Les forêts d'Aquitaine face au changement climatique Depuis plusieurs années, la question du changement climatique revient périodiquement dans l'actualité. Créé en 1988, le Groupe d'Experts Intergouvernemental sur l'Evolution du Climat (GIEC) a déjà produit cinq rapports d'évaluation sur ce sujet et les données s'accumulent. Ces rapports scientifiques s'inquiètent systématiquement des conséquences de ces évolutions sur les productions agricoles et forestières. La forêt, par la longueur de ses cycles sur plusieurs dizaines ou centaines d'années suivant les territoires et les essences, concentre les questions sur la capacité d’adaptation des écosystèmes. Pour pouvoir évaluer l'impact du changement climatique, il est nécessaire de passer des estimations globales réalisées à l'échelle mondiale aux effets possibles dans une région comme l'Aquitaine, puis de confronter les forêts que nous connaissons à ces évolutions. Quels changements climatiques pour l'Aquitaine ? La connaissance du climat dans 50 ou 100 ans repose sur des simulation numérique, appelées "projections", qui cherchent à estimer la réponse du système climatique aux influences de l'activité humaine, en particulier les émissions de gaz à effet de serre, tout en tenant compte des forçages "naturels" comme l'activité solaire. Plusieurs scenarii sont envisagés, qui conditionnent la fourchette du réchauffement global. Des températures plus élevées Depuis 1850, l'élévation moyenne de la température est estimée par MétéoFrance à 1,2°C à Bordeaux, ce qui est conforme à la moyenne mondiale évaluée par le GIEC. En 2014, les projections suivant les différents scenarii RCP1 réalisées par MétéoFrance mettent en évidence une augmentation de la température moyenne annuelle au cours des prochaines décennies sur le territoire métropolitain. Il est important de signaler que cette augmentation est croissante pour les scénarios RCP4.5 et RCP8.5, mais pas pour le scénario RCP2.6 (scénario qui prend en compte les effets de politique de réduction des émissions de gaz à effet de serre susceptibles de limiter le réchauffement planétaire à 2°C) pour lequel le réchauffement se stabilise, voir diminue en fin 1 de siècle par rapport à l’horizon à moyen terme. L’augmentation moyenne pour le milieu du XXIème siècle est comprise entre 1 et 2°C pour les régions d’influence Atlantique. A la fin du XXIe siècle, les résultats présentent pour le scénario le plus pessimiste (RCP8.5), une augmentation moyenne annuelle entre 4 et 5 °C. Cette hausse des températures serait associée à une forte augmentation du nombre de jours de vague de chaleur. Des précipitations plus contrastées Les résultats sur les projections de précipitations varient en fonction de l’horizon et du scénario considéré. Si, pour la première moitié du XXIème siècle, les modèles présentent une légère hausse des précipitations hivernales comme estivales, la période suivante verrait une augmentation des précipitations hivernales (de 0,1 à 0,85 mm/jour) et une diminution en été (-0,16 à 0,38 mm/jour soit une perte de 15 à 35 mm en moyenne). Dans cette hypothèse, les périodes de sécheresse estivales augmenteraient. Et les événements climatiques extrêmes ? Sur ce point, les rapports scientifiques restent prudents et pointent le faible nombre d'études disponibles et des résultats parfois contradictoires. Ils ne permettent pas de tirer de conclusions sur la fréquence et l'intensité des tempêtes hivernales. Les dernières décennies en Aquitaine nous obligent cependant à nous préparer à l'éventualité d'autres évènements climatiques. Conséquences sur les peuplements forestiers. Les évolutions de la concentration atmosphérique des gaz à effet de serre (dioxyde de carbone mais aussi oxyde d'azote), qui influent sur le climat, ont des effets multiples sur les écosystèmes forestiers. Deux tendances sont associées, qui agissent de façon contradictoire. Representative Concentration Pathway Les forêts d'Aquitaine face au changement climatique Décembre 2014 -2Des effets positifs sur la croissance Les hausses de température et du taux de dioxyde de carbone peuvent entraîner une augmentation de la productivité forestière, en stimulant la photosynthèse mais aussi en permettant un allongement de la période de végétation. Par ailleurs, l'augmentation de la teneur atmosphérique en azote entraîne celle des dépôt azotés. Les sols forestiers sont ainsi relativement enrichis. Les suivis effectués au cours des trois dernières décennies montrent que toutes les espèces étudiées (chêne sessile, hêtre commun, houx, érable sycomore, frêne élevé et sapin) ont avancé leur dates de débourrement des feuilles ou aiguilles au printemps. Le chêne et le frêne se montrent plus sensible que le hêtre. La saison de croissance s'est ainsi allongée. L'analyse des données d'inventaire forestier et les observations dendrochrologiques ont montré des modifications de croissance en forêt de montagne (hêtre) et de plaine (pin maritime en Aquitaine). L'augmentation de la productivité des forêts est un constat mondial, même si les causes ne sont pas uniquement climatiques. Augmentation des risques liés à la sécheresse. La diminution des précipitations estivales couplée à une hausse des températures peut engendrer un stress hydrique sur les peuplements forestiers. La sécheresse des sols est ainsi le premier facteur limitant de la croissance des arbres, surtout au printemps et en été. Les effets sont très variables suivant les espèces. Les températures excessives et la sécheresse de l'air peuvent aussi impacter l'arbre, de façon moindre et limitée dans l'espace. Au cours des trois décennies écoulées, les forêts d'Aquitaine ont connus deux épisodes de sécheresse très marqués, en 1989-1990 et 2003-2005. Les chênaies du sud de l'Aquitaine ont subi des dépérissements après 1989, notamment sur des sols pauvres à faible réserve en eau. Le pin maritime, pourtant relativement résistant à la sécheresse, a subi des dépérissements à la même époque. Les effets du manque d'eau ont été aggravé par de fortes attaques de chenille processionnaire. En affaiblissant les arbres, les sécheresses favorisent les épidémies de ravageurs ou de maladies. Migration des espèces Le climat est un facteur déterminant de la répartition des essences forestières. Un changement significatif et durable peut mettre en question leur présence. Pour le hêtre, qui a besoin de froid hivernal et d'humidité, ce changement s'accompagne dans les Pyrénées d'une remontée de l'altitude optimale pour la production, de 420 m en 1970 à 550 m en 2010. Les arbres ne sont pas les seuls à être affectés par ce phénomène. Les insectes ravageurs et les champignons pathogènes peuvent voir leur cycle de vie modifié. La hausse des température peut permettre aux insectes d'effectuer leur développement plus rapidement et d'accomplir un plus grand nombre de générations. Elle peut aussi leur permettre de survivre dans des territoires qui leur étaient défavorables et modifier leur aire de répartition. Ainsi les espèces thermophiles, comme le champignon responsable de la maladie de l'encre du châtaignier ou la chenille processionnaire du pin, sont favorisées même si certains évènements climatiques extrêmes peuvent leur être défavorables. Tendances attendues Les observations récentes aident à formuler des prédictions futures. On peut raisonnablement s'attendre à ce que les tendances observées en matière de croissance ou de migration d'espèces continuent à l'avenir. La prédiction des impacts environnementaux sur les écosystèmes forestiers provient d'une approche de modélisation. Plusieurs projets de recherche ont été menés au cours des quinze dernières années, notamment par l'INRA. On peut résumer les résultats de ces projets: - une augmentation du stress hydrique. - influence négative sur la productivité, l'état sanitaire et le risque incendie. - évolution plus ou moins forte de la répartition des essences. - fortes disparités régionales et influence des modes de sylviculture. Par ailleurs, il existe une forte incertitude sur la capacité des forêts à s'adapter à ces changements, même si la grande variabilité génétique mesurée dans les populations d'arbres forestiers constitue un atout indéniable. Adaptation et gestion forestière Les forêts d'Aquitaine face au changement climatique Décembre 2014 -3A ce jour, il n'existe aucun document d'aide à la gestion proposant des itinéraires bien définis. Les connaissances sont encore trop fragmentaires et les incertitudes trop grandes. Malgré tout, la réflexion est en marche et les expérimentations ou les simulations mises en place contribuent progressivement à orienter les décisions. Par ailleurs, certains projets collectifs, comme le test de plants forestiers de provenances méridionales pour des essences déjà installées comme le pin maritime, ou de nouvelles essences forestières, permettront d'élargir le panel des choix techniques. A l'heure actuelle, plusieurs ensembles de recommandations peuvent être identifiés dans la littérature. Ils ont des avantages et des inconvénients et ne s'adaptent pas en bloc à une situation particulière. Ils peuvent cependant éclairer les décisions du gestionnaire forestier. Miser sur les capacités d'adaptation spontanées des écosystèmes forestiers La capacité d'adaptation des arbres forestiers est souvent sous-estimée, pourtant ils ont su évoluer pour surmonter les changement climatiques des ères glaciaires comme l'on montré des études scientifiques sur les chênes notamment. Dans ce cadre, le gestionnaire visera à maximiser la résilience de la forêt en s'appuyant sur le potentiel génétique, la sélection naturelle et en offrant des conditions favorables à la migration : - privilégier les mélanges d'essences et la diversité de la végétation, - miser sur la régénération naturelle, y compris après un aléa, - conserver un couvert forestier pour maintenir le microclimat forestier, - créer ou maintenir des continuités forestières pour permettre la dissémination des graines. Cependant, il demeure des incertitudes sur la capacité des essences à suivre le rythme du changement climatique actuel. Les variétés sélectionnées peuvent offrir une meilleure alternative. Ce mode de gestion très conservateur a tendance à privilégier les essences tolérante à l'ombre, souvent plus exigeantes en eau, au détriment des essences de lumières. Les densités élevées peuvent exposer les arbres à des parasites de faiblesse (concurrence forte, confinement). La mise en place de cycles longs favorise la biodiversité animale mais les peuplements âgés sont aussi sensibles à de nombreux aléas. La gestion des dépérissement est difficile. Intervenir modérément pour conforter l'adaptation Si l'on fait l'hypothèse que les arbres ne disposeront pas d'assez de temps pour s'adapter spontanément, on peut penser à anticiper pour essayer d'augmenter la résistance ou la résilience des peuplements. Sur ce principe de gestion adaptative, on s'attache à gérer l'eau par le contrôle de la concurrence et des besoins en eau des essences et augmenter la diversité: - à la régénération naturelle, sans exclure des plantations si nécessaire - privilégier les futaies claires, régulières ou irrégulières, - rechercher les mélanges d'essences, notamment celles résistantes à la sécheresse, par sélection ou enrichissement. Cependant, la régénération naturelle ne joue son rôle que si les essences sont adaptées à la station et susceptibles de se maintenir pendant un cycle. Les essences du mélanges doivent avoir des comportements différents vis-à-vis de la sécheresse tout en ayant des modes de croissance compatibles. Si l'on choisit de modifier la structure de sa forêt pour aller vers une futaie irrégulière, il faut avoir le temps et la disponibilité pour réaliser la conversion. Enfin, la durée d'exposition au risque reste élevée. Intervenir de façon forte pour anticiper les évolutions du climat On peut faire l'hypothèse que la solution pour adapter sa forêt au changement climatique passe par la mise en place de nouvelles sylvicultures et de nouvelles essences ou variétés. En suivant le principe de préférer des cycles courts avec un renouvellement régulier des essences accompagné par un programme d'amélioration adapté, on peut: - installer une sylviculture à courte rotation basée sur la plantation, - optimiser les interventions pour limiter la concurrence entre les arbres et avec le sous-bois, - renouveler en permanence le matériel végétal par un transfert des résultats de la recherche en génétique forestière, Cependant le raccourcissement des révolutions impliquent une fréquence plus grande de retour aux jeunes stades qui sont un stade sensible, notamment à la sécheresse ou aux dégâts de gibier. De même, cette voie demande des investissements importants. Une Les forêts d'Aquitaine face au changement climatique Décembre 2014 -4baisse de productivité liée à la dégradation des conditions climatiques risquerait de remettre en cause le modèle économique. Enfin, cette forte dynamisation de la sylviculture n'est pas envisageable sur tous les sols forestiers. Le pin maritime est une essence relativement résistante à la sécheresse ce qui limite le risque de mortalité ou de dépérissement, en dehors des crises sanitaires. La prospective focalise sur trois options d'adaptations: · La question n'est pas de faire un choix définitif entre ces différentes voies, d'autant que le changement climatique n'est pas le seul facteur qui influence la prise de décision. La connaissance des avantages et des inconvénients des différentes options permet toutefois d'évaluer la prise de risque et les possibilités de réaction en cas d'aléa. Il est certainement possible et souvent recommandé de définir des objectifs et des itinéraires techniques différents suivant les parcelles forestières. L'établissement d'un bon diagnostic sur la station forestière, le peuplement en place et le contexte socioéconomique est la première et indispensable étape. Encart: le pin maritime dans les Landes En 2013, la prospective AFCLIM a fait l'exercice de bâtir des études de cas, projetant différents systèmes agricoles ou forestiers dans un futur marqué par un climat changeant. Le massif landais en faisait partie. Trois périodes de référence ont été envisagées: 1971-2000 comme référence, 2021-2050 (futur proche) et 2071-2100 (futur lointain). L'augmentation des températures va diminuer la contrainte climatique en hiver mais, associée à une nette réduction des précipitations, elle va augmenter fortement la contrainte hydrique estivale. Suivant les projections, la tendance sera plus marquée dans le futur lointain. Les résultats des modélisations réalisées par l'INRA donnent une diminution modérée de la croissance dès 2035, qui s'accentue dans un futur lointain. L'ampleur des résultats est toutefois fortement influencée par les simulations climatiques régionales utilisées. Maintien du pin maritime dans une démarche de prévention des risques, L'objectif de production de bois d'oeuvre de pin maritime est maintenu avec des itinéraires techniques légèrement diversifiés. Ils restent réversibles avec une durée moyenne de 35 à 50 ans. Certaines mesures en faveur de la biodiversité sont prises. Des mesures pour limiter la vulnérabilité sont prises comme l'utilisation progressives de variétés améliorées ou adaptées, des éclaircies régulières et fortes et une limitation du sous-étage pour limiter les effets du déficit hydrique et une lutte préventive contre les ravageurs par des pratiques sylvicoles (maintien des reboisements différés de 2 ans après coupe, maintiens des feuillus, régénération naturelle lorsque c'est possible). · Diversification des essences et diminution de la durée des rotations, Les objectifs de productions sont modifiés par deux stratégies: sur une partie des surfaces le pin maritime est progressivement remplacé par d'autres essences menées en peuplement de courte rotation ou taillis de courte révolution ; sur le reste de la surface le pin maritime est maintenu avec des rotations raccourcies (20-25 ans) ce qui limite la durée d'exposition au risque. La diversification ne dépasse pas 20% de la surface. · Modification brutale du paysage forestier, La crainte de la répétition des catastrophes climatiques et de l'émergence de risques nouveaux, le propriétaire se désengage de l'investissement forestier. Quelques peuplements sont traités en futaie irrégulière en profitant de la régénération acquise et certaines parcelles sont laissées en jachère. La première option permettrait de limiter en partie les impacts du changement climatique, sans les éviter totalement. La deuxième option aurait des impacts forts sur le bilan minéral, entraînant l'obligation de compenser les exportations. Elle pourrait aussi avoir des effets négatifs sur la biodiversité à plus ou moins grande échelle. Elle n'augmente pas la production ni les revenus mais réduit fortement l'exposition aux risques. La troisième option, si elle était choisie à grande échelle, ne permettrait pas de maintenir la filière économique associée à la forêt. Elle fragiliserait davantage la forêt face à la pression de défrichement. Bibliographie principale Le treut, Hervé (dir.) 2013, Les impacts du changement climatique en Aquitaine, un état des lieux scientifique. 365 p. Dynamiques environnementales, Presses universitaires de Bordeaux. ONERC 2015, L'arbre et la forêt à l'épreuve d'un climat qui change. 181 p. La documentation française. Vert J., Schaller N., Villien C. (coord.) 2013, Agriculture Forêt Climat : vers des stratégies d'adaptation. 234 p. Centre d'études et de prospective. Ministère de l'Agriculture, de l'Agroalimentaire et de la Forêt. Les simulations indiquent que les stations les plus favorables seront comparativement plus affectées et que les phases juvéniles connaîtront des effets plus marqués. Les forêts d'Aquitaine face au changement climatique Décembre 2014