SIMPOSIUM ISLAM Y LAICIDAD. MEZQUITA MAYOR DE GRANADA
29-01-04
II. Jocelyne Cesari
Jocelyne Cesari : cinta D8 : 33’07’’-1h 16’23’’ : 43’16’’; 6319 mots; 146,05 m/m
Clip 6-Cesari-1-compr : 19’51’’ ; 2.610 – 4 = 2606 mots; 131,28 m/m ; tr. rév
Clip 6-Cesari-2-compr : 23’24’’; 3.713 mots ; 158,67 m/m ; tr. rév.
Clip 6-Cesari-2-compr : 01’’-23’25’’ ; 3.713 mots ; 23’24’’ ; 158,67 m/m
Donc quand il y a retard, j’allais dire, dans l’organisation, l’institutionnalisation de
l’islam pour ce groupe de pays il y a un cadre juridique favorable, il y a un statut
juridique reconnu aux organisations religieuses, comme je l’ai dit, le retard peut être lié
uniquement aux questions d’ordre politique, et c’est le cas de l’Allemagne qui est assez
fascinant à observer parce qu’en fait on voit bien qu’en ce moment la bataille de
l’institutionnalisation pour l’islam allemand se déroule sur le terrain de l’enseignement
religieux.
Et que dans la mesure aucune fédération islamique aujourd’hui en Allemagne ne
parvient à obtenir le statut de corporation de droit public qui est un peu l’équivalent du
statut des religions organisées en Espagne, par exemple, puisque ce statut- donne aux
institutions religieuses un certain nombre de privilèges à la fois juridiques mais aussi
financiers, donc aucune fédération islamique n’a à ce jour obtenu ce statut en
Allemagne. Le terrain de la bataille pour l’institutionnalisation a été transféré dans
l’école, puisque vous savez que dans chaque état fédéré, les länders en Allemagne
peuvent organiser des cours d’instruction religieuse dans les écoles publiques et que
l’une des batailles gagnées par certaines associations islamiques en Allemagne et à
Berlin par exemple, c’est la cour de Berl, la cour fédérale a reconnu en 2000 à la
fédération islamique de Berlin la capacité d’organiser les cours d’instruction islamique
dans les écoles à Berlin.
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Et donc certains y voient déjà les prémisses, l’ouverture vers une possibilité de discuter
du statut de corporation de droit public pour cette fédération mais on en est encore loin,
étant donné aussi les dissensions et les divisions à l’intérieur de la communauté ou des
populations musulmanes en Belgique par rapport au statut de cette fédération islamique
considérée comme trop proche du miligorouche et de la mouvance islamiste en Turquie.
Dix minutes ? Aïe, aïe, aïe. Il faut que je dise deux mots sur la question…, donc voilà
pour ce premier groupe de pays, je vais pas continuer davantage. Donc vous voyez que
là, encore une fois, on est quand même sur des processus de visibilité, de création
d’institutions islamiques qui peuvent aller très vite et qui sont pas toujours liés aux
cycles d’installation des musulmans dans les sociétés européennes.
Deuxième cas de figure, c’est le cas des pays de stricte séparation. Alors dans ce cas
il y a, on peut mettre la France et les Etats-Unis. Alors dans les pays de stricte
séparation, l’organisation et la création d’un instance représentative de l’islam n’a pas
de sens. C’est le cas américain. Aux Etats-Unis personne ne se mobilise pour créer un
Conseil exécutif des musulmans des Etats-Unis ou un grand mufti1. Ça n’a aucun
intérêt. Etant donné que l’organisation, la gestion financière, les orientations
théologiques sont complètement du ressort des associations et des responsables
religieux eux-mêmes et qu’il n’y a aucun besoin d’avoir un partenaire dans la relation
avec l’Etat fédéral.
Donc là, la question est réglée. En revanche, et c’est c’est un peu étonnant, on
pourrait se dire : du point de vue juridique après tout en France, on est sur un principe
de stricte séparation. On ne devrait donc pas (rires) se poser la question. Or la question
de l’organisation de l’islam s’est posée en France, vous le savez.
Elle apparaît comme une question politique au moment de la première affaire du foulard
en 1989. Et à ce moment-là le ministre de l’intérieur va commencer à impulser un
dialogue avec les différentes associations islamiques présentes sur le territoire. Ce
dialogue va passer par des hauts, des bas et finalement en 2003, sous l’impulsion
1 mufti [myfti] n. m.
• 1560; muphti 1559; mofti 1546; ar. moufti « juge »
Théoricien et interprète du droit canonique musulman, qui remplit à la fois des fonctions religieuses,
judiciaires et civiles. Des muftis.
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énergique du ministre actuel de l’intérieur il y a eu élection à la base, création d’une
assemblée et d’un bureau exécutif, et c’est le Conseil français du culte musulman, je
passe sur les détails mais on est comme, on voit bien la différence entre l’Europe et
les Etats-Unis.
Encore une fois la différence, elle est pas dans le droit. Elle est dans la pratique
politique, dans la vision du statut des religions, aussi dans la dimension postcoloniale de
cette migration et dans la volonté de l’Etat français, très claire, de contrôler
l’organisation non seulement de l’islam mais aussi la vie religieuse de cette nouvelle…,
de ces populations avec l’idée un peu naïve que si on a un conseil de représentation on
pourra peut-être repousser le spectre de l’intégrisme. C’est un petit peu naïf en temps de
mondialisation mais c’est quand même aussi l’idée que/ il y a des manières d’avoir
des contacts et des canaux non seulement de communication mais aussi d’encadrement
finalement des populations musulmanes.
Alors vous savez que le Président et les deux vice-présidents en charge en ce moment
de ce Conseil français du culte musulman ne sont pas le résultat de l’élection. Ils ont été
nommés par le ministre, ce qui est en soi quand même bien le signe de l’activisme, on
va dire, de l’Etat français dans ce domaine.
Alors aux prochaines élections ils seront l’émanation de la, je dirais, de la volonté
populaire des musulmans qui voteront à deux dégrées. Mais pour l’instant ils sont les…,
ils ont été nommés par la puissance publique. Le Président est proche –et le recteur de la
grande mosquée de Paris donc- proche de l’Algérie. Le premier vice-président est le…,
on va dire proche de l’Etat marocain et le second vice-président représente cette
mouvance des frères musulmans qui fait tellement peur en Europe et j’ai pas le temps
d’expliquer à quel point elle est fascinante aujourd’hui en Europe cette mouvance des
frères musulmans, comme aux Etats-Unis d’ailleurs, parce qu’elle est bien loin de
répéter, de dupliquer les combats politiques et tous les radicalismes du monde
musulman, mais je ferme la parenthèse, on pourra en parler. C’est intéressant parce que
comparés aux wahhabis2, aux gens de l’Arabie Saoudite, ce sont les frères musulmans
aujourd’hui en Europe qui prônent la participation et qui prônent l’ouverture sur les
2 wahhabisme [waabism] n. m.
wahabitisme 1872; de wahhabite, membre d'une communauté islamique fondée par Muhammad ibn
{ai}Abd al- Wahhab (1703-1792)
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sociétés démocratiques. Pas les wahhabis, pas ce qu’on appelle les salafis, je suis
désolée d’utiliser ce terme parce que pour moi salafi renvoyait à un moment beaucoup
plus ouvert, moder, moderniste en fait de la pensée islamique qu’il ne l’est aujourd’hui.
Fin de la parenthèse.
Donc on est bien au cœur de la particularité de l’Europe, finalement l’Etat
français, en dépit de la séparation de 1905 s’instaure comme un agent de l’organisation
d’une religion, ce qui depuis les Etats-Unis est vu comme la plus horrible des
ingérences qui puisse arriver dans un Etat laïc. J’ai beaucoup été interpellée par mes
collègues et mes…, et puis aussi par les représentants du monde musulman aux Etats-
Unis : mais qu’est-ce qui se passe ? Pourquoi l’Etat a besoin d’un grand mufti ? Qu’est-
ce, quel est l’intérêt ? Alors essayer d’expliquer ça de l’autre côté de l’Atlantique, c’est
pas toujours évident.
Le troisième cas de figure en Europe, c’est le cas de figure il y a une, l’islam est
religion d’Etat. Alors on peut mettre là-dedans le Danemark, la Grèce, l’Anglet, le
Royaume Uni. Et c’est aussi intéressant parce que vous voyez bien, l’anglicanisme
est religion d’Etat et pourtant la pratique des religions est sortie de l’espace social
britannique dans la plupart des cas et aussi ça ne veut pas dire que les religions qui ne
sont pas, qui sont minoritaires n’ont pas de droits, au contraire elles en ont et ce qui a
été assez fascinant à observer dans le cas des musulmans britanniques sur les dix
dernières années, c’est leur capacité à revendiquer en permanence la parité avec la
religion dominante.
Il y a un très beau moment de ça, bon il y a tout le débat sur les écoles sous contrat avec
l’Etat, qui a été gagné symboliquement il y a deux ans. Maintenant il y a cinq écoles
sous contrat, je parle pas d’écoles privées uniquement. Je parle d’écoles qui reçoivent
des fonds publics et qui sont tenues à un certain curriculum, qui sont tenues aussi à une
ouverture, non seulement aux élèves musulmans mais non musulmans de l’endroit dans
lequel elles se trouvent. Donc ce combat a été gagné avec l’icône qu’est Cat Stevens,
Yousouf Islam, et qui s’est beaucoup engagé dans ce combat-là.
Didact. Doctrine puritaine islamique des wahhabites, intégrisme musulman. Adj. WAHHABITE.
(Le Petit Robert).
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Donc on voit bien comment, ça a été un moyen pour la minorité musulmane
d’accéder à un statut à parité avec les religions dominantes et les autres religions
minoritaires.
L’autre élément, plus symbolique, a été tout le combat autour de l’affaire Rushdie. Et
vous savez que les musulmans britanniques ont énormément insisté sur le fait qu’ils
voulaient être, eux aussi, « protégés » par la loi contre le blasphème3 qui est un privilège
de l’anglicanisme. En Grande Bretagne si vous insultez publiquement la religion d’Etat
vous pouvez être passible4 d’un certain nombre de sanctions.
Or, ce qu’ont fait les musulmans, ils ont dit : au nom de cette loi sur le blasphème nous
souhaitons que soit sanctionné l’écrivain ou le livre, que le livre soit retiré, que Les
versets sataniques soient retirés de la circulation.
Et c’est très intéressant parce que les musulmans aujourd’hui ne veulent pas l’abolition
de la religion d’Etat. Ils veulent l’extension à l’islam des privilèges et des statuts
dérogatoires qui concernent aujourd’hui l’anglicanisme. Donc vous voyez comment les
mécanismes fonctionnent et c’est ça la sécularisation. C’est ce processus-là. Donc, c’est
pas la laïcité en tant que stricte séparation de l’Etat et des religions organisées.
Cinq minutes. Alors en cinq minutes je voudrais dire deux mots sur la question de
l’idéologie séculière. Parce que/ il ne faudrait pas croire que la sécularisation en Europe
se résume aux arrangements institutionnels que je viens de décrire. Ça n’est pas
suffisant pour restituer la place du religieux en Europe et même aux Etats-Unis.
Donc au-delà de la différenciation des sphères politique et religieuse, au-delà du
principe de neutralité il existe une approche idéologique de la sécularisation qui va, qui
prend son origine au cœur de la philosophie des lumières. Et qui va être renforcée par la
philosophie positiviste du XIX siècle et c’est bien là-dessus que s’est bâtie la croyance
3 blasphème [blasfDm] n. m. • 1190; lat. ecclés. blasphemia, du gr. blasphêmia blâme
Parole qui outrage la Divinité, la religion. jurement, 1. sacrilège . Dire des blasphèmes. « Le
blasphème des grands esprits est plus agréable à Dieu que la prière intéressée de l'homme vulgaire »
(Renan). — (Le Petit Robert).
4 II (1552 « coupable ») Cour. Passible de : qui doit subir (une peine). Être passible d'une amende,
d'emprisonnement. encourir. (Le Petit Robert).
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