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II – Islam et politique : une réflexion essentielle
Depuis quelques décennies, les musulmans se trouvent au cœur de l'actualité et les critiques
qu’ils essuient fusent de partout. Ces critiques s'accordent pour dire que les musulmans seraient
majoritairement inaptes à s'ouvrir à la critique rationnelle parce qu'ils seraient façonnés par une
culture excessivement dogmatique. Ces critiques, qui renvoient à des réalités sociopolitiques certes
problématiques, encouragent plusieurs chercheurs en sciences sociales à les étudier. La plupart de
ces études accordent toutefois peu d’attention à une dimension qui nous semble fondamentale dans
la compréhension des réalités islamiques contemporaines, à savoir le rapport des musulmans au
pluralisme confessionnel et politique.
Ce pluralisme, particulièrement sous l’angle du rapport entre la politique et la religion,
préoccupe la pensée musulmane réformiste depuis longtemps. Des courants de cette pensée, sans
nécessairement l’aborder de front, ont ainsi traité de ce rapport tant dans ses éléments normatifs que
dans ses aspects purement descriptifs (Ghalioun, 1997; Redissi, 1998; Al-Jabri, 2007). Toutefois,
malgré la richesse de cette réflexion collective, le questionnement demeure d'actualité compte tenu
de son influence sur les discours et les pratiques des musulmans en terres d'islam et/ou dans les pays
occidentaux.
En fait, depuis le débat entre Mohammed Abduh
et Farah Antun à l’aube du XXe siècle, et
jusqu’aux récents écrits de l’ouléma al-Qaradawi
(2007), les réformistes musulmans salafi
,
notamment les chefs de fil islamistes
, semblent vouer aux gémonies la laïcité. Or, on n'insistera
jamais assez sur le fait que la rencontre du monde musulman avec les idées de la modernité,
notamment de la laïcité, s’est produite à l’aune du choc colonial (Hourani, 1991a ; Luizard, 2006).
Un tel cadre ne pouvait qu’influer sur les inclinations que cette réflexion allait donc prendre. Pour
paraphraser Mauss, la colonisation ayant été « un fait social total », la décolonisation, aux yeux de
ces réformistes, se devait de l’être également. Dans les domaines économique et politique, mais
encore sur le plan culturel et identitaire, la société colonisée avait ainsi très tôt ressenti le besoin de
Ces auteurs réformistes seront présentés dans la prochaine section.
Youssef al-Qaradawi (né en 1926) est un faqih (juriste) qatari d’origine égyptienne. Il préside, entre autres, l’Union
Mondiale des Oulémas Musulmans et le Conseil Européen de la Recherche et de la Fatwa.
Le qualificatif « salafi » ne renvoie pas ici aux mouvements salafistes qui trouvent leur origine dans le wahhabisme. Il
désigne plutôt tout intellectuel ou activiste musulman qui inscrit son discours et/ou son action dans une volonté de
fidélité aux sources islamiques dans le cadre d’une méthodologie qui s’appuie principalement sur les sciences
islamiques classiques.
Cette qualification englobe une diversité de postures idéologiques et de positions politiques (Étienne, 1987; Roy, 1985;
Burgat, 1995). Néanmoins, pour nous, un islamiste est un musulman dont l’action, éducative, sociale, politique et/ou
culturelle, se proclame essentiellement de la référence religieuse islamique, c’est-à-dire des sources scripturaires de
l’islam (Coran et Sunna). Cette action peut par ailleurs être de nature salafi, salfiste ou autre (voir la précédente note).