Début 1959, retour d’Algérie. Avec un diplôme d’ingénieur ESPCI, candidature au « CENG », avec la double volonté de quitter Paris et de faire de la recherche sur les semi-conducteurs. D’abord un refus du CEA pour cause de non-conformisme politique de mon père. Surprise, je suis finalement pris, sans doute sur l’intervention de Daniel Dautreppe, qui ne me connaissait pas mais appréciait le non « politiquement correct »… J’abouti, le 25 avril 1959, en « Section de Physique du Solide », laboratoire du Pr Néel, directeur du CENG, mais effectivement animé et dirigé par Daniel Dautreppe – qui, d’ailleurs, sans doute relation de cause à effet avec le précédent paragraphe, me dispensa des 6 mois de vouvoiement habituellement appliqués aux nouveaux arrivants. Dans un laboratoire entièrement dédié au magnétisme, on accepte que je crée un groupe de recherche sur les semi-conducteurs, sans doute le tout premier à Grenoble ; seule obligation : comme pour les autres recherches de la section, étudier les défauts créés par irradiation. Le silicium et le germanium étant déjà très étudiés aux Etats-Unis, mon choix se porte sur l’antimoniure d’indium (InSb) parce que déjà élaboré…aux Etats-Unis. Beaucoup de travail expérimental avec mise au point et fabrication – avec les AME - d’une boucle d’irradiation à l’azote liquide dans Mélusine, porte-échantillons adapté, système de recuit avec enregistrement sur MECI en mesure de résistivité et d’effet Hall. Le groupe est petit : un ingénieur, Bertrand, qui nous quittera assez vite, un technicien, Mayousse, un thésard grec, Georgopoulos, qui soutiendra une thèse brillante en 1962 sur les défauts obéissant au modèle, célèbre à l’époque sur Si et Ge, dit de James & Lark-Horovitz. Deux hasards mettront fin à cette étude : - d’une part, une rencontre avec un chercheur de Normale Sup, spécialiste de résonance magnétique, et qui avait pu montrer que le taux d’impuretés de l’InSb était tel –plus de 100 ppm de fer, beaucoup d’autres « cochonneries » - qu’il était vain de vouloir étudier des défauts qui seraient le seuls résultat de l’irradiation d’un matériau ultra-pur. - d’autre part mon attirance pour la physico-chimie – et conforté par l’échec InSb-, me fera accepter la proposition de Jacques Lacour, de la Section d’Electronique – dont je suivais par ailleurs un cours sur les transistors -, de créer un groupe « Electronique Intégrée », ancêtre des « puces » d’aujourd’hui, commun aux deux sections Electronique et Physique du Solide, et où je serais chargé de toute la technologie. Avec l’accord enthousiaste de Dautreppe et Cordelle, le soutien de Bernard Delapalme, directeur-adjoint du CENG, et celui de Louis Néel en personne, ce groupe, puis laboratoire, allait être l’un des éléments clés de la création du LETI en 1967, de la Société EFCIS en 1972, et l’une des composantes majeure DU – seul à l’époque – fabricant européen de circuits intégrés, aujourd’hui ST Microelectronics (voir le récit de Jean-Louis Pautrat que j’avais recruté à l’époque pour une thèse sur le silicium), A partir de mi 1962, consacrant la quasi totalité de mon temps à monter la technologie du groupe Electronique Intégrée, tout en demeurant rattaché au futur DRF, j’ai laissé la responsabilité du groupe « semi-conducteurs » d’abord à Roland Schuttler, grand spécialiste des défauts dans les semi-conducteurs, assez rapidement remplacé par Jean-Claude Pfister (voir le récit de J.L. Pautrat). C’est au moment de la refonte du CEA en 1971 que le « laboratoire d’Electronique intégrée » allait être totalement rattaché au LETI, y compris le personnel, jusqu’alors agents du DRF, qui y travaillait (outre moi-même, Staderini, Mme Peccoud, Denise ( ?), Michel Baudeau) Je terminerai ce court récit en disant : - d’abord que je garde un souvenir précieux du temps passé en Physique du Solide, avec un bon apprentissage, utile par la suite, de la recherche, - ensuite le respect autant que l’amitié que j’ai éprouvé pour le grand physicien et le très grand homme et humaniste qu’était Daniel Dautreppe. Aujourd’hui encore le souvenir ne s’en est pas estompé. Pour terminer quelques mots sur recherche et technologie. Depuis Galilée, il n’y aurait pas eu de progrès spectaculaires de la technologie sans la recherche. Pendant un certain temps leurs chemins semblent se séparer parce que la technologie doit parcourir bien des étapes avant d’être « vendable », mais, aussitôt le pas franchi, voire avant, elle retourne vers la recherche, faute de quoi elle se stérilise. Aujourd’hui on sait que cette succession linéaire n’a plus cours. Une imbrication permanente des deux est la clé de l’innovation, de la rapidité et du succès. Ce n’est pas seulement le résultat d’une meilleure organisation, mais d’une formation plus appropriée qui rapproche le chercheur et le technologue. L’a-t-on vraiment compris dans notre pays ? Max VERDONE