Étude critique : invention de l'autonomie et
éthique inventive : questions à J.-B.
Schneewind
Autor(en): Müller, Denis
Objekttyp: Article
Zeitschrift: Revue de théologie et de philosophie
Band (Jahr): 54 (2004)
Heft 3
Persistenter Link: http://doi.org/10.5169/seals-381686
PDF erstellt am: 25.05.2017
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REVUE DE THÉOUOGIE ET DE PHILOSOPHIE, 136 (2004), P. 247-255
ETUDE CRITIQUE
INVENTION DE L'AUTONOMIE
ET ÉTHIQUE INVENTIVE
Questions àJ.-B. Schneewind *
Denis Müller
Résumé
L'auteur analyse l'ouvrage de J.-B. Schneewind récemment traduit en
français. Après en avoir présenté les lignes principales, il lui adresse trois
questions découlant de la perspective historique adoptée dans le livre :Qu'en
est-il de l'historicité de la philosophie morale Comment tenir compte de la
conflictualité des théories morales entre elles Quelle placefaut-il accorder
àl'idée de Dieu ou d'une forme de transcendance dans l'éthique contempo¬
raine
La somme de Schneewind est sans conteste un grand livre par sa recon¬
struction magistrale et passionnante de «l'invention de l'autonomie», formule
qui désigne le geste même de la morale kantienne ;il présente une méditation
originale sur le statut de l'histoire de la philosophie morale. En même temps,
il accorde une place remarquable aux idées religieuses et théologiques dans
la constitution des discours moraux. Àce titre, il requiert l'attention aussi bien
des historiens de l'éthique que des philosophes et des théologiens en quête
d'une théorie normative de l'éthique.
L'ouvrage est fort utile, tant il ressemble àun manuel qui nous permet de
revisiter, sous la conduite d'un guide clair et souverain, les moments clefs de
l'histoire de l'éthique occidentale, dans sa double composante philosophique
et religieuse. Il n'y aurait aucun sens àen retracer ici les moindres détails. Par
contre, il peut s'avérer stimulant d'en dégager quelques axes prioritaires, avant
d'en relever certaines difficultés.
Àpropos de Jérôme B. Schneewind, L'invention de l'autonomie. Une histoire de
la philosophie morale moderne (1998), traduit de l'anglais (États-Unis) par Jean-Pierre
Clèro, Pierre-Emmanuel Dauzat et Evelyne Meziani-Laval, Paris, Gallimard, 2001.
774 p. Les chiffres entre parenthèses dans le texte renvoient àcet ouvrage.
248 DENIS MÜLLER
I. Un parcours impressionnant
Le chapitre premier est d'une grande limpidité, nous donnant de saisir
d'emblée la perspective de l'A. Kant n'a pas découvert l'autonomie, il l'a
inventée (p. 15) :cette thèse initiale suppose de reconnaître l'originalité irré¬
ductible de la vision kantienne d'une liberté sans cause efficiente. L'invention
en question se détache sur l'arrière-fond d'une tradition dominante réduisant
la morale au thème de l'obéissance (aux hommes ou àDieu, peu importe à
ce niveau). Or la fin du XVIIIe siècle fait place de manière consciente et
conséquente àl'hypothèse d'une morale du gouvernement de soi, que déjà
cependant Machiavel et Montaigne avaient anticipée. Le fil conducteur de l'A.
tient précisément dans ce passage ', l'invention kantienne de l'autonomie
s'inscrivant sur l'axe d'un gouvernement de soi confronté àla Loi morale et
faisant donc aussi appel àune articulation différenciée entre la spontanéité du
sujet et l'orientation morale de la volonté.
Àce thème central de la transition de l'obéissance au gouvernement de soi
s'ajoute un autre thème majeur de l'ouvrage :celui de l'égalité de la capacité
morale entre les êtres humains. Le lien traditionnel entre la morale et le salut
n'allant plus de soi, la fonction proprement éthique de l'idée de Dieu s'en
trouve ébranlée et modifiée, ce qui entraîne, du même coup, un nouvel arran¬
gement théorique et critique des rapports entre la morale et la religion. Dès
Jeremy Bentham, les principaux tenants de l'utilitarisme ont tenté d'assurer
une fondation purement séculière, a-thée, de la morale. Par rapport àune
écriture utilitariste de l'histoire de l'éthique, écriture qui se fait entendre de
nos jours, l'A. adopte un point de vue diamétralement opposé :«En un mot,
prétendre que l'effort de la philosophie morale au XVIIIe siècle fut de sécu¬
lariser la morale ne résiste pas àl'examen le plus superficiel» (p. 21). L'optique
des Lumières est en réalité paradoxale :s'il faut limiter le contrôle de Dieu
sur les hommes, cela n'enlève par contre rien au fait que l'idée de Dieu est
essentielle àla morale. Les volontaristes (jusqu'à Pufendorf et Barbeyrac) et
les intellectualistes (ou anti-volontaristes, tels Leibniz ou Wolff) ne cessent de
débattre de cette option, sans nécessairement abandonner pour autant le
jusnaturalisme. Pour les volontaristes, c'est Dieu, par l'acte même de sa
volonté, qui acréé la morale. Les intellectualistes nient cette création de la
1La méthode de l'A. s'apparente àcet égard àcelle de Charles Taylor dans Sources
ofthe Self(Les sources du moi, Paris, Seuil, 1998). On pourrait par exemple comparer
la manière dont Taylor analyse le thème de «l'affirmation de la vie ordinaire» avec celle
dont l'A. suit àla trace la problématique du gouvernement de soi. La méthode suivie
par Taylor fait davantage de place àl'analyse socio-historique et culturelle que nous
appelons de nos vœux àla fin de cette étude. Sur Taylor, cf. notre article «Les sources
religieuses du soi et l'éthique de l'action juste», Laval théologique et philosophique 58/
2, juin 2002, p. 341-356.
INVENTION DE L'AUTONOMIE ET ÉTHIQUE INVENTIVE 249
morale par Dieu, mais admettent que «la supervision providentielle nous assure
de vivre dans un monde moralement ordonné» (p. 22). Àl'exception des athées,
tous les philosophes moraux des Lumières partagent l'idée d'un lien entre
religion et éthique.
Une troisième question guide le projet de l'A. Elle concerne les rapports
de l'epistemologie, de la psychologie et de l'éthique. La solution kantienne
inclut une nouvelle compréhension de la motivation de la morale. Les questions
de départ, concernant les capacités psychologiques spécifiques des agents
moraux et le fonctionnement de la conscience, ne pourront pas être éludées
par Kant, mais elles font l'objet d'une nouvelle synthèse, empruntant aux
différents courants, afin de concilier volonté et intelligence, loi et spontanéité.
L'A. nous rend le service de résumer son parcours (p. 24-28) :il commence
par l'étude de l'essor et de la chute du droit naturel, aussi bien dans ses
fondements classiques que dans ses versions modernes 2-de Thomas d'Aquin
àLocke et Thomasius, en passant par la doctrine théologique de la Loi morale
chez Luther et Calvin, puis par les théories de Suarez et de Grotius, ce dernier
constituant le cadre dominant de la morale du XVIIe siècle (comme le montrent
les approches volontaristes de Pufendorf et de Barbeyrac) ;ensuite, l'A. se
tourne vers ce qu'il considère comme l'autre grande doctrine morale du XVIIe
siècle, doctrine fondée sur le perfectionnement de soi (Herbert de Cherbury,
Descartes, Leibniz), avec ce qu'elle comporte de rationalisme. Par-delà leurs
différences,jusnaturalistes volontaristes et perfectionnistes admettent que Dieu
est essentiel àla morale. Une troisième section aborde la position de ceux qui
contestent ce rôle de Dieu, ainsi que les réponses qui leur furent apportées (le
panorama est immense, de Gassendi àSade en passant par Pascal, Nicole,
Bayle, Shaftesbury, Clarke, Mandeville, Hutcheson, Butler, Hume, Smith,
Reid, Helvétius et d'Holbach notamment). L'A. met enfin en exergue le rôle
déterminant, en Allemagne, de Wolffet de Crusius et, en France, de Rousseau,
«un vrai innovateur» (p. 27). Ainsi est posé le décor (bien trop sommairement
esquissé ici) qui permet de comprendre l'invention kantienne de l'autonomie.
L'invention de l'autonomie ne prétend pas que Kant ait tout inventé, ni
même qu'il ait été le premier àparler de l'autonomie. Le point central de
l'ouvrage est ailleurs :quelque considérables qu'aient été les efforts des pré¬
décesseurs de Kant pour penser le gouvernement de soi, aucun d'entre eux n'est
vraiment parvenu àle fonder dans une «psychologie métaphysique» (p. 577).
«[Rousseau] nous montre comment Emile acquiert le gouvernement personnel
de soi, mais il n'indique nullement que sa liberté lui donne quelque direction
morale nouvelle. Le gouvernement de soi rousseauiste est aussi vide que sa
valeur est contingente» (p. 576). Chez Kant, on accède àun tout autre niveau :
«L'autonomie kantienne présuppose que nous sommes des agents rationnels
dont la liberté transcendantale nous soustrait àla causalité naturelle» (p. 577).
2On s'étonne au passage de l'absence de toute référence aux travaux de Léo
Strauss.
250 DENIS MÜLLER
IL Problèmes
D'une certaine manière, le parcours de l'A., visant àdégager l'originalité
kantienne, ne débouche àmon sens pas tant sur une interprétation personnelle
nouvelle de Kant que sur une mise en perspective du sens àdonner àson
«invention de l'autonomie». C'est la raison pour laquelle nous laisserons à
d'autres, spécialistes de Kant et de sa philosophie morale, le soin de juger si
la lecture de Kant proposé par l'A. est adéquate et en quoi réside exactement
son apport-\ Nous nous intéressons plutôt ici aux problèmes de méthode que
pose l'approche historique de l'A. pour quiconque essaie de se situer de
manière libre et critique face aux traditions de pensée conditionnant l'élabo¬
ration contemporaine de l'éthique4.
Le problème de l'historicité
Le premier problème est celui de l'historicité même de la pensée et, plus
spécifiquement, de la philosophie morale confrontée au défi de la formulation
d'une théorie éthique pertinente pour aujourd'hui.
Dès le départ de son entreprise, l'A. reconnaît qu'il n'est pas de doctrine
morale en philosophie qui ne soit affectée d'historicité et qui, par conséquent,
ne soit appelée elle-même au changement :«Une grande philosophie morale
ne provient pas initialement de préoccupations qui naissent de cette philosophie
elle-même. Elle provient de la confrontation avec des problèmes graves de la
vie personnelle, sociale, politique et religieuse. Or, ces problèmes changent»
(p. 10). La suite du texte ne permet toutefois pas de se faire une idée précise
au sujet de ce lien entre les conditions historiques de la pensée et son exposition
au changement. Situer la pensée kantienne dans son histoire et dans son
contexte, en la replaçant dans ses héritages et dans ses influences, fournit certes
le moyen de saisir les conditions de sa naissance et de comprendre en quel
sens il yavéritablement une invention kantienne de l'autonomie, mais cela
ne nous dit pas encore comment l'autonomie éthique se situe elle-même, à
l'époque et dans l'optique de Kant, face au changement des conditions per-
3G. Scott Davis aremis en question certaines interprétations, notamment au sujet
de Thomas d'Aquin, Grotius et Leibniz, cf. son article «A Whig History of Ethics. A
Review of The Invention of Autonomy by J. B. Schneewind», Journal of Religious
Ethics 29/1, 2001, p. 157-197. Sur Leibniz, on consultera les travaux de René Sève,
sur lesquels l'A. s'appuie explicitement.
4Cf. notre propre tentative, beaucoup plus circonscrite, L'éthique protestante dans
la crise de modernité. Généalogie, critique, reconstruction, Paris/Genève, Cerf/Labor
et Fides, 1999.
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