poser la question de savoir comment la société italienne et les Italiens
regardent l’islam et les musulmans, c’est-à-dire comment ils
produisent, nomment et propagent l’islam et les musulmans. En effet,
l’émergence de l’islam dans l’espace public italien, ainsi que le regard
de ceux que l’on appelle ici « les leaders de l’islam en Italie », ne
peuvent pas être analysés sans prendre en compte le fait qu’en Italie,
l’islam lui-même devient, malgré les musulmans qui l’incarnent,
l'expression non seulement de l’altérité, mais également d’une altérité
qui fait peur. En effet, la rapidité avec laquelle l’Italie est devenue un
pays d’immigration, accompagnée de l'alarmisme intéressé d’une
partie des médias, de la classe politique et de certains intellectuels, a
favorisé la diffusion d’un sentiment d’« invasion » et d’un racisme
nouveau, qui trouve dans l’islam sa cible principale1. De plus, si l’on
ajoute à cela les événements internationaux et la diffusion insidieuse
de l’idéologie de « la guerre des civilisations », une perception
fortement conflictuelle finit par envahir une bonne partie de la société
italienne. Comme le dit justement le sociologue de l’islam Stefano
Allievi, « nous sommes face à un processus d’intégration
substantielle, mais aussi de perception conflictuelle »2. L’intégration
substantielle est celle que nous voyons dans le monde du travail, de
l’école, dans beaucoup de quartiers, tandis que la perception
conflictuelle est celle que nous montre le débat public, à commencer
par la perception de l’islam diffusée par les médias et par le monde
politique. En effet, comme l’illustreront les pages qui suivent, outre
les peurs réelles ou fantasmées, et au-delà des processus
d’altérisation, les immigrés musulmans sont dans un processus
d’intégration à la société italienne, et il est désormais évident que
1 Le « nouveau racisme », défini comme culturel ou différentialiste, postule le
caractère irréductible des différences culturelles ou religieuses. Comme l’écrit Ugo
Fabietti, ce qui intéresse le racisme actuel, dont la plus grande expression est le
système d’apartheid, « c’est de briser l’univers humain en plusieurs compartiments
isolés pour justifier le refus et l’exclusion ; il n’est pas intéressé à affirmer une
hiérarchie entre les cultures, parce que une telle hiérarchie est déjà implicite dans
l’exclusion qu’il opère en vertu du principe de la différence » (Ugo FABIETTI,
L’identità etnica, Roma, Carocci ed., 1998, p.19). À ce sujet, voir aussi Michel
WIEVIORKA, La différence, Paris, Ed. Balland, 2001.
2 Stefano ALLIEVI, “Come si costruisce il conflitto culturale. La percezione dell’islam
nello spazio pubblico europeo”, Religione e società, n. 52, 2005, p. 7.