Agir contre le changement climatique
dossier
12 / janvier - février 2015 / n°448
Par Jean Jouzel
Directeur de recherches au CEA
Chercheur au Laboratoire des sciences du
climat et de l’environnement (CEA-CNRS-
UVSQ), une des composantes de l’IPSL
Le récent rapport intitulé « Le
Changement climatique en France au
XXIe siècle », remis à Ségolène Royal en
septembre dernier, apporte des éléments
de réponse. Ce document répond à une
demande du ministère de l’Écologie, du
Développement durable et de l’Énergie,
d’établir une « synthèse approfondie sur
les scénarios de référence à considérer
pour la mise en œuvre du plan national
d’adaptation français au changement
climatique », dans le cadre d’une mission de
coordination qui m’a été confiée par Chantal
Jouanno, alors secrétaire d’État chargée
de l’Écologie, en juillet 2010. Chaque
année, ce rapport, réalisé en collaboration
avec l’Onerc (Observatoire national des
effets du réchauffement climatique) aborde
des aspects différents. Celui publié en
2014 est particulièrement intéressant,
car il permet de décliner les nouveaux
scénarios du Giec (cf travaux d’Hervé Le
Treut) à l’échelle de la France, grâce à un
couplage avec des modèles climatiques
régionaux réalisé par le CNRM (Centre
national de recherches météorologiques
de Météo-France) et l’IPSL (Institut Pierre
Simon Laplace) en collaboration avec
l’Ineris (Institut national de l’environnement
industriel et des risques).
Le réchauffement climatique affecte
l’ensemble de la planète. L’année 2014 a
été la plus chaude que notre pays ait connue
depuis le début du XXe siècle, et sur cette
période le réchauffement, voisin de 1,3°C,
y a été plus élevé qu’en moyenne globale
(0,85°C). Cette amplification, observée sur
la plupart des continents qui se réchauffent
plus vite que les océans, vaut également
pour l’évolution future de notre climat.
Les simulations du CNRM et de l’IPSL, dont
nous présentons ci-dessous les principaux
résultats pour la France, ont été réalisées
pour 3 des scénarios du Giec, le scénario
émetteur (RCP8.5), le scénario sobre
(RCP2.6) et un des scénarios intermédiaires
(RCP4.5). La régionalisation des simulations
globales de départ a été réalisée de façon de
passer de la résolution la plus basse utilisée
par les modèles globaux, de l’ordre de
200 km, à une résolution de 12 km. En
dehors de la France métropolitaine, le
CNRM a suivi la même approche pour la
Polynésie, la Réunion, la Nouvelle-Calédonie
et les Antilles. Les principales variables
climatiques disponibles portent sur les
températures et précipitations moyennes,
les indices de vagues de froid, de chaleur,
de sécheresse et de précipitations extrêmes.
Le rapport s’est attaché à représenter le
plus correctement possible les incertitudes
en analysant un ensemble plus large de
simulations réalisées, dans le cadre d’un
projet européen, avec différents modèles dont
la dispersion des résultats est utilisée pour
illustrer l’importance de ces incertitudes.
Par souci de lisibilité, nous ne citerons
pas systématiquement ces estimations de
l’incertitude mais nous invitons le lecteur
à se référer au rapport complet disponible
sur le site de l’Onerc, l’ensemble des
résultats étant accessible sur le portail Drias
(http://www.driasclimat.fr/). Les simulations
couvrent la période 1950-2100, et, tout
comme à l’échelle globale, les changements
les plus marqués par rapport au climat
actuel (période de référence 1976-2005)
sont simulés pour la fin de cette période
(2071-2100) dans le cas du scénario
émetteur. La fin du siècle pourrait alors se
caractériser par :
une forte hausse des températures
moyennes comprise entre 3,4 et 3,6°C
en hiver et entre 2,6 et 5,3°C en été. Elle
devrait être particulièrement marquée
en allant vers le Sud-Est du pays et
pourrait largement dépasser les 5°C
en été ; tous les modèles s’accordent
sur une répartition croissante de cette
augmentation selon un axe Nord-Ouest/
Sud-est. Cette hausse serait associée à
une forte augmentation du nombre de
jours de vagues de chaleur qui pourrait
dépasser les 20 jours. L’examen des
Les enjeux du changement
climatique en France1
Les conclusions du dernier
rapport du Giec sont
claires : le réchauffement
climatique observé depuis
le milieu du XXe siècle
est sans équivoque, et
sans précédent depuis
des décennies, voire
des millénaires ; il est
extrêmement probable que
l’influence de l’homme
en est la cause principale
et de nouvelles émissions
de gaz à effet de serre
impliqueront une poursuite
du réchauffement et des
changements affectant
toutes les composantes
du système climatique.
Au-delà de ces conclusions
à caractère global, qu’en
est-il pour la France ?
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résultats, année après année, indique
l’été 2003, environ 3°C plus chaud qu’un
été moyen du XXe siècle, deviendrait la
norme dans la seconde partie de ce siècle
avec, pour certaines des simulations, des
étés caniculaires qui vers la fin du siècle
pourraient être 7 à 8°C plus chauds
qu’un été de référence. Dans les régions
d’outre-mer, le réchauffement, compris
entre 3 et 3,5°C, serait bien marqué
mais un peu moins qu’en métropole.
Autre caractéristique : une diminution
des extrêmes froids, entre 6 et 10 jours,
dans le Nord-Est de la France, plus limitée
dans l’extrême Sud. Enfin, il est important
de noter que, dans le cas du scénario
émetteur, le réchauffement se poursuit
au-delà de 2100. D’après le rapport du
Giec, le réchauffement planétaire pourrait
atteindre 8°C, voire plus, en 2300 ;
une hausse des précipitations hivernales
et, dans le cas du modèle du CNRM, une
diminution des précipitations estivales
qui pourrait être comprise entre 15 et
35 mm (à l’inverse le modèle de l’IPSL
simule une augmentation du même ordre
de grandeur). Le taux de précipitations
extrêmes serait renforcé sur une large
partie du territoire dépassant 5 % dans
certaines régions (et atteignant 10 % dans
les régions du Nord-Est) mais avec une
forte variabilité des zones concernées selon
les modèles. Les épisodes de sécheresse
augmenteraient dans une large partie Sud
du pays, cette caractéristique pouvant
s’étendre à l’ensemble du pays pour
l’un des deux modèles. Sur l’ensemble
des régions d’outre-mer, les résultats
mettent en évidence une diminution des
précipitations moyennes, en particulier
pour la saison sèche ;
une diminution ou une stabilisation
de la fréquence globale des cyclones
tropicaux dans ces régions tandis que
les précipitations moyennes et la vitesse
moyenne du vent maximal qui y seront
associées augmenteraient probablement.
En métropole, les résultats sur l’évolution
des vents sont contrastés tout au moins
sur la partie Nord du pays, le modèle
du CNRM indiquant que l’intensité des
vents violents pourrait être amenée à
diminuer tandis que celui de l’IPSL y
simule une augmentation ; ces résultats
ne permettent donc pas de tirer des
conclusions sur la fréquence.
À un horizon plus proche, d’ici une vingtaine
d’années (période 2021-2050 centrée sur
2035), l’évolution du climat dépend peu
des scénarios d’émission des gaz à effet
de serre. Cela vaut aussi bien à l’échelle
planétaire que pour notre pays. Notre climat
sera caractérisé par :
une hausse des températures moyennes
comprise entre 1,6 et 3°C. Cette hausse
devrait être plus importante dans le
Sud-Est de la France en été, pouvant y
atteindre 1,5 à 2°C ;
une augmentation du nombre de jours
de vagues de chaleur en été, comprise
entre 0 et 5 jours sur l’ensemble du
territoire, voire de 5 à 10 jours dans le
quart Sud-est, et une diminution des
jours anormalement froids, entre 1 et
4 jours en moyenne, et jusqu’à 6 jours
au Nord-Est du pays ;
une légère hausse des précipitations
moyennes, en été comme en hiver,
avec une forte incertitude sur la
répartition géographique de ce
changement, accompagnée de faibles
changements des pourcentages de
précipitations extrêmes.
Dans le cas du scénario sobre (RCP2.6), le
climat évoluerait peu entre le milieu et la fin
du siècle. Ainsi, sur la période 2071-2100,
la hausse des températures moyennes
serait limitée à 0,9°C en hiver et de 1,3°C
en été, valeurs tout à fait comparables à
celles simulées sur la période 2021-2050
avec ce même scénario. Cette conclusion
vaut également pour les autres paramètres,
quantité et intensité des précipitations,
sécheresses, vagues de chaleur.
Mieux qu’un long discours, la comparaison
pour notre pays des scénarios émetteur
d’une part, sobre, de l’autre, illustrent
l’absolue nécessité de nous orienter à
l’échelle planétaire vers un scénario peu
émetteur en carbone, et donc vers un mode
de développement différent de celui des
dernières décennies. Cela est d’autant plus
vrai que le scénario émetteur se traduirait
par d’autres conséquences que celles
évoquées ici, quasi disparation de nos
glaciers hormis ceux de très haute altitude,
diminution de l’enneigement, modifications
des écosystèmes naturels, perte de
biodiversité, diminution des rendements
agricoles, conséquences sur la viticulture,
acidification de l’océan avec des impacts
sur la productivité océanique et sur les récifs
coralliens, influence sur les populations,
leur santé et les flux migratoires liés aux
réfugiés climatiques... Enfin, l’élévation
du niveau de la mer pourrait atteindre
près de 1 mètre d’ici la fin du siècle et se
poursuivre au-delà, avec des conséquences
importantes sur nos régions côtières qui
feront d’ailleurs l’objet du « rapport 2015
sur le climat de la France ».
Il est essentiel pour la planète que la
conférence de Paris se traduise par un
accord ambitieux qui préserve la possibilité
de limiter du réchauffement climatique à
long terme à 2°C par rapport au climat
préindustriel. Cela vaut aussi pour notre
pays même si la France n’est pas au rang
des régions les plus vulnérables face à ce
réchauffement.
1 - Cet article s’appuie largement sur le rapport 2014 « Le Climat sur la France
au XXIe siècle », dont je remercie les auteurs, G.Ouzeau, M.Déqué, M.Jouini,
S.Planton, R.Vautard et M.Vrac.
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