LIENS – Nouvelle Série N° 5 93
LA PHILOSOPHIE ET SON ENSEIGNEMENT
Jean-Pierre Faye
Ecole Normale Supérieure
-DAKAR
Résumé
Comment enseigner la philosophie ? Quels sont les problèmes ou les obstacles
auxquels se heurtent ceux qui pratiquent cette discipline ? Mais, d’abord, pour
ce qui concerne la philosophie, peut-on parler de modèles pédagogiques
comme on parle de procédés didactiques ? Ce propos est une tentative pour
élucider toutes ces questions.
Abstract
How philosophy should be taught? What are the problems and the obstacles
encountered by those who practise such a subject? To begin with however, can
we talk about a pedagogical model as far as philosophy is concerned, can we
talk about pedagogical models as we talk about teaching procedures? This
paper is an attempt to discuss all these issues.
INTRODUCTION
Le but de la didactique est de former des enseignants chevronnés, pour lesquels
il y aurait moins d’obstacles pédagogiques, parce que le savoir-faire concocté
par la science dite didactique leur aura suggéré autant de solutions possibles.
Ainsi, la logique voudrait que le stagiaire ou l’élève professeur qui a assimilé
les recettes didactiques devienne aussi un bon enseignant, et qu’un mauvais
pédagogue ne saurait avoir fait de la didactique, ou s’il en avait fait, c’est parce
qu’il en aurait mal assimilé les recettes. Le terme de « didactique » évoque ce
que fort justement, à notre avis, un certain J. M. Vienne appelle […] une
dimension technique, un agir réglé, où la contingence d’un savoir-faire est
requise pour lier le savoir accumulé aux démarches hésitantes
d’apprentissage.1
1. Pédagogie ou didactique
1 Cahiers Binet Simon,,Ramonville, no645,Saint-Agne, Ed. Erès 1995, p. 57.
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A quoi sert une didactique de la philosophie ? Ce détour nous conduit au
sérieux de la question, c’est-à-dire, au-delà d’elle, à ce qui lui donne toute son
importance et qui fait qu’on s’interroge. La question pourrait être autrement
posée, en l’élargissant à la discipline générale elle-même, comme suit : à quoi
sert la didactique, et plus particulièrement, pour nous, une didactique de la
philosophie ? Nous voudrions présenter ici, à titre simplement illustratif,
quelques techniques didactiques parmi celles appliquées dans le Programme de
formation au Département de philosophie. Auparavant, il importe de
reconntre que la formation de Formateurs présuppose toujours une matière
qui en constitue, d’une part, le support dynamique, d’autre part, la résistance à
vaincre. Expliquons-nous : chaque année, le Département de philosophie de
l’E.N.S. recrute, par voie de concours, des stagiaires parmi les étudiants ayant
soutenu une Maîtrise en philosophie. Ceux-ci ont donc des compétences
théoriques, en somme un savoir philosophique qui leur permet de discuter et de
donner leur avis sur les questions de philosophie, du moins en principe.
Mais entre ce savoir théorique accumulé lors du cursus universitaire et le
savoir-faire intellectuel qui sera exigé d’eux, il y a le dium de
l’apprentissage de l’acte d’enseigner qui correspond à la mtrise progressive
des contenus du Programme. Même si le diplôme universitaire est un passage
obligé, il ne garantit pas pour autant un bon enseignant. En tout cas, pas celui
qui débute dans la profession. Et les arguments des adversaires de la didactique
de la philosophie ne font guère le poids face à l’efficacité constatée de
l’enseignement par objectifs. Les choses deviennent plus compliquées quand
on compare les Programmes d’enseignement universitaire avec le Programme
de philosophie en classe terminale. Il y a là un problème. Car, étant donné que
la destination première des maîtrisards en philosophie est l’Enseignement
secondaire, alors, peut-être conviendrait-il mieux d’ajuster ces Programmes à
celui auquel est astreint un professeur du Secondaire. Ici, les thèmes
constitutifs du Programme ne sont pas tous philosophiques au départ, par
exemple au Domaine no 2. A première vue, celui-ci interpelle plus aisément, et
selon le cas, le sociologue, le psychologue et le psychanalyste, léconomiste,
etc., plutôt que celui qui s’est exercé à la philosophie pure. Dès lors, il existe,
pour un formateur, un problème presque à cornes, celui de devoir expliquer à
nos stagiaires qu’il y a une manière philosophique d’aborder n’importe quelle
question, même si elle est, pour certains, d’apparence non philosophique. M.
Heidegger a dit que[…]si le biologiste, en tant que personne déterminée, en
vient pour sa propre part à décider ce qui est à appréhender en tant que vivant,
il arrête sa décision non point en tant que biologiste, non point par les moyens
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ni les formes de penser et de démonstration de sa propre science, mais il se
prononce en tant que métaphysicien, soit en tant qu’un homme qui, par delà le
domaine scientifique en question, pense l’étant dans son ensemble. 2
Les visites de classe que nous faisons régulièrement nous permettent de
constater que la plupart de ces notions-là sont abordées d’une manière
descriptive, au lieu qu’elles donnent l’occasion d’une conceptualisation, d’une
problématisation et d’une argumentation selon les thèses proprement
philosophiques. Nous nous sommes alors demandé si le concours du
sociologue, du psychologue, de l’économiste, etc. , n’eut pas été de loin plus
profitable aux élèves. Mais cela eut été sans intérêt philosophique. Il y a
problème tout de même, parce que la plupart des étudiants qui viennent de
l’Université brillent par leur ignorance des grandes doctrines et des systèmes
philosophiques. Et, plus tard, une fois en exercice, leurs cours en subissent les
contre coups, parce qu’ils sont laborieux et, le plus souvent, standardisés. Car,
à en juger d’après leur pratique de la classe, nos nouveaux professeurs
reproduisent tous, ou presque, chaque année, les mêmes schèmes de pensée et
d’exposés en grande partie puisés dans les Manuels de philosophie des classes
terminales. Il s’y ajoute la rareté des sources d’information et le coup onéreux
des ouvrages. Il y a, à cela, des conséquences négatives, tel le peu
d’enthousiasme pour la discipline, qui se réduit alors en un simple moyen de
survie.
L’ambition affichée avec les dispositifs et procédés didactiques est de réduire
au minimum les obstacles pédagogiques. Nous voudrions, en la circonstance,
choisir un exemple, et le soumettre à votre appréciation : le Micro-
enseignement. Le procédé s’y articule autour de grilles d’aptitude pédagogique.
Nous n’en choisirons que quatre. Cette épreuve trouvera à s’appliquer, plus
tard, pendant les leçons d’essai, au lycée d’application de l’Ecole normale
supérieure. Une telle épreuve, où la pédagogie est soumise à la didactique, est
incommoment vécue par les stagiaires. Cela pourrait être dû aux conditions
artificielles de sonroulement :
- choix du cadre : un studio ;
- temps de prestation trop court ( 5 ou 7\mn ) ;
- impression d’être en situation de compétition forcée ;
- sentiment d’être réduit à une mécanique dont les moindres gestes
sont captés pour être soumis à l’observateur critique.
Aptitude Finalités
2 Heidegger M., Nietzsche, TI,trad. Klossovski P., Gallimard, 1971, p.405.
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1. Savoir exposer
.Clarté dans l’exposition des idées ;
.logique dans leur présentation ;
.champ du discours réduit à ce qui est
censé être l’essentiel quant à l’objectif
fixé au départ ;
.apprentissage de la conceptualisation
des notions.
2. Savoir poser des questions
A surveiller :
- fréquence des questions ;
- intérêt et opportunité des
questions ;
- variété des types de
questions ;
- reformulation des questions ;
-ordre de sollicitation des
réponses ;
- accueil et traitement des
réponses.
.Apprendre à diriger un débat et à en
cadrer les objectifs – pédagogie
directive ;
.esprit d’ouverture de patience et de
tolérance.
3.Savoir faire participer
- motivation ;
- exigence de propos clairs,
plausibles, et de leur
exploitation ;
- favoriser le dialogue entre
élèves, etc.
Dynamique de groupe :
- provoquer
- stimuler l’intérêt des élèves ;
- accroître
. Sollicitude+disponibilité ;
. Protéger le cours du monologue,
genre « cours magistral » ;
. Relation triangulaire : professeur \
élèves ;
élèves \ élèves ; élèves \ professeur.
4.Savoir communiquer
- Attention des éves ;
- correction de l’expression ;
- diction : audibilité ;
- débit : modération.
. Savoir ce que parler veut dire ;
. Savoir justifier ses idées, argumenter,
imposer son autorité (comme dans
« Savoir
poser des questions ») en évitant les
sorties
ou propos hors contexte.
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Bref, il y a là autant de conditions et de conditionnements pour une pensée
figée, donc apparemment contraire à l’authentique et généreuse pensée
philosophique
Remarques
La didactique de la philosophie ne fait pas l’unanimité chez les spécialistes des
questions pédagogiques. Elle est devenue, en France, l’objet de débats dans des
Séminaires, des Colloques ou dans des Revues scientifiques, en particulier la
revue L’Enseignement philosophique3. L’on peut citer aussi l’importante thèse
de Doctorat d’Etat de M. Tozzi, Vers une didactique de l’apprentissage du
philosopher, soutenue en 1992 à l’Université Lumière, Lyon II4
L’enseignement de la philosophie est, dit-on, un art et non une technique. Or,
d’après les adversaires de la didactique de la philosophie, un art qui n’est tel
qu’en tant qu’épanouissement libre de l’esprit, ne saurait se développer dans
des conditions de rigorisme didactique. Il se trouve que la méthode didactique,
pour être précis, la pédagogie dite par objectifs (PPO), revient à une
technicisation de l’art d’enseigner qui est au fond une manière d’aliéner le
dispensateur de la pensée libre, à savoir, le professeur de philosophie lui-
même. Il y a tout de même quelque chose de positif à cela, car, la pensée libre
ne doit être confondue ni avec la libre pensée, ni avec la pensée libérée. Il y a
des contraintes didactiques auxquelles aucune pédagogie ne saurait se
soustraire, et cela va de la thématique imposée par l’Institution aux conditions
relationnelles de la transmission du savoir philosophique. Ceci reste valable
pour toutes les disciplines d’enseignement. Et, de toute manière, la pensée est
toujours piégée quand elle en vient à se traduire en paroles dans l’instance du
rapport à l’autre. L’acte de penser est différent de l’acte de dialoguer, car, ici,
face à l’écoute, le penseur se trouve dans l’obligation d’ajuster sa pensée, parce
qu’il est prévenu de toute dérive du discours. Ceci m’amène à tenter une
esquisse des traits de ce que pourrait être ou devrait être, au regard des
exigences de la discipline, le modèle de l’enseignant de philosophie.
2. Du profil de lenseignant de philosophie
3 Cf. Stages MAFPEN de1992, voir no de novembre-décembre ; Supplément au no 3,janvier-
février 1993 intitulé : Quel avenir pour les IUFM ?
4 Il est aussi l’auteur d’une Contribution à une didactique de l’apprentissage du philosopher, in
Revue française de pédagogie, INRP, avril-mai-juin 1993.
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