, les associations musulmanes, en France, osent
tout. Le grand recteur de la Mosquée de Paris réclamant pour son culte les églises vides
quelques semaines plus tôt, nous avait déjà mis au diapason… Déroulant à n’en plus finir et
jusqu’à l’absurde la rhétorique victimaire forgée par la gauche dans les années 80, celle-ci
alloue aux musulmans qui décident d’en exploiter toutes les possibilités un blanc-seing à peu
près total pour affirmer les choses les plus inouïes. Comme de se désigner comme les
premières victimes (comme les seules, permanentes et éternelles victimes) de l’Islamisme
radical – fût-ce par retombées secondaires et comme si les crimes initiaux demeuraient
anecdotiques. Aucun musulman, en France, n’a été décapité en raison de sa religion ; aucune
petite fille musulmane n’a été tuée à bout touchant dans sa cour d’école en raison de sa
religion ; aucun journaliste musulman n’a été froidement exécuté dans sa salle de rédaction en
raison de sa religion ; aucune mosquée n’a été visée par un attentat un vendredi durant la
prière, mais tout cela ne serait que détails de l’Histoire. La seule souffrance à prendre en
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compte demeure celle des seules victimes légitimes et absolues que représenterait la minorité
musulmane en France. Ce qu’il y a de plus choquant, dans une pareille attitude, c’est
évidemment le mépris affiché pour les vraies victimes – toutes juives, athées ou chrétiennes que l’Islamisme radical a réellement assassinées sur le territoire, un mépris qui n’attend même
pas que le sang ait séché pour s’exprimer.
Contradictions des journalistes
Or, cependant, le communiqué du CCIF a tout de même suscité quelques réactions indignées
et a même été vivement critiqué par L’Express. Pourtant, en janvier dernier,
qu’affirmait Christophe Barbier dans le même magazine ? Que « Les premières victimes de
l’Islamisme sont les musulmans ». Que la foi musulmane, en France, se trouve menacée parce
que les attentats « créent du doute, de la suspicion, de la discrimination. » Autrement dit, le
directeur de la rédaction de L’Express, n’affirmait pas autre chose que le CCIF, quoi qu’en des
termes moins vifs et avec un meilleur à propos. Que les musulmans français soient des victimes
collatérales et indirectes des attentats islamistes est évident ; qu’ils soient sciemment pris en
otage par l’ennemi islamiste, cela va encore de soi. Mais il n’y a strictement aucune raison
d’en faire pour autant les « premières victimes » de l’Islamisme. C’est faux, absurde et injuste
vis-à-vis des morts. De peur que se développe dans la population une haine résolue de l’Islam,
certains vont donc jusqu’à faire passer pour seules victimes ceux qu’ils craignent de voir
assimiler injustement aux bourreaux. Un peu plus de nuance dans la pensée, un peu moins de
slogans, un peu moins de réflexe binaire, éviterait que de telles idées fallacieuses se retrouvent
ainsi martelées par les musulmans très conquérants du CCIF, usant de cet argument comme
une arme, une immunisation morale de l’Islam en France qui participerait à faire progresser la
réalisation de l’espoir revendiqué par le porte-parole du Collectif, Marwan Muhammad : que la
France devienne terre d’Islam d’ici trente ou quarante ans.
L’Islam et la République
Loin de cette scandaleuse manipulation du CCIF, d’autres voix s’élèvent, davantage loyales et
pacificatrices, depuis la communauté musulmane. Ainsi celle du philosophe Abdennour Bidar,
chargé de la laïcité au ministère de l’Éducation Nationale, qui s’était déjà fait connaître après
les attentats de janvier, avec la publication, notamment, de son Plaidoyer pour la
fraternité (Albin Michel). Le 28 juin, il accorde un entretien à La Dépêche, dans lequel il expose
les nécessités de construire un dialogue. « Pour commencer, il faut s'adresser aux hommes de
bonne volonté dans les deux civilisations : il y a côté occidental beaucoup de rejet, et côté
musulman beaucoup de ressentiment, par rapport à la colonisation ou l'impérialisme, mais il y a
aussi de part et d'autre des hommes et des femmes qui veulent nouer le dialogue, et c'est avec
eux qu'il faut élaborer un universel. » À l’international, Bidar a sans doute entièrement raison,
mais dans le cadre national ses propositions ont néanmoins un aspect grandement
problématique que personne ne relève. En effet, Bidar y présente l’Islam comme un
interlocuteur légitime de la République, battant en brèche, de la sorte, deux aspects essentiels
de la culture française : premièrement le fait précisément que le religieux est évacué de la
sphère publique et donc ne peut pas être reconnu comme légitime dans un débat sur les
destinées communes de la Nation ; deuxièmement, la tradition d’assimilation républicaine qui
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institue le modèle républicain laïc comme absolu, sans rival, et auquel est censé se conformer
intégralement le nouvel arrivant. Ainsi, soit qu’il l’agresse par les armes, soit qu’il lui fasse du
chantage victimaire, soit même qu’il prétende être en position de dialoguer avec elle, l’Islam se
présente dans tous les cas dans une position d’offensive face à une société française moderne
totalement démoralisée, désacralisée, voire dépressive. Quant au musulman, il est, dans les
exemples précédents, soit désigné comme victime prioritaire à rebours de tout sens commun,
soit comme interlocuteur à privilégier.
À gauche : tenir le choc
Dans Libération du 26 juin, Nathalie Raulin signe un papier qu’on croirait directement rédigé
par les cabinets de l’Élysée. Tout doute, toute inquiétude, toute panique auraient été déjoués
par le gouvernement « coupant l’herbe sous le pied » d’un FN pressé, toujours, de recycler les
frayeurs. L’unité nationale – y compris sous le prisme droite-gauche – aurait été en outre,
comme en janvier, idéalement maintenue et affirmée. Cette analyse, qui n’en est pas une, tient
plus de l’incantation et du déni, deux pratiques qui résument en réalité l’essentiel du travail des
journalistes de gauche depuis trente ans. Nous le verrons plus loin, mais notons d’emblée que
ce qui s’est révélé après cet attentat est au contraire le fait que cette unité nationale a
clairement commencé de se fissurer. D’ailleurs, Laurent Joffrin, plus lucide, s’en aperçoit bien,
lui, dans son édito. Plutôt que de se masquer la réalité des faits, il appelle donc à tenir le choc.
« Mais, de toute évidence, certains souhaitent aller au-delà. A droite ou à l’extrême droite, on
parle de "cinquième colonne", "d’état d’urgence", "d’action immédiate". Autrement dit, on
plaide pour des mesures d’exception et pour la suspicion générale envers une minorité. C’est
faire exactement le jeu des terroristes. » Et Joffrin de conclure en appelant à « Tenir bon sur les
principes. » Ce que ne veut pas voir le journaliste, c’est que tout fait le jeu des terroristes, y
compris la « Charlie attitude », comme l’OJIM le montrait ces mois derniers. En revanche, à
gauche, personne ne semble songer à faire le jeu de la France (quitte, justement, à
embarrasser des minorités, si nécessaire). Christophe Barbier, dans L’Express s’il met en
garde, comme tous, contre le danger de « surenchère alarmiste », entre néanmoins lui-même
dans la surenchère. En effet, le curseur, chez lui, est bien davantage sur le rouge que chez son
camarade Joffrin : l’ « union nationale » est à faire, non à préserver ; les alliances
internationales doivent assumer un revirement diplomatique majeur ; l’islam de France doit se
soumettre à un « concordat » ; enfin, Barbier offre une conclusion franchement martiale : «
Qu'elle soit ou non "de civilisation", selon les mots de Manuel Valls, cette guerre doit être
déclarée et menée. Sinon, elle est déjà perdue. »
Le « padamalgam » en désuétude
On se souvient que le mot d’ordre de l’après-Charlie avait été : « padamalgam ». Après la
décapitation d’Hervé Cornara, ce fut le même slogan qui sortit de la bouche du ministre de
l’intérieur, Bernard Cazeneuve, dès qu’il eut à s’exprimer, exploitant à n’en plus finir les
éléments de langage qu’on lui avait forgés six mois plus tôt. Cambadélis tweeta quant à
lui : « Pas d’amalgame. Ne jouons pas sur les peurs », renforçant l’impression qu’un seul
cerveau était partagé par tout le Parti Socialiste. Goldnadel se moquera férocement de
l’expression dans Valeurs actuelles, mot d’ordre également attaqué par Caroline Artus
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sur Boulevard Voltaire ou par Xavier Théry dans Causeur. Autrement dit, la « réacosphère »
n’attendait que sa profération pour tirer sur ce concept sympa et limité. On vit même une
page Facebook s’ouvrir sous le titre ironique de « Surtout pas d’amalgame ! ». En réalité, même
s’il est évident que la formule est tout simplement exaspérante, contrairement à l’aprèsCharlie, ce mot d’ordre ne résuma pas un consensus obligatoire dans l’affaire qui nous
occupe. Il montra au contraire son épuisement.
Cinquième colonne ?
En revanche, une formule qui, en janvier, n’avait été employée que par le député FN Aymeric
Chauprade et qui, alors, avait fait polémique au sein-même du parti de Marine Le Pen, celle de
la « Cinquième colonne islamiste », finit, cette fois-ci, par s’imposer davantage, notamment
dans les discours et les tweets de Christian Estrosi, relayé par Nadine Morano ou encore, en
couverture du Valeurs actuelles du 2 juillet 2015, quoi qu’elle fasse encore débat au FN où
Philippot la taxe d’ « outrance verbale ». Cette formule implique de désigner l’ennemi intérieur
et de le traquer, au sein de l’Islam, au lieu de surprotéger la seconde religion de France sans
jamais lui demander des comptes, et de peur de la radicaliser (alors que l’on nous dit qu’elle
n’a justement rien à voir avec la radicalité islamiste), toute cette confusion hypocrite ne
permettant visiblement pas de faire reculer les offensives islamistes, offensives dont la France
est l’une des premières cibles dans le monde occidental, ainsi que l’affirmait The Economist le
29 juin dernier. Plus étonnant, le député PS Malek Boutih, livrant à Manuel Valls un rapport
intitulé « Génération radicale », lance un cri d’alarme en allant exactement dans le même sens
que ceux qui s’inquiètent d’une cinquième colonne, même s’il n’emploie pas ces termes trop
connotés. Pourtant, l’analyse de Boutih l’affirme sans ambiguïté : « Le djihadisme est bien la
radicalité qui prédomine aujourd'hui dans l'offensive antidémocratique.» et cette radicalité
pourrait bien se transformer en phénomène de masse…
Progression du curseur
Ainsi l’écho médiatico-politique de l’attentat du 26 juin 2015 à Saint-Quentin-Fallavier aura
montré une très nette progression du curseur vers l’alerte rouge d’un grave danger que
représenterait un ennemi intérieur, ennemi qu’il s’agirait de circonscrire et de traquer plutôt
que de répéter comme un mantra un « padamalgam » révélant toujours davantage soit sa pure
vanité, soit l’usage victimaire que peuvent en faire des associations musulmanes qui, sans
qu’on puisse les soupçonner de djihadisme, se montrent néanmoins particulièrement
conquérantes et décomplexées. Bien sûr, le discours demeure encore très confus et souvent
contradictoire mais il faut remarquer également que la recherche de la juste désignation de
l’ennemi traverse et clive la plupart des courants politiques. Nous pouvons aussi nous
demander pourquoi cet « état d’urgence » progressif ne s’instaure que maintenant quand tant
de signaux le laissaient prévoir, et combien il faudra de décapités provinciaux pour que les
journalistes parisiens sortent de la langue de bois ?
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