AVARICUM – Préambule En -58, l`armée - Le GANG de St-Malo

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AVARICUM
– PIÈCE LÉGENDAIRE EN UN ACTE –
Préambule
En -58, l’armée gauloise de Vercingétorix et les légions romaines du général Jules
César vivent un tournant de la terrible guerre qui les oppose. L'armée gauloise a mis en place
un plan, dit « de la terre brûlée » destiné à épuiser l'adversaire qui les poursuit ; elle détruit par
le feu toutes les réserves de nourriture des villages qu'elle traverse, pour couper les vivres des
combattants romains qui suivraient la même route. Cependant, aux abords du vaste oppidum
d'Avaricum (aujourd'hui Bourges), les habitants supplient l'armée de ne pas y mettre le feu,
arguant que la ville, située sur une hauteur, est aisée à défendre. Vercingétorix cède à leur
requête sans pourtant entrer dans l'oppidum, et marque une pause dans la plaine alentour.
Les Romains profitent de cet arrêt, atteignent Avaricum et l'assiègent durant presque
un mois. Vercingétorix, réfugié dans un camp à quelques lieues de l’oppidum, envoie sa
cavalerie et ses fantassins attaquer par l’arrière les assiégeants, tandis que les assiégés se
défendent, parvenant à déstabiliser César pris en tenaille. Pourtant le chef des Gaulois luimême n’est pas à l’avant ; il demeure dans son camp, envoie et rapatrie des soldats, accueille
les messagers qui se succèdent, porteurs de nouvelles.
Bonnes ou mauvaises…
N.B. : Quoique ce texte ne se présente pas sous la forme « traditionnelle » d’une
légende (à savoir un texte en prose), il appartient bien à ce genre par son thème, intermédiaire
entre l’Histoire et la fiction, et par son caractère épique.
Personnages
VERCINGÉTORIX, général gaulois
BITURIGORIX, roi des Bituriges et d’Avaricum
CANSRADAS, vieillard sage et oncle de Biturigorix
BARGOS, messager, fils de Biturigorix
SEQUANOS, aide de camp de Vercingétorix
UN CAVALIER
UN FANTASSIN
La scène est dans le camp de Vercingétorix, à quelques lieues d’Avaricum.
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SCÈNE PREMIÈRE
Vercingétorix, Biturigorix, Cansradas, Sequanos
BITURIGORIX
Salut, ô roi, ô frère, ô protecteur de nos vies !
Ô général sauveur des Biturigii !
Toi qui brûles les villes, tu épargnes la nôtre,
Tu blessais leurs enfants, toi qui sauves les nôtres !
Nous serons victorieux au coucher du soleil.
J’ai brisé le siège, et, ultime merveille,
Suis parvenu à toi au milieu de la rage
Que les soldats romains jettent sur leur passage !
Ils ne peuvent plus rien, César est débordé,
Ils s’acharnent en vain et la ville assiégée
Ne l’est plus que par quelques ultimes soldats
Reculant sous l’élan de nos glorieux bras !
VERCINGÉTORIX
Je vois là que mes troupes ont bien fait leur ouvrage,
Et que ma stratégie digne des plus grands sages
A permis sans grand mal quelque prompte victoire.
Ils mourront au couchant.
BITURIGORIX
Ils mourront dès ce soir,
Et périront des coups de cette grande armée
Réunie par la force de ta seule bonté.
Je loue là le courage et l’ultime vertu
De Vercingétorix dont les voix bientôt tues
Des Romains expirants implorent la pitié,
Cédant fort sous le joug de nos fers assemblés.
La victoire est sûre, la victoire est à nous ;
Nos preux cavaliers leur portent bien des coups,
Et déciment les fous qui résistent encor.
Que peuvent-ils donc faire ? Ne sont-ils déjà morts ?
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VERCINGÉTORIX
Ils périront tous sous nos coups tout-puissants.
CANSRADAS
(Brusquement) Que peux-tu le savoir, toi qui n’a vu leur sang ?
BITURIGORIX
Es-tu donc là sénile, n’as-tu pas vu leurs hordes
Reculer sous les coups des épées qui les mordent ?
CANSRADAS
Je les ai vus partout réunis en concile,
Faiblir un court instant, paraître un temps fragiles,
Établissant les plans qui, forts, les mèneront
A un combat facile et sans mal nous tueront !
VERCINGÉTORIX
Tais-toi donc, ô vieillard, si tu tiens à la vie !
Je ne souffrirai pas qu’on émette l’avis
Que nous périrons tous sous les coups des Romains,
De ce peuple si vil qui du Rhône au Jourdain
A tué tant d’enfants, a brûlé tant de villes,
Se permet d’occire et se déclare civil.
Rome aujourd’hui paiera.
BITURIGORIX
Rome aujourd’hui est morte.
Nos soldats sont plus grands, notre armée est plus forte.
Tu as tort, Cansradas, et la belle victoire
Que nous vivrons bientôt, peut-être dès ce soir,
Te fera voir l’ampleur de ton égarement.
CANSRADAS
Je ne la verrai point, et vos fous errements
Vous feront voir bientôt la mort qu’avec colère
Vous refusez d’entendre, et d’une rage célère
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M’enjoignez de me taire et de ne vous rien dire.
VERCINGÉTORIX
Sors, honte des Gaulois ! J’entends là des délires
De vieux sage sénile et d’oiseau de malheur
Prédisant le trépas, refusant le bonheur.
Va-t-en, pars pour toujours !
BITURIGORIX
Pars et ne t’atermoie !
VERCINGÉTORIX
Un général n’écoute que les plaintes des rois.
Cansradas sort.
BITURIGORIX
Le vieux fou est sorti, et j’entends là qu’arrivent
Quelques Avariciens porteurs d’une missive.
Je m’en vais vous laisser à ces quelques soldats
Que je vois vous garder et faire les cent pas.
Je rejoins mes guerriers qui victorieux progressent ;
Eux font des miracles ; je veux faire des prouesses.
SCÈNE II
Vercingétorix, Bargos, Un cavalier, Un fantassin, Sequanos
SEQUANOS
Trois hommes à la porte exigent de vous voir.
Leurs paroles sont heureuses, ils rayonnent d’espoir ;
Ils me prient là d’ouvrir, et veulent vous louer
La très grande vertu de votre unique bonté.
VERCINGÉTORIX
Va donc, fais-les entrer ; que devant moi paresse
Ce peuple victorieux qui gagna ma tendresse !
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Bargos, un cavalier et un fantassin entrent.
SEQUANOS
Que font-ils par ici ? N’ont-ils pas attendu
Que j’ouvrisse la porte et fusse revenu ?
BARGOS
La victoire n’attend pas ; nous vivons près d’ici
Le dernier combat et la dernière tuerie.
Si Rome est expirante, Avaricum est libre ;
Dans tous les cœurs Gaulois la même rage vibre ;
Nous venons là te dire tous les remerciements
Que mérite empereur à son avènement.
Merci.
VÉRCINGÉTORIX
Je sais cela, et ne vous dis la joie
Qui m’emplit à cette heure bien plus qu’elle ne doit.
Mais…
UN CAVALIER
Ce fut un honneur pour tous les Bituriges
De servir sous tes ordres, d’être tes hommes-liges.
UN FANTASSIN
Tu épargnas la ville où nous vivons encor ;
Nous aurions tout perdu ; nous serions presque morts
Si tu n’avais choisi de défendre nos terres,
Nous envoyant combattre au milieu de l’enfer
Avec l’audace chère au peuple de héros,
Revenant victorieux du pire des chaos.
UN CAVALIER
Loin de nous affaiblir, tu prépares la voie
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BARGOS
D’un triomphe facile, ô notre unique roi !
Nous, de presque défunts, sommes devenus forts !
Patientons, et ce soir, et dans un fleuve d’or
L’ennemi périra sous nos épées d’airain.
UN CAVALIER
Ô Vercingétorix, ô terreur des Romains !
UN FANTASSIN
Ô grand fils des Arvernes, ô dieu parmi les hommes !
BARGOS
Déjà roi des Gaulois, tu règneras sur Rome !
SCÈNE III
Vercingétorix
VERCINGÉTORIX
Voilà que parvenu au faîte de ma gloire
Tous mes soldats m’acclament, et pleurent de me voir,
Louant fort ma vertu, encensant ma bonté,
Quémandant ma clémence et mon amitié.
Je suis bien cependant le même homme qu’hier
Et me voici pourtant une allure plus fière
Que tous les autres jours de ma bien courte vie.
Mais qu’étais-je hier soir ? Mais que suis-je aujourd’hui ?
De simple général je suis devenu prince.
Dans tous les oppida, dans toutes les provinces,
Déjà tous me connaissent, et tous m’acclameront
Lorsque dans quelques heures mes soldats vaincront
Les pourtant invincibles combattants de Rome.
Je ne suis rien de plus, et je ne suis qu’un homme,
Et pourtant ma nation en sa folie m’acclame,
Flattant mon pauvre orgueil, entretenant la flamme
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Qui dans mes yeux brille d’un funeste éclat.
Il marque une pause.
Je ne suis le vainqueur, et mon bien faible bras
N'a fait que diriger la masse des soldats
Qui combattent, qui meurent, qui pleurent, qui transpirent
Sous les coups ennemis, tous tout près de mourir.
Je perds là mon honneur, je trahis mes amis.
Je me suis dit fourbu, et suis resté ici ;
J’étais en pleine forme, mais craignant la mêlée
Qui me guettait auprès de mes Gaulois alliés.
Ô trop funeste flamme d’un trop lâche combat !
J’eus préféré défaite à la pâle victoire
Qui jette en ma conscience le ténébreux déboire
De n’avoir pas agi, observant seulement,
Attendant en silence mon prompt couronnement.
Je suis demeuré là à l’abri de la mort,
Dirigeant mes soldats et protégeant mon sort,
Demeurant à l’écart du danger permanent
Qui eût donné sa gloire à mon avènement !
Je ne suis pas le bras, je ne suis que l’esprit,
Quelque lâche stratège qui songe et ne périt.
Il marque une nouvelle pause.
J’ai agi en brigand, j’ai perdu mon honneur
Et mon injuste sort a voulu que j’aie l’heur
D’être cru du triomphe unique et belle cause
Et d’en être loué en maintes et maintes choses.
Mon orgueil eût voulu que je mourusse tué
D’une flèche romaine, d’une italienne épée,
Ou que je survécusse, et de ma glorieuse arme
Détruisse tout ennemi et provoque l’alarme
De chaque fantassin et de chaque légion.
Je ne suis qu’un renard, moi qui dusse être un lion.
Il marque à nouveau une pause, semblant écouter un bruit.
J’entends là le galop d’un cheval arrivant
Au pied des palissades et à l’entrée du camp.
(à lui-même) Tâche là de paraître content de ta victoire ;
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Ton armée ne doit pas céder au désespoir
Qui te fait redouter quelque triste défaite,
Met à terre ton honneur, et te prive de fête.
SCÈNE IV
Bargos, Sequanos
SEQUANOS
Qu’as-tu là à courir, que viens-tu m’annoncer ?
César a-t-il péri, les Romains tout entiers
Sont-ils déjà vaincus par nos bras valeureux ?
BARGOS
Ô naïve croyance d’un cœur bienheureux !
Le temps n’est plus aux joies, non plus aux réjouissances ;
La vie déjà pour moi n’a plus presque de sens.
SEQUANOS
Pourquoi cette tristesse ? Et quelle en est la cause ?
Conte-moi sur l’heure ce qui tant t’indispose.
J’ai hâte de savoir qui peut anéantir
Le digne fils du roi d’un si puissant empire.
Dis sans crainte, mon frère, dis ce qui te tourmente.
BARGOS
J’ai peur de te conter quelque issue alarmante.
Biturigorix meurt, et je perds en un jour
Et la vie de mon père, et mon roi de toujours.
Une flèche romaine en sa jambe fichée
Le vide de son sang, et le fait trépasser.
Il agonise aux pieds de l’immense muraille,
Et son grand bouclier, et sa cotte de maille
Furent faibles remparts contre le lâche archer
Qui à vingt toises – ô Dieux ! – parvint à le toucher.
Sa vie s’éteint, et lui, dans son illustre gloire
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M’ordonne de vous dire, et de vous persuader
Qu’il vous faut maintenant envoyer votre armée,
Vous battre enfin pour nous, et de votre bras fort
Balayer l’inaction qui pourrait nous coûter
Le trépas d’un monarque, celui d’une cité.
Vercingétorix entre.
BARGOS
Ô Vercingétorix !
VERCINGÉTORIX
J’ai bien tout entendu.
Je sais là vos misères, et j’entends que se rue
La mort à la conquête de vos glorieux flancs ;
Je sais votre valeur, et je sais que le sang
Qui coule dans vos veines mérite la victoire.
Je tiendrai ma promesse, et avant que ce soir
Ne tombe le soleil nous serons les vainqueurs
De toutes les misères, des Romains, de la peur
Qui agite vos hommes, éprouve leur courage,
Affaiblit les plus jeunes, achève les plus sages.
Nous serons les vainqueurs, et je puis affirmer
Que Biturigorix, ici assassiné
Verra sa mort vengée par le sang épandu
Des légions de Rome dont le combat perdu
S’achèvera bientôt en la nôtre victoire
Que nous gagnerons là, et qui viendra ce soir.
BARGOS
Envoie au front tes hommes, ô Général, et mène
Le dernier combat, plante l’ultime graine
De la glorieuse issue de ce juste combat.
VERCINGÉTORIX
J’entends toutes vos plaintes, et je ferai cela.
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BARGOS
Mais quand le feras-tu ? Notre armée désespère…
VERCINGÉTORIX
Je le fais là sur l’heure, et ce que je puis faire
Je le fais pour l’honneur, et je le fais au mieux ;
Tous les Romains ce soir auront quitté ces lieux.
BARGOS
Mais, Général…
VERCINGÉTORIX
Va donc ! Rejoins vite tes hommes !
Et toi Sequanos, sors ! et fais que contre Rome
Tous mes soldats soient prêts à vaincre ou à mourir !
Va les voir, leur parler, et enfin va leur dire
Ce qu’ils ont à perdre, et ce qu’ils ont à gagner.
Sequanos sort.
BARGOS
Avant de m’en faire je te veux informer
Que tout près de la mort, agonisant déjà,
Oubliant là sa gloire, conscient de son état,
Biturigorix a choisi son successeur
En tant que notre roi, et a voulu sur l’heure,
Le céder au plus sage de tous ses guerriers,
De loin le plus instruit, et le plus avisé.
Cansradas fut celui…
VERCINGÉTORIX
Tu me dis là qu’en somme,
Ce grand roi l’a cédé à ce si sénile homme ?
BARGOS
Je vous l’affirme, oui, et il viendra sur l’heure
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Te dire son courroux et te conter son heur.
Bargos sort.
VERCINGÉTORIX
Voilà que me croyant victorieux sans gloire
La défaite me prend, éloigne la victoire,
Annihile un dilemme, et en fomente un autre.
Et voici qu’un monarque, ô grand allié des nôtres,
Sur le point de mourir, transmet à Cansradas,
Ce vieillard sénile, oracle sans audace,
Son trône glorieux, et le pouvoir divin
De présider la mort ou la survie des siens.
Mon honneur menace d’être à jamais perdu ;
Je redoute déjà l’heure de sa venue,
Et il en usera, j’en puis être certain
Pour m’y vanter ses plans, et condamner les miens.
Je ne sais plus quoi dire, et ne sais plus que faire,
Car la vie des soldats qui sont comme mes frères
Autant que la mienne est là mise en péril !
Ô joie prématurée ! Ô volonté stérile !
Je me croyais vainqueur, mais l’ombre du danger
Dans mon dos, insidieuse, a mon âme approchée ;
Et j’en suis envahi, et la pleutre terreur
D’une obscure défaite attise mon malheur !
Il marque une pause.
Le combat est perdu, et désormais nos vies
Demeurent en danger si nous restons ici ;
Que l’armée se prépare, que nos hommes s’assemblent ;
Qu’à jamais nous quittions cette plaine qui semble
Pour nous tous un tombeau, et pour moi un désastre ;
Que nous quittions ces lieux, et que si – plaise aux astres –
Notre vie épargnée trouve une échappatoire,
Souvenons-nous du jour, souvenons-nous du soir,
Où, nous croyant vainqueurs, nous nous vîmes vaincus ;
Où, nous croyant sauvés, nous nous vîmes battus.
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SCÈNE V
Vercingétorix, Sequanos
SEQUANOS
Vos hommes sont tous là, qui attendent vos ordres.
Tous à voix basse parlent, et je sens qu’un désordre
Agite là leurs rangs, perturbe ici leur joie.
Cansradas était là, discourant comme un roi.
Un de tes cavaliers a une fois contredit
Le nouvel empereur ; Cansradas l’a saisi.
L’autre s’est défendu, l'a tué, puis perdu,
S’est immolé devant son vieux corps étendu.
L’accident a jeté dans toutes les consciences
Une obscure ténèbre, et la puissante alliance
De Vercingétorix aux assiégés ligués
N’est plus que souvenir dans notre âme offensée.
Je ne sais là que faire, je ne sais que penser ;
Les Dieux sont contre nous ; Borgos meurt et les fiers
Soldats d’Avaricum seront bientôt sous terre.
Que faisons-nous dès lors ? Qu’avez-vous décidé ?
VERCINGÉTORIX
Je ne sais.
SEQUANOS
Qu’espérer ?
VERCINGÉTORIX
Que vouloir ?
SEQUANOS
Que gagner ?
VERCINGÉTORIX
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Tous les cœurs Bituriges sont contre nous alliés.
En cette issue funeste je ne puis vouloir
Continuer le combat dans un ultime espoir.
Partons, Sequanos, trouvons autre oppidum,
Autre roi, autre soir, où nous détruirons Rome.
RIDEAU
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