la gaule

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Albert GRENIER
LA GAULE
PROVINCE ROMAINE
Éditions ARMELINE
Tous droits de traduction, d’adaptation et de reproduction par tous procédés
réservés pour tous pays.
© Éditions ARMELINE, Crozon, 1999.
ISBN 2 - 910878 - 08 - 2
_________________________________________________
Éditions Armeline, Tal-ar-Groas, Route de l’Aber, 29160 CROZON
CHAPITRE PREMIER
LA CONQUÊTE ROMAINE
I. — Gaule continentale et Gaule méditerranéenne.
La Gaule celtique représentait un État éminemment
continental. Le mouvement des hommes et des idées — on
le constate bien par l’art celtique — s’y faisait de l’Est à
l’Ouest et, à travers la Gaule, depuis le centre de l’Europe
jusqu’à l’île de Bretagne. La Gaule romaine, au contraire,
sera une province méditerranéenne, orientée tout entière du
Sud au Nord. Telle est la transformation capitale qu’accomplira
la conquête romaine.
Les deux grands passages de Cologne et du sud de
l’Alsace, vers la Picardie ou la Champagne et vers la Porte
de Bourgogne, conduisaient vers les vallées de la Seine et de
la Loire. Ces deux fleuves avaient été les avenues le long
desquelles s’étaient groupés les principaux peuples celtiques : Trévires de Trèves, Rèmes de Reims, et les différents
peuples belges, d’une part ; Senons de Sens, Carnutes
d’Orléans et de Chartres, Aulerques de Normandie, Arvernes
sur la Haute-Loire et l’Allier, Bituriges de Bourges, Pictons
du Poitou d’autre part. Par la marine armoricaine et par les
Belges, au nord de l’estuaire de la Seine, le celtisme se continuait au delà de l’Océan et de la Manche. Un roi des
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LA GAULE, PROVINCE ROMAINE
Suessions (Soissons), nous dit César, avait régné naguère sur
une grande partie de l’île de Bretagne. C’est dans cette île
qu’après la conquête se réfugièrent les Gaulois intransigeants qui ne voulaient pas subir la domination romaine ;
l’archéologie y retrouve leurs traces.
Rome, au contraire, ferma la frontière du Rhin. C’est là
qu’elle établit la principale force militaire de l’Empire : huit
légions (50 000 hommes) et à peu près autant de troupes
auxiliaires. Elle avait détruit la marine armoricaine ; elle ne
la remplaça pas, même après la conquête d’une partie de l’île
de Bretagne, en 43 de notre ère. Elle ouvrit au contraire les
routes à travers les Alpes et celle du littoral méditerranéen.
La navigation s’intensifia depuis l’Asie, l’Égypte, l’Afrique
et l’Espagne vers les côtes méditerranéennes de la Gaule.
Arles et Narbonne devinrent de grands ports, l’un pour la
partie est du pays, le second pour l’ouest. Conquise la première dès 120 avant J.-C., la Narbonnaise, c’est-à-dire toute
la partie méridionale de la Gaule, fut comme une annexe de
l’Italie au delà des Alpes. Par Lyon, sa capitale, le reste du
pays était rattaché au Midi. A travers les montagnes ou par
les chemins de la mer, remontant le Rhône, ou par le facile
passage de Naurouze, les hommes et les marchandises affluèrent de tout le monde méditerranéen, et la civilisation
gréco-romaine se substitua à celle des Celtes.
La Gaule celtique se gouvernait elle-même et se faisait
sa propre destinée. Elle ne fut plus désormais qu’une province de l’Empire romain, soumise à toutes les vicissitudes
de cet Empire.
II. — La conquête.
Tandis qu’ils se défendaient à Alésia, les Gaulois
avaient compris le caractère nouveau de la guerre qu’ils
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LA CONQUÊTE ROMAINE
soutenaient et l’importance capitale de l’enjeu. « Cette
guerre, fait dire César à l’un des compagnons de Vercingétorix, n’a rien de semblable aux autres. Les Cimbres et les
Teutons ont ravagé la Gaule ; leur invasion fut un grand
désastre, mais un beau jour ils ont disparu pour gagner
d’autres terres ; ils nous ont laissé nos droits, nos lois, nos
champs, notre liberté. Les Romains, au contraire, que cherchent-ils ? Que veulent-ils ? L’envie les a conduits chez
nous. Jaloux de notre réputation de noblesse et de puissance
militaire, ils veulent nous les ravir ; ils veulent s’installer sur
nos terres et dans nos villes, et nous imposer une éternelle
servitude. Tel a toujours été le but de toutes leurs guerres. Si
vous ne savez pas ce qui se passe chez les peuples lointains,
regardez la partie de la Gaule qu’ils ont déjà conquise ; ils en
ont transformé le droit et les lois ; ils l’ont assujettie à leurs
faisceaux ; elle souffre l’oppression d’une servitude de tous
les instants. »
Les défenseurs de l’indépendance gauloise succombèrent. L’avenir du pays, sous le joug romain, fut cependant
moins sombre qu’ils le prévoyaient. Pour assurer l’empire
trop vaste qu’elle avait conquis, Rome dut se montrer libérale. Un siècle après Vercingétorix, en 70 après J.-C., une
assemblée générale des Gaulois, invitée à décider le soulèvement, préféra l’état de choses romain à ce que pouvait
faire attendre un retour à l’indépendance : « La crainte de
l’avenir, dit Tacite, leur fit préférer le présent. » Les Trévires
seuls, avec les Lingons de Langres, avaient persévéré dans la
révolte, et, après les avoir vaincus, le général romain pouvait
leur tenir ce discours : « De quoi vous plaignez-vous, Gaulois ? Vous commandez nos légions, vous gouvernez nos
provinces. Vous profitez comme nous des vertus des bons
empereurs. Des mauvais, vous souffrez moins que nous qui
en sommes plus près. Les défauts du régime, il faut les ac11
LA GAULE, PROVINCE ROMAINE
cepter, comme on accepte la grêle ou les calamités naturelles... Il y aura des vices tant qu’il y aura des hommes. Cet
empire est l’œuvre de huit cents ans d’efforts ; s’il
s’écroulait, il écraserait sous ses ruines tous ceux qu’il abrite
aujourd’hui... »
Il disait vrai et on le vit bien quelques siècles plus tard,
lors des invasions qui suivirent sa chute.
III. — Les campagnes de César.
La guerre des Gaules fut une entreprise personnelle de
César et non une volonté du gouvernement romain. César
venait d’exercer en 59 un consulat fort agité. Son élection lui
avait coûté très cher, ses dettes étaient énormes ; il comptait
sur son proconsulat pour les acquitter et se refaire des ressources nouvelles. Il fallait pour cela que ce proconsulat
durât plus que le terme normal d’une année ; une guerre lui
était indispensable. La province qu’il s’était fait attribuer
était la Gaule Cisalpine et Transalpine, c’est-à-dire l’Italie du
Nord et la Gaule du Midi. Il songeait à partir de la Cisalpine
pour une expédition en Illyrie.
Il était encore à Rome, lorsque, dans le courant de mars
58, la nouvelle lui parvint que le peuple gaulois des Helvètes, pressé par les Germains et décidé à émigrer,
demandait la permission de traverser la province romaine.
Admirable occasion d’une terre bien plus profitable que
celle d’Illyrie !
Accouru à Genève, César chercha d’abord, par des négociations, à gagner le temps nécessaire pour faire venir les
légions qui défendraient le passage du Rhône. Rebutés, les
Helvètes prirent leur chemin à travers la Gaule indépendante ; ils avaient le consentement des Séquanes de FrancheComté et d’une partie des Éduens de Bourgogne. Mais un
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LA CONQUÊTE ROMAINE
autre parti de ce peuple fit appel à César qui s’empressa
d’accourir et atteignit l’arrière-garde des Helvètes sur la
Saône qu’elle achevait de franchir. La guerre était engagée.
Fait exceptionnel dans l’histoire des guerres antiques, nous
connaissons le détail de ces huit années d’opérations militaires
par les comptes rendus du chef romain lui-même. Les Commentaires de César sur la guerre des Gaules ne sont en effet
autre chose que ses rapports annuels au Sénat romain, repris et
plus ou moins remaniés en vue d’une publication non seulement d’histoire mais de propagande personnelle. Il s’agissait
pour l’homme politique, vainqueur improvisé des Gaulois,
d’asseoir sa réputation de grand chef militaire et de la mettre de
pair avec celle de son rival Pompée.
La conquête de la Gaule, en effet, préparait celle de
Rome. Par la gloire qu’il s’était acquise, par l’armée qu’il
avait forgée, par les profits énormes de la victoire, elle ouvrait à César le chemin de la dictature. La Guerre des Gaule
est le prologue de la Guerre civile.
Pour le récit détaillé de ces campagnes qui intéressent de
si près notre pays, nous renverrons donc, soit au texte des
Commentaires et à ses traductions, soit au récit de Camille
Jullian dans sa grande Histoire de la Gaule, ou bien au résumé
plus récent du dernier éditeur de César, L.-A. Constans. Qu’il
nous suffise d’en indiquer ici les grandes lignes.
Une fois les Helvètes battus et leurs restes renvoyés à
leur point de départ au delà du Jura, il semblait que César
n’eût plus qu’à regagner sa province. Une requête des Gaulois qui ne répondait que trop à ses désirs l’entraîna, au cours
de l’été de cette même année 58, contre Arioviste et les
Suèves qui avaient franchi le Rhin. La bataille gagnée,
quelque part dans le sud de l’Alsace, la guerre paraissait de
nouveau finie. César n’en laissa pas moins son armée en
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LA GAULE, PROVINCE ROMAINE
Gaule et regagna seul l’Italie pour y lever deux nouvelles
légions.
A le croire, les Belges se seraient dès ce moment préparés à l’attaquer avec la complicité d’une partie des Gaulois.
En réalité, nous voyons dès ce moment se dessiner son plan
d’action : isoler tout d’abord la Celtique du Centre, la partie
de beaucoup la plus importante de la Gaule, puis, s’il
n’arrivait pas sans coup férir à lui imposer l’alliance, c’est-àdire la servitude de Rome, en attaquer les peuples l’un après
l’autre en profitant de leur désunion.
C’est ainsi qu’en 57, il engage, dans le Nord, la campagne contre les Belges, tandis que son lieutenant Crassus,
avec une seule légion, parcourt tout le pays de la ligue armoricaine dont il annonce la soumission. Ce n’était que le
prélude de la campagne de 56 contre les différentes cités de
l’Armorique, continuée par celle de Crassus contre les
peuples aquitains du sud de la Garonne.
L’année 55 ramène de nouveau César chez les Belges,
jusque dans les régions de la Meuse et du Rhin, où il se
heurte à des peuples germaniques en cours de migration.
Pour écarter les Suèves du Rhin et de la Gaule, il construit
un pont de charpente sur le fleuve et passe en Germanie,
d’où il revient après une quinzaine de jours sans autre exploit que le ravage du pays des Sicambres. A la fin de ce
même été, il tente une descente dans l’île de Bretagne, pour
rentrer bientôt en Belgique. Ce sont là deux campagnes
d’exploration plutôt que de guerre. L’année suivante, malgré
la défection de quelques-uns des chefs gaulois qui l’avaient
suivi jusque-là, il passe de nouveau en Bretagne et, après de
sérieuses difficultés, a la satisfaction d’en ramener un grand
nombre de prisonniers, qu’il vendra comme esclaves, et la
promesse d’un tribut, qui ne fut jamais payé.
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LA CONQUÊTE ROMAINE
Durant l’hiver de 54 à 53, les camps qu’il a établis dans
les Ardennes sont attaqués par les Éburons ; l’un est pris et la
garnison massacrée. Dans le voisinage, les Trévires s’agitent
et s’allient avec les Germains. La Celtique s’inquiète ; les
Senons de la vallée de la Seine se concertent avec les Carnutes d’Orléans et de Chartres. César lève en Italie trois
nouvelles légions qui portent son armée à onze, sans compter les contingents gaulois. La majeure partie de la Celtique
ne se prononce pas encore contre les Romains. César en convoque les chefs en assemblée à Lutèce, où il vient lui-même.
La rapidité de ses mouvements déconcerte les Senons, qui se
soumettent. César est libre de tourner toutes ses forces contre
les Trévires.
Ceux-ci commettent la faute d’attaquer avant l’arrivée
de leurs alliés Germains. Ils sont battus et César, en 53, traverse de nouveau le Rhin. Devant lui, les Suèves se retirent
dans leurs forêts où César se garde de les suivre.
Rentré en Gaule, il entreprend de se venger des Éburons
et appelle au pillage de leur pays tous leurs voisins, y compris les Germains d’au delà du Rhin : la misère, compte-t-il,
achèvera pendant l’hiver ce qui aurait pu échapper aux massacres de l’été. Les Germains accourent et, rencontrant, près
de Liège, le camp où les bagages des Romains se trouvaient
rassemblés sous la garde de Quintus Cicéron, le frère de
l’orateur, commencent par l’attaquer. Il faut que César luimême vienne le dégager. Puis il reprend, à travers les Ardennes, la chasse aux Éburons et à leur roi Ambiorix. Celuici reste insaisissable, mais tout le pays à l’est de la Meuse est
ravagé à fond. L’armée romaine revient prendre ses quartiers
d’hiver chez les Senons, dont le chef est mis à mort.
La Gaule, dont la majeure partie n’a pas encore combattu, est pacifiée, déclare César ; et il rentre passer l’hiver en
Italie où, à la suite du meurtre de Clodius par Milon, Pom15
LA GAULE, PROVINCE ROMAINE
pée, consul unique, vient de recevoir une sorte de dictature
et d’ordonner une levée en masse. César procède, pour son
compte, aux enrôlements dans sa province de Cisalpine.
C’est à ce moment, au début de l’année 52, qu’apparaît
Vercingétorix, Arverne, descendant de l’ancienne famille
royale qui avait exercé l’hégémonie sur la Gaule avant la
première apparition des Romains, quelque soixante-dix ans
plus tôt. Il lui faut d’abord, dans sa cité même, triompher du
parti au pouvoir, partisan de César ; il lui faut ensuite vaincre
l’inertie de la majeure partie des Gaulois. Il y fut aidé par les
Carnutes, le peuple central de toute la Gaule, celui chez qui
se tenait l’assise solennelle des druides de toute la nation
gauloise. Bien que César ne fasse nulle mention du clergé
druidique, on peut supposer que cette caste puissante et respectée, dépositaire de la tradition nationale celtique, prit une
part importante à la préparation du soulèvement. Ce furent
les Carnutes qui donnèrent le signal par le massacre de tous
les Romains établis à Genabum (Orléans), la base
d’approvisionnement de César. Pendant ce temps, chez les
Arvernes et leurs clients, Vercingétorix préparait une armée.
On connaît son plan de campagne, prudent et habile : ne
pas livrer bataille, faire le vide autour de l’armée romaine,
l’isoler et l’affamer et, pour cela, tout détruire dans les régions vers lesquelles elle se dirigerait. C’est ainsi que, chez
les Bituriges (pays de Bourges), en un même jour, l’incendie
s’éleva de partout et que plus de « vingt villes » furent réduites en cendres.
Malgré l’insistance de Vercingétorix, les Bituriges
avaient cependant obtenu grâce pour leur capitale : Avaricum, « presque la plus belle, disaient-ils, de
toutes les villes de Gaule ». Ils se faisaient fort de la défendre victorieusement. C’était assigner un but à l’action de
César qui s’en vint l’assiéger.
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LA CONQUÊTE ROMAINE
Vercingétorix restait à l’écart de la place, interceptant le
ravitaillement de l’armée romaine. César reconnaît combien
il eut à souffrir de cette tactique. Néanmoins, malgré une
défense dont il note l’intelligence et l’héroïsme, il parvint à
s’emparer de la ville. Tout y fut massacré et 800 hommes à
peine, tout ce qui restait d’une garnison de 40 000 guerriers,
purent, à la faveur de la nuit, rejoindre le camp gaulois. Ce
désastre, note César avec étonnement, ne fit que confirmer
l’autorité du chef gaulois. Sa volonté n’avait pas été suivie ; on
pouvait reconnaître combien elle était juste. Et Vercingétorix
annonçait que l’union de tous les peuples gaulois, qu’il avait
déjà presque réalisée, allait donner à la Gaule une force invincible ; ainsi serait promptement réparé le premier échec.
Vainqueur des Bituriges, César se tourna contre les Arvernes, chefs du soulèvement. Vercingétorix, cette fois,
n’hésita pas à venir s’enfermer dans sa capitale, Gergovie,
bien défendue au sommet de la montagne. Après un assaut
infructueux et coûteux, César fut contraint d’en lever le
siège. La fortune semblait tourner contre lui et les Éduens
eux-mêmes, ses meilleurs alliés, faisaient défection.
Cependant le lieutenant de César, Labienus, venait, à Lutèce même, de battre les Parisiens avant l’arrivée des Belges
menaçants.
César prit le parti d’aller au-devant de lui et, toutes
forces réunies, d’attendre les événements. Vercingétorix qui,
non sans peine, avait réussi à imposer son commandement
aux Éduens, le suivait à quelques étapes de distance. Son
plan, semble-t-il, n’avait pas changé : éviter une rencontre et
affamer les Romains. En même temps, il avait envoyé un de
ses lieutenants, Lucter, chef de Cahors, menacer la province
romaine du Midi où il cherchait à soulever la révolte. César
était contraint de se replier de ce côté, d’où il était parti six
ans auparavant. Vercingétorix pouvait sembler vainqueur.
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LA GAULE, PROVINCE ROMAINE
L’orgueil du succès lui fit-il perdre sa sagesse ou bien
fut-il mal obéi ? Il n’avait voulu qu’une armée de 80 000
fantassins disciplinés et aguerris. Il disposait en outre, surtout depuis le ralliement des Éduens, d’une nombreuse
cavalerie. Il l’avait divisée en trois corps chargés d’opérer
sur chaque flanc et en avant de la colonne romaine. Luimême, avec son infanterie, avait établi son camp vers le
centre du cercle que décrivait le cheminement des légions.
Venant du pays des Lingons (Langres), celles-ci se dirigeaient vers la Saône chez les Séquanes ; elles devaient se
trouver à peu près à la hauteur de Dijon, vers le point où la
Vingeanne coupe la route conduisant vers le Sud. Est-ce
Vercingétorix qui donna l’ordre de l’attaque, comme le dit
César, ou bien, ce qui paraît plus vraisemblable, n’est-ce pas
sa cavalerie qui voulut achever seule une victoire considérée
déjà comme acquise et en recueillir la gloire ? Les cavaliers
gaulois jurèrent de ne pas rentrer chez eux sans avoir traversé deux fois la file romaine, et ils s’élancèrent à la charge.
Mais une armée romaine savait ne pas se laisser surprendre en marche et prendre rapidement, bagages au centre,
le dispositif en carré contre la cavalerie. En vue de sa retraite, César avait fait venir de Germanie une troupe de
cavaliers avec ses servants à pied qui, s’accrochant aux chevaux, les accompagnaient dans leurs charges. Les Gaulois ne
se doutaient pas de leur présence et, au plus fort de leur attaque contre les lignes romaines, se virent surpris par
derrière, par les cavaliers germains. Ce fut la panique. La
troupe qui attaquait le flanc gauche s’enfuit, les deux autres
corps voulurent battre en retraite vers l’infanterie de Vercingétorix. César s’empressa de les suivre et le chef gaulois, s’il
ne voulait pas livrer bataille dans des conditions désavantageuses, n’avait qu’à se retirer au plus vite. C’était lui,
maintenant, qui fuyait devant César.
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LA CONQUÊTE ROMAINE
Une marche forcée d’environ quatre-vingts kilomètres
l’amena ainsi à la place forte d’Alésia, au-dessus du village
actuel des Laumes (Côte-d’Or), où il espérait sans doute
pouvoir renouveler la résistance victorieuse de Gergovie.
Avant de s’y trouver enfermé, il avait fait partir tous ses
cavaliers, donnant l’ordre à chaque contingent de réunir dans
son peuple tous les hommes en état de porter les armes et de
les amener, dans le délai d’un mois, contre l’armée romaine
fixée par Alésia. Ce devait être la lutte décisive ; la masse
gauloise aurait raison de la force romaine.
On sait les doubles travaux de fortification exécutés par
César, contre les assiégés d’abord, puis contre les secours
attendus du dehors. Il les décrit lui-même minutieusement et
les fouilles en ont retrouvé les traces certaines. On ne saurait
douter qu’Alise-Sainte-Reine (Côte-d’Or) actuelle, sur le
mont Auxois, ne soit bien l’Alésia de Vercingétorix et de
César. Un mois était passé ; les vivres se faisaient rares et
l’armée de secours n’apparaissait pas. On décida de faire
sortir les bouches inutiles. César refusa de laisser passer ces
misérables, qui moururent peu à peu entre les lignes, sous les
yeux des combattants. Dans Alésia, les uns parlaient de capituler, les autres proposaient des résolutions atroces et
désespérées : faire ce qu’on avait fait jadis lors de l’invasion
des Cimbres et des Teutons, se nourrir de chair humaine.
Enfin les assiégés aperçurent au delà des lignes romaines les
contingents qui devaient les délivrer.
Ce n’était pas la masse qu’avait ordonnée Vercingétorix. Chaque peuple n’avait envoyé qu’un nombre d’hommes
limité ; l’ensemble s’élevait néanmoins à 250 000 hommes
qui attaquèrent en hâte et en désordre, sans les avoir reconnues, les fortifications de César ; les compagnons de
Vercingétorix essayaient, de leur côté, de forcer les lignes
d’investissement. Deux jours de suite les tentatives furent
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LA GAULE, PROVINCE ROMAINE
vaines. Un cousin de Vercingétorix, Vercassivellaune, avait
finalement repéré, du côté nord, un point faible dans la fortification de César et, à la tête de sa troupe de 60 000
Arvernes, avait réussi à le surprendre en plein milieu du
jour. Le reste des Gaulois, fatigués, le laissa seul et César eut
beau jeu de diriger successivement vers ce point toutes ses
réserves. Les fouilles ont retrouvé, au pied du mont Réa, des
amas d’armes et une quantité considérable d’ossements de
chevaux et d’hommes, témoins de l’acharnement de la lutte.
La victoire resta aux Romains et, vers le soir, lâchant contre
les campements gaulois ses cavaliers germains, César acheva la dispersion de l’armée de secours. Vercingétorix et ses
compagnons n’avaient plus qu’à reconnaître l’arrêt des dieux
et à se rendre.
César rend au chef gaulois un juste hommage. « S’il a
pris les armes, lui fait-il dire au moment où il adresse ses
adieux à ses compagnons, ce ne fut pas par ambition personnelle, mais uniquement pour la liberté de la Gaule. » Il
mentionne brièvement la scène de la capitulation : « Vercingétorix est livré, les armes sont jetées. » Le récit de
Plutarque est moins sec : César, sur son tribunal, attend devant son camp la reddition des vaincus. Vercingétorix
apparaît sur son cheval de bataille, vêtu de ses plus belles
armes. Il fait au galop le tour de l’estrade, puis, s’arrêtant en
face du proconsul, il saute à bas de son cheval, jette ses
armes et, s’agenouillant sans rien dire, tend vers César des
mains suppliantes, ne répondant rien à ses invectives. Le
vainqueur fut inexorable. Sauf les Éduens et les Arvernes,
réservés comme otages de la soumission de leurs peuples,
les soldats de Vercingétorix furent vendus comme esclaves.
Vercingétorix, après six ans de captivité à Rome, fut exécuté
après avoir figuré au triomphe de César.
20
LA CONQUÊTE ROMAINE
Quelques soulèvements partiels agitèrent encore l’année
suivante (51) : celui du peuple belge des Bellovaques (Beauvais), battus près de Clermont (Oise) et celui des Cadurques
(Cahors) qui résistèrent désespérément dans leur oppidum
d’Uxellodunum. Lorsque le manque d’eau les obligea à se
rendre, César fit couper le poing à tous les défenseurs. Dès
l’année suivante, il pouvait franchir le Rubicon et engager la
guerre contre Pompée sans que rien bougeât en Gaule.
L’année 49 fut marquée par le siège et la prise de la colonie
grecque de Marseille qui avait voulu rester neutre entre les
deux fauteurs de la guerre civile.
En 46, vainqueur de tous ceux qui avaient tenté
d’empêcher sa dictature, maître de Rome, César put célébrer
son triomphe sur la Gaule. « Trois millions de combattants
vaincus, un million de tués, un million vendus comme esclaves, six cents forteresses prises », proclamaient les
pancartes portées dans le cortège. Partout ravagée, la Gaule
était pacifiée. Il lui fallut une génération pour réparer ses
pertes.
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TABLE DES MATIÈRES
AVANT-PROPOS ............................................................ 5
CHAPITRE PREMIER. — La conquête romaine.
I. — Gaule continentale et Gaule méditerranéenne .............. 9
II. — La conquête ............................................................. 10
III. — Les campagnes de César .......................................... 12
CHAPITRE II. — L’organisation romaine de la Gaule. —
César et Auguste.
I. — L’organisation politique............................................ 23
II. — Les villes. L’œuvre de César .................................... 25
III. — L’œuvre d’Auguste .................................................. 28
IV. — Le cadastre et les routes ........................................... 31
V. — L’autel de Rome et d’Auguste à Lyon ...................... 36
CHAPITRE III. — La frontière de Germanie.
I. — La politique romaine................................................. 39
II. — L’armée du Rhin et la Gaule ..................................... 46
III. — La révolte de 68 et les événements de 70 .................. 48
IV. — Le Limes germanique............................................... 54
CHAPITRE IV. — La vie intérieure de la Gaule romaine.
I. — Le développement des villes ..................................... 59
II. — La population des villes............................................ 67
III. — Les campagnes ........................................................ 69
125
TABLE DES MATIÈRES
IV. — Les fêtes et la vie religieuse ..................................... 71
V. — La religion gallo-romaine ......................................... 73
VI. — La vie intellectuelle et artistique............................... 79
CHAPITRE V. — Les premières ruines.
I. — L’ère des difficultés (161-250).................................. 83
II. — Les premières invasions. L’Empire gaulois ............... 84
III. — La restauration de Constantin ................................... 87
IV. — Le César Julien et les empereurs de Trèves............... 92
CHAPITRE VI. — La fin de la Gaule romaine.
I. — Les étapes de la dissolution de l’Empire romain
d’Occident ............................................................ 97
II. — L’aristocratie et la plèbe gallo-romaines ................. 100
III. — L’Église chrétienne ................................................ 103
RÉSUMÉ ............................................................................. 107
ILLUSTRATIONS (1 à 5) ............................................. 114-118
BIBLIOGRAPHIE .............................................................. 119
Bibliographie complémentaire………………………………122
126
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