
ACCOMPLIR LA JUSTICE DE DIEU
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a) Le verbe katalu,w
Le verbe katalu,w, utilisé comme transitif2, reçoit sa signification fonda-
mentale de la racine lu,w qui veut dire : dissoudre, délier, détruire, démolir,
renverser, faire cesser. La préposition kata, qui se compose avec cette
racine, renforce le sens existant ; le sens est alors : détruire totalement,
démolir jusqu’à la base.
Dans le langage juridique hellénistique (païen et juif) le verbe en ques-
tion fonctionne dans l’expression idiomatique « abolir les lois »3. Si le
complément d’objet de ce verbe en Mt 5,17 était représenté seulement par la
Loi, l’interprétation serait assez facile : il s’agirait d’abolir la Loi en tant
que disposition législative. La difficulté de l’interprétation vient
essentiellement du second élément constituant le complément d’objet de
katalu,w, puisque « abolir les Prophètes » est une expression insolite4. Cette
tension interne du syntagme invite à ne pas le comprendre dans un sens
purement juridique : abolition de tout ce que la Loi et les Prophètes
commandent.
L’examen du verbe katalu,w dans le Nouveau Testament apporte un
indice intéressant. Mis à part Mt 5,17, toutes les occurrences de ce verbe
chez Matthieu (24,2 ; 26,61 ; 27,40), chez Marc (13,2 ; 14,58, 15,29) et
chez Luc (21,6) concernent la destruction du Temple. Dans les Actes
(5,38.39)5 on retrouve katalu,w dans le fameux conseil de Gamaliel.
Lorsque le Sanhédrin projette de faire mourir les Apôtres, Gamaliel suggère
de les laisser aller en disant :
Si c’est des hommes en effet que vient leur résolution ou leur œuvre, elle
sera détruite ; si c’est de Dieu, vous ne pourrez pas les détruire. Ne courez pas
le risque d’avoir combattu contre Dieu.
Gamaliel s’oppose à la persécution des Apôtres pour ne pas s’opposer à
l’œuvre de Dieu qu’ils représentent. De même, dans Rm 14,20, ce verbe se
rapporte à l’œuvre de Dieu. La seconde épître aux Corinthiens (5,1) utilise
katalu,w pour dire la destruction du corps, de la demeure terrestre. Mais
cette destruction est mise en opposition à la demeure éternelle formée par
Dieu. Le verbe reste donc en lien d’opposition avec l’œuvre de Dieu. La
dernière occurrence de katalu,w se trouve en Ga 2,18 et de nouveau il s’agit
de détruire l’œuvre de Dieu6.
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2 Il peut être utilisé comme intransitif, mais dans ce cas son sens est différent (dételer,
d’où faire halte, loger, trouver un logement, être hébergé) et sans rapport avec Mt 5,17.
Par conséquent toutes les occurrences de cette forme ne sont pas prises en compte ici.
3 Voir U. LUZ, Matthew 1-7, 264, et H.D. BETZ, The Sermon on the Mount, 177.
4 Voir J.-P. MEIER, Law and History in Matthew’s Gospel, 84.
5 En Ac 6,14 il est de nouveau question du projet de la destruction du Temple attribué
à Jésus.
6 Cette fois-ci l’œuvre de Dieu n’est pas mentionnée explicitement. Mais on peut le
déduire du contexte et de l’usage symbolique du verbe opposé oivkodomw/ (voir
O. PROCKSCH – F. BÜCHSEL, « lu,w », TWNT IV, 339.