liberté et son autonomie, comme cela
se passe encore aujourd'hui dans les
Eglises d'Orient. Les traditions et par-
ticularités nationales et locales pou-
vaient ainsi donner à chaque chrétienté
un visage différent. Les Eglises étaient
unies entre elles par le lien commun de
la foi, des ministères et du culte.
Comme l'écrit Urs Kiiry
:
«La consti-
tution de l'Eglise ancienne était un
«système ouvert» vers le haut... Il n'y
avait pas au sommet un monarque,
mais une pluralité de dignitaires unis
entre eux fraternellement sur un pied
d'égalité. Par là-même était affirmée la
vérité que l'Eglise n'a qu'un seul Sei-
gneur, Jésus-Christ» (p. 12).
L'évêque de Rome et patriarche d'Occi-
dent bénéficiait certes d'une certaine
primauté d'honneur et de service fra-
ternel du fait de l'importance politique
qu'avait Rome comme ancienne capi-
tale d'Empire. En 451, le Concile œcu-
ménique de Chalcédoine stipula expres-
sément que cette primauté lui avait été
accordée par ses pairs, et ne provenait
pas d'un droit divin légué par le Christ.
Mais le cinquième siècle apparaît
comme une époque charnière à partir
de laquelle les papes vont tenter de
substituer leur autorité à celle des con-
ciles et de rompre ainsi en leur faveur
l'ordre constitutionnel de l'Eglise
ancienne. On pourrait citer une longue
liste de tentatives pour trancher souve-
rainement dans les controverses en
matière de foi, pour «romaniser» des
Eglises d'Occident jusque là autono-
mes,
pour s'imposer aux princes sécu-
liers,
pour se constituer des possessions
territoriales (à l'aide d'un soi-disant
acte de donation de Constantin qui
n'était qu'un faux), enfin pour élabo-
rer une doctrine selon laquelle le pape
détient à lui seul, comme successeur de
Pierre, la plénitude des pouvoirs. A
l'encontre de cette orientation, on peut
cependant citer Grégoire I, mort en
604,
qui refusa et considéra comme une
offense à Dieu le titre d'«évêque uni-
versel», pour prendre celui de «servi-
teur des serviteurs de Dieu». D'autres
faux furent par la suite utilisés pour
asseoir la doctrine de la primauté de
droit divin et de l'infaillibilité du magis-
tère papal, en particulier les Décrétâtes
du Pseudo-Isidore, un recueil de lois du
IXe siècle.
Deux modèles d'organisation et de
constitution se trouvaient ainsi en con-
currence : le modèle épiscopal-
synodique et le modèle monarchique,
le premier hérité de la chrétienté primi-
tive farouchement indépendante des
structures politiques, le second repre-
nant le mode de fonctionnement de
l'Empire romain. Jusqu'au concile
Vatican I la question est restée ouverte
au plan théorique, et un théologien
avait donc le droit de prendre parti con-
tre la pratique séculaire de la papauté.
Les choses se figèrent en 1870 quand,
malgré une très forte opposition au sein
du concile, le modèle monarchique fut
proclamé de droit divin, avec son corol-
laire idéologique qu'est la doctrine de
l'infaillibilité. La discussion était close
au sein du catholicisme romain, et le
concile Vatican II s'efforcera vaine-
ment de trouver des correctifs efficaces
du côté d'une collégialité à réinventer.
Cette longue évolution ne
s'est
pas faite
sans résistance.
II.
Les résistances au centra-
lisme romain
Un homme comme saint Cyprien, évê-
que de Carthage mort en 258, s'éleva
déjà avec véhémence contre les préten-
tions romaines. Pour lui, le lien d'unité
de l'Eglise réside dans les relations fra-
ternelles des évêques entre eux et leur
ministère, la chaire apostolique de
Rome n'étant qu'un signe d'unité.
Saint Augustin a eu une pensée analo-
gue,
et l'Eglise d'Afrique du Nord a été
d'une manière générale particulière-
ment soucieuse de son autonomie.
Durant les premiers siècles, c'est la par-
tie orientale de l'Eglise qui a eu un rôle
directeur. Les premiers conciles œcu-
méniques se tinrent tous en Asie
mineure. Mais avec l'invasion par les
Arabes et les Turcs, le centre de gravité
de la chrétienté se déplaça massivement
vers l'Ouest. La grande rupture de 1054
eut deux causes majeures
:
la modifica-
tion unilatérale, par la papauté, du
credo de la messe, et sa revendication
d'une juridiction suprême sur toute
l'Eglise, alors que l'Orient tenait ferme-
ment à l'ancienne constitution. Les
Eglises autocéphales orthodoxes, mais
aussi les vieilles Eglises préchalcédo-
niennes, monophysites ou nestoriennes,
restent ainsi parmi nous les témoins de
l'ordre
primitif,
de sa viabilité et de sa
pertinence.
Si Martin Luther entendait par
Réforme essentiellement «le rétablisse-
ment de la vérité de l'Eglise ancienne»,
le protestantisme sous ses différentes
formes a cependant conduit dans la
majorité des cas à l'abandon de la cons-
titution épiscopo-synodale au nom d'un
retour au pur Evangile. Ce furent alors
les princes qui eurent tendance à
s'emparer de la direction des Eglises.
L'Eglise anglicane parvint à un com-
promis relativement harmonieux entre
héritage catholique et influences protes-
tantes,
ce qui lui donne un visage tout
à fait particulier. Le projet initial, au
moment de la séparation d'avec Rome,
était de continuer l'Eglise catholique
ancienne et autonome d'Angleterre.
Mais il y avait aussi chez Henri VIII la
volonté de la soumettre au contrôle
royal et d'en faire une Eglise d'Etat.
Les conflits qui donnèrent naissance au
schisme d'Orient, à la Réforme protes-
tante et à l'Eglise anglicane ne sont
cependant pas les seuls: en effet, à
l'intérieur même du catholicisme, et
sans volonté de séparation, de puissants
mouvements de résistance sont nés pour
protester contre l'irrésistible évolution
de la papauté et revendiquer un retour
à l'ordre ancien.
Des théories conciliaristes se sont impo-
sées aux conciles de Constance
(1414-1418) et de Bâle (1431-1449), à
une époque où trois papes se dispu-
taient le siège de Pierre. L'idée était que
c'est le concile régulièrement réuni qui
-33-