Les forêts d'Aquitaine face au changement climatique
Les forêts d'Aquitaine face au changement climatique
Décembre 2014
Depuis plusieurs années, la question du changement climatique revient périodiquement dans l'actualité. Créé
en 1988, le Groupe d'Experts Intergouvernemental sur l'Evolution du Climat (GIEC) a déjà produit cinq rapports
d'évaluation sur ce sujet et les données s'accumulent.
Ces rapports scientifiques s'inquiètent systématiquement des conséquences de ces évolutions sur les
productions agricoles et forestières. La forêt, par la longueur de ses cycles sur plusieurs dizaines ou centaines
d'années suivant les territoires et les essences, concentre les questions sur la capacité dadaptation des
écosystèmes.
Pour pouvoir évaluer l'impact du changement climatique, il est nécessaire de passer des estimations globales
réalisées à l'échelle mondiale aux effets possibles dans une région comme l'Aquitaine, puis de confronter les
forêts que nous connaissons à ces évolutions.
Quels changements climatiques
pour l'Aquitaine ?
La connaissance du climat dans 50 ou 100
ans repose sur des simulation numérique,
appelées "projections", qui cherchent à
estimer la réponse du système climatique aux
influences de l'activité humaine, en particulier
les émissions de gaz à effet de serre, tout en
tenant compte des forçages "naturels"
comme l'activité solaire. Plusieurs scenarii
sont envisagés, qui conditionnent la
fourchette du réchauffement global.
Des températures plus élevées
Depuis 1850, l'élévation moyenne de la
température est estimée par téoFrance à
1,2°C à Bordeaux, ce qui est conforme à la
moyenne mondiale évaluée par le GIEC.
En 2014, les projections suivant les différents
scenarii RCP1 réalisées par MétéoFrance
mettent en évidence une augmentation de la
température moyenne annuelle au cours des
prochaines décennies sur le territoire
métropolitain.
Il est important de signaler que cette
augmentation est croissante pour les
scénarios RCP4.5 et RCP8.5, mais pas pour
le scénario RCP2.6 (scénario qui prend en
compte les effets de politique de réduction
des émissions de gaz à effet de serre
susceptibles de limiter le réchauffement
planétaire à 2°C) pour lequel le
réchauffement se stabilise, voir diminue en fin
1 Representative Concentration Pathway
de siècle par rapport à lhorizon à moyen terme.
Laugmentation moyenne pour le milieu du XXIème siècle est
comprise entre 1 et 2°C pour les régions dinfluence Atlantique. A la fin
du XXIe siècle, les résultats présentent pour le scénario le plus
pessimiste (RCP8.5), une augmentation moyenne annuelle entre 4 et
5 °C.
Cette hausse des températures serait associée à une forte
augmentation du nombre de jours de vague de chaleur.
Des précipitations plus contrastées
Les résultats sur les projections de précipitations varient en fonction de
lhorizon et du scénario considéré.
Si, pour la première moitié du XXIème siècle, les modèles présentent
une légère hausse des précipitations hivernales comme estivales, la
période suivante verrait une augmentation des précipitations
hivernales (de 0,1 à 0,85 mm/jour) et une diminution en é (-0,16 à
0,38 mm/jour soit une perte de 15 à 35 mm en moyenne). Dans cette
hypothèse, les périodes de sécheresse estivales augmenteraient.
Et les événements climatiques extrêmes ?
Sur ce point, les rapports scientifiques restent prudents et pointent le
faible nombre d'études disponibles et des résultats parfois
contradictoires. Ils ne permettent pas de tirer de conclusions sur la
fréquence et l'intensité des tempêtes hivernales.
Les dernières décennies en Aquitaine nous obligent cependant à nous
préparer à l'éventualité d'autres évènements climatiques.
Conséquences sur les peuplements forestiers.
Les évolutions de la concentration atmosphérique des gaz à effet de
serre (dioxyde de carbone mais aussi oxyde d'azote), qui influent sur
le climat, ont des effets multiples sur les écosystèmes forestiers. Deux
tendances sont associées, qui agissent de façon contradictoire.
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Des effets positifs sur la croissance
Les hausses de température et du taux de
dioxyde de carbone peuvent entraîner une
augmentation de la productivité forestière, en
stimulant la photosynthèse mais aussi en
permettant un allongement de la période de
végétation.
Par ailleurs, l'augmentation de la teneur
atmosphérique en azote entraîne celle des
dépôt azotés. Les sols forestiers sont ainsi
relativement enrichis.
Les suivis effectués au cours des trois
dernières décennies montrent que toutes les
espèces étudiées (chêne sessile, hêtre
commun, houx, érable sycomore, frêne élevé
et sapin) ont avancé leur dates de
débourrement des feuilles ou aiguilles au
printemps. Le chêne et le frêne se montrent
plus sensible que le hêtre.
La saison de croissance s'est ainsi allongée.
L'analyse des données d'inventaire forestier
et les observations dendrochrologiques ont
montré des modifications de croissance en
forêt de montagne (hêtre) et de plaine (pin
maritime en Aquitaine).
L'augmentation de la productivité des forêts
est un constat mondial, me si les causes
ne sont pas uniquement climatiques.
Augmentation des risques liés à la
sécheresse.
La diminution des précipitations estivales
couplée à une hausse des températures peut
engendrer un stress hydrique sur les
peuplements forestiers. La sécheresse des
sols est ainsi le premier facteur limitant de la
croissance des arbres, surtout au printemps
et en été. Les effets sont très variables
suivant les espèces.
Les températures excessives et la
sécheresse de l'air peuvent aussi impacter
l'arbre, de façon moindre et limitée dans
l'espace.
Au cours des trois décennies écoulées, les
forêts d'Aquitaine ont connus deux épisodes
de sécheresse très marqués, en 1989-1990
et 2003-2005.
Les chênaies du sud de l'Aquitaine ont subi
des dépérissements après 1989, notamment
sur des sols pauvres à faible réserve en eau.
Le pin maritime, pourtant relativement résistant à la sécheresse, a subi
des dépérissements à la même époque. Les effets du manque d'eau
ont été aggravé par de fortes attaques de chenille processionnaire.
En affaiblissant les arbres, les sécheresses favorisent les épidémies
de ravageurs ou de maladies.
Migration des espèces
Le climat est un facteur déterminant de la répartition des essences
forestières. Un changement significatif et durable peut mettre en
question leur présence.
Pour le hêtre, qui a besoin de froid hivernal et d'humidité, ce
changement s'accompagne dans les Pyrénées d'une remontée de
l'altitude optimale pour la production, de 420 m en 1970 à 550 m en
2010.
Les arbres ne sont pas les seuls à être affectés par ce phénomène.
Les insectes ravageurs et les champignons pathogènes peuvent voir
leur cycle de vie modifié. La hausse des température peut permettre
aux insectes d'effectuer leur développement plus rapidement et
d'accomplir un plus grand nombre de générations. Elle peut aussi leur
permettre de survivre dans des territoires qui leur étaient défavorables
et modifier leur aire de répartition. Ainsi les espèces thermophiles,
comme le champignon responsable de la maladie de l'encre du
châtaignier ou la chenille processionnaire du pin, sont favorisées
même si certains évènements climatiques extrêmes peuvent leur être
défavorables.
Tendances attendues
Les observations récentes aident à formuler des prédictions futures.
On peut raisonnablement s'attendre à ce que les tendances observées
en matière de croissance ou de migration d'espèces continuent à
l'avenir.
La prédiction des impacts environnementaux sur les écosystèmes
forestiers provient d'une approche de modélisation. Plusieurs projets
de recherche ont été menés au cours des quinze dernières années,
notamment par l'INRA.
On peut résumer les résultats de ces projets:
- une augmentation du stress hydrique.
- influence négative sur la productivité, l'état sanitaire et le risque
incendie.
- évolution plus ou moins forte de la répartition des essences.
- fortes disparités régionales et influence des modes de sylviculture.
Par ailleurs, il existe une forte incertitude sur la capacité des forêts à
s'adapter à ces changements, même si la grande variabilité génétique
mesurée dans les populations d'arbres forestiers constitue un atout
indéniable.
Adaptation et gestion forestière
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A ce jour, il n'existe aucun document d'aide à
la gestion proposant des itinéraires bien
définis. Les connaissances sont encore trop
fragmentaires et les incertitudes trop grandes.
Malgré tout, la réflexion est en marche et les
expérimentations ou les simulations mises en
place contribuent progressivement à orienter
les décisions.
Par ailleurs, certains projets collectifs, comme
le test de plants forestiers de provenances
méridionales pour des essences déjà
installées comme le pin maritime, ou de
nouvelles essences forestières, permettront
d'élargir le panel des choix techniques.
A l'heure actuelle, plusieurs ensembles de
recommandations peuvent être identifiés
dans la littérature. Ils ont des avantages et
des inconvénients et ne s'adaptent pas en
bloc à une situation particulière. Ils peuvent
cependant éclairer les décisions du
gestionnaire forestier.
Miser sur les capacités
d'adaptation spontanées des
écosystèmes forestiers
La capacité d'adaptation des arbres forestiers
est souvent sous-estimée, pourtant ils ont su
évoluer pour surmonter les changement
climatiques des ères glaciaires comme l'on
montré des études scientifiques sur les
chênes notamment.
Dans ce cadre, le gestionnaire visera à
maximiser la résilience de la forêt en
s'appuyant sur le potentiel génétique, la
sélection naturelle et en offrant des conditions
favorables à la migration :
- privilégier les mélanges d'essences et la
diversité de la végétation,
- miser sur la régénération naturelle, y
compris après un aléa,
- conserver un couvert forestier pour
maintenir le microclimat forestier,
- créer ou maintenir des continuités
forestières pour permettre la dissémination
des graines.
Cependant, il demeure des incertitudes sur la
capacité des essences à suivre le rythme du
changement climatique actuel. Les variétés
sélectionnées peuvent offrir une meilleure
alternative.
Ce mode de gestion très conservateur a tendance à privilégier les
essences tolérante à l'ombre, souvent plus exigeantes en eau, au
détriment des essences de lumières. Les densités élevées peuvent
exposer les arbres à des parasites de faiblesse (concurrence forte,
confinement).
La mise en place de cycles longs favorise la biodiversité animale mais
les peuplements âgés sont aussi sensibles à de nombreux aléas.
La gestion des dépérissement est difficile.
Intervenir modérément pour conforter l'adaptation
Si l'on fait l'hypothèse que les arbres ne disposeront pas d'assez de
temps pour s'adapter spontanément, on peut penser à anticiper pour
essayer d'augmenter la résistance ou la résilience des peuplements.
Sur ce principe de gestion adaptative, on s'attache à gérer l'eau par le
contrôle de la concurrence et des besoins en eau des essences et
augmenter la diversité:
- à la régénération naturelle, sans exclure des plantations si
nécessaire
- privilégier les futaies claires, régulières ou irrégulières,
- rechercher les mélanges d'essences, notamment celles résistantes à
la sécheresse, par sélection ou enrichissement.
Cependant, la régénération naturelle ne joue son rôle que si les
essences sont adaptées à la station et susceptibles de se maintenir
pendant un cycle. Les essences du mélanges doivent avoir des
comportements différents vis-à-vis de la sécheresse tout en ayant des
modes de croissance compatibles.
Si l'on choisit de modifier la structure de sa forêt pour aller vers une
futaie irrégulière, il faut avoir le temps et la disponibilité pour réaliser la
conversion.
Enfin, la durée d'exposition au risque reste élevée.
Intervenir de façon forte pour anticiper les évolutions
du climat
On peut faire l'hypothèse que la solution pour adapter sa forêt au
changement climatique passe par la mise en place de nouvelles
sylvicultures et de nouvelles essences ou variétés.
En suivant le principe de préférer des cycles courts avec un
renouvellement régulier des essences accompagné par un programme
d'amélioration adapté, on peut:
- installer une sylviculture à courte rotation basée sur la plantation,
- optimiser les interventions pour limiter la concurrence entre les
arbres et avec le sous-bois,
- renouveler en permanence le matériel végétal par un transfert des
résultats de la recherche en génétique forestière,
Cependant le raccourcissement des révolutions impliquent une
fréquence plus grande de retour aux jeunes stades qui sont un stade
sensible, notamment à la sécheresse ou aux dégâts de gibier. De
même, cette voie demande des investissements importants. Une
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baisse de productivité liée à la dégradation
des conditions climatiques risquerait de
remettre en cause le modèle économique.
Enfin, cette forte dynamisation de la
sylviculture n'est pas envisageable sur tous
les sols forestiers.
La question n'est pas de faire un choix
définitif entre ces différentes voies, d'autant
que le changement climatique n'est pas le
seul facteur qui influence la prise de décision.
La connaissance des avantages et des
inconvénients des différentes options permet
toutefois d'évaluer la prise de risque et les
possibilités de réaction en cas d'aléa.
Il est certainement possible et souvent
recommandé de définir des objectifs et des
itinéraires techniques différents suivant les
parcelles forestières. L'établissement d'un
bon diagnostic sur la station forestière, le
peuplement en place et le contexte socio-
économique est la première et indispensable
étape.
Encart: le pin maritime dans les
Landes
En 2013, la prospective AFCLIM a fait
l'exercice de bâtir des études de cas,
projetant différents systèmes agricoles ou
forestiers dans un futur marqué par un climat
changeant. Le massif landais en faisait partie.
Trois périodes de référence ont été
envisagées: 1971-2000 comme référence,
2021-2050 (futur proche) et 2071-2100 (futur
lointain).
L'augmentation des températures va diminuer
la contrainte climatique en hiver mais,
associée à une nette réduction des
précipitations, elle va augmenter fortement la
contrainte hydrique estivale. Suivant les
projections, la tendance sera plus marquée
dans le futur lointain.
Les résultats des modélisations réalisées par
l'INRA donnent une diminution modérée de la
croissance dès 2035, qui s'accentue dans un
futur lointain. L'ampleur des résultats est
toutefois fortement influencée par les
simulations climatiques régionales utilisées.
Les simulations indiquent que les stations les
plus favorables seront comparativement plus
affectées et que les phases juvéniles
connaîtront des effets plus marqués.
Le pin maritime est une essence relativement résistante à la
sécheresse ce qui limite le risque de mortalité ou de dépérissement,
en dehors des crises sanitaires.
La prospective focalise sur trois options d'adaptations:
· Maintien du pin maritime dans une démarche de prévention des
risques,
L'objectif de production de bois d'oeuvre de pin maritime est maintenu avec des
itinéraires techniques légèrement diversifiés. Ils restent réversibles avec une
durée moyenne de 35 à 50 ans. Certaines mesures en faveur de la biodiversité
sont prises. Des mesures pour limiter la vulnérabili sont prises comme
l'utilisation progressives de variétés améliorées ou adaptées, des éclaircies
régulières et fortes et une limitation du sous-étage pour limiter les effets du
déficit hydrique et une lutte préventive contre les ravageurs par des pratiques
sylvicoles (maintien des reboisements différés de 2 ans après coupe, maintiens
des feuillus, régénération naturelle lorsque c'est possible).
· Diversification des essences et diminution de la durée des
rotations,
Les objectifs de productions sont modifiés par deux stratégies: sur une partie des
surfaces le pin maritime est progressivement remplacé par d'autres essences
menées en peuplement de courte rotation ou taillis de courte révolution ; sur le
reste de la surface le pin maritime est maintenu avec des rotations raccourcies
(20-25 ans) ce qui limite la durée d'exposition au risque. La diversification ne
dépasse pas 20% de la surface.
· Modification brutale du paysage forestier,
La crainte de la répétition des catastrophes climatiques et de lmergence de
risques nouveaux, le propriétaire se désengage de l'investissement forestier.
Quelques peuplements sont traités en futaie irrégulière en profitant de la
régénération acquise et certaines parcelles sont laissées en jachère.
La première option permettrait de limiter en partie les impacts du
changement climatique, sans les éviter totalement.
La deuxième option aurait des impacts forts sur le bilan minéral,
entraînant l'obligation de compenser les exportations. Elle pourrait
aussi avoir des effets négatifs sur la biodiversité à plus ou moins
grande échelle. Elle n'augmente pas la production ni les revenus mais
réduit fortement l'exposition aux risques.
La troisième option, si elle était choisie à grande échelle, ne
permettrait pas de maintenir la filière économique associée à la forêt.
Elle fragiliserait davantage la forêt face à la pression de défrichement.
Bibliographie principale
Le treut, Hervé (dir.) 2013, Les impacts du changement climatique en Aquitaine, un
état des lieux scientifique. 365 p. Dynamiques environnementales, Presses
universitaires de Bordeaux.
ONERC 2015, L'arbre et la forêt à l'épreuve d'un climat qui change. 181 p. La
documentation française.
Vert J., Schaller N., Villien C. (coord.) 2013, Agriculture Forêt Climat : vers des
stratégies d'adaptation. 234 p. Centre d'études et de prospective. Ministère de
l'Agriculture, de l'Agroalimentaire et de la Forêt.
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