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Texte%des%interventions!
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Le texte travaillé lors de cette 4e session théologique d’été était le premier chapitre du livre
d’Adolphe Gesché intitulé La destinée (Paris, Cerf, 2004², p. 27-69). Le chapitre, « Topiques de la
question du salut », pose quatre questions distinctes à propos du salut : Sauvés, de quoi ? par
qui ? pour quoi ? à quoi le voit-on ?
!
« Être sauvé », est-ce l’expression un peu vétuste pour désigner ce qu’on entend aujourd’hui par
« réussir sa vie » ? Les dogmes qui prétendent refléter le message de la révélation sont-ils à la
hauteur de l’espérance chrétienne ? Le salut a-t-il quelque lien, direct ou lointain, au désir qui nous
fait vivre et agir ? Comment le langage de la théologie croise-t-il les autres discours ?
Cette formation était organisée sous la responsabilité de B. Bourgine et P. Scolas, professeurs en
théologie dogmatique.
Les objectifs en étaient :
• initier au langage de la théologie par la pratique.
• comprendre l’apport de la théologie à une question particulière, et par là mieux percevoir la
nature et les possibilités d’une réflexion théologique.
• exercer la capacité de lecture de textes théologiques fondamentaux ;
• apprendre à élaborer une problématique théologique et à en saisir les enjeux ;
• approfondir la réflexion théologique sur le thème de l'engendrement de la foi.
TABLE DES MATIÈRES
1!
1.
Benoît Bourgine : Introduction à la session
2
2.
Paul Scolas : Du bon usage du dogme. Quelques suggestions
3
3.
Benoît Bourgine : Le langage de la théologie parmi les autres langages
9
4.
Jean-Pol Gallez : Sauvés, mais de quoi ?
14
5.
Paulo Rodrigues : Sauvés, mais par qui ?
21
6.
Dominique Martens : Sauvés, mais pour quoi ?
29
Faculté de théologie
Collège Albert Descamps,
Grand-Place 45 bte L3.01.01,
B-1348 Louvain-la-Neuve
Tél: +32 (0)10/47.36.04
http://www.uclouvain.be/teco.html
[email protected]
Session théologique 26 et 27 août 2013 – Texte des interventions!
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À QUOI BON LE SALUT ?
LECTURE D'ADOLPHE GESCHÉ
Session théologique 26 et 27 août 2013 Faculté de théologie
« Topiques de la question du salut »
dans Adolphe GESCHÉ, La destinée, Paris, Cerf, 2004², p. 27-69.
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Introduction*à*la*session*
Benoît'Bourgine'
!
Une! matinée! en! deux! temps!:! une! introduction! générale! proposée! par! Paul! Scolas! et! moi9même!;!
puis!une!première!expérience!de!lecture!dans!cet!auditoire.!!
Les!trois!autres!demi9journées!se!dérouleront!comme!il!est!d’usage!pour!les!sessions!de!théologie!:!
lecture! en! ateliers! après! une! courte! introduction! et! avant! une! reprise! dans! un! exposé!
d’approfondissement.!
On! vous! propose! donc! d’abord! une! réflexion! à! deux! voix! sur! la! théologie,! sur! la! forme! puis! sur! le!
contenu!:! 1/! la! forme!:! est9ce! que! la! théologie! a! sa! place! parmi! les! discours! en! vigueur!dans! la!
société?!2/!le!contenu!:!de!quoi!parle9t9elle!?!Comment!résumer!ce!qu’elle!a!dire!?!
Commencer! par! une! introduction! un! peu! ex# cathedra! est! une! innovation.! Pourquoi!?! On! a! le!
sentiment! que! le! fossé! s’élargit! toujours! plus! entre,! d’une! part,! l’expérience! que! nous! faisons! du!
monde!–!un!monde!en!évolution!accélérée!–!et,!d’autre!part,!les!mots!qui!portent!la!foi!au!langage.!
Ce!fossé!est!source!de!malaise,!d’hésitation,!voire!de!mutisme.!On!se!demande!même!s’il!est!légitime!
de!prononcer!les!mots!de!la!foi.!On!a!peur!de!parler,!parce!qu’on!a!peur!de!ne!pas!être!compris.!!
On!voudrait!défendre!ce!matin!une!thèse!simple!à!propos!de!la!théologie!;!cette!thèse,!la!voici!:!non!
seulement!elle!a!un!discours!sensé,!qui!est!tout!sauf!dogmatique,!mais!encore!il!est!urgent!de!le!faire!
entendre.! La! théologie! mérite! voix! au! chapitre,! c’est! un! discours! qui! permet! aux! êtres! de! se!
construire,!qui!montre!le!chemin!d’une!existence!belle!à!vivre.!
*
*
© U.C.L. Faculté de théologie (Prof. B. Bourgine)!
2!
!
Du*bon*usage*du*dogme*
Quelques*suggestions*
Paul*Scolas*
Avant-propos
Je ne veux pas faire de ceci un exposé systématique sur cette question, par ailleurs
intéressante : Qu’est-ce qu’un dogme ?
Cette question a été formulée comme telle et a fait l’objet d’un vrai débat dans le contexte de
la crise moderniste au début du vingtième siècle. Un des protagonistes en était Maurice
Blondel qui a particulièrement bien mis en évidence les enjeux d’une telle question au regard
de la modernité. Il y a au moins deux aspects importants à cette question. D’abord celle du
fonctionnement du dogme : s’agit-il d’un fonctionnement purement autoritaire ? Dieu,
l’Eglise, imposeraient de croire des vérités inaccessibles à la raison. Ensuite la question de ce
que le dogme donne à connaître de la réalité qu’il est supposé viser : la cerne-t-il ? l’évoque-til seulement ? indique-t-il surtout l’attitude à adopter devant elle ? Ceci pour mettre en
évidence qu’il s’agit d’une question qui touche aux fondements de la foi et, du coup de la
théologie.
3!
Je tiens avant tout à relier cette question à ces deux aspects de notre session que sont d’une
part le théologien que nous allons lire, Adolphe Gesché qui a une manière propre et surtout, à
mes yeux, relevante de se référer aux dogmes et d’autre part la thématique du salut qui est liée
intimement aux dogmes les plus centraux et je dirais volontiers au dogme le plus central du
christianisme.
Introduction
Gesché présente volontiers le travail et la responsabilité de la théologie comme consistant à
retrouver les questions auxquelles répondent les affirmations de la foi qui sont, à ses yeux, en
quelque sorte des réponses à ces questions. Dans l’introduction à son ouvrage La destinée,
dont nous allons lire des extraits, il l’exprime en invitant à revisiter les vieux mots de la foi en
ce qu’ils recèlent de précieux pour aborder les grandes interrogations humaines : « Ne serait-il
pas indiqué qu’avant de tourner la page, un peu trop rapidement peut-être, nous cherchions à
tout le moins à revisiter nos vieux mots ? » (p. 10) ; « Nous avons des mots précieux que nous
n’avons pas le droit de trahir sans en réentendre la cause » (p. 11).
Le grand présupposé qui traverse toute l’œuvre théologique de Gesché, c’est précisément que
ce que la foi confesse tantôt en racontant, tantôt en célébrant, tantôt encore en spéculant ou en
affirmant, cela concerne toujours et au plus haut point les grandes interrogations humaines. Et
la foi ne livre sa vérité qu’en ce lieu-là. Ces interrogations ne sont pas d’abord des
interrogations théoriques - même si elles peuvent et doivent être aussi reprises dans une
réflexion théorique comme le fait la philosophie -, mais des interrogations existentielles et
vitales. Et celles-ci convergent toutes dans la question, pour le coup vitale au plus haut point,
de notre destinée. C’est bien de cela qu’il est question lorsque la foi parle de salut : propter
nos et propter nostram salutem.
Session théologique 26 et 27 août 2013 – Texte des interventions!
!
Ce que Gesché appelle la salutarité constitue dès lors la clé pour, si je puis dire, faire parler la
confession de foi. C’est cette clé que nous voulons mettre en œuvre avec lui dans cette session
à propos du mot salut qui paradoxalement est peut-être celui des mots de la foi qui parle le
moins spontanément de salutarité à des oreilles contemporaines. Ainsi s’exprime l’argument
qui en présente le projet : «Que faire de ce vieux mot de ‘salut’ ? Avec quoi rime-t-il ? Quelle
espérance désigne-t-il ? ‘Être sauvé’, est-ce l’expression un peu vétuste pour désigner ce
qu’on entend aujourd’hui par ‘réussir sa vie’ ? Le salut a-t-il quelque lien, direct ou lointain,
au désir qui nous fait vivre et agir ? Comment regarder avec des yeux neufs la réalité du salut
proposée par le christianisme en tenant compte de la tradition biblique et dogmatique ? » Ce
principe de salutarité vaut-il aussi pour les définitions et affirmations dogmatiques ? Sans
aucun doute à condition d’une part de bien les situer par rapport à la confession vive de la foi
et d’autre part de bien voir ce qu’elles visent fondamentalement. Ce seront les deux points de
mon exposé.
I.
Bien situer le dogme par rapport à la confession de foi
•
La foi s’exprime d’abord dans une confession qui est un acte de liberté, un
engagement de l’existence, qui fait fond sur une parole à laquelle on donne sa confiance. Le
modèle de cette confession en ce qui concerne la foi chrétienne, c’est la confession de Pierre
à Césarée, confession qui se situe à une charnière de la narration des évangiles synoptiques et
qui est présente autrement dans le quatrième évangile à la fin du discours sur le pain de vie :
« Seigneur, à qui irions-nous ? Tu as les paroles de la vie éternelle. Nous, nous croyons, et
nous avons reconnu que tu es le Saint de Dieu. » (Jn 6, 68.69) Il ne s’agit pas de l’affirmation
d’une vérité abstraite, on n’est pas dans le registre du langage constatif, mais dans un langage
hautement implicatif qui exprime la reconnaissance de Jésus comme Christ, ce qui engage
l’existence de celui qui reconnaît et confesse. Du reste, il est intéressant de noter que, si d’une
certaine façon, Pierre sait ce qu’il dit (Christ est un mot chargé de sens dans la tradition à
laquelle il appartient), d’une autre manière, il va d’emblée manifester qu’il est loin d’avoir
saisi de la sorte l’identité profonde du Christ Jésus. C’est à tel point que Jésus lui déclarera
très vite après cette juste confession : « Passe derrière moi, Satan ! Tu me fais obstacle, car tes
pensées ne sont pas celles de Dieu, mais celles des hommes ! » (Mt 16, 23). Il est intéressant
pour notre réflexion sur le dogme de noter ceci qui n’enlève rien à la vérité de l’engagement
de Pierre lorsqu’il reconnaît Jésus comme Christ. Sa confession est juste et vraie et pourtant il
n’en a pas saisi la portée.
Un autre type ou modèle de la confession de foi chrétienne, c’est la profession de foi
baptismale qui s’enracine dans la foi de la génération apostolique et ouvre au-delà d’elle sur la
tradition. Significativement, elle est précédée d’une renonciation à une certaine voie qui met
en évidence la portée existentielle d’une profession qui est nécessairement conversion,
retournement de vie. Cette profession baptismale est engagement dans un passage, dans une
pâque à la suite du Christ. Il faut noter qu’elle s’exprime déjà de manière structurée en
articulant la confession de Jésus comme Christ et Seigneur avec la foi au Dieu unique et
créateur et l’espérance de la vie éternelle.
La confession est le lieu propre où la foi manifeste sa vérité. Rendre possible la confession de
la foi est aussi le but de tous les modes d’expression de la foi.
© U.C.L. Faculté de théologie (Prof. B. Bourgine)!
4!
!
•
Il y a en effet une diversité de modes d’expressions de la foi. Si certaines, comme
celles qui relèvent de la célébration et de la prière, constituent à leur manière des confessions,
ce n’est pas, en tout cas immédiatement, le cas de toutes. Dans la manière de se référer à ces
différentes expressions de la foi, il y a un ordre à respecter si l’on veut découvrir justement ce
que propose la foi lorsqu’elle s’exprime comme ceci ou comme cela. Ricœur dans un
important article sur la révélation dans sa relation à la raison distingue trois niveaux de
langage dans l’expression de la foi et surtout précise dans quel ordre il s’agit de les aborder :
« le niveau de la confession de foi où la lex credendi n'est pas séparée de la lex orandi, — le
niveau de la dogmatique ecclésiale, qui est celui où une communauté historique interprète
pour elle-même et pour les autres l'intelligence de la foi qui spécifie sa tradition, — enfin le
corps des doctrines imposées par le magistère comme règle d'orthodoxie. »1 A ses yeux – et
aux miens aussi – ce qui fait problème dans l’accès à la vérité de ce que propose la foi, c’est le
fait qu’on a inversé l’ordre des langages. Plutôt que de tout enraciner dans la confession qui
est le langage originel de la foi, on a proposé la foi à partir du langage de la régulation, du
langage dogmatique, ce qui a fortement contribué à donner une image ‘dogmatique’ de celleci : il s’agit de croire à des dogmes c’est-à-dire à des vérités incompréhensibles, en raison
seulement de l’autorité qui impose ces dogmes. De la sorte, on a également pollué la
compréhension des confessions de foi telles qu’elles s’expriment en particulier dans l’Ecriture
puisqu’on les lit et les fait lire à partir des énoncés dogmatiques et catéchétiques.
5!
L’exemple peut-être le plus évident concerne le dogme christologique auquel je reviendrai
dans mon second point. Bien des chrétiens, surtout catholiques, ont dû apprendre de mémoire
des formules dérivées du dogme de Chalcédoine avant d’avoir fait la rencontre du Christ
Jésus par les récits des quatre évangiles. Et cela continue à leur rendre difficile l’accès à ces
témoignages d’une foi vive.
•
Je voudrais encore ajouter ceci pour une bonne situation des formules dogmatiques par
rapport à la confession de foi : il y a une hiérarchie des définitions dogmatiques elles-mêmes
qu’il s’agit de respecter si l’on veut entrer dans leur intelligence. Il y a aussi un centre en
relation auquel seulement les différents dogmes livrent leur sens et leur vérité – ce sera l’objet
de mon second point. Le décret du concile Vatican II sur l’œcuménisme s’est exprimé
nettement sur ce point : « En comparant les doctrines entre elles, ils (les théologiens) se
rappelleront qu’il y a un ordre ou une ‘hiérarchie’ des vérités de la doctrine catholique, en
raison de leur rapport différent avec le fondement de la foi chrétienne. Ainsi sera tracée la
voie qui les incitera tous, dans cette émulation fraternelle, à une connaissance plus profonde et
une manifestation plus évidente des insondables richesses du Christ. » (N° 11)
La bonne relation du croyant aux définitions dogmatiques n’est pas celle de l’obéissance
passive à une liste de vérités réputées révélées par le magistère ecclésial. Les dogmes ne
livrent leur portée et leur part de vérité que situés dans la dynamique de la foi reçue et
transmise. C’est dans le jeu de la tradition vivante de la foi que les dogmes peuvent seulement
servir la possibilité d’engager librement et avec intelligence sa foi dans une confession.
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1
!P. RICOEUR, Herméneutique de l’idée de révélation dans La révélation (Théologie), Publications des Facultés
universitaires Saint-Louis, Bruxelles, 1977, p. 16.
!
Session théologique 26 et 27 août 2013 – Texte des interventions!
!
II.
Une hypothèse : Il n’y a finalement qu’un seul dogme
Qu’est-ce que ce fondement de la foi chrétienne auquel Vatican II demande d’articuler les
‘vérités de la doctrine catholique’ ? C’est évidemment Jésus tel qu’il est confessé comme
Christ et Seigneur par la foi des Apôtres. C’est ce cœur de la confession apostolique qui a fait
l’objet de discussions vives au long des premiers siècles et qui a donné lieu aux premières et
décisives définitions dogmatiques dès les conciles de Nicée et de Constantinople avec le
symbole de foi que nous proclamons toujours dans la liturgie. La formule de Chalcédoine en
451 est une sorte de cristallisation dogmatique de cette élaboration.
•
Mon hypothèse, c’est que le dogme christologique est en définitive le seul véritable
dogme chrétien. Pour le dire autrement, il me semble que l’on peut considérer que tous les
dogmes in fine visent à nous ramener vers ce qu’a vu la foi apostolique lorsqu’elle a eu
l’audace pascale de lire la croix comme une victoire (ex. : Trinité, Assomption, réalisme
sacramentel notamment eucharistique, résurrection de la chair et même infaillibilité …). La
foi apostolique a inventé, dans l’Esprit reçu du ressuscité, qu’il fallait chercher Dieu et
chercher la véritable destinée de l’homme en Jésus. Gesché l’exprime d’une manière
particulièrement nette : « Une des choses les plus étonnantes de l’expérience chrétienne tient
en ceci qu’elle a vu Dieu dans un crucifié. Cela défie toute découverte normale de Dieu,
découverte qui s’attache à la grandeur et à la majesté. Pour que les premiers chrétiens aient
pris ce chemin si contraire (...), c’est bien qu’ils ont dû faire une expérience très particulière,
et cela seul devrait presque suffire pour prendre au sérieux leur confession de foi. Ils ont
découvert Dieu là où tout bon sens défie de l’y trouver. »2 Et c’est en même temps la vraie
grandeur de l’homme que les Apôtres ont vu en ce lieu étonnant : « Le Christ introduit
l’incompréhensibilité de Dieu comme clé de la compréhension de l’homme. Dieu en effet est
Amour, c’est-à-dire folie. Attribut indéchiffrable, incompréhensible, puisqu’il est
« irrationnel » (l’amour n’est pas raisonnable), mais c’est cet indéchiffrable de l’Amour qui
va permettre de déchiffrer l’homme. Toute la connaissance de l’homme par la voie chrétienne
se trouve ici. C’est sans doute essentiellement à partir de ce Dieu fol et incompréhensible de
Jésus-Christ que le christianisme a pu découvrir et proclamer la grandeur des pauvres et des
laissés-pour-compte. L’Evangile est à cet égard l’invention du pauvre, l’invention du pauvre
comme homme. »3
Cette foi est un défi, une subversion, comme l’indique bien Gesché. Paul dès les débuts
l’exprime en termes de folie tant par rapport aux Juifs qu’aux Grecs : « Puisque le monde, par
le moyen de la sagesse, n’a pas connu Dieu dans la sagesse de Dieu, c’est par la folie de la
prédication que Dieu a jugé bon de sauver ceux qui croient … Car ce qui est folie de Dieu est
plus sage que les hommes, et ce qui est faiblesse de Dieu est plus fort que les hommes » (1 Co
1, 18-25 passim). C’est aussi l’audace du Prologue de Jean lorsqu’il déclare que le Logos est
devenu chair. Cette foi est subversive de toutes les évidences culturelles et religieuses à
propos de Dieu et, inséparablement, à propos de l’homme et de sa destinée. C’était
particulièrement le cas de la grande sagesse grecque, mais aussi de la sensibilité religieuse des
premiers siècles (la Gnose). Ch. Duquoc exprime ainsi l’enjeu de la crise arienne qui
conduisit à la profession de foi de Nicée : « Il fallut choisir : ou bien la pensée de l’Absolu –
c’est-à-dire , dans le cas présent, la philosophie religieuse et mystique des Grecs et des juifs
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
2
3
A. GESCHE, Le Christ (Coll. Dieu pour penser, 6), Paris, Cerf, 2001, p. 218.
!A. GESCHE, Le Christ, p. 43.!
© U.C.L. Faculté de théologie (Prof. B. Bourgine)!
6!
!
hellénisés – était dominatrice et jugeait en dernière instance, de la qualité du lien entre Jésus
et Dieu ; ou bien la pensée de l’Absolu était relative, et c’était Jésus, confessé Christ, Sauveur
et Seigneur, qui définissait la validité des images et de la pensée de l’Absolu »4.
Ce dogme dont je fais l’hypothèse qu’il est le seul dogme chrétien sera sans cesse remis en
question parce qu’il vise à garder la foi des Apôtres en ce qu’elle a de subversif en ce qu’elle
est, comme dit Gesché, une turbulence tant pour les Juifs que pour le Grecs ou les païens de
tous les temps. Elle sera continuellement rappelée, même si c’est souvent maladroitement,
parce que quitter ce que cette foi a d’audacieux, c’est en définitive passer à côté de l’apport de
l’Évangile pour l’humanité.
7!
•
Ce cœur du dogme chrétien qu’est le dogme christologique n’est pas contre
l’intelligence et la liberté parce que la subversion dont il veut sauvegarder la turbulence ouvre
au contraire des voies à la liberté et à l’intelligence. En donnant à voir dans le Crucifié ce que
l’œil n’a pas vu, la foi ouvre des chemins qui concernent l’existence dans sa globalité en ce
compris la quête d’intelligence et de liberté qui fait nécessairement partie de
l’accomplissement de la destinée humaine. Il s’agit dès lors de manifester cette intelligence et
c’est précisément la tâche et le travail de la théologie que Gesché exprime ainsi en
introduisant son ouvrage sur la destinée : « Ce livre ne veut pas prouver, mais rendre
intelligible » (p. 19). A propos précisément des formulations dogmatiques, on pourrait dire : il
ne s’agit pas de prouver, mais de manifester l’intelligence de la confession de foi apostolique
que le dogme veut garder. Il s’agit de le faire sans perdre de vue que ni le dogme, ni la
confession ne concernent d’abord un savoir. S’ils le concernent, ce n’est pas im-médiatement
mais seulement en raison du fait qu’ils concernent notre destinée dans son effectuation et, en
lien avec elle dans son intelligence. C’est donc là qu’il faut en chercher et en saisir le sens et
la vérité. Il s’agit de manifester que le langage de la confession, celui de l’Ecriture à un titre
particulier, mais aussi le langage du dogme en son lien essentiel avec celui-là, met en œuvre
une vraie rationalité dont il faut manifester la pertinence.
•
Je termine sur une ouverture qui est essentielle et qui ne fut pas toujours suffisamment
honorée au long de l’histoire. Les définitions dogmatiques n’ont pas pour rôle de fermer le jeu
de la tradition vivante de la foi, au contraire même. Comme toute règle du jeu, elles ont
d’abord pour fonction de garder le jeu ouvert. Dans un très bon article de 1977 à propos de ce
qu’il appelle le procès contemporain de Chalcédoine, B Sesboüé!écrit!:!« Quand elle (la parole
dogmatique) dit : il faut croire ceci, elle n’entend pas exprimer la totalité biblique du croire,
mais elle rappelle le caractère normatif, il faut, d’un élément salutaire du croire »5. L’audace
des Pères et des conciles qui ont pris le risque d’exprimer leur foi dans des catégories
susceptibles de permettre aux Grecs d’entrer dans l’intelligence de la folie du message, doit
continuer à animer celles et ceux qui comme prédicateurs, catéchètes, théologiens veulent
exprimer la foi dans la diversité des cultures des hommes. Le moment grec des premiers
siècles ne peut pas être absolutisé. Tout d’abord, il n’est pas le point de départ puisque le
point de départ, c’est la confession apostolique de l’Evangile du Christ tel que l’exprime le
Nouveau Testament et le symbole baptismal. Les définitions dogmatiques venues de ce
moment grec ne constituent pas la vérité tout entière puisque celle-ci est eschatologique. Mais
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
4
5
!Ch. DUQUOC, Dieu différent, Paris, Cerf, 1978, p. 30.31.
B SESBOÜÉ, « Le procès contemporain de Chalcédoine. Bilan et perspectives » dans RSR 65/1 (1977), p. 58.
Session théologique 26 et 27 août 2013 – Texte des interventions!
!
il s’agit néanmoins d’un moment par lequel il faut quand même passer au moins pour deux
raisons. Il constitue le premier grand effort d’inculturation de la foi chrétienne sans lequel elle
n’aurait pas pu sortir de Canaan. Ce qui s’y formule de la foi au Christ est reçu jusqu’à nos
jours par presque toutes les Eglises chrétiennes qui ont en commun le symbole de NicéeConstantinople. Or, une des grandes visées de la règle de foi, c’est de rendre possible la
confession commune de cette foi. Passer par le moment grec ne signifie pas que nous
n’aurions plus qu’à le commenter comme s’il constituait à la fois le point de départ et le point
d’arrivée de l’expression de la foi. Sesboüé écrit à propos de Chalcédoine : « Notre problème
n’est pas de traduire Chalcédoine, ce qui serait, … prendre le concile (et le dogme) pour ce
qu’il n’est pas. Mais nous avons à interpeller le message du Nouveau Testament transmis
dans l’Eglise, en tenant compte de la visée et de la règle de lecture données par le concile (et
le dogme). » (p. 68).
!
Paul Scolas
8!
© U.C.L. Faculté de théologie (Prof. B. Bourgine)!
!
Le*langage*de*la*théologie**
parmi*les*autres*langages*
Benoît*Bourgine*
La!question!posée!est!celle9ci!:!Y#a+t+il#place#pour#la#théologie#parmi#les#autres#discours#?##
Reprenons!le!texte!de!Gesché!lui9même!:!l’introduction!à!l’ouvrage!sur!la!destinée!(livret!p.!12913).!!
Nous! recevons! du! christianisme! des! questions! et! des! mots! qui! ont! fait! l’occident!:! la! création,!
l’éternité,! le! salut,! etc.,! des! mots! qu’on! renvoie! à! l’oubli! parce! qu’ils! nous! intimident,! comme! s’ils!
étaient!devenus!trop!grands!pour!nous.!Comme!s’il!n’y!avait!plus!de!place!pour!eux!ou!pas!le!temps!
de!les!entendre.!Encore!que!la!publicité,!elle,!n’a!pas!peur!de!les!recycler.!Voir!Olivier!Riaudel,!«!Le!
salut,! un! produit! commercial!?!»,! La# vie# spirituelle,! 758! (2005),! 2279240.! Sur! un! gel! douche!:! «!gel!
douche! miracle! qui! sauve! votre! matinée! et! vous! ramène! à! la! vie! même! après! une! nuit! courte! et!
agitée!».!!
9!
Avec!le!tournant!moderne,!le!discours!scientifique!et!la!légitimité!démocratique!polarisent!le!vrai!au!
point! que! du! côté! des! convictions! on! n’aurait! affaire! qu’à! des! opinions,! instables,! incertaines,!
subjectives.! Il! n’y! aurait! là! rien! de! vraiment! sérieux.! Le! moderne! est! si! sûr! de! ses! réalisations!
scientifiques!et!techniques,!de!son!autonomie!au!plan!politique,!avec!ses!réussites!autour!de!l’égalité!
des! citoyens! et! de! souveraineté! populaire! à! travers! la! démocratie! parlementaire,! qu’il! renvoie!
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oubliettes,!comme!des!essais!assez!infantiles!d’y!voir!clair!dans!l’énigme!de!l’homme.!Un!exemple!:!
Freud6.! Freud!épouse! sans! retenue! le! scientisme! de! son! temps,! c’est9à9dire! la! conviction! que! la!
science!conquérante!serait!capable!de!percer!les!plus!obscures!énigmes!du!monde,!alors!qu’il!n’y!a,!
selon! lui,! rien! à! attendre! «!de! l’intuition! et! de! la! plongée! en! soi9même7!».! Il! partage! volontiers!
l’assurance!des!Lumières!vis9à9vis!de!la!tradition!et!des!penseurs!du!passé!:!«!Et!il!serait!encore!plus!
étrange!que!nos!pauvres!aïeux,!ignorants!et!sans!liberté,!aient!réussi!à!trouver!la!solution!de!toutes!
ces!difficiles!énigmes!du!monde8!».!L’arrogance!du!«!moderne!»!Freud!vis9à9vis!de!ce!que!la!tradition!
antérieure! a! à! offrir! est! proprement! sidérante…! J’ai! personnellement! du! mal! à! y! voir! autre! chose!
qu’un!peu!d’orgueil!adolescent!et!beaucoup!d’ignorance.!Mais!il!y!a!un!enjeu!à!l’oubli!de!ces!mots!:!
que!l’occident!reste!le!continent!de!la!vie!interrogée!:!Socrate!:!«!Seule!une!vie!examinée!vaut!d’être!
vécue!».!C’est!le!caractère!proprement!humain!de!nos!existences!qui!est!en!jeu!lorsqu’on!oublie!les!
mots!forts!que!charrient!la!tradition!théologique!et!la!réflexion!séculaire!qui!y!est!associée.!
Voir!le!§3,!p.!12!du!livret!(lignes!23932)!:!la!science!propose!un!savoir!sur!le!monde!;!la!philosophie,!
une! réflexion! sur! le! sens!;! la! foi! et! la! théologie,! quant! à! elles,! rejoignent! une! profondeur! dernière,!
l’espace! de! l’ultime,! le! sens! du! sens!:! elles! dévoilent! la! dimension! de! destinée! de! notre! existence!
singulière,! (en! termes! chrétiens)! là! où! le! Moi! entend! Dieu! prononcer! son! nom! en! tant! que! Tu,!
absolument! unique,! insubstituable,! irréitérable,! où! chacun! prend! place! dans! le! récit! de! l’œuvre! de!
Dieu!dans!l’alliance!et!s’insère!dans!le!Nous!immense!des!croyants!(voir!p.!13,!l.!64!«!me!concerner!»!
et! pas! seulement! m’intéresser).! Bref! une! dimension! d’infini,! d’absolu.! «!Un! discours! qui! a! sa! place!
pour!déchiffrer!l’homme!».!
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
6
!Sigmund!FREUD,!L’avenir#d’une#illusion,!trad.!Bernard!LORTHOLARY,!Paris,!Points,!2011.!
!Ibid.,!p.!81.!
8
!Ibid.,!p.!83.!
7
Session théologique 26 et 27 août 2013 – Texte des interventions!
!
Vis9à9vis! du! problème! de! la! moralisation! du! salut! (voir! livret! p.! 293!:! texte! lu! en! fin! de! première!
matinée),!on!se!trouve!peut9être!à!une!étape!ultérieure!de!celle!décrite!par!Gesché!(son!analyse!n’en!
demeure! pas! moins! valide! et! utile).! On! n’en! est! plus! à! rejeter! le! salut! chrétien! parce! qu’on! le!
confondrait!avec!le!niveau!moral!et!à!une!certaine!morale.!Les!repères!sont!tout!simplement!absents!
par! défaut! de! transmission! et! du! salut! chrétien! on! ne! parle! souvent! tout! simplement! plus,! même!
pour! le! rejeter!:! la! nouvelle! génération! ne! partage! pas! les! préventions! de! ses! aînés,! puisque!
beaucoup! n’ont! pas! entendu! parler! du! salut! chrétien! tout! court,! déformé! dans! sa! présentation! ou!
pas!!!!
Mieux!vaut!un!christianisme!imparfait!que!pas!de!christianisme!du!tout!?!Certes,!on!n’a!pas!besoin!
de!Dieu!pour!fonder!une!morale,!la!société!n’a!pas!besoin!de!la!garantie!transcendante!d’une!religion!
pour!fonctionner.!On!le!sait,!nous!qui!sommes!majeurs,!sécularisés,!privés!de!la!tutelle!du!religieux,!
disons9nous!avec!fierté.!D’ailleurs!Jésus!lui9même!n’a!pas!fondé!de!religion,!il!a!appelé!à!la!vie.!Mais!
la!question!est!celle9ci!:!une!société!peut9elle!vivre!sans!valeurs!partagées!?!Ces!valeurs!peuvent9elles!
perdurer!si!le!monde!commun!est!réduit!à!une!vision!scientifique!du!monde!?!Peut9on!se!contenter!
de! ce! qu’elle! garantit,! à! l’exclusion! de! tout! absolu,! en! déniant! aux! religions! et! aux! traditions! de!
sagesse!toute!validité!?!Est9on!d’autant!plus!libres,!d’autant!plus!lucides!sur!nous9mêmes!que!nous!
mettons!à!distance!la!connaissance!morale!et!religieuse!des!siècles!passés!?!Quatre!films!témoignent!
de!ce!désarroi!d’une!jeunesse!livrée!à!l’absence!de!repères!:!O#Boy,!Frances#Ha,!!surtout!Jeune#et#jolie!
et!Disconnected.!Pour!ces!jeunes,!pas!de!bien!ni!de!mal,!apparemment!du!moins,!ces!mots!ne!sont!
pas! même! suggérés.! Ne! les! prive9t9on! ainsi! d’une! dimension! de! leur! humanité,! sous! prétexte!
d’autonomie! et! de! l’impératif! d’auto9construction!?9! Peut9on! vivre! sans! norme,! sans! valeurs! à!
désirer,!sans!Beau!dont!on!peut!jouir,!sans!Vrai!à!étreindre,!sans!Bien!à!poursuivre!?!Quels!mots!pour!
les!nommer!et!en!susciter!l’idée!et!le!désir!?!
Le!bien!et!le!mal!peuvent9ils!encore!être!distingués!si!on!ne!s’entend!pas!un!minimum!sur!ce!qu’est!
un!homme!et!une!femme!?!Leur!dignité!?!Leur!absolue!singularité!?!Est9on!encore!d’accord!que!les!
personnes! sont! à! elles9mêmes! une! fin! et! jamais! un! moyen!?! Dans! une! mentalité! dominée! par! un!
humanisme!excluant!la!transcendance,!a9t9on!encore!envie!d’avoir!des!enfants!?!L’athéisme!propose9
t9il!des!raisons!d’en!avoir!?!Est9ce!légitime!d’ailleurs!d’en!avoir!:!empreinte!écologique,!impossibilité!
de!garantir!leur!bonheur!?!C’est!la!question!impertinente!que!pose!Rémi!Brague!dans!son!ouvrage!Le#
propre#de#l’homme.!
N’est9on! pas! en! train! d’étouffer! en! l’absence! de! transcendance! dans! un! humanisme! qui! se! veut!
autosuffisant!?! Il! y! a! des! signes! au! simple! plan! éthique/moral!:! un! désarroi,! une! incertitude,!
l’incapacité!de!transmettre!parce!qu’on!ne!sait!pas!ce!qui!est!à!transmettre10.!
Le!dogme!est!tout!sauf!dogmatique.!!
*
*
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
9
!Voir!l’excellent!livre!d’Olivier!REY,!Une#folle#solitude.#Le#fantasme#de#l’homme#auto+construit,!Paris,!Seuil,!
2006.!
10
!Il!faut!bien!sûr!se!défendre!d’un!discours!nostalgique!:!quelle!époque!peut!se!prévaloir!d’être!claire!dans!la!
transmission!des!valeurs!?!La!preuve,!les!hommes!de!Ninive,!dont!Dieu!prend!pitié,!eux,!même!adultes,!ne!
«!distinguent!pas!leur!droite!de!leur!gauche!»!(Jonas!4,11)!!!
© U.C.L. Faculté de théologie (Prof. B. Bourgine)!
10!
!
Le*dogme*empêche?t?il*d’être*libre*?*
On! l’accuse! d’être! liberticide.! Aujourd’hui,! tandis! que! nos! contemporains! se! déclarent! éloignés! des!
dogmes,! on! observe! paradoxalement! une! volonté! de! consensus! social! et! moral! de! plus! en! plus!
contraignant,!comme!si!l’absence!de!normes!communes!transcendantes!appelait!une!unanimité!à!un!
autre! niveau! (la! nature! aurait9elle! horreur! du! vide!?).! Et! aujourd’hui! s’il! est! interdit! d’interdire,!
combien! de! sommations! en! une! journée,! sur! sa! santé,! sur! la! planète,! sur! la! bonne! manière! de!
penser.! Les! dogmes! du! politiquement! correct,! du! sexuellement! correct,! du! socialement! correct!
grignotent!chaque!jour!davantage!la!possibilité!de!développer!une!pensée!dissidente.!!
Me!sera9t9il!permis!dans!quelques!années!de!penser!et!de!dire!que!l’union!d’un!couple!homosexuel!
n’a! pas! tout! à! fait! la! même! signification! que! l’union! d’un! couple! hétérosexuel!?! Qu’une! loi! en!
proclame! l’équivalence,! soit,! tant! il! convient! de! prendre! acte! du! pluralisme! et! du! caractère!
postchrétien!de!nos!sociétés.!Ce!qui!me!paraît!plus!gênant!pour!la!liberté!d’expression!et!de!pensée,!
en!revanche,!c’est!la!manière!dont!la!mentalité!dominante!déconsidère!les!opinions!divergentes!au!
point!de!vouloir!les!interdire!et!les!criminaliser.!Ou!le!mariage!gay!ou!l’homophobie,!et!entre!les!deux!
branches! de! l’alternative! pas! d’espace! pour! argumenter,! pour! s’expliquer.! «!Homophobie!»!:! la!
phobie! est! une! pathologie!;! ceux! qu’on! stigmatise! ainsi! ne! peuvent! être! admis! à! exprimer! leur!
opinion,!ils!ont!juste!le!devoir!de!se!soigner.!Et!voici!que!l’espace!de!la!raison!publique!où!devraient!
s’échanger!les!arguments!est!abandonné!à!des!groupes!minoritaires!qui,!d’une!position!de!victimes,!
en!viennent!à!incriminer,!sinon!à!terroriser,!tous!ceux!qui!ne!partagent!pas!leur!combat.!C’est!là,!plus!
que!dans!les!dogmes,!que!m’apparaît!aujourd’hui!le!véritable!danger!pour!les!libertés.!!
11!
Est9ce!que!le!dogme!chrétien!n’aurait!pas!d’abord!pour!vocation!de!nous!libérer!des!«!dogmes!»!de!
chaque!époque,!c’est9à9dire!de!cette!pression!de!l’opinion!commune!qui,!certes,!peut!comporter!de!
bonnes! choses,! voire! des! progrès,! mais! qui! peut! aussi! comporter! des! diktats! réducteurs! sur! des!
dimensions!d’humanité!?!
*
Le*dogme*empêche?t?il*de*penser*?*
Le! dogme! est! le! résultat! d’un! tel! travail! herméneutique!:! il! énonce! les! traits! communs! d’une!
conception! de! Dieu,! de! l’homme! et! du! monde! que! reflète! l’expérience! des! communautés!
chrétiennes!habitant!les!Écritures.!Comme!l’écrit!Ricoeur!:!
« La tâche de l’herméneutique, [venons-nous de dire,] est double : reconstruire la dynamique
interne du texte, restituer la capacité de l’œuvre à se projeter au-dehors dans la représentation
d’un monde que je pourrais habiter »11.
Le!dogme!n’est!donc!que!le!terme!d’un!mouvement.!Si!l’on!se!contente!de!formules!en!se!dispensant!
de!les!relier!à!leur!origine!(l’expérience!chrétienne!en!relation!aux!Écritures),!on!ne!comprend!tout!
simplement!pas!ce!qu’est!un!dogme.!Et!c’est!un!travail!toujours!à!refaire.!Comme!l’écrit!Gesché!:!!
Le dogme, les textes conciliaires, les documents du magistère, font souvent penser à des
produits surgelés. La foi et la théologie doivent les réanimer12.
*
*
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
11
!Paul!RICOEUR,!Du#texte#à#l’action.#Essais#d’herméneutique,#II,!Paris,!Seuil,!1986,!p.!32.!
!Adolphe!GESCHÉ,!Ne#pereant,!XIX,!43!(7911982)!be.uclouvain.fichiergesche.dogme_70.!
12
Session théologique 26 et 27 août 2013 – Texte des interventions!
!
Expérience,*pensée*et*désir*à*l’origine*des*dogmes*
Freud! écrit! des! dogmes! qu’ils! «!ne! sont! pas! des# précipités# d’expériences! ni! des# résultats# d’une#
pensée#»13.!C’est!ignorer!d’où!ils!viennent.!L’ambition!des!lignes!qui!suivent!n’est!pas!de!montrer!qu’il!
a!tort,!mais!de!manifester!la!fonction!positive!des!dogmes.#
Les! dogmes! furent! élaborés! dans! le! but! de! garder! sauve! une! expérience,! l’expérience! du! salut! en!
Jésus!Christ!;!tout!sauf!irrationnels,!ils!doivent!leur!formulation!à!un!travail!d’intelligence!collective,!
poursuivi!pendant!des!siècles.!Voilà!ce!qu’il!faut!démontrer!en!esquissant!leur!genèse!et!en!éclairant!
leur!logique.!
L’expérience! des! premières! communautés! chrétiennes! se! fait! très! tôt! proclamation,! récit! et!
interprétation! de! l’événement! Jésus! Christ,! sur! l’horizon! de! signification! de! la! religion! d’Israël.! Si!
l’expérience!communautaire!et!individuelle!du!salut!n’avait!précédé!le!langage!dogmatique,!on!voit!
mal!comment!toute!cette!effervescence!serait!parvenue!à!devenir!tradition.!Le!va9et9vient!entre!une!
expérience! historique! singulière! et! l’exigence! de! la! penser! dans! sa! spécificité! donne! naissance! aux!
premières! expressions! de! la! foi! chrétienne!:! confessions! de! foi,! hymnes,! lettres,! récits,! catéchèses.!
L’histoire!de!Jésus9Christ,!le!rassemblement!de!l’Église!par!l’Esprit,!la!saveur!unique!de!l’agapè!et!la!
liberté!nouvelle!que!l’on!expérimente!dans!la!vie!des!communautés,!voilà!ce!que!les!chrétiens!ont!dû!
intégrer!en!un!cadre!d’intelligibilité!;!ils!l’ont!exprimé!dans!le!langage,!le!pensable!et!le!croyable!alors!
à! leur! portée.! Les! écrivains! du! Nouveau! Testament,! tous! juifs,! disposaient! du! cadre! de! la! religion!
d’Israël!et!du!langage!de!ses!Écritures.!Le!développement!des!dogmes!du!christianisme!au!cours!des!
siècles!suivants!s’est!opéré!suivant!le!même!modèle!:!l’expérience!du!salut,!d’un!côté,!l’exigence!de!
penser! cette! expérience! en! conformité! avec! le! langage! disponible,! d’un! autre! côté.! Semblable!
entreprise!s’avère!nécessaire!à!chaque!fois!que!les!chrétiens!habitent!d’autres!visions!du!monde!et!
qu’ils!parlent!d’autres!langues.!Sans!ce!travail!de!la!pensée!à!chaque!génération,!le!risque!est!grand!
que!l’expérience!de!foi!devienne!aveugle!ou!confuse,!faute!d’intelligence!:!la!foi!ne!serait!plus!tout!à!
fait!humaine!si!elle!était!rejetée!à!l’extérieur!du!langage!–!hors!logos#!!!
Or! l’histoire! des! dogmes! essentiels! du! christianisme,! à! savoir! les! définitions! conciliaires!
christologiques! et! trinitaires! des! IVe! et! Ve! siècles,! manifeste! le! ressort! d’une! inquiétude,! presque!
obsessionnelle!:! ne! pas! réduire! la! grandeur! du! don! de! Dieu! et! les! dimensions! de! l’expérience! du!
salut,! à! savoir! «!la! largeur,! la! longueur,! la! hauteur,! la! profondeur,! [afin]! de! connaître!l’amour! du!
Christ!qui!surpasse!toute!connaissance!»!(Ep!3,18919),!même!s’il!faut!pour!exprimer!le!mystère!aller!
au9devant! de! redoutables! difficultés! conceptuelles! et! risquer! des! affirmations! paradoxales,! de!
manière!à!rendre!raison,!autant!qu’il!est!possible,!d’une!expérience!qui!est!au9delà!de!tout!savoir14.!!
#
Expérience,*pensée*et*désir,*actualité*des*dogmes*
Les! mots! de! la! foi! auraient! beau! provenir! d’une! expérience! et! d’une! pensée,! s’ils! n’éclairent! plus!
l’expérience!concrète!des!croyants,!ils!ne!sont!que!formules!creuses.!Sans!pensée,!l’expérience!de!la!
foi! est! aveugle!;! sans! expérience,! la! pensée! de! la! foi! est! creuse.! Les! dogmes! ont! jadis! permis!
d’exprimer!l’expérience!de!foi!;!aujourd’hui,!ils!apparaissent!à!beaucoup!comme!des!témoins!muets!
et!dénués!de!sens.!Difficile!de!voir!dans!cette!lave!refroidie!la!roche!en!fusion!qu’elle!fut!jadis.!Pour!
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
13
!FREUD,!L’avenir#d’une#illusion,!p.!78.!
!On!a!tenté!de!comprendre!en!ce!sens!les!grandes!formulations!conciliaires!dans!Benoît!BOURGINE,!«!Que!faire!
des!premiers!conciles!?!»!dans!Revue#Théologique#de#Louvain!36!(2005),!p.!4499475.!
14
© U.C.L. Faculté de théologie (Prof. B. Bourgine)!
12!
!
retrouver!la!signifiance!des!dogmes,!il!importe!de!revenir!à!l’expérience!dont!ces!mots!sont!lourds!;!il!
faut!réactiver!le!mouvement!de!sens!qui!leur!a!donné!forme!en!les!plongeant!à!nouveau!dans!le!bain!
de! l’Écriture.! En! refroidissant,! la! lave! perd! sa! plasticité!;! de! même,! la! lettre! des! dogmes! lorsqu’on!
perd! la! mémoire! de! leur! origine,! où! le! Verbe! s’est! fait! parole! humaine.! Il! faut! donc! revenir! à!
l’événement!qui!les!a!produits.!En!effet,!seule!la!continuité!avec!l’expérience!de!la!foi!d’hier!permet!
d’assurer!l’authenticité!de!la!foi!d’aujourd’hui.!!
Le! travail! décrit! plus! haut! qui! a! présidé! à! la! genèse! des! dogmes! est! donc! à! reprendre! à! nouveaux!
frais,!à!chaque!génération!et!dans!l’histoire!personnelle!du!croyant.!La!foi!n’est!appropriée!que!si!elle!
fait!corps!avec!l’expérience!la!plus!propre,!ce!laborieux!travail!de!l’esprit!par!lequel!chacun!devient!
peu! à! peu! soi9même.! Rien! ne! devient! expérience! sans! un! retour! sur! soi9même! dans! le! dialogue!
intérieur!et!le!sanctuaire!de!la!conscience!;!rien!ne!devient!expérience!sans!relier!ce!qui!arrive!à!ce!
que!l’on!a!vécu!et!est!appelé!à!vivre,!entre!passé!et!futur!;!l’irrationnel!sans!parole!ne!devient!jamais!
expérience! –! la! violence! gratuite,! le! non9sens! ne! peuvent! jamais! devenir! expérience,! tout! au! plus!
demeurent9ils! en! moi! à! l’état! de! traumatismes,! qui! peuvent! m’empêcher! de! vivre.! Ce! qui! devient!
expérience,!c’est!ce!que!je!peux!raconter!de!ce!qui!m’est!arrivé,!ce!sont!les!décisions!essentielles!où!
l’on! répond! de! soi.! Lorsque! je! peux! insérer! cette! expérience! dans! une! signification! plus! vaste,!
l’histoire!biblique!en!l’occurrence,!mon!récit!se!fait!interprétation!et!m’inscrit!de!plein!droit!dans!la!
tradition!des!croyants.!
!
Pour!récapituler!(lien!avec!l’exposé!de!Paul!Scolas!et!celui!de!Dominique!Martens)!:!!
13!
Pour! lire! la! Parole' de' Dieu,! c’est9à9dire! pour! permettre! à! chacun! d’entendre! Dieu! le! désigner! d’un!
amour!unique,!personnel,!cela!suppose!de!ne!pas!réduire!la!compréhension!de!l’Écriture!à!ce!qu’on!
peut!en!comprendre,!mais!d’élargir!ses!vues!à!ce!que!la!Tradition!y!a!toujours!lu!:!la!grandeur!inouïe!
du! don! de! Dieu! (la! grâce).! Vérifier! notre! compréhension! à! l’aune! de! ce! que! les! générations! en! ont!
compris! est! un! gage! d’authenticité.! Ce! Je! unique,! sous! le! regard! de! Dieu,! devient! un! Nous! dans!
l’assemblée! liturgique,! qui! répond! par! un! Credo! à! la! Parole! de! Dieu! proclamée.! Cette! parole! de!
confession!est!première!et!la!tradition'théologique,!qui!commente!cette!confession!de!foi!ecclésiale!
devient! guide! de! lecture! de! l’Écriture! (rapport! récit! et! concept).! En! effet! la! Tradition! est! cette!
expérience! bimillénaire! par! laquelle! chaque! chrétien! et! chaque! génération! expriment! l’événement!
Jésus9Christ! et! le! salut! qu’il! apporte! en! récits! de! vie! (mon! récit! biographique! qui! ! s’inscrit! dans! le!
grand!récit!biblique,!et!qui!s’y!insère!à!la!suite!de!Jésus!et!des!générations!de!chrétiens),!mais!aussi!
en! concepts! (par! exemple!:! «!destinée!»,! «!salut!»,! «!création!»! etc.)! qui! sont! nécessaires! pour!
engager!le!dialogue!avec!d’autres!sphères!de!l’existence!(par!exemple!:!!rapport!de!mon!être!croyant!
à! ma! vision! du! monde! dépendante! de! mes! connaissances! scientifiques,! ou! à! ma! citoyenneté! au!
niveau!politique).!D’où!la!nécessité!de!ne!pas!en!rester!à!une!lecture!biblique!même!interprétée!mais!
d’en!passer!par!une!réflexion!proprement!théologique,!qui!ne!peut!faire!l’économie!d’un!travail!sur!
le!langage!(les!concepts)!et!d’un!détour!par!la!tradition!théologique.!
Benoit!Bourgine!(UCL)!
Session théologique 26 et 27 août 2013 – Texte des interventions!
!
Sauvés,*mais*de*quoi*?**
Jean?Pol*Gallez*
Introduction
Deux remarques préliminaires utiles pour la lecture de l’ensemble des textes proposés :
9
Visée générale. « Dieu pour penser » ; mais penser quoi ? Pour Gesché, Dieu permet
de penser l’homme (p. 13). Sur la question du salut, il permet de penser que l’homme
a un destin car il est un être créé, révélé et sauvé ; pas seulement l’être intelligent,
social et parlant d’Aristote (p. 13). La thèse de Gesché, dans ce cinquième volume, est
alors que Dieu est une hypothèse inutile dans l’ordre du penser scientifique mais pas
dans celui de l’appel sans lequel l’homme deviendrait lui-même cette hypothèse
inutile, une « liberté pour rien » (p. 14).
9
Distinctions épistémologiques. Gesché distingue les rationalités scientifique,
philosophique et théologique : la science vise un savoir ; la philosophie un sens ; la
théologie la destinée (p. 12). Il y a là une clé pour tout pédagogue, pour tout
enseignant. La foi concerne la réalisation de l’être de l’homme ; elle prévient le sens
de ne rester que dans l’ordre noétique du penser pour l’entraîner sur le terrain de
l’ordre existentiel (p. 12-13). Plus loin, la théologie est décrite comme un « horstexte » qui permet de rendre tout texte sur l’homme lisible ; cette veilleuse qui rappelle
l’ « inconnaissance qui baigne toute connaissance » ; cette « note de bas de page […]
qui dit au texte son in-fini » (p. 14).
Remarque liminaire relative à l’extrait proposé :
Gesché estime important d’ « interroger les mots sur ce qu’ils entendent dire de propre »
(p. 16). C’est ce que je vous souhaite de faire en ateliers : à savoir, interroger la notion même
de « salut ». À cet égard, il peut être intéressant d’avoir à l’esprit les définitions que donne
Gesché des « trois F » dans les lignes qui précèdent juste l’extrait. Elles peuvent aider à avoir
un regard critique sur le texte, surtout en ce qui concerne le deuxième « F » :
9
Comme dans l’extrait, la finitude est identifiée à la mort. La mort signifie « la brièveté
du temps […] elle est en nous cet aiguillon qui […] semble réduire d’avance notre
vœu de plénitude […] elle apparaît traditionnellement comme l’Ennemie ».
9
Plutôt que de la faute, Gesché parle du mal, qu’il soit subi (échec et malheur au sens
large) ou voulu (la faute, le péché).
9
La fatalité concerne « toutes les contraintes […] les impuissances de tous ordres […]
une force de nécessité ».
Questions et consignes.
© U.C.L. Faculté de théologie (Prof. B. Bourgine)!
14!
!
Conférence
Gesché précise sa visée très clairement (p. 18-19) : ne pas chercher à prouver quoi que ce
soit mais rendre intelligible des mots qui ne parlent plus. La rationalité de la foi ne doit pas
aller plus loin pour lui, sous peine de se diviser. De plus, la foi n’aurait-elle rien à dire face à
la question du Mal partout présent (p. 20) alors même que des philosophes revisitent les
termes que les chrétiens ont eux-mêmes tendance à rejeter (p. 9-11, 20) ? Son ambition est
celle de Socrate : « présenter un exposé qui ne soit pas moins vraisemblable que celui d’un
autre » (p. 21) ; montrer que la théologie a sa place parmi les rationalités à condition d’avoir
le courage de revisiter ses propres mots (p. 11, 20).
Trois étapes jalonnent ma réflexion. Je reviendrai d’abord sur la méthodologie que Gesché
met en œuvre dans le texte. En faisant moi-même retour sur le texte, je la prolongerai à mes
risques et périls. Enfin, je proposerai quelques points de repères traditionnels sur le salut en
reprenant la visée positive du salut sur laquelle insiste Gesché.
1- La méthode
a. Le « soupçon »
Gesché pose d’abord un nombre impressionnant de questions sur la notion de salut (p. 2830). Ces questions sont marquées du sceau du doute. C’est la première notion à visiter en
guise de préalable.
15!
Pour bien comprendre cette démarche du soupçon, il convient de revenir un bref instant en
arrière. Gesché trace une frontière très claire entre le bon et le mauvais soupçon (p. 1718) : le bon doute – au sens cartésien – est celui qui cherche à montrer la « capacité de la
vérité », à l’ « assurer » même. Descartes, explique l’auteur, doute de ses sens et de sa
raison, car il pressent l’existence d’une Vérité absolue. Contrairement à ce qu’on pourrait
croire, le doute cartésien est donc une mise en garde adressée au réductionnisme
scientifique et rationaliste. Cela, il faut trouver des voies pour l’expliquer à des élèves : oui
à la raison, non à la raison absolue, pourrait-on dire ! Le bon doute est celui qui ose
courageusement revisiter le sens des mots pour voir comment ils concernent encore notre
existence, plutôt que de les abandonner sans examen car cet abandon, dit Gesché (p. 16),
devient à son tour « dogmatique ». Ces affirmations donnent le sens du mauvais soupçon :
c’est celui qui ne cherche pas à faire droit à la vérité et qui ne sort donc jamais du soupçon.
Il faut chercher à lever le doute en vue de la vérité. Le mauvais soupçon est celui dans
lequel on se complaît, c’est le soupçon absolu qui ne sait plus se soupçonner lui-même,
selon la critique de Pascal, cette fois (p. 17).
On voit donc comment Gesché veut sortir de l’ « ère du soupçon » tout en recevant et en
pratiquant le doute. L’auteur veut aussi aider l’homme contemporain à assumer sa tradition
par laquelle lui parvient des mots porteurs de sens – le salut, l’éternité, etc. Le croisement de
ces deux traditions – cartésienne et dogmatique – produit le questionnement des mots en vue
d’une vérité sur l’existence. On peut donc être cartésien et chrétien ! Et c’est une bonne
nouvelle. Parmi ces questions, retenons les suivantes :
Session théologique 26 et 27 août 2013 – Texte des interventions!
!
9
D’où tenons-nous la conviction que nous devons être sauvés ? Avant tout contenu,
Gesché interroge d’abord le fait même de ce qui nous habite. Pourquoi la question du
salut s’est-elle posée à l’homme depuis toujours ? « D’où vient cette invention ? » (p.
29). L’auteur nous invite ici à prendre conscience du phénomène de transmission –
c’est la tradition ! – qui nous affecte tous. Nous sommes tous inscrits dans une
histoire.
9
Gesché reprend ensuite, sous forme de question toujours, une réponse commune, pas
toujours bien questionnée elle-non-plus : « ne serait-ce pas une ʺinvention de
prêtresʺ » elle-même portée par l’invention de notre condition de pécheurs et
« destinée à nous conduire à Dieu par la force et la peur » ? « Suis-je donc un être
perdu, qui ne peut rien attendre que d’un salut ? », poursuit Gesché (p. 29), qui se
demande, avec beaucoup d’entre nous, si la question du salut n’a pas été extrêmement
moralisée à travers l’histoire plutôt que de rester simplement dans l’ordre de la
destinée (p. 30) ?
L’examen d’une notion commence donc, non pas par sa définition, mais par les questions
– les nôtres – qu’on peut légitimement lui adresser mais à condition de persévérer dans une
posture de recherche de vérité.
b. Souci terminologique
Deuxième observation. Gesché prend d’abord le terme questionné dans son sens positif,
pour ce qu’il veut dire. L’auteur privilégie donc le terme brut « sauver » par rapport à
l’approche négative souvent véhiculée « sauver de » (p. 30-31). « Sauver », connote d’abord
l’idée d’un accomplissement de l’homme : « sauver, c’est amener quelqu’un au bout de luimême, lui permettre de s’accomplir, de trouver son destin » (p. 30). L’approche négative –
que Gesché ne rejette pas – prend place et ne se comprend que sur le fond de cet élan :
« l’homme, sur ce chemin de l’accomplissement de soi, fait l’expérience de traverses et
d’obstacles ». L’auteur rappelle à raison que le « salut de » est inintelligible sans la priorité du
« salut en vue de » (p. 32). Le terme est pris dans son sens absolu, puis seulement, relatif. Il y
a là, me semble-t-il, une autre clé pédagogique applicable en milieu scolaire (montrer que les
mots ont un sens et une histoire, que leur(s) définition(s) n’ (ne) est (sont) pas malléable(s) à
volonté).
2- Remarques critiques
Glissons-nous un instant dans la démarche de l’auteur, rappelée à l’instant. À notre tour,
soupçonnons » donc un peu son texte dans une démarche de recherche de vérité.
a. Théologie biblique du salut
Dans son approche du terme « salut », Gesché n’explore pas beaucoup les différents
termes qui disent le salut dans l’Écriture. Sans nier la mise au point qu’il fait quant à la
priorité du sens positif du terme « salut », et sans nullement remettre en cause sa critique de la
tradition – celle-ci s’est bâtie sur le sens négatif « sauvé de » – l’auteur ne pousse pas très loin
l’enquête de théologie biblique. Deux points doivent être précisés à cet égard. D’une part, les
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16!
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occurrences de l’Ancien et du Nouveau Testament connotent toutes l’idée d’une libération de
quelque chose : de situations négatives de type matériel (oppression, maladie, la condition
terrestre en général) ; au plan moral et spirituel (le mal, le péché, la condamnation
eschatologique (Lc 13, 23). D’autre part – ce second point ne pose pas problème puisqu’il est
totalement assumé et exploré dans le texte suivant –, le concept biblique de salut vise
l’intervention de Dieu dans l’histoire en vue d’établir une nouvelle relation avec l’homme. Le
salut suppose donc toujours une altérité qui indique le don libre et gratuit de Dieu. En
contexte chrétien, ce deuxième point engage l’unique médiation du Christ dans le salut –
point peut-être le plus stable de la tradition chrétienne. Le rappeler d’emblée aurait, me
semble-t-il, enrichi l’insistance de Gesché sur la priorité à accorder au versant positif du salut.
b. Faute et fatalité
Dans sa définition préalable du second ordre, Gesché parle du mal, pas directement ni
exclusivement de la faute. L’auteur parle du « mal voulu » – la faute donc, et du « mal subi »
– le mal « innocent et immérité, ce qui renvoie à la fatalité. La catégorie de la « fatalité »
recouvre donc partiellement celle du « mal » que Gesché restreint assez vite à la « faute », en
contradiction avec sa première définition (qui ne se trouve pas dans l’extrait étudié).
17!
Ce manque de rigueur dans les catégories se répercute dans son traitement du thème de la
« fatalité », où Gesché opère un écart entre sa définition première du terme – le mal pris
globalement – et la réponse chrétienne qu’il veut mettre en lumière – le discours chrétien sur
le péché. En effet, la « fatalité » est évoquée à travers les expressions que vous avez relevées
en ateliers : « nécessité », « élan freiné », « résignation », « déterminismes », « puissance qui
nous échappe » de type « irrémédiable » et « définitif ». Mais la réponse à la seconde question
– en quoi sommes-nous sauvés de la fatalité ? – reconduit à l’univers de la faute, du mal fautif
et, partant, du seul niveau de la liberté. Gesché illustre d’ailleurs son propos par l’épisode de
la femme adultère. L’auteur restreint donc son propos à la sphère du mal qui engage la
responsabilité du sujet alors que l’univers de la fatalité vise « toutes les impuissances de tous
ordres, qui contredisent sans cesse mes vœux et mes efforts » (p. 34 juste avant le début du
texte). La réponse à la fatalité est donc expliquée par le discours chrétien sur la faute. S’il est
vrai qu’il n’y a pas de fatalité face au péché, comment répondre à celle qui n’a rien à voir
avec le péché – le mal subi et innocent ? Gesché ne le dit pas. Sur ce point, l’Évangile
enseigne que le Christ n’a pas donné d’explication au mal mais s’est simplement rangé
activement du côté de ceux qui en souffrent. L’Évangile ne donne donc aucune cause mais
propose une posture spirituelle et historique pour porter le mal – qu’il soit voulu (fautif) ou
subi. La piste – pourtant la seule – n’est pas exploitée, ni même mentionnée, à ce stade par
Gesché.
Autre souci, s’agissant de la fatalité. Dans l’optique qui est la sienne, Gesché revisite,
pour lui redonner sens, le discours chrétien sur le péché pour montrer qu’il a paradoxalement
permis de lutter contre la fatalité en tenant que l’homme n’est pas réductible à sa faute, que
son destin lui est toujours ouvert. Le texte ne dit cependant pas comment nous sommes sauvés
par le Christ, d’ailleurs peu présent dans le propos (femme adultère). Bref, on peut avoir
l’impression qu’on est davantage sauvé par le discours chrétien sur le péché que par le Christ
lui-même. Sans vouloir empiéter sur le second texte, vous y constaterez que Gesché
commence sa réflexion en précisant bien qu’on est sauvé par le Christ mais toute la suite du
propos est centrée sur l’altérité divine – prise en général – et pas sur l’homme Jésus comme
Session théologique 26 et 27 août 2013 – Texte des interventions!
!
tel. Or, tout le mouvement christologique de la seconde moitié du XXe siècle a cherché à
rendre une meilleure intelligence des formules dogmatiques classiques à partir d’une prise en
compte de l’humanité du Christ (cf. la session 2011 sur Theobald et le « style hospitalier » de
Jésus). Il convient donc de ne pas laisser de côté l’attitude humaine concrète de Jésus qui se
range du côté de ceux qui se sentent prisonniers de ce triple univers décrit par Gesché, car
c’est cette humanité qui révèle sa divinité.
3- Le salut comme « projet » de Dieu
L’un des points les plus remarquables de la pensée exprimée dans notre extrait concerne le
lien établi par Gesché entre le salut et la « défatalisation ». L’auteur nous rappelle à bon
escient que l’homme peut quelque chose contre le mal, quelle que soit sa forme, et insiste sur
l’impact que ce discours a eu sur notre civilisation (avec son poids de culpabilité aussi). Plus
profondément, le texte nous invite à réfléchir sur les racines de cette défatalisation dans la
Révélation elle-même. Cela nous pousse à reprendre la thématique du projet de Dieu, de son
« dessein » pour l’humanité. À partir de cet horizon, je vous propose de passer en revue
quelques-unes des caractéristiques essentielles traditionnellement reconnues au salut chrétien.
Salut et création
L’histoire de la révélation commence par le récit de la Création de l’univers et de
l’homme. Cette donnée initiale contient en elle toute l’idée – centrale chez Gesché – d’une
destinée. Il y a donc un lien théologique intime entre salut et création. D’emblée, on constate
donc que le salut par la création ne peut être qu’un appel à la vie, une invitation à accomplir
un don. Gesché a donc raison d’insister sur la notion de salut comme « accomplissement ». En
bref, le lien entre création et salut indique dès le départ que celui-ci est de l’ordre de l’histoire
en régime chrétien. Dieu est intérieur à l’histoire et la vit avec nous. En créant, Dieu nous
sauve déjà car il se rend présent à notre histoire et révèle qu’il est à la source – à la création –
de notre liberté. On se trouve au cœur de ce qui distingue radicalement le christianisme du
gnosticisme – c’est-à-dire d’un prétendu salut par la connaissance que l’homme acquiert sur
lui-même. Ce qui compte, ce n’est pas la connaissance humaine mais l’acte de Dieu de faire
histoire avec nous dès qu’il crée. Le salut n’est pas acosmique et spiritualiste. Enfin, ce lien
montre que le salut chrétien n’est pas réductible à une récompense individuelle.
Universalité du salut
Le fait d’une révélation par la création esquisse également un autre aspect du salut, à
savoir sa dimension universelle. La création tout entière est concernée par ce salut. Dieu veut
habiter sa création pour lui partager sa vie. Tel est son dessein. Dès les origines, le salut est
une vivification offerte à tout et à tous, pourrait-on dire. Pour en revenir au caractère salvateur
de l’humanité du Christ, indiquons deux éléments qui donnent consistance à cette
universalité :
9
L’activité thaumaturgique de Jésus : comme vous le savez, les guérisons de Jésus se
trouvent au cœur des évangiles. Ensemble, ils constituent l’événement central de ce
salut. Ils en sont comme sa nature. À travers eux, Jésus révèle l’amour inconditionnel
du Père pour sa création sous la forme du don intégral que Jésus fait de lui-même. Ils
concrétisent dans l’histoire le « pour-nous » de Dieu que Jésus décidera de porter à
l’extrême sur la croix. Ce qui nous sauve, in fine, c’est que la mort n’est pas néant
© U.C.L. Faculté de théologie (Prof. B. Bourgine)!
18!
!
puisque Dieu lui donne, en Jésus, le sens d’un acte d’amour personnel qui va jusqu’au
bout. C’est alors que la mort de Jésus nous ouvre une destinée, celle qui consiste à
entrer dans ce don qui nous pousse à vivre pour les autres. En tant que les guérisons de
Jésus ne sont de droit réservées à personne, et que sa mort en croix constitue
l’aboutissement de cette attitude, il en ressort que le salut qui s’y révèle a une portée
universelle. De manière générale, soulignons le risque auquel nous sommes tous
confrontés de considérer l’humanité du Christ comme une donnée abstraite, comme
une simple nature immobile en laquelle se dépose la divinité, alors qu’elle est d’abord
pour toute personne le lieu d’une communication vivante et personnelle, à commencer
par jésus lui-même !
9
19!
L’attitude de Jésus par rapport à la loi : « Sauvé de …la Loi ». En Christ, le salut est
clairement mis en lien avec un affranchissement de la loi – ce qui nous fait revenir par
un autre chemin au fameux « sauvé-de » par rapport auquel Gesché prend ses
distances. Pour le chrétien, la pensée de Paul est évidemment centrale à ce sujet. À cet
égard, le salut concerne étroitement notre rapport à la religion considérée sous l’angle
du respect des pratiques, des règles, du rite et du culte. Toute loi est destinée à faire
grandir. Mais au bout de cette croissance se pose inévitablement la question de son
utilité. Sous cet angle, le salut concerne de près la façon dont Dieu sauve en amenant
l’homme vers la maturité de l’âge adulte – thème déjà aperçu comme central lors de la
session de 2009 sur J. Moingt15. Deux aspects de l’humanité du Christ s’avèrent
déterminants : la façon dont il relève sans cesse l’homme (supra) et, précisément, sa
liberté par rapport à la loi religieuse. L’affranchissement de la loi rend compte, en
outre, du caractère universel du christianisme (supra) puisqu’il signifie l’écart pris par
rapport à toute particularité religieuse16. On peut citer, comme exemple significatif, le
conflit de Pierre et de Paul à Antioche (Ga 2). Fondamentalement, si la loi devient
insuffisante, c’est en raison de la révélation de l’inconditionnalité du pardon de Dieu
révélé à la Croix (supra). Celle-ci signifie que le pardon est offert à tous bien au-delà
de particularismes religieux qui voudraient le restreindre à des groupes bien définis.
En mourant, Jésus révèle le visage d’un Dieu aimant et Père de tous les hommes.
Paradoxalement, il révèle aussi que la liberté est peut-être plus difficile à porter que le
joug de la loi qui rassure et balise. Or, comme on vient de le voir, être sauvé, c’est
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
15
Beaucoup de Pères grecs ont relié le salut apporté par la Christ à la notion d’éducation dont on trouve
encore des traces jusque dans l’Aufklärung allemande. C’est ainsi qu’un Lessing ou un Kant interprète la
révélation judéo-chrétienne comme dans le sens d’une éducation de l’humanité. Nous savons qu’il y a plus dans
le concept chrétien de « salut », notamment le combat et la victoire du Christ contre le mal et, surtout, le dessein
de faire participer l’homme à l’intimité de l’amour trinitaire.
16
Cf. le propos de Moingt relatif à la figure de Paul (cf. session 2009). Avec Jésus, dit Moingt, un nouveau
régime du salut s’inaugure, celui de « l’interruption des garanties » (Jüngel), il y a une rupture entre la lettre et
l’esprit des Écritures anciennes (Dh II/2, p. 561). On quitte le régime du « pharisien assoiffé de pureté mais
aveuglé par son zèle » (Dh II/2, p. 565). De sa méditation de la Croix, Paul comprend que Jésus est sauvé sans la
Loi – c’est même elle qui le condamne ! – et que le chrétien l’est pas la foi seule. Paul comprend que la justice
de Dieu est un pardon accompli en dehors de la Loi. Désormais, ce ne sont plus les hommes qui s’approchent de
lui par la réparation des fautes au moyen du culte, mais Dieu qui vient à eux pour donner son Esprit à ceux qui se
fient à son Fils. Cette rencontre de Damas le prend dans sa situation concrète de pharisien, altère son identité
passée et renverse sa destinée (Dh II/2, p. 568). En fin de compte, Paul comprend qu’il n’y a pas d’universalité
possible du salut sans un détachement par rapport à la Loi. C’est pourquoi Moingt décrit l’actualité de la
polémique d’Antioche à travers une question lancée à nous tous : « Comment estimons-nous être sauvés, nous
chrétiens ? » (Dh II/2, p. 579). En conclusion de son examen de Rm 9-11, Moingt affirme que le chrétien ne peut
se prévaloir du salut pour lui-même qu’en le rendant accessible à tous les hommes (Dh II/2, p. 584).
Session théologique 26 et 27 août 2013 – Texte des interventions!
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plutôt entrer dans une économie de gratuité. Plus rien n’est « payant ». Par contre, il
faut entrer dans ce don et nous savons tous que ce n’est pas le plus facile.
Sauvé par la foi.
Pour entrer dans ce nouveau régime du salut, Dieu fait un autre don, celui de la foi. Les
guérisons de Jésus et, finalement, sa mort en croix, ainsi que sa distance par rapport à la loi,
ne sont compréhensibles que s’ils nous donnent ce qui est nécessaire à l’accomplissement de
notre destinée. C’est pourquoi la vie et la mort de Jésus doivent sans cesse être proclamées
dans le temps de l’Église afin de nous rendre sans cesse le don de la foi qu’ils véhiculent en la
ressuscitant sans cesse. En régime chrétien, l’annonce ne peut jamais être séparée de
l’événement objectif du salut car c’est essentiellement par la foi mise dans cette annonce que
le salut contenu dans l’événement parvient jusqu’à nous. Paul ne parle-t-il pas de la « parole
de la croix » comme d’une « puissance de Dieu » (1 Cor 1, 18) ? Oui, la vie et la croix de
Jésus sont pour nous une parole sans cesse à réentendre et à recevoir en vue de notre salut car
cette parole nous fait entrer par la foi dans le don de soi de Dieu révélé en son Fils. Encore
plus clairement, Paul affirme : « Par l’Évangile, vous recevez le salut, si vous le maintenez
dans la forme avec laquelle je vous l’ai annoncée « (1 Cor 15, 1 et s.). De cela, nous
comprenons facilement que le salut possède une double dimension de don (de Dieu) et
d’engagement (de l’homme). Il s’agit bien, dans un certain sens, de « faire son salut », à
condition que ce soit à l’horizon d’un affranchissement de la loi et donc, inversement, d’une
croissance dans la liberté que réalise l’entrée effective dans l’économie du don, bref par une
foi pratique.
20!
Conclusions
En liant le salut à la création, le christianisme en fait d’emblée une histoire ; en le
reconnaissant avant tout dans les actes d’humanité du Christ qui relève et guérit, jusqu’à en
mourir, et en ne mettant au salut aucune condition si ce n’est celle de la foi au Christ, ce
même christianisme reconnait à ce salut une portée universelle, déjà en germe dans la création
qu’il cherche à accomplir ; enfin, en insistant sur sa visée d’affranchissement de la loi,
nécessairement particularisante et, à terme, enfermante, le christianisme achève de déployer
cette universalité du salut dans le sens d’un appel à devenir des hommes et des femmes
responsables de nos libertés, c’est-à-dire, pleinement adultes. Une dernière dimension du salut
chrétien en découle – son aspect eschatologique – car bien que le salut soit déjà-là, en raison
du caractère historique de l’événement Jésus-Christ, nos libertés ne cessent jamais de
s’accomplir dans cette même histoire et la totalité de notre identité de créature ne peut nous
être rendue que dans une participation pleine et entière à l’événement de résurrection qui,
nous le croyons – dans la foi – et l’espérons – c’est-à-dire, nous le défatalisons –, concerne
aussi nos corps mortels.
© U.C.L. Faculté de théologie (Prof. B. Bourgine)!
!
Sauvés,*mais*par*qui*?*17*
Paulo*Rodrigues*
Introduction
1) « Je » : la crise de l’identité
2) « Tu » : l’altérité constitutive de l’identité
3) « Dieu » : l’Autre de l’homme
4) Le salut par un Autre
Introduction
Le texte « Sauvés, mais de quoi ? »18 a mis en évidence les obstacles qui se lèvent sur le
chemin de l’être humain vers son accomplissement : la finitude, la faute et la fatalité
(l’univers des trois F). Posée ainsi la question portant sur la signification du mot salut et son
objet propre, il s’impose maintenant de réfléchir sur la question qui en découle naturellement :
« Sauvés, mais par qui ? »19.
Certes, la réponse est claire à l’intérieur du christianisme, où l’affirmation de Jésus
21!
comme sauveur et médiateur universel reste déterminante et essentielle pour l’identité même
de cette religion. Cependant, cette affirmation soulève un grave problème, non seulement
dans le contexte de la diversité des religions qui proposent d’autres médiations, mais aussi
dans la société séculière, où une certaine conception de l’autonomie et de la liberté humaines
entre en conflit avec l’idée d’un salut venant par un ‘Autre’. En effet, le salut pourrait être
pensé comme le terme d’une ascèse personnelle ou comme résultat d’une illumination (cas de
la gnose ancienne), tout en excluant l’intervention d’une médiation.
Dans le texte qui sera commenté par la suite, Adolphe Gesché fait le point sur l’identité
de l’homme dans la modernité, laquelle met l’accent sur la détermination de l’être humain par
soi-même, en toute indépendance d’une instance externe. Ainsi surgit un soupçon par rapport
à la valeur de l’idée de Dieu pour penser l’homme ; car cette idée semble être contraire à
l’affirmation de l’autonomie de l’homme et à l’exercice de sa liberté. En ce sens, la pensée
moderne et contemporaine en vient à proclamer la mort de Dieu pour affirmer l’autonomie de
l’homme qui doit, désormais, se constituer à partir de soi-même, en toute indépendance par
rapport à une altérité divine.
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
17
Communication faite le 27 août 2013, à la Faculté de théologie de l’UCL (Louvain-la-Neuve) lors de la
Session théologique « À!quoi!bon!le!salut!?!Lecture!d’Adolphe!Gesché!»,!les!26927!août!2013.
18
A. GESCHÉ, La destinée (Dieu pour penser, 5), Paris, Cerf, 1995, p. 28-41
19
A. GESCHÉ, La destinée, p. 41-52.
Session théologique 26 et 27 août 2013 – Texte des interventions!
!
Dans ce texte, Adolphe Gesché s’appuie sur les philosophies de l’altérité du XXe siècle
(notamment Levinas) pour penser la constitution de l’identité à partir de l’altérité : l’homme
se construit non seulement à partir de soi-même mais aussi dans son rapport aux autres. C’est
dans ce contexte que le théologien louvaniste propose ‘Dieu’ « l’Autre de l’homme », altérité
à partir de laquelle l’homme peut se penser dans un horizon plus large que celui de la pure
immanence.
1) « Je » : la crise de l’identité
« Nous avons besoin d’altérité, de l’autre, de l’Autre.
Nous ne pouvons nous donner notre identité
en restant dans une chambre d’écho. »20
L’homme n’est pas absolument transparent à lui-même. Habité par les questions de son
origine, de son identité et de son destin, il demeure un mystère pour lui-même. L’énigme qui
le traverse, en lui ouvrant un vaste espace d’interrogation, lui interdit une clôture en soi-même
et le conduit aussi à poursuivre cette quête comme interrogation sur la nature, le cosmos, les
dieux, l’originaire et l’ultime…
Dans le monde occidental, la religion chrétienne a constitué, pendant longtemps, le
cadre naturel qui configurait une compréhension de l’être humain et du monde, qui
déterminait et influençait les institutions, les savoirs, les arts, les mœurs, la vision de
l’histoire, la politique… Ses traces et ses influences restent encore très visibles dans la culture
et les institutions, malgré le mouvement irréversible de la sécularisation. Ce mouvement n’est
d’ailleurs que l’aboutissement d’un processus d’autonomisation de la pensée et des
institutions par rapport à la sphère du religieux, qui s’est consolidé à l’Âge moderne.
La modernité, en affirmant les droits de la raison face à toute instance d’autorité,
introduit un clivage décisif dans la conception de l’homme. Si pendant longtemps l’homme a
été pensé à la lumière de la foi et de la révélation chrétienne comme créé à l’image et
ressemblance de Dieu (cf. Gn 1, 26), désormais, au nom d’une raison émancipée et critique,
l’homme doit se penser dans les limites de la raison naturelle. C’est dans l’horizon de la
raison que l’homme doit dorénavant chercher la réponse aux questions kantiennes : « Que
puis-je savoir ? », « Que dois-je faire ? », « Que m’est-il permis d’espérer ? », « Qu’est-ce que
l’homme ? ».
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
20
A. GESCHÉ, Ne pereant, XXIII, 29 (5.11.83), be.uclouvain.fichiergesche.alterite_41.
© U.C.L. Faculté de théologie (Prof. B. Bourgine)!
22!
!
Dans le contexte d’une raison absolue et émancipée, l’idée de Dieu semble devenir
inadéquate pour penser l’homme… En effet, comme l’explicite Ludwig Feuerbach dans son
ouvrage L’Essence du Christianisme (1841), Dieu n’est que la projection de ce que l’homme
désire, le miroir où se reflet l’homme. Or pour devenir soi-même, il faut donc que l’homme
casse le miroir, qu’il reconquière pour soi-même ce qu’il avait projeté en Dieu. Émerge ainsi
l’idée d’une opposition insurmontable entre l’affirmation de Dieu et l’affirmation de
l’homme. L’autonomie moderne est conçue comme la construction de l’homme par soi-même
et à partir de soi-même. L’homme moderne doit se constituer à partir de soi-même, en toute
indépendance par rapport à une altérité divine, c’est-à-dire qu’il doit se construire comme si
Dieu n’existait pas, Etsi Deus non daretur (Grotius), car l’homme meurt au contact de
l’absolu21.
L’idée de Dieu semble être irréconciliable avec le projet de l’homme, son autonomie et
l’exercice de sa liberté. L’homme moderne se construit par soi-même, sans Dieu, n’obéissant
à d’autres déterminations que celles qu’il s’impose lui-même et qui découlent de l’exercice
d’une raison éclairée. L’autonomie ainsi comprise comme détermination de soi-même par soimême, conduit à l’exclusion de l’idée de Dieu et à la constitution d’une subjectivité ‘déliée’
de la Transcendance. Ainsi le dilemme « ou bien Dieu, ou bien l’homme » (Aut Deus, aut
homo) se résout finalement par l’élimination du premier terme. Il faut que ‘Dieu’ soit effacé
23!
de l’horizon, qu’il meure pour que l’homme vive : « Dans la "mort de Dieu", de l’Autre,
l’homme ne voit plus que lui-même, se regarde narcissiquement lui-même, refusant une
Altérité qui dépasse l’altérité avec autrui »22.
Libéré de toute contrainte et détermination externe (surtout ‘divine’), réaffirmé dans son
autonomie et sa liberté, conduit par une raison critique et éclairée, l’homme devrait être
parvenu à une explicitation de son mystère. Cependant le mystère résiste et l’énigme
demeure. Comme l’affirmait Kant : « Deux choses remplissent le cœur d’une admiration et
d’une vénération toujours nouvelles et toujours croissantes, à mesure que la réflexion s’y
attache et s’y applique : le ciel étoilé au-dessus de moi et la loi morale en moi »23.
Cette difficulté d’objectivation totale de l’homme, ne dérive-t-elle pas du fait que
« l’homme est un être incalculable »24 ? N’aurait-il pas besoin d’un excès venant hors de lui
pour qu’il puisse finalement se dire ? Privé d’une Parole venant d’un Haut, n’est-il pas réduit
à vaguer dans un désert métaphysique - Dieu est déjà mort -, où il ne recueille que l’écho de
son propre discours ? Comme Narcisse, passionné par lui-même, ne court-il pas le danger de
se noyer en voulant embrasser sa propre image reflétée dans l’eau ?
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
21
Paraphrase de « La conscience métaphysique et morale meurt au contact de l’absolu », reprise par Adolphe
Gesché de M. MERLEAU-PONTY, Sens et Non-sens, Paris, Nagel, 1966, p. 167
22
A. GESCHÉ, Ne pereant, V, 90 (20.7.68), be.uclouvain.fichiergesche.alterite_5.
23
E. KANT, Critique de la raison pratique (Folio essais, 133), Gallimard, Paris, 1985, p. 211-212.
24
A. GESCHÉ, Ne pereant, XLI, 44 (9.10.87), be.uclouvain.fichiergesche.salut_351.
Session théologique 26 et 27 août 2013 – Texte des interventions!
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Comme affirme Adolphe Gesché « L’homme meurt devant un miroir. Devant soimême, seul »25. L’être humain ne peut pas s’expliciter, se dire, se comprendre totalement à
partir uniquement de soi-même…Son discours devient vite une tautologie car la question sur
l’homme dépasse les frontières de la pure immanence où il voulait, confortablement,
s’installer. Certes, selon Protagoras, « L’homme est la mesure de toutes choses »26. Mais
quelle est finalement la mesure de l’homme ? À quoi ou à qui peut-il se mesurer ?
Peut-être l’homme gagne quand il se pense aussi à partir d’un autre, quand il comprend
la possibilité de se mesurer à partir d’une altérité…
2) « L’autre » : l’altérité constitutive de l’identité
« Pour le chrétien,
l’enfer ce n’est pas l’autre,
c’est soi seul.
L’autre est celui qui (me) délivre de la solitude. »27
La modernité, en pensant l’autonomie humaine comme détermination de soi-même à
partir de soi-même, a oublié la dimension essentielle de l’altérité dans la détermination de
l’identité. Personne ne se construit uniquement à partir de soi-même. Isolée, la personne
meurt de solitude. Les philosophes de l’altérité comme Martin Buber et Emmanuel Levinas,
entre autres, ont mis en pleine lumière que l’altérité est constitutive de l’identité de la
personne et que c’est par l’autre que chacun accède en partie à son mystère. La constitution de
l’identité suppose l’interpellation par un autre, qui rende possible l’émergence de la
conscience de soi-même : si je parle, si je pense, si j’aime, c’est parce que préalablement
quelqu’un m’a parlé, m’a appris, m’a aimé ; si je peux aujourd’hui dire « Je suis », c’est grâce
à tous les autres, qui en croisant mon chemin m’ont dit « Tu es » et m’ont appelé par mon
nom, en m’arrachant à l’anonymat. « Toute vie véritable est rencontre »28, affirme Martin
Buber.
Adolphe Gesché est péremptoire par rapport à ce sujet : « Se poser soi-même, sans
altérité qui me pose, s’annoncer soi-même, c’est prendre le risque d’une annonce sans
annoncer, d’un messager sans message. Se poser soi-même, sans un créateur autre, c’est la
(mauvaise) tautologie. La création par altérité est condition d’autonomie car, alors, je suis
justement posé différent. Sinon, l’homme ne peut être que ce qu’il se fait, déterminer par sa
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
25
A. GESCHÉ, Ne pereant, XXXV, 20 (3.4.86), be.uclouvain.fichiergesche.alterite_109.
Protagoras cité par PLATON dans Théétète, 152a
27
A. GESCHÉ, Ne pereant, V, 64 (±1.10.67), be.uclouvain.fichiergesche.identite_alterite_3.
28
M. BUBER, Je et Tu, Paris, Aubier, 1969, p. 30.
26
© U.C.L. Faculté de théologie (Prof. B. Bourgine)!
24!
!
propre imagination, et peut-être alors marqué par un déterminisme absolu. Il faut qu’il soit
mis en présence de quelque chose de différent de lui pour être vraiment libre et non esclave de
lui-même, bouclé sur et par soi dans une identité fermée, dans une identité dont il est la
source. Le plus sûr moyen de ne pas rendre un individu autonome, c’est de ne pas lui donner
de vis-à-vis. Alors, je suis enfermé dans ma solitude (solitude = enfermement) le non sens
d’une folie. C’est le règne du reflet. Tourbillon. C’est la différence qui fait l’identité. »29
La personne est ainsi le point de confluence de ses décisions personnelles et des
interactions avec d’autres libertés. On ne devient une personne que dans la rencontre avec
autrui, où la différence se fait visible. Au commencement la personne est relation. C’est dans
la rencontre qu’elle se découvre comme donnée à soi-même et découvre l’autre comme
chemin vers son identité. L’autre me révèle à moi-même comme « être-pour-la-rencontre ».
L’intersubjectivité est ainsi constitutive de la personne. Dans la rencontre, un mot, un geste,
un regard, peut changer toute une vie, en lui ouvrant un horizon insoupçonné ou en lui
imprimant une autre direction. La rencontre avec autrui laisse en chacun une empreinte,
parfois indélébile…pour le meilleur et pour le pire.
Dans la dynamique de la rencontre, dans laquelle l’homme se construit, émerge vite
l’intuition d’une insuffisance fondamentale, d’une incomplétude insurmontable. L’autre ne
constitue pas la réponse à toutes mes attentes, ni ne peut finalement me révéler totalement à
25!
moi-même. Si la rencontre avec autrui peut être éclairante par rapport à une compréhension de
soi-même, elle peut vite devenir un jeu de miroirs entre individus ou dégénérer dans le mirage
d’une identité communautaire se substituant à l’individu. L’espace horizontal, dans lequel
l’homme cherchait à se dire, peut devenir ainsi un espace trop étroit et asphyxiant… La
rencontre avec les autres est une étape sur le chemin vers son identité, non le terme.
Finalement, l’autre ne peut pas me sauver…
Ainsi qui sauvera l’homme de s’enfermer dans l’espace horizontal ? Qui lui ouvrira la
dimension d’un ciel pour se dire ? Est-il possible encore espérer un salut par un autre ?
3) « Dieu » : l’Autre de l’homme
« L’homme sans Dieu, sans réfèrent, sans Tiers
serait tautologique (et donc inidentifiable). »30
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
29
30
A. GESCHÉ, Ne pereant, XXV, 30-31 (29.5.84), be.uclouvain.fichiergesche.alterite_65 et 66.
A. GESCHÉ, Ne Pereant, L, 62 (18.9.88), be.uclouvain.fichiergesche.tautologie_8.
Session théologique 26 et 27 août 2013 – Texte des interventions!
!
Seule une altérité tout autre, une altérité absolue, un Tiers-transcendant semble pouvoir
ouvrir une dimension de verticalité… Peut-être l’homme ne trouve-t-il sa vraie mesure qu’en
se comparant avec l’altérité divine. Pour Merleau-Ponty l’homme meurt au contact de
l’absolu. Peut-être faut-il plutôt dire que « l’homme vit au contact de l’Absolu »31. C’est peutêtre en se situant devant Dieu, que l’homme peut vraiment se mesurer et découvrir sa vraie
identité. Dieu, l’Autre de l’homme, constitue l’unique altérité qui le sauve de se perdre dans
les fausses images de soi-même et qui lui donne un espace où il peut se construire en vérité.
Ce Tiers-transcendant est celui qui instaure et confirme précisément l’homme dans son
autonomie et dans sa liberté. Cette altérité interpellante que Dieu est, ne se présente pas
comme un feu dévorateur, comme une altérité écrasante et absorbante, mais plutôt comme une
altérité dessaisie de soi-même qui ne cherche pas à s’approprier l’homme, ni à déterminer son
chemin, car cette altérité tout autre institue l’homme dans la liberté et dans la tâche de se
déterminer et de se construire.
« Dieu a fait le monde, comme la mer a fait le rivage : en se retirant »32 ; de même Dieu,
en se dessaisissant de soi-même, prononce un ‘oui’ à l’existence de l’homme, et lui ouvre un
espace qui respecte sa liberté. L’affirmation de Dieu et l’autonomie de l’homme ne
s’opposent pas, car Dieu lui-même en est l’origine et le garant. Il faut donc que « vive Dieu
pour que vive l’homme »33.
À l’altérité divine, qui se manifeste à l’homme comme don et grâce, l’homme ne peut
répondre que par un geste libre, car l’unique relation que Dieu admet est celle en laquelle la
liberté de l’homme est absolument respectée. Il n’est pas imposé à l’homme de manière
nécessaire et contraignante de reconnaître cette altérité et de s’y rapporter. Il lui est proposé
de se construire soi-même dans un rapport à autrui, surtout dans un rapport personnel à Dieu,
pour parvenir ainsi à son accomplissement en tant que personne. La destinée de l’homme se
joue dans la reconnaissance de cette altérité divine, dans l’accueil de la vérité que Dieu
propose, dans l’acceptation du don qu’il fait de Lui-même. Dieu est celui qui sauve l’homme
en le conduisant vers un accomplissement qu’il ne pourrait pas atteindre par ses propres
efforts ; il est celui qui rend vrai l’homme en lui révélant son identité définitive : devenir un
fils.
Comme un texte, l’homme se découvre en se laissant lire devant Dieu : il se comprend
alors, comme son image et ressemblance : Le Dieu qui prononce « Je suis » (Ex 3,14) dit
aussi « Tu es mon fils ! Je t’ai engendré aujourd’hui » (Ps. 2,7). Ainsi l’homme n’est plus
suspendu à soi-même, car il découvre qu’il procède d’un désir divin, d’une élection, d’un
appel, d’un amour, d’une Parole qui lui donne la vie. Il fait l’expérience de naître encore à
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
31
A. GESCHÉ, Ne pereant, LX, 14 (4.10.90), be.uclouvain.fichiergesche.absolu_61.
F. HÖLDERLIN, cité par Adolphe GESCHÉ dans L’homme (Dieu pour penser, 2), Paris, Cerf, 2008, p. 77.
33
A. GESCHÉ, Ne pereant, XVI, 68 (11.2.81), be.uclouvain.fichiergesche.citations_497.
32
© U.C.L. Faculté de théologie (Prof. B. Bourgine)!
26!
!
soi-même, d’être donné à soi-même à nouveau ; d’être instauré dans un rapport qui n’est plus
l’espace asphyxiant de l’horizontalité, car dans cette relation filiale avec Dieu toute forme de
dépendance ou de domination est exclue. Peut-être l’homme ne meurt-il pas au contact de
l’absolu ; c’est peut-être dans la rencontre de l’absolu que l’homme se découvre soi-même et,
finalement, la valeur de sa vie : « Je ne sais si ma vie et moi-même sont importants mais Dieu
le dit, et c’est cela qui compte (Dieu preuve de l’homme). »34
4) Le salut par un Autre
« Le salut, c’est de n’être pas seul. »
35
Dieu, l’Autre de l’homme, se propose comme l’altérité à laquelle l’homme peut se
mesurer, devant laquelle il pourra se construire autrement, s’il veut, dans la confiance, dans la
créativité et dans la liberté qui lui est donnée de plein droit. Il découvre ainsi un « excès » lui
permettant de se transcender. Car, selon Adolphe Gesché, « sauver, c’est amener quelqu’un
jusqu’au bout de lui-même, lui permettre de s’accomplir, de trouver son destin »36. Arraché à
27!
la pure immanence par la visitation de la Transcendance, l’homme est appelé d’une part à
inscrire sa vie dans la sphère de l’absolu, d’autre part à inscrire l’absolu dans sa vie.
Pour reprendre une image de Gesché37, la vie de l’homme est comme un texte dont il
décide progressivement la trame dans l’acte même de l’écriture. Rien n’est écrit d’avance. Le
salut offert par Dieu, l’homme doit le ratifier en l’inscrivant de sa propre main dans son texte ;
certes, l’homme peut se construire sans Dieu, mais il pourra, s’il veut, inscrire le mot Dieu
dans la trame de son récit, pour faire de sa vie une destinée. Cependant, à cause des obstacles
sur le chemin, l’homme s’égare, dévie de sa destinée, manque le but et ainsi la page
initialement blanche se couvre de contradictions et d’erreurs. C’est pourquoi l’homme doit
réécrire et réinterpréter sa vie chaque fois qu’il est nécessaire, afin de reprendre le fil
conducteur du récit. Rien n’est définitivement perdu. L’homme a toujours la possibilité de
reprendre sa plume, de réécrire sa vie, de se dire à nouveau dans la joie, dans un texte où Dieu
a déjà écrit la première lettre et écrira certainement la dernière.
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
34
A. GESCHÉ, Ne pereant, LII, 86 (30.12.88), be.uclouvain.fichiergesche.amourdesoi_216.
A. GESCHÉ, Ne pereant, XLIX, 32-33 (22.8.88), be.uclouvain.fichiergesche.salut_462
36
A. GESCHÉ, La destinée, p. 30.
37
Cf. A. GESCHÉ, « Le salut, écriture de vie », dans A. WÉNIN e.a., Quand le salut se raconte (Trajectoires, 11),
Bruxelles, Lumen Vitae, 2000, p. 99-126.
35
Session théologique 26 et 27 août 2013 – Texte des interventions!
!
Accepter le salut par un Autre, signifie prendre sa plume pour écrire le récit de sa vie à
deux voix, pour inscrire l’infini dans le fini, le tout dans le fragment, le divin dans l’humain…
Martin Buber traduit cela de manière admirable : « Tu as besoin de Dieu pour être, et Dieu a
besoin de toi pour réaliser justement par ton moyen ce qui est le sens de ta vie »38.
À la limite un dernier pas sera proposé à l’homme : rendre sa plume, pour que Dieu luimême écrive son histoire en lettres sacrées. Celui qui consent à se recevoir de Dieu, ne se
détermine plus par soi-même, car il se laisse (d)écrire par un Autre; il ne saura plus d’où il
vient et où il va (Jn 3,8), car c’est l’Esprit qui le conduira. Celui qui consent à un tel
dessaisissement de soi-même, ‘perd’ sa vie, il meurt vraiment au contact de l’Absolu, pour se
retrouver transfiguré, désormais, dans la Vie de l’Absolu.
L’homme peut se construire sans Dieu, comme le propose la modernité ; ou consentir à
être transfiguré par Dieu, vers un accomplissement de soi-même qu’il ne pourrait pas se
donner. Refuser cette proposition de Vie est dans les possibilités de la liberté humaine ;
l’accepter c’est se situer dans la vérité de soi-même.
Paulo Rodrigues
Grand Place, 45
1348 Louvain-la-Neuve
email : [email protected]
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
38
M. BUBER, Je et Tu, p. 123.
© U.C.L. Faculté de théologie (Prof. B. Bourgine)!
28!
!
Sauvés,*mais*pour*quoi*?**
Dominique*Martens*
Introduction pour le travail en groupe
Admettons maintenant que l’on accepte les deux premiers points, celle qu’on ait à être sauvé
et qu’on ait à l’être sans craindre l’altérité d’un Dieu, aussitôt surgit une troisième question :
qu’apporte au fond ce salut chrétien ? En quoi consiste-t-il ? C’est quoi, le salut ?
Ici aussi, le soupçon est légitime, lorsqu’on croit voir chez les chrétiens une hésitation entre
deux pôles, celui qui verrait le salut en des biens d’au-delà (immortalité, éternité, Royaume de
Dieu dans l’au-delà etc..) et celui qui le verrait dans un accomplissement ici-bas (libération,
justice, Royaume de Dieu sur terre…). Ne sommes-nous pas incohérents, cela étant dû au fait
que notre affirmation concernant le salut est toute gratuite, invention pure. Et qui révèlerait la
peur, l’angoisse que l’on voit chez les chrétiens, entraînant une culpabilité morbide.
29!
Qu’apportons-nous comme bonne nouvelle pour l’homme ? Sauvés d’obstacles, mais en vue
de quoi ?
Kant nous aide à voir ici une question de tout homme. Pour lui, trois questions traversent
l’homme et le constituent : que puis-je savoir ? C’est le domaine de la science et du savoir.
Que dois-je faire ? Domaine de la morale et de la politique ? Que puis-je espérer ? Domaine
de la philosophie, des religions, des finalités et des questions de destinée.
C’est cette troisième question qui nous touche ici. Il ne suffit pas à l’homme de savoir ni
d’agir, il lui faut pouvoir connaître le sens, la signification de ce qu’il sait et de ce qu’il fait,
avoir devant lui une espérance, une orientation qui lui donne une direction.
N’est-ce pas là que l’idée de salut se trouve en connivence avec cette tension qui anime
l’homme au-delà de l’immédiat vers l’ultime, là où se joue le sens du sens ? L’homme n’est-il
pas celui qui est fait pour plus qu’il ne voit ? L’homme peut-il se donner des chemins qui lui
permettent de déployer et d’attester de tout ce qu’il est ?
L'idée d'une destinée qui donne sens et orientation est constitutive de notre être, apporte
quelque chose à l'édification de l'être et du monde. C'est bien pourquoi Kant y voyait une
question d'homme. Celui-ci est fait pour plus qu'il ne voit (« Que m'est-il permis d'espérer ?
»). Sa transcendance, déjà réelle ici-bas, va à la rencontre de confins; de confins qui seraient
bien les siens, mais élargissent cependant et confirment, s'il peut l'espérer, le sentiment qu'il a
Session théologique 26 et 27 août 2013 – Texte des interventions!
!
déjà de sa liberté, de ses pouvoirs et de ses désirs. L'homme est un « animal métaphysique »,
qui s'est demandé si son être devait se lire dans un simple destin qui l'enfermait de part en part
dans une donne déjà faite, ou s'il lui était possible et accessible de se donner, fût-ce pour
partie, les chemins d'une destinée qui déploierait et attesterait tout ce qu'il est. Au fond, le
terme profane de destinée (et celui, religieux, de salut) évoquent une existence où l'homme est
invité à chercher le fondement de son être et de sa liberté par-delà l'horizon des certitudes
courtes.
Tel est l'homme, qu'a si bien compris Kant en sa troisième question. Ernst Bloch, peu suspect,
s'en prend vivement à la thèse millénaire de la peur comme origine de la religion. Pour lui,
l'homme est guidé par une invincible et constitutive espérance39. En s'exprimant ainsi, ne dit-il
pas implicitement que la question du salut est une vraie question et qu'elle se pose non comme
une question d'angoisse et d'incertitude, mais comme une question de sens et de destinée. La
question chrétienne a ainsi des échos ailleurs que chez nous.
En nous se trouve donc une dimension cachée, que j’aimerais appeler « une carte du ciel »,
comme on dit qu'en ont les oiseaux migrateurs en quête de leur route. L'homme a besoin d'un
ciel.
On sort d’une époque de fer : nous nous sommes mis en garde contre tout ce qui pourrait nous
distraire de nos tâches d’ici-bas et on nous a dit de ne pas trop regarder le ciel. On a bien fait
car c’était nécessaire. Mais n’a-t-on pas trop bien fait ? Nous avons fini par bouder une autre
part de nous-mêmes, dont nous avons tout autant besoin. L’homme n’est-il pas en grand
danger quand il oublie l’infini qui l’habite et qui le constitue. Certes, la religion a fait
beaucoup de bêtises, mais l’athéisme du nazisme et du communisme ne nous ont-ils pas
montré que l’homme peut mourir aussi s’il oublie l’infini qui l’habite et qui, fut-ce sous forme
de question, le constitue ?
Avec la sauvegarde de cette dimension de notre être, il s’agit d’une question de salut.
Regardons-nous en face de notre dignité. Qui sommes-nous ? Nous ne sommes pas
simplement créés, ni même des hommes et des femmes, mais plus essentiellement des fils et
des filles, des enfants de Dieu, à l’image et à la ressemblance du Fils. Notre mystère est
trinitaire. Nous, chrétiens, sommes-nous assez conscients de cette infinie grandeur.
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
39
!E.!BLOCH,!Le#Principe#espérance,!2!vol.,!Paris,!1976!et!1982.!
© U.C.L. Faculté de théologie (Prof. B. Bourgine)!
30!
!
Relecture du texte
Redoutable tâche que de présenter un texte d’A. Gesché, lui qui aimait à dire : « Surtout, ne
me faites jamais dire ce que je dis ! ».
Le texte que nous avons lu m’inspire plusieurs réflexions.
Don de Dieu, tâche de l’homme (l. 4). Gesché commence par la grâce parce que le salut est
un don, ms c’est aussi une tâche. « Dieu t’a créé sans toi ; il ne te sauvera pas sans toi »,
soulignait Augustin. Il est appelé au-delà du quotidien et des certitudes trop courtes.
Pourquoi a-t-il en lui le désir de saisir le sens, de comprendre le « pour quoi » (l. 10-11). C’est
la différence entre les différents langages, dont parlait Benoît hier. La science donne des
certitudes souvent courtes, ms la question du pourquoi demeure.
En faisant référence à la troisième question kantienne, Gesché se demande ce qu’il est permis
d’espérer.
31!
Une première réflexion est de nature anthropologique : est-il sûr que tout ce que nous
pensons soit vérifiable et repose sur des assurances (Bergson et la montre) ? Non, et il est
heureux qu’il en soit ainsi. En ce qui concerne toutes les grandes questions de l’homme,
comme l’amour et la fidélité, la mise au monde d’un enfant, qui oserait encore parler de
preuves ? Seule certitude, sa mort. Et pourtant… Poser un acte d’espérance plus fort que la
seule certitude rationnelle que nous ayons…
Dans les grandes questions de la vie, on pourrait même penser qu’il n’en faudrait justement
pas, pas trop en tout cas. L’amour aurait-il un sens s’il se fondait sur une évidence, une
assurance donnée d’avance, s’il ne comportait pas cette part d’aventure et de risque couru
ensemble.
La force de la vie est là pour nous assurer contre toutes les dénégations. La vie, en son sens
même, comporte l’énigme et l’ignorance, et surtout là où il s’agit des choses les plus
importantes, celles en lesquelles nous mettons les choses les plus profondes de nous-mêmes.
On ne s’assure pas de l’amour de quelqu'un comme on s’assure d’avoir assez d’argent sur soi
pour faire ses courses. On ne vérifie pas son enfant avant de le faire naître.
Session théologique 26 et 27 août 2013 – Texte des interventions!
!
Et si la foi était cette assurance d’un tout autre genre, celle qui ouvre à la découverte ? A une
découverte qui, autrement, ne pourrait se faire. Seul un acte de foi, même profane, peut nous
engager en certaines voies qui, autrement, seraient impossibles. Peut-on imaginer une vie
possible sans un minimum de foi qui nous fait sauter par dessus les zones d’ombre et
d’inconnu ?
Il y a dans toute réalité une part incontournable d’énigme. Celle du salut pourrait être de cet
ordre-là. L’homme est un être de foi : l’homme avance en raisonnant, mais il avance aussi en
croyant. En prenant des risques : ex. du parachute de Ebeling. L’homme est celui qui peut
refuser les évidences.
Se donner les chemins d’une destinée
Quand il parle de salut, A. Gesché parle souvent d’écriture et de récit. Le salut apparaît
comme l’écriture et le récit de notre vie avec Dieu. Mettre Dieu dans sa vie, c’est faire de
celle-ci une destinée. Il utilise une métaphore, celle de la feuille blanche. Alors que le destin
consiste à suivre la dictée écrite par quelqu'un d’autre (tout est écrit et inéluctable), la destinée
permet de choisir ce que je vais coucher par écrit sur la feuille blanche. Dieu serait la feuille
blanche qui permet l’écriture, le silence qui permet d’entendre la musique, ce que Gesché
appelait un « vide matriciel », un vide qui permet l’irruption de la vie. Dans Quand le salut se
raconte, p.105 : « Dieu se présente, dans son altérité, comme le hors texte qui ns permet
l’écriture de notre propre texte ». Et un peu plus loin, lorsqu’il aborde la question la question
des erreurs et des fautes de grammaire humaine, il insiste pour dire : « sans cesse ns pouvons
nous relever, reprendre notre plume et réincorporer notre destin, nous réécrire, nous redire ».
Lire p. 110.
Déchiffrer la carte du ciel
Regarder en face sa dignité, qui ns sommes. Accepter de se laisser façonner par Dieu (pieta de
Michel Ange). Désir de Dieu de ns faire participer à sa vie divine.
L’Orient a développé une anthropologie positive du salut, selon laquelle Dieu se serait
incarné, même si nous n’avions pas péché. Parce que ce serait son vœu de toute éternité : se
rencontrer lui-même ne nous et nous rencontrer en lui. Telle serait la carte du ciel que nous
porterions en nous. Pour les chrétiens, l’homme est attiré vers le haut par en haut.
© U.C.L. Faculté de théologie (Prof. B. Bourgine)!
32!
!
Comme le dit saint Bernard, l’homme est fait pour s’élever plus haut (Homo natus est elevari
super se). Les trois obstacles étaient justement ce qui empêchait cette transcendance. Car telle
est l’erreur du péché, sa terrible force : renoncer à l’image de Dieu que nous sommes.
Nous sommes des voisins de l’Absolu. Et quand, par le péché, nous sommes injustes envers
nous-mêmes, n’est-ce pas cette idée d’absolu qui peut nous sauver.
Le péché ne fait pas tellement de mal à Dieu en lui-même, mais d’abord à nous, parce que
nous nous trompons de destinée.
Pour déchiffrer cette carte du ciel, Gesché note que deux événements culturels ont essayé de
traduire le sens de l’aventure humaine. La pensée grecque qui pense l’homme comme un être
de tension entre connaissance et ignorance. C’est le règne de la pensée. L’autre remonte à
Paul, qui pense cette tension de l’homme comme une tension entre mort et vie. Là où le grec
tente de la résoudre par la rationalité pure, Paul le fait par l’irruption de la vie, à partir de la
résurrection, en ayant recours non pas à la rationalité pure, ms au pneuma divin (différence
entre rationnel et raisonnable…). « Temple de l’Esprit Saint, c’est Dieu lui-même qui désire
vivre en nous. « Ce n’est plus moi qui vis, c’est le Christ qui vit en moi. Configuration…
33!
Parler de résurrection, c’est penser l’existence en termes de vie plutôt que de concepts. Or
affirme Gesché, « le récit meurt au contact du concept » (p. 122). Les concepts peuvent être
bien maîtrisés ms ne pas dire l’essentiel. Ex : chez Mc (Césarée Pierre) + démons : 10/10 au
niveau du Credo…
En racontant le salut comme une résurrection, Paul a introduit ici une idée absolument
originale dans l’histoire de la pensée. Il a apporté une rationalité nouvelle, celle de la vie, pour
lire et comprendre le sens de la destinée de l’homme.
Penser sa vie comme un salut, comme une résurrection, c’est la considérer comme un passage
d’œuvre de mort à des œuvres de vie. Ex : femme adultère. Désormais, un chemin sera
toujours possible à l’homme…
C’est la sortie de la désespérance. Aucun tombeau ne peut désormais ns maintenir prisonniers
(la femme restait là, seule, au milieu. Au milieu de quoi ????). Garder l’espérance, envers et
contre tout, c’est la clé du chemin, de la destinée, du bonheur. Même quand la vie est
tragique. Starets Silouane : « tiens-toi en enfer, et ne désespère pas ».
Session théologique 26 et 27 août 2013 – Texte des interventions!
!
Gesché fait le lien entre son propre récit de vie et les Ecritures. Raconter, c’est vivre ce qu’on
vit, et vivre, c’est raconter ce qu’on vit. « Le salut apparaît comme une secundum Scripturas,
comme une volonté d’écrire sa destinée et de l’éclairer à la lumière d’un récit » (123).
Et il ajoute : « le salut est une poétique, au sens le plus étymologique du terme, une poièsis,
un faire, un poieïn, un chemin qui se trace en marchant, non tracé d’avance. L’homme est
certes un être visité, façonné par quelque chose qui lui advient et qu’il n’a pas fait. Ms dans le
même temps, il façonne et visite ce qui lui advient.
Le salut est une longue histoire, faite d’initiatives, de progrès, de détours, d’échecs et
d’illuminations. Chacun mémorialise, en lui-même et pour lui-même, une histoire dans
laquelle il se construit, dans laquelle il cherche à réussir sa vie, sa destinée.
Si trop court : révélation : dabar (parole-événement). Dieu ns laisse errer et le découvrir
(Nabuchodonosor) et c’est ce chemin qui est appelé Parole de dieu.
Si encore trop court : vie spirituelle à redécouvrir. Carte du ciel.
C’est trouver dans cette quête le bonheur. A. Gesché disait au terme de son cours sur le mal :
« je ne suis pas sûr que ce soit vrai. Je l’espère. Mais en tout cas, ce chemin est tellement beau
que je ne regretterai jamais d’y avoir cru ».
Ce qui se passera après appartient à Dieu.
© U.C.L. Faculté de théologie (Prof. B. Bourgine)!
34!
La Margelle du puits
Adolphe Gesché, une introduction
!
Sous!la!direction!de!Benoît!Bourgine,!Paulo!Rodrigues!et!Paul!Scolas!
Je#me#suis#penché##
à#la#margelle#de#mon#propre#puits,##
je#pense#et#écris!
!
Adolphe!Gesché!
!
!
Adolphe!Gesché!occupe!une!place!singulière!dans!le!
paysage! théologique! contemporain.! La! singularité! de! son!
ton! doit! beaucoup! à! sa! fibre! littéraire! –! fait! assez! rare!
chez! les! théologiens! de! métier!!! De! fait,! il! écrit! et! sait!
écrire.! Sa! sensibilité! d’écrivain! et! de! croyant! cherchant! à!
mieux! comprendre! sa! foi! et! à! la! partager! fait! de! lui! un!
véritable!«!interrogateur!de!réponses!».!
De! sa! formation! initiale,! ce! pèlerin! de! la! pensée! a!
gardé!le!goût!de!la!rigueur!et!de!l’étude!des!grands!textes.!
Le! chercheur! qu’il! n’a! jamais! cessé! d’être! a! cultivé! la! curiosité! pour! tous! les! domaines!
intellectuels,!et!tout!particulièrement!pour!la!théologie!dont!il!a!revisité!les!thèmes!majeurs.!
À!ces!talents!se!joint!naturellement!celui!de!pédagogue,!que!le!lecteur!appréciera!–!surtout!
s’il!découvre!avec!ce!livre!la!réflexion!théologique.!Ce!pasteur,!enfin,!n’a!cessé!d’éveiller!ses!
coreligionnaires!à!une!vraie!intelligence!de!la!foi!et!au!goût!du!questionnement!partagé!avec!
celles!et!ceux!qui!croient!moins,!différemment,!ou!pas!du!tout.!
Quel!meilleur!guide!pour!apprendre!à!oser!penser!par!soiNmême!que!celui!qui!écrivait!:!
«!N’ayez! pas! peur! de! vous! pencher! à! la! margelle! de! votre! propre! puits.! Ne! retenez! pas!
seulement!comme!vrai!ce!qui!vous!a!été!enseigné!ou!ce!que!vous!aurez!appris!par!la!suite!
(mais! qui! vient! encore! des! autres),! comme! si! vous! n’étiez! que! des! commentateurs,!
dépourvus! de! tout! droit! à! l’inspiration! et! à! l’invention.! Il! y! a! en! vous,! comme! en! tout!
homme,!une!source!particulière,!unique!et!singulière!»!?!
Que!dire!de!plus!?!Prenez!et...!lisez!!!
!!
Avec! les! contributions! de!:! Benoît!BOURGINE,! Bérengère!DEPREZ,! François!EUVÉ,!
Adolphe!GESCHÉ,!JeanIFrançois!GOSSELIN,!Jean!LADRIÈRE,!Jean!LECLERCQ,!Martin!LEINER,!
Benoît!LOBET,!!
JeanIMichel!MALDAMÉ,!!
Olivier!RIAUDEL,!!
Paulo!RODRIGUES!
et!Paul!SCOLAS.!
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Collection!«!Théologies!»,!514!pages,!35!€!
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