Croissance de monocristaux d`oxyde supraconducteur

publicité
Croissance de monocristaux d’oxyde
supraconducteur : de la poudre aux propriétés
Sonia De Almeida*, Fabien Giovannelli*, Larbi Ammor*, Bruno
Pignon*, Isabelle Monot-Laffez*, Yvan Sidis**
*IUT de Blois – Université François Rabelais
LEMA
3 place Jean Jaurès, CS2903, 41 029 Blois
**CEA-CNRS, CE Saclay
Laboratoire Léon Brillouin
91 191 Gif-sur-Yvette
[email protected]; [email protected].
Sections de rattachement : 28 & 33
Secteur : Matériaux
RESUME. Depuis la découverte de la supraconductivité à haute température critique, c’est-à-dire
au dessus de la température de l’azote liquide (Tl = 77K), le mécanisme de la supraconductivité
reste encore à élucider. L’étude de différents systèmes supraconducteurs et l’obtention de
matériaux de qualité, bien caractérisés, permettent d’avancer dans la compréhension de ces
phénomènes. L’étude porte sur le système Bi2Sr2CaCu2O8, l’exploration de son diagramme de
phase, la synthèse des monocristaux et les caractérisations possibles.
MOTS-CLES : croissance cristalline ; technique de zone fondue ; cuprates ; matériaux
supraconducteurs
1. Introduction : La supraconductivité
En 1901, Kamerlingh Onnes fut le premier à liquéfier de l’hélium. Ceci lui permit de
découvrir en 1911 que le mercure perdait toute résistance électrique en dessous de
4,15 K. Par la suite, de nombreux autres matériaux se révélèrent supraconducteurs à très
basse température (moins de 20 K).
A cette époque, la connaissance du phénomène se limitait principalement à deux
constatations expérimentales : l’absence totale de résistivité électrique d’une part et
l’expulsion des lignes de champ magnétique par le matériau d’autre part (effet Meissner).
1
Ce n’est qu’en 1957 que J. Bardeen, L. Cooper et J. R. Schieffer présentèrent la première
théorie dite « BCS » qui permit de déterminer le mécanisme de la supraconductivité (Prix
Nobel en 1973). C’est au travers des vibrations du réseau cristallin (les phonons), que les
électrons qui naturellement se repoussent se retrouvent couplés sous la forme de paires
dites de « Cooper ». Ces paires sont donc des objets de spin entier, soit des bosons, et les
électrons peuvent donc avoir un comportement collectif. Cette théorie présumait une
température critique ne pouvant excéder les 35 K environ.
En 1986, Bednorz et Müller découvrirent les supraconducteurs à haute température
critique, à plus de 40 K. Ces supraconducteurs sont des oxydes de cuivre nommés
« cuprates ». La recherche dans le domaine connut alors un bouleversement conceptuel et
une activité sans pareille. Le travail conjoint des chimistes et des physiciens permit de
découvrir des matériaux aux températures critiques de plus en plus élevées (jusqu’à 165
K sous pression), bien au dessus de la température de l’azote liquide (Tl=77K).
Aujourd’hui, bien que les cuprates soient étudiés depuis une vingtaine d’années, le
mécanisme de formation des paires de Cooper n’a toujours pas été élucidé. Il y a
cependant eu d’énormes progrès dans la synthèse des matériaux et dans la réalisation des
détecteurs. Aussi, on peut espérer voir le voile sur le mystère des cuprates se lever petit à
petit dans les années à venir.
2. Les cuprates
Les supraconducteurs à haute température critique appartiennent tous à la famille des
cuprates. Il s’agit de cristaux dont la maille élémentaire contient une alternance de plans
CuO2 où s’effectue la conduction et de plan dit « réservoirs » permettant de doper en
électrons ou en trous le matériau (Cf figure 1). Les substitutions chimiques dans ces
couches intermédiaires contrôlent la concentration des porteurs de charge (trous ou
électrons) dans les plans CuO2.
Figure 1. Structure cristalline des cuprates (exemple de YBaCuO)
2
Sans ce dopage, il n’existe pas de porteurs de charge dans les plans CuO2 et les
moments magnétiques des atomes de Cu sont alignés dans un ordre antiferromagnétique.
En augmentant le taux de dopage, les cuprates évoluent de cet état isolant de Mott
antiferromagnétique vers l’état supraconducteur. A une concentration de porteurs de
charge particulière (dopage optimal), on obtient une température critique maximale.
Autour de cette température, on définit les régions sous-dopées et sur-dopées où la
température critique diminue. Au delà de la phase supraconductrice, il existe d’autres
phases avec des propriétés physiques différentes en fonction du dopage. Ces phases sont
indiquées sur la figure 2 où est représenté le diagramme (T,p) avec T la température et p
le nombre de charges par atome de cuivre dans les plans CuO2.
Figure 2. Diagramme générique des cuprates – Température en fonction du taux de
porteurs
Il faut noter la présence d’un pseudo gap au niveau de la région sous-dopée du
diagramme. En fait, ce pseudo gap est peut-être la clef, du moins l’une des clefs, de la
compréhension du diagramme de phase. Il correspond à la perte de degrés de liberté des
électrons due à de très fortes interactions dont l’origine est inconnue. Deux visions
théoriques s’affrontent. D’une part, ce gap pourrait représenter un état électronique
précurseur de l’appariement supraconducteur. Dans ce cas, la température de
supraconductivité correspond à la température où ces paires préformées acquièrent une
cohérence de phase. A l’opposé, la phase de pseudo-gap pourrait être caractérisée par un
ordre caché en compétition avec la supraconductivité.
La seconde hypothèse tend à être favorisée d’après des données récentes de
diffraction de neutrons polarisés sur le système YBa2Cu3O6+x (Fauqué et al., 2006). Des
études similaires dans le système Bi2Sr2CaCu2O8+δ sont donc nécessaires pour confirmer
ce scénario.
3
3. Croissance cristalline de Bi2Sr2CaCu2O8+ par fusion de zone
3.1. Structure cristalline de Bi-2212
c
a
b
C’est en 1988 que Maeda et al (Maeda1988)
ont rapporté, pour la première fois, la
supraconductivité dans le système à base de bismuth.
Dans ce composé (Cf. figure 3) les octaèdres CuO6
sont disjoints en deux pyramides CuO5 par
intercalation d’un plan d’atomes de Ca. La structure
cristalline du Bi-2212 est orthorhombique, avec des
paramètres cristallins a et b très proches, et un
paramètre c qui varie avec le dopage.
Les plans CuO2 sont les responsables des
propriétés (supra)conductrices, les doubles plans BiO
jouent le rôle de réservoir de charges et les plans
supplémentaires SrO assurent la stabilité de la
structure. Les blocs réservoirs et conducteurs sont
empilés alternativement suivant l’axe c.
Figure 3. Structure schématique de Bi2Sr2CaCu2O8
Pour étudier les propriétés physiques de ce système, il est nécessaire d’avoir des
monocristaux de haute qualité et de grande taille.
Nous nous proposons de croître des monocristaux par la technique de fusion de zone
dans un four à image, qui est la méthode la plus appropriée pour atteindre nos objectifs.
3.2. Croissance cristalline par fusion de zone dans un four à image
Cette technique réside sur la cristallisation à
partir d’une zone fondue (Gu 1993; Liang 2002;
Maljuk 2001; Menken 1991; Takekawa 1988)
Le principe du four à image réside sur la
focalisation de la lumière en un seul point focal à
l’aide de miroirs elliptiques et de lampes halogènes
(Cf. figure 4)
Figure 4. Photographie du four à image du laboratoire
4
Pour la croissance, il est nécessaire de disposer de deux éléments :
- le barreau d’alimentation fritté qui doit être long, homogène et dense. Il est
placé librement sur la partie supérieure du four.
- le germe constitué de préférence du même matériau fixé sur la partie
inférieure du four.
Figure 5. Représentations schématiques des étapes de la croissance cristalline par fusion
de zone dans un four à images. Sur les figures (b) et (c), la lumière n’est pas représentée
pour alléger les schémas.
Le barreau d’alimentation est chauffé localement par absorption d’énergie lumineuse
et l’on créé ainsi un fort gradient thermique au sein du matériau. Si la puissance
lumineuse fournie est assez importante, le barreau fond (Figure 5(b)). Lorsque la goutte
formée est stable à l’extrémité du barreau, le germe est alors mis en contact avec la zone
fondue. L’ensemble barreau d’alimentation et germe est alors mis en rotation en sens
opposé pour assurer l’homogénéité de la zone fondue. Les vitesses de translation sont
mises en route (Figure 5(c)) de façon à assurer des conditions stationnaires de croissance.
La croissance dans un four à image permet de contrôler les différents paramètres de la
fusion. Ces paramètres sont schématisés sur la figure 6. Il s’agit de :
- La puissance des lampes, liée à la température de la zone fondue et au
gradient thermique où se déroule la cristallisation.
- La vitesse de translation des barreaux (alimentation et germe) qui permet de
contrôler la vitesse de cristallisation.
- La vitesse de rotation qui assure l’homogénéité de la zone fondue.
Figure 6. Paramètres ajustables dans un four à images : puissance des lampes, vitesse de
translation et vitesse de rotation.
5
Le four à image utilisé au laboratoire est de marque Cyberstar. Il est équipé de deux
miroirs elliptiques et deux lampes halogènes de 500 Watts. La croissance s’effectue dans
un tube de travail en quartz.
Pour réaliser une croissance en four à image, il est d’abord nécessaire de réaliser les
barreaux d’alimentation et germes.
3.3. Poudres et mise en forme des barreaux
Les poudres sont élaborées par voie citrate modifiée. Ceci consiste à obtenir des
poudres par calcination d’un gel. Ce dernier est obtenu par une polymérisation
tridimensionnelle d’une solution où sont mélangés les différents cations dans les
proportions stoechiométriques souhaitées. L’intérêt de cette technique réside dans le
piégeage homogène des cations mis en solution dans l’intégralité du volume du gel. Ainsi
lors des calcinations, la diffusion des éléments est facilitée et conduit plus rapidement à la
formation de la phase (Cf figure 7).
Figure 7. Représentation schématique des différentes étapes de la voie citrate modifiée.
Des solutions de nitrates Bi(NO3)2, Sr(NO3)2, Ca(NO3)2, Cu(NO3)2 sont mélangées.
Du citrate d’ammonium est rajouté pour complexer tous les cations. Le gel organique
tridimensionnel est produit en rajoutant de l’acrylamide et du N,N’methylenediacrylamide. La polymérisation est amorcée par de l’AIBN et se produit
quasi-instantanément. Le gel obtenu est calciné à 400°C pendant 2 heures et 700°C
pendant 8 heures pour éliminer les éléments organiques (azote et carbone). La première
étape de deux heures à 400°C a pour but d’évaporer l’important volume d’eau présent
dans le gel. Après un broyage, la poudre est calcinée plusieurs fois avec des re-broyages
intermédiaires pour obtenir la phase la plus pure. La méthode employée ici permet
néanmoins d’assurer une homogénéité maximale du mélange de cations (5 dans le cas du
système Bi2Sr2CaCu2O8 dopé) et de minimiser le nombre des opérations de calcination et
de broyage.
Les poudres sont ensuite placées dans un tube en caoutchouc de 10 à 20 cm de long et
pressées isostatiquement à 3000 Bars. Le barreau ainsi obtenu est fritté pendant 72 heures
sous air à 860 °C dans un four traditionnel pour que sa densification soit maximale, mais
dans le cas de Bi2Sr2CaCu2O8, un frittage classique ne permet pas d’obtenir une densité
supérieure à 75%.
6
La densité du barreau d’alimentation étant un des paramètres important pour obtenir
une zone fondue stable lors de la cristallogenèse, nous réalisons dans le cas du système au
bismuth, une étape de densification appelée « premelting » qui consiste à traiter le
barreau directement dans le four à image. Pour cela, on commence par fondre l’extrémité
du barreau. Après le contact de la goutte avec le germe, une translation rapide du système
est lancée à 25 mm/h. Le barreau obtenu est alors beaucoup plus dense que suite au
frittage, et permet d’enchaîner sur une croissance cristalline dans de bonnes conditions.
3.4. Croissance des monocristaux
A partir du barreau d’alimentation et d’un germe de même composition, on réalise
une croissance lente. La vitesse de translation est maintenue à 0,2 mm/h.
A la fin de la croissance, on obtient une gangue qui correspond à plusieurs phases
coexistantes. Les monocristaux recherchés s’extraient par clivage de la gangue. Les plus
larges peuvent atteindre un volume de 15 mm3 (Cf figure 8).
Figure 8. Photographies (gauche) de la gangue obtenue après la croissance et (droite)
monocristaux extraits de cette gangue.
3.5. Dopage à l’Yttrium
Pour étudier le diagramme et particulièrement la phase de pseudo-gap, il est
nécessaire de faire varier le taux de porteur et pour cela réaliser un dopage de notre
système. Rappelons que le dopage est l’opération qui modifie la concentration des
porteurs de charges dans les plans CuO2. Il existe deux façons de doper le composé : soit
en substituant un cation par un autre de valence différente, soit en ajoutant des oxygènes
supplémentaires. Dans tous les cas, le dopage correspond à un transfert de charges depuis
les blocs réservoirs vers les plans CuO2.
Dans le cas de notre étude, l’introduction continue d’yttrium en substitution sur site
calcium dans le composé Bi2Sr2CaCu2O8+δ entraîne une diminution des porteurs.
Autrement dit, plus la concentration en yttrium est grande, plus le composé est sous-dopé
(Pham 1994).
Figure 9. Evolution de la température critique
de Bi2Sr2Ca1-xYxCu2O8+δ en fonction
de la concentration en yttrium.
7
On peut donc obtenir ainsi une variation de Tc, et donc du taux de porteur en fonction
du dopage, comme l’illustre la figure 9.
Conclusion
A partir de poudres réalisées par voie citrate modifiée, nous pouvons réaliser la
croissance cristalline de monocristaux d’oxydes supraconducteurs. La technique de zone
fondue au four à image permet l’obtention de monocristaux de grande qualité et de
volume important. De plus, en faisant varier le taux de dopant du système, nous pouvons
étudier le diagramme de phase dans son ensemble en particulier pour le système
Bi2Sr2(Ca,Y)Cu2O8+δ
Les propriétés physiques peuvent alors être mesurées grâce aux techniques de
caractérisation suivantes : mesure de transport, mesure d’aimantation, spectroscopie de
réflexion infrarouge (conductivité optique) et mesure de diffraction de neutrons polarisés.
L’ensemble des informations collectées, sur plusieurs systèmes supraconducteurs, devrait
permettre de proposer un mécanisme de formation des paires supraconductrices étayé par
des preuves expérimentales.
Bibliographie
Fauqué B., Sidis Y., Hinkov S., Pailhès S., Lin C.T., Chaud X. et Bourges P., “ Magnetic Order in
the Pseudogap Phase of High-Tc Superconductors”, Physical Review Letters, 96, 197001, 2006.
Gu G. D., et al., “Large single crystal Bi-2212 along the c-axis prepared by floating zone method”,
Journal of Crystal Growth 130, 325, 1993.
Liang B. and C. T. Lin, On the growth of underdoped Bi2Sr2CaCu2O8+δ single crystals fy TSFZ
method. Journal of Crystal Growth 237, 756, 2002.
Maeda H. et al., “A New High-Tc Oxide Superconductor without a Rare Earth Element”, Jpn. J.
Appl. Phys. 27, L209, 1988.
Maljuk A., et al., On the growth of overdoped Bi-2212 single crystals under high oxygen pressure.
Physica C 355, 140, 2001.
Menken M. J. V., et al., Crystal growth of Bi-based (85 K) high-Tc superconducting compounds
with a mirror furnace, Journal of Crystal Growth 113, 9, 1991.
Pham A. Q. et al., Physica C 194, 243, 1994.
Takekawa S., et al., Single crystal growth of the superconductor Bi2.0(Bi0.2Sr1.8Ca1.0)Cu2.0O8.
Journal of Crystal Growth 92, 687, 1988.
8
Téléchargement