Annexe Y. Philo des sciences. Page 1 Révision du 21/10/2016 Annexe Y. Pour le scientifique, qui veut s’initier à la philosophie des sciences. Je supposerai qu’il part du récent « Précis de Philosophie des sciences », (2011). Dir Barberousse, A et als. Vuibert, que je viens tout juste de parcourir. Il apprendra d’abord, très justement, que la philosophie des sciences se décompose en philosophie générale des sciences et philosophie des sciences spéciales, et que, pour comprendre quelque chose à sa science particulière (« spéciale »), il lui faut d’abord se coltiner les chapitres généraux du traité. Chapitres généraux. Le chapitre 1 (explication scientifique) l’initiera au « modèle déductifnomologique », lourde machine dépassée, avec quelques perles : si un homme prend la pilule (des femmes) et ne devient pas « enceint », sera-ce parce que cette pilule est efficace ? Ou parce que, par nature, un homme ne peut porter d’enfant ? A-t-il bien compris qu’il y a une différence fondamentale entre concevoir une sphère d’or de 100Tonnes, qui simplement n’existe pas, et une de 100T d’uranium qui, explosive, ne peut exister ? Il se sera initié, ce faisant, à toute une lignée d’éminents philosophes, qui ont apporté au problème de l’explication scientifique des interprétations variées et divergentes (Hempel, Carnap, Salmon, Van Fraassen, Lewis, Kim…). Le chapitre 2 lui apprendra à distinguer entre confirmation, déduction et induction, lui expliquera que (après Hume et Kant) Quine, Popper, Hempel, Carnap (toujours les mêmes) ont pris des positions contradictoires. Partant de la vérité logique que « toutes les choses non-noires sont des noncorbeaux » est équivalent à « tous les corbeaux sont noirs », la constatation que sa chaussette est blanche apportera un élément de plus à ce qu’il croyait savoir sur la couleur des corbeaux. Mais l’instancialisme hempelien se heurte à des difficultés soulignées par Carnap il y a plus de 80 ans, qui font toujours l’objet de débats (Earman, Goodman, Glymour, Howson…) non résolus à ce jour. Quelques propos vagues sont tenus sur le bayésianisme, vaste domaine très controversé. Cozic, rédacteur du chapitre, espère que la « théorie bayésienne de la confirmation » est « faute de concurrents sérieux, Annexe Y. Philo des sciences. Page 2 Révision du 21/10/2016 et en dépit de nombreuses difficultés, une espèce rare, dans un domaine où les problèmes se rencontrent plus souvent que les solutions. » Un problème fondamental a été éludé : c’est que la science expérimentale se fonde sur l’induction, et que Hume nous a bien montré les difficultés qui en résultaient. Le chapitre 3 (causalité) reparle, bien sûr, de l’explication déductivenomologique, introduit la conception contrefactuelle de la causalité (avec les notations de la logique modale), suivie d’une lourde analyse probabiliste. Je n’y ai trouvé aucune allusion au déterminisme, qui en physique permet d’éviter de parler de cause (l’auteur a le mérite de relever que le concept de cause s’applique plus aux sciences aval), ni aux corrélations, tellement plus scientifiques que les causes, ni à la notion - si fondamentale en relativité et en physique quantique - de dépendance causale. Le chapitre 4 sur le réalisme est bien meilleur, ne serait-ce que parce qu’Esfeld a de sérieuses connaissances scientifiques. Il se croit cependant obligé de sacrifier aux idoles anglo-saxonnes : Quine, Kuhn, Feyerabend, Lewis, les variantes de la théorie causale des propriétés… Son analyse de la physique quantique est solide (et bien meilleure que celle de Barberousse, au chapitre spécialisé 10). En traitant de « réalisme structural radical » les idées très dans le vent de French-Ladyman, sa critique voilée me semble prôner, comme moi, un réalisme structural moins ontologique. Le chapitre 5 sur le changement scientifique décrit les thèses connues de Kuhn, Popper, Quine, Feyerabend, Putnam. Il met sur le même plan ce qui a pu se passer aux débuts de la science, et la période moderne où des prévisions sont vérifiées à 10-14 près. Le chapitre 6 sur des « études sur la science » est en dehors de ma sphère d’intérêt. Le chapitre 7 sur réduction et émergence est le plus typique de la divergence avec mes propres idées. Le réductionnisme est une notion assez complexe, mais qui correspond globalement à la question de savoir si une discipline scientifique aval peut se déduire d’une discipline amont. Comme il y a une longue échelle de sciences et de sous-sciences, c’est un ensemble de questions majeures qui sont posées à la philosophie des sciences. Le chapitre Annexe Y. Philo des sciences. Page 3 Révision du 21/10/2016 n’en dit pas un mot ! En revanche, on retrouve Hempel, Kripke, on nous dit une fois de plus : « si Zorro a commis le vol, don Diego de la Vega a commis le vol » (quel rapport avec le réductionnisme ?). On ne nous dit même pas que l’émergence a un sens différent en physique et en biologie. Que ce texte nul ait été agréé par les membres du comité d’édition en dit long sur leur imprégnation de philosophie analytique ! Chapitres par sciences. Le chapitre 8 sur la logique au sens large ne me concerne pas. Le chapitre 9 sur les mathématiques est bon. J’ai déjà dit la faiblesse du chapitre 10 sur la physique. C’est d’autant plus étonnant qu’il existe ailleurs d’excellents textes, souvent l’œuvre de scientifiques (par exemple Laloë). Le chapitre 11 sur la biologie est bien documenté. Il contient enfin une page sur le réductionnisme en biologie (même s’il se limite à une question relativement mineure : la réduction de la biologie macromoléculaire (sic) à la biologie moléculaire) ; il ne considère pas le physicalisme, problème essentiel. On peut s’étonner qu’il ne traite pratiquement que de l’évolution (notons qu’il ne s’interroge pas sur la nature du hasard dans l’évolution, et qu’il ne mentionne jamais les difficultés de la théorie). Il remarque que les philosophes de la biologie se démarquent souvent (heureusement) de la philosophie analytique traditionnelle. Chapitres 12 (médecine), 13 (sciences sociales), 14 (économie), 16 (linguistique). Non concerné. Le chapitre 15 sur les sciences cognitives est, comme le sujet, complexe et intéressant. En conclusion, le scientifique de bonne volonté, qui voudrait s’initier à la philosophie moderne des sciences par la lecture de ce livre, risque de retrouver les réactions, après leurs lectures en philosophie des sciences, du célèbre prix Nobel de physique S. Weinberg (Forcing up, Harvard 2001, p. Annexe Y. Philo des sciences. Page 4 Révision du 21/10/2016 84 : « Peu de philosophes de la science considèrent qu’une partie de la description de leur travail est d’aider les savants. ») ou du biologiste E. Mayr, qui a joué un rôle majeur dans l’élaboration de la théorie synthétique de l’évolution : « Les positivistes logiques, qui ont dominé la philosophie de la science des années 20 aux années 60, ont manifesté pour la biologie peu d’intérêt et, encore moins, de compréhension, pour la bonne raison qu’elle s’accordait mal avec leur méthode»).