Pradeu_Toulouse_Soi et son autre.pptx

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Université Toulouse Le Mirail
16 janvier 2013
Le soi et son autre :
individualité biologique,
greffes et symbioses
Thomas Pradeu
Université Paris IV Paris-Sorbonne
Equipe « Sciences, normes, décision »
Membre associé de l’IHPST
Membre junior de l’IUF
[email protected]
Site web: http://thomaspradeu.com
L’immunologie, science du soi et du
non-soi?
•  E.g. Burnet (1969), Klein (1982),
Clark (2008), etc.
•  Les termes « soi » et « non-soi ».
•  Deux exemples :
- Allogreffe
- Bactérie
L’exemple de la greffe de main
Clint Hallam, premier greffé de
la main (1998). Un rejet.
Greffe de rein
=>
•  Au cœur de l’immunologie se trouverait
l’idée de « rejet ».
•  Ce « rejet » serait tourné vers le « nonsoi » (tout ce qui diffère du « soi », y
compris lorsque l’entité concernée pourrait
être utile à l’organisme).
Objectifs de l’exposé
  Comprendre la signification de ces termes
« soi » et « non-soi » en immunologie.
  Mettre en évidence les influences d’un
emprunt de la biologie à la philosophie.
  Proposer une autre manière de concevoir le
fonctionnement du système immunitaire.
  Suggérer de quelle manière les philosophes
des sciences peuvent « intervenir » dans la
science en train de se faire.
Plan
1.  Définition et délimitation de l’immunologie
2.  Le vocabulaire du soi et du non-soi en
immunologie : un héritage philosophique
3.  Critique de la théorie du soi et du non-soi
4.  Vers un interactionnisme coconstructionniste
1. Définition et délimitation
de l’immunologie
Qu’est-ce que l’immunologie?
•  L’immunologie comme domaine étudiant
les défenses contre les pathogènes.
•  Cette définition est loin d’être indiscutable
(autoimmunité normale, importance de la
question de la transplantation), mais elle
peut être utilisée ici.
(Parfois : les défenses « internes » de l’organisme, mais cette définition
pose certains problèmes elle aussi).
Quels organismes possèdent un
système immunitaire?
• 
• 
• 
• 
Une extension progressive.
Vertébrés à mâchoires (immunité « adaptative »).
Tous les vertébrés.
Invertébrés : vers, ascidies, travail décisif sur la
drosophile.
•  Plantes. (B. J. DeYoung and R. W. Innes, Plant NBS-LRR proteins in
pathogen sensing and host defense, 2006).
•  Procaryotes? (Makarova et al. 2006; Barrangou and Horvath 2007)
Immunité de la drosophile
Lemaitre et al. (1996)
Jules Hoffmann, Nobel 2011
B. Lemaître & J. Hoffmann, « The Host Defense of Drosophila melanogaster » (2007).
=>
•  Une science centrée sur l’idée de défense contre les pathogènes
(principalement des micro-organismes).
•  Un domaine considérablement étendu au cours des vingt dernières
années.
•  Comme on va le voir à présent : passage de l’idée de défense à
l’idée de défense de l’intégrité et à celle de défense du « soi »
contre le « non-soi ». (Une conception de l’identité biologique)
2. Le vocabulaire du soi et du
non-soi en immunologie :
un héritage philosophique
Théorie du soi et du non-soi
•  L’acceptation du « soi » ; le rejet du
« non-soi »
•  F.M. Burnet (1899-1985)
•  Deux principes :
1) L’organisme déclenche une
réponse immunitaire de rejet contre toute
entité qui lui est étrangère (« non-soi »)
2) L’organisme ne déclenche pas
de réponse immunitaire de rejet contre ses
propres constituants (« soi »).
F.M. Burnet, (1969), Self and Notself, Cambridge University Press.
Origines et signification du terme « soi »
•  Origine du terme « self » : Locke, Essai sur
l’entendement humain (1690) ; Wells, Huxley and Wells,
The Science of Life (1929).
•  J-M. Claverie (1990) :
C’est bien le caractère d’individualité qui est en jeu dans ce processus [le
rejet de greffe], puisqu’une greffe de l’individu à lui-même (autogreffe) est
toujours tolérée. C’est donc l’autre, l’étranger qui apparaît, au sens propre,
épidermiquement intolérable.
•  La défense de l’intégrité. (Burnet, The Integrity of the Body, 1962).
•  La nature de la frontière soi/non-soi.
•  L’unicité biologique du point de vue de l’immunologie.
Une « tolérance » provisoire?
• 
Owen (1945) : chimérisme des veaux jumeaux.
• 
Tolérance des tissus implantés tôt chez la souris :
R. E. Billingham, L. Brent and P. B. Medawar, « Actively acquired tolerance
of foreign cells » (1953).
• 
Paradoxe de la tolérance pour Burnet.
• 
L’immunologie articule intégrité et unicité de l’organisme : être soi, c’est
être unique, et rejeter tout ce qui diffère de cette unicité.
P. Medawar : The Uniqueness of the individual (1957).
• 
Leo Loeb, « The Biological Basis of Individuality » (1937) :
Il y a de façon inhérente dans tout organisme individuel supérieur quelque chose qui
le différencie de tous les autres individus, et qui peut être découvert en observant les
réactions de certaines cellules et de certains tissus appartenant à un individu à
l’égard des tissus et cellules d’un autre individu de la même espèce. […] En outre,
ces cellules ne reconnaissent pas seulement les différents individus comme tels,
elles font plus que cela, elles reconnaissent, pour parler d’une manière
métaphorique, le degré de différence entre deux individus, sur la base de leurs
constitutions génétiques.
• 
Jean Dausset, in Soi et non-soi (1990) :
Le système HLA est la meilleure définition de l’être par rapport à un autre individu de
la même espèce, puisque l’expérience de la transplantation nous démontre que c’est
la barrière maximale.
  Deux conséquences de cet emprunt à la
philosophie
Conséquence 1 : le soi cognitif
•  Vocabulaire très présent dans les articles
d’immunologie : « reconnaissance », « mémoire », etc.
•  Métaphore. Problématique ou pas?
–  Cohen I.R. (2002) Tending Adam’s Garden – Evolving the Cognitive Immune Self.
–  Howes M. (2000), Self, intentionality, and immunological explanation, Seminars in
Immunology 12, 249-256.
•  Un frein à la mise en évidence d’une « mémoire »
immunitaire chez invertébrés ?
Kurtz J., Franz K. (2003), Evidence for memory in invertebrate immunity, Nature 425, 37-38.
•  Métaphore substituable / non-substituable.
Conséquence 2 : Le renforcement de
l’internalisme
•  Une convergence de disciplines biologiques.
•  Préexistence et clôture à l’environnement.
•  Préformationnisme. Le rôle de Leibniz.
Pradeu, T., Carosella, E.D. (2006), The Self Model and the Conception of
Biological Identity in Immunology, Biology and Philosophy 21(2), 235-252.
=>
•  Une notion d’origine philosophique, que la
biologie s’est appropriée.
•  Repose sur, puis a contribué à renforcer,
une certaine conception de l’identité
biologique comme clôture et « autogénérée ».
3. Critique de la théorie du
soi et du non-soi
Difficultés de la théorie
du soi et du non-soi
1. Autoréactivité et auto-immunité
(Hypothèse : le développement et l’homéostasie comme origine évolutionnaire de
l’immunité.)
2. Tolérance immunitaire : foeto-maternelle;
chimérisme; greffes; bactéries commensales.
Tauber A.I. (1994), The Immune Self: Theory or Metaphor?, Cambridge: Cambridge
University Press.
T. Pradeu (2009), « La mosaïque du soi : les chimères en immunologie », Bulletin de la
SHESVIE.
T. Pradeu, (2009), Les Limites du soi. Immunologie et identité biologique, PUM & Vrin.
Trad. The Limits of the Self: Immunology and Biological Identity. NY: Oxford Univ. Press
(2012).
Fœtus, chimérismes, greffes
Fœtus, chimérismes, greffes (suite)
•  Plantes, organismes coloniaux, etc.
•  Organes immunoprivilégiés
Botryllus schlosseri
Rinkevich (2005), Natural chimerism in colonial urochordates
Autres conceptions de l’immunité
•  Théories « systémiques », notamment
réseau idiotypique (Jerne), autopoïèse,
auto-organisation.
•  Théorie du « danger » (Mazinger).
•  Théorie de la continuité.
T. Pradeu & E.D. Carosella (2006), On the definition of a criterion of
immunogenicity, PNAS USA 103(47), 17858-17861; Pradeu (2012), The
Limits of the Self.
=> « Interventionnisme en sciences ».
•  => Un interactionnisme coconstructionniste : co-construction de
l’organisme et de l’environnement.
4. Vers un interactionnisme
co-constructionniste
L’interactionnisme co-constructionniste
et l’identité biologique
•  L'environnement au cœur de l'identité.
L'autre au cœur du soi. 3 strates :
1.  Aucune prédéfinition de l'identité.
2. L'identité se construit par les interactions avec
l'environnement.
3. L'environnement est constitutif de l'identité
Le rôle des bactéries commensales
•  Chez les mammifères : 90%-10% (99-1), 1014 bactéries, 1000 espèces
différentes, seulement 7% cultivées en laboratoire.
•  Mutualisme, voire : symbiose obligatoire.
Le rôle des bactéries commensales
(suite)
•  Digestion, développement, immunité.
•  Des « organes » de l’organisme.
J. I. Gordon et al. Extending our view of self : the human gut microbiome initiative
(2005)
O’Hara & Shanahan, The gut flora as a forgotten organ (2006).
Noverr & Huffnagle, Does the microbiota regulate immune responses outside the
gut? (2004).
Round JL, Mazmanian SK (2009) The gut microbiota shapes intestinal immune
responses during health and disease. Nat Rev Immunol 9:313–323
Hill DA, Arthis D (2010) Intestinal bacteria and the regulation of immune cell
homeostasis. Annu Rev Immunol 28:623–667
Pradeu T. (2011) A Mixed Self: The Role of Symbiosis in Development. Biological
Theory.
Conséquence sur la question de
l’identité biologique
Tout organisme est une chimère. Tout organisme est
hétérogène, « impur ».
E.D. Carosella & T. Pradeu (2010), L’Autre est en nous. De l’identité
biologique à l’identité humaine. Paris : Odile Jacob.
Pradeu T. (2012) The Limits of the Self: Immunology and Biological Identity.
Le co-constructionnisme dans les
sciences du vivant
•  Lewontin R. The Triple Helix: Gene, Organism and Environment, 2000.
•  Oyama S. The Ontogeny of Information, 1985, 2nd ed. 2000.
•  Gilbert & Epel, Ecological Developmental Biology (2009).
Richard Lewontin (né en 1929)
Conclusions
•  L’immunologie est dominée par des termes (soi/non-soi) qui sont
empruntés à la philosophie et qui en conservent les stigmates.
•  Ces termes sont difficiles à définir avec précision.
•  La théorie du soi et du non-soi doit faire face à de nombreuses
difficultés, probablement liées à son imprécision conceptuelle.
•  Il est possible, et probablement souhaitable, d’élaborer, en
partenariat avec des biologistes, de nouvelles manière de
concevoir le système immunitaire et l’individualité biologique.
•  Sur les rapports entre la philosophie et les sciences :
  La philosophie doit (continuer à) se nourrir des sciences.
  Un travail philosophique peut être « interventionniste » en ce qu’il
ne s’interdit pas de proposer une réflexion critique sur les concepts et
les théories de la science.
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