Mieux comprendre la fatigue liée au cancer

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For a better understanding of
cancer-related fatigue
Mieux comprendre la fatigue liée
au cancer
Résumé
Abstract
La fatigue liée au cancer représente une réalité importante tant en
cours de traitement qu’une fois celui-ci terminé. En effet, pour
plusieurs personnes, elle persiste sur de longues périodes en phase
post-thérapeutique et nuit considérablement à leur qualité de vie. Elle
se définit comme un phénomène subjectif et multidimensionnel. Par
ailleurs, cette fatigue est associée à de multiples facteurs, d’où sa complexité. Cet article a pour but de présenter les faits saillants tirés
d’une recension des écrits afin de mieux comprendre la fatigue liée
au cancer, son cours évolutif, les principaux facteurs qui y sont associés et les pistes d’intervention les plus prometteuses.
Cancer-related fatigue (CRF) is a major reality during treatment as
well as once treatment is completed. For many people, CRF persists
for long periods in the post-therapeutic phase and has a considerable
negative impact on the quality of life. Fatigue is defined as a subjective
and multidimensional phenomenon. CRF is associated with many factors, hence its complexity. The goal of this article is to summarize
major findings from a review of literature in order to better understand the phenomenon of CRF itself, its progressive course, the main
associated factors and some of the most promising interventions.
Key words: fatigue, cancer, associated factors, interventions
Mots clé : fatigue, cancer, facteurs associés, pistes d’intervention
Photos tirées de l’œuvre vidéographique Du front tout le tour de la tête
réalisée par Chantal duPont en 2000.
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MARS/AVRIL 2004
PERSPECTIVE INFIRMIÈRE
Re v ue critique
Mieux comprendre la
fatigue liée au cancer
PAR CÉLINE GÉLINAS, INF., PH.D.(CAND.), LISE FILLION, INF., PH.D. ET MARTINE FORTIER, M.PS.(CAND.)
e cancer demeure un problème de santé très
actuel. L’Institut national canadien du cancer a
estimé que 139 900 Canadiens recevraient un
diagnostic de cancer et que 67 400 personnes
décèderaient de cette maladie en 2003. Selon les mêmes
sources, le cancer le plus fréquemment diagnostiqué
demeurera le cancer du sein chez la femme et celui de la
prostate chez l’homme. Les traitements sont complexes et
souvent durs (chirurgie, radiothérapie, chimiothérapie, hormonothérapie, greffe de moelle osseuse et traitements biologiques) et ils entraînent de nombreux effets secondaires.
Parmi ces effets, la fatigue est souvent considérée comme
le plus perturbant d’entre eux (Cella, 1998). Sa prévalence
varie de 25 à 99 % selon les études (Servaes et al., 2002). Par
ailleurs, la fatigue entre fréquemment en jeu dans la décision
de retarder, diminuer et même interrompre le traitement
(Nerenz et al., 1982). Elle interfère en effet avec le déroulement de la thérapie et peut avoir des répercussions néfastes
sur l’évolution de la maladie. Enfin, elle a un impact négatif
sur la qualité de vie des personnes atteintes (Cella, 1998 ;
Vogelzang et al., 1997).
Cet article a pour but de présenter les faits saillants tirés
d’une recension des écrits sur le sujet, afin de mieux comprendre la fatigue liée au cancer, son cours évolutif, les principaux facteurs qui y sont associés et les pistes d’intervention
les plus prometteuses.
L
Définition de la fatigue
La fatigue a d’abord commencé par être décrite par des
cliniciens issus de plusieurs disciplines, dont la médecine,
les sciences infirmières et d’autres secteurs de la santé. La
recherche qui a suivi est également d’origine multidisciplinaire. Notons que les infirmières ont apporté une contribution importante au développement de ces connaissances.
Bien qu’on déplore l’absence d’une définition universelle
reconnue de la fatigue, la communauté scientifique semble
s’être ralliée pour la définir comme un phénomène subjectif
et multidimensionnel sans composante physiologique
(Berger et Walker, 2001 ; Stone, 2002). Subjective, la fatigue
ne peut être décrite que par la personne qui l’éprouve.
On reconnaît quatre principales dimensions à cet état
chronique : 1) physique, 2) cognitive, 3) émotionnelle et
4) comportementale. La dimension physique correspond
à un sentiment d’épuisement physique ou un manque
d’énergie (Pearce et Richardson, 1996). L’aspect cognitif fait
référence notamment à une difficulté de concentration
(Cimprich, 1992) ; l’aspect affectif, à un état de malaise et à
une baisse de la motivation (Smets et al., 1998). La composante comportementale, quant à elle, se traduit en partie
par une inhibition des activités (Pearce et Richardson,
1996). De plus, pour être caractéristiques d’un phénomène
lié au cancer, les manifestations de la fatigue doivent être
subséquentes à la maladie et à son traitement et ne pas être
associées à une co-morbidité psychiatrique comme la
dépression (Cella et al., 2001).
Profil de la fatigue
Le cours de la fatigue liée au cancer varie dans le temps et
selon le traitement suivi. Dans le cadre d’une chimiothérapie, la fatigue se manifeste de façon cyclique, son intensité étant plus élevée après l’administration du traitement et
diminuant graduellement les jours suivants (Irvine et al.,
1998). Dans le cas d’un recours à la radiothérapie, les études
suggèrent que la fatigue suit une évolution assez linéaire,
augmentant au cours du traitement pour ensuite s’atténuer
progressivement (Greenberg et al., 1992).
La récupération spontanée de la fatigue s’observe généralement dans un intervalle variant de quelques semaines à
quelques mois après la fin du traitement (Irvine et al., 1998).
Toutefois, 50 % des personnes se plaignent toujours de
fatigue persistante neuf mois après la fin d’une radiothérapie (Vogelzang et al., 1997).
PERSPECTIVE INFIRMIÈRE MARS/AVRIL 2004
15
Re v ue critique
Facteurs associés
Après avoir mieux circonscrit le phénomène de la fatigue,
les écrits ont par la suite traité des facteurs associés. Même si
la recherche se poursuit toujours et qu’une part importante
de la fatigue liée au cancer reste à élucider, plusieurs études
corrélationnelles ont permis de décrire ces facteurs, classés
selon trois catégories : 1) biologique, 2) psychologique et
3) sociale.
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MARS/AVRIL 2004
PERSPECTIVE INFIRMIÈRE
▲
1) La dimension biologique
Des études ont tenté d’établir des liens entre la fatigue,
la sévérité de la maladie, les modalités de traitement et
d’autres facteurs biologiques associés à ce traitement. En
ce qui concerne la fatigue et la sévérité de la maladie, peu
d’études ont trouvé de corrélation entre ces deux variables
(Irvine et al., 1998). On a
cependant pu observer que la
fatigue est plus marquée
lorsque le cancer est à un
stade avancé (Stone, 2002).
Par ailleurs, elle serait davantage reliée à certains types de
cancer. Dans sa recension
parue en 2002, Stone fait
ressortir que les niveaux de
fatigue sont plus élevés chez
les personnes atteintes d’un
cancer du poumon, de l’ovaire
et du mélanome. La sévérité
de la maladie semble donc
peu utile pour expliquer la
fatigue liée au cancer.
La fatigue a aussi été étudiée en relation avec les types de
traitement du cancer. Par exemple, l’impact significatif de la
chimiothérapie sur la fatigue a été bien documenté (Pearce
et Richardson, 1996). Pour ce qui est de la fatigue persistante
en phase post-thérapeutique, il semble qu’elle soit peu liée
aux modalités des traitements (Smets et al., 1998). Cependant, quelques études ont montré que les femmes ayant reçu
une combinaison de plusieurs traitements (chimiothérapie,
radiothérapie et hormonothérapie) ressentent une plus
grande fatigue que celles traitées uniquement par chimiothérapie (Bower et al., 2000 ; Mast, 1998 ; Woo et al., 1998).
Enfin, Jacobsen et al. (1999) notent que, pour le cancer du
sein, la fatigue persistante s’observe surtout chez celles qui
ont subi un traitement de chimiothérapie.
Lors de ce traitement, d’autres facteurs biologiques ont
été associés à la fatigue. Si on fait une analyse hématologique, les personnes recevant un traitement de chimiothérapie présentent un plus grand niveau de fatigue, que
l’on attribue à la neutropénie (Irvine et al., 1998). De plus,
selon Cella (1998), la fatigue est associée à l’anémie au stade
avancé de la maladie. Dans d’autres domaines que l’oncologie, un lien a été établi entre la fatigue et certains changements immunologiques, tels que la présence de cytokines
anti-inflammatoires. Peu d’études ont porté sur le lien
entre ces cytokines et la fatigue liée au cancer. Une étude
pilote, réalisée auprès de 15 hommes recevant un traitement
de radiothérapie pour le cancer de la prostate, a établi une
association entre le niveau sanguin de l’interleukine-1ß
(Il-1 ß) et la fatigue (Greenberg et al., 1993). Cependant, une
autre étude réalisée auprès de 44 femmes en phase de posttraitement du cancer du sein n’a découvert aucune relation
entre le niveau sanguin d’Il-1 ß et la fatigue persistante
(Gélinas et Fillion, 2004). L’impact physiologique de la
thérapie sur les cellules sanguines et immunitaires pourrait expliquer la présence de
fatigue en cours de traitement.
Ce facteur serait cependant
peu utile pour expliquer la
fatigue persistante.
Par ailleurs, certains symptômes reliés au traitement
ont été associés à la fatigue,
tant lors de la phase thérapeutique que post-thérapeutique (Jacobsen et al., 1999).
Parmi ceux-ci figurent les
symptômes vasomoteurs de
la ménopause, dont les bouffées de chaleur (Bower et al.,
2000 ; Gélinas et Fillion, 2004;
Stein et al., 2000). Ces symptômes peuvent être causés par
des changements ovariens, qui induisent une ménopause
précoce, ou par la prise de médicaments anti-hormonaux,
comme le tamoxifène ou l’Arimidex®. En plus de ces symptômes vasomoteurs, une relation modérée a pu être établie
entre la douleur et la fatigue (Gélinas et Fillion, 2004 ;
Jacobsen et al., 1999).
Sauf en ce qui concerne les symptômes de douleur et les
signes de ménopause, la plupart des changements biologiques associés à la fatigue semblent se résorber après l’interruption des traitements et deviennent ainsi moins
pertinents pour expliquer la fatigue persistante. Notons
toutefois que l’évolution de la maladie et l’effet du traitement pourraient peut-être entraîner des changements
physiologiques à long terme qui n’ont pas encore été décrits.
Pour le moment, la recherche sur ce plan fournit peu de
pistes d’intervention, sinon le contrôle de la formule sanguine, le traitement de l’anémie ou de la neutropénie ainsi
que l’optimisation de la gestion des symptômes de la
douleur et de la ménopause.
Re v ue critique
2) La dimension psychologique
Au niveau des facteurs psychologiques, des études ont tenté
d’établir un lien entre la fatigue, la détresse émotionnelle,
la perception de la maladie et les stratégies d’adaptation
déployées pour y faire face. La fatigue liée au cancer est
fortement associée à la détresse émotionnelle, particulièrement à l’humeur dépressive (Servaes et al., 2002). La
fatigue est associée à ces émotions négatives pendant le traitement contre le cancer (Fillion et al., 1999 ; Messias et al.,
1997 ; Irvine et al., 1998 ; Jacobsen et al., 1999). De telles
émotions peuvent également contribuer à la sensation de
fatigue mentale, c’est-à-dire à une diminution de la capacité de concentration et d’attention (Cimprich, 1992). Une
relation modérée entre la fatigue et la détresse émotionnelle a aussi été signalée chez les femmes en rémission du
cancer du sein (Gélinas et Fillion, 2004 ; Woo et al., 1998).
De plus, une corrélation a été établie entre l’humeur dépressive et la fatigue persistante, et ce, sur des périodes s’échelonnant de un an à cinq ans après la fin du traitement
(Bower et al., 2000).
La représentation que se fait la personne de sa maladie
peut influer indirectement sur la sensation de fatigue.
Pour étudier ce phénomène, la recherche utilise souvent le
concept d’évaluation cognitive, c’est-à-dire la signification
donnée à la maladie. Durant la phase thérapeutique, l’impression de perte semble reliée à la fatigue et à la détresse
émotionnelle, elle-même associée à la fatigue (Pearce et
Richardson, 1996). Par contre, un lien a été établi entre la
perception qu’a le patient de sa capacité à faire face à la maladie et l’élaboration de stratégies actives et efficaces qui
peuvent contribuer à diminuer la fatigue (Fillion et al.,
1999). En ce qui a trait au phénomène de la fatigue persistante en phase post-thérapeutique, des études portant sur
des femmes en rémission du cancer du sein montrent que
l’incertitude et l’impression de n’avoir que peu de maîtrise
sur ce symptôme contribuent à expliquer la fatigue (Mast,
1998). De plus, la perception d’un sentiment de menace est
associée positivement à une fatigue persistante (Gélinas et
Fillion, 2004). Ces résultats indiquent que plus la personne
perçoit une menace, plus elle vit de détresse et déclare
ressentir de la fatigue ; tandis que plus elle se sent capable d’y
faire face, plus elle semble agir activement et moins elle observe de symptômes de fatigue. La perception que le patient
a du cancer ou la signification qu’il lui donne expliquerait
une part de la détresse qu’il ressent, de même que les stratégies adaptatives qu’il élabore pour faire face à sa maladie. Ce
facteur pourrait donc expliquer la fatigue liée au cancer tant
lors des traitements qu’en phase post-thérapeutique. Il fournit, de plus, d’excellentes pistes d’intervention.
En plus de l’évaluation cognitive, les stratégies adaptatives utilisées pour faire face au cancer et pour pallier la
fatigue peuvent également expliquer cet état. Lors de la phase
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MARS/AVRIL 2004
PERSPECTIVE INFIRMIÈRE
thérapeutique, le repos, la sieste et la diminution de l’activité
physique représentent les stratégies les plus utilisées par les
personnes atteintes de cancer. Ces stratégies dites passives
peuvent alimenter la fatigue (Messias et al., 1997 ; Irvine et al.,
1998). Lors de la phase post-thérapeutique, plusieurs personnes atteintes de cancer affirment ralentir leur rythme
de vie et se reposer davantage (Vogelzang et al., 1997). De
nouveau, le fait de privilégier de telles stratégies passives
peut s’avérer inefficace pour venir à bout de la fatigue
persistante. L’utilisation de stratégies passives est d’ailleurs
reliée à une augmentation de la fatigue persistante (Gélinas
et Fillion, 2004). Ce phénomène pourrait, entre autres, s’expliquer par le fait que ces stratégies mènent au déconditionnement physique (Winningham, 2001) : la personne est
amenée à s’isoler et à se priver d’activités plaisantes, ce qui
peut rendre son humeur dépressive. Ce processus a été décrit
en particulier dans des études sur la dépression. De plus,
faire de longues siestes ou passer beaucoup de temps au lit
perturbe le cycle du sommeil et pourrait favoriser le
développement de l’insomnie (Winningham, 2001). Tous
ces facteurs contribuent à leur tour à accroître la fatigue et à
créer ainsi un cercle vicieux. Celui-ci peut toutefois être
supprimé par des interventions ponctuelles. En effet, l’utilisation de stratégies dites actives (par ex., l’exercice physique,
la distraction, les activités sociales, l’implication dans le
traitement et la recherche d’information et de soutien)
semble, quant à elle, diminuer la fatigue (Dimeo et al., 1999;
Gélinas et Fillion, 2004). Ces travaux laissent entendre qu’il
existe une relation entre l’utilisation de stratégies passives
et les phénomènes de déconditionnement physique et d’insomnie, ce qui pourrait expliquer la fatigue liée au cancer,
alors que l’utilisation de stratégies actives aurait un effet
bénéfique sur la réduction de la fatigue.
3) L’environnement social
De façon surprenante, la dimension sociale est plutôt négligée dans la littérature sur la fatigue liée au cancer. Pourtant,
certains auteurs estiment que la fatigue est la conséquence
d’un stress prolongé, provenant de nombreuses sources
(Aistars, 1987) : changements dans l’apparence physique,
modifications de son rôle au travail et dans la famille, préoccupations par rapport au futur ou difficultés financières
(Fillion et al., 2001). Plus récemment, quelques travaux réalisés durant les phases thérapeutique et post-thérapeutique
ont permis de montrer que le stress contribue à la fatigue
liée au cancer (Fillion et al., 1999, 2001 ; Gélinas et Fillion,
2004). Une autre dimension sociale est également évoquée
dans la littérature sur ce type de fatigue, soit le soutien
social. Selon une récente étude, les femmes en rémission
d’un cancer du sein et souffrant de fatigue sévère auraient
moins de soutien social ; de plus, leur fonctionnement social
serait lui-même problématique (Servaes et al., 2002).
D’autres variables de l’environnement, facilitant ou non la
conciliation entre les exigences de la maladie et du traitement et celles de la vie quotidienne, gagneraient à être
étudiées davantage, comme le soutien instrumental (pour
les repas, le ménage, etc.) et la flexibilité du milieu de travail
(tâches, horaire). La gestion des sources de stress et l’amélioration du soutien social pourraient constituer des pistes
d’intervention fort intéressantes.
En résumé, la fatigue liée au cancer est associée à des
facteurs d’ordre biologique, psychologique et social. Certains de ces facteurs peuvent jouer un rôle prédisposant,
précipitant, ou contribuer au maintien de la fatigue. Bien
que la recherche ait établi un lien entre la fatigue et de
nombreux facteurs,
le rôle et l’importance de chacun
d’eux dans les questions de prédisposition de l’individu,
d’apparition ou de
maintien de cet état
de lassitude demeurent à préciser. Le
développement d’un
modèle explicatif intégrateur permettrait
de guider les interventions infirmières,
ce qui, d’ailleurs, fait
actuellement l’objet
de recherches (Berger
et Walker, 2001 ;
Gélinas et Fillion,
2004 ; Fillion et al.,
1999). Plusieurs pistes
d’intervention commencent, du reste, à être explorées au
chapitre des composantes psychosociales.
Recommandations pour la pratique infirmière
Comme plusieurs des facteurs associés à la fatigue liée au
cancer sont modifiables, des pistes d’intervention se dessinent et font actuellement l’objet d’une recherche active. De
par sa prévalence et son impact sur la qualité de vie, la
fatigue mérite l’élaboration d’interventions infirmières et
leur évaluation. Quelques études cliniques ont été réalisées,
qui confirment la pertinence de l’activité physique, de la
gestion du stress, de la relaxation et de l’enseignement de
stratégies d’adaptation adéquates pour diminuer la fatigue
en cours de traitement (Dimeo et al., 1999 ; Servaes et al.,
2002). Aucune recherche à ce jour n’a permis de documenter l’efficacité d’interventions à diminuer la fatigue
persistante en phase post-thérapeutique. L’interprétation
des résultats des recherches citées ci-dessus indique toutefois que l’exercice physique et l’intervention cognitivecomportementale en vue de modifier des comportements et
des processus cognitifs spécifiques constituent des pistes
de solution intéressantes pour le soulagement de la fatigue
persistante.
En ce sens, nous avons entrepris une étude expérimentale
dont l’objectif principal est de vérifier l’efficacité d’une
intervention psycho-éducative de groupe à diminuer la
fatigue et à augmenter la qualité de vie chez des femmes
ayant terminé leur traitement médical initial pour un cancer
du sein. L’intervention repose essentiellement sur une
approche didactique portant sur le phénomène de la fatigue
et ses facteurs. Elle
touche à toutes les
dimensions, à tous
les facteurs de la
fatigue, tels qu’ils
sont conceptualisés
dans la théorie du
stress (Herbert et
Cohen, 1996). L’intervention intègre
des composantes
sociales, cognitives,
émotionnelles
et
comportementales,
ainsi que des outils
thérapeutiques pour
chacune de ces
composantes.
Mentionnons
brièvement, en ce qui
concerne les facteurs
sociaux, que l’intervention consiste à communiquer aux participantes de
l’étude de l’information sur les sources de stress associées à
la maladie et à son traitement. Pour ce qui est des facteurs
cognitifs, ils constituent une dimension très importante de
l’intervention. Les participantes sont entraînées à observer,
à noter et à confronter leur perception lors de l’exposition à
ces situations stressantes qui sont souvent associées à la
présence d’émotions et semblent contribuer à augmenter
leur état de fatigue. Il s’agit essentiellement des principes de
base de la restructuration cognitive tels qu’ils sont énoncés
dans plusieurs manuels de référence en psychologie clinique.
Les facteurs émotionnels reliés à la fatigue sont également
abordés par cette démarche de restructuration cognitive.
Des techniques sur la gestion et le contrôle des émotions
complètent ce volet, tel un entraînement à deux techniques
de relaxation, l’une, musculaire progressive et l’autre, par
imagerie. Au niveau des facteurs comportementaux, l’inter-
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Re v ue critique
vention vise également à augmenter les stratégies actives
grâce à un programme gradué de marche individualisée, où
quatre sessions d’entraînement à la marche sont supervisées
par un kinésiologue. Des techniques cognitives d’adhésion
sont également incluses. Par ailleurs, afin de réduire l’utilisation de stratégies adaptatives passives, des techniques
comportementales permettant d’améliorer le sommeil sont
tirées de programmes de traitement de l’insomnie. Les
résultats préliminaires (Fillion et al., 2003) indiquent que
cette intervention psycho-éducative, effectuée après la fin
du traitement médical initial, pourrait faciliter la récupération après un cancer du sein et contribuer à prévenir une
évolution vers la fatigue chronique (Fillion et al., 2003). La
vérification de l’efficacité de cette intervention pourrait à la
fois contribuer à améliorer la qualité de vie des femmes
traitées et fournir un outil thérapeutique pertinent. Dans
cette éventualité, le contenu détaillé de l’intervention fera
l’objet d’une publication.
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Conclusion
La fatigue liée au cancer représente une problématique
importante et complexe. On reconnaît maintenant son
caractère subjectif et sa composante multidimensionnelle.
On est également de plus en plus conscient de sa haute
prévalence et de l’importance de son dépistage. De plus,
comme plusieurs facteurs associés ont été établis, des pistes
d’intervention sont proposées et des interventions de nature
cognitive-comportementale sont actuellement en cours
d’évaluation. À titre d’exemple, des données probantes
confirment déjà les bénéfices de l’exercice physique. Bien
que plusieurs études aient été réalisées pour décrire ce
phénomène, certains liens demeurent à préciser, notamment en ce qui a trait à l’évolution de la fatigue dans le cours
de la maladie. La réalisation d’analyses longitudinales qui
prennent en compte l’ensemble des facteurs associés à la
fatigue pourrait permettre une meilleure compréhension de
ce phénomène et la conception d’un modèle théorique qui
favoriserait le développement d’interventions infirmières.
La fatigue liée au cancer demeure un phénomène de premier
intérêt pour les infirmières qui travaillent en oncologie. F
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MARS/AVRIL 2004
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CÉLINE GÉLINAS est infirmière et candidate au doctorat sur mesure en
sciences infirmières et en mesure et évaluation de l’Université Laval. Elle est
actuellement infirmière clinicienne en cardiologie (intérim) à l’Hôpital Laval.
Elle est également chargée de cours à la Faculté des sciences infirmières de
l’Université Laval et coordonnatrice de recherche au Centre de recherche en
cancérologie de l’Université Laval (Hôtel-Dieu de Québec).
LISE FILLION est infirmière et psychologue. Elle a terminé ses études postdoctorales au Behavioral Medicine Research Center de l’Université de Miami.
Elle est professeure agrégée à la Faculté des sciences infirmières de l’Université
Laval et chercheuse au Centre de recherche en cancérologie de l’Université
Laval (Hôtel-Dieu de Québec) ainsi qu’à la Maison Michel-Sarrazin de Québec.
MARTINE FORTIER est étudiante à la maîtrise en psychologie de l’Université
Laval. Elle est également assistante de recherche au Centre de recherche en
cancérologie de l’Université Laval (Hôtel-Dieu de Québec).
L’auteure principale tient à remercier tous les membres de l’équipe de
recherche en oncologie psychosociale de l’Hôtel-Dieu de Québec pour leur
importante contribution dans l’élaboration de projets de recherche novateurs
pour venir en aide à la population atteinte de cancer.
Photos tirées de l’œuvre vidéographique Du front tout le tour de la tête
réalisée par Chantal duPont en 2000.
Distribution :
Vidéographe – 460, rue Sainte-Catherine Ouest, bureau 504
Montréal (Québec) H3B 1A7
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Téléc. : (514) 866-4725
Courriel : [email protected]
PERSPECTIVE INFIRMIÈRE MARS/AVRIL 2004
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