PRODUCTEUR PLUS Les sols et l'agriculture, Gérard Millette Ph.D. Chapitre 34 MÉCANISMES DE LA POLLUTION CHIMIQUE lieu dans les sols. Comme point de départ, revoyons la liste des actions et réactions chimiques principales. Bon nombre des processus chimiques mentionnés ont été expliqués précédemment. INTRODUCTION Dans les deux derniers chapitres, je mentionnais que la matière organique est la championne de la pollution de l'environnement, qu'elle contient et produit des milliers de produits chimiques très diversifiés. Mais quels sont les mécanismes en jeu? Comment se produisent ces composés chimiques? Comment agissent-ils? Puisque la pollution est si complexe, il faut s’y attaquer en nuances, procéder par éliminations et poser des centaines ou des milliers de questions. FACTEURS DE SOLUBILITÉ Pour polluer chimiquement l'environnement, l'eau doit contenir des produits chimiques en solution. Ces produits sont, soit présents dans l'eau au départ, soit extraits du sol par dissolution, ou ajoutés par la nature ou par les humains. Les quantités dissoutes de ces produits dépendent de plusieurs facteurs qui affectent d'une façon changeante la solubilité. Parfois, l'agent principalement responsable de ces changements est la nature même de l'élément polluant, le diamètre de l'atome, ou le mécanisme qui rattache l'atome à la molécule. En plus, la quantité totale de cet élément dans le milieu, ainsi que la concurrence d'autres éléments, affectent aussi la sorte et le degré de la pollution. Ajoutons à cela les variations de pH (16, 17), de température, de sortes de sols, du degré d'humidité et j'en passe. LES MÉCANISMES CHIMIQUES Les mécanismes chimiques discutés ci-après couvrent particulièrement ceux de la pollution des eaux et des sols, des sujets traités dans les chapitres 28 à 33 inclusivement. Tous les mécanismes de la chimie obéissent au principe fondamental de cette science : Rien ne se perd, rien ne se crée. On produit des changements seulement. En nature, tout est en évolution continuelle. Dès que change une condition du système écologique pris dans son ensemble, tout le reste du milieu s'ajuste en conséquence. Ceci crée des excès d'un produit aux dépens d'un autre. Ces excès ne sont jamais permanents, mais peuvent durer très longtemps. Aussitôt, le reste du milieu commence à réagir. S'il y a changement dans le milieu écologique, les réactions chimiques seront également modifiées dans leur nature, leur vitesse et leur intensité de réaction. Existe-t-il dans le monde, un système plus compliqué que le milieu écologique? Tout le volume de Hugh McBride, Environmental chemistry of soils (R5), explique et discute les mécanismes de centaines de réactions et actions chimiques qui ont Autrement dit, le même élément peut être plus ou moins polluant selon les conditions où il se trouve. Il est donc essentiel d'expliquer en termes simples les bases scientifiques responsables de toutes ces variations dans les niveaux de pollution chimique de l'eau et des sols. LA STRUCTURE ATOMIQUE Chaque composé chimique a un facteur spécifique de solubilité. Pourquoi le sodium (Na) du sel de cuisine se dis- Figure 34.3 L'eau de ce cours d'eau transporte d'innombrables molécules de produits utilisés comme pesticides ou herbicides. Si elles ne sont pas décomposées dans un certain laps de temps, elles peuvent polluer. 99 PRODUCTEUR PLUS Les sols et l'agriculture, Gérard Millette Ph.D. Chapitre 34 sout-il plus rapidement dans l'eau que le calcium (Ca) ou le potassium (K)? C'est que chaque élément est un atome avec une dimension et une structure spécifiques qui contrôlent sa solubilité. Moins il y a d'électrons négatifs libres, et moins il y a de pelures qui grossissent l'atome, plus l'élément est soluble dans l'eau. En plus, les assemblages de ces ions en molécules compliquées modifient de nouveaux les facteurs de solubilité. Le chapitre 33 a présenté en gros plan le phénomène de l'hydrolyse. Cette fois, j'explique les principes fondamentaux qui régissent la dissolution des composés dans l'eau. Tous les éléments chimiques sont prêts à réagir avec d'autres si leurs atomes sont ionisés (ions) ou électrifiés. Pour être électrifiés, les électrons doivent être en déséquilibre les uns envers les autres. L'atome est la plus petite entité indépendante et organisée physiquement de l'univers. Chaque atome ressemble au système solaire avec un noyau au centre et des satellites qui tournent autour. Le centre correspond au soleil. Il est constitué de protons avec des charges électriques positives actives et des neutrons, qui sont neutres mais susceptibles de devenir des protons. Autour du soleil formé de protons gravitent des électrons chargés d'électricité négative, que les protons attirent. Ils suivent des trajectoires autour des protons comme la terre et les autres astres le font autour du soleil. Comme les astres, les électrons négatifs gravitent à des distances différentes du noyau central. Ils forment alors des sphères autour du noyau, qui sont superposées les unes aux autres comme les pelures superposées d'un oignon. Chaque pelure a un réseau de satellites fixé d'avance par la nature. C'est ce qui fait que du sodium (Na) ne peut pas être du calcium (Ca), ou du cuivre (Cu) être du fer (Fe), et que chaque élément a ses propriétés particulières. Donc, le nombre d'électrons électronégatifs est prédéterminé sur une pelure à une distance également prédéterminée, ce qui établit son facteur de solubilité. Par exemple, l'atome le plus petit n'a qu'une seule pelure et celle-ci ne peut contenir que 2 électrons négatifs au maximum. S'il y a plus d'électrons, il faut rajouter une autre pelure. Le plus petit atome n'a qu'un proton positif et un électron négatif, avec une seule pelure, c'est l'hydrogène (Figure 34.1). électrons dont 2 sont sur la première pelure et les 6 autres sur la seconde. Pour atteindre le nombre stable de 8 électrons sur la deuxième pelure, il lui manque 2 charges négatives, c'està-dire 2 électrons. Donc, on l'écrit O=. S'il y a 2 atomes d'hydrogène tout près, chacun ira placer son électron négatif sur la deuxième pelure de l'oxygène, pour atteindre le niveau de stabilité de 8 électrons dans la deuxième pelure afin d'équilibrer les 8 protons positifs de cette deuxième pelure (Figure 34.2). Ceci est la formule chimique de l'eau. L'élément inerte qui ne réagit pas chimiquement, parce que sa deuxième pelure est saturée de 8 électrons, est le gaz néon (Ne). La troisième pelure peut contenir un maximum de 8 électrons également. Il y a 7 pelures en tout, avec un nombre d'électrons qui va en augmentant, jusqu'à atteindre 32 sur la sixième pelure et se terminer avec 23 sur la septième, pour un total de 109 éléments connus. En plus du nombre d'électrons négatifs libres qui affectent la solubilité d'un élément dans l'eau, il y a sa dimension qui l'affecte aussi. Par exemple, le sodium Na+ avec un numéro atomique de 11 est plus soluble que le potassium K+ dont le numéro est 19. Pourtant, les deux ions ont un seul électron négatif disponible. C'est que le sodium Na+ a son électron négatif sur une troisième pelure tandis que le potassium K+ a le sien sur une quatrième pelure. Donc il est plus gros, et par conséquent moins soluble. Le facteur de solubilité dans l'eau est le nombre de charges négatives disponibles sur la même pelure pour réagir. Le sodium Na+, avec un numéro atomique de 11, est plus soluble dans l'eau que le magnésium Mg++ qui a un numéro atomique de 12, avec deux électrons négatifs sur la troisième et même pelure que le sodium Na+. Par contre le calcium Ca++, qui a également deux électrons négatifs, est aussi moins soluble que le magnésium Mg++ parce que son numéro atomique est 20. Donc, les deux électrons sont situés C'est pourquoi l'hydrogène est le plus actif des atomes qui réagissent avec tous les atomes qui recherchent un électron à ajouter sur une pelure. Deux atomes d'hydrogène peuvent donc s'unir pour avoir une première pelure équilibrée, ce qui donne du H2. Par contre, le seul autre élément qui n'a qu'une pelure autour de son noyau de deux protons positifs et qui contient 2 électrons négatifs s'appelle hélium (He) (Figure 34.1). C'est un gaz stable, inerte, plus léger que l'air, parce que la première pelure sature les deux protons positifs et équilibre ainsi les deux électrons négatifs. Il ne peut réagir avec aucun autre élément parce que la seule pelure d'électrons qu'il possède est saturée. Pourquoi une molécule d'eau est-elle du H2O? Parce que l'oxygène (O) a deux pelures. La seconde peut contenir un maximum de 8 électrons négatifs. L'oxygène (O) a, en tout, 8 100 Figure 34.1 Croquis A H2 H+ P e e P He e e P e P Figure 34.2 Une molécule d’eau H+ P e e e P Protons e Électrons Pelure H+ e P e Légende : O= e e e P = H20 PRODUCTEUR PLUS Les sols et l'agriculture, Gérard Millette Ph.D. Chapitre 34 sur une quatrième pelure. L'aluminium Al+++ a un numéro atomique de 13, avec 3 pelures, comme le sodium Na+, mais est beaucoup moins soluble que ce dernier parce qu'il a 3 électrons négatifs à insérer sur d'autres atomes. Il peut aussi recevoir 5 électrons négatifs d'autres ions pour compléter son chiffre de 8 électrons dans la troisième pelure. Il s'indique alors Al-----, à qui il manque 5 électrons négatifs. Enfin, des éléments comme le carbone C++++, qui a un numéro atomique de 6 avec 4 électrons disponibles dans la seconde pelure, et le silicium, dont le numéro atomique est 14, avec 4 électrons disponibles cette fois sur la troisième pelure, sont peu solubles dans l'eau parce que chacun peut donner ou recevoir 4 électrons négatifs pour obtenir une pelure équilibrée de 8 électrons. Le carbone a 2 pelures et forme des produits très stables, qui sont combustibles. Le silicium peut également donner ou recevoir 4 électrons négatifs, cette fois sur la troisième pelure. Il est encore plus stable que le carbone parce qu'il brûle très difficilement. Il est la base des grains de sable. Ceci explique pourquoi, après des centaines de millions d'années, des millions de tonnes de sodium Na+ ont été dissoutes, combinées au chlore Cl-, et transportées par les eaux de surface dans les océans dont l'eau est salée, et nous ont laissé des résidus sableux, souvent enfouis, que l'on exploite comme les mines de sels de phosphates, de potassium, etc. LES LIENS CHIMIQUES Aux facteurs précédents, qui contrôlent en partie la solubilité des éléments dans l'eau, s'ajoutent les types d'unions entre ces éléments, pour former une molécule de produit chimique. Je ne mentionnerai que les 3 liens principaux: le lien ionique, le covalent, et le dipolaire. Le lien ionique est le plus connu et le plus courant entre deux ions d'éléments différents. Le sodium Na+, qui a un électron négatif à donner, réagit rapidement avec du chlore Cl- à qui il manque un lien ionique pour former du chlorure de sodium ClNa. C'est notre sel de cuisine. Il est très soluble. Le lien covalent est le plus puissant. Il domine dans les composés organiques, faits surtout de carbone C++++ ou de Si++++. Cette fois, chaque ion partage le lien avec l'autre ion, de sorte que l'on a deux attaches pour chaque lien entre les deux éléments, au lieu d'un seul. C'est le genre de lien qui donne les composés organiques stables et généralement peu solubles dans l'eau. A titre d'exemple, le CO2 qui unit un ion de carbone C++++ avec 2 ions d'oxygène est stable et peu soluble dans l'eau (O=C=O=) ou CO2. C'est pourquoi le CO2 que l'on injecte sous pression dans le liquide d'une boisson gazeuse s'échappe quand on décapsule la bouteille. Les molécules de CO2 s'étaient comprimées pour se loger entre les molécules d'eau, sans s'y dissoudre. Dès que la pression atmosphérique normale est rétablie en ouvrant la bouteille, les molécules du gaz CO2 s'échappent. Les composés organiques, faits principalement de carbone C++++, le charbon, les produits pétroliers et les plastiques, sont aussi peu solubles dans l'eau, pour ces raisons. Les mêmes explications s'appliquent aux composés avec le silicium, (O=Si=O=) ou SiO2, le sable. Enfin, le lien dipolaire est le plus faible des trois. Il résulte d'un déséquilibre électrique entre les atomes d'une même molécule. Les charges oscillent les unes entre les autres sans arrêt, mais il reste toujours une place disponible pour s'unir chez un voisin, puis le relâcher, le reprendre, et ainsi de suite. Les produits chélatés décrits au chapitre 2 ont ce genre de lien dipolaire. Beaucoup de ces produits sont utilisés dans la fabrication d'herbicides ou d'insecticides ainsi que pour solubiliser des éléments peu solubles comme le fer et le cuivre pour les rendre disponibles pour les plantes. Beaucoup de molécules de produits utilisés comme pesticides ou herbicides dépendent des réactions dipolaires pour s'accrocher au sol tout en demeurant facilement solubles, donc disponibles dans l'eau afin d'exercer leurs fonctions. Par conséquent, si ces molécules ne sont pas décomposées dans un certain laps de temps, elles peuvent polluer. Le cas du phosphore P---, pollueur (13) dans les engrais organiques, est un cas classique. Accroché aux molécules organiques par dipolarité, il pollue. Uni par lien ionique dans les engrais minéraux, il ne pollue pas. On peut dire la même chose de l'arsenic, que l'on a utilisé longtemps comme insecticide contre les doryphores de la pomme de terre. On le mélangeait à la bouillie bordelaise, employée comme fongicide. L'atome d'arsenic As-- est à court de 3 électrons comme le phosphore, mais sur une quatrième pelure, au lieu de la troisième pour ce dernier. Une fois dissout, l'arsenic As--- pouvait développer des liens dipolaires avec les substances organiques et aggraver les dangers de pollution possible de l'eau du sol et de son absorption possible par les plantes, comme si c'était du phosphore. AUTRES MÉCANISMES On peut ajouter toute une série d'autres mécanismes pour solubiliser des éléments chimiques dans le sol. Certains, comme l'hydrolyse, l'oxydation, la réduction, la dégradation photochimique, ont été décrits dans au chapitre 33. On peut y ajouter l'hydratation, la polymérisation, la diffusion par osmose, etc. L'hydratation est le mécanisme qui fixe une molécule d'eau sur un composé chimique existant. Ceci le transforme en hydrate. On peut mesurer la force qui rattache la molécule d'eau au composé existant par la chaleur qui se dégage en y ajoutant de l'eau. C'est le phénomène de la chaux vive, l'oxyde de calcium CaO, qui chauffe l'eau quand on l'hydrate. Elle devient de l'hydroxyde de calcium Ca(OH)2, ou de la chaux éteinte (18). L'oxyde de sodium Na2O qui reçoit de l'eau réagit violemment. Il s'hydrate en dégageant instantanément beaucoup plus de chaleur que l'oxyde de calcium, parce qu'il n'a qu'un électron sur la troisième pelure alors que le calcium Ca++ a deux électrons disponibles sur la quatrième pelure. Une autre indication que plus un ion est petit et plus le nombre d'électrons disponibles est faible, plus il est actif. La polymérisation est le phénomène des molécules qui s'attachent les unes aux autres, souvent par lien covalent. Les produits sont stables et généralement moins solubles dans l'eau que chacun des produits constituants pris séparément. 101 PRODUCTEUR PLUS Les sols et l'agriculture, Gérard Millette Ph.D. Chapitre 34 Enfin, la diffusion par osmose a été discutée au chapitre 31 pour montrer la protection dérisoire que nous offre le tapissage des dépotoirs avec une couche d'argile. POISON OU MÉDICAMENT? Enfin, il y a les limites de tolérance que possèdent les humains envers les produits chimiques. Où se situe la limite de chacun ? Pendant plusieurs décennies, les médecins ont recommandé le calomel, du chlorure de mercure, comme médicament pour purger et/ou pour activer la sécrétion de la bile chez les patients. Aujourd'hui on s'affole de la pollution au mercure ! Il y a 40 ans, on utilisait en Europe l'arsenic As--- pour détruire les amibes dans les intestins des humains, mais on s'en servait aussi comme poison à rats. Pendant des décennies on a ajouté du fluor à l'eau de consommation de nombreuses villes américaines, pour améliorer la qualité des dents des enfants. Ceci s’est avéré une pollution à cause des effets secondaires imprévus. Une étude survenue 25 ans plus tard révélait que les cas d'ostéoporose étaient 50 % plus élevés dans les villes où on avait ajouté du fluor F- à l'eau potable. AUTRES COMPLICATIONS On doit réaliser que toutes les conditions et réactions chimiques décrites et discutées précédemment subissent en plus les changements de conditions environnementales. Ceci comprend les changements de pH dus au chaulage ou à l'apport de substances acidifiantes, les changements de température, de concentrations des composés chimiques, et les effets des nouveaux composés que les déchets organiques ajoutent au sol continuellement. Par exemple, en février 2000, le mensuel québécois "Protégez-vous" rapportait que des suppléments naturels préparés à partir d'algues bleu-vert, pour renforcer le système immunitaire, etc., contenaient de la microcystine. Cette toxine s'accumule dans le foie, causant des lésions irréversibles. Le gouvernement du Canada hésite à en interdire la vente parce la production de la microcystine en nature est imprévisible. Elle varie continuellement en fonction de l'exposition de la plante au soleil pendant sa croissance. La nature et la quantité de composés polluants dans l'eau et le sol sont presque imprévisibles, à quelque moment spécifique que ce soit. Plus on ajoute des mélanges organiques au sol, plus on augmente la quantité et les variétés de polluants potentiels. Il n'y a rien de plus polluant que l'agriculture organique. Déjà, les résidus abondants de plantes en décomposition apportent leur cocktail de produits chimiques. Pourquoi faut-il y ajouter des fumiers, des lisiers, des composts, etc.? Les 4 300 dépotoirs officiels polluent déjà partout au Québec. On bannit les incinérateurs (31). Aucun règlement simpliste ne résoudra le problème de la pollution chimique due à l'agriculture. Les résidus de récoltes polluent naturellement. N'y ajoutons pas d'autres ingrédients pour "améliorer" le cocktail! Bannissons la fertilisation de sources organiques d'abord. Il sera possible ensuite, pour réduire la pollution chimique, de cibler de la recherche sur des sources spécifiques de pollution provenant de résidus. Cette recherche devra identifier quels produits polluent en rapport avec la source complexe de ces produits, le degré variable de décomposition, les variations du milieu écologique, les pH variables, les températures, l'humidité et les variations de sols, de perméabilité, de pouvoirs de rétention, etc. Figure 34.4 Phénomène courant, pour un producteur agricole que ce limon accumulé en bordure de fossé. Que contient-il précisément ? 102