Témoignage n°1-12:nouvelles AFIC n°1vol5 03/05/12 14:09 Page26 T émoignages L’infirmière Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 25/05/2017. Christophe Crampette Christophe Crampette est un patient suivi dans le cadre d'un essai clinique au SITEP, à l'institut Gustave Roussy. Il nous livre ici sa vision des infirmières qui gravitent autour de lui. J’ Je prends de ses nouvelles. Je lui parle de sa famille, de ses centres d’intérêt. Je parle du temps qu’il fait pour ne pas parler du temps qu’il reste. J’entrouvre parfois la blouse pour laisser couler un peu de moi-même. Je ne dois pas être seulement une machine à administrer des soins, il faut que j’existe également. Mais je dois me protéger. Il ne faut pas que je m’attache, la séparation sera encore une fois trop douloureuse. Le rituel peut commencer. Je l’installe et ouvre le catalogue des gestes à entreprendre. Questionnaire, pesée, urines, tension, pouls, fréquence respiratoire… Les signes vitaux sont observés, estimés et considérés. Le moral est apprécié. Le traitement peut débuter. Voici venu le temps des maux et des soins. Dans l’île aux traitements, c’est tous les jours le tourment. Ingurgiter, absorber, ingérer le remède qui soulagera peutêtre mais qui assommera sûrement. Effets secondaires, accessoires, indésirables mais inévitables, je dois oublier que pour soigner il faut parfois détruire. Si la photo est réussie, on continue le traitement, mais souvent le cliché est voilé, le sujet a tremblé ou le négatif est surexposé. La douleur est là, mais comment l’accompagner quand chacun a compris où mène le chemin emprunté. Je suis là, mais je ne parle pas. Je sais que ma présence n’apportera pas la réponse espérée, alors j’attends que la journée se termine pour ne plus l’affronter. La garde se termine. La blouse est tachée de douleurs. Elle s’est alourdie des peines et des tourments des patients. Il faut la laver pour qu’elle oublie, la laisser pour redevenir la maman, l’épouse, l’amie qu’on attend puis revenir et recommencer. Essayer de gagner une heure, un jour ou un mois. Participer à la bataille et penser qu’on a pu être utile. ai revêtu ma blouse, et fait disparaître un peu de ma personne pour me fondre dans la fonction. Les grisailles du quotidien et les noirceurs enfouies s’évaporent dans la blancheur de l’uniforme. La garde peut commencer. La garde, comme « garde-chiourme », « garde malade », « relève de la garde ». Quel terme étrange pour marquer les limites de mon travail ! Il faut que je garde le patient, que je le regarde. Il doit garder ma confiance et je dois prendre garde. Garde à vous, je dois suivre le protocole. En garde, le combat contre la maladie commence. J’entends son pas qui approche dans le couloir. Il est ferme et plein d’assurance, parce qu’il se sent encore plus fort que la maladie. Il chuchote pour ne pas réveiller les douleurs qui se sont atténuées. Il heurte le sol, accablé d’une angoisse qui ne peut se dissiper. Il traîne pour retarder un peu le traitement qui l’accablera à nouveau. Le voilà. Sa silhouette se dessine dans la porte. Il se tient droit, prêt à affronter la vie et ses aléas. Il lance un bonjour jovial, mais sa voix tremble. Ses épaules semblent se refermer davantage chaque semaine, lourdes de ce qu’il ne parvient pas à exprimer. Son regard cherche un repère qui le rassurera. Il attend, transparent, n’osant troubler la quiétude des lieux. Je souris. Je vais être le réceptacle des douleurs, des angoisses, des inquiétudes et des doutes. Je vais devoir rassurer, réconforter, apaiser et tenter de soulager, alors il faut que je fasse bonne figure. Si je laisse mes propres doutes et incertitudes transpirer, il en recueillera les effluves. Alors je souris, pour lui offrir un peu d’espoir, pour partager un instant de gaieté, pour lui signifier qu’il est le bienvenu et que je vais prendre soin de lui. Bulletin Infirmier du Cancer 26 Vol.12-n°1-janvier-février-mars 2012