ai revêtu ma blouse, et fait disparaître un peu de
ma personne pour me fondre dans la fonction.
Les grisailles du quotidien et les noirceurs
enfouies s’évaporent dans la blancheur de l’uniforme.
La garde peut commencer.
La garde, comme « garde-chiourme », « garde malade »,
« relève de la garde ». Quel terme étrange pour marquer
les limites de mon travail ! Il faut que je garde le patient,
que je le regarde. Il doit garder ma confiance et je dois
prendre garde. Garde à vous, je dois suivre le protocole.
En garde, le combat contre la maladie commence.
J’entends son pas qui approche dans le couloir. Il est
ferme et plein d’assurance, parce qu’il se sent encore
plus fort que la maladie. Il chuchote pour ne pas réveiller
les douleurs qui se sont atténuées. Il heurte le sol,
accablé d’une angoisse qui ne peut se dissiper. Il traîne
pour retarder un peu le traitement qui l’accablera à
nouveau.
Le voilà. Sa silhouette se dessine dans la porte. Il se
tient droit, prêt à affronter la vie et ses aléas. Il lance un
bonjour jovial, mais sa voix tremble. Ses épaules sem-
blent se refermer davantage chaque semaine, lourdes
de ce qu’il ne parvient pas à exprimer. Son regard
cherche un repère qui le rassurera. Il attend, transpa-
rent, n’osant troubler la quiétude des lieux.
Je souris. Je vais être le réceptacle des douleurs, des
angoisses, des inquiétudes et des doutes. Je vais devoir
rassurer, réconforter, apaiser et tenter de soulager, alors
il faut que je fasse bonne figure. Si je laisse mes propres
doutes et incertitudes transpirer, il en recueillera les
effluves. Alors je souris, pour lui offrir un peu d’espoir,
pour partager un instant de gaieté, pour lui signifier qu’il
est le bienvenu et que je vais prendre soin de lui.
Je prends de ses nouvelles. Je lui parle de sa famille,
de ses centres d’intérêt. Je parle du temps qu’il fait pour
ne pas parler du temps qu’il reste. J’entrouvre parfois la
blouse pour laisser couler un peu de moi-même. Je ne
dois pas être seulement une machine à administrer des
soins, il faut que j’existe également. Mais je dois me pro-
téger. Il ne faut pas que je m’attache, la séparation sera
encore une fois trop douloureuse.
Le rituel peut commencer. Je l’installe et ouvre le cata-
logue des gestes à entreprendre. Questionnaire, pesée,
urines, tension, pouls, fréquence respiratoire… Les
signes vitaux sont observés, estimés et considérés. Le
moral est apprécié. Le traitement peut débuter.
Voici venu le temps des maux et des soins. Dans l’île
aux traitements, c’est tous les jours le tourment. Ingur-
giter, absorber, ingérer le remède qui soulagera peut-
être mais qui assommera sûrement. Effets secondaires,
accessoires, indésirables mais inévitables, je dois oublier
que pour soigner il faut parfois détruire.
Si la photo est réussie, on continue le traitement, mais
souvent le cliché est voilé, le sujet a tremblé ou le néga-
tif est surexposé. La douleur est là, mais comment l’ac-
compagner quand chacun a compris où mène le chemin
emprunté. Je suis là, mais je ne parle pas. Je sais que ma
présence n’apportera pas la réponse espérée, alors j’at-
tends que la journée se termine pour ne plus l’affronter.
La garde se termine. La blouse est tachée de dou-
leurs. Elle s’est alourdie des peines et des tourments des
patients. Il faut la laver pour qu’elle oublie, la laisser
pour redevenir la maman, l’épouse, l’amie qu’on attend
puis revenir et recommencer. Essayer de gagner une
heure, un jour ou un mois. Participer à la bataille et pen-
ser qu’on a pu être utile.
T émoignages
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Bulletin Infirmier du Cancer Vol.12-n°1-janvier-février-mars 2012
L’infirmière
Christophe Crampette
Christophe Crampette est un patient suivi dans
le cadre d'un essai clinique au SITEP, à l'institut
Gustave Roussy. Il nous livre ici sa vision
des infirmières qui gravitent autour de lui.
J’
Témoignage n°1-12:nouvelles AFIC n°1vol5 03/05/12 14:09 Page26
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