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L'ARTICLE
Les
Samedis
scientifiques
Sommaire
FORÊT ET SOCIÉTÉ
DANS LES VOSGES DU NORD
DU MOYEN AGE À LA RÉVOLUTION
Philippe Jehin ............................................................................................................... P 2
LES USAGES SOCIAUX
DE LA FILIÈRE FORÊT-BOIS DANS
LE PNR DES VOSGES DU NORD
Maurice Wintz, Sur la base de l’étude de Vincent Brailly, empêché ...... P 5
ECOLOGIE DES FORÊTS NATURELLES
« FORÊT, BOIS, SOCIÉTÉ »
Annick Schnitzler ........................................................................................................ P 7
INNOVATIONS ET
ÉCO-PROCÉDÉS POUR UNE VALORISATION
DES RESSOURCES LOCALES - CONSTRUCTION
BOIS À TENDON ET AUTRES EXEMPLES
Stéphane Ohnimus .................................................................................................... P 9
Samedi 13 octobre 2012
PERSPECTIVES POUR LES FORÊTS
DU PALATINAT DANS LE CONTEXTE DU
CHANGEMENT CLIMATIQUE
Ulrich Matthes ........................................................................................................... P 11
LIEN ENTRE ÉCONOMIE ET ÉCOLOGIE
Max Bruciamacchie ................................................................................................. P 14
FORÊT ET SOCIÉTÉ DANS
LES VOSGES DU NORD
DU MOYEN AGE À LA
RÉVOLUTION
Philippe Jehin
Professeur d’histoire
D
u Moyen Age à la Révolution, la
population des Vosges du Nord
entretient des relations très étroites
avec la forêt qui constitue la ressource
fondamentale. Toutes les activités
reposent sur l’exploitation de la forêt.
Dans une région au sol peu fertile, c’est
grâce à la forêt que la population a pu
s’implanter et subsister.
Un besoin vital de bois
P
our la population des Vosges du Nord,
du Moyen Age à la Révolution, la forêt
constitue une ressource vitale. L’essor
démographique, en particulier aux XVIe et
XVIIIe siècles, entraîne le développement de
la construction ainsi qu’une consommation
croissante en bois de chauffage.
Pour la charpente comme la menuiserie
intérieure de leurs maisons, les habitants
bénéficient de droits d’usage pour le
bois de construction ou bois de marnage
« Bauholtz ». Jusqu’au XVIIe siècle, la
profusion de bois n’encourage pas la
parcimonie. Il arrive souvent que les
habitants coupent beaucoup plus d’arbres
qu’ils n’en ont réellement besoin pour
la construction ou la réparation d’un
bâtiment. En 1580, le gruyer (responsable
forestier) de Bitche déclare : « lesdits
habitants de la seigneurie de Bitche ont
droit de prendre tous les bois pour bâtir
et en coupent beaucoup plus qu’il ne
leur en faut, et bien souvent le laissent
pourrir ». Dans le comté de La Petite
Pierre, les autorités seigneuriales veillent
davantage à la préservation de la forêt. Le
règlement forestier de 1592 prévoit que
les sujets remettront une demande écrite
au représentant seigneurial, précisant la
quantité et la qualité des bois ainsi que
l’utilisation prévue. Le gruyer seigneurial
veillera à son emploi exact afin qu’il ne
soit pas vendu à un tiers. Après la Guerre
de Trente ans (1618-1648), la réglementation
précise que la quantité de bois demandée doit
être vérifiée au préalable par un charpentier
juré. Au XVIIIe siècle, le bois de marnage est
défini de façon de plus en plus restreinte
parce que la région connaît une forte
croissance démographique. Les forêts sont
sollicitées de façon exponentielle. L’essence
la plus prisée pour le bois de construction est
incontestablement le chêne.
2
La maison construite, il faut ensuite cuire ses
aliments et se chauffer. Peu d’informations
permettent d’évaluer la consommation réelles
des foyers en bois de chauffage, appelé affouage
ou « Brennholtz ». Au Moyen Age, les habitants ont
un libre accès à la forêt et y prélèvent librement
le bois nécessaire. A partir du XVIIe siècle, la
délivrance de bois de chauffage est encadrée.
Habituellement, un officier seigneurial, appelé
garde-marteau, procède au martelage des arbres
à abattre pour le bois d’affouage des particuliers.
Toutes les essences sont utilisées, mais on note
une large prédilection pour le hêtre.
le bouleau ou le noisetiers regagnent le terrain
abandonné.
Pour pallier le faible rendement des terres
agricoles, les paysans consacrent une large partie
de leurs activités à l’élevage. Celui-ci se pratique
essentiellement en forêt, c’est le droit de vaine
pâture. La forêt souffre de dégradations appelées
abroutissements qui mettent en péril l’avenir
de la forêt. Les herbivores ne se contentent
pas seulement des plantes herbacées du sousbois, mais broutent aussi des jeunes pousses
et les feuilles à leur portée. Au XVIIIe siècle, le
surpâturage en lisière des bois est manifeste.
Un paysage modelé par les activités
agricoles
L’impact des activités industrielles
sur la forêt
J
L
usqu’à la Révolution, l’essor démographique
se fait largement au détriment des forêts, par
l’extension des finages et le développement de
l’élevage.
Les paysans à la recherche de nouvelles terres
déboisent des parcelles forestières lors des
phases de croissance démographique comme
les XVIe et XVIIIe siècles. Il s’agit souvent de
défrichements temporaires par l’essartage. Le
feu réduit en cendres les plantes herbacées et
les arbustes. Le défrichement ne signifie pas
déforestation irrémédiable. En effet, la nature
du sol ne permet pas une mise en valeur rentable
et durable à cause de son infertilité. Les champs
ainsi gagnés sur la forêt sont exploités pendant
deux ou trois ans, puis ils sont abandonnés à la
forêt pendant une longue période de jachère
de 10 à 30 ans. Les essences pionnières comme
a verrerie constitue le facteur essentiel du
déboisement et de peuplement des Vosges du
Nord. Elles sont à l’origine d’immenses clairières
à partir du XVIe siècle. D’abord nomades, les
verreries deviennent fixes et obtiennent de larges
concessions forestières de la part des seigneurs.
Dans un premier temps, les forêts affectées aux
verreries sont exploitées de façon pionnière, sans
le souci d’une gestion durable de la ressource
ligneuse. La sédentarisation des verriers
nécessite l’octroi de concessions forestières,
les affectations. Le contrat d’implantation
définit les surfaces, les modes d’exploitation,
la succession des parcelles à exploiter dans le
cadre d’une révolution sur plusieurs décennies.
Les terres sont déboisées pour être converties en
champs ou en prés. D’autres doivent conserver
des baliveaux afin de favoriser le reboisement.
Cependant, pour toutes les verreries, on constate
3
que les parcelles affectées à leur fonctionnement
se révèlent insuffisantes. Les verreries sont
parfois contraintes à un chômage de plusieurs
années si elles ne peuvent pas acheter du bois au
prix fort.
En 1739, plus de 6000 pieds sont coupés dans le
secteur de La Petite Pierre. Ce commerce très
lucratif se poursuit jusqu’à la Révolution.
La métallurgie, comme la verrerie, est une industrie
xylophage. Son implantation dans les Vosges du
Nord s’explique par la présence de minerai de fer
sur le piémont alsacien, l’utilisation des cours
d’eau pour l’énergie hydraulique, mais aussi par
l’abondance du bois. La métallurgie exige en effet
une forte consommation de bois sous forme de
charbon. La première étape de cette industrie
consiste donc en un important travail forestier.
Plusieurs sites métallurgiques apparaissent à
la fin du XVIe siècle et au début du XVIIe siècle à
Zinswiller, Mouterhouse et Jaegerthal. En 1789,
les besoins en bois des différents établissements
De Dietrich se montent à 20 000 cordes de bois par
an. La moitié du personnel de l’entreprise travaille
alors en forêt en tant de bûcherons, charbonniers
ou voituriers. Cette exploitation intense du bois a
donné aux Vosges du Nord un caractère industriel
précoce et original, basé sur le verre et le fer.
A
Aux XVIIe et XVIIIe siècles, les marines européennes
sont en plein essor. Les armateurs hollandais
prospectent la vallée du Rhin et jettent
notamment leur dévolu sur les Vosges du Nord au
début du XVIIIe siècle. Des contrats d’exploitation
sont signés avec le duc de Lorraine et les seigneurs
alsaciens. Des milliers de chênes sont coupés,
grossièrement façonnés en forêt, puis flottés
vers les arsenaux où ils sont retravaillés par les
charpentiers pour la confection des coques de
navires. Des pins sont aussi coupés pour les mâts.
Conclusion
près la description de ces différentes
exploitations forestières, il nous reste à
tirer quelques conclusions. Du Moyen Age à la
Révolution, la forêt représente une ressource
indispensable pour l’implantation humaine en
lui fournissant matériau et combustible. Pour
les paysans, la forêt est perçue comme une
réserve foncière, indispensable pour étendre
leurs cultures et y parquer leurs troupeaux. Les
industries dévoreuses de bois comme la verrerie
ou la métallurgie trouvent dans les Vosges
du Nord de vastes forêts alors sous-utilisées,
qu’elles exploitent intensément avec les
encouragements des autorités qui en tirent des
revenus conséquents. Mais toutes ces activités se
montrent extrêmement préjudiciables au couvert
forestier. En 1789, la forêt a considérablement
régressé, en surface, mais surtout en qualité : les
bois sont devenus très clairs, remplis de taillis et
d’essences pionnières et ponctués de clairières.
A partir du milieu du XVIIIe siècle, les autorités
seigneuriales et royales imposent des mesures
coercitives pour réduire les prélèvements
et assurer la survie du couvert forestier. Les
premiers résultats paraissent insuffisants : on
ne peut priver la population de bois. La véritable
mutation économique se déroulera au XIXe siècle
avec le déclin de l’agriculture et surtout l’abandon
du bois au profit de la houille importée.
4
Bibliographie :
Philippe Jéhin. Les forêts des Vosges du Nord du
Moyen Age à la Révolution : Milieux, usages et
exploitations, Strasbourg : Presses Universitaires,
2005, 398 p.
Illustrations :
Page 2 : Charbonniers, dessin de Gross, les mines de La Croix
aux Mines, XVIe siècle.
Page 3, en haut : Plan des défrichements pour la verrerie de
Goetzenbruck, 1756, source Archives nationales, cote AN N III
Moselle.
Page 3, en bas : Détail d'un plan du XVIIIe siècle, archives
municipales de Munster.
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LES USAGES SOCIAUX DE
LA FILIÈRE FORÊT-BOIS
DANS LE PARC NATUREL
RÉGIONAL DES VOSGES
DU NORD
Maurice Wintz,
Maître de conférences à l’université de Strasbourg
Sur la base de l’étude
de Vincent Brailly, empêché
L
a charte du Parc a identifié la gestion
forestière comme l’un des principaux
enjeux du Parc, aussi bien au niveau
territorial, économique qu’écologique. La
forêt représente environ 66 % du territoire
du Parc, dont 80 % de forêts publiques
gérées par l’ONF. La question de la gestion
forestière ne met pas seulement en jeu la
seule dimension technique des modalités
d’exploitation de la ressource bois ou
même de la préservation des écosystèmes
forestiers ; au-delà de l’aspect récréatif
et multifonctionnel de la forêt que nous
n’aborderons pas ici, elle interroge le
rapport que les habitants d’un territoire
entretiennent avec une ressource
proche, ici le bois, à travers ses diverses
utilisations. La présente communication
s’appuie sur une étude, réalisée dans le
cadre du Programme cadre de recherche
du Sycoparc, cherchant à mettre en
évidence les logiques qui sont à l’œuvre
dans les différents usages du bois sur le
territoire du Parc. Il s’agissait dans un
premier temps d’identifier les différents
types d’acteurs concernés par l’usage du
bois en tant que ressource1, tout au long
de la « filière » : de l’exploitation forestière
aux
différents
types
d’utilisation
(construction, mobilier, chauffage…) et les
liens et interactions entre ces acteurs. Dans
un deuxième temps, il s’agissait de mettre
en évidence les valeurs, motivations
et représentations qui caractérisent
les différents acteurs identifiés quant
aux formes actuelles de production et
d’utilisation du bois sur le territoire du
Parc et aux évolutions envisagées.
La mission de recherche appliquée a été
réalisée par Vincent Brailly, doctorant en
ethnologie, et s’est déroulée sur la base
d’un travail bibliographique, d’un travail
de terrain et plus de 60 entretiens avec les
différents acteurs identifiés, entre août
2011 et juillet 2012.
Les acteurs : une filière complexe en
mutation
1- Ne sont pas pris en compte ici les usages
indirects de la forêt comme les aspects récréatifs
(promenade, paysage, air « pur »…) mais uniquement
les différents usages du bois.
5
Une première constatation repose sur la
grande diversité et la complexité des types
d’acteurs du bois et de leurs relations.
Intégrés traditionnellement dans une
économie locale, les professionnels de
la filière sont aujourd’hui engagés dans
une phase de mutation, conséquence de
la mondialisation progressive du marché
du bois.
La transformation industrielle de la
ressource ligneuse, en provenance
d’Allemagne en particulier, impose
normes et standardisation de produits
auxquelles les artisans des Vosges du
Nord n’étaient pas préparés. Ces derniers
doivent faire face avec les « moyens du
bord » en suivant les tendances du marché
et en s’insérant dans des économies de
niches, dans un contexte marqué par
de grandes inégalités entre les grosses
unités (notamment dans le domaine du
sciage) et les petites structures.
Les politiques sylvicoles françaises
sont tournées vers une logique
productiviste depuis la fin des années
1990 pour répondre à ce marché du bois.
L’organisme gestionnaire traditionnel
des forêts publiques françaises, l’ONF,
n’a pas échappé à ces transformations et
inscrit aujourd’hui son action dans une
logique d’entreprise, de productivité et
de baisse des coûts.
Les perceptions du bois : une
industrialisation plutôt mal vécue
L’industrialisation de la filière est
plutôt perçue négativement par les
acteurs locaux de la transformation,
en particulier quand elle contribue à
dévaloriser les métiers ; le forestier passe
du statut de personnalité respectée à
celui de prestataire, certains charpentiers
considèrent que le bois façonné
industriellement déprécie leur métier et
leur savoir-faire. De même, les meubles
standardisés, fabriqués et diffusés
industriellement sont perçus comme
étant défavorables à la valorisation des
gros bois.
Quant à la forêt, il semble que les
perceptions sont en train de changer chez
les acteurs du bois : de la forêt « propre »
bien nettoyée, on évolue vers une forêt
où le bois mort est toléré, dans certaines
limites. La mécanisation de l’exploitation
est plutôt considérée comme néfaste
pour la forêt, voire même pour la qualité
des bois récoltés.
Page 5, en haut : photo de Bernard Boisson.
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6
ECOLOGIE DES FORÊTS
NATURELLES
Annick Schnitzler
Professeur à l’université de Lorraine
Introduction
L
a forêt peut être considérée comme un
conservatoire de biodiversité des espèces
et des habitats originels de l’Europe. Cet
écosystème présente une grande stabilité face
aux événements climatiques, évitant extinctions
et proliférations des populations grâce à des
régulations internes complexes, une dynamique
en cycles fermés et la présence de zones refuges.
Grâce à une architecture végétale fortement
stratifiée, à la complexité des réseaux trophiques
et une biodiversité élevée, la forêt est considérée
comme l’écosystème le plus performant de
notre planète à soutirer l’énergie solaire La
forêt, riche de 30% de biomasse ligneuse, est
ainsi le champion du recyclage grâce à l’extrême
spécialisation des réseaux saproxyliques (il
s’agit des espèces de différents règnes qui
dépendent pour au moins une partie de leur
cycle du bois mort ou mourant). On comprend
dès lors que la forêt ne saurait se limiter à une
collection d’arbres. Il faut intégrer les éléments
de toute la flore, de la flore, de la fonge et des
microorganismes, et considérer les interactions
entre ces éléments dans tous les compartiments
forestiers, au-dessus du sol et dans le sol. La forêt
s’appréhende donc à une échelle spatiale très
large, de plusieurs centaines de milliers d’hectares
(qui correspond aux surfaces nécessaires pour
des densités viables d’espèces à grand territoire).
L’échelle temporelle est aussi importante, car la
forêt intègre également des héritages, naturels
ou anthropiques, qui ont parfois eu lieu dans un
lointain passé.
Substitution et cycles forestiers
Il existe plusieurs types de mécanismes dans
la dynamique forestière. Le mécanisme de
substitution est constant dans les forêts
naturelles. Il consiste à remplacer un arbre vivant
par un voisin, sans qu’il y ait ouverture marquée
de la canopée. Il s’agit donc d’une mortalité pied à
pied (1% des arbres de la canopée par an, en milieu
tropical). L’arbre qui remplace est déjà présent,
à l’état juvénile, parfois en attente depuis des
décennies. Il occupe progressivement la place
de l’arbre sénescent. La croissance de l’arbre
potentiel est ralentie par l’individu plus âgé qui
est au-dessus de lui, en raison de l’ombrage et de la
compétition pour les ressources dans le sol, mais
l’individu dominé bénéficie des pluviolessivats
(gouttes de pluie chargées en nutriments après
égouttage sur les feuilles de la canopée), et des
échanges de myccorhizes.
La dynamique forestière (cycles forestiers)
7
s’appréhende en général à l’échelle du « chablis »,
terme qui correspond à la fois à l’espace libéré
par la chute d’un ou plusieurs gros arbres dans
la canopée, et les arbres tombés eux-mêmes.
L’évolution temporelle de cet espace nouveau,
considéré comme une petite unité écologique
(éco-unité) est classiquement décrite en 4 phases
(régénération, durant laquelle la canopée reste
ouverte, puis aggradation durant laquelle se forme
une jeune canopée en voie de croissance, puis la
maturité, et la sénescence durant lesquelles la
canopée se ferme). Ce processus cyclique varie en
finesse en fonction de nombreux facteurs, dont
la taille des chablis et des espèces et processus
impliqués, ce qui signifie en d’autres termes que
le cycle qui ferme le chablis ne reconstruit l’écounité à l’identique.
Les chablis ont aussi des dimensions différentes :
ceux de petites dimensions se referment la plupart
du temps rapidement, par divers processus
(croissance latérale des axes des ligneux de la
canopée, croissance verticale des espèces des
sous-étages). Lorsqu’ils sont plus importants
ou plus nombreux, ils tendent à s’agrandir dans
un premier temps parce que la trouée a rendu
les arbres des bordures plus vulnérables, puis
à se fermer à partir de l’intérieur du chablis vers
l’extérieur.
Mais, quelle que soit l’ouverture provoquée
par la chute d’un arbre, la lumière directe qui
arrive au sol, les écarts de température se font
plus grands, les pluies de graine et de pollen
modifient rapidement le microclimat. Ainsi, le sol
évolue rapidement : la lumière stimule l’activité
bactérienne, la pluie arrive directement, ce qui
accélère la décomposition de la litière, et les
possibles toxines qu’elle diffuse (cas du hêtre). Le
chablis reçoit des pluies de graines apportées par
le vent, qui étaient auparavant captées dans le
feuillage de la canopée. Il attire aussi des herbivores
par développement des herbacées. Outre des
feuilles fraiches, la trouée stimule la fructification
des buissons et des herbacées ce qui attire les
oiseaux et les rongeurs granivores. Mammifères
et oiseaux favorisent en retour la dispersion des
graines par zoochorie, mais transportent aussi des
pathogènes pour les plantes.
Les phases suivantes permettent tout d’abord
l’élaboration d’une jeune canopée, puis une
canopée définitive, sous laquelle s’organise
l’architecture des sous-bois.
Les phases de maturité et de sénescence
constituent une partie peu connue du cycle
sylvigénétique, en raison de leur grande rareté
dans les forêts exploitées. Les arbres de la canopée
deviennent géants, le bois mort s’accumule au
pied des gros arbres, le sol s’enrichit et sa faune se
complexifie.
Forêts primaires, forêts anciennes,
forêts jeunes
Les forêts primaires présentent une forte
hétérogénéité architecturale et un nombre
d’habitats très élevé pour de multiples formes
de vie. Les quatre phases des cycles y sont
représentées, avec des dimensions très variables.
Dans une forêt mature, toutes les conséquences
d’un régime de perturbation et de stress typiques
d’un site sont donc représentées, ce qui permet
8
la conservation des espèces quelles que soient
leurs stratégies et leurs fluctuations. Les réseaux
trophiques, des bactéries à la grande faune y sont
donc présents.
Ces forêts ont disparu d’Europe, en dehors de
quelques rares très grandes forêts bien préservées
comme à Néra en Roumanie. Il existe aussi des forêts
en bon état de conservation, qui comprennent
toute la grande faune forestière, comme celle du
parc national de Bérézinski en Biélorussie (grands
carnivores, grands herbivores dont le bison).
Mais aucune de ces forêts ne peut atteindre le
fonctionnement qui était le sien il y a 7000 ans, car
les influences humaines sont trop profondes.
Les forêts spontanées qui s’étendent après déprise
agricole ou autres abandon des usages peuvent
acquérir peu à peu les caractères des forêts
primaires, si on les laisse se développer sur le
très long terme, et si on les protège efficacement.
Mais dans les forêts exploitées peuvent
aussi conserver une partie de l’héritage de la
biodiversité européenne si on respecte certaines
règles, comme la libre évolution dans une partie
du massif forestier, par des réserves intégrales et
des îlots dits de sénescence, et une faune riche et
équilibrée, incluant les grands carnivores.
Les forêts de l’Europe de l’Ouest ont perdu une
grande partie de cette faune, et les grands et
vieux arbres se font de plus en plus rares. Aux
espaces protégés de donner le bon exemple, en
promouvant un retour vers le sauvage, jusque
dans les forêts les plus proches des activités
humaines.
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INNOVATIONS ET
ÉCO-PROCÉDÉS POUR
UNE VALORISATION
DES RESSOURCES LOCALES
- CONSTRUCTION BOIS À
TENDON ET AUTRES
EXEMPLES
Stéphane Ohnimus
Directeur du CRITT
L
’équipe du Critt Bois, composée de 25
personnes est organisée en différents pôles :
Etudes, Essais, Systèmes spéciaux, Recherche et
Développement ; le Critt Bois propose également
des services de veille et formation continue.
• Accompagner les entreprises dans leur
démarche de certification de leurs produits pour
une mise sur le marché gagnante
• Offrir des compétences actualisées pour
pouvoir intégrer dans la conception des
produits les thématiques de réglementation
en construction en matière de feu, sismique,
acoustique, de rénovation thermique par
l’extérieur
• Être leader sur les attentes et outils en terme
d’eco construction ( intégration de matériaux
biosourcés, qualité de l’air intérieur des
bâtiments, bilan carbone…)
Dans sa volonté de développer des solutions
Eco conçues et des Eco procédés, le Critt Bois a
par exemple contribué à la mise au point de la
technologie du soudage du bois :
• Elle permet l’assemblage bois sur bois sans
colles ou autres connecteurs,
• A un coût d’assemblage au m² équivalent à
celui d’une colle,
• Avec une excellente résistance mécanique.
2 technologies ont été éprouvées en laboratoire :
Dans une filière bois très multiple, aux secteurs
d’activités diverses, animée par des acteurs
de diverses tailles (TPE, Artisans, PME, grands
groupes…),
des
évolutions
permanentes
construisent la feuille de route du Critt Bois et
ses axes de développement, parmi lesquels :
• Favoriser l’intégration d’une robotisation à
forte valeur ajoutée dans les procédés
9
Le Campus Fibres propose une plateforme
de prototypage unique :
Parmi les recherches de nouvelles valorisations
du matériau bois, ainsi que des sous-produits
et co-produits générés par différents procédés,
la « chimie verte », valorisation chimique et
biochimique du bois, ouvre de nouvelles voies.
Innovations de la Filière Artisanale Bois), porté
par la Chambre des Métiers et de l’Artisanat des
Vosges.
Un résumé du cahier des charges de départ était :
• Utiliser des essences, produits et acteurs
locaux (favoriser la filière courte)
• Valoriser les produits habituellement
disponibles en scierie artisanale (bois courts,
faible section)
• Rendre le chantier accessible aux artisans de
la filière bois (2nde transformation)
La chimie verte vise à notamment développer
des procédés de pré-traitements (hydrolyse,
extraction par solvant, liquéfaction, explosion
à la vapeur…) qui permettront d’extraire des
composants qui pourront être utilisés dans des
matériaux, des colles…dans des produits de la
chimie fine, de spécialité…en Pharmaceutique,
Nutraceutique, Cosmétique…
Divers projets industriels ou à l’échelle de la
recherche permettent déjà d’apporter de fortes
à très fortes valeurs ajoutées à de nouveaux
procédés dans la chaîne de transformation du
matériau.
Essentielle pour la filière bois, celle de la
construction cherche aussi à valoriser des
essences locales, essentiellement feuillues.
Le Critt Bois a mis en œuvre le hêtre au sein de
la structure d’un périscolaire à Tendon (à une
vingtaine de km d’Epinal), dans le cadre d’un
projet du Cetifab (Centre des Techniques et
Le résultat du travail de conception,
dimensionnement, mise en œuvre peut s’illustrer
à différents endroits de la construction :
• en structure : système de poutre recomposée,
système de paroi préfabriquée, ossature bois
• en esthétique : Revêtement intérieur en
hêtre
CRITT BOIS, 27, rue Philippe Séguin, Bât 4 - BP
91067, 88051 EPINAL Cedex 9
www.cribois.net
[email protected]
Le Critt bois est un centre de ressources situé sur le
campus Fibres d’Epinal, et dédié à l’accompagnement
des acteurs de la filière bois qui souhaitent développer
de nouveaux procédés, de nouveaux produits
ou investiguer de nouveaux marchés autour de
l’utilisation, la transformation et la valorisation du
matériau bois.
10
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PERSPECTIVES POUR
LES FORÊTS DU
PALATINAT
DANS LE CONTEXTE
DU CHANGEMENT
CLIMATIQUE
Ulrich Matthes
Responsable du Centre de compétences sur les impacts
du changement climatique en Rhénanie-Palatinat
L
a Rhénanie-Palatinat est une des
régions les plus vulnérables au
changement climatique. Le centre de
compétences de Rhénanie-Palatinat sur
les impacts du changement à Trippstadt,
établi en 2010, étudie les impacts,
les risques et les opportunités du
changement climatique pour les forêts
du Palatinat dans la réserve de biosphère
Pfälzerwald-Vosges du Nord aussi
bien que les adaptations nécessaires
adaptation.
Les forêts du Palatinat sont caractérisées
par a variété d’espèces et de types de
forêt. Actuellement le pin (33%), le hêtre
(26%), le chêne (12%), l’épicéa (10%)
et le douglas (7%) sont les essences
dominantes. D’autres espèces telles que
le mélèze d’Europe, le sapin et d’autres
espèces de feuillus jouent un rôle plus
marginal.
Les forêts sont exposées aux risques. En
particulier les évènements climatiques
extrêmes comme les tempêtes, la grêle
ou les gelées tardives peuvent augmenter
en fréquence. Nous devons constater que
déjà certains insectes connus comme
le scolyte de l’épicéa (Yps typographus)
ou les insectes qui s’attaquent au
chêne comme Agrilus biguttatus ou la
chenille processionnaire (Thaumetopoea
processionea) peuvent apparaître de
façon plus fréquente. Des changements
climatiques sont déjà observés dans la
nature : des observations phénologiques
sur l’apparition des feuilles dans les forêts
du Palatinat montrent que dans les 20
dernières années le printemps a débuté
11 jours plus tôt en comparaison de la
période de référence 1961-1990, ce qui
prolonge la saison de croissance. D’une
part, cela constitue une opportunité pour
améliorer la croissance des arbres ; d’autre
part, le démarrage de la végétation plus
précoce fait courir des risques comme
une plus grande vulnérabilité aux gelées.
A la station climatique de Bad Bergzabern
du Service Météorologique d’Allemagne
(Deutscher Wetter Dienst) (DWD) la
température moyenne annuelle des 60
dernières années a augmenté de 9,4 à
11
10,7°C, avec une tendance à la hausse dans les 30
dernières années. Le futur climat en RhénaniePalatinat en 2050 (proche futur), ou celui de 2100
(futur lointain) est incertain. Dans le même temps
des décisions à long terme doivent être prises
: quelles espèces d’arbres privilégier ? Quels
mélanges ?
La base pour l’étude des impacts du changement
climatique est le climat actuel. La température
moyenne annuelle pour la période 1961-1990 en
Rhénanie-Palatinat est 8,6°C. Dans les derniers 130
ans elle a augmenté de 1,3°C. L’été et l’hiver sont
plus chauds de 1,2°C. Les fortes précipitations
ont augmenté en intensité et en fréquence.
Pour estimer le futur climat, on utilise des
modèles climatiques régionaux. Pour RhénaniePalatinat, les modèles montrent une tendance
à l’augmentation des précipitations hivernales,
plus fréquentes et des sécheresses estivales plus
longues autant que des pluies fortes. Par exemple,
le modèle climatique régional WETTREG2010
prévoit une température moyenne annuelle
augmentant de 3 à 4°C pour la fin du siècle en
tenant compte du scénario A1B des émissions
de gaz carbonique pour la région du Palatinat.
Les pluies en saison de végétation dépendent du
modèle. Le plus extrême montre une chute de plus
de 30% d’ici la fin du siècle. Les forêts changeront
à long terme, des périodes sèches pendant la
saison de végétation pourraient augmenter
significativement. Pour les forêts, les questions
sont les suivantes : est-ce que les espèces
d’arbres de Rhénanie-Palatinat seront capables
de continuer d’occuper leur niche écologique
naturelle ? Est-ce que l’aptitude climatique
12.04.2003
16.04.2007
07.04.2011
des cinq principales espèces de RhénaniePalatinat va changer ? Est-ce que la croissance
des principaux types de forêt de RhénaniePalatinat va changer ? Comment les besoins en
eau du hêtre et de l’épicéa vont évoluer ? Qu’estce que de tels changements impliquent pour
l’aptitude des arbres et la croissance des forêts ?
Pour analyser l’aptitude actuelle et future des
arbres, différentes méthodes, chacune avec ses
spécificités, ses forces et ses faiblesses, sont
combinées.
Les enveloppes bioclimatiques sont des
indicateurs pour les changements d’aire de
12
répartition liés au changement climatique
pour la fin du siècle. Aujourd’hui 100% du hêtre
en Rhénanie-Palatinat occupent leur niche
climatique naturelle. Dans un futur lointain, le
hêtre n’occupera probablement pas la totalité de
sa niche climatique ; dans la réserve de biosphère
cela inclura le Haardt et les parties septentrionales
de la forêt du Palatinat. Pour sa part, l’épicéa
occupe sa niche climatique seulement en altitude
en montagne. Dans un proche avenir, pourraient
apparaître de considérables réductions de son
aire de répartition, dans un avenir plus lointain
toute la zone forestière de Rhénanie-Palatinat est
en dehors de la niche climatique de l’épicéa. Pour
une bonne vitalité et une croissance satisfaisante,
l’espèce a besoin de froid et de conditions
humides. Si le climat devient plus chaud et sec en
saison de végétation, l’épicéa ne sera plus dans
un contexte favorable sur la totalité de la forêt du
Palatinat. Il persistera seulement dans les zones
les plus élevées et dans les secteurs les plus froids
et humides.
La compilation des cartes d’aptitude des arbres
fournit des informations leur future aptitude en
Rhénanie-Palatinat en lien avec les différentes
projections du climat. Sur la base d’une synthèse
du potentiel actuel de croissance et de l’aire de
distribution, la question est de savoir comment
l’aptitude des cinq principales espèces d’arbres
peut changer suite au changement climatique
(températures annuelles plus élevées, moins de
précipitations en saison de végétation). Le hêtre
naturellement dominant dans le Palatinat est
à présent dans des conditions favorables. Pour
la plus grande partie du Palatinat il le restera
probablement dans le futur, dans le Haardt et vers
la vallée du the Rhin son aptitude à se maintenir
diminuera de façon significative. Cela créera des
opportunités pour des espèces mieux adaptées
à des conditions plus chaudes telles que le
châtaignier ou l’alisier torminal. Ce raisonnement
s’applique aussi aux autres espèces telles que le
chêne, le pin et le Douglas.
L’extension du Douglas qui pourrait être un
substitut de l’épicéa, doit être discutée. L’aptitude
du Douglas à se maintenir diminuera également
en cas de changement climatique. Dans les sites
forestiers secs et marécageux, la priorité est à la
protection de la nature pas au douglas. Il en est
de même dans les zones protégées et leurs zones
tampon. Sur des sites favorables en utilisant
des provenances appropriées cela pourrait
être valable en mélange sur de petites surfaces
(comme avec le hêtre) en raison de sa stabilité,
ses performances de croissance et son faible
caractère invasif au regard des observations
et expériences effectuées dans le Palatinat.
Pour minimiser le risque d’appauvrissement
et de modification de la faune et de la flore
autochtones, il faudra être sûr que le Douglas
s’adapte facilement à l’écosystème et ne devient
pas dominant. Parce que le comportement et
les effets possibles des espèces d’arbres sur
l’écosystème sont fortement difficilement
prédictibles, une analyse scientifique sera faite
en vue de prendre des mesures pour prévenir
toute invasion.
prendre des décisions. Il est nécessaire d’avoir des
informations sur la dynamique à l’échelle locale
et d’autres expertises, pour renforcer les outils
de décisions régionales ou pour les modifier.
Dans la perspective actuelle, la stratégie pour
les divers types de forêts est d’avoir un mélange
des espèces autochtones. En forêt, la diversité
contribue à diminuer les risques.
Des informations sur les changements
climatiques et leurs impacts potentiels sur
nos forêts sont accessibles depuis 2011 sur le
site Système d’Information sur le Changement
Climatique «kwis-rlp» (www.kwis-rlp.de).
Les résultats obtenus pour les principales espèces
servent à évaluer les risques et doivent aider à
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13
Photos : Image archive FAWF Trippstadt.
Page 12 : paysage forestier après la tempête Lothar avec
diverses étapes de reconstitution naturelle.
LIEN ENTRE ÉCONOMIE
ET ÉCOLOGIE
naturel régional des Vosges du Nord.
Elle nécessite d’évaluer les traitements
sylvicoles sur leur capacité à réaliser ce
lien entre économie et écologie. Même
si cela peut paraître surprenant, le calcul
économique peut également contribuer
à justifier cette seconde stratégie.
Max Bruciamacchie
Il suffit pour cela de faire appel à un simple
bilan financier. Il se compose de recettes
auxquelles on retire des dépenses sans
oublier d’ajouter l’évolution du capital
conservé en forêt.
Les recettes sont le produit de volumes
par des prix unitaires. Pendant des
décennies la recherche d’une plus
grande rentabilité a conduit à essayer
d’augmenter et d’homogénéiser la
production en volume. Or le temps de la
production forestière rend illusoire cette
stratégie. Les nouvelles sylvicultures
cherchent à réduire la part de petits bois
vendus, et à concentrer l’accroissement
sur les arbres de meilleures qualités
et donc à améliorer les prix unitaires
vendus. Cela permet de comprendre que
sauf évolution très forte des marchés, la
production de bois de chauffage ou de
bois d’industrie sera subordonnée à celle
du bois d’œuvre.
En matière de dépenses, la théorie de
l’actualisation proposée en 1849 par un
forestier allemand Martin Faustmann,
sur laquelle reposent tous les calculs
économiques, permet de savoir qu’avec
Enseignant-chercheur à AgroParisTech Nancy
U
ne forêt est avant tout un
écosystème, mais c’est aussi un
patrimoine financier, appartenant pour
75% de sa surface a des propriétaires
privés, et alimentant une filière générant
environ 400 000 emplois. Dans ce
contexte, les enjeux écologiques peuvent
être appréhendés selon 2 stratégies.
La première repose sur une spécialisation
de l’espace et donc sur un lien faible entre
économie et écologie. Les zones dédiées
à la fonction écologique peuvent alors
servir de caution à une artificialisation
plus poussée de la surface en production
avec un risque d’autant plus fort que la
surface protégée augmente. La seconde
cherche à intégrer au maximum les
enjeux écologiques à la gestion ordinaire
et donc à établir un lien fort entre
économie et écologie. Cette stratégie, qui
n’exclut pas le besoin d’aires uniquement
consacrées à la fonction écologique, est
une préoccupation ancienne du parc
14
un taux d’actualisation de 3%, une
recette escomptée de 19 219 € dans 100
ans ne permettra pas de justifier plus
de 1 000 € d’investissement aujourd’hui.
La conclusion de cette application
numérique est simple : il est préférable en
forêt de limiter les dépenses et d’utiliser
au mieux la dynamique naturelle.
La théorie de l’actualisation permet
également de comprendre que la phase
de conversion d’un taillis-sous-futaie vers
une futaie régulière a un coût très fort
pour le propriétaire. Ainsi, partant d’un
taillis-sous-futaie avec un revenu net de
90 €/ha/an pour arriver au bout de 225 ans
à une futaie régulière, il faudrait, pour
que la conversion soit économiquement
justifiée, avec un taux d’actualisation de
3%, qu’à terme la futaie régulière rapporte
plus de 40 000 €/ha/an !
Le troisième terme du bilan financier,
l’évolution du capital, est une composante
souvent oubliée. Il invite à réduire au
maximum les sacrifices d’exploitabilité, à
produire des arbres d’autant plus gros qu’ils
sont de qualité, à éclaircir par le biais des
coupes légères, à préserver la productivité
des sols, à conserver des arbres sur pied de
très faible qualité ou bien des rémanents.
La stratégie de lier économie et écologie
doit obligatoirement s’appuyer sur les
traitements sylvicoles en vigueur et dont
les principales caractéristiques sont
résumées ci-après.
En plaine après 1830, le traitement en
futaie régulière basé sur un contrôle
des surfaces régénérées, a cherché à
maximiser la production en bois d’œuvre,
mais dans les faits mobilise une grande
part de bois de faible dimension. Il
nécessite des investissements importants
aussi bien sous forme de dépenses
pour assurer le renouvellement, que
de pertes en capital liées aux sacrifices
d’exploitabilité.
La ligniculture est une variante extrême
de la futaie régulière. Elle repose sur
l’amélioration génétique, le travail du
sol, l’apport d’engrais, l’utilisation de
phytocides et l’exploitation mécanisée.
Les calculs de rentabilité aussi bien en
futaie régulière qu’en ligniculture ont été
faits sans prendre en compte les risques
de production.
Dans l’étage montagnard, la futaie jardinée permet une production importante
de bois d’œuvre et le maintien du couvert,
intéressant aussi bien la protection des
biens et des personnes que des milieux.
Ce traitement se justifie économiquement lorsque les variations de prix unitaires entre arbres de petite et de grosse
dimension sont faibles.
Le traitement en futaie irrégulière repose
sur la recherche de la continuité de l’ensemble des processus naturels et sur la
gestion individuelle de chaque arbre, lui
affectant plusieurs fonctions : récolte,
protection, stabilisation, éducation, ... Il
15
conduit à des peuplements mélangés en essence
et qualité réduisant le principal risque de production, celui lié à la volatilité des cours du bois. Il
permet de pleinement utiliser des marchés de
niches. Ainsi pour des peuplements feuillus, 1 à
2% du volume vendu peut correspondre à plus de
20% des revenus. Le traitement en futaie irrégulière réduit les coûts de la phase de conversion
depuis un taillis-sous-futaie et la présence d’une
régénération diffuse réduit les frais de reconstitution en cas de tempête.
L’intégration des risques lors des choix de
gestion est devenu une nécessité. Prenons à
titre d’exemple les préoccupations actuelles
en matière de changements climatiques. Le
principe de l’actualisation permet à nouveau
de comprendre qu’il n’est économiquement
pas justifié de proposer de transformer des
peuplements mélangés de hêtre, chêne et
pin sylvestre en invoquant des risques de
dépérissements du hêtre à échéance de 50 ou
100 ans. Les dépenses certaines en frais de
plantations et en sacrifices d’exploitabilité ne
pourront être compensées par des recettes sous
forme de probabilités de manques à gagner et
des recettes incertaines (comportements de
l’essence introduite, ... ). Là encore, les temps de
rotation plus faibles du capital que permet le
traitement en futaie irrégulière est un atout.
Les recommandations ci-après permettent
d’améliorer ce lien.Sous nos latitudes, le climat
autorise la production d’un grand nombre
d’espèces. La variabilité génétique intraespèce est également très forte, variabilité de
croissance et de qualité qu’il convient d’utiliser.
La règle de favoriser les essences minoritaires
est une garantie vis-à-vis des risques de volatilité
des cours du bois et améliore également le
fonctionnement de l’écosystème
Les arbres de grosse dimension représentent la
plus grande part des recettes d’une propriété.
Ils sont également intéressants du point de vue
écologique. Des aides publiques conditionnées
par la valorisation la plus poussée possible de
la qualité des bois va dans le sens de meilleurs
revenus pour le propriétaire mais va également
entrainer une augmentation de la part des gros
bois en forêts.
En conclusion, le choix de lier économie et
écologie est ambitieux mais possible. Le
groupement forestier de Villefranche situé sur
la commune de Zittersheim en est la preuve.
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