Malnutrition et système immunitaire : un parallèle instructif entre

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Un parallèle instructif entre enfants dénutris et séropositifs
PHILIPPE CHEVALIER
est chercheur au
laboratoire de nutrition
tropicale du centre
ORSTOM de Montpellier
(Institut français de
recherche scientifique
pour le d6veloppement
en coooération).
(1)
W.R. Beisel,
J.Nirtr., 122, 591, 1992.
(2)
G. Parent et al..
Am. I. Clin. Ntitr.,
60, 274, 1994.
(3)
P.Chevalier et al.,
I. Niitr. lmmiinol.,
3, 27, 1994.
(4)
P. Chevalier,
Luncer, 3 6 , 1046, 1995 i
P. Chevalier er al., Niitrition
Res. 16, 369, 1996.
Ln Recherche a publis :
(1)
Les maladies
nutritionnelles )),
special cc Les grandes
maladies d'aujourd'hui
ocrobre 1980.
(5
-
(U)
s),
Le thymus n, juin 1978.
Alimenter un enfant dénutri jusqu'a ce
qu'il retrouve un poids normal est
insuffisant. Les travaux d'une équipe de
I'ORSTOM
en Bolivie montrent qu'il faut
attendre la récupération des defenses
immunitaires, et que l'apport de zinc
accélère cette récupération. Le suivi des
enfants infectés par le virus du sida
pourrait s'inspirer de cette expérience.
s
elon les estimations de l'OMS,
175 millions d'enfants de moins
- de 5 ans souffrent de malnutrition dans les pays en voie de développement. Chacun a en tête le
tableau clinique de fonte musculaire
(marasme), ou encore d'cedème, de dépigmentation, de perte des cheveux
(kwashiorkor) des enfants dénutris.
Mais la dénutrition diminue aussi
la résistance à la maladie. Sur les
quelque treize millions d'enfants qui
meurent chaque année d'infections
et de maladies parasitaires, plus de la
moitié sont victimes de l'interaction
entre la dénutrition et cinq ou six maladies évitables comme la rougeole, la
diarrhée et les infections respiratoires.
Le cercle vicieux entre malnutrition
et infections est connu depuis un quart
de siècle. I1 s'agit en réalité d'une spirale
descendante, dont l'issue est généralement fatale (fig. 1).Toute altération de
l'état nutritionnel perturbe le fonctionnement du système immunitaire. Les agents
pathogènes surmontent alors aisément
les mécanismes de défense et se multi.
plient. Chez l'enfant, le risque de mortalité lié aux infections est proportionnel
à l'état de malnutrition protéino-énergétique (carence d'apports en protéines
et/ou d'apports en énergie)a.
A son tour l'infection entraîne une
diminution de l'appétit (anorexie) et une
mauiraise absorption des nutriments ;
elle provoque aussi une synthèse accrue
de protéines spécifiques. Qui plus est,
la fièvre s'accompagne d'une hausse du
métabolisme basal, donc de la dépense
énergétique. Au total, ces processus
accentuent le déséquilibre entre apports
et besoins.
Le déficit immunitaire d'origine nutritionnelle présente un point commun
avec le sida. Dans les deux cas, certaines
cellules immunitaires, les lymphocytes
de la lignée T, sont touchées. L'immunenutritionniste américain William R.
Beisel a poussé l'analogie jusqu'à parler
de NAIDS)),pour Nutritionally Acquired
Immune Deficiciency Syndrome(').
D'oÙ vient cette défaillance du système immunitaire ? La malnutrition pro((
voque l'atrophie du thymus, un organe
bilobé situé au niveau du stemum. Or le
thymus joue un rôle majeur dans l'immunité. C'est lui qui permet aux cellules
souches issues de la moelle osseuse d'atteindre leur maturité et de devenir des
lymphocytes T (pour thymus(11)).Chez
l'enfant sain, le volume du thymus augmente jusqu'à l'adolescence puis il dimi-
...
...
nue avec l'âge. La dénutrition peut
réduire l'organeà deux lobes entièrement
atrophiés.
La carence alimentaire accentue &
l'extrême un processus normal de mort
cellulaire, qui a lieu lors de la maturation
des lymphocytes T. Dans le thymus,
les futurs lymphocytes, ou thymocytes,
sont sélectionnés en fonction de leur
réactivité aux cellules du soi. Or un
stress, qu'il soit nutritionnel ou psy.
chique, favorise la mort programmée
des thymocytes immatures, vidant
l'organe de son contenu.
L'atrophie du thymus chez les enfants
dénutris était connue bien avant la
découverte du rôle immunologique de
cet organe, au début des années 1960.
Mais les études se limitaient à des
mesures de volume ou de poids post
mortem. Parmi les techniques d'imagerie
médicale, la radiographie par rayons X
donne une image trop imprécise du
thymus, et la tomographie est d'un coût
excessif pour les pays en développement.
En revanche, l'échographie est d'un coût
dérisoire, de quelques centimes pour une
image.
Dominique Ricard, au sein de l'équipe
7igure 2. La malnutrition provoque une
lispurition presque complète du thymus.
:hez l'enfant de moins de 5 ans, la masse
hymique peut être déteminée de fagon non
svusive par échographie (enfant sain à
auche, dénutri à droite). L'atropliie de cet
Nrgane explique en gmnde partie le déjìcit
munitaire. (Clichés auteur)
Figure 1. L'enfant
dénutri est souvent
piégé dans
une spirale mortelle.
La dégradation
progressive de l'érat
nutritionnelfavorise
les infections, qui à
leur tour aggravent
la dénutrition.
(Cliché V. Lentz)
*CRITÈRES
ANTHROPOMÉTRIPUES
L'état nutritionnel est
généralement évalué à
partir de trois indices :
le poids en fonction de
I'âge, la taille en fonction
de I'âge et le poids en
fonction de ia taille.
Les résultats sont
exprimés en écarts types
par rapport aux tables de
référence adoptées par
I'OMS en 1983. U n enfant
est consid% comme
malnutri en dessous de
2 écarts types pour
le poids en fonction
de la taille (c'est le cas
par exemple d'un garçon
de 16 mois pesant
8,2 kg pour 80 cm).
-
est apparemment sain sur le plan clinique
et en voie de normalisation immunologique. Un mois de traitement supplémentaire s'est avéré nécessaire pour que
le thymus retrouve sa taille normale.
Pour diminuer la durée d'hospitalisation, nous avons cherché à accélérer
la récupération immunitaire par un traitement de faible coût et simple à appliquer dans les pays en voie de développement.
Or des travaux déjà anciens menés
par Michael Golden en Jamaïque, puis
par Carlos Castillo-Duran au Chili,
faisaient du zinc un très bon candidat
pour stimuler l'immunité. L'apport d'un
supplément en zinc, dès l'admission dans
le service, n'apporte aucun changement
significatif au niveau clinique.
Par quels mécanismes
le zinc renforce-t-il
un système immunitaire
défaillant ?
IRSTOM de Dakar, a été le premier à uti-
iser l'échographie en temps réel pour surJeiller le thymus des enfants dénutris.
Vous avons poursuivi l'expérience en Boivie depuis 1987. Chez l'enfant dénutri
;rave, la surface du thymus peut se
.éduire au dixième de celle d'un enfant
)ieri nourri, de 450 mm2 à 45 mm*(2)
:fig. 2). La surveillancedu thymus et des
iopulations de lymphocytes chez les
:nfants hospitalisés montre l'insuffisance
lu traitement classique, fondé sur la
&étique et l'atteinte de critères
inthropométriques* pour la sortie de
'hôpital. En effet, le déficit immunitaire
econdaire à la dénutrition persiste au-
delà de la récupération clinique visible(3).
Laisser sortir de l'hôpital un enfant apparemment sain mais toujours immunodéprimé augmente les risques de rechute
et la mortalité posthospitalière.
La correction de ce déficit immunitaire a été notre premier objectif.
Avec l'aide de l'ambassade de France et
d'une organisation non gouvemementale, ((Aux quatre coins du monde )),
nous avons créé début 1989, dans l'un
des pays les plus défavorisés d'Amérique
latine, la Bolivie, un centre spécialisé
de réhabilitation immuno-nutritionnel
(CRIN). Notre démarche a été de considérer un enfant comme récupéré lorsqu'il
En revanche, la récupération immunitaire est accélérée, et coihcide avec le
temps nécessaire à la reprise d'un poids
normal. L'enfant peut alors sortir unmois
après son admission, sans risque majeur ;
il sera immunologiquement apte à
affronter son milieu ambiant. Le surcoût
d'un tel traitement est négligeable face
à l'épargne d'un mois d'hospitalisation et
à l'absence de rechutes dans notre expérience(4).
Comment le zinc agit-il ? Nos conditions de travail sur le terrain n'ont pas
permis d'explorer les mécanismes à
l'origine de cette récupération. O n peut
néanmoins faire plusieurs hypothèses.
D'abord, le zinc entre dans la structure
active de la thymuline, une hormone
issue du thymus qui stimule la proliféraLA RECHERCHE 294 J A N V I E R 1997
...
39
...
Malnutrition et système immunitaire
tion et la maturation des thymocytes.
Une carence en ce nutriment dans la
population pourrait expliquer l'action
du supplément de zinc, wia la thymuline.
Le zinc inhibe aussi une des enzymes
(endonucléase) impliquées dans la mort
programmée des cellules, ce qui favoriserait l'accumulation des thymocytes.
À un stade précoce
de l'infection, le virus du
sida modifie le métabolisme
de son hôte
I
(5)
B.E. et M.H.N. Golden,
Europ. J. Clin. Num.,
46, 697, 1992.
(6)
A. Briend et al.,
Europ. J.Clin. Nm.,
43,715, 1989.
(7)
G.T. Keusch et
D.M. Thea, Med.
Clin. N.Am.,
77, 195, 1993.
(8)
M.I.T. Hommes et al.,
Am. J.Clin. Nrm.,
54,311, 1991.
Qui plus est, le zinc stimule l'appétit
des enfants dénutris et modifie le rapport
..
masse maigre/masse grasse en faveur de
la masse maigre, dont les muscles sont
les principaux composants(5).En cas de
dénutrition, via le catabolisme de Certains acides aminés (les constituants des
protéines), ils constituent une source
importante de glucose pour le cerveau.
Les muscles fournissent aussi indirectement la glutamine, un acide aminé
indispensable pour les cellules qui prolifèrent, rapidement, comme les lymphocytes. En évaluant indirectement la
(9)
T.L.Miller et al.,
Am. J.Clin. Nrttr.,
57,588, 1993.
1
masse musculaire (circonférencedu bras
à mi-hauteur et superficie os-muscle),
nous avons confirmé qu'elle est corrélée
à la masse du thymus estimée par échographie. Dans notre centre en Bolivie,
l'apport de zinc et la surveillancedu thymus font maintenant partie intégrante du
traitement des dénutris. De même, la
masse musculaire des enfants, principal
critère de survie, est estimée de manière
systématique par examen du bras(".
Chez les enfants séropositifs, une approche thérapeutique similaire dès la
phase asymptomatique pourrait aussi
améliorer l'état nutritionnel et stimuler'
le système immunitaire. En effet, des
travaux récents ont montré que chez
les malades atteints du sida l'état nutritionnel doit être pris en compte au même
titre qu'une infection opportuniste. Dès
la contamination, l'hôte engage avec le
virus une lutte mortelle jusqu'à épuisement de ses capacités de défense. Le
basculement du rapport de force en
faveur du VIH marque l'entrée dans la
phase h a l e de la maladie, où le système
immunitaire est rapidement débordé par
les infections opportunistes.
Le maintien de la masse maigre, qui
fournità l'organisme les moyens de pour-
suivre Ia lutte, est un facteur essentiel
de survie des malades du sidacl). Or
l'infection par le VIH modifie le métabolisme de l'hôte dès un stade asymptomatique précoce, bien avant le déclin
des cellules immunitaires@).L'enfant est
particulièrement fragile, car sa masse
musculaire est proportionnellement inférieure à celle. de l'adulte. De fait, la
plupart des enfants infectés par le virus
sont également dénutris et présentent
une masse maigre inférieure à celle des
enfants sainsa.
Un traitement immuno-nutritionnel,
proche de celui utilisé avec les enfants
dénutris, pourrait diminuer l'incidence
des maladies opportunistes et retarder
l'évolution finale de la maladie chez
les enfants séropositifs. L'estimation
de la taille du thymus par échographie
et de la masse maigre par des mesures
anthropométriquespermettrait de contrôler l'effet du traitement au niveau immunitaire et nutritionnel. Ces techniques,
non invasives et d'un coût accessible aux
services de santé des pays en voie de
développement, pourraient contribuer à
la surveillance épidémiologique du sida
chez l'enfant.
Ph.C.
T,'EROSIQI!i
MESUEWEPAR
IOAC
Stanis1as Wicherek
Un usage inattendu des retombées des explosions nucléaires
STANISLAS WICHEREK
est directeur du centre de
biogéographie-écologiede
I'Ecole normale supérieure
de Fontenay St Cloud,
UMR 180 CNRS.
.
-- i
(1)
S. Wicherek (ed.), Farm
Land Erosion in Temperare
Plains Environments a d
hills, Elsevier, Amsterdam,
1993.
I21
j.C. Ritchie, 1.R McHenry,
J. Enuiron. QUI., 19, 215,
1990.
(3)
L.R.Anspaugh et al.,
Science, 242, 1513, 1988.
(4)
I.Van den Berghe,
H.Gulinck, Pédologie,
37, 5, 1987.
L'érosion des terres cultivées affecte
toutes les régions du Globe. Mais sa
mesure et son analyse précises exigent
des etudes lourdes et coûteuses.
L'observation de l'activité résiduelle du
cesium 137, un isotope créé par les
explosions nucléaires atmosphériques,
permet d'apprécier le phénomène érosif
de façon plus simple.
es meilleures terres du monde
sont aujourd'hui menacées par
A u n e diminution de la fertilité naturelle, par des inondations qt par des
coulées de boue. Le changement de
pratiques agricoles et le remembrement
sontà l'origine de ce phénomène de dégradation qui se traduit par des dommages économiques importants. S'il est
40
LA RECHERCHE 294 JANVIER 1997
ancien aux Etats-Unis, où le Dust Bowl
a conduit les autorités à prendre des
mesures sévères depuis une soixantaine
d'années, il se manifeste depuis quelques décennies tant au Japon et en
Chine que dans toute l'Europe, particulièrement dans les grandes plaines telles
que la plaine germano-polonaise, le
Bassin parisien ou le Sud-Est anglais(1).
Alors que l'on estimait en 1950 que
l'érosion affectait 2,7 millions d'hectares en France, essentiellement dans
les régions méditerranéennes, cinq millions d'hectares sont aujourd'hui touchés, dans presque toutes les régions
françaises. I1 n'est pas rare d'observer
une érosion atteignant trente à cinquante tonnes par hectare et par an.
Cette situation peut sembler paradoxale dans des régions où les conditions climatiques sont peu agressives.
C'est que la mutation agricole a pro-
fondément transformé le comportement des eaux de pluie. En l'absence
d'un couvert végétal permanent, les
eaux, plutôt que de stagner et de s'infiltrer dans le sol, ruissellent, entraînant la
terre et ses fertilisants naturels, l i o n ,
argile et matières organiques. Dans les
cas les plus sévères, une épaisseur de sol
de plus de trois millimètres peut être
emportée chaque année. Pour maintenir la fertilité des sols, on a recouru aux
engrais chimiques. Mais, entraînés eux
aussi par la pluie, ils polluent rivières et
nappes d'eau souterraine d'où ils vont
contaminer la chaîne alimentaire. Les
nouvelles méthodes de culture (en faisant reculer des herbacées telles que
trèfle et luzeme et en supprimant les
haies) ont aggravé la situation. Enfin,
l'usage de machines de plus en plus
lourdes a tassé le sol et abouti à la formation d'une semelle de labour :
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