insectes insectes La petite cigale des montagnes Texte et photos de Franck Hidvégi Beaucoup connaissent la cigale rendue célèbre par le fabuliste La Fontaine qui l'associa à la fourmi sa voisine… mais combien connaissent vraiment la vie de ce passionnant groupe d'insectes ? L'écologie de la petite cigale des montagnes n'a pas fini de révéler ses secrets… Depuis longtemps, les cigales fascinent les naturalistes. Parmi les plus connus figure Jean-Henri Fabre qui raconta avec brio, dans ses Souvenirs entomologiques, la vie de ces insectes fascinants avec qui il partageait son Harmas provençal. Plus de 4.500 espèces ont été dénombrées dans le monde, essentiellement dans les forêts et les savanes tropicales ou subtropicales. En France, 16 espèces sont présentes contre une seule en Belgique : la petite cigale – ou cigalette – des montagnes (Cicadetta montana), dont l’aire de distribution remonte jusqu’en Russie. On dirait le sud Le saviez-vous ? La petite cigale des montagnes est présente en petit nombre en Wallonie, sur quelques pelouses calcaires bien exposées au sud : à Treignes, dans la vallée du Viroin, et à Torgny, en Gaume. Chaudes et sèches à la bonne saison, on se croirait dans la garrigue méditerranéenne. Rien d’étonnant que les cigales s’y plaisent particulièrement bien ! Mais une pelouse n’est pas une autre. Celles en cours de recolonisation forestière comportant de jeunes noisetiers, chênes, cornouillers ou troènes Une pelouse sèche sur calcaire, quelques buissons arbustifs... voici l'habitat de prédilection de la petite cigale des montagnes dans nos régions. Ici, dans la vallée du Viroin, le déboisement opéré par Natagora et Ardenne & Gaume dans le cadre du programme Life « Pelouses sèches » a recréé ces milieux. Du haut de ses 25 mm de long, la petite cigale des montagnes, à l'abdomen zébré de noir et d'orange, ne se laisse pas facilement surprendre dans les branchages des arbres. Seule la connaissance de son chant caractéristique permet de la localiser. sont préférées. Elles répondent en effet aux exigences doubles de l’espèce : les arbustes sont des postes de chant et d’accouplement privilégiés tandis que les plantes herbacées accueillent les pontes des femelles. Trois pieds sous terre La cigale adulte n’est que la phase visible et « éphémère » d’un cycle beaucoup plus long passant par une vie larvaire souterraine étalée sur plusieurs années. De l’œuf pondu dans divers végétaux vivants sort une petite larve qui, à peine née, se laisse choir sur le sol dans lequel elle s’enfonce rapidement. Pour chaque larve commence alors une longue vie solitaire et entièrement souterraine. Trois à six ans, peut-être plus. Durant cette période, les larves creusent des galeries et se déplacent à la recherche de racines Les adaptations à la vie souterraine sont particulièrement bien développées. Tout d’abord, les larves sont aveugles, la vision n’étant pas nécessaire sous terre. Mais elles ont aussi développé une série d’autres adaptations morphologiques et comportementales qui facilitent leurs déplacements dans le sol. La spécialisation des pattes (schéma ci-contre) est une première adaptation, mais comment progresser dans un sol dur et sec lorsque les parois des galeries se fragmentent et s’éboulent ? Ce problème, les larves de cigales l’ont résolu d’une manière remarquable. Elles se transforment en maçons et étançonnent de boue les parois ! Une morphologie de mineur Chacune des pattes de la larve de cigale a un rôle particulier et complémentaire qui lui permet de se mouvoir aisément dans les galeries souterraines. La première paire de pattes fonctionne comme de robustes pelleteuses. Les fémurs, largement dilatés et munis de crocs rendent possible le fouissement tandis que les tibias en forme de pioche permettent de couper les radicelles qui bloquent la progression sous terre. Les pattes postérieures assurent leur rôle de pattes pousseuses. Les pattes intermédiaires peuvent être dirigées vers le haut et utilisées comme des béquilles stabilisatrices, rendant aisés le maintien et les déplacements de la larve dans les galeries tubulaires. natagora Dessins : Laboiratoire de l’Environnement/ULB et de tiges souterraines dont elles puisent la sève nutritive à l’aide de leur rostre. 23 insectes Voici la larve agrippée à son support, la mue imaginale peut commencer ! Le thorax se fend au niveau d’une ligne de moindre résistance. En sort progressivement, en une vingtaine de minutes, l’adulte qui arbore alors une coloration verte avec seulement deux petites taches noires sur l’avant du thorax (pronotum). Accroché à son exuvie, quelques minutes suffisent ensuite pour qu’il déploie ses ailes. Elles sont d’abord disposées à plat, puis en toit, cette dernière disposition alaire étant typique du groupe des Homoptères. Le premier envol survient environ deux heures plus tard. 24 natagora numéro 14 juillet-août 2006 Piochée à l’aide des pattes pelleteuses, la terre est transformée en une boue malléable qui est facilement travaillée. Mieux encore, cette boue peut être transportée, la larve disposant sur le front, appelé clypeus, de petites soies (les soies-fiches clypéales) sur lesquelles elle empale de petites boulettes boueuses qui sont acheminées là où les parois des galeries le nécessitent. Cigale femelle en train de pondre dans la tige d'une inule conyze. amplifiés pour qu’ils constituent un appel nuptial audible par les femelles. Tel est le rôle de la vaste cavité ventrale, qui fonctionne comme une caisse de résonance. À la fin de l’été, les adultes se font plus rares et en septembre, trois à quatre mois après les premières émergences, le concert des cigales est terminé. Sous terre, la vie continue… Pour en savoir un peu plus : Boulard, M. 1990. Les cigales, des insectes bien surprenants. Insectes - OPIE, Hors série : 1-8. Fabre, J.H., 1897. La cigale, in Souvenirs entomologiques. Étude sur l'instinct et les mœurs des insectes, 5 : 229-286, Delagrave éd., Paris. X Il subsiste toutefois un problème à résoudre : où trouver, dans un milieu aride, l’eau nécessaire au ramollissement de la terre ? Réponse : rien ne se perd chez les larves de cigales, elles utilisent leur propre urine, qui suinte depuis l’extrémité anale jusqu’aux pattes pelleteuses où la terre est travaillée. Mieux que de l’eau, l’urine contient un composé liant, une mucine, qui assure la cohésion des particules terreuses. Dans les galeries ainsi étançonnées, les larves se déplacent sans le moindre risque d’éboulement ! L’organe de chant, appelé « organe cymbalique », est un appareillage unique en son genre. Il est composé de plaques chitineuses convexes – les cymbales ou timbales –, disposées de manière symétrique dans la cavité abdominale et reliées à la paroi interne par de puissants muscles. La contraction de ces muscles a pour effet de déprimer les cymbales convexes, qui deviennent subitement concaves, un peu à la manière d’une tôle métallique déformée, avant de revenir à leur forme initiale par simple élasticité. La succession rapide de ces mouvements produit ainsi un cliquetis qui est à la base de la production du chant. Encore faut-il que les sons émis soient Après quatre mues et plusieurs années de labeur passées sous terre, la vie au grand air s’annonce… Par une belle journée ensoleillée de fin de printemps, en mai-juin, la larve perfore le petit bouchon de terre qui la sépare encore de l’extérieur et, une fois dehors, se met en quête d’un support végétal sur lequel elle effectue sa dernière mue – la mue imaginale – qui la métamorphosera en « insecte parfait » ou imago. Une vie d’artiste La vie des adultes ne dépasserait pas 3 à 4 semaines, période éphémère qu’ils mettent à profit pour assurer leur descendance. Et les mâles pour chanter ! Le « chant » (ou cymbalisation) de la cigalette des montagnes est léger et aigu : un « tss-tssst » répété à intervalles plus ou moins réguliers. Il se situe dans une gamme de fréquence située entre 12.000 et 16.000 Hertz environ, à la limite de la perception pour l’homme. C’est ainsi que certaines personnes ne les entendent pas ! Rien à voir donc avec le chant puissant des sauterelles, et en particulier de la grande sauterelle verte (Tettigonia viridissima), avec lequel on le confond souvent. natagora 25