LE VIEUX-CATHOLICISME :
ORIGINES, POSITIONS,
SITUATION ACTUELLE,
PRESENCE EN ALSACE
Pierre ERNY
Professeur à l'Université des Sciences
Humaines de Strasbourg
Lorsqu'en 1870 le premier concile du
Vatican promulga des dogmes selon les-
quels le Pape a reçu du Christ juridic-
tion suprême sur toute l'Eglise, pri-
mauté universelle et infaillibilité doctri-
nale quand il parle ex cathedra, un
vaste mouvement de résistance s'orga-
nisa contre les prétentions centralisatri-
ces de Rome au nom des normes fon-
damentales de l'Eglise ancienne. Ce
mouvement, auquel on donne commu-
nément le nom de vieux-catholicisme
depuis un siècle, se situe dans le pro-
longement d'une lutte continue contre
l'esprit de domination qui n'a cessé
d'animer la papauté durant un millé-
naire et demi. La rupture avec l'Orient,
la naissance des Eglises de la Réforme,
l'âpre combat pour la sauvegarde de
leur autonomie d'Eglises catholiques
nationales (en particulier de l'Eglise
d'Utrecht) en sont les principales mani-
festations. Une même revendication a
parcouru l'histoire
:
revenir aux struc-
tures de l'Eglise primitive indivise. Pour
comprendre les positions et la situation
actuelles du vieux-catholicisme, il nous
faut donc jeter un rapide coup d'oeil
sur le mode de fonctionnement ancien
des communautés chrétiennes et son
progressif dévoiement.
I. L'unité dans la diversité du
christianisme ancien
s la fin du premier siècle, la fonction
épiscopale
s'est
dégagée des fonctions
presbytérale et diaconale. Vepiscopos
(celui «qui garde», qui «veille sur») appa-
raissait comme le garant de l'unité d'une
Eglise locale, ayant pour fonction de pré-
sider au service divin, d'ordonner les
ministres, de veiller à la doctrine et à la
discipline, et d'entretenir la communion
avec les autres évêques. On accédait à
cette charge par un double mouvement,
au plan horizontal par une élection au
sein de l'assemblée générale (synode) de
la communauté, au plan vertical par une
consécration avec imposition des mains
de tous les évêques présents et invocation
du Saint-Esprit. Les évêques sont fonda-
mentalement égaux entre eux. Mais dans
la mesure où l'Eglise naissante a épousé
les structures politiques de l'Empire
romain, ceux des capitales régionales
accédaient à des responsabilités plus
importantes et devenaient objet d'hon-
neurs particuliers. Ainsi sonts les
archevêques, les métropolites, et finale-
ment les patriarches sur les sièges de
Rome, de Constantinople, d'Antioche,
d'Alexandrie et de Jérusalem.
Les synodes étaient des assemblées à
caractère liturgique, sous l'invocation
du Christ et de l'Esprit, évêques, prêtres,
diacres et laïcs prenaient ensemble les
décisions qui s'imposaient. Ces synodes
s'organisaient à divers échelons: local,
régional, provincial, général. En 325 fut
convoqué à Nicée, par les soins de
l'empereur Constantin, le premier synode
plénier ou concile œcuménique, où
l'Eglise
s'est
dotée officiellement d'une
«constitution». La validité des décisions
que prenaient les synodes ne dépendait
pas de la confirmation émanant d'une
autorité supérieure, mais uniquement du
fait qu'elles étaient reconnues conformes
à sa foi par l'Eglise universelle, c'est-à-
dire partout et par tous. Ce sont les
empereurs byzantins qui ont convoqué
les sept grands conciles du premier mil-
lénaire, et comme le christianisme était
devenu religion d'Etat, leurs décisions
avaient force de lois d'Empire.
Dans le cadre de ces constitutions fon-
damentales reconnues partout, chaque
Eglise régionale veillait à préserver sa
-32-
liberté et son autonomie, comme cela
se passe encore aujourd'hui dans les
Eglises d'Orient. Les traditions et par-
ticularités nationales et locales pou-
vaient ainsi donner à chaque chrétienté
un visage différent. Les Eglises étaient
unies entre elles par le lien commun de
la foi, des ministères et du culte.
Comme l'écrit Urs Kiiry
:
«La consti-
tution de l'Eglise ancienne était un
«système ouvert» vers le haut... Il n'y
avait pas au sommet un monarque,
mais une pluralité de dignitaires unis
entre eux fraternellement sur un pied
d'égalité. Par là-même était affirmée la
vérité que l'Eglise n'a qu'un seul Sei-
gneur, Jésus-Christ» (p. 12).
L'évêque de Rome et patriarche d'Occi-
dent bénéficiait certes d'une certaine
primauté d'honneur et de service fra-
ternel du fait de l'importance politique
qu'avait Rome comme ancienne capi-
tale d'Empire. En 451, le Concile œcu-
ménique de Chalcédoine stipula expres-
sément que cette primauté lui avait été
accordée par ses pairs, et ne provenait
pas d'un droit divin légué par le Christ.
Mais le cinquième siècle apparaît
comme une époque charnière à partir
de laquelle les papes vont tenter de
substituer leur autorité à celle des con-
ciles et de rompre ainsi en leur faveur
l'ordre constitutionnel de l'Eglise
ancienne. On pourrait citer une longue
liste de tentatives pour trancher souve-
rainement dans les controverses en
matière de foi, pour «romaniser» des
Eglises d'Occident jusque là autono-
mes,
pour s'imposer aux princes sécu-
liers,
pour se constituer des possessions
territoriales (à l'aide d'un soi-disant
acte de donation de Constantin qui
n'était qu'un faux), enfin pour élabo-
rer une doctrine selon laquelle le pape
détient à lui seul, comme successeur de
Pierre, la plénitude des pouvoirs. A
l'encontre de cette orientation, on peut
cependant citer Grégoire I, mort en
604,
qui refusa et considéra comme une
offense à Dieu le titre d'«évêque uni-
versel», pour prendre celui de «servi-
teur des serviteurs de Dieu». D'autres
faux furent par la suite utilisés pour
asseoir la doctrine de la primauté de
droit divin et de l'infaillibilité du magis-
tère papal, en particulier les Décrétâtes
du Pseudo-Isidore, un recueil de lois du
IXe siècle.
Deux modèles d'organisation et de
constitution se trouvaient ainsi en con-
currence : le modèle épiscopal-
synodique et le modèle monarchique,
le premier hérité de la chrétienté primi-
tive farouchement indépendante des
structures politiques, le second repre-
nant le mode de fonctionnement de
l'Empire romain. Jusqu'au concile
Vatican I la question est restée ouverte
au plan théorique, et un théologien
avait donc le droit de prendre parti con-
tre la pratique séculaire de la papauté.
Les choses se figèrent en 1870 quand,
malgré une très forte opposition au sein
du concile, le modèle monarchique fut
proclamé de droit divin, avec son corol-
laire idéologique qu'est la doctrine de
l'infaillibilité. La discussion était close
au sein du catholicisme romain, et le
concile Vatican II s'efforcera vaine-
ment de trouver des correctifs efficaces
du côté d'une collégialité à réinventer.
Cette longue évolution ne
s'est
pas faite
sans résistance.
II.
Les résistances au centra-
lisme romain
Un homme comme saint Cyprien, évê-
que de Carthage mort en 258, s'éleva
déjà avec véhémence contre les préten-
tions romaines. Pour lui, le lien d'unité
de l'Eglise réside dans les relations fra-
ternelles des évêques entre eux et leur
ministère, la chaire apostolique de
Rome n'étant qu'un signe d'unité.
Saint Augustin a eu une pensée analo-
gue,
et l'Eglise d'Afrique du Nord a été
d'une manière générale particulière-
ment soucieuse de son autonomie.
Durant les premiers siècles, c'est la par-
tie orientale de l'Eglise qui a eu un rôle
directeur. Les premiers conciles œcu-
méniques se tinrent tous en Asie
mineure. Mais avec l'invasion par les
Arabes et les Turcs, le centre de gravité
de la chrétienté se déplaça massivement
vers l'Ouest. La grande rupture de 1054
eut deux causes majeures
:
la modifica-
tion unilatérale, par la papauté, du
credo de la messe, et sa revendication
d'une juridiction suprême sur toute
l'Eglise, alors que l'Orient tenait ferme-
ment à l'ancienne constitution. Les
Eglises autocéphales orthodoxes, mais
aussi les vieilles Eglises préchalcédo-
niennes, monophysites ou nestoriennes,
restent ainsi parmi nous les témoins de
l'ordre
primitif,
de sa viabilité et de sa
pertinence.
Si Martin Luther entendait par
Réforme essentiellement «le rétablisse-
ment de la vérité de l'Eglise ancienne»,
le protestantisme sous ses différentes
formes a cependant conduit dans la
majorité des cas à l'abandon de la cons-
titution épiscopo-synodale au nom d'un
retour au pur Evangile. Ce furent alors
les princes qui eurent tendance à
s'emparer de la direction des Eglises.
L'Eglise anglicane parvint à un com-
promis relativement harmonieux entre
héritage catholique et influences protes-
tantes,
ce qui lui donne un visage tout
à fait particulier. Le projet initial, au
moment de la séparation d'avec Rome,
était de continuer l'Eglise catholique
ancienne et autonome d'Angleterre.
Mais il y avait aussi chez Henri VIII la
volonté de la soumettre au contrôle
royal et d'en faire une Eglise d'Etat.
Les conflits qui donnèrent naissance au
schisme d'Orient, à la Réforme protes-
tante et à l'Eglise anglicane ne sont
cependant pas les seuls: en effet, à
l'intérieur même du catholicisme, et
sans volonté de séparation, de puissants
mouvements de résistance sonts pour
protester contre l'irrésistible évolution
de la papauté et revendiquer un retour
à l'ordre ancien.
Des théories conciliaristes se sont impo-
sées aux conciles de Constance
(1414-1418) et de Bâle (1431-1449), à
une époque où trois papes se dispu-
taient le siège de Pierre. L'idée était que
c'est le concile régulièrement réuni qui
-33-
représente l'organe suprême de l'Eglise
auquel le pape lui-même doit être sou-
mis.
Ceux qui détiennent l'autorité
ecclésiastique ne sont que des manda-
taires Je 1' ensemble des croyants.
Mats
au cinquième concile du Latran le point
de vue romain l'emporta, affirmant que
le pape avait pleine autorité sur le con-
cile et qu'il pouvait à son gré le convo-
quer ou le dissoudre. La dernière
grande poussée officielle en vue de res-
taurer l'ordre épiscopo-synodal était
ainsi battue en brèche. Luther afficha
ses 95 thèses à Wittenberg l'année
même de la clôture du concile du
Latran: 1517.
En 1438, l'assemblée des évêques de
France, réunie à Bourges, prit à son
compte les décisions du concile de
Constance dans La Pragmatique Sanc-
tion.
Ce fut un des sommets du mou-
vement séculaire nommé gallicanisme
qui s'employa à défendre les droits
anciens de l'Eglise de France contre les
empiétements romains. En 1682, Bos-
suet rédigea les Quatre Articles Galli-
cans selon lesquels l'autorité du pape
est limitée aussi bien par celle des con-
ciles généraux que par les lois et cou-
tumes du royaume et de l'Eglise natio-
nale.
Mais en 1690 le pape les déclara
nuls et sans valeur.
Par sa volonté de réforme, son épisco-
palisme et son conciliarisme, le mouve-
ment janséniste, impitoyablement
réprimé en France, favorisa souterrai-
nement dans toute l'Europe le dévelop-
pement de mouvements d'opposition à
la papauté et à ses champions les plus
ardents, les Jésuites.
En 1763, un évêque coadjuteur de Trê-
ves,
Jean Nicolas de Hontheim, publia
sous le pseudonyme de Febronius un
ouvrage pour prôner un retour à la
constitution de l'Eglise ancienne afin de
réaliser sur cette base une réunion avec
les Eglises protestantes. Selon lui la pri-
mauté est accordée au pape par les
autres évêques, et il n'en tire aucun
droit de juridiction sur eux. Il est pri-
mas interpares, et le siège de Rome est
centrum unitatis. Dans les décisions de
foi,
le pape est soumis à l'Eglise entière
représentée par le concile général. Ses
prescriptions n'ont force de loi que si
elles sont approuvées par tes synodes
régionaux. Cet ouvrage fut mis à
l'index, mais il inspira en 1786 une
déclaration faite à Ems par une partie
de l'épiscopat d'Allemagne: on y
demandait au pape de se contenter des
droits qui étaient les siens avant les faux
documents du Pseudo-Isidore, et par le
fait même de restituer aux évêques leurs
pouvoirs anciens.
Sous l'empereur Joseph II d'Autriche,
mort en 1790, un vaste mouvement ten-
dit à limiter les droits du pape sur le ter-
ritoire de l'Empire pour permettre à
l'administration de l'Etat d'intervenir
dans les affaires cultuelles. Le libre
exercice du culte fut assuré aux protes-
tants et aux orthodoxes.
Dans ce mouvement très général, la
lutte que mena l'Eglise de Hollande
pour sauvegarder son autonomie prend
un relief tout particulier, du fait que le
siège d'Utrecht devint par la suite
comme une sorte de cellule-mère du
vieux-catholocisme. L'élection de
l'archevêque appartenait au chapitre de
la cathédrale, lui-même élu par le clergé
du diocèse. La traduction de la Bible
fut très précocement favorisée, et de
nombreuses traditions locales virent le
jour en matière de vie liturgique et de
piété. Au moment de la crise janséniste,
de nombreux Français persécutés trou-
vèrent asile dans l'Eglise d'Utrecht et
y exercèrent une influence détermi-
nante. En 1702, Rome déposa l'arche-
vêque Pierre Codde pour complicité
avec le jansénisme et nomma un vicaire
apostolique à sa place. Le chapitre de
la cathédrale, en principe dissout, ne
renonça pas à ses droits anciens et pro-
céda en 1723 à l'élection d'un nouvel
archevêque
:
Cornélius Steenhoven.
Celui-ci fut sacré par un évêque mis-
sionnaire français. Le pape ayant refusé
son accord, Utrecht en appela à un con-
cile général, et la rupture avec Rome fut
ainsi consommée. L'«Eglise catholique-
romaine de l'ancienne obédience épis-
copale», se considérant comme l'héri-
tière de l'antique Eglise nationale de
Hollande, s'organisa de manière
I II J t
indépendante.
En toute occasion elle tendit la main à
Rome en vue d'une réconciliation, mais
n'essuya que des refus brutaux.
Le premier concile du Vatican se réu-
nit en 1869 sans programme officiel.
Mais le Pape Pie IX avait clairement
manifesté ses intentions en proclamant
en 1854 le dogme de l'immaculée con-
ception de Marie, et en publiant le
Syllabus par lequel était condamné le
libéralisme, rejetée la liberté de foi et
de conscience, et revendiquée la supré-
matie de l'Eglise sur l'Etat. Une lutte
âpre et passionnée s'engagea entre une
minorité attachée à l'ancienne consti-
tution de l'Eglise et une majorité favo-
rable à la concentration des pouvoirs
entre les mains des papes ; 1084 pères
avaient initialement été invités ; sur 778
présents, 380 furent favorables à une
première motion pour l'infaillibilité et
138 s'y opposèrent. De nombreux pères
quittèrent Rome pour ne pas avoir à
prendre part au scrutin final où il y eut
533 pour et 2 contre. Pie IX proclama
donc que le double dogme de la pri-
mauté universelle de droit divin et de
l'infaillibilité du pape était une vérité
de foi divinement révélée et nécessaire
au salut éternel. La constitution Pastor
aeternus stipula que
- le Christ a transmis à Pierre en tant
que chef des apôtres la primauté de
juridiction sur toute l'Eglise,
- cette primauté de droit divin se per-
pétue dans les successeurs de Pierre,
les évêques de Rome,
- en Pierre, le Christ a délégué à l'évê-
que de Rome «la plénitude de
l'autorité suprême», exigeant sou-
mission et obéissance,
- le pape est infaillible quand il parle
ex cathedra en matière de foi et de
mœurs, ce qui fait que les décisions
doctrinales ainsi prises sont irréfor-
mables «en elles-mêmes», et non
seulement en vertu du consentement
de l'Eglise.
-34-
On admettait que le pape a détenu cette
autorité suprême et cette infaillibité
doctrinale, alors que l'Eglise elle-même
«n'en avait pas encore conscience».
III.
Situation actuelle du vieux-
catholicisme
Les évêques représentant la minorité
conciliaire se soumirent tous à Rome.
La résistance s'organisa autour d'un
groupe de théologiens. F. Reusch
déclara en leur nom: «La conscience
catholique nous interdit d'accepter les
deux dogmes, car ils contredisent la
Sainte Ecriture et la tradition de l'Eglise
ancienne auxquelles nous sommes liées
comme prêtres et théologiens catholi-
ques». Ils mirent en avant que le con-
cile de 1870 n'avait été ni libre ni véri-
tablement œcuménique. Les principes
normatifs du mouvement vieux-
catholique furent définis au congrès de
Munich en 1871. F. Von Schulte pré-
conisa l'érection de diocèses et de
paroisses propres, alors que le savant
I. Von Doellinger estima qu'il ne fal-
lait pas sans nécessité absolue «dresser
paroisse contre paroisse, autel contre
autel.» Le congrès suivit Von Schulte,
et dans les années qui suivirent l'Eglise
vieille-catholique s'organisa.
En 1873, une assemblée de 21 prêtres
et de 56 délégués laïcs élut J.H. Rein-
kens comme premier évêque vieux-
catholique d'Allemagne. Il reçut la con-
sécration épiscopale à Rotterdam d'un
évêque de l'Eglise d'Utrecht. En Suisse,
après une période de troubles politico-
religieux, un synode se réunit à Olten
en 1875 pour mettre en place l'Eglise
catholique-chrétienne (dénomination
que le vieux-catholicisme adopta dans
la confédération). Edouard Herzog fut
élu évêque et consacré par Mgr Rein-
kens.
Une faculté catholique-chrétienne
fut créée dans le cadre de l'Université
de Berne. Un premier synode se réunit
en Autriche en 1880, et le vieux-
catholicisme fut renforcé en 1900 par
la Los-von-Rom-Bewegung. Il
s'implanta solidement en Tchécoslova-
quie et en Croatie. A Paris, une Eglise
«gallicane» fut fondée par le prédica-
teur Hyacinthe Loyson et placée sous
la juridiction d'Utrecht. Il en sortit en
1951 la Mission vieille-catholique de
France. Le groupe cependant numéri-
quement le plus important est formé
par l'Eglise Nationale Polonaise des
Etats-Unis d'Amérique,e de la ten-
tative faite par Rome d'imposer à des
paroisses polonaises des évêques irlan-
dais...
Une Eglise-fille naquit en Polo-
gne même.
En 1889 fut fondée VUnion d'Utrecht
au sein de laquelle allaient se regrou-
per les Eglises vieilles-catholiques, dont
l'organe suprême est la Conférence
internationale des évêques présidée par
l'archevêque d'Utrecht. Une dizaine de
pays y sont actuellement représentés,
avec 15 évêques, 450 prêtres, plus de
600 paroisses et près d'un million de
fidèles. On peut donc distinguer en
quelque sorte trois strates :
- l'Eglise d'Utrecht,
- des Eglises issues de la lutte contre
le premier concile du Vatican,
- des Eglises d'Amérique et d'Europe
de l'Est nées de motivations
nationales.
Proches du catholicisme romain dont
elles sont issues, proches par leurs prin-
cipes des Eglises anglicales et ortho-
doxes,
les communautés vieilles-
catholiques occupent une position-clé
dans l'actuel dialogue œcuménique. On
pourrait dire qu'elles proposent une
sorte de catholicisme «alternatif».
IV. Positions
Ignaz Von Doellinger a défini en trois
points la mission de l'Eglise
vieille-catholique :
- Défendre la vérité de l'Eglise et pro-
tester contre les dogmes pontificaux,
- Montrer une Eglise débarrassée de
tous les abus et plus conforme à
l'Eglise ancienne indivise,
- Servir d'instrument à l'union future
des chrétiens et des Eglises séparées.
On reconnaît que l'apôtre Pierre a été
au milieu des autres apôtres primas
inter pares. Les paroles que le Christ lui
a adressées le concernaient personnel-
lement : il n'est en effet nulle part ques-
tion d'un successeur. On reconnaît
aussi au siège de Rome une certaine pri-
mauté d'honneur et de service, confor-
mément aux déclarations de plusieurs
conciles anciens, donc d'origine ecclé-
siastique et non divine.
La Convention d'Utrecht stipule que la
foi catholique est exprimée par les
symboles et les définitions conciliaires
de l'Eglise indivise du premier millé-
naire. Le Concile de Trente, dirigé con-
tre la Réforme, n'est accepté dans ses
décisions dogmatiques que dans la
mesure où elles concordent avec celles
de l'Eglise ancienne. La constitution de
l'Eglise est épiscopale-synodale. A sa
base il y a le ministère catholique de
l'évêque en tant que service fraternel de
l'unité de l'Eglise, le ministère du prê-
tre à qui est confié la proclamation de
la Parole, l'administration des sacre-
ments et le soin des âmes dans chaque
paroisse, et enfin le diaconat. Les évê-
ques,
les prêtres et les diacres prennent,
en commun avec les délégués laïcs, lors
du synode rassemblé au nom du Christ
et de l'Esprit-Saint, les décisions néces-
saires en ce qui concerne le culte, la dis-
cipline et la vie de l'Eglise. Les décisions
de foi obligatoires pour toute l'Eglise
demeurent réservées au concile général.
La conférence internationale des évê-
ques vieux-catholiques veille à ce que
les fondements de la foi, définis par les
conciles œcuméniques, ne soient pas
abandonnés. Le centre du culte est
l'annonce de la Parole de Dieu par la
prédication et la célébration de la sainte
Eucharistie selon la forme de la messe
catholique occidentale. Ont également
été conservés les autres sacrements de
l'Eglise catholique. Les Eglises vieilles-
catholiques sont liées par la Déclaration
d'Utrecht, mais pour le reste elles sont
libres de cultiver leur caractère natio-
nal propre. Le retour à l'unité des Egli-
ses ne peut se faire sur une autre base
que la foi, la constitution et le culte de
l'Eglise ancienne indivisée. Le but pour-
suivi n'est pas une Eglise unitaire dans
-35-
laquelle les diverses Eglises perdraient
leur caractère propre, mais une commu-
nion d'Eglises autonomes tirant leur
unité de leur commune appartenance à
l'ordre de l'Eglise ancienne et une (Urs
Kùry, pp. 52-54). Des accords de pleine
communion sacramentelle ou d'inter-
communion ont été conclus avec les
Anglicans, ainsi qu'avec les Eglises
catholiques non romaines d'Espagne,
du Portugal et des Philippines.
Diverses réformes furent instituéess
les débuts du vieux-catholicisme:
emploi des langues vernaculaires dans
le culte, suppression des lois canoniques
sur le jeûne et l'obligation de la confes-
sion auriculaire, affranchissement des
clercs de l'obligation du célibat.
V. Présence du vieux-catho-
licisme en Alsace
Après le seconde guerre mondiale, la
paroisse «gallicane» de Paris s'effrita
et son église du boulevard Auguste
Blanqui fut vendue à un groupe ortho-
doxe. La Mission vieille-catholique de
France, placée directement sous la juri-
diction de la Conférence internationale
des évêques, lui succéda sous la direc-
tion de l'abbé A.H. Bekkens. Des liens
privilégiés furent institués avec l'Eglise
de Suisse, la plus proche linguistique-
ment. Au journal Le Catholique
fran-
çais succéda La Flamme. Un local avec
chapelle fut acquis au 15, rue de Douai,
dans le 9ème arrondissement.
A Strasbourg, une paroisse vieille-
catholique fut fondée en 1906. Elle
semble avoir regroupé jusqu'à 2000
fidèles, la plupart d'origine allemande.
Elle ne survécut pas à la première
guerre mondiale. Il en reste des docu-
ments d'archives relatifs à la demande
d'autorisation à Strasbourg et des regis-
tres paroissiaux à Offenburg.
Cette activité fut relancée au début des
années 80 avec l'arrivée d'un prêtre
vieux-catholique à Colmar. Des com-
munautés «familiales» virent le jour en
cette ville et dans le Nord de l'Alsace,
autour de quelques couples animateurs.
Des célébrations pouvant regrouper de
5 à 50 personnes se déroulent à l'occa-
sion de fêtes liturgiques, de fêtes de
famille ou d'événements de la vie chré-
tienne. Voici ce que dit un texte récent
émanant de ce groupe en Alsace :
«Nous voudrions être accueillants à
tous ceux qui cherchent le Seigneur et
leur permettre de trouver un lieu
d'Eglise où ils puissent découvrir le
message de l'Evangile au travers de
communautés fraternelles, familiales,
proches les unes des autres, attentives
à la vie de chacun et respectueuses de
tout cheminement personnel. Nous sou-
haitons témoigner de l'histoire du mou-
vement vieux-catholique, tel qu'il
s'est
constitué peu à peu dans le catholicisme
occidental, le faire connaître dans sa
théologie et son ecclésiologie - qui, nous
le pensons, peuvent éclairer plus d'un
catholique, troublé par une Eglise
romaine si peu soucieuse des Eglises
locales et des traditions particulières...
Nous souhaitons faire naître partout en
Alsace des communautés d'Eglise,
familiales, accueillantes, animées par
des familles à partir de leur milieu de
vie».
Des liens étroits existent avec les com-
munautés voisines de Mannheim,
Baden-Baden, Karlsruhe, Offenburg,
Fribourg, Bâle, Allschwil, Kaiseraugst,
Rheinfelden, etc.
Des discussions existent au sujet de
l'appellation à donner à ce courant. Au
siècle dernier on parlait surtout
d'«anciens» catholiques. Quand on se
nomme «vieux-catholiques» ou «catho-
liques-chrétiens» (comme en Suisse),
cela peut induire des représentations
ambiguës. Il est vrai que dans les pays
germaniques il
s'agit
là d'une Eglise qui
dans ses manières d'être peut facile-
ment être qualifiée de traditionnaliste,
et c'est sans doute une des raisons qui
ont poussé la Mission de France à se
donner d'emblée une constitution syno-
dale autonome afin de pouvoir se
démarquer de ses voisines et trouver sa
voie propre sans se laisser enfermer
dans des images toutes faites.
En Alsace, il n'existe donc pour le
moment pas de structure paroissiale,
mais autour d'un prêtre et de sa famille
plusieurs autres noyaux se sont consti-
tués.
Pour le culte, il est le plus souvent
fait appel à des églises ou chapelles pro-
testantes. La collaboration s'instaure
d'une manière générale plus facilement
avec les milieux protestants. Une place
importante est réservée également aux
liturgies domestiques et familiales. En
principe, le rite suivi est celui de l'Eglise
de Suisse, proche de la liturgie romaine
(mais sans Filioque et avec épiclèse).
Terminons par ces phrases adressées
par Mgr Glazemaker, archevêque
vieux-catholique d'Utrecht au Pape
Jean-Paul II lors de sa visite en Hol-
lande en mai 1985 : «Nous voulons
nous efforcer d'être une Eglise dans
laquelle la diversité n'est pas ressentie
comme une menace pour la catholicité,
mais plutôt comme une donnée essen-
tielle pour notre vocation, une Eglise
qui soit le reflet de la maison qui com-
porte beaucoup de demeures et qui vit
de l'amour victorieux du Seigneur,
lequel n'exclut personne a priori.»
Pierre ERNY
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