2) La dimension psychologique
Au niveau des facteurs psychologiques, des études ont tenté
d’établir un lien entre la fatigue, la détresse émotionnelle,
la perception de la maladie et les stratégies d’adaptation
déployées pour y faire face. La fatigue liée au cancer est
fortement associée à la détresse émotionnelle, particuliè-
rement à l’humeur dépressive (Servaes et al., 2002). La
fatigue est associée à ces émotions négatives pendant le trai-
tement contre le cancer (Fillion et al., 1999; Messias et al.,
1997; Irvine et al., 1998; Jacobsen et al., 1999). De telles
émotions peuvent également contribuer à la sensation de
fatigue mentale, c’est-à-dire à une diminution de la capa-
cité de concentration et d’attention (Cimprich, 1992). Une
relation modérée entre la fatigue et la détresse émotion-
nelle a aussi été signalée chez les femmes en rémission du
cancer du sein (Gélinas et Fillion, 2004; Woo et al., 1998).
De plus,une corrélation a été établie entre l’humeur dépres-
sive et la fatigue persistante, et ce, sur des périodes s’éche-
lonnant de un an à cinq ans après la fin du traitement
(Bower et al., 2000).
La représentation que se fait la personne de sa maladie
peut influer indirectement sur la sensation de fatigue.
Pour étudier ce phénomène, la recherche utilise souvent le
concept d’évaluation cognitive, c’est-à-dire la signification
donnée à la maladie. Durant la phase thérapeutique, l’im-
pression de perte semble reliée à la fatigue et à la détresse
émotionnelle, elle-même associée à la fatigue (Pearce et
Richardson, 1996). Par contre, un lien a été établi entre la
perception qu’a le patient de sa capacité à faire face à la ma-
ladie et l’élaboration de stratégies actives et efficaces qui
peuvent contribuer à diminuer la fatigue (Fillion et al.,
1999). En ce qui a trait au phénomène de la fatigue persis-
tante en phase post-thérapeutique, des études portant sur
des femmes en rémission du cancer du sein montrent que
l’incertitude et l’impression de n’avoir que peu de maîtrise
sur ce symptôme contribuent à expliquer la fatigue (Mast,
1998).De plus, la perception d’un sentiment de menace est
associée positivement à une fatigue persistante (Gélinas et
Fillion, 2004). Ces résultats indiquent que plus la personne
perçoit une menace, plus elle vit de détresse et déclare
ressentir de la fatigue; tandis que plus elle se sent capable d’y
faire face,plus elle semble agir activement et moins elle ob-
serve de symptômes de fatigue. La perception que le patient
a du cancer ou la signification qu’il lui donne expliquerait
une part de la détresse qu’il ressent,de même que les straté-
gies adaptatives qu’il élabore pour faire face à sa maladie.Ce
facteur pourrait donc expliquer la fatigue liée au cancer tant
lors des traitements qu’en phase post-thérapeutique.Il four-
nit, de plus, d’excellentes pistes d’intervention.
En plus de l’évaluation cognitive, les stratégies adapta-
tives utilisées pour faire face au cancer et pour pallier la
fatigue peuvent également expliquer cet état.Lors de la phase
thérapeutique, le repos,la sieste et la diminution de l’activité
physique représentent les stratégies les plus utilisées par les
personnes atteintes de cancer. Ces stratégies dites passives
peuvent alimenter la fatigue (Messias et al., 1997; Irvine et al.,
1998). Lors de la phase post-thérapeutique, plusieurs per-
sonnes atteintes de cancer affirment ralentir leur rythme
de vie et se reposer davantage (Vogelzang et al., 1997). De
nouveau, le fait de privilégier de telles stratégies passives
peut s’avérer inefficace pour venir à bout de la fatigue
persistante. L’utilisation de stratégies passives est d’ailleurs
reliée à une augmentation de la fatigue persistante (Gélinas
et Fillion,2004). Ce phénomène pourrait,entre autres,s’ex-
pliquer par le fait que ces stratégies mènent au décondition-
nement physique (Winningham, 2001): la personne est
amenée à s’isoler et à se priver d’activités plaisantes, ce qui
peut rendre son humeur dépressive.Ce processus a été décrit
en particulier dans des études sur la dépression. De plus,
faire de longues siestes ou passer beaucoup de temps au lit
perturbe le cycle du sommeil et pourrait favoriser le
développement de l’insomnie (Winningham, 2001). Tous
ces facteurs contribuent à leur tour à accroître la fatigue et à
créer ainsi un cercle vicieux. Celui-ci peut toutefois être
supprimé par des interventions ponctuelles. En effet, l’utili-
sation de stratégies dites actives (par ex.,l’exercice physique,
la distraction, les activités sociales, l’implication dans le
traitement et la recherche d’information et de soutien)
semble,quant à elle, diminuer la fatigue (Dimeo et al.,1999;
Gélinas et Fillion, 2004). Ces travaux laissent entendre qu’il
existe une relation entre l’utilisation de stratégies passives
et les phénomènes de déconditionnement physique et d’in-
somnie, ce qui pourrait expliquer la fatigue liée au cancer,
alors que l’utilisation de stratégies actives aurait un effet
bénéfique sur la réduction de la fatigue.
3) L’environnement social
De façon surprenante, la dimension sociale est plutôt né-
gligée dans la littérature sur la fatigue liée au cancer. Pourtant,
certains auteurs estiment que la fatigue est la conséquence
d’un stress prolongé, provenant de nombreuses sources
(Aistars, 1987): changements dans l’apparence physique,
modifications de son rôle au travail et dans la famille, pré-
occupations par rapport au futur ou difficultés financières
(Fillion et al., 2001). Plus récemment,quelques travaux réa-
lisés durant les phases thérapeutique et post-thérapeutique
ont permis de montrer que le stress contribue à la fatigue
liée au cancer (Fillion et al., 1999, 2001; Gélinas et Fillion,
2004). Une autre dimension sociale est également évoquée
dans la littérature sur ce type de fatigue, soit le soutien
social. Selon une récente étude, les femmes en rémission
d’un cancer du sein et souffrant de fatigue sévère auraient
moins de soutien social ; de plus,leur fonctionnement social
serait lui-même problématique (Servaes et al., 2002).
18 MARS/AVRIL 2004 PERSPECTIVE INFIRMIÈRE
Revue critique