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Madame Plaza est une salle de cabaret, le plus vieux de
Marrakech. Une chambre sans âge à laquelle la chorégraphe
Bouchra Ouizguen ne donne formes ni couleurs. Une
réalité nue, sans fard ni voiles, sans parures ni parfum.
Seulement trois sofas sur lesquels se reposent quatre
femmes échouées là, presque par hasard. On ne connaîtra
rien de plus de leur histoire, on sait seulement que la
compagnie Anania rend ici hommage aux Aïta, «ces
chanteuses de cabaret, dépositaires à la fois d’un art venu du
fond des temps et de l’histoire récente du Maroc».
Dans un silence pesant, les corps se meuvent à la vitesse
d’une infusion de menthe, poses alanguies, têtes renversées,
pieds en l’air, ondulations imperceptibles… Quand soudain
l’une d’entre elles danse à la vitesse d’un éclair : les corps
cabossés lâchent leur énergie contenue, dos-à-dos, en
équilibre, au sol. Les chants s’élèvent, rauques, les rires se
déploient. Une vague profonde les soulève dans un cri
collectif, une secousse tellurique ; d’un corps à l’autre la
danse, le chant se répandent. Le quartet parfois se disjoint
tantôt fait bloc, chacune cherchant à s’échapper de ce
cabaret clos que seule l’intrusion d’un homme (subterfuge
du déguisement) pourrait entrouvrir : désirs, domination
masculine, sensualité à fleur de peau… Il suffit qu’un
complet veston blanc pointe le bout de sa braguette pour
semer le chaos, la discorde, bousculer l’ordre établi.
Jusqu’à ce que les tensions s’apaisent à nouveau et que les
corps, adoucis, se rencontrent une fois encore.
Depuis sa création au festival Montpellier Danse 2009 et son
passage au théâtre d’Arles, Madame Plaza divise le public
entre inconditionnels heureux et détracteurs interloqués
qui se demandent après-coup ce qu’ils sont venus faire
dans ce cabaret…
MARIE GODFRIN-GUIDICELLI
Madame Plaza a été présenté par le CNCDC Châteauvallon
aux Rencontres artistiques méditerranéennes du Var le 1er
décembre
La chambre des Aïta
La Fête du livre, les Rencontres artis-
tiques méditerranéenne du Var,
Constellations : du 20 novembre au 12
décembre, le Conseil général du Var a
mené un train d’enfer aux associa-
tions varoises et à ses partenaires. De
quoi faire mentir ceux qui pensaient
qu’il ne se passait jamais rien dans le
83 ! Et le public, dans tout ça ? On le
sait, la palme d’or revient à la Fête du
livre avec 52 000 visiteurs le temps
d’un week-end quand le public des
Rencontres, du fait de leur thématique
(Les nouvelles écritures du spectacle
vivant, de l’identité à la modernité)
et de leur durée (7 jours), est moins
quantifiable, de nombreux spectacles
se déroulant dans l’espace public.
Pour la petite dernière, Constellations,
la communication ayant du retard à
l’allumage, Kubilai Khan Investiga-
tions a dû compter sur ses seules
forces d’attraction.
De cette grande déferlante, on retien-
dra des images fortes, des sensations
de plaisir et des échanges nourriciers.
D’abord et par deux fois, l’incompa-
rable Transports exceptionnels offert
par le chorégraphe Dominique Boivin
aux passants du quai du Port, saisis
de vertige par la performance d’un
danseur (P. Priasso) et d’un conduc-
teur d’engin (E. Lamy) en prise avec
les forces animales d’une pelleteuse.
Dans un registre plus intime, l’Ensem-
ble des Équilibres (Agnès Pyka,
Maire Laurence Rocca) a fait entendre
à une foule intergénérationnelle des
œuvres de Luciano Berio : un pari auda-
cieux -et réussi- sous le regard des
photographies de Jeanloup Sieff accro-
chées à la Maison de la photographie.
Musical toujours, le programme pro-
posé au foyer Campra à l’Opéra de TPM
a permis non seulement de (re)dé-
couvrir l’une des plus belles salles
d’opéra de la région, mais de se frotter
à deux univers mélodiques diamétra-
lement opposés. D’une part la musique
de tables de Thierry de Mey (que
les amateurs d’Anne Teresa de
Keersmaeker connaissent bien) et la
trichromie de Yoshihisa Taïra servis
admirablement par l’Ensemble Poly-
chronies ; d’autre part le langage
universel de Léonard Bernstein chanté
avec bonheur par le Chœur de l’Opé-
ra. Il y eut aussi la journée «jeune
public» du mercredi et les spectacles
de rue en familles le dimanche…
Entre ces rendez-vous festifs, les
Rencontres ont été émaillées de débats
entre les nombreux acteurs culturels
associés, du Var et des Bouches-du-
Rhône, qui ont mis en partage leurs
expériences, croisé leurs projets et
pointé leurs interrogations. Pour la
seule journée consacrée aux «Aspects
du théâtre contemporain», les partici-
pants ont pu expérimenter la méthode
dite de «l’exercice des vagues» de la
metteur en scène Catherine Marnas
en l’intégrant dans leurs pratiques
personnelles ; se nourrir à la source
de l’histoire du théâtre contemporain
en écoutant Michel Corvin «tutoyer»
Beckett, Handke, Régy, Adamov dont
il connaît la moindre tirade. Et encore
Joseph Danan, dramaturge et auteur,
qui s’interrogeait à voix haute : «Peut-
être que le théâtre peut nous redonner
foi en ce monde», paraphrasant Gilles
Deleuze à propos du cinéma…
MARIE GODFRIN-GUIDICELLI
Les Rencontres artistiques
méditerranéennes du Var
se sont déroulées du 26 novembre
au 2 décembre
dans 6 lieux de Toulon
Déferlante varoise
POLITIQUE CULTURELLE
RENCONTRES MÉDITERRANÉENNES DU VAR
Transports exceptionnels © Jean-Louis Fernandez
Correction
Lors notre enquête du mois
dernier, les chiffres commu-
niqués par la Criée quant à
leur subvention de la Ville
dépassaient de 200 000 euros
ceux que nous avions relevés
dans les délibérations (1 million
d’euros au lieu des 800 000). En
fait, la Criée, fort honnête, y
ajoutait la mise à disposition
des lieux par la Ville (c’est-à-
dire une somme estimée qu’elle
ne touche pas), ce que les autres
théâtres ne faisaient pas
(honnêtement aussi d’ailleurs).
Elle ne reçoit donc pas 4
millions de subventions, mais
3,8 millions.
A.F.